FRANÇOIS DE LORRAINE

 

CHAPITRE SEPTIÈME.

 

 

Avènement de François II au trône. — Progrès de la réforme. — Les Guises gouvernent la France. — Le connétable disgracié. — Les princes du sang et les Châtillon contre les Guises. — Mesures prises par le cardinal de Lorraine pour diminuer la dette de l'État. — Édit du cardinal pour éloigner les solliciteurs. — Catherine de Médicis et les mécontents. — Portraits du cardinal de Lorraine, du duc de Guise, d'Antoine de Bourbon, du prince de Condé. — Commencement de la sédition. — Assassinat du président Minard et d'un secrétaire du cardinal. — Réunions secrètes des réformés. — La Renaudie. — La Conjuration d'Amboise. — Les suites de la conjuration. — Après le drame la comédie. — Guise est de nouveau élevé à la dignité de lieutenant général du royaume (17 mars 1560).

 

François II avait quinze ans et demi lorsqu'il monta sur le trône ; et sa femme, la belle et intéressante Marie Stuart, en avait dix-sept. Débile de corps, absolument étranger aux affaires de l'État, ce royal enfant, qui ne savait qu'aimer sa jeune et jolie petite reine, docile aux conseils de sa mère, abandonna sans efforts le gouvernement du royaume à ses oncles maternels, le duc de Guise et le cardinal Charles de Lorraine. Les tempêtes les plus terribles allaient passer sur son front innocent, sans qu'il se doutât même des dangers que la monarchie avait courus sous son règne.

Le protestantisme avait fait de rapides progrès. Plusieurs grands seigneurs et gentilshommes avaient embrassé les doctrines de Calvin moins par conviction que par intérêt. La réforme leur offrait les moyens de lever une armée et d'imposer au roi leurs conditions sous prétexte de liberté de conscience. Les raisons qu'ils cherchaient pour se mettre en guerre ouverte contre le pouvoir, ils devaient les trouver bientôt dans les mesures que les Guises furent obligés de prendre pour rétablir l'ordre dans les finances.

A peine Henri II avait-il rendu le dernier soupir, que les deux princes lorrains, sans perdre une minute, s'étaient rendus auprès du nouveau roi et s'étaient en quelque sorte emparés de sa personne en ne laissant pénétrer auprès de lui que des amis dévoués à leurs intérêts. Catherine de Médicis, bien que retirée dans un oratoire, couverte, des pieds à la tête, d'un long voile de deuil, avait promptement jugé la situation, et, obligée de se prononcer entre le connétable et Guise, avait cru plus prudent et plus sage de faire alliance avec ce dernier. Elle ne pouvait, du reste, pardonner à Montmorency de s'être fait, pendant si longtemps, le courtisan de la duchesse de Valentinois, sa rivale abhorrée, et d'avoir tenu sur sa naissance des propos méprisants : il avait dit un jour qu'elle était fille de marchands.

Le vieux connétable avait été dédaigneusement laissé près du corps de son maitre. Lorsque, après les obsèques de Henri II, il vint présenter ses hommages au roi, pour l'assurer de son dévouement et lui recommander ses enfants et ses : neveux, François, à qui sa mère et les Guises avaient déjà fait la leçon, le reçut avec une apparente déférence, mais lui dit qu'il avait assez rendu de services à ]a patrie et qu'il devait prendre le repos dont il avait besoin à son grand âge. Il lui conseilla de se retirer dans son beau domaine de Chantilly. Le vieux guerrier accepta fièrement l'exil, et quitta la cour sans proférer une plainte. Quelque temps après, pour complaire aux Guises, et sur les conseils de Catherine de Médicis elle-même, il fut obligé de se dessaisir de la charge de grand maitre que François de Lorraine ambitionnait, et qui devait lui donner à la cour des pouvoirs aussi absolus que ceux des anciens maires du palais. En compensation, Montmorency obtint pour son fils aîné le bâton de maréchal.

Les princes du sang, les réformés et les mécontents voulaient que les états fussent assemblés pour donner au roi un conseil de régence, comme on les avait rassemblés à Tours en l'an 1484, au commencement du règne de Charles VIII. Ils espéraient que les Guises seraient rejetés de ce conseil, comme étant étrangers et issus de la maison de Lorraine[1].

Outre plus on disputoit que, selon les constitutions du droit civil (lequel a toujours esté maintenu et approuvé par le roi de France), celui qui a affecté ou s'est ingéré à quelque tutelle ou curatelle, en doit estre rejetté comme suspect, et que celuy qui prétend quelque droict ès biens d'un pupille ou mineur, n'en doit avoir aucunement l'administration : au moyen de quoi les dicts de Guyse sont du tout incapables du gouvernement de France, puisqu'ils prétendent y avoir droict comme estant de la race de Charlemaigne, ainsi qu'il a esté dit, et que, s'ils veulent desguiser leur intention en cest endroit, toutefois ils querellent manifestement la comté de Provence, le duché d'Anjou, et autres membres de la couronne de France, lesquels ils prétendent leur appartenir ; comme de faict ils en entretiennent l'opinion par quelques formalitez de justice, comme retenans toujours la possession dudict duché d'Anjou[2].

On voit que la haine contre les Guises était ardente ; et entre rivaux d'une telle trempe, la guerre devait être sans merci.

Malheureusement pour les mécontents, le roi était majeur, et, selon les propres expressions de Coligny, il avait le droit de choisir ses conseillers.

