FRANÇOIS DE LORRAINE

 

CHAPITRE CINQUIÈME.

 

 

Coligny dans la Flandre. — Déclaration de guerre de la reine d'Angleterre. — Le duc Emmanuel de Savoie assiège Saint-Quentin. — Coligny arrive au secours de la place. — Désastre de Saint-Quentin. — Le comte d'Enghien est tué, Montmorency est fait prisonnier. — Henri II fait appel à la noblesse, au clergé et au peuple. — Catherine de Médicis devant le conseil du roi. — La guerre devient nationale. — Nevers rallie les débris de l'armée, et Coligny défend Saint-Quentin jusqu'à la dernière extrémité. — Guise débarque en France. — Il passe des marchés avec les négociants marseillais, et, de concert avec d'Aulnaie, défend la Bourgogne et le Dauphiné. — Son retour à la cour. — On vent le nommer vice-roi. — En l'absence du connétable, il est nommé lieutenant général du royaume. — Plan de campagne. — Siège de Calais. — Senarpont et Dandelot. — Incidents du siège. — Prise de la ville. — Désintéressement de Guise. — Heureuses conséquences de la prise de Calais. — Triomphe de Guise. — Prise de Guines. — Reddition du fort de Ham. — Consternation des ennemis. — La puissance et le triomphe des Guises commencent à porter ombrage à la cour de Henri II. — Marie Stuart. — Mariage du Dauphin, depuis François II, avec Marie Stuart.

 

L'amiral de Coligny commandait en Picardie une armée peu nombreuse, lorsque la guerre éclata entre la France et l'Espagne sur les frontières de Flandre. Pour punir Philippe II des tentatives faites par ses généraux contre les villes de Metz et de Marienbourg, l'amiral voulut s'emparer de Douai par surprise. Son coup de main ayant échoué, il se tourna vers Lens, qui était sans défense, s'en empara, et, malgré sa générosité bien connue, livra cette ville au pillage et à l'incendie, au grand étonnement même de ses ennemis.

Henri II et le connétable n'avaient pas prévu ou n'avaient rien fait pour empêcher l'alliance de l'Angleterre avec l'Espagne. Il était pourtant bien aisé de comprendre que l'astucieux Philippe ferait tous ses efforts pour engager sa femme à le soutenir dans cette campagne où elle pouvait lui être d'un si puissant secours, vu la facilité qu'elle avait de faire débarquer, par Calais, une armée sur les côtes de Normandie. C'est ce qui eut lieu, et ce qu'on aurait pu facilement empêcher en soutenant dans le parlement anglais le parti réformé, que par ses cruautés la reine avait soulevé contre son gouvernement.

Le septiesme jour de juin mil cinq cent cinquante et sept, le roi estant en la ville de Reims, en Champagne, logé en l'abbaye de Saint-Remy, arriva au logis dudit seigneur Guillaume Noirci, hérault d'armes d'Angleterre, vertu d'un manteau de drap noir..., despesché de la royne d'Angleterre, sa maîtresse, pour dénoncer et déclarer la guerre au roi, monstrant à ceste fois une petite lettre en parchemin, scellée du grand sceau de ladite dame royne, datée du premier jour de cedit moys, contenant en substance pouvoir audit hérault de faire ladite déclaration.

Le surlendemain (9 juin) le roi, entouré des cardinaux de Lorraine, de Guise, du connétable de Montmorency, de plusieurs autres prélats, seigneurs et capitaines, reçut le héraut d'armes en sa présence. Après que celui-ci eut lu son message, le roi lui répondit :

Herault, je vois que vous estes venu ici pour me dénoncer la guerre de par la royne d'Angleterre ; je l'accepte ; mais je veux bien que tout le monde sache que j'ai observé envers elle, sincèrement et de bonne foy, ce que je devois à l'amitié que nous avions ensemble, comme j'ay délibéré faire et feray, tant que je vivray, à l'endroit de tout le monde, autant qu'il appartient à prince grand de vertu et d'honneur. Et espère, puisqu'elle y vient avec si injuste cause, que Dieu me fera, s'il lui plaît, ceste grâce, qu'elle y gagnera non plus que ses prédécesseurs ont fait quand ilz se sont attaqués aux miens et qu'ilz ont fait dernièrement à moy, dont la mémoire est récente ; et qu'il monstrera en cela la justice de sa grandeur sur celui qui a le tort, et est cause des maux qui procéderont de ceste guerre ; vous détendant sur la vie de parler plus avant, parce que c'est une femme ; et si elle estoit autre, j'userae aussi d'autre langage. Mais vous vous en irez et retirerez hors de mon royaume le plus tost que vous pourrez.

Après ces paroles du roi, le héraut fut reconduit par les capitaines et hommes d'armes au logis de l'ambassadeur d'Angleterre, où il lui fut remis, de la part de Henri II, une chaîne de deux cents écus, afin qu'il pût porter plus de témoignage en son païs de la vertu et générosité dudit seigneur, déjà assez cognëue de tout le monde[1].

Le duc Emmanuel Philibert de Savoie, un des plus habiles capitaines de l'époque, qui commandait les armées de Philippe, n'attendait que les secours promis par l'Angleterre pour exécuter son plan de campagne. D'abord, pour dérouter le connétable, il se montra irrésolu, hésitant, menaçant tour à tour toutes les places de la Champagne. Il feignit même, pendant deux à trois jours (juillet), de faire le siège de Guise pour laisser le temps aux Anglais de débarquer à Calais, et à ses renforts de se masser dans la Picardie et dans le nouveau Hélin, d'où n'avaient point délogé les vieilles bandes espagnoles. Et puis, tout à coup il vint à marche forcée se poster devant Saint-Quentin.

Coligny réunit à la hâte un millier d'hommes, et par un coup d'audace traversa les lignes ennemies et se jeta dans la ville, qui était presque sans remparts et dépourvue de munitions. Après avoir pourvu au plus pressant, il communiqua au connétable un plan d'après lequel il était possible de faire pénétrer un corps d'armée dans la place.

