HENRI DE GUISE LE BALAFRÉ

 

CHAPITRE XIII.

 

 

La cour arrive à Blois le Il septembre 1588 ; — Les trois ordres nomment trois ligueurs pour les présider. — Le duc de Guise a la majorité. — Ouverture des états (16 octobre). — Exigences des trois ordres, et principalement du tiers. — Impuissance de la noblesse en présence de l'union du clergé et du tiers. — Guise conduit les délibérations des états. — Le duc de Savoie envahit le marquisat de Saluces. — Intrigues précédentes du duc de Savoie. — Les états se refusent à déclarer la guerre au duc de Savoie. — Mécontentement de la noblesse. — Guise fait revenir les états sur leur décision. — Le duc de Savoie soutenu par Philippe II, et non par les ligueurs. — Des princes de la maison de Bourbon recherchent l'alliance du duc de Guise. — Jalousie du roi. — Le roi prépare sa vengeance. — Querelle de pages. — Mayenne et d'Aumale contribuent, à leur insu sans doute, à exciter la vengeance du roi en dénonçant, eux aussi, le duc de Guise. — Exaltation fâcheuse de la duchesse de Montpensier. — Henri III réunit ses intimes pour savoir comment il doit se débarrasser du duc de Guise. — L'assassinat du duc de Guise est résolu. — Henri III s'adresse à Crillon. — Belle réponse de ce brave soldat. — Les quarante-cinq se chargent du crime. -Guise, prévenu par Philippe II, par Mendoza et par Schomberg de se tenir sur ses gardes, ne veut pas fuir sa destinée. — Le guet-apens est trouvé. — Sombres présages. — Guise est encore prévenu par ses amis. — Conseil des ministres du 22 décembre. — Le capitaine Larchant et ses archers. — Donnez-vous garde !... On n'oscroit. — Dernière supplication de la marquise de Semblançay. — La dernière nuit du duc de Guise. — La nuit du 22 au 23 décembre. — Les assassins sont à leur poste. — La distribution des poignards. — Le conseil est réuni avant le jour. — Le roi envoie chercher Guise pour qu'il se rende au conseil. — Un dernier avertissement. — Un calembour de Chicot. — Malaise du duc de Guise dans le conseil. — Le duc est mandé près du roi. — Le duc est assassiné dans la chambre du roi. — Paroles du roi devant le cadavre du Balafré. — Arrestation du cardinal de Guise et de l'archevêque de Lyon. — La duchesse de Nemours, le prince de Joinville, le cardinal de Bourbon, etc. etc., sont également arrêtés. - Entretien du roi avec sa mère et avec le légat du pape. — Assassinat du cardinal Louis de Guise. — Les restes du Balafré et de son frère sont jetés dans la chaux vive. — Spectacle qu'offre Paris après la mort du Balafré. — Arrestation de divers magistrats. — D'Aumale gouverneur de Paris. — Les Français déliés du serment d'obéissance. — Lutte de Mayenne contre Henri III. — Mort d'Henri III, assassiné par Jacques Clément (1er août 1589). — La Ligue, Mayenne, Henri IV et l'Espagne. — Les derniers ducs de Guise.

 

Henri III et le duc de Guise, ayant quitté Chartres arrivèrent à Blois le 11 septembre, suivis de toute la cour. Le roi et son lieutenant général étaient escortés d'une foule de gentilshommes dévoués à leurs personnes, paraissant vivre entre eux en bonne intelligence mais prêts à tirer l'épée les uns contre les autres au premier signal du maitre auquel ils étaient attachés.

Conti et Soissons avaient précédé la cour à Blois ; la présence d'un grand nombre de gentilshommes huguenots, venus dans cette ville à la suite des deux princes, donnait créance à de sourdes rumeurs qui allaient parvenues jusqu'à Guise. Ce n'est guère que de ce côté que celui-ci se croyait sérieusement menacé, et il espérait avoir conjuré le danger en s'entourant d'amis nombreux et dévoués.

A peine arrivé à Blois, le roi fit entrer dans la basse-cour du château quatre cents Suisses et deux cents gardes-françaises ; indépendamment de ses gentilshommes avait encore ses quarante-cinq, qui veillaient sans cesse à côté de lui, ne le quittant pas plus que son ombre.

L'ouverture des états, d'abord fixée au 15 septembre avait été renvoyée au 16 octobre. La plupart des députés arrivèrent avant cette époque.

Henri III avait compté sur les états pour ressaisir l'autorité que le duc de Guise venait de lui arracher si violemment. Son illusion fut, de courte durée. Les députés qui arrivaient avant le jour fixé pour l'ouverture appartenaient presque tous à la Ligue, et, dans la réunion préparatoire que tinrent les trois ordres, le clergé nomma pour son président le cardinal de Guise ; la noblesse élut le comte de Brissac, un des héros de la journée des Barricades ; et le tiers choisit Lachapelle-Marteau, prévôt des marchands. Les opinions de ces trois personnages étaient trop connues pour que leur élection n'eût pas une portée politique qui ne pouvait échapper au roi et à ses conseillers intimes.

Ce fut le jour fixé pour l'ouverture des états que l'on connut seulement la composition du nouveau ministère dont nous avons parlé dans le chapitre précédent. Cet événement ne parut pas avoir une grande importance, à cause du peu de notoriété dont jouissaient ces personnages. L'ambassadeur Mendoza ne vit dans ce fait qu'une idée capricieuse du roi, et non le commencement d'un plan de conduite fermement arrêté et poursuivi avec esprit de suite. Il se trompait cette fois ; les événements ne tardèrent pas à le lui prouver.

L'ouverture des états se fit donc le 16 d'octobre, dans la grande salle du château de Blois, qui avoit été préparée il y avait onze ans pour ces sortes d'assemblées. Le roi était assis sur son trône, ayant à sa droite la reine sa mère, la reine régnante à sa gauche, et au-dessous d'elles les cardinaux de Bourbon et de Vendôme ; François de Bourbon, prince de Conti ; Charles de Bourbon, comte de Soissons, son frère ; François de Bourbon, duc de Montpensier ; les cardinaux de Guise, de Lenoncourt et de Gondi ; Charles de Savoie, duc de Nemours ; Louis de Gonzague, duc de Nevers ; Albert de Gondi, duc de Retz, et plusieurs autres seigneurs et conseillers d'État. Le duc de Guise faisoit, ce jour-là sa charge de grand maître de la maison du roy, et en cette qualité il était assis au pied du trône sur un placet[1], tenant à sa main un long bâton semé de fleurs de lys d'or, qui est la marque de cette dignité, et ayant une contenance et un air qui attiroient sur lui les regards de tous ceux de son parti, qui n'étoient qu'en trop grand nombre dans cette assemblée ; et que le roi, au contraire, ne voyoit pas avec plaisir[2].

Tous les auteurs du temps parlent de l'attitude et du regard de Guise, qui fixait sur lui seul l'attention de toute l'assemblée et semblait dire à chacun de ses amis : Je vous vois[3]. Ils décrivent même son costume, qui était de satin blanc avec une cape de velours noir en broderie d'argent et de perles, retroussée d'un côté à la bizarre, son grand collier de l'ordre par-dessus.

Le discours d'ouverture, que le roi prononça d'une voix ferme et chaleureuse, est peut-être un des meilleurs de l'époque ; mais, tout en paraissant donner satisfaction à la Ligue, il s'élevait dans certains endroits avec tant d'énergie contre les fauteurs des derniers troubles que le duc de Guise, le cardinal son frère et les autres prélats s'opposèrent à ce qu'il fût imprimé avant qu'il eût supprimé ou adouci les passages qu'ils trouvaient blessants à leur égard.

Les états préparaient à Henri III bien d'autres humiliations. Ils exigèrent d'abord qu'il renouvelât le serment de L'édit de l'Union, et que cet édit fût considéré comme loy fondamentale du royaume. Le tiers fit décider, dès le début que la souveraineté appartenait aux états.et non au roi, et que par conséquent leurs ordonnances, pour être déclarées immuables et avoir force de loi, n'avaient pas besoin d'être enregistrées en cour de parlement[4]. Les trois ordres demandèrent encore qu'à l'avenir il ne se fît plus de levée d'argent sans le consentement des états, et que les lois édictées sous François Ier et Henri II contre les hérétiques fussent sévèrement appliquées.

Le roi était obligé de souscrire à toutes ces résolutions, si pénibles qu'elles fussent polir son amour-propre et quelque préjudice qu'elles portassent à son autorité. Le tiers et le clergé ayant demandé qu'il jurât d'avance de faire homologuer comme lois fondamentales du royaume ce qui serait fait, conclu et arrêté par les états, Henri III s'y refusa avec énergie, disant qu'il ne pouvait pas souffrir qu'on mît ainsi en doute sa loyauté et sa bonne foi. Les députés, ayant formulé cette demande sous forme de supplication, n'osèrent pas insister.

La noblesse aurait peut-être été portée à user de plus de ménagements envers son souverain ; mais, outre qu'elle était fort divisée, tandis que le tiers et le clergé formaient des corps parfaitement unis, le nombre de voix dont elle disposait se trouvait étouffé dans cette assemblée, dont la majorité était si compacte et si résolue. Dans son impuissance à soutenir la personne du monarque, la noblesse essaya de se garantir elle-même contre les entraînements des deux autres ordres, en n'adhérant au serment proposé par le clergé et par le tiers sur le traité d'Union qu'à la condition que cette union ne porterait préjudice à aucune de ses franchises, libertés, privilèges, droits et immunités.

Chaque séance des états était une occasion pour Henri III de sentir peser sur lui plus lourdement la main du duc de Guise, et sous chaque étreinte nouvelle le faible monarque laissait échapper une plainte, un soupir ou un cri de colère. Mais il se courbait, et étouffait dans son cœur la plainte, le soupir ou le cri qui pouvaient trahir les agitations de son âme.

Dans sa correspondance avec Mendoza, Guise se félicite hautement des résultats qu'il obtient dans cette assemblée pour assurer le succès de ses desseins et le triomphe de la religion. Toutefois ce n'a pas été sans peine qu'il a surmonté toutes les difficultés et empeschements que le roy a voulu apporter, et il déclare qu'il s'est trouvé quatre ou cinq fois au terme de rompre. Mais, ajoute-t-il, je ay esté, à la vérité, assisté de tant de gens de bien que les affaires sont succédé à leur contentement[5].

Un événement imprévu vint tout à coup occasionner au Balafré un surcroît d'embarras. Le duc de Savoie, sous prétexte que Lesdiguières faisait dans le Dauphiné de rapides progrès, et voulant mettre ses États en Italie à l'abri de l'hérésie, envahit le marquisat de Saluces. Guise était fortement soupçonné d'être de connivence avec le duc, et voici sur quoi se basaient ces soupçons.

Le duc de Savoie avait essayé à deux reprises de s'emparer de Carmagnole ; ayant échoué, il s'était tourné du côté du duc de Guise, après la journée des Barricades, pour lui offrir ses services à la condition qu'ils se partageraient le royaume. Pour sa part il se contentait du marquisat de Saluces, de la Provence et du Dauphiné. Guise, sans repousser ouvertement la proposition qui lui était faite, répondit que la moisson n'étoit pas encore assez mûre pour y porter la faulx.