Lorsque les membres du parlement vinrent présenter au roi leurs félicitations, et lui demander à qui, dans l'avenir, il fallait qu'on s'adressât pour connaître sa volonté et recevoir ses commandements, François leur répondit : De l'agrément de la reine ma mère, j'ai choisi le duc de Guise et le cardinal de Lorraine, mes oncles, pour diriger l'État ; le premier prendra soin des affaires de la guerre, et l'autre de l'administration des finances et de la justice ; il sera le premier ministre.

C'était donc sur eux, d'après la volonté du roi et de la reine mère, que reposait la couronne de France, et ils étaient, certes, assez forts pour la porter.

Pour subvenir aux frais de la guerre, le dernier roi s'était vu dans la nécessité d'emprunter aux usuriers ; et, pour complaire à ses trop nombreux favoris, il avait créé une foule de charges absolument inutiles, et reconnu des pensions non justifiées. Le cardinal de Lorraine prit des mesures énergiques pour alléger la dette de l'État, et réduisit au strict nécessaire les charges créées par le feu roi. Toutes les sinécures furent impitoyablement abolies.

Ces mesures, d'une urgente nécessité, soulevèrent d'immenses clameurs. L'affluence des solliciteurs, qui venaient réclamer au roi des charges et des pensions, fut telle, que le cardinal, on ne s'est jamais expliqué pourquoi, craignit que sa vie ne fût menacée. Sous l'empire de cette terreur folle, il lança un édit aussi barbare que ridicule de la part d'un esprit aussi éminent. Cet édit portait en substance que tous ceux qui étaient venus à la cour, quelle que fût leur condition, pour solliciter des payements de dettes, des récompenses ou des grâces, eussent à s'éloigner dans les vingt-quatre heures, sous peine de mort. Pour que la menace ne parût point illusoire, un gibet, dit-on, fut dressé à Fontainebleau, tout proche du palais.

Mais, tandis que son frère s'abandonnait à la fougue de son caractère souvent irréfléchi, malgré sa haute pénétration, Guise, toujours plus calme, plus maître de lui, atténuait les mauvais effets de ces mesures insensées, en accueillant les solliciteurs avec sa bonne grâce ordinaire, en écoutant leurs réclamations, et en les congédiant avec de bonnes paroles. Dans le nombre, il y avait de braves et vaillants soldats qui avaient servi sous ses ordres et qui l'aimaient ; il sut leur prouver qu'il était toujours le chef généreux et loyal qu'ils avaient connu.

Non par générosité, mais par politique, la reine mère aussi accueillait avec intérêt les princes et les seigneurs réformés ou mécontents. En agissant ainsi, elle se préparait déjà des alliés pour le moment où elle croirait nécessaire à ses intérêts de se débarrasser des princes lorrains.

Mais, dans ses entrevues avec les princes du sang et avec les Montmorency et les Châtillon, elle apprit à connaître leurs exigences, et s'en effraya au point de solliciter presque la protection de Philippe II, son gendre. Le roi d'Espagne lui répondit qu'il emploierait volontiers toutes ses forces à maintenir l'autorité du roi son beau-frère et de ses ministres, et qu'il avait quarante mille hommes tout prêts, si quelqu'un était assez hardi pour y attenter.

C'était une faute et une gratuite humiliation qu'elle attirait à la France. L'ambassadeur d'Espagne prit depuis, à la cour de France, des airs pleins d'arrogance et de protection que venait Clé justifier la démarche de la reine mère. Guise en fut profondément affecté.

Telle était la situation intérieure du royaume, lorsque les mécontents, composés presque totalement de réformés, résolurent d'user de la force pour renverser le pouvoir des Guises. Cette conspiration est connue dans l'histoire sous le titre de Conjuration d'Amboise.

Mais d'abord il convient de faire connaître les principaux acteurs de ce drame mémorable.

Le cardinal Charles de Lorraine, qui, d'après l'ambassadeur vénitien Jean Michel, aurait été, sans ses défauts, la plus grande puissance politique du royaume, avait alors trente-six ans. Le même historien rapporte qu'il était doué d'un esprit merveilleux, saisissant à demi mots l'intention de tous ceux qui lui parlaient. Il a une mémoire étonnante, une belle et noble figure, une rare éloquence qui se déploie largement sur tous les sujets, et surtout dans les matières politiques. Ses mœurs étaient pures, son dévouement à sa famille sans bornes ; mais toutes ces belles qualités étaient presque annihilées par sa cupidité et par son esprit violent et vindicatif.

Au contraire, le duc de Guise était doux et modéré, et, s'il commit quelques violences, c'est qu'il céda trop souvent aux conseils de son frère. Guise avait le port altier, et un regard fixe et pénétrant qui faisait baisser les yeux à Henri II. Il avait pourtant avec cela un abord affable et le sourire gracieux. On ne peut parler de lui, dit le même historien, que comme d'un homme de guerre, d'un bon capitaine. Personne, dans ce royaume, n'a livré plus de batailles, n'a affronté plus de dangers. Tout le monde loue son courage, sa constance, sa vaillance à la guerre, son sang-froid, qualités admirablement rares dans un Français. Il ne s'emporte pas, il n'a pas une trop haute opinion de lui-même. Ses défauts à lui sont : d'abord son avarice à l'égard des soldats puis il promet beaucoup, mais, lors même qu'il se propose de tenir sa promesse, il y met une lenteur infinie.