La ville de Saint-Quentin était défendue d'un côté par de larges et profonds marais ayant l'apparence d'un étang. Ces marais étaient traversées par un ruisseau qui, au dire des habitants, était navigable dans toute sa longueur. Ce fut par ce ruisseau que le connétable de Montmorency espérait faire pénétrer des secours dans la ville.

Le projet était hardi et souriait à Montmorency, d'ordinaire plus prudent. Le mouvement devait être exécuté sous la protection de l'armée tout entière, mise à couvert elle-même par les marais ; l'ennemi ne pouvait se porter sur elle que par une chaussée fort étroite. Elle devait se retirer avec célérité, lorsqu'elle aurait lancé et vu arriver à destination un grand nombre de bateaux chargés d'hommes et de provisions.

Le connétable voulait qu'on pût dire : Le duc de Guise aurait-il montré plus de vigueur et d'audace ?[2]

En quelques jours, le connétable de Montmorency eut fait construire à la Fère un grand nombre de bateaux que devaient monter le brave Dandelot et plusieurs compagnies d'élite. L'armée quitta la Fère le 9 août ; elle était composée seulement de dix-huit mille hommes, tant en infanterie qu'en cavalerie, et elle allait avoir à se mesurer avec les forces espagnoles, fortes d'environ soixante mille hommes, admirablement commandées par Emmanuel de Savoie. Il est vrai qu'à la tête de notre petite armée se trouvait l'élite de la noblesse française, parmi laquelle figuraient en première ligne trois princes du sang, le comte d'Enghien, le prince de Condé et le duc de Montpensier, sous les ordres du connétable. L'aile droite était commandée par le maréchal de Saint-André et l'aile gauche par le duc de Nevers. Avant l'action, qui s'engagea le 10 à neuf heures du matin, le connétable dit aux officiers qui l'entouraient : Je vais montrer aux Espagnols un tour de vieille guerre.

D'abord tout alla pour le mieux. A l'arrivée de nos troupes, les Espagnols essayèrent de faire quelque résistance ; mais en moins de rien, dit François de Rabutin, les nôtres les rembarrèrent et les chassèrent, les menant à coups d'arquebuse et à coups de main, jusque oultre la chaussée ; mais le passage que l'on croyoit si aisé pour les barques étoit, au contraire, rempli de périls et de difficultés. Au lieu de suivre le cours du ruisseau, la plupart de ces embarcations s'égarèrent dans les marais, où elles vinrent sombrer avec tout leur chargement ; et les soldats, n'en purent sortir, demeuroient là embourbés et noyés.

Dandelot, avec quelques-uns de ses hommes, put arriver jusqu'à Saint-Quentin ; mais presque toute l'armée de renfort succomba sans combattre. Ce fut alors une inextricable confusion ; de la chaussée, plus large qu'on ne croyait, les ennemis arrivaient en masse, menaçant de couper notre retraite. La cavalerie espagnole conduite par le comte d'Egmont, s'élance avec impétuosité contre la nôtre et la eut-bute. Le duc de Mansfeld et le duc de Brunswick attaquaient nos ailes, dirigées par le duc de Nevers et le maréchal de Saint-André. Le connétable de Montmorency perd la tète et ne parle plus que de retraite, et dans ses emportements injurie même le comte d'Enghien. Le prince lui répond qu'il ne veut pas être tué par derrière. Je sais, s'écrie-t-il, où l'on peut trouver non sauveté, mais mort honorable. Le brave jeune prince, suivi de quelques-uns de ses cavaliers, s'élance au plus fort de la mêlée et s'y fait tuer, comme il venait de le dire. Le connétable pris de désespoir, voyant la boucherie horrible à laquelle se livraient les ennemis, malgré son grand âge et tout couvert de sa puissante armure, rallie quelques fidèles et essaye de ramener la victoire dans nos rangs. Inutiles efforts ! avec ses braves il traverse les lignes ennemies, les met un moment en fuite ; mais Emmanuel de Savoie, par une habile tactique, finit par entourer de toutes parts cette poignée de combattants, la presse et la force à se rendre. Le connétable lui-même, blessé à la hanche et désarçonné, tombe sur le champ de bataille et se reconnaît prisonnier. La déroute fut désastreuse ; nous perdîmes environ quatre mille hommes et le nombre des prisonniers fut plus considérable encore. (Lacretelle.)

Le duc de Nevers ramena à la Fère les épaves de l'armée. A la bataille de Saint-Quentin, qui fut appelée par les Espagnols la bataille de Saint-Laurent, parce qu'elle fut livrée le jour de la fête de ce saint, périrent le comte d'Enghien, le vicomte de Turenne, de Montpensier, de la Roche du Maine, et un grand nombre d'autres gentilshommes. Furent faits prisonniers, le connétable de Montmorency, le maréchal de Saint-André, le duc de Longueville, le prince de Mantoue, le baron de la Roche du Maine, de la Rochefoucauld, d'Aubigny de Bussey, etc. etc.

La nouvelle de ce désastre eut en France le même retentissement que les batailles de Crécy, de Poitiers et d'Azincourt. La France se voyait à la veille d'être de nouveau envahie, et c'est sur le connétable qu'elle faisait retomber toute sa colère et ses malédictions. On assure que lorsque Charles-Quint apprit le résultat de la bataille de Saint-Quentin, il s'écria : Mon fils est à Paris ! Le projet d'Emmanuel de Savoie, des comtes d'Egmont, de Horn, des ducs de Brunswick, de Mansfeld, était de marcher droit sur Paris et d'abandonner le siège de Saint-Quentin ; mais Philippe II, qui arriva le lendemain sur le champ de bataille, se souvenant des retraites désastreuses de son père, fut d'un avis contraire à celui de ses généraux. Henri II, qui était à Compiègne, reçut cette mauvaise nouvelle à son lever et par le sieur d'Escars. Il ne perdit pas son temps en regrets et plaintes inutiles. Après avoir appelé Dieu à son ayde comme celui de qui il recognoissoit ceste verge lui estre envoyée, et pour ses peschez et pour ceux de son peuple, desquels avec eulx il lui falloit esgallement porter la pénitence, il prit une vertueuse. résolution de donner tout l'ordre possible pour remédier à l'inconvenient présent, espérant qu'après avoir fait tout ce que les hommes peuvent faire, Dieu feroit le reste, et, l'ayant auparavant tant favorisé, ne l'abandonneroit en ceste nécessité, comme bien tost il en monstra de grands et évidents signes.