Dépité de cet accueil, ce prince ambitieux s'adressa directement à Henri III pour lui dénoncer le duc de Guise, dont le projet, disait-il, était de s'emparer de sa personne et de s'approprier son royaume ; il lui offrit aussi ses services et son amitié. En même temps il découvrait lui-même le but de sa démarche en se plaignant des progrès que l'hérésie faisait en Dauphiné, des dangers que cette lèpre faisait courir aux États de Savoie et à toute l'Italie, pour en arriver à proposer au roi de France, qui avait besoin, disait-il, de toutes ses forces pour combattre dans la Guyenne et dans le Poitou, de donner le gouvernement du marquisat de Saluces à lui ou à son cousin le duc de Nemours.

Le roi répondit fièrement qu'il remerciait le duc de Savoie de ses bons avis et de ses bons offices, mais qu'il n'avait nullement besoin de lui pour combattre l'hérésie tant en Dauphiné qu'en Guyenne ; que, du reste, il allât le prouver en envoyant Mayenne et de nombreuses troupes contre Lesdiguières.

Les ennemis de la Ligue firent courir le bruit qu'après ce nouvel échec le duc de Savoie s'était retourné vers Guise, et que cette fois, ayant été mieux accueilli il s'était enfin concerté avec lui pour préparer son invasion.

D'autre part, les ligueurs des états étaient convaincus qu'Henri III et le duc de Savoie jouaient une comédie ayant pour but de simuler une guerre étrangère, qui ferait forcément diversion à la guerre projetée contre le roi de Navarre.

Ces malentendus eurent pour objet de rendre Guise odieux à la noblesse, parce que le tiers et le clergé refusaient de déclarer la guerre au duc de Savoie, en même temps :qu'ils rendaient ainsi le roi plus odieux aux deux autres ordres, plus dévoués à la Ligue que ne l'était la noblesse.

Le Balafré, comprenant immédiatement le péril de la situation, fit appeler auprès de lui son frère le cardinal de Guise et Lachapelle-Marteau pour qu'ils décidassent, le premier le clergé et le second le tiers état, à revenir sur leur détermination et à voter la déclaration de guerre demandée par la noblesse contre le duc de Savoie. Guise avait de plus écrit au roi pour se plaindre du peu de confiance qu'il lui témoignait en lui tenant cachées les choses qui intéressaient l'honneur de sa couronne, et ne paraissant pas s'en rapporter à son courage et à son zèle pour le venger de ses ennemis.

A la prochaine séance des états, les affaires changèrent complètement de face. L'archevêque de Bourges, prenant la parole au nom de tous les députés, blâma en termes énergiques la conduite du duc de Savoie, et fit partager son indignation à tout le monde. Après avoir exhorté le roi à faire la guerre à ce duc avec la dernière rigueur, il termina en disant que les états étaient disposés pour cela à lui fournir tous les secours nécessaires.

Les ennemis des Guises et de la Ligue se sont fait une arme contre le patriotisme des catholiques des 6vénéments survenus en cette occasion dans le marquisat de Saluces. S'il est vrai que le duc de Savoie ne se soit pas engagé seul dans cette entreprise, il est manifeste aussi qu'il n'était soutenu ouvertement ou indirectement ni par le duc de Guise, ni par les Seize, ni par aucun des ligueurs. Les ligueurs, dans leur zèle ardent, et le duc de Guise, dans sa grande ambition, se sont laissé entraîner à commettre assez de fautes que l'histoire a le devoir de leur reprocher, sans qu'on les charge encore de celles qu'ils n'ont pas commises et qui, en les atteignant dans leur patriotisme, rejaillissaient sur la religion.

Le duc de Savoie avait épousé une fille de Philippe II, et c'est par là qu'il était soutenu dans ses prétentions sur le marquisat de Saluces. Sixte-Quint, qui n'aimait guère les Espagnols, reprocha au duc savoyard d'avoir pris les armes contre le roi de France, au lieu de les porter contre les hérétiques de Genève, dont la propagande calviniste constituait pour l'Italie un danger autrement sérieux que celui que lui faisaient courir les réformés du Dauphiné.

Si l'on avait besoin d'une preuve pour établir que Philippe II seul était dans le secret du duc de Savoie, et que le duc de Guise n'était pour rien dans cet événement, nous la trouverions dans le passage vivant de la lettre que Mendoza écrivait à son maître à la date du 3 octobre :

J'ai écrit à Mucius, dit l'ambassadeur, de me faire savoir quelle impression avait produite sur l'esprit du roi l'entreprise du duc de Savoie contre le marquisat de Saluces. C'était un prétexte pour connaître en même temps ce que Mucius en pensait lui-même. Je supplie humblement Votre Majesté de me tracer la ligne de conduite que je dois suivre avec Mucius à cet égard... Toute cette affaire de Saluces est arrivée bien à contretemps pour Mucius, et le duc de Savoie s'est trop hâté. Mon opinion à cet égard était fixée d'avance ; car il y a déjà quelques mois que j'ai répondu dans ce sens au duc de Terranova et à don J. d'Acunha, qui m'avait écrit pour me faire connaître que le duc de Savoie voulait ardemment mettre ce projet à exécution, et pour me consulter sur l'opportunité d'une pareille prise d'armes[6].

A la même époque, le bruit courait que le duc de Montpensier avait fait savoir au duc de Guise qu'il s'estimerait très heureux de s'allier à sa famille par le mariage de leurs enfants. Le duc de Soissons, de son côté, lui aurait fait parler dans le même sens[7].

Tandis que les princes de Bourbon semblaient rechercher l'alliance du puissant lieutenant général, il y avait un autre personnage, jusqu'ici son ennemi déclaré, qui lui faisait aussi des ouvertures de réconciliation et briguait son amitié. D'Épernon, en effet, faisait offrir le gouvernement de Metz en Lorraine et de Boulogne en Picardie, à la condition qu'il serait son ami, qu'il le maintiendrait dans son gouvernement de la Saintonge et d'Angoulême, et que la Valette, son frère, serait conservé dans son gouvernement de Provence[8].

Mais si les princes du sang songeaient it se rapprocher de lui et recherchaient son alliance, s'avouant ainsi vaincus dans la lutte qu'ils soutenaient contre ce puissant et redoutable ambitieux ; si l'orgueilleux et énergique d'Épernon implorait sa protection, Henri loin de désarmer, prêtait l'oreille à la voix de la vengeance et commençait à en préparer l'exécution et même à en fixer la date.

Le roi n'ignorait pas que le brusque revirement qui s'était fait dans les états à l'occasion de l'invasion du marquisat de Saluces par les troupes du duc de Savoie était l'œuvre du duc de Guise, et, au lieu de lui en être reconnaissant, il s'était senti piqué jusqu'au fond du cœur par l'aiguillon de la jalousie.

Les démarches de ses cousins, Montpensier et Soissons, et surtout celle que venait de faire son ancien favori le duc d'Épernon, avaient encore excité son irritation et sa haine.

Mais il n'est pas en vain le fils de Catherine de Médicis ; plus la colère gronde en son cœur, mieux il dissimule ses projets et se compose un visage affable et souriant. Im va même jusqu'à se déclarer fatigué du fardeau des affaires, et annonce sa résolution de confier pendant quelque temps le gouvernement à sa mère et à son lieutenant général. Quant à lui, il veut se consacrer tout à Dieu et aux pratiques religieuses pour obtenir le pardon de ses fautes. Le 4 décembre, il pousse la dissimulation jusqu'au sacrilège, en faisant asseoir Guise à la sainte table à côté de lui.

A cette époque, il y eut à cour de grandes fêtes à l'occasion du mariage de Ferdinand de Médicis, grand-duc de Toscane, avec Christine de Lorraine, sœur de la reine régnante. C'est au milieu des fêtes de cet hymen que le roi va achever de préparer sa criminelle entreprise.

Une querelle de pages faillit tout compromettre.

Indépendamment du roi, de la reine mère et de leur suite, les princes du sang, le duc de Guise, le duc d'Elbeuf, le prince de Joinville, logeaient dans le château. Les pages de ces seigneurs avaient l'habitude d'attendre leurs martres dans le grand escalier et dans la basse-cour.

Le 4 novembre, vers les dix heures  du soir, ces jeunes gens étaient à leurs postes lorsqu'une querelle s'éleva entre eux. Le cour tout entière, depuis les valets jusqu'aux princes, était divisée en deux camps, celui des royalistes et celui des guisards. Les pages du duc de Guise, à la suite d'une altercation, furent chargés par ceux du roi, auxquels se joignirent les pages des comtes de Soissons et de Conti, du maréchal de Retz, du duc de Montpensier, du cardinal de Vendôme et même du cardinal de Bourbon. Un des pages du Balafré fut tué et les guisards avaient le dessous, lorsque les pages du prince de Joinville, du duc de Nemours, du duc d'Elbeuf et du comte de Brissac arrivent la dague à la main et se raient au combat, qui changea de face ; des laquais, des soldats et même des gentilshommes, armés les uns de bâtons, les autres de leurs pertuisanes ou de leurs épées, se rangèrent du côté des royaux ou du côté des guisards, et la bagarre devint générale. Un grand nombre de combattants restèrent pour morts sur le terrain, et les royaux furent poursuivis, l'épée ou la dague dans les reins, jusque dans les appartements d'Henri III, qui, à ce bruit, craignant que Guise ne fût de la partie et ne voulût l'assassiner, était sorti couvert de sa cuirasse. Il fallut envoyer un grand renfort de gardes pour séparer les combattants, et le roi défendit depuis ce jour aux pages au château de porter des armes quand ils attendaient leurs maîtres.

Cette lutte dans les escaliers et dans les cours avait été entendue de tous les appartements. En ce moment, Guise causait avec la reine mère, que la goutte retenait dans sa chambre. Quand il eut appris d'où venait tout ce vacarme, il reprit sa conversation avec la même tranquillité d'esprit qu'auparavant. Mais Catherine de Médicis était si effrayée, qu'elle fut obligée de rompre l'entretien pour se remettre de son émotion.

La querelle des pages n'était que le prologue du drame[9].

En admettant que le roi n'eût ressenti contre Guise qu'une colère et une jalousie capables de lui faire souhaiter de se débarrasser de ce trop puissant serviteur par l'exil ou même la prison, ce faible et vindicatif monarque aurait été poussé au crime par les avis remplis de réticences menaçantes que lui faisaient parvenir les princes de la faction caroline sur les menées ténébreuses de son lieutenant général.

Mayenne et le duc d'Aumale contribuèrent puissamment, sans le vouloir, à la mort de leur frère et cousin.