Nous avons voulu citer textuellement les paroles du Vénitien Jean Michel, rapportées par M. Guizot dans son Histoire de France. Mais on sait combien est peu fondé le reproche d'avarice qui lui est adressé. Il prouva son désintéressement et sa générosité en maintes circonstances, et surtout à Calais. S'il était lent à tenir ses promesses, c'est qu'il avait l'habitude de faire toute sa correspondance lui-même. Montluc, en riant, lui avait plusieurs fois reproché cette manie.

Le cardinal avait appelé au ministère de la justice François Olivier, homme sage et modéré, et d'une haute intégrité. Son passage aux affaires fut de courte durée ; mais il fut heureusement remplacé par le célèbre Michel de l'Hôpital, qui est resté une de nos gloires les plus pures.

Dans le camp opposé, le plus haut personnage était Antoine de Bourbon, roi de Navarre, époux de Jeanne d'Albret. Antoine de Bourbon avait vingt-trois ans. Frustré de la plus grande partie de son héritage et mis-dans l'impuissance de réclamer ses droits sur la Navarre, qui lui appartenait du chef de sa femme, sa pauvreté relative l'avait rendu timide et hésitant. Pour se défaire de lui, les Guises l'envoyèrent, ainsi que son frère, Louis, prince de Condé, en mission auprès de Philippe II, lors de l'avènement du jeune roi au trône. On lui avait fait espérer que le roi d'Espagne consentirait peut-être à lui rendre la Navarre, moyennant des compensations auxquelles la France se prêterait. Il comprit bien vite qu'on s'était joué de lui pour l'éloigner de la cour. Les deux frères revinrent en France, plus aigris et plus mécontents que jamais.

Après les frères du roi, Antoine de Bourbon était le premier prince du sang. Doué d'une physionomie belle et martiale, il savait se faire aimer et gagnait la confiance de ceux qui l'approchaient. Brave jusqu'à la témérité, il avait plutôt les qualités du soldat que celles du capitaine. Il embrassa le calvinisme, non par ambition ni par conviction, mais parce que son épouse, Jeanne d'Albret, qui avait d'abord raillé la réforme. était une protestante zélée, presque fanatique.

Son frère, Louis de Bourbon, prince de Condé, était contrefait de corps, et, malgré cette infirmité, c'était un hardi cavalier et l'esprit le plus vif, le plus remuant et le plus aventureux qu'il fût. Né pour la lutte et pour le commandement, il rougissait de ne pas occuper dans le gouvernement le rang auquel sa naissance lui donnait droit. Pour satisfaire son ambition dévorante, il n'hésitait pas à se faire l'âme d'une conspiration qui aurait pu mettre tout le royaume à feu et à sang.

Aux deux princes vinrent se joindre cieux des plus nobles gentilshommes du royaume, renommés autant par leur bravoure, par leurs talents, que par leur caractère : Dandelot et Coligny, qui faisaient aussi profession de calvinisme.

Au- dessus d'eux se dressait l'austère et énigmatique figure de Catherine de Médicis. L'habile Italienne attendait son heure, et son allié de la veille n'était jamais celui du lendemain.

A cette époque, octobre 1559, les placards[3] les plus séditieux furent affichés dans tous les carrefours de Paris, pour exciter le peuple à la révolte contre le gouvernement légal. Les Guises y étaient traités avec une violence dont nous n'avons pas d'exemple aujourd'hui. C'était toujours les mêmes reproches et les mêmes accusations. On leur reprochait leurs prétentions de descendre de Charlemagne, d'avoir soustrait la souveraineté du duché de Bar à la couronne de France, de ne pas vouloir convoquer les états généraux ; et on les accusait de vouloir s'emparer du duché d'Anjou et du comté de Provence. Ces libelles diffamatoires leur imputaient même l'odieuse pensée d'attenter à la vie du jeune roi pour s'emparer de sa couronne. Du Thilliez, évêque de Saint-Brieuc, sur l'ordre de Guise, publia un mémoire pour réfuter ces pamphlets. Voyant grossir chaque jour le nombre de leurs ennemis, les princes lorrains crurent activer le zèle de leurs anciens amis ou s'en faire de nouveaux en prodiguant l'ordre de Saint-Michel. Il fut créé ainsi un si grand nombre de chevaliers, que les satiriques du temps appelèrent ce cordon le collier à toutes bêtes.

Au mois de décembre suivant s'instruisit le procès de du Bourg, qui fut condamné à mort et dont l'exécution eut lieu le 23. Tandis que ce procès était en cours, le président Minard fut assassiné, rue Vieille-du-Temple, par un Écossais calviniste nommé Robert Stuart. Presque en même temps, un secrétaire du cardinal de Lorraine, Julien Firmin, chargé de plusieurs missives, fut tué et dépouillé des lettres dont il était porteur, dans les environs de Chambord. Ces deux crimes, commis à peu d'intervalle, furent imputés aux calvinistes, et ne firent qu'exciter les rigueurs du cardinal de Lorraine.

Ce fut alors que les réformés et les protestants, qui avaient eu déjà plusieurs assemblées secrètes, soit à Vendôme, chez le roi de Navarre, soit à la Ferté, chez le prince de Condé, résolurent de mettre en communication et en mouvement leur lieutenants principaux[4].