Des émissaires et des courriers furent envoyés dans toutes les provinces pour demander au peuple, à la noblesse et au clergé, les secours dont le roi avait besoin. Paris était affolé. La reine Catherine de Médicis, avec un cœur viril et une âme magnanime[3], se rendit dans la capitale, où elle convoqua à l'hôtel de ville le conseil du roi. Jusque-là Catherine de Médicis avait paru ne point s'occuper de politique. Elle semblait même s'effacer volontairement devant la toute-puissante duchesse de Valentinois ; mais la reine se relevait enfin. Accompagnée de la princesse Marguerite, sa belle-sœur, du cardinal de Bourbon, du garde des sceaux, et d'autres grands personnages, elle arriva devant les notables de la capitale toute vêtue de noir, comme en un jour de deuil. Devant cette assemblée, elle fit entendre le langage d'une reine et d'une habile politique. Par son énergie, elle releva les courages abattus, et par son éloquence elle obtint des Parisiens trois cent mille francs, pour solder pendant trois mois dix-mille hommes de pied. L'exemple de Paris fut suivi par toute la province.

La guerre devenait nationale. Le peuple se levait, ne marchandant ni son or ni son sang pour la défense de la patrie.

Pendant ce temps Nevers, qui avait rassemblé à la Fère les débris de l'armée, tentait de nouveaux efforts pour faire pénétrer des secours dans Saint- Quentin. Il ne fut pas plus heureux que Montmorency. Sur neuf cents hommes qui essayèrent de franchir les marais, plus de la moitié se noyèrent, et les autres entrèrent clans la ville sans armes et sans munitions.

Cependant Coligny et Dandelot redoublaient de courage et de vigilance pour défendre cette place. Aux murmures des habitants, au découragement général de ses soldats, Coligny Il n'opposait que ces mots : Notre devoir est de mourir ici. Il ne pouvait avoir confiance que dans deux hommes de cœur et d'énergie comme lui, qu'animaient l'amour de la patrie et une affection toute fraternelle, Dandelot et Jarnac. Après dix-sept jours de batailles, les murs de la ville étaient ouverts par onze brèches énormes. Coligny n'osait plus ordonner aucune sortie par crainte de désertion, et attendait l'assaut.

L'assaut eut lieu, et eût été repoussé avec de meilleurs soldats ; mais, tandis que Dandelot se défendait d'un côté avec l'énergie du désespoir, la ville se rendait de l'autre. Coligny fut obligé de remettre son épée au vainqueur. Dandelot, fait aussi prisonnier, parvint à s'enfuir le lendemain.

Sans l'énergique résistance de Coligny, qui retint les Espagnols sous les murs de Saint-Quentin quinze jours encore après la sanglante défaite éprouvée par le connétable, son oncle, le duc de Nevers n'aurait jamais eu le temps de renforcer quelque peu notre frontière pour ralentir, autant que possible, la marche de l'ennemi, et partant Guise fût arrivé trop tard, et son secours et celui de sa petite armée fussent devenus inutiles.

Ainsi, par un concours de circonstances providentielles, le prince lorrain était justement aidé dans sa bonne fortune par ses deux rivaux les plus implacables, le connétable et l'amiral. Les fautes commises par le premier ne servaient qu'à faire ressortir avec plus d'éclat ses brillantes qualités, et à forcer, en quelque sorte, la France et le roi à n'avoir plus de confiance qu'en lui. Le second lui préparait, par son courage et son énergie, les succès qu'il allait remporter, et qui devaient porter son nom au faîte de la gloire.

En des temps moins troublés, et sous des rois tenant le sceptre d'une main plus ferme, Guise et Coligny n'eussent été que rivaux de gloire ; unis dans une pensée commune de patriotisme, la France se fût reposée sur eux avec une égale con Fiance.

Lorsque Guise débarqua à Marseille, son premier soin fut de passer des marchés avec les négociants de cette importante cité, afin d'envoyer des blés en Piémont et en Corse, menacés de la famine. Bien que souffrant encore, car la fièvre l'avait repris pendant la traversée, son esprit actif et prévoyant ne lui faisait rien négliger de ce qui concernait ses devoirs. Aucun détail n'échappait à sa vaste intelligence.

Le roi le pressait d'arriver près de lui, et, dans ses lettres, lui recommandait de n'être point malade ; le duc répondait qu'il se ferait plutôt porter en litière.

Lorsque le duc arriva à Lyon (octobre), il apprit que la Franche-Comté était sur le point d'être envahie par un lieutenant du duc de Savoie, le baron de Polwiller. Ce dernier, envoyé en Allemagne pour recruter des troupes, faisait une diversion avec dix à douze mille hommes, et menaçait Bourg pour se diriger ensuite vers le Piémont. Guise rassemble son armée à la hâte, fait marcher en avant deux mille de ses meilleurs arquebusiers, et, de concert avec son frère d'Aumale, qui avait ramené par terre les restes des troupes d'Italie, il parvient à forcer le baron de Polwiller à reprendre le chemin par lequel il était venu..

Laissant le commandement à son frère d'Aumale, qui, se méfiant encore des intentions de l'ennemi, ne voulait quitter Bourg qu'après avoir établi grande police et assurance, Guise prit la poste à Lyon, et arriva le 20 octobre à Dampierre, où le roi l'attendait comme un libérateur.

L'accueil que le roi fit à Guise ne saurait se décrire, et ne s'explique que par le caractère faible qu'on lui connaît. Actif de corps et paresseux d'esprit, Henri II ne redoutait rien plus que d'être obligé de gouverner par lui-même. Il avait besoin de se reposer sur quelqu'un du fardeau de la couronne. La défaite de Saint-Quentin lui causa, sans doute, une profonde douleur ; mais, tandis que dans toute la France ne s'élevait qu'un cri de malédiction coutre le connétable, lui, loin de l'accuser, regrettait de ne plus l'avoir à ses côtés.