Mayenne était à Lyon, où il était venu pour prendre, au nom du duc de Nemours, possession de ce gouvernement, après avoir quitté la Bourgogne et en attendant qu'il passât dans le Dauphiné. Dans cette ville se trouvait en même temps le colonel Alphonse d'Ornano, bien connu pour son attachement au roi. Mayenne était-il jaloux de son frère ? Redoutait-il seulement le danger que son ambition faisait courir à leur maison en leur suscitant de si nombreux et si puissants ennemis ? Ou bien, ce qui est le plus probable, le langage qu'il tint au colonel ne fut-il que l'expression sincère de son dévouement et de sa fidélité au roi, qu'il ne voulait pas qu'on pût suspecter malgré son zèle pour la religion ? C'est ce qu'il est impossible de dire au juste. Toujours est-il que le futur chef de la Ligue eut plusieurs entrevues avec le colonel d'Ornano, et que dans leurs entretiens il s'exprima librement sur le compte de son frère, dont il désavouait hautement l'ambition. Au moment où le colonel corse allait prendre la poste pour se rendre à la cour, Mayenne le revit une dernière fois, et le chargea, dit-on, de dire au roi de se méfier du duc de Guise, ajoutant que ni lui ni aucun de leur maison n'approuvait les projets téméraires qu'il méditait. Il dit encore en parlant de lui, de ses autres frères et de ses cousins, que si leur conscience et leur honneur les obligeaient à combattre contre les ennemis de la religion, qui étaient aussi les ennemis du roi, Sa Majesté les trouverait toujours prêts à verser leur sang pour son service et celui de l'État.

Paroles de courtisan, peut-être, mais paroles imprudentes, que le roi traduisit en leur donnant un sens, auquel Mayenne était loin de songer, et qui le déterminèrent à l'accomplissement des projets qu'il méditait.

Comme surcroît d'alarme, un avis du même genre lui fut donné par la duchesse d'Aumale, sœur du duc d'Elbeuf. Cette princesse avait sollicité du roi un moment d'entretien. Le roi, qui n'avait pas à se louer d'elle, le lui avait refusé. Depuis, cette dame passait des heures entières dans les appartements des deux reines ou dans les antichambres, à genoux et pleurant. Henri III, fatigué de toujours la trouver sur son passage, lui donna enfin audience  Quand elle fin devant le roi, elle lui répéta la même chose que ce que Mayenne lui avait fait dire par le, Corse Ornano, le suppliant, au nom de son mari, de se méfier des pernicieux desseins du duc de Guise, et de croire que le duc d'Aumale et ses autres parents n'y avaient aucune part.

Cette seconde révélation fit sur l'esprit faible d'Henri une profonde impression ; dès lors il ne vit plus autour de lui qu'embûches, trahisons, assassinats.

La duchesse de Montpensier, qui était venue à la cour avec sa belle-sœur la duchesse de Guis, tenait contre lui des propos insensés, et montrait à tout venant des ciseaux en or qu'elle portait à sa ceinture et avec lesquels elle voulait elle-même tondre le roi le jour où il entrerait dans un cloître pour laisser le trône à plus digne et plus capable que lui de l'occuper, désignant par ces mots son frère le Balafré.

Cependant, cette princesse ayant quitté subitement la cour pour suivre sa belle-sœur à Paris, où elle allait faire ses couches, ce départ précipité, dont la cause était bien naturelle, fut encore considéré comme un indice alarmant.

Le duc de Guise était trop puissant pour que la moindre atteinte contre sa personne fût aisée à exécuter. Henri réunit une sorte de conseil intime, composé d'amis sûrs et dévoués, tels que le maréchal d'Aumont[10], Nicolas d'Angennes, sieur de Rambouillet, Antoine de Brichanteau, sieur de Beauvais-Nangis, et, après un long discours dans lequel il énuméra toutes les humiliations que Guise lui avait fait souffrir, tous les dangers que son ambition faisait courir au royaume et à sa personne, il conjura ses confidents de lui dire de quelle manière il convenait de procéder pour le débarrasser et débarrasser l'État de ce lieutenant général, qui voulait se faire nommer connétable par les états généraux, en attendant qu'il s'emparât de la couronne.

Les amis du roi écoutèrent attentivement le discours qui venait d'être prononcé ; mais le sujet était si grave, qu'ils n'osèrent se prononcer immédiatement et demandèrent vingt-quatre heures de réflexion.

Le lendemain, le maréchal d'Aumont émit l'avis que le roi devait faire arrêter le duc de Guise et ses principaux partisans, pour qu'ils fussent punis selon les lois.

En admettant que l'on pût arrêter le duc et ses amis, devant quelle cour de parlement les ferait-on comparaître ? Quels seraient les juges qui se chargeraient de l'instruction de l'affaire ? On prétendait avoir des preuves morales de sa trahison ; mais les preuves matérielles faisaient défaut, puisque même la journée des Barricades avait été faite sous le couvert du bien de l'État ? A cause de leur haute situation, les coupables ne pouvaient être jugés que par le parlement de Paris, toutes les chambres assemblées. Si nombreuse que fût l'escorte qui conduirait Guise à Paris, à peine aurait-elle quitté Blois qu'elle serait dispersée par les Parisiens, accourus au secours de leur héros. Et puis, si dans l'intervalle le roi de Navarre s'emparait, d'une seule ville, la France était capable de se soulever d'un bout à l'autre, en accusant le roi d'avoir fait emprisonner le duc de Guise pour le sacrifier à la haine des protestants. Il ne restait donc qu'un moyen de se débarrasser du Balafré : l'assassinat.

Assassiner le duc de Guise, grand maître de la maison du roi, premier pair de France, lieutenant général du royaume, chef tout-puissant de la Ligue, héros vénéré de la catholicité tout entière, c'était chose facile à dire, mais qui semblait presque impossible à exécuter ; car quel serait l'assassin assez hardi pour essayer de le frapper en face, lui qu'on savait doué d'une force prodigieuse, d'une adresse si grande et une bravoure qui faisait pâlir tous ses ennemis ?

Pour assassiner misérablement un héros, Henri III eut l'idée bizarre de chercher un autre héros, et jeta les yeux sur Crillon, le brave et loyal chevalier, sous prétexte qu'il était l'ennemi de Guise. Sire, répondit Crillon quand il connut ce que le roi attendait de lui, je suisbien serviteur de Votre Majesté ; ma fidélité, mes devoirs et mes services lui sont acquis ; mais je fais profession de soldat et de chevalier. En cette qualité, s'il lui plaist que je fasse appel au duc de Guyse et que je me coupe la gorge avec luy, me voilà prest à le faire. Mais de dire qu'en ceste mort je me doive servir d'exécuteur de votre justice, c'est une chose qui ne s'accommode pas bien à un homme de ma condition et que je ne feray jamais. Henri, à cette réponse, repartit que cela suffisait, et qu'il le priait de tenir cette affaire secrète. Crillon le promit.

Pour une telle entreprise, il lui fallait non l'épée d'un soldat ou d'un gentilhomme, mais le poignard de ses estafiers les quarante-cinq ; ceux-là ne devaient pas avoir tant de vergogne. Il fait donc appeler près de lui Loignac, leur capitaine, Ornano, Montigny, Larchant, capitaine des gardes écossaises ; et c'est à eux et à leurs acolytes qu'il confie le soin de la vengeance. Les assassins sont trouvés ; mais on ne sait pas encore comment on pourra frapper la victime. On cherche, et c'est Guise lui-même qui indique le guet-apens dans lequel il va succomber.

Le crime fut résolu entre le 15 et le 20 décembre.

Si le roi se méfiait de Guise à cause des récits qui lui avaient été faits, Guise, de son côté, aurait dû se méfier du roi car il n'était pas jusqu'à Philippe II qui ne lui eût fait dire de se tenir en garde contre Henri III.

Deux mois auparavant (13 octobre), Mendoza écrivait au roi d'Espagne : Tous les amis de Mucius et moi nous lui rappelons sans cessé les avertissements que Votre Majesté a daigné me transmettre par ses dépêches du 15 du mois dernier. D'ailleurs, il serait fort difficile qu'il ne les eût pas, constamment présents à la mémoire, car ses propres observations sur la conduite du roi à son égard ne lui permettent guère de les oublier[11].

De son, côté, Guise écrit (10 décembre) au commandeur Moreo : Vous ne sçauriez croire les alarmes que l'on m'a données depuis  vostre parlement. J'ay si bien pourveu que mes ennemie n'ont sceu rien entreprendre, et suis demeuré ferme par le confort de nos estats[12].

Gaspard de Schomberg, comte de Nanteuil, colonel des troupes allemandes, bien que dévoué au roi, était aussi l'ami du Balafré, qui l'avait souvent obligé. Ce gentilhomme, sans être dans le secret de la conspiration, savait vaguement, par les rumeurs sourdes qui circulaient, qu'il se tramait quelque chose de sinistre contre Guise. Son amitié lui fit un devoir de l'en avertir. Il lui rappela qu'il lui avait souvent conseillé de ne pas pousser à bout la patience du roi[13] ; que sa puissance ne reposait que sur sa popularité, et qu'étant couvert de dettes, s'il venait à être tué au milieu de ces troubles, il laisserait sa femme et ses enfants, encore en bas âge, dans de cruels embarras.

Guise répondit à son ami qu'ayant été élevé au milieu des armées, l'image de la mort s'était souvent présentée à lui et ne l'avait jamais épouvanté. Quant à ce qu'il venait de lui dire sur sa femme et ses enfants, si vrai et si triste que ce fût, cela ne pouvait pas te faire changer de résolution. Il ajouta : Abandonné, dans un âge encore plus tendre que celui où ils sont aujourd'hui, d'un père qu'un coup parti de la main perfide des hérétiques venait de m'enlever, resté seul avec mes frères, en butte à tous les traits des ennemis de ma maison, ai-je laissé pour cela de m'élever, de rassembler les débris de la fortune d'un père si grand, et même de venger sa mort ? Je laisse à Dieu, qui m'a toujours protégé jusqu'ici, le soin de ce qu'ils doivent devenir. Je ne les ai pas mis au monde pour qu'ils vinssent troubler mes projets. Si la mort m'enlève avant qu'ils soient arrivés à un certain âge, qu'ils deviennent eux-mêmes les ouvriers de leur fortune, comme je l'ai été de la mienne, et se montrent, par leur conduite, dignes héritiers de ceux qui leur ont donné le jour... Il ne peut pas croire cependant que le roi veuille attenter à ses jours, qui sont intimement liés à la cause de la religion. Sa mort susciterait trop de vengeurs, et Henri III courrait risque de perdre ses États ou de mourir misérablement. Après tout, dit-il en terminant, je ne vois pas qu'il soit si aisé de me surprendre. Je ne connais point d'homme sur la terre qui, mis aux mains seul à seul avec moi, ne partage la moitié de la peur, et je marche d'ailleurs si bien accompagné, qu'il n'est pas facile à un grand nombre de m'investir sans qu'on me trouve sur mes gardes. Ma suite pénètre tous les jours avec moi jusqu'à la porte de la chambre du roi, et si elle entendait le moindre bruit, il n'y a ni garde ni huissier qui pussent l'empêcher d'accourir à mon secours. Ce discours, répété à quelques intimes, et qui parvint jusqu'au roi et à ses conseillers, laissait trop voir la confiance que Guise avait dans sa force s'il était attaqué seul à seul, et dans sa suite si l'on voulait le surprendre par une troupe nombreuse, pour que dès lors on ne cherchât pas le moyen de l'attirer en un endroit où il se trouvât seul en présence de ses assassins. Le coup fut préparé et exécuté avec une habileté épouvantable.