Unis dans une haine commune, les principaux chefs du calvinisme étaient d'accord sur le but, mais divisés quant aux moyens. Le roi de Navarre et Coligny penchaient pour une conduite prudente, modérée, devant s'exercer surtout par une pression assidue auprès de la reine mère, qui agirait à son tour sur l'esprit du roi. Condé, qui était l'âme de la conjuration, et dont le caractère bouillant se prêtait peu aux ménagements, voulait qu'on fit immédiatement appel à la force. Jusque-là ils n'avaient pu parvenir à se mettre d'accord entre eux ; mais le secret de leurs délibérations avait été religieusement gardé.

Toutefois le moment de l'action était proche ; mais aucun des princes ni des Coligny n'ayant voulu se mettre ostensiblement à la tête de la conjuration, ils déléguèrent tous leurs pouvoirs et confièrent l'exécution de leurs projets à Jean de Bari, seigneur de la Renaudie.

Ce chef, le premier que se soient donné les protestants pour lever dans la patrie l'étendard de la révolte, était peu fait, malgré son courage, son activité et son intelligence, pour ennoblir et relever une cause. Peut-être ferions-nous mieux de dire qu'une telle cause était bien cligne d'avoir un tel chef.

C'était un homme d'un caractère à la fois impétueux et opiniâtre. Livré aux plaisirs et à la dissipation, il avait été, dans sa jeunesse, accusé d'un faux envers le greffier du Thilliez. On a assuré qu'il n'avait point été coupable de ce crime ; mais que, pour ne pas dénoncer un de ses proches parents, il en avait accepté la responsabilité. Il allait être condamné à la peine capitale et était retenu en prison à Dijon. Guise, qui l'avait connu à la cour et à l'armée, et qui, malgré ses défauts et ses vices, appréciait les côtés aventureux de son caractère, ne voulut pas croire à sa culpabilité, et le fit évader comme par miracle, le jour de la procession de la Fête-Dieu. La Renaudie gagna Genève, où il se mit en rapport avec Calvin, qui lui enseigna les doctrines de sa religion. Bravant l'arrêt de bannissement qui le frappait. la Renaudie, sous le surnom de la Forêt, avait plusieurs fois traversé la France pour se mettre en communication avec les calvinistes de son pays, ou pour aller demander du secours à Élisabeth d'Angleterre[5]. L'accueil qu'il reçut de cette reine, qui avait tout intérêt à exciter en France la discorde civile, fit de lui un personnage et fixa l'attention des conjurés, qui avaient besoin d'un homme ne reculant devant aucune extrémité.

Alors, de province en province de château en château, la Renaudie se mit en quête de soldats. Guise lui avait sauvé la vie, et il ne rentrait en France que pour aiguiser les poignards contre son bienfaiteur.

Pour se venger d'un arrêt qui le flétrissait, il livrait son pays aux horreurs de la guerre civile, sous le masque hypocrite de la religion. Ce n'est point assez, disait-il, de verser votre sang pour la cause sainte ; il est temps de faire trembler vos ennemis. C'est avec ces paroles de haine et d'excitation à la révolte qu'il leva une petite armée de six cents gentilshommes, auxquels il donna rendez-vous dans la ville de Nantes, où se faisaient, en ce moment-là, plusieurs-préparatifs de mariage. A l'occasion des fêtes qui devaient avoir lieu dans cette ville, les conjurés purent y pénétrer sans éveiller aucun soupçon. Pour plus de prudence, ils feignaient de ne pas se reconnaître.

Le ter février dans une salle basse et obscure, la Renaudie les réunit tous. A la fois théologien, politique et homme d'épée, le chef des conjurés, dans les discours qu'il tint à ses complices, s'efforça de calmer leurs scrupules de conscience, de leur démontrer la légalité de l'acte qu'ils allaient commettre, et d'en assurer le succès par les mesures qu'il se chargeait de prendre. Il redit devant tous ce qu'il avait dit devant chacun en particulier, et son discours ne fut, en somme, qu'une répétition de tous les griefs depuis longtemps amoncelés contre les Guises. Il trouvait parfaitement licite de prendre les armes, si un tel acte était légitimé par l'autorisation des princes du sang et de la majorité des états du royaume. I1 faisait sonner haut son attachement pour le roi, pour les princes ses frères et pour la reine mère. Ce qu'il voulait, c'était, au contraire, tirer François II de la captivité dans laquelle ses oncles le laissaient languir. Il fallait qu'il eût recours à toutes ces subtilités pour ne pas soulever contre lui la réprobation unanime, dans un pays où la personne du roi était alors si sacrée. Toute sa fureur tournait contre les princes lorrains. Dans sa haine fanatique, il contestait même à Guise sa gloire militaire et ses plus légitimes succès. C'était l'hiver et les rhumatismes dont était atteint Charles-Quint qui lui avaient valu la défense de Metz. C'était Châtillon (Coligny) qui avait vaincu pour lui à Renty. C'était Sénarpont et Dandelot qui avaient emporté Calais. A Thionville, il n'avait fait que profiter des dispositions de Vieilleville et du dévouement de Strozzi. De telles accusations auraient dû soulever des risées générales, si elles n'avaient été lancées dans un auditoires de fanatiques qui voyaient dans les Guises, et surtout dans François, les défenseurs les plus intrépides de la religion catholique.

La Renaudie était le chef avoué des conjurés ; mais au-dessus de lui devait rester dans l'ombre, jusqu'au moment de la lutte ouverte, le chef muet, qui n'était autre que le prince de Condé.