Les gentilshommes et les capitaines échappés au désastre avaient élu pour leur chef le duc de Nevers ; le roi ratifia ce choix sans hésitation. Heureusement que le duc était digne de cette marque de haute confiance.

Un des premiers actes de Henri à fut de remettre le pouvoir au cardinal de Lorraine, pour l'expérience qu'il sçavoit estre en luy, pour longtemps qu'il y avoit esté nourri, et pour l'assurance qu'il avoit de sa suffisance et fidélité.

Le cardinal, dont on cannait l'habileté et dont l'ambition ne s'endormait jamais, maintint Brissac en Piémont, afin que son frère n'eût pas de concurrent au commandement général des armées, et déploya ensuite toute son activité à lever les nouveaux impôts et à recruter les hommes. Il rassembla les conseils, fit tenir an roi un lit de justice à Paris, pressa le clergé et le tiers état de s'imposer des sacrifices en rapport avec les besoins du moment, qui étaient immenses, et déploya un zèle plus ardent que jamais à l'endroit de la religion, dans le but de se conserver toujours l'appui de Rome et de complaire au peuple, qui, à Paris surtout, nourrissait contre les huguenots une haine fanatique.

Mais, si le cardinal était le ministre dont avait besoin Henri II pour l'administration intérieure du royaume, la principale chose qui luy deffailloit, et dont il avoit le plus besoing, estoit d'un chef qui eust le sens, l'expérience et la vaillance pour conduire le faict de la guerre soubz luy, et manier un si grand faict comme est la marche de ceste monarchie, où le plus habile homme se trouve empesché s'il ne l'a accoustumé, et sur lequel il pust se reposer comme il faisait sur monsieur le connétable. Cet homme, c'était le duc de Guise, comme celuy en qui il sçavoit très bien estre toutes les parties d'un bon, grand et digne capitaine peut avoir...

Ce fut donc avec les transports de la joie la plus vive que Henri II reçut le duc, auquel il dit même, après l'avoir plusieurs fois embrassé, qu'il était revenu pour sauver ses États.

La confiance et l'amitié du roi. n'avaient point de bornes envers son ami cousin. La cour partageait cet enthousiasme pour le héros, et ne savait quel titre lui décerner comme preuve de l'estime où chacun le tenait. La reine, la duchesse de Valentinois, les princes, le cardinal de Lorraine, son frère, faillirent solliciter pour lui le titre de vice-roi, titre qui ne fut jamais porté en France, et qu'on n'osa point créer par un dernier sentiment (le pudeur et de respect pour un monarque qu'ils savaient tous assez faible pour signer, même avec joie, cet acte d'abdication. S'il n'eut pas le titre, il eut l'autorité. Le jour même de son arrivée, Henri II le nomma lieutenant général du royaume, avec tous les droits et tous les pouvoirs, se mettant ainsi de lui-même en tutelle, comme si la France se fût trouvée dans un temps de régence ou de minorité.

Les lettres patentes, enregistrées sans protestation par tous les parlements, après avoir rappelé les désastres et infortunes qui avaient succédé à la déroute de nos armées, et la nécessité dans laquelle se trouvait le roi d'appeler pour se soulager un personnage d'autorité en l'absence du connétable, ajoutaient : Pour ce est-il que nous, pour les considérations dessus et autres, à ce nous mouvans, avons fait, ordonné, institué et estably, faisons, ordonnons, instituons et establissons nostredict cousin François de Lorraine, duc de Guyse, par ces présentes, nostre lieutenant général, représentant nostre personne, et partout nostredict royaume et les pays de nostre obéissance..., avec pleins pouvoirs, autorités, facultés, et mandement spécial de faire vivre en bon ordre, justice et police nos gens de guerre, tant de cheval que de pied, de quelque nation qu'ils soient.... Promettant par ces présentes, signées de nostre main propre, en bonne foy et parole de roy, avoir agréable, tenir ferme et stable tout ce qui par nostredict cousin le duc de Guyse, en ceste présente charge de nostre lieutenant général, sera faict, besogné et mis à exécution, selon ainsy que cloist estre, et le tout confirmé, toutes et quantes fois que requis en serons : ce donnons en mandement à nos amez et féaux les gens de nos cours et parlements, et aultres nos cours souveraines, que à nostredict cousin ils fassent obeyr et entendre de tous ceulx et ainsy qu'il appartiendra, et tous nos lieutenants, gouverneurs, maréchaux, admiraux, baillifs, sénéehaulx, prévotz, cappitaines, chefs et conducteurs de nos gens de guerre, maistre de nostre artillerie, cappitaines et gouverneurs des villes et châteaux et forteresses, et à tous nos justiciers, officiers et subjets qu'ilz et chacun d'eux luy obéyssent et entendent, et fassent obéyr et entendre dilligemment en toutes les particularités dessus dictes, et autres concernant nostredict service et le bien de nos affaires ; car tel est nostre bon plaisir.

Ce n'était que temporairement, il est vrai, que Guise était investi de cette autorité ; mais il était néanmoins étrange de voir le commandement général du royaume et de toutes les forces de terre et de mer confié à un général qui ne possédait d'autres titres militaires que celui de capitaine d'une compagnie de cent hommes d'armes. C'était justement là ce qui rehaussait son prestige et flattait son ambition de prince.

La fortune des Guises était arrivée à son apogée ; ils étaient maîtres des destinées de la France : le pouvoir royal abdiquait en leurs mains !

Une à une toutes nos places de Picardie étaient obligées de se rendre aux Espagnols, Nevers étant dans l'impossibilité matérielle de les secourir. Il fallait agir, et agir promptement, pour sauver le royaume, et se montrer digne de la réputation qu'il s'était acquise de chef très prudent, brave et heureux, et bien aimé des gens de guerre.

Admirablement secondé par son frère le cardinal, dont le grand tort était l'orgueil et l'insolence dont il faisait parade dans le conseil du roi, Guise eut bientôt rassemblé les fonds et les hommes qui lui étaient nécessaires. Il renforça l'armée de Piémont, et envoya à Brissac trente-cinq mille livres pour que celui-ci pût au besoin venir au secours du duc de Ferrare.