Pour pénétrer dans l'appartement du roi, il fallait traverser une grande salle où Henri III prenait ses repas en public. Cette salle était ouverte à tout le monde, excepté aux heures du conseil, car c'était là aussi que les ministres se réunissaient pour délibérer sur les affaires de l'État. Quand le conseil était réuni, les gardes et les huissiers défendaient l'accès de la salle à la suite des ministres, qui y pénétraient seuls. Leurs gentilshommes, pages ou gardes, restaient alors dans le grand escalier. Guise, qui n'était jamais allé chez le roi pendant la tenue du conseil, ne s'était pas aperçu que les appartements qui communiquaient de cette salle à la chambre à coucher du souverain étaient forcément déserts à ces heures-là. Quand il se rendait chez le roi, sa suite l'accompagnait jusqu'à la porte et attendait sa sortie. Il ne s'agissait donc que d'attirer Guise chez le roi pendant la tenue du conseil, sous un prétexte quelconque, et, pour plus de sûreté, de fixer la réunion du conseil à une heure assez matinale pour que les gentilshommes qui feraient escorte au duc n'assistassent pas à son lever. Les quarante-

cinq, postés dans les pièces qui servaient d'antichambre, devaient frapper Guise pendant qu'il irait chez le roi au sortir de la salle du conseil. Enfin le grand escalier devait être aussi gardé par les Écossais ; et, afin que la vue de ces gardes n'éveillât aucun soupçon dans l'esprit de Guise, on imagina le stratagème que l'on verra par la suite.

Si bien gardé que fût le secret de cette machination, à l'air soucieux des uns et effaré des autres, les courtisans, comprenant qu'il allait se passer quelque chose d'épouvantable, échangeaient entre eux des regards inquiets.

Guise avait eu avec le roi une assez vive altercation au sujet de la ville d'Orléans, qui avait été cédée à la Ligue comme place de sûreté, et d'un prévôt de connétablie qu'il voulait attacher à sa personne, avec une garde particulière comme l'avait eue le duc d'Anjou. Henri III, impatienté, avait répondu par ces mots, qui étaient bien plus une menace qu'une promesse : Dans deux ou trois jours tout sera fini. Ceci se passait le 20 ou le 21 décembre.

Cependant, les avis et les conseils se multipliaient assez dans l'entourage de Guise pour qu'il se tint en garde contre le roi. Un soir, dans un dîner auquel il assistait en compagnie de son frère le cardinal de Guise, de l'archevêque de Lyon, du président de Neuilly et de Lachapelle-Marteau, gendre de ce dernier, son frère et le président l'engagèrent vivement à quitter les états et à se retirer à Orléans, sous prétexte de laisser à l'assemblée sa liberté entière de discussion, et pour qu'on ne l'accusât plus de peser sur elle. L'archevêque de Lyon rejeta cette proposition en disant : Qui quitte la partie la perd. Guise n'avait pas besoin d'être encouragé dans son téméraire entêtement à rester au milieu du péril ; sa fierté se révoltait à l'idée d'un départ pouvant laisser croire à ses ennemis que son âme était accessible à la peur. Je ne veux pas sauver ma vie aux dépens de mon honneur et de mes amis. Et, se tournant vers l'archevêque, il dit encore : Monsieur de Lyon, mes affaires sont à un tel point, que quand je verrois entrer la mort par les fenêtres, je ne voudrois pas sortir par la porte pour la fuir.

Les amis du duc de Guise ont appris que le roi a fait acheter douze poignards chez un fourbisseur de la ville, et c'est d'Elbeuf, bien que faisant partie de la faction Caroline, qui vient en informer son cousin, et l'engager à mettre ses jours à l'abri des dangers qui les menacent. Il est dix heures du soir, et le Balafré écrit de nombreuses lettres, lorsque d'Elbeuf le vient voir pour s'acquitter de sa mission de bon parent et ami. C'est en vain qu'il le presse et le conjure ; le grand ligueur, ne voulant pas fuir le destin qui l'attend, lui répond : Pour recevoir les fruits prochains de la bonne résolution des estais, s'il est besoin d'y perdre la vie, c'est chose à quoy je suis déjà fort résolu ; voire quand j'en aurois cent, je les vouerois toutes au service de Dieu, de son Église, et soulagement du paulvre peuple, dont j'ay grandissime pitié. Et il le congédia en lui mettant la main sur l'épaule : Va-t-en te coucher, cousin. Puis, portant la main sur son cœur : Voilà, dit-il, le pourpoint de l'innocence.

Nous sommes au 22 décembre. Le roi et le duc de Guise assistent au conseil. Henri dit à ses ministres qu'ayant résolu de passer les fêtes de Noël dans les pratiques religieuses, et ayant l'intention de faire le lendemain un pèlerinage à Notre-Darne de Cléry, qui est à quelques lieues de Blois, il les priait en conséquence de se réunir le lendemain au point du jour, afin de vite expédier les affaires courantes.

L'heure matinale pour laquelle le conseil est convoqué fait que Guise ne garde pas cette nuit-là les clefs du château, dont les portes restent ainsi ouvertes.

Dans la journée, Larchant, capitaine des archers écossais, fidèle aux ordres du roi, vient annoncer au duc de Guise que ses hommes, n'ayant pas reçu leur solde, menacent de le quitter ; il le prie, en sa qualité de lieutenant général, de parler en leur faveur au roi et au conseil. Guise promet de faire droit à sa requête, et Larchant le remercie en lui annonçant que le lendemain matin, avant l'ouverture du conseil, il viendra lui renouveler sa prière avec une partie des hommes de sa compagnie, qui veulent eux-mêmes se recommander à ses bons offices.

En se mettant à table, le soir, il trouva sous sa serviette un billet sur lequel étaient écrit ces mots : Donnez-vous garde ; on est sur le point de vous jouer un mauvais tour. L'ayant lu il écrivit au bas : On n'oseroit, et il le jeta sous la table.

Dans la soirée il en reçut encore, dit-on, une cinquantaine d'autres, conçus à peu près tous dans les mêmes termes, ce qui lui fit dire au duc d'Elbeuf : Je vois bien que vous avez tous regardé votre almanach ; car tous les almanachs de ceste année sont farcis de mesme menaces.

Au lieu de se mettre à sa correspondance, il passe quelques heures chez la marquise de Noirmoutier (Charlotte de Beaune de Semblançay), dame d'atours de Catherine de Médicis. Cette dame, devinant ce qui allait se passer le lendemain, mais ne pouvant le déterminer à quitter la cour, le conjure et le supplie de ne pas se rendre au conseil. A ces sages avertissements dictés par l'amitié prévoyante, le Balafré répond avec insouciance par des madrigaux et des mots galants et quitte la marquise en fredonnant une villanelle de Desportes très en vogue alors[14] :

Rosette, pour un peu d'absence,

Votre cœur vous avez changé.

Il rentre enfin dans ses appartements, et renvoie son valet de chambre Bernardin, qui lui fait vainement observer le mouvement extraordinaire qui semble se passer dans le château et dont il s'est aperçu comme les autres serviteurs du duc.

A l'instigation du grand prieur, le bâtard de Charles IX, depuis duc d'Angoulême, le prince de Joinville doit faire le lendemain une partie de paume.

Henri III est rentré à son heure ordinaire dans les appartements de la reine ; mais l'inquiétude qui l'accable l'empêche de dormir. A quatre heures du matin, il se lève, s'habille seul, et va s'assurer si Loignac et les huit autres estafiers qui doivent faire le coup sont à leur poste dans la pièce voisine. Ils y sont tous, et Loignac les a bien choisis : ce sont les huit plus déterminés de ses gardes ordinaires ; il y a là la Bastide, Montséry, Saintes Malines, Saint-Gaudens, Suriac Saint-Capautel, Malfrenas et Merbelade[15]. Avec ces huit assassins amenés par Loignac, se sont également introduits dans le cabinet du roi, par un escalier dérobé, le colonel Ornano, d'Entragues, Bonnivet et François de la Grange, Sieur de Montigny.

Les huit bandits, qui se disent des gentilshommes, savent tous pour l'accomplissement de quelle œuvre ils sont conviés ; mais Henri III, craignant encore de voir faiblir leur courage, excite leur fureur par ce dernier discours : Ce jour, leur dit-il, doit être le dernier de ma vie ou de celle du duc de Guise, et c'est vous qui -allez décider si c'est lui qui doit périr, ou si c'est moi qui suis destiné à devenir sa victime. Vous sçavez, et personne ne l'ignore ; qu'il est l'auteur de tous les troubles qui désolent l'Estat. On crut qu'il s'en tiendroit là non : ce premier crime ne lui a servi que de degré pour arriver à de plus grands attentats. Alors il ne m'attaquoit que sourdement dans la personne de mes serviteurs ; aujourd'hui il se déclare ouvertement l'ennemi mortel de mes jours. Que dis-je ? n'est-ce pas à vous-mêmes qu'il en veut ? N'est-ce pas à toute la nation, dont il a juré la ruine ? Au reste, il n'y a pas-ici à de libérer. Je suis, comme vous voyez, prisonnier dans cet appartement ; il n'y a qu'un coup de vigueur qui puisse me tirer, moi et mon royaume, qui court le même danger que moi ; des fers honteux que l'on me fait porter ; ce n'est que par votre valeur que je puis échapper aux poursuites de mon ennemi... Je demande aujourd'hui une preuve de votre attachement pour moi. Il ne s'agit point ici de verser votre sang pour la défense de nos frontières ; c'est pour la conservation des jours de votre prince qu'il faut combattre, et c'est par la mort du duc de Guise et de ses partisans que vous devez les assurer. J'en suis réduit à telle extrémité, qu'il faut que ce matin il meure, ou que je meure. Ne voulez-vous pas me promettre de me servir et me venger en lui octant la vie ?...

Oui ! oui ! nous le jurons ! s'écrient-ils tous à la fois.

Cap de diou ! Sire, dit le Gascon Suriac, iou bous lou rendis mouart.

Henri calme leur effervescence, dans la crainte que le bruit qu'ils font ne réveille sa mère, logée dans l'appartement au-dessous. Prenant alors les poignards qu'il a fait acheter et peut-être fait faire exprès, il en arme ses ordinaires, en disant : Voilà les vengeurs de votre liberté et de la mienne. Ensuite il les cache dans sa chambre. Loignac tient son épée nue à la main.

Ces préparatifs terminés, il se retire dans son cabinet avec Ornano, Montigny, Bonnivet et d'Entragues.

Ornano et Montigny vont se mettre à la tête de douze autres des ordinaires, qui sont postés dans un cabinet donnant sur la cour ; ils doivent venir au secours de leurs collègues et achever Guise au besoin.

Enfin, le reste des quarante-cinq garde l'escalier de service qui descend à la galerie des Cerfs, et l'huissier Nambu a ordre de ne laisser entrer ou sortir personne.

Le jour n'a pas encore paru que déjà les membres du conseil commencent à arriver dans la grande salle. Bientôt ils sont tous réunis, à l'exception du duc de Guise. Le conseil se compose des cardinaux de Vendôme, de Guise et de Gondi ; de l'archevêque de Lyon ; des maréchaux d'Aumont et de Retz ; du garde des sceaux Montholon ; de Nicolas d'Angennes, seigneur de Rambouillet ; de François d'O, et des conseillers d'État.