Après l'exorde de leur chef et après s'être affermis dans leur résolution, les conjurés devaient tous se réunir dans un château aux environs de Blois. La Renaudie était informé que la cour allait se transporter dans cette ville, afin que le roi pût y rétablir sa santé chancelante. Un signe de ralliement avait été convenu. Tous les conjurés devaient porter un esteuf (sorte de pompon en forme de balle) mi-parti blanc et noir. Enfin, la Renaudie choisit ses lieutenants, dont les principaux furent Castelnau, Maligny, Mazères, Maillé de Brézé, la Chaisneley, Duménille et Châteauvieux. L'attaque définitive fut fixée au 15 mars, et. pour conserver jusqu'au bout une apparente modération, il fut convenu que des députés, sans armes, seraient envoyés auprès du roi et de la reine mère pour leur demander le libre exercice de la religion réformée, l'abrogation des édits lancés contre les protestants et le renvoi immédiat des Guises. Les révoltés devaient ensuite appuyer les prétentions de leurs délégués.

Trop confiant dans la réussite de son projet, la Renaudie se rendit en toute hâte à Paris pour recruter les derniers secours dont il avait besoin et terminer les préparatifs de son entreprise. Il descendit, selon son habitude, dans la maison d'un avocat protestant nommé Avenelles. Ce dernier, en voyant nuit et jour une si grande affluence d'inconnus dans sa maison, s'inquiète et interroge son ami la Renaudie. Le principal lieutenant des conjurés livre son secret, et dévoile à Avenelles tout le plan de la conspiration. Le pauvre avocat, qui, tout en étant protestant, voulait rester bon royaliste, comprit le péril que ses coreligionnaires allaient faire courir au royaume, et la honte qui devait en rejaillir sur eux tous. Pour n'être point leur complice, il dénonça leurs projets à un des secrétaires des Guises, et lui désigna comme un des membres de la conjuration un gentilhomme nommé Linières, dont les frères occupaient des places à la cour, près de la reine mère[6]. Linières fut mandé près des Guises, où, soit par intimidation, soit dans l'espoir d'une récompense, il nomma tous les chefs de la révolte, précisa le jour de l'attaque et l'ordre de son exécution. En apprenant les périls auxquels il était exposé, le cardinal perdit littéralement la tête ; mais, plus calme et plus habitué au danger, Guise. au contraire, après avoir froidement envisagé la situation, se félicita de cette conjuration, qui lui permettait, d'un seul coup, d'avoir raison de tous ses ennemis. Son énergie rendit la confiance aux plus timorés et aux plus hésitants.

D'un coup d'œil il avait mesuré le danger, et son plan de défense, aussi habile que hardi, fut immédiatement conçu et exécuté.

Le roi, à qui il fallait apprendre la conspiration, ne put, à cette nouvelle, retenir ses sanglots. D'amers reproches sortirent même de sa bouche à l'adresse du cardinal. Qu'ai-je donc fait à mon peuple, s'écria-t-il, pour qu'il attente à mes jours ? Je veux entendre ses doléances et y faire droit. C'est vous, c'est vous seul, dit-il au cardinal de Lorraine, qui nie rendez odieux à tous mes sujets.

La jeune reine n'ose élever la voix. Frappée de la douleur et de la colère de son époux, elle se repent d'avoir tout sacrifié à l'ambition de son oncle.

La reine mère, qui se félicite, au fond du cœur, d'avoir donné quelques espérances aux protestants, parle de négocier avec eux. C'est à l'amiral de Coligny qu'il faut recourir, dit-elle ; suivons ses conseils, qu'on a trop dédaignés. Tout est perdu si on ne calme les protestants. Le cardinal de Lorraine n'a déjà plus d'indignation contre les hérétiques[7].

Coligny et ses frères, Dandelot et le cardinal de Châtillon, furent donc mandés à la cour par Catherine de Médicis, qui, sur le conseil même de Guise, leur écrivit même des lettres très affectionnées.

Condé, qu'il fallait à tout prix avoir sous la main, reçut la même invitation, et se rendit aussi auprès du roi. Guise feignit d'avoir en eux la confiance la plus entière et la plus absolue. Il voulait au besoin qu'ils lui servissent d'otages. D'autre part, Guise écrivait au connétable de Montmorency pour lui faire connaître la conjuration, ne doutant pas qu'il ne l'aurait en aussi grande horreur que lui.

Voici quel était le plan de Guise. Sous prétexte d'une partie de plaisir, il fit quitter au roi la ville de Blois, et le conduisit à Amboise, dont le château, admirablement fortifié, pouvait être aisément défendu. Pour repousser les assaillants, il feignit de compter sur les secours même de ses ennemis, plus ou moins ouvertement déclarés, de Coligny, de Dandelot, des cieux frères la Rochefoucauld, et même de Condé.

Il est vrai qu'il les avait tous entourés d'amis sûrs et dévoués, dont le courage et la fidélité étaient à toute épreuve. Il fallait pourtant que rien n'éveillât leur défiance. Le succès de Guise dépendait de sa confiance absolue.