Ayant établi son camp près de Compiègne, où il fait cheminer les renforts qui lui arrivent des provinces, mais surtout de Suisse et d'Allemagne, il passe ses troupes en revue, les soumet à une discipline inflexible, et, lorsqu'il a obtenu de son frère une somme de cent cinquante mille écus, empruntée par celui-ci sur sa parole, il communique au roi son plan de campagne, dont l'exécution va rehausser son prestige et lui mériter la reconnaissance éternelle de la patrie.

La ville de Calais était au pouvoir des Anglais depuis le siège mémorable qu'illustra le dévouement d'Eustache de Saint-Pierre (1347). Nos implacables ennemis avaient rendu cette ville imprenable par les fortifications dont ils l'avaient entourée, et par la facilité avec laquelle ils pouvaient la secourir par mer. Vainement les Français avaient essayé de la reprendre ; leur orgueil national et leur bravoure étaient venus se briser contre ses remparts. Le découragement s'était emparé d'eux, et ils n'osaient plus renouveler leurs tentatives. L'Anglais était jaloux de conserver cette place, qui lui rappelait ses anciennes conquêtes et lui ouvrait les portes de la France : c'était la griffe britannique qui voulait peser éternellement sur nous !

Guise résolut de s'emparer de Calais, et soumit au roi son plan. Henri II et ses conseillers approuvèrent son projet, qui flattait à un si haut degré l'orgueil national, et chacun jura de garder le silence, car le succès d'une telle entreprise dépendait surtout du mystère dont elle serait entourée et de la rapidité de son exécution.

En parcourant la frontière, Guise avait reçu de nombreux rapports des gouverneurs de villes. Sénarpont, qui commandait Boulogne, lui adressa des détails si précis sur la situation de Calais et sur la garnison de cette place, qu'il résolut immédiatement de frapper l'ennemi de ce côté. Sa décision une fois prise, il envoya Strozzi vérifier les informations de Sénarpont ; le maréchal put s'introduire dans la ville à l'aide d'un déguisement, et ses observations confirmèrent en tout point les dires du gouverneur de Boulogne. Sûr de n'être point trompé, le lieutenant général fit rassembler dans l'océan toutes nos forces navales sous différents prétextes, leur donnant rendez-vous, à une époque déterminée, devant le port de Calais, afin de prévenir toute surprise par mer. Ensuite, à la tête de l'armée, il fit répandre le bruit qu'il allait porter la guerre dans le duché de Luxembourg pour forcer l'ennemi 'à diviser ses forces, en l'obligeant à se fortifier de ce côté. Nevers et Bordillon furent envoyés en Champagne, tandis qu'il se portait de sa personne entre Saint-Quentin, Ham et le Catelet, faisant mine de vouloir ravitailler Doullens. L'ennemi, déconcerté par toutes ces marches et contre marches, est complètement dérouté, et ne sait plus sur quel point il va être attaqué. Tout à coup Guise se dérobe à lui, et à marches forcées, au cœur de l'hiver, il se présente devant Calais, le 1er janvier 1558.

Tout sourit à son audace. Le premier jour de son arrivée, après une vive arquebusade, il déloge les Anglais d'un village qui va sur la chaussée du pont de Nieullay. Le lendemain, il dirige ses batteries sur le fort Risbank, qui commande l'entrée du havre et défend l'avenue de la ville. Dans la nuit, avec le maréchal Strozzi, de Thermes, d'Estrées, grand maître d'artillerie, Sauzac, Tavannes, Dandelot et Sénarpont, il s'était approché à trente pas de ce port sans donner l'alarme à l'ennemi. Rendan et Allègre avaient été obligés de sonder, à la marée basse, le passage du port. Brèche fut faite au fort Risbank, qui fut pris d'assaut, et l'Anglais se retira du fort de Nieullay sans opposer la moindre résistance. Le gouverneur faisait replier ses troupes dans la ville, afin de circonscrire la défense. Alors, déroutant l'ennemi en l'attaquant sur tous les points à la fois, il battit en brèche, avec toute son artillerie, le château de la ville, tandis que le maréchal Strozzi, avec cent pionniers, soutenus par des arquebusiers, profitant de la marée basse, s'emparait des maisons qui longeaient le port. Mais Strozzi ne put pas s'établir longtemps dans cette position ; le feu des assiégés causait dans les rangs des ravages qui le forcèrent à se retirer.

Le quatrième jour la brèche faite au château était suffisante pour que l'assaut fût donné. Guise, selon sa coutume, se mit à la tète des troupes, et passa le premier la rivière qu'il fallait traverser pour arriver sous les murs du château. Il était suivi de d'Aumale et du marquis d'Elbeuf, ses frères, de Montmorency, fils du connétable, et d'une grande quantité d'autres gentilshommes qu'il conduisit jusqu'au pied de la brèche. Les Anglais furent forcés de toutes parts et taillés en pièces. Ceux qui échappèrent se retirèrent dans la ville pour tenter une dernière résistance. Le château pris, il y laissa ses deux frères et une bonne partie de la noblesse qui l'avait suivi, et s'en revint par la marée basse afin de continuer les opérations du siège. Les Anglais tentèrent de reprendre le château ; mais, repoussés et poursuivis jusque clans la ville, ils furent obligés de capituler après huit jours de combat. La canonnade fut si vive, qu'on l'entendit, dit-on, de Douvres et d'Anvers. L'escadre anglaise se présenta pour secourir la ville ; mais Guise avait tout prévu. Nos galères étaient à leur poste, et elle fut obligée de regagner la haute mer, se bornant à tirer quelques coups de canon qui ne produisirent aucun effet. Quelques navires de commerce anglais furent même capturés, et vinrent ajouter encore au riche butin que se partageaient les vainqueurs. Partout où se trouvait ce prince aussi loyal qu'intrépide, les lois de l'humanité étaient scrupuleusement observées. Sur la demande même des officiers anglais, Dandelot et une quarantaine d'autres gentilshommes pénétrèrent dans la ville avant qu'elle eût capitulé, pour prévenir tout excès de la part des soldats.