Guise logeait au même étage que la reine mère, et par conséquent au-dessous des appartements occupés par le roi et de la salle du conseil. A cinq heures, son secrétaire particulier, Péricard, entre dans sa chambre, entrouvre les rideaux et aperçoit dans la basse-cour du château un mouvement inusité de gardes-françaises et de Suisses. Il veille le duc et lui communique ses remarques. Le duc n'écoute ou ne comprend même pas ce qu'on lui dit, et il dut se rendormir, car il était plus de sept heures lorsque le roi, voyant qu'il ne venait pas au conseil, lui envoya un message pour lui dire qu'on l'attendait.

Le Balafré s'habille à la hâte, et revêt un costume de satin gris trop léger pour cette saison[16]. Quelques officiers seulement assistent à son lever, et l'accompagnent à travers la galerie qui communique avec une terrasse dite Porche aux Bretons, à l'extrémité de laquelle est une petite chapelle. Guise s'agenouille et fait sa prière. Il revient sur ses pas pour parler à la reine mère ; mais celle-ci est souffrante et ne peut le recevoir.

A peine Guise a-t-il mis les pieds dans le grand escalier que Larchant, accompagné de ses archers, l'aborde pour lui rappeler sa promesse ; Guise lui répond avec cette exquise courtoisie qui lui est habituelle et lui gagne si facilement les cœurs. Sous prétexte de lui faire honneur, Larchant le suit jusqu'à la porte du conseil, tandis que les archers se rangent sur deux rangs de chaque côté de l'escalier. Un de ces soldats, nommé Aubencourt[17], touché de sa bonne grâce, lui marcha sur le pied pour le prévenir une dernière fois. Il n'y prit point garde, ou ne comprit pas. Au moment où le Balafré pénétra dans la salle du conseil, Chicot, qui était dans l'escalier, se mit à frotter une lame de couteau contre un morceau de verre.

Que fais-tu là, Chicot ? demanda un gentilhomme au bouffon.

J'ay guise, répondit Chicot

Quand le duc fut entré salle du conseil, où Péricard seul avait pu le suivre à cause de sa charge de secrétaire des finances, Larchant fit retirer les gentilshommes qui étaient restés dans l'escalier, tandis que Crillon faisait fermer les portes du château[18].

A peine était-il assis auprès de ses collègues que, soit faiblesse physique, soit appréhension du danger auquel il se savait exposé, il pâlit et se sentit envahi par le froid. Il commanda qu'on mît un fagot au feu, et se chauffa. Il se plaignit aussi d'un malaise au cœur, et, comme il avait l'habitude de manger le matin des raisins secs ou autres fruits conservés qu'il portait dans un drageoir en argent, il pria son secrétaire d'aller lui chercher cette boite, qu'il avait oublié. En attendant, il se fait donner par M. de Saint-Prix quelques raisins de Damas, de la conserve de roses ou autres bagatelles du roy. On lui porte des prunes ; il en mange une ; mais soudain une sueur froide mouille son front, et un tremblement nerveux agite tous ses membres[19]. Nul n'a attribué ces défaillances à la frayeur, mais à un excès de fatigue.

Pendant que ceci se passait dans le conseil, le roi, craignant toujours que sa vengeance ne lui échappât, commandait à Louis de Revol, secrétaire d'État, d'aller dire au duc de Guise qu'il le demandait. Mais voici que l'huissier Nambu, fidèle à sa consigne, ne veut pas faire passer le secrétaire. Le pauvre de Revol, qui n'est pas dans le secret, revient, pâle et tremblant, vers son maitre. Mon Dieu ! Revol, qu'avez-vous ? lui crie le roi, qui craint de voir tous ses projets avortés et tremble pour sa vie. — Il n'y a point de mal, Sire ; c'est M. Nambu qui ne veut pas me laisser passer sans votre ordre.

Le roi rassuré, crie alors à Nambu de laisser passer Revol et de le laisser aussi revenir, ainsi que le duc de Guise.

Le Balafré était tout à fait remis de son indisposition, et le conseil écoutait un rapport sur les gabelles, lorsque Revol entra et dit au duc : Monsieur, le roi vous demande ; il est en son vieux cabinet.

Il était alors huit heures environ.

Le duc se leva, prit ses gants, son drageoir, qu'on venait de lui rapporter, son chapeau de la main gauche, et, après avoir salué ceux du conseil avec ceste accortise qui lui estoit ordinaire, il s'enveloppe de son manteau, et entra dans les appartements du roi.

Il n'y avait dans cette chambre, ordinairement remplie de seigneurs, que Loignac et ses huit estafiers, qui, à la vue du duc, se levèrent et le saluèrent avec une froide politesse. Le duc leur rendit leur salut, et traversa cette pièce en diagonale, pour gagner la petite porte située à gauche qu'il fallait encore franchir avant d'être dans le passage où était le vieux cabinet.

Les assassins  suivaient le duc comme pour lui faire escorte ; mais ne levaient point la tapisserie de la porte. Arrivé à cette porte, tandis qu'il en soulève. la portière de la main gauche et se penche pour passer, il tient sa barbe de sa main droite et tourne la tête pour voir ce que font ceux qui sont derrière. Aussitôt celui des quarante-cinq[20] qui était près de la cheminée lui porta un coup de poignard dans la gorge : Ah ! traître ! s'écrie duc, tu mourras ! Il veut tirer son épée ; mais tous alors se jettent sur lui et le frappent de toutes parts. Il lutte encore un moment ; mais Sariac lui enfonce son poignard dans le dos. Guise tombe alors en disant : Mon Dieu, miséricorde ! et rend le dernier soupir[21].

Alors Henri III, soulevant la portière laissa passer dans la chambre sa tête pâle pour voir sa victime assassinée. Le sachant mort, et bien mort, il s'écria : Enfin je suis roi ! Et contemplant malgré lui ce héros si puissant qui gisait sur son tapis comme bercé par le sommeil, il ne s'empêcher de dire : Mon Dieu, qu'il est grand ! Il paraît encore plus grand mort que vivant !

Il eut cependant l'indigne courage de lui donner un coup de pied sur le visage comme il avait été fait, dit-on, au cadavre de Coligny.

Triste rapprochement entre ces deux puissants ennemis, qui moururent de la même mort et subirent le même outrage !

Au bruit qui se faisait dans la chambre du roi, le cardinal de Guise, comprenant qu'on assassinait son frère, se leva précipitamment et voulut appeler au secours ; mais à la porte du conseil il trouva un officier de la garde écossaise qui lui barra le chemin : Sauvez-moi la vie, mon capitaine ! lui dit-il.

Tout est perdu ! s'écria l'archevêque de Lyon et, sans songer au péril, il se précipitait du côté de la chambre du roi pour secourir Guise, à qui il avait lui-même conseillé de rester à la cour. Les maréchaux d'Aumont et de Retz se levèrent et mirent la main à la garde de leurs épées. Mordieu ! dit d'Aumont, que personne ne bouge ou je lui donne de mon épée au travers du corps. Au nom du roi je vous arrête, ajouta-t-il en s'adressant au cardinal et à l'archevêque.

Larchant, suivi de ses gardes, entre aussitôt, et les deux prélats se constituent prisonniers disant : Nos vies appartiennent à Dieu et au roi. On les conduisit tous deux dans un des galetas du château, situé même sur l'appartement du roi et ne prenant du jour que par une étroite lucarne. La garde de leur prison improvisée fut confiée à quelques ordinaires.

Crillon, en ce moment, fit ouvrir les portes du château pour y introduire encore de nouveaux renforts de troupes, et il fut opéré à la perquisition des papiers du duc de Guise et à l'arrestation de tous les siens, parents et amis. Sur le cadavre du Balafré on ne trouva guère que sa bourse, un diamant, une clef en or pendue à un médaillon par une petite chaîne, et un billet, dit-on, écrit de sa main, contenant ces mots : Pour entretenir la guerre en France, il faut sept cent-mille livres par mois.

Ses secrétaires et valets de chambre furent également séquestrés. On saisit ses papiers ; mais un de ses serviteurs avait eu le temps d'en détruire un bon nombre, et les autres, les plus compromettants, étaient en lieu sûr.

La reine d'Angleterre écrivit à Henri III pour obtenir ceux qui l'intéressaient, se rapportant aux intrigues du feu duc avec l'Espagne et avec Marie Stuart.

Anne d'Este, duchesse de Nemours, au premier bruit d'alarme, se préparait à aller trouver la reine mère pour lui demander la grâce de ses fils, lorsqu'elle fut arrêtée par le capitaine des gardes suisses, Châteauvieux. En même temps les Suisses, les gardes françaises et écossaises arrêtaient et gardaient à vue le cardinal de Bourbon, le prince de Joinville, le duc de Nemours, le duc d'Elbeuf, qui étaient dans le château. Plusieurs députés, parmi lesquels Brissac et Bois-Dauphin pour la noblesse, Lachapelle-Marteau et son beau-père pour le tiers, et une foule de gentilshommes de la suite du duc de Guise subissaient le même sort dans leur domicile.

Le corps du Balafré resta pendant deux heures à la même place ; on le couvrit seulement d'un vieux tapis qui servait de descente de lit à Henri III. Les ordinaires, pendant ce temps, se firent une joie féroce d'insulter le cadavre de celui qu'on n'appelait que le beau roy de Paris et le Nemrod lorrain.

Après que le chapelain du château eut dit le De profundis devant le cadavre du duc de Guise, les restos du héros furent jetés dans une fosse de chaux vive, afin que les ligueurs n'en fissent pas des reliques. Cependant on retrouva encore de ses os, qui furent enfermés dans un coffre de plomb et transportés par Catherine de Clèves, sa veuve, dans le tombeau qu'elle avait fait élever dans l'église des pères jésuites de la ville d'Eu, dont elle était fondatrice[22].

Devant presque tous les seigneurs de la cour, non encore revenus de la surprise et de la terreur que leur avait causées la nouvelle de l'assassinat qui venait d'être commis, Henri III prononça d'un ton de colère quelques paroles menaçantes à l'adresse de ceux qui à l'avenir voudraient, à l'exemple du duc de Guise, essayer de braver son pouvoir et d'exciter la révolte. Étant descendu ensuite dans l'appartement de sa mère, il répéta encore : Enfin je suis roy maintenant ; je n'ai plus de compagnon ; beau roy de Paris est mort !

La mort du Balafré est un des rares crimes dans lequel Catherine de Médicis n'ait pas trempé et qu'elle ait même condamnés : d'abord parce qu'elle espérait toujours que Guise favoriserait ses projets personnels, et ensuite parce qu'elle ne croyait pas que sa mort changeât beaucoup la face des événements.

Eh quoi ! mon fils, lui dit-elle, vous avez fait mourir le duc de Guise ! Savez-vous quelles seront les conséquences de cette mort ? Dieu veuille que vous ne deveniez pas bientôt roy de rien du tout ! C'est bien coupé, mais je ne sçay si vous saurez aussi bien recoudre...