Quand le prince de Condé arriva à la cour, qui était déjà transportée à Amboise, il ne pouvait plus douter que la conjuration ne fût connue. Mais il était trop engagé pour reculer ; et quand le duc de Guise lui confia le poste principal de la défense, il l'accepta, croyant par ce moyen favoriser encore les projets de la Renaudie. Pourtant il crut prudent de prévenir son lieutenant ; mais celui-ci osa maintenir son plan d'attaque. Nos projets, dit- il à ses compagnons, sont plutôt soupçonnés que découverts ; je vois que les Guises tremblent, je ne vois pas encore qu'ils soient préparés : le fussent-ils, il faudrait les affronter. Si nous ne pouvons plus les surprendre dans Blois, nous pouvons les attaquer dans le château d'Amboise. Nous devons au prince de Condé, aux amis qui ont osé entrer dans ce château, de seconder ce qu'ils entreprennent pour nous. Le château de Noizay nous appartient ; nous y avons un dépôt d'armes : gardons-nous de l'abandonner ; gardons-nous de fuir. Réunis aujourd'hui ou pour la victoire ou pour une mort glorieuse, si nous nous séparons, nous nous présenterons de nous-mêmes aux tortures, à l'échafaud. Il faut oser au delà de ce que nos ennemis craignent de nous : c'est notre serment, c'est, notre salut.

Les conjurés suivirent ]e conseil de leur chef audacieux et se préparèrent à l'attaque. Mais François de Lorraine, qui avait appris tous leurs secrets par le capitaine calviniste Linières, sut partout leur opposer des forces qu'ils ne comptaient pas rencontrer.

Dans le château d'Amboise, dont il fit, murer la porte principale, il plaça le duc d'Aumale, son frère, à côté du prince de Condé. Il arma ensuite tous les serviteurs, et renforça sa garnison par les secours qu'il tira d'Orléans, de Blois, de Tours, de Bourges et de Poitiers. Le flue de Nemours et le maréchal de Saint-André, avec une assez forte cavalerie, étaient posté en observation dans le bois de Château-Renault. lin grand nombre de gentilshommes, ayant appris les dangers que courait le roi, étaient venus spontanément mettre leur épée au service de Guise.

Cependant, sur le conseil du chancelier Olivier, ainsi que sur l'avis de Guise et du cardinal de Lorraine, le roi rendit un édit par lequel grâce était faite à tous les conjurés qui mettraient bas les armes, à l'exception des prédicants et des prisonniers compromis dans les assassinats commis précédemment. Promesse était faite aussi aux réformés du libre exercice de leur religion[8].

Mais cet édit resta sans effet, soit que les conjurés n'en eussent pas eu connaissance, soit qu'ils eussent résolu de n'en tenir aucun compte.

L'attaque, qui devait avoir lieu le 15 mars, fut retardée d'un jour.

Le 15, Nemours et Saint-André firent prisonniers Mazères et Raunay. Le baron de Castelnau, qui était venu s'enfermer dans le château de Noizay, après avoir culbuté un faible corps de troupes qui voulait lui barrer le passage, se vit assiégé par le duc et par le maréchal au moment où il attendait les secours de la Renaudie. Désespérant d'être secouru à temps, il entra en pourparlers avec Nemours.

Le baron protesta de son dévouement au roi, et dit qu'il n'avait pris les armes que pour lui présenter une requête afin d'obtenir l'éloignement des Guises. Jetez donc à bas vos armes, lui dit le duc de Nemours. Quel sujet fidèle ose se présenter à son roi dans un semblable appareil ? Je m'engage à vous conduire, vous et vos compagnons, en sa présence, mais adressez à Sa Majesté des prières, et ne lui faites pas de menaces.

Après ce propos, et plusieurs prières dudict de Nemours de laisser les armes et venir sous sa foy parler au roy, s'obligeant par foy de prince qu'il ne leur en reviendroit aucun mal ni danger[9], tous suivirent Nemours sur sa parole. Mais en arrivant à Amboise, au mépris de cette parole, ils furent jetés dans les cachots. En vain Nemours, indigné et confus, protesta-t-il contre leur emprisonnement ; en vain la duchesse de Guise joignit-elle ses supplications pour réclamer l'observation de la promesse faite ; Castelnau ne put être rendu à la liberté. On assure que dans le cours de l'interrogatoire qu'il subit il avoua qu'entre les princes, le peuple et autres nations, il y avait une ligue pour mettre à mort, à Amboise, le duc de Guise, le cardinal et leurs frères, et tenir le roi en tutelle[10].

Le lendemain 16, ceux des conjurés qui n'avaient pu être prévenus à temps traversaient la forêt de Château-Renault par petites bandes, lorsqu'ils furent atteints, pris ou taillés en pièces par la cavalerie, que le duc de Guise dirigeait en personne. Ces révoltés étaient pour la plupart de malheureux égarés, qui ne comprenaient pas toute la portée de l'acte qu'on leur faisait commettre. Grâce fut faite à presque tous ceux dont les cavaliers de Guise s'étaient emparés. Ils étaient, du reste, esperdus et sans chefs.

La Renaudie venait à marche forcée au secours de ses complices, et s'approchait du château de Noizay, lorsque, au lieu de rencontrer devant lui Castelnau et ses calvinistes, il tomba dans une embuscade de guisards, commandée par un de ses parents et amis, le baron de Pardillen.

Les deux chefs, malgré la parenté et l'amitié qui les unissent, fondent l'un sur l'autre l'épée à la main. D'un coup droit, la Renaudie perce son adversaire de part en part et le tue raide. Le page de Pardillen peut venger son maitre, et d'un coup d'arquebuse blesse la Renaudie. Le chef huguenot a cependant encore assez de forces pour terrasser et tuer son adversaire ; et puis, entouré de toutes parts, il tombe mort entre ses deux ennemis.