Les conditions de la reddition furent que tous auraient la vie sauve, sans qu'aucun outrage fût commis contre les femmes, filles et enfants. Les soldats et les sujets anglais pourraient se retirer en Angleterre ou en Flandre, selon leur bon plaisir, et ne demeureraient prisonniers de guerre que lord Wentworth et cinquante autres personnes au choix du duc de Guise. Défense était faite de causer aucun dommage à ladicte ville ; ne remueront terre d'artillerie et autres munitions quelconques pour la défense et seureté d'icelle, mais laisseront le tout en l'estat qu'il estoit lors de la présente capitulation.

Ces précautions furent prises par Guise pour prévenir les dégâts dans le genre de ceux que commirent les Anglais lorsqu'ils rendirent Boulogne.

Le butin fut immense en munitions, armes de guerre, vivres, marchandises, or et argent monnayés. Toujours généreux, Guise ne voulut rien conserver pour lui : ce qui contraria fort sa femme, qui était, paraît-il, bonne ménagère. Il présida lui-même à la répartition du butin, qu'il distribua selon les mérites et les besoins de chacun.

La prise de Calais eut en Europe un immense retentissement. Après la défaite de Saint-Quentin, la France se relevait par un -coup d'éclat qui jetait ses ennemis dans la stupéfaction. En apprenant cette nouvelle, le vieux pape Paul IV dit spirituellement que la perte de Calais était l'unique domaine que la reine d'Angleterre retirerait de son mariage avec Philippe II.

Marie Tudor était depuis longtemps souffrante ; la prise de Calais lui causa une si profonde douleur que son mal s'en aggrava. Avant de mourir, on assure qu'elle dit : Si l'on ouvrait mon cœur, on y trouverait le mot Calais profondément gravé.

Les lettres de félicitations arrivèrent de tous côtés au duc de Guise. Soliman regrettait un peu tard de n'avoir pas mieux secondé ses opérations en Italie, et s'offrait à réparer cette faute. Les princes allemands, qui se montraient si hésitants dans leurs rapports avec Henri II, se déclarèrent tout prêts à lui fournir de nouvelles levées de lansquenets. Brissac écrivait au duc qu'il estimoit bien qu'il devoit être occupé aux préparatifs de quelques grands exploits, et qu'il vouloit attendre lui en faire avoir plus tôt l'exécution que le dessein.

En effet, on apprit le siège de Calais en même temps que sa reddition. Le 10 janvier, le roi, accompagné de la reine, -allait cri grande dévotion rendre grâces à Dieu de la con-quêté que venait de faire le prince lorrain. En reconnaissance de ce haut fait, le roi délivra les pauvres prisonniers pour dettes, acquittant pour eux ce qu'ils devaient à leurs créanciers...

Rien ne saurait décrire l'enthousiasme qui éclata dans toute la France, et surtout à Calais, lorsque le drapeau blanc flotta enfin sur les murs d'une ville qui, depuis plus de deux siècles, était séparée de la mère patrie. Partout et sous toutes les formes, on célébrait la gloire du duc de Guise, né pour être le soutien de la religion et du trône, envoyé de Dieu pour sauver la patrie déjà deux fois, en lui conservant Metz d'abord, puis en lui recouvrant Calais[4].

La ville de Calais s'appuyait sur deux places, Guines et Gravelines, qui étaient considérées, la première comme le boulevard de la Flandre, et la seconde comme le boulevard de la France. Après avoir rassemblé son conseil de guerre, Guise émit l'avis qu'il fallait faire le siège de Guines sans donner à l'ennemi le loisir de respirer. Rabutin dit dans ses commentaires que ce prince d'invincible courage, et auquel le travail de la guerre est comme exercice continuel, proposa de l'assiéger et de n'en départir qu'il ne l'eût de gré ou de force.

Le 13 du mois de janvier, l'armée française était devant Guines, qu'elle trouva abandonnée, l'Anglais s'étant retiré dans la forteresse. Mais à peine les Français s'étaient-ils logés dans les maisons, et s'apprêtaient-ils à ouvrir les tranchées contre la citadelle, que lord Gray fit opérer à ses troupes une sortie si violente, que les nôtres, embarrassés dans le butin qu'ils emportaient de Calais, furent repoussés, et allaient être taillés en pièces sans l'arrivée soudaine du duc de Guise, qui les rallia et les ramena au combat avec une telle furie que les assaillants furent repoussés en désordre. Immédiatement l'habile général fit ouvrir ses tranchées, et posta ses batteries contre les deux points principaux de la forteresse, c'est-à-dire du côté de la courtine de la porte et du côté du grand boulevard, dit de la Cuve. En moins de trois jours, il fut déchargé huit à neuf mille coups de canon contre les remparts, de sorte, dit le commentateur, qu'estant ce gros boulevard désarmé et ouvert, la brèche apparut, dans le vingtième de ce mois, raisonnable pour l'assaillir et forcer.

Avant toutefois de commander l'assaut, Guise voulut faire reconnaître la brèche, et pour cet effet il envoya quatre soldats pour l'informer de l'état des fortifications. Il en envoya ensuite vingt autres, et le lendemain cinq ou six non moins hardis et aventureux que les premiers, lesquels donnèrent bon espoir et advenue de ceste brèche. Pourtant ce prince très humain, ne voulant pas exposer à crédit la vie de ses soldats, fit exécuter par un certain nombre de pionniers, soutenus par cent vingt de ses meilleurs hommes d'infanterie, des travaux de terrassement destinés à aplanir et à donner la montée de la brèche qui était encore haulte et raide.