Elle fut la première à lui conseiller de tâcher, maintenant qu'il avait fait mourir ce puissant sujet, de réunir tous les autre en mettant ordre promptement dans les villes que tenait le défunt, et surtout de prévenir lui-même le légat du pape pour apaiser autant que possible la colère de la cour de Rome.

Voulant aussi éviter que son fils ne fit encore répandre du sang inutilement elle lui demanda, pour les garder avec elle, le prince de Joinville et le jeune duc de Nemours : Je veux bien, Madame, répondit Henri III, en proie, à un sentiment de cruauté qui heureusement ne devait être que passager ; je vous donnerai leurs corps, mais je garderai leurs testes[23].

En traversant la galerie appelée Porche aux Bretons pour se rendre à la chapelle où il avait donné rendez-vous au nonce, Henri III eut encore l'occasion de faire entendre des paroles menaçantes contre plusieurs personnages appartenant à la Ligue ; mais comme il était incapable de suivre longtemps la même idée, bonne ou mauvaise, il est probable qu'en parlant ainsi il essayait de s'exciter lui-même pour avoir le courage d'aller jusqu'au bout.

Revol avait été chargé d'aller trouver le cardinal Morosini, légat du pape, et de lui expliquer dans tous leurs détails les raisons qui avaient déterminé le roi à faire périr le duc de Guise, et assurer en même temps Son Éminence que Sa Majesté n'en continuerait qu'avec plus de zèle à combattre les hérétiques. Le cardinal Morosini, qui cachait sous des dehors modestes et conciliants une grande habileté politique, ne crut pas devoir laisser éclater toute l'horreur que ce crime lui inspirait. Il se contenta de hocher la tête et d'écouter en silence ce que lui dit Revol. Quand le roi le vit à son tour, dans la chapelle du château, le légat romain garda le même silence prudent, ce qui fit croire que la mort du duc de Guise ne devait pas soulever grande colère à Rome, et que celle de son frère le cardinal y ferait encore moins d'effet.

Dans la journée du 23, le roi réunit son conseil intime pour savoir quel sort devait être réservé au cardinal de Guise et à l'archevêque de Lyon. Après une courte délibération, la mort du cardinal fut résolue, le roi et son conseil l'ayant jugé aussi redoutable que son frère, dont il voudrait venger la mort. Quant à l'archevêque, il dut sa grâce à l'intercession de son neveu le baron de Lux, et plus encore peut-être à l'espérance qu'il pourrait faire d'utiles révélations.

Les deux prélats, ainsi que nous l'avons dit, avaient été enfermés dans un galetas du château. Quand on leur porta du pain, du vin et des œufs de l'office du roi, ils demandèrent leurs bréviaires, leurs vêtements de nuit et un lit. Les gardes allèrent chercher ces objets dans la chambre de l'archevêque ; mais en guise de lit ils n'eurent qu'une paillasse et un matelas.

Après une journée passée dans la prière et s'être l'un par l'autre préparés à la mort, qu'ils attendaient à chaque instant ; le cardinal, vaincu par la fatigue, s'endormit vers minuit. Aux premiers rayons du jour, il s'était l'éveillé ; il lisait ses offices, avec l'archevêque, lorsque, à neuf heures du matin, le capitaine du Guast entra, et, après avoir fait une profonde révérence devant le  cardinal, il l'invita à le suivre de la part du roi. Moi seul, ou tous deux ? demande-t-il. Vous seul, Monseigneur, répond l'officier.

Alors, comprenant que leur heure est proche, et croyant qu'on va les faire mourir séparément, le cardinal et l'archevêque s'embrassent avec effusion et, s'étant prosternés l'un devant l'autre à tour de rôle, se donnent mutuellement une dernière absolution.

Ah ! Monseigneur ! souvenez-vous de Dieu, dit d'Espinac à Louis de Guise.

Et vous aussi, je vous en prie ! lui répond le frère du Balafré et la porte se referma sur lui.

Quand il fut dans le corridor obscur, il vit luire les pertuisanes de quatre soldats qui l'attendaient. Comprenant alors qu'il allait mourir là il demanda à du Guast de lui accorder le temps de recommander son âme à Dieu. Il leva les bras et les yeux vers le ciel, et quand il eut prononcé le verset In manus, il se couvrit le visage de sen manteau et dit à ses assassins : Exécutez votre mission.

Il tomba soudain sans proférer un cri ; ses bourreaux l'avaient massacré littéralement ; son corps était haché de coups !

Le cadavre du cardinal fut enseveli, comme celui de son frère, dans la chaux vive.

La nouvelle de la mort du Balafré arriva à Paris le 24 décembre. Pendant quatre à cinq jours la ville tout entière fut plongée dans un désespoir morne, profond, ne se traduisant que par des soupirs et des sanglots. Les hommes et les femmes s'abordent les yeux remplis de larmes, et se pressaient silencieusement les mains. On eût dit que le héros, que l'on pleurait touchait de prés à toutes les familles, et que sa mort mettait en deuil toutes les âmes et tous les cœurs. Mais à travers les paupières rouges de larmes on voyait briller dans les yeux des hommes des éclairs de haine farouche, implacable, dont le déchaînement furieux ne pourrait se faire longtemps attendre.

Pour ne pas être taxa d'exagération dans la description du spectacle qu'offrait Paris livré à sa douleur, et pour laisser à ce tableau toute sa couleur locale, nous ne saurions mieux faire que de reproduire une lettre de cette époque. Elle est datée de Paris, 31 janvier 1589, et nous la trouvons dans l'Histoire manuscrite de la maison de Guise, par Oudin (liv. III, ch. XLVI.)

Quant au deuil, qu'on porte en ceste ville de Paris, de la mort de monsieur de Guyse, il est si grand et si extresme qu'on ne le sauroit suffisamment exprimer. Car, sans parler des larmes et des regrets qu'on en jette universellement, je remarque trois choses qui tesmoignent ce deuil. La première, c'est que depuis la nouvelle reçue de sa mort on n'a cessé de faire des processions tous les jours, tanstost d'hommes, déjà de femmes et de petits enfants, conduites par des prestres, lesquelles commenceans en quelque église deçà les ponts, se vont rendre à Saincte-Geneviève tous nus pieds, et quelquefois se trouvent en telle procession jusques à quatre ou cinq mille personnes. La seconde est la réformation du luxe, qui est si grande que ceux qui ne la voient ne la peuvent croire, jusque-là que si une damoiselle estoit vue parée d'une fraise où d'un rabas un peu trop grand ou trop empesé, ou les manches de robbes trop découppées, les autres damoiselles se ruent sur elle et lui arrachent ou son collet ou luy déchirent sa robbe. Enfin on ne voioit lors quasi point de soye dans Paris, et la mort de ce prince avoit faict ce que tous les édits roïaux n'avoient peu, nonobstant toutes leurs menaces et les peines y contenues. La troisième, que jamais on ne fit pour aucun roy de France plus de deux services dans Paris : l'un à Saint-Germain-l'Auxerois, leur paroisse, et l'autre (qu'on appelle le service solennel) en l'église de Nostre-Dame ; et pour défunct M. de Guyse et le cardinal son frère, l'on en a dict en chacune paroisse de Paris, accompagné toujours de l'oraison funèbre, l'église estant toute tendue de deuil, toute tapissée d'armoiries, toute ardente de flambeaux, et ceinte de cierges, avec la chapelle ardente, et toute remplie d'un monde infini, qui paroît infiniment triste. Et l'escharpe verte des ligueurs fut changée en noir[24].

Les prières et les larmes ne tardent pas à se changer malheureusement en paroles d'imprécation contre le roi et en mesures énergiques, où respire la soif de la vengeance.

Dans les processions[25] dont parle la lettre ci dessus, hommes et femmes chantaient : Dieu éteigne la race des Valois ! sur les autels, des fanatiques ont placé des images en cire représentant Henri III le cœur percé de coups ; le premier président de Harlay, le président de Thou et plusieurs autres magistrats sont jetés à la Bastille ; le duc d'Aumale est nommé gouverneur de Paris et lève une armée, dont une partie doit aller au secours d'Orléans, qui tient toujours pour la Ligue, et enfin les théologiens de la Sorbonne, en réponse à une requête qui leur est adressée, décident que les Français sont déliés du serment de fidélité prêté au roi Henri III, et en conséquence qu'ils peuvent former des ligues, lever des armées et des impôts, pour la défense de la religion tous ces moyens étant très légitimes depuis que le roi Henri, au préjudice de la religion catholique et de l'édit de l'Union, a violé les lois de la liberté naturelle par les crimes qu'il a commis à Blois.

Dans toutes les églises, les prédicateurs célèbrent le martyre des princes lorrains, ces piliers de la religion et de foy, et Lincestre fait jurer au peuple de consacrer jusqu'à son dernier denier et la dernière goutte de son sang pour les venger. Jurez-le tous, s'écrit ce fougueux ligueur du haut de la chaire de Saint-Barthélemy ; jurez-le tous avec moi, et levez la main en signe de votre serment. Tous les assistants levèrent la main, à l'exception de da Harlay, assis à son banc d'œuvre (il fut arrêté un peu après). Levez la main, lui crie Lincestre, levez-la bien haut, monsieur le premier président, afin que tout le monde la voie[26].

Les écrits qui parurent à cette époque sur la mort du duc de Guise et du cardinal Louis, son frère, sont tellement nombreux, qu'il nous serait impossible de les tous citer. Voici pourtant les titres des principaux : le Martyre des deux frères, 1589, in-8° ; la Récompense du tyran de la France envers Guise, 1589 ; la Double Tragédie jouée à Blois les 23 et 24 décembre 1588, Paris, 1589, chez Fleurant et Monceaux ; Sermon funèbre pour l'anniversaire de Henry et de Louis de Lorraine, par le Bossu, 1590, in-8° ; la Guisiade, tragédie éditée à Lyon et qui eut un immense succès, etc. etc.

Les événements qui suivirent ces démonstrations de douleur, puis la naissance du fils posthume du Balafré[27] jusqu'au moment où Mayenne prit en main la direction des affaires de la Ligue, bien que se rattachant encore au drame sanglant dont le château de Blois venait d'être le théâtre, n'appartiennent déjà plus à l'histoire d'Henri de Lorraine, duc de Guise, et nous ne pourrions en parler sans sortir de notre cadre.

Il nous semble toutefois que cette histoire serait incomplète si nous ne jetions un rapide coup d'œil sur les luttes que Mayenne  et la Ligue soutinrent jusqu'au jour où Henri IV, obéissant aux inspirations de sa conscience et aux conseils de la raison, abjura encore une fois le protestantisme et revint pour toujours à la foi de ses ancêtres, assurait ainsi à son pays, qu'il relevait de ses' désastres, son unité et son unité politique, qui firent la gloire de son règne et lui méritèrent le titre de GRAND.

Nous avons raconté, sous toute réserve, l'entrevue de Mayenne et du colonel Ornano à Lyon ; il semble, en effet, que si le frère du Balafré avait agi en cette circonstance comme on l'a prétendu, Henri III aurait eu en lui bien plus un allié qu'un ennemi dont il avait hâte de se défaire. Il est donc permis de supposer que Mayenne ne tint au colonel corse que des propos insignifiants contre l'ambition de son frère, et que le reste du récit fut inventé par la cour afin de le légitimer autant que possible la vengeance du roi.