Les protestants essayent de fuir, mais la forêt est cernée, et ils sont ramenés prisonniers au château. Le corps de la Renaudie fut aussi transporté à Amboise, où il fut pendu à une potence dressée au milieu du pont-levis avec cette inscription : C'est la Renaudie, dit la Forest, capitaine des rebelles, chef et auteur de la sédition. Son cadavre resta ainsi quelques jours attaché à la potence ; puis il fut coupé en quatre quartiers.

Après la mort de la Renaudie et la capitulation de Castelnau, il semblait que le complot ne dût plus avoir de suites. Il est même probable que l'édit royal par lequel grâce était faite à ceux qui n'avaient pas pris les armes dans cette affaire déplorable eût été exécuté, et que les prisonniers eussent été traités avec grande clémence. Malheureusement deux chefs des conjurés, la Mothe et Cocqueville, tenaient encore la campagne à la tête de leurs bandes, et voulurent tenter une dernière attaque contre Amboise. Mal leur en prit ; car les paysans eux-mêmes, armés de faux, les attaquèrent dans les faubourgs de la ville, tandis que Condé, qui aurait dû passer dans leurs rangs, faisait contre eux une violente sortie à la tête des royalistes, dont le commandement lui était confié. Il est vrai que d'Aumale était à ses côtés, l'épée au poing, et qu'il n'aurait point fait grâce au chef muet s'il avait tenté la moindre incartade.

La Mothe et Cocqueville furent contraints à battre en retraite, laissant la plupart des leurs entre les mains des soldats de Guise et des paysans. Prompte justice fut faite de ces malheureux insurgés. Quand le peuple et le soldat s'érigent en justiciers, il n'y a plus de grâce à attendre. On pendit les prisonniers, haut et court, aux arbres de la forêt. Cet exemple de cruelle et sommaire répression gagna la cour, qui, moins enivrée de sa victoire qu'outrée de ce dernier acte de rébellion, se livra à de cruelles exécutions. Les chefs n'avaient point encore subi le sort qui les attendait, dans l'espérance qu'ils dénonceraient quelques-uns des princes ou des Châtillon, peut-être même Montmorency en personne. Mais ni Montmorency, ni le roi de Navarre, ni Coligny, ni Dandelot, ne furent désignés par aucun d'eux comme ayant pris une part quelconque à la conjuration d'Amboise. Condé seul fut un moment soupçonné à la suite des révélations de Labigne, Raunay et Mazères, qui avouèrent que la Renaudie leur avait parlé du prince comme étant le chef occulte de cette entreprise. L'accusation était vague et pouvait porter à faux. Pour acquérir des preuves plus concluantes, les papiers du prince furent tous fouillés ; mais, au grand désappointement du cardinal, toutes les pièces compromettantes avaient déjà disparu.

L'exécution des chefs eut lieu en présence de toute la cour. Ce fut un horrible spectacle, qu'il est du devoir de tout honnête homme de flétrir énergiquement.

Une dernière fois d'Aumale, par générosité d'âme, et Catherine de Médicis, par politique, sollicitèrent la grâce de Castelnau ; mais le vindicatif cardinal, ne se souvenant que des dangers qu'il avait courus, se montra inflexible.

Villemongey, avant de mourir, trempa ses mains dans le sang de ses compagnons, et, les élevant au ciel, s'écria : Ô mon Dieu, je te prie, en mourant, de venger le sang de ces martyrs. La femme du duc de Guise, Anne d'Este, digne petite-fille de Louis XII, ne put, à cette vue, retenir ses sanglots, et, fuyant cet horrible spectacle, dit à Catherine de Médicis, qui lui demandait la cause de sa terreur et de ses larmes : Ah ! Madame, de tels spectacles font horreur. Combien de vengeances se préparent ! Je crois voir encore bien du sang qui va couler. Que Dieu sauve les princes vos fils et mes enfants !

Le chancelier Olivier, un des fidèles pourtant du cardinal de Lorraine, souffrant de la maladie qui devait l'emporter peu de jours après, s'écria sur son lit de mort en apprenant ces exécutions : Ah ! cardinal, tu nous fais tous damner.

Mais aussi que de tristes palinodies ! Vieilleville, qui, en cas de triomphe des conjurés, eût été le premier à demander la mort des Guises et à crier : Vive la réforme ! fut un des plus ardents à se signaler contre les protestants vaincus. En vrai routier courtisan, il vint présenter ses compliments au duc de Guise et au cardinal de Lorraine, et solliciter d'eux sa râtelée de louanges et de félicitations.

Le roi avait écrit au connétable pour l'informer de cette abominable trahison, qui tendait à l'entière subversion de nostre État. Ce qui ne pouvoit estre, disait François II, tant que nous, nostre très honorée dame et mère, nostre très chère et très amie compaigne la rogne, nos frères et autres princes ayant le principaux maniement de nos affaires, ne fussent tout estainctz ou bien à tout le moinz nous ne feussions réduitz à telle partie, que l'autorité du roy feust rabaissée à la mercy du subject.

Par cette lettre le connétable avait mission d'informer le parlement de la conjuration d'Amboise et de ses résultats. Il en profita pour faire les plus grands éloges des Guises et principalement du cardinal. Ce fut peut-être grâce à ce panégyrique de Montmorency que François de Lorraine obtint du parlement le titre de conservateur de la patrie.