Le 20 du mois de février, il fit marcher un régiment d'Allemands droit à la brèche pour ouvrir le premier passage. Dandelot, colonel de l'infanterie, reçut ordre en même temps de tenir ses troupes prêtes pour l'assaut. Guise, posté sur un tertre qui dominait les remparts, donna le signal de l'attaque, qui fut impétueuse et terrible. Pour traverser les fossés, Français et Allemands étaient munis de ponts volants faits de tonneaux liés entre eux. Les Anglais faisaient pleuvoir sur ces faibles embarcations des feux d'artifice et une grêle de balles. Ces décharges étaient si meurtrières que les assiégeants se virent repoussés et commencèrent la retraite ; ce qu'apercevant, Guise descendit de son poste d'observation, et, se présentant au milieu d'eux, reprenant les uns, sollicitant les autres, leur remit de telle sorte « le cœur au ventre qu'ils retournèrent visages et recommencèrent de plus belle ». Cette fois l'Anglais se retira en désordre et abandonna les remparts pour se renfermer dans la citadelle. Au même instant les Allemands au service de Guise, conduits par le neveu du colonel Reichroch, s'emparaient de deux autres petits boulevards où l'on avait aussi fait la brèche.

Lord Gray, qui avait en Angleterre la réputation d'un capitaine aussi ferme que hardi, ne se crut plus dans la possibilité de défendre le château où il s'était réfugié avec son fils, et demanda à capituler, et la reddition de la place eut lieu aux conditions suivantes : Que les soldats sortiroient avec leurs armes, mais que leurs enseignes demeureraient dans la place avec toute l'artillerie, pouldres, boulets et toutes autres munitions, tant de guerre que de vivres. Quant au milord Gray et tous les capitaines et hommes de qualité qu'il avoit avec luy, ils demeureraient prisonniers de guerre, en la puissance du roi et de M. de Guise. Estant ceste capitulation reçue et approuvée des assiégez, le jour ensuivant sortirent de ceste place de neuf cens à mil hommes de guerre, partie Anglais, partie Bourguignons, et quelque nombre d'Espagnols, sans le menu populaire, qui prirent tous tel chemin qu'ils voulurent, sans leur faire aucun mal ny déplaisir ; et restèrent ou furent en tout, par leur dire mesme, des leurs de morts et blessez, de quatre à cinq cents. Le milord Gray fut retenu prisonnier ; aussi fut un capitaine espagnol que l'on appeloit Mont-Dragon, lequel auparavant ayant esté prisonnier en la Bastille, à Paris, s'estoit sauvé et depuis s'estoit renfermé là dedans[5].

Ce brillant fait d'armes, uni à ceux qui l'avaient précédé, jeta l'ennemi dans une telle consternation, que celui-ci décampa du château de Ham, avant même que Guise se fût présenté pour le soumettre.

Ainsi l'étranger était chassé de toutes parts, et après plusieurs siècles d'occupation le comté d'Oy était soumis à l'autorité royale. Justement soucieux de l'avenir, Guise fit raser le château de Ham et les fortifications de Guines, qui, situé sur la route de Calais, aurait pu devenir, en retombant dans les mains des ennemis, une occupation dangereuse.

En récompense de ses victoires, Guise reçut du roi la maison dite des Marchands, située à Calais. Ce fut pour son compte personnel tout ce qu'il obtint de la munificence royale. Il est vrai qu'en enregistrant cette donation, le parlement de Paris lui élevait dans ses lettres patentes un monument impérissable, qui léguait son nom à la postérité.

Le roi fit un voyage à Calais, où il fut reçu avec grand enthousiasme, et revint ensuite à Paris pour tenir les états généraux, et ensuite pour présider aux réjouissances publiques, organisées à l'occasion des victoires que venaient de remporter ses armées.

Déjà de sourds mécontentements se manifestaient contre les Guises, moins peut-être par la jalousie que le duc pouvait inspirer qu'à cause de l'arrogance du cardinal, son frère, dans ses rapports avec les principaux personnages de la cour et même avec le roi.

Cependant les triomphes obtenus par Guise étaient trop éclatants, et ses services rendus à la France et à la monarchie étaient trop immenses, pour que nul à la cour, ni Catherine de Médicis, ni la duchesse de Valentinois, osât ouvertement se mettre au travers de ces illustres ambitieux. L'altière duchesse, belle-mère d'un frère du duc de Guise, ne pouvait supporter l'arrogante autorité du cardinal ; la reine Catherine de Médicis, froidement respectée par son époux, avait espéré s'emparer du pouvoir, grâce à l'ascendant qu'elle exerçait sur ses enfants, ascendant qu'elle croyait toujours conserver. Aussi l'astucieuse Italienne ne voyait-elle pas sans effroi l'amour que la spirituelle et belle Marie Stuart avait su inspirer au jeune Dauphin.

Depuis huit ans, c'est-à-dire depuis le jour où la princesse avait été envoyée à la cour de France pour y faire son éducation, le dauphin François avait appris à aimer la sérénissime petite reine qui lui était destinée pour femme. Le Vénitien Capello rapporte que les deux enfants, se faisant tous deux mille caresses, aimaient à se retirer tout à part dans un coin des salles pour qu'on ne pût, entendre leurs petits secrets. L'ambition des Guises se trouvait donc admirablement servie par l'inclination, bien naturelle du reste, du Dauphin pour leur royale nièce. La déclaration de guerre envoyée par Marie Tudor à Henri II ne fit que précipiter le mariage des deux jeunes fiancés, et combler ainsi les vœux des princes de la maison de Guise.

Marie Stuart, fille de Jacques V et de Marie de Lorraine, veuve du duc de Longueville, sœur aînée de François de Guise et reine douairière d'Écosse, était née le 8 décembre 4542, en Écosse, au château de Falkland. François, Dauphin de France, avait un an de moins que la princesse écossaise. Le 19 avril 1558, eurent lieu, en la grande salle du bâtiment neuf du château du Louvre, les fiançailles de très noble et excellent prince François de Valois, roi-dauphin, et de très haulte et vertueuse princesse Marie Stuart, royne d'Écosse.

Après qu'ils eurent promis de s'épouser en présence du cardinal de Lorraine, le bal royal eut lieu. Le roi dansa avec la reine d'Écosse ; le roi de Navarre, avec la reine ; le Dauphin, avec Madame Marguerite, sœur unique du roi ; le duc de Lorraine, avec Madame Claude, fille du roi. La bénédiction nuptiale eut lieu le dimanche après, le 9.4 du même mois, en l'église cathédrale Notre-Darne. En l'absence du connétable de Montmorency, le duc de Guise remplissait la charge de grand maître des cérémonies, charge qu'il ambitionnait depuis longtemps.