Ornano, le lendemain de la mort du Balafré, fut envoyé à Lyon, avec ordre, de la part du roi, de se saisir de Mayenne ; mais celui-ci, prévenu à temps par un commis que lui avait dépêché Mendoza, avait quitté précipitamment cette ville et s'était rendu dans son gouvernement de la Bourgogne, qui à sa voix se souleva tout entière, ainsi que la Champagne. Le 15 février, il revint dans Paris, où il fut accueilli comme un libérateur et proclamé chef de la Ligue à la place de son frère. Par son action vigoureuse et prudente tout à la fois, et avec l'aide des échevins et des conseillers au parlement, un gouvernement régulier est institué ; ce gouvernement, où dominent l'élément bourgeois et les Seize, prend le titre de Conseil général de l'Union, et c'est à lui qu'en échoit la résidence. Ses premiers actes sont de diminuer les taillés qui pèsent si lourdement sur le peuple de convoquer les états généraux pour le 15 juillet suivant, enfin d'organiser une armée capable de tenir sérieusement la campagne et de mettre Paris en communication directe avec la province.

Henri III, qui avait voulu faire arrêter Mayenne, lui réservant peut-être le même sort qu'à son frère, ne songeait plus maintenant qu'à négocier avec lui et à le 'désarmer, en lui faisant, par l'entremise du légat du pape, les offres les plus séduisantes. Mais Mayenne ne voulait se prêter à aucune transaction. Jamais, dit-il, je ne pardonnerai à ce misérable. Quand il se vit si rudement repoussé de ce côté ; le roi écouta alors les conseils du maréchal d'Aumont, de de Louvré ; de d'O et du duc d'Épernon, qui était revenu à la cour, et se tourna vers Henri de Navarre.

L'entrevue d'Henri III et du Béarnais qui eut lieu dans le jardin de Plessiz-les-Tours, le e amena l'alliance des royalistes et des huguenots. Mayenne, bien qu'inférieur en forces aux deux armées coalisées, descendit résolument dans le bassin de la Loire, et vint attaquer le roi jusque dans les faubourgs de la ville de l'ours. Partout où il donnait de sa personne, l'armée catholique luttait avec des avantages marqués ; mais son cousin d'Aumale s'étant fait battre le 30 mai sous les murs de Senlis, Mayenne se vit dans l'obligation de rallier son armée pour défendre Paris.

Cette retraite précipitée laissa le roi et Bourbon maîtres de toute la Loire ; de nombreux secours arrivèrent en même temps aux alliés, si bien qu'en peu de temps les catholiques se virent attaqués sous les murs de Paris par une armée.de quarante-deux mille hommes, tandis que Mayenne n'en avait guère que huit mille à leur opposer.

Henri III était à Saint-Cloud, et l'assaut de la ville devait avoir lieu le 2 août. Le 1er, à son lever, le roi est informé qu'un moine, porteur de lettres de recommandation, désire lui parler, ayant de graves communications à lui faire. Le moine est introduit près du roi c'était Jacques Clément. Pendant qu'Henri III lit les lettres qui viennent de lui être remises, ce fanatique, encouragé, dit-on, par les Seize et surtout par la duchesse de Montpensier, lui plonge son poignard dans le ventre.

Henri III pousse un cri de douleur, et, arrachant lui-même le poignard de sa blessure, en frappe l'assassin au visage. Au cri du roi, gardes et gentilshommes sont accourus, et dans leur fureur massacrent l'assassin sous les yeux de sa victime.

L'imagination recule épouvantée devant cette effroyable série crimes !

On put croire un moment que la blessure du roi ne serait pas mortelle ; mais le mal fit de si rapides progrès, que tout espoir s'évanouit aussitôt.

Le pape venait de lancer un monitoire menaçant Henri III d'excommunication si dans soixante jours il n'avait pas relâché les prélats qu'il tenait prisonniers, et s'il ne faisait pas pénitence de la mort du cardinal de Guise. En voyant approcher ses derniers moments, il manifesta un sincère repentir de ses fautes, dont il fit humblement l'aveu, et, après avoir obtenu l'absolution des censures lancées contre lui par le Saint-Père, il communia en présence de toute sa cour, rangée autour de sa chambre

Quand il eut ainsi mis sa conscience en repos, le dernier survivant des fils de Catherine de Médicis[28] appela auprès de lui le Béarnais et le présenta aux gentilshommes, capitaines et seigneurs assemblés, comme le légitime héritier de la couronne, disant que la différence de religion ne devait pas être un obstacle, parce que ce prince était trop loyal et trop franc pour ne pas ouvrir tôt ou tard les yeux à la vérité et revenir à l'Église. Après avoir longuement embrassé son beau-frère, il lui dit : Soyez certain que vous ne serez jamais roi de France Si vous ne vous faites pas catholique.

Henri III eut la consolation, avant de mourir, de voir répandre autour de lui des larmes sincères ; car, c'est justice à lui rendre, ce prince, si versatile en politique, toujours faible, inquiet et soupçonneux, avait des amitiés profondes, d'une inaltérable fidélité. Sa mère avait corrompu ses mœurs et faussé son intelligence ; mais son cœur était resté bon malgré tout. Henri IV, que nul ne pourra accuser d'hypocrisie, laissa éclater de douloureux sanglots devant le corps inanimé du dernier des Valois.

La mort d'Henri III (2 août 1589) fut célébrée comme un triomphe par la faction des Seize, et la duchesse de Montpensier laissa éclater, à cette occasion, une joie indécente que la douleur d'avoir perdu ses frères ne saurait même excuser. Je ne suis marrie que d'une chose, disait-elle, c'est qu'il n'ait sceu avant de mourir que c'est moi qui l'ay fait faire[29].

A la mort d'Henri III, le Béarnais, que désormais nous appellerons Henri IV, eut la douleur de voir bon nombre de seigneurs catholiques se séparer de lui, ne voulant pas reconnaître un hérétique pour leur roi. Vainement Conti, Nevers, Longueville et plusieurs seigneurs ralliés présentèrent-ils une proposition que le roi signa et par laquelle s'engageait à maintenir la religion catholique, à se faire instruire de ses dogmes, à assembler les états dans six mois et à rendre au clergé tous les biens que les protestants lui avaient enlevés. Les Suisses de Nançay ayant fait leur soumission, le gros de l'armée catholique resta fidèle à leur exemple ; mais d'Épernon se retira, sous prétexte d'affaires de famille, et emmena avec lui les sept mille hommes qu'il avait levés. Un grand nombre de catholiques le suivirent peu après.

Pendant ce temps Mayenne organisait dans Paris une résistance énergique et levait, tant en province que dans la Capitale ; une armée nouvelle avec les fonds que Philippe II lui faisait parvenir par Mendoza. A la mort d'Henri III, il aurait pu se faire proclamer roi ; mais il n'était pas ambitieux. Au lieu de s'emparer de la couronne, que nul de sa famille n'était en situation de lui disputer, il en disposa en faveur du cardinal de Bourbon, prisonnier d'Henri IV, et le fit reconnaître roi sous le nom de Charles X (août 1569) ; quant à lui, il prit le titre de lieutenant général du royaume.

Henri IV, n'étant plus en force pour s'emparer de la capitale, leva le siège et divisa son armée en trois corps : le premier, sous le commandement de Longueville ; alla en Picardie pour s'opposer aux Espagnols ; le second fut conduit en Champagne par le maréchal d'Aumont ; et le troisième, dont il se réserva le commandement, passa en Normandie pour aller à la rencontre des secours attendus d'Angleterre.

Mayenne se mit à la poursuite du roi, et le rejoignit près de Dieppe, au mois de septembre. Après une série de combats opiniâtres et un siège de près d'un mois, au dire des historiens de l'époque et des capitaines des deux armées, Henri IV et Mayenne firent des prodiges d'habileté stratégique et d'audace, les catholiques attaquèrent (16 octobre) le village d'Arques, dans lequel les royalistes s'étaient fortifiés. Henri IV était cerné de toutes parts et allait être pris ou tué, lorsqu'il s'écria : Il n'y a donc pas cinquante gentilshommes pour mourir avec le roi !Oui, Sire, lui répondit Châtillon, fils aîné de Coligny, nous voici prêts à mourir avec vous. Le roi, Châtillon et quelques gentilshommes chargent alors avec tant de fureur, que les catholiques furent obligés de battre en retraite. C'est après cette bataillé qu'Henri IV écrivit à Crillon ce billet si connu : Pends-toi, brave Crillon, nous nous sommes battus à Arques, et tu n'y étais pas. Adieu, brave Crillon, je t'aime à tort, à travers.

Mayenne, après le combat d'Arques, ne tarda pas à lever le camp de devant Dieppe, et passa à Amiens pour solliciter des secours du duc de Parme. A peine l'armée catholique se fut-elle dirigée vers la frontière de Flandre, qu'Henri, ayant reçu les renforts qu'il attendait d'Angleterre, revint devant Paris. Dans son trajet il avait été rejoint par toutes les forces qu'il avait en Picardie et en Champagne, ce cinq mille Anglais et aux huit mille hommes qu'il avait précédemment, le mettait à la tête d'une armée assez nombreuse pour tenter un coup de main avec chance de réussite. Mais après un combat de faubourgs, où les Parisiens furent repoussés, il est vrai, l'armée royale vit bientôt obligée de lever de nouveau le siège à cause de Mayenne, qui arrivait encore une fois au secours de la capitale.

Le roi se rendit à Tours, où les états généraux devaient être assemblés ; mais la situation du royaume ne permit pas aux députés de se réunir.

L'hiver se passa en négociations infructueuses, bien entre Mayenne et Henri IV qu'entre le légat du pape, les ambassadeurs du roi d'Espagne, le duc de Lorraine, les Seize, les seigneurs de la Ligue, le duc de Savoie, et tous ceux enfin qui avaient un intérêt quelconque à ce que l'accord ne se fît pas, ou qui espéraient se faire acheter chèrement par un parti ou par l'autre.

Pendant ces négociations, les seuls peut-être qui firent acte de patriotisme éclairé et sincère furent Henri IV et, Mayenne. Malgré les suggestions dont il était l'objet de la part des Seize, des seigneurs catholiques et de sa sœur la duchesse de Montpensier, Mayenne ne voulut pas consentir à être proclamé roi, et lutta énergiquement contre Philippe II, contre le duc de Savoie et contre son cousin le duc de Lorraine pour empêcher ces puissants alliés, qui tous trois prétendaient avoir des droits à la couronne, non seulement de s'emparer de la France, comme ils l'auraient voulu, mais encore d'en distraire une partie, si faible qu'elle fût. Henri IV, de son côté, ne voulait se prêter à aucune spoliation.

Cependant, au commencement du printemps, Mayenne, apprenant que le roi revenait vers Paris, résolut de marcher à sa rencontre ; les deux armées se trouvèrent en présence, le 13 mars 1590, dans les plaines d'Ivry, situées entre l'Eure et l'Iton. Le combat commença le 14 au matin. Les péripéties de cette bataille et les paroles d'Henri IV sur son panache blanc sont trop, connues pour que nous les rapportions ici. Le roi ne voulut appeler cette bataille que la journée du Tout-Puissant, et reconnut lui-même que si Mayenne avait été vaincu, c'est qu'il n'avait pas le bon droit pour lui, car il n'avait aucune faute à se reprocher.