Après les drames, si sanglants et si terribles qu'ils soient, il faut, sur n'importe quel théâtre de la vie humaine, que la comédie montre toujours son masque. Tandis que Vieilleville et Montmorency jouaient leur rôle tout de circonstance, le prince de Condé s'apprêtait à jouer le sien avec encore plus d'audace et d'habileté.

Accusé d'avoir trempé dans la conjuration d'Amboise, il fut, sur les instances du cardinal, interrogé par la reine mère.

Catherine de Médicis feignait de ne se résoudre à cette interrogation que contrainte et forcée, et pour offrir au prince les moyens de se justifier. Charles de Lorraine, qui assistait à l'entretien, témoignait des mêmes sentiments, et conseillait hypocritement au jeune Bourbon de se retirer derrière une tapisserie pour entendre ses accusateurs et les mieux confondre. Condé ne voulut point accepter ce stratagème, et déclara qu'en sa qualité de prince du sang il voulait titre interrogé devant toute la cour. Il fut fait ainsi qu'il le désirait.

Le roi, pour cette circonstance, réunit une sorte de tribunal suprême. Il avait à ses côtés les deux reines Marie Stuart et Catherine de Médicis, les princes ses frères, les princes du sang présents à Amboise, les ambassadeurs des puissances étrangères, tous les seigneurs et tous les gentilshommes de la cour, ainsi que les chevaliers de l'ordre.

Au lieu d'essayer une justification de sa conduite, ce qui eût été difficile, le prince s'avança hardiment au milieu de l'auguste assemblée, et dit à ceux qui l'écoutaient : S'il est ici un homme assez audacieux pour m'accuser d'avoir conjuré contre le roi, je déclare que cet accusateur, à moins que ce ne soit le roi, ou l'un des princes ses frères, en a faussement et malheureusement menti. Qu'il se présente, et, mettant à part ma dignité de prince du sang, que je ne tiens que de Dieu, je suis prêt à le combattre et à lui faire avouer qu'il est lui-même l'ennemi du roi, de la famille royale et de la monarchie.

Grande était la stupéfaction de toute la cour après ces paroles, et nul n'osait faire un mouvement ni prononcer un mot, lorsque le duc de Guise, fier et hardi comme en un jour de combat, se leva et s'exprima en ces termes : C'est souffrir trop longtemps qu'un si grand prince reste exposé au soupçon du plus noir attentat. Je le prie, s'il soutient un combat, de m'accepter pour son second.

Ce n'était pas seulement un acte chevaleresque, c'était un acte d'une haute habileté, du genre de ceux dont les grandes âmes sont seules capables. En se déclarant le second de son irascible et impétueux ennemi, Guise marquait sa supériorité et l'obligeait à lui dire merci. Nul ne douta de la sincérité et de la magnanimité du prince lorrain ; le cardinal de Lorraine moins que qui que ce fût, car il courbait la tête de confusion.

Le prince alors s'avança vers le roi, et lui dit : Puisqu'il n'existe plus contre moi ni accusateurs, ni preuves, ni indices, je vous supplie, Sire, de me tenir pour un sujet fidèle.

Le roi, que cette scène avait profondément ému, restait indécis, ne sachant que répondre, lorsque le cardinal, qui était le plus embarrassé peut-être de tous les personnages 'de la cour, lui conseilla de lever la séance.

Quelques jours après, le prince de Condé quitta Amboise pour se retirer dans ses domaines de le Ferté-sous-Jouarre, emportant dans son aine un ressentiment plus profond que jamais, et l'espérance d'une prompte et éclatante revanche. Les Coligny se séparèrent aussi du roi avec les mêmes sentiments.

Dans l'A génois, les gentilshommes que la Renaudie avait soulevés voulurent tenir leur serment, et, après avoir armé leurs recrues, se mirent en révolte. Mais le roi de Navarre, qu'ils croyaient être de leurs principaux chefs, les attira dans une embuscade et les tailla en pièces. Ce fut le dernier acte de cette sanglante équipée.

Après la défaite des conjurés, le pouvoir des princes lorrains prit encore de plus grandes proportions. Par lettres patentes publiées à Amboise le 17e jour de mars 1560, Signées François, et par le roi Robertet, Guise fut de nouveau élevé à la dignité de lieutenant général du royaume.

 

 

 



[1] Mémoires du prince de Condé.

[2] Mémoires du prince de Condé.

[3] Le texte de ce placard se trouve dans les Mémoires-journaux du duc de Guise, et il est ainsi désigné : Vers ce temps fut divulgué l'escrit suivant sorti de la main d'un huguenot hérétique ennemy de la maison des Guyses. Et il a pour titre : Les Estats de France, opprimés par la tyrannie de Guyse, au roy, leur souverain seigneur.

[4] Lacretelle.

[5] C'était Coligny qui l'avait chargé de cette mission pour ménager un secours éventuel aux protestants. Ainsi l'austère Coligny lui-même n'hésitait pas à faire appel à l'étranger pour soutenir nos guerres intestines.

[6] Bouillé, de Thou, Lacretelle.

[7] Lacretelle.

[8] Mémoires de Condé.

[9] Mémoires du prince de Condé.

[10] René de Bouillé fait ces citations d'après les papiers de Simancas. Les autres nations dont il est ici parlé sont l'Angleterre et les États allemands qui avaient embrassé la confession d'Augsbourg.