Au-devant de la grande porte de l'église était dressé le dais royal, semé de fleurs de lis, et les deux portes à côté étaient également couvertes de riches étoffes. A dix heures la cérémonie commença. D'abord vinrent les suisses vêtus de leurs riches livrées, portant leurs hallebardes, leurs tambourins et leurs fifres, sonnant selon la coutume ; et ensuite le duc de Guise, qui salua honorablement monseigneur le révérend père en Dieu, Eustache de Bellay, évesque de Paris (lequel estoit là avec plusieurs seigneurs, nobles et gentilzhommes, attendant la venue des princes et seigneurs), puis se retourna vers le peuple. Et voyant que lesdictz seigneurs et gentilzhommes, qui estoient sur ledict théâtre[6], empeschoient que le peuple, qui estoit en bas, n'eust peu voir le triomphe dudict mariage, en peu de paroles, faisant signe de la main, fit retirer lesdictz nobles et gentilzhommes[7]. On voit que le duc de Guise ne laissait jamais échapper aucune occasion, grande ou petite, de se rendre populaire.

Après vinrent les cent gentilshommes du roi, en bon ordre et équipage, les princes, tant richement ornez et vertus que c'estoit chose merveilleuse, les abbés, les évêques, dont trois portant mitre et crosse, un grand nombre d'archevêques, et les cardinaux de Bourbon, de Lorraine, de Guise, de Sens, de Meudon et de Le Longcourt, suivis du cardinal de Trivulce, devant lequel étaient portées la croix et les masses d'or. Enfin vinrent le roi-dauphin, conduit par le roi de Navarre, le duc d'Orléans et le duc d'Angoulême, et la reine-dauphine, conduit par Henri II et le duc de Lorraine. La reine Catherine de Médicis, escortée du prince de Condé, la reine de Navarre, Madame Marguerite, la duchesse de Berry, et les autres princesses fermaient le royal cortège.

Quand toute la cour fut arrivée sur l'estrade, le duc de Guise, escorté de deux hérauts d'armes, fit retirer encore une fois les gentilshommes qui empêchaient le peuple de voir ce triomphe. Alors les hérauts crièrent par trois fois à haute voix ; Largesse, et jetèrent au peuple grand nombre de pièces d'or et d'argent. Lors eussiez veu tel tumulte et cry entre le peuple qu'on n'eust sceu ouyr tonner, tant grande estoit la clameur des assistants audict lieu, eux précipitans les uns sur les autres pour la cupidité d'en avoir. Les uns demeurèrent évanouys, les autres perdirent leurs manteaux, les autres leurs bonnets et autres habitzs, tellement que le peuple, contrainct de telle presse, cria auxdictz héraults qu'ils n'en jetassent plus à cause dudict tumulte.

La messe fut célébrée par l'évêque de Paris, et la cour retourna ensuite, dans ce même ordre, à l'évêché, où était préparé, par les soins de Guise et du prince de Condé, un banquet magnifique. Les mémoires et les chroniques du temps sont remplis de détails sur les bals et les fêtes qui suivirent ces noces. Dans les quadrilles organisés pour cette solennité, les princes montaient des chevaux de bois, sans doute semblables à ceux introduits à la cour de Provence par le bon roi René. A Aix et à Marseille, l'usage en a été conservé dans les cavalcades publiques ; on les appelle les chevaux fruz. A d'autres quadrilles les chevaux furent remplacés par des navires, à bord desquels les princes embarquaient les princesses de leur choix.

Le Dauphin et Marie étant cousins au quatrième degré, il était besoin d'une dispense pour leur union. Cette dispense fut obtenue par le canal du cardinal Trivulce, légat du pape. La duchesse douairière d'Écosse avait envoyé à la duchesse de Guise, sa mère, une procuration pour la remplacer dans cette circonstance. La jeune Marie Stuart était reine d'Écosse, son mari prit le titre de roi-dauphin, et elle celui de reine. dauphine. Voici, d'après René de Bouillé, les principales clauses de ce contrat : Dès le 4 avril, vingt jours avant le mariage, Marie avait, par le conseil de ses oncles, le cardinal de Lorraine et le duc de Guise, fait : 1° au profit de Henri II une donation éventuelle de son royaume d'Écosse et de tous ses droits au trône d'Angleterre, si elle venait à mourir sans enfants ; 2° un acte contenant seulement engagement du royaume d'Écosse et abandon de tous les revenus de ce royaume, jusqu'à l'entier remboursement des sommes dues à la France, et qui étaient évaluées par approximation à un million d'or ; 3° un autre acte exprimant renonciation formelle à toute déclaration qu'elle pourrait être obligée de faire, sur la demande des états d'Écosse, au préjudice des dispositions consenties par elle en faveur de la France : actes politiques imprudents et graves, dont l'un (la cession à un prince étranger des droits sur la couronne d'Angleterre) devint plus tard un prétexte de grief ou d'accusation à Élisabeth contre sa malheureuse cousine, et dont le cardinal de Lorraine s'efforça vainement alors d'atténuer les funestes effets.

 

 

 



[1] Archives curieuses de l'histoire de France, t. V.

[2] Lacretelle.

[3] Mémoires de la Châtre.

[4] Certains écrivains protestants ont voulu faire rejaillir sur Coligny l'honneur d'avoir conçu le premier l'idée d'une entreprise sur Calais. Il ressort de pièces justificatives que Sénarpont avait depuis plus d'une année présenté les moyens de surprendre cette place, et que Guise seul eut l'audace et le talent nécessaires pour l'exécution de cette entreprise, dont l'honneur lui revient tout entier.

[5] Commentaires de Fr. Rabutin.

[6] Un théâtre ou échafaud avait été dressé sur le parvis de Notre-Dame, avec une galerie allant de la cour de l'évêché jusqu'à la porte, et de là jusqu'au chœur de l'église. Cette galerie était de douze pieds de hauteur, construite en façon d'arche, et couverte de pampres selon la forme antique.

[7] Archives curieuses de l'histoire de France.