La bataille d'Ivry fut désastreuse pour la Ligue, qui perdait une armée difficile à remplacer,- tandis que le roi, consacrant son droit par la victoire, ralliait à sa cause les villes et les gentilshommes qui jusques là n'avaient pas osé se prononcer ouvertement en sa faveur.

Sans perdre courage, Mayenne revint à Paris, exhorta les citoyens à la résistance, et passa dans les Flandres pour solliciter encore des troupes du duc de Parme.

Le roi, qui le suivait de près, espérait surprendre la capitale lui fallût entamer encore un siège, qui fut soutenu avec une remarquable énergie. Le 17 juin, avec un millier d'hommes seulement, Mayenne, revenant des Flandres put faire entrer un convoi de vivres dans la ville affamée ; le 23, les renforts qu'il attendait lui étant parvenus, il rompit les lignes du siège, et le 30, Paris était complètement débloqué et ravitaillé.

Après s'être vu encore dans l'obligation de s'éloigner de Paris, Henri IV, las et découragé, passe l'hiver sans rien entreprendre. Au mois d'avril 1591, il s'empare cependant de Chartres, que l'on considérait comme le grenier de la capitale ; mais en même temps Mayenne se rend maitre de Château-Thierry.

De part et d'autre, on ne se dissimule plus le désir que à de faire la paix. Mayenne surtout, qui veut à tout prix éviter un démembrement de sa patrie incliné pour un accommodement avec Henri IV. Le chef de la Ligue exige que le roi abjure immédiatement le protestantisme ; Henri, qui ne veut pas paraître céder à la violence et désire que sa conversion ait toutes les garanties de sincérité, ne veut promettre que de se faire instruire. Étant. toms deux de bonne foi, l'accord se serait peut-être fait, lorsque les Seize obtinrent de Grégoire XIV une bulle renouvelant l'excommunication lancée contre Henri IV. Mayenne essaye de retarder la publication de cette bulle ; mais il a la main forcée par les Seize et par l'Espagne, et la bulle est publiée (mai et juin 1591.).

Le roi répondit à cette par un édit plein de modération dans lequel il renouvelait la promesse de se faire instruire ; il taxa la conduite du pape de précipitation, et celle du nonce d'imprudence.

Mais la parlements de Tours et de Châlons lancèrent un arrêt condamnant les bulles papales à être brûlées par la main du bourreau, et déclarèrent coupables du crime de lèse7-majesté tous ceux qui les publieraient ou y souscriraient.

Tandis que le parti royaliste était fortement uni sous l'autorité absolue du roi, celui de la Ligue se désagrégeait chaque jour. En vue de la réunion, toujours annoncée et toujours reculée, des flats généraux, les Seize rédigèrent des instructions d'après lesquelles, en élisant un roi, les états devaient établir comme loi fondamentale du royaume que tout hérétique, prince, seigneur ou autre, serait brûlé vif, et que le nouveau roi serait tenu, d'accord avec les autres princes catholiques, de guerroyer à feu et à sang contre tout prince hérétique. Mayenne, qui avait introduit parmi les Seize quelques hommes sages et modérés, fut prié de les révoquer, et de mettre à leur. place des ligueurs dont le fanatisme fût à la hauteur de la majorité de ce conseil ; en même temps il était, sommé de prendre l'initiative d'une politique plus énergique.

Sur ces entrefaites le jeune duc de Guise, fils du Balafré s'étant évadé du château de Tours, la Ligue mit sa candidature à la couronne en avant. Les Seize étaient complètement livrés à Philippe II, qui voulait placer sa fille sur le trône de France en lui donnant pour époux le duc de Guise. Mayenne fut assez habile et assez-heureux pour déjouer cette intrigue antinationale. Dès lors l'antagonisme qui couvait sourdement entre le lieutenant général et la faction démocratique de la Ligue éclata brutalement.

Le fanatisme farouche dont une partie de la populace de Paris était animée, lui faisant perdre tout sentiment de patriotisme, l'entraînait jusqu'à accepter sans frémir l'idée de livrer complètement la France à l'Espagnol, de même que les fanatiques luthériens l'auraient livrée à l'Anglais et à l'Allemand. si Henri IV n'avait été là pour mettre un frein à leurs passions. Mayenne, plus patriote, sans cesser d'être bon catholique, soutenu, du reste par la majorité des habitants de la capitale, par la noblesse et par la population des provinces, ne voulait se servir de l'Espagne que comme d'une alliée qui l'aidait à combattre l'hérésie. Mais jamais il n'eût consenti à faire de sa patrie une province espagnole comme les Flandres et le Portugal.

Dans leur exaltation farouche, les Seize, après avoir fait entendre contre le frère du Balafré les accusations les plus ridicules, se laissèrent aller aux plus criminelles extrémités. Déjà ils ne parlaient de rien moins que d'une nouvelle Saint-Barthélemy contre les catholiques modérés, au nombre desquels il fait citer Gondi, l'évêque de Paris, qui fut obligé de sortir de la capitale. Mais le premier président Brisson, Larcher et Tardif furent pendus sur un arrêt rendu par un tribunal dérisoire, qui jugea sans preuves et sans témoins (15 novembre 1591).

Les princesses, épouvantées, écrivirent à Mayenne qui revint de Laon précipitamment (28 novembre) pour arrêter cette fureur. Les Seize voulurent lui résister ; mais ils se virent obligés de se rendre ou de s'enfuir, et, le 14 décembre, quatre des plus fougueux, Auroux Aimonnot, Améline et Louchart, furent pendus.

Le triomphe des modérés prépara celui des royalistes, et les négociations reprirent entre Mayenne et Henri IV par l'entremise du président Jeannin. Voici les conditions que le frère du Balafré voulait imposer au roi : abjuration immédiate et conservation pendant six ans de toutes les places que la Ligue possédait en ce moment. Mayenne demandait pour lui le titre de grand connétable ou celui de lieutenant général du royaume ; le gouvernement de la Bourgogne et du Lyonnais pour sa famille et à titre héréditaire ; celui de la Champagne pour son neveu le duc de Guise ; la Bretagne pour Mercœur ; le Languedoc pour Joyeuse ; la Picardie pour d'Aumale ; enfin conservation, pour tous les ligueurs, des emplois et gouvernements dont ils étaient nantis. Ces conditions, vraiment exorbitantes, furent énergiquement repoussées par le roi, tandis qu'elles excitaient contre Mayenne l'indignation de l'Espagne et de quelques ligueurs fanatiques ne voulant pas tendre parler d'accommodement.

Une année se passa en guerres d'escarmouches, où Henri IV, combattant contre le duc de Parme, qui était entré en France, commit par excès d'audace des fautes qui auraient pu lui faire perdre la couronne et la vie si son adversaire n'en avait commis de plus grandes par excès de prudence.

Enfin on songea sérieusement cette fois à réunir les états généraux, et Mayenne usa de toute son influence pour qu'ils ne fussent composés que d'hommes aussi soucieux du bien de la nation que de la conservation, de la foi. C'est dans ce sens que, le 23 janvier 1593 lança un manifeste où, tout en maintenant la religion catholique, il ne repoussait pas l'idée d'une réconciliation possible. avec Henri IV. Cette nuance fut parfaitement saisie dans le camp royaliste et dans les assemblées où dominait l'élément espagnol. Mendoza, le duc de Feria, Taxis et d'Ibarra, ministres de Philippe II, eurent même à ce sujet, à Soissons, une vive altercation avec Mayenne. En casuistes habiles, les envoyés espagnols disaient que, les Bourbons étant déchus de leurs droits, à la couronne pour cause d'hérésie la loi salique se trouvant par ce fait abrogée, l'héritière légitime. devait être la fille de leur maître, comme étant la plus proche parente dû 'dernier roi. Allez, leur dit Mayenne, vous ne connaissez pas les Français. Si vous croyez les conduire comme les peuples ignorants de l'Inde, volis êtes loin de votre compte. — Nous vous montrerons, dit Mendoza, que nous n'avons pas besoin de vous pour faire donner la couronne à l'infante. — Et moi, répliqua le duc avec une noble fierté, je n'ai qu'à parler pour soulever la France contre vous ; je ne veux que huit jours pour vous chasser du royaume. Ne croyez pas avoir droit ici de me donner des lois comme à votre sujet : je ne le suis pas encore, et votre manière d'agir m'est un avis pour ne le devenir jamais.

Les états, réunis à Paris le 26 janvier 1593, avaient pour mission principale d'élire un roi catholique : Mayenne les harangua dans ce sens ; mais le duc de Feria ayant été admis à y prendre aussi la parole, sa présence seule eût suffi pour froisser la susceptibilité nationale de tous les députés, sison discours, qu'il s'efforça vainement de rendre modéré, n'avait blessé tout le monde par l'éloge excessif qu'il fit de sa patrie.

La lutte était principalement soutenue par Renaud de Beaune de Semblançay, archevêque de Bourges, qui tenait pour Henri IV, persuadé que ce prince reviendrait au catholicisme, et par Pierre d'Espinac, archevêque de Lyon, qui tenait pour la Ligue. Ces deux éminents prélats, aussi célèbres par leur vaste érudition que par leur éloquence, portèrent le débat aux points les plus élevés de la politique et de la philosophie, et, chose digne d'être mentionnée, sans jamais s'écarter des bornes de la modération et sans soulever la moindre protestation de la part de leurs  auditeurs, qui les écoutaient, au contraire, avec une respectueuse attention.

Cependant, les députés ne pouvaient se résoudre à prendre une décision, Mayenne ayant ruiné à jamais les espérances de Philippe II en faisant rendre par le parlement un arrêté d'après lequel les états ne pouvaient, sans violer les lois fondamentales du royaume, transférer la couronne à un prince ou à une princesse d'origine étrangère..

A la cour du roi, on n'ignorait rien de ce qui se passait dans les états. La plupart des conseillers du Béarnais, bien que, calvinistes, et comprenant que le seul obstacle à surmonter par le roi pour arriver au trône venait de la différence de religion, étaient d'avis qu'il devait se convertir au catholicisme. Rosni lui-même le lui conseillait fortement. Enfin, Henri ayant demandé à quelques ministres protestants zélés s'il pourrait faire son salut dans la religion catholique, et ces ministres lui ayant répondu. par l'affirmative, Il s'abandonna à du Perron, homme aimable et instruit, qui en peu de temps dissipa tous ses doutes et éclaira son esprit.

Les affaires n'en restaient pas moins stationnaires lorsque, dans une réunion de députés tenue à Suresnes le 19 mai 1593, tandis que les ligueurs insistaient pour l'élection. d'un roi catholique, l'archevêque de Bourges arrêta net la discussion en lisant une lettre du roi annonçant. la résolution avait pris d'abjurer le protestantisme et de revenir à la religion de ses ancêtres, invitant les théologiens et les évêques à concourir à cette bonne œuvre.

Cette déclaration formelle, tombant comme un coup de foudre sur la tête des Espagnols et de la faction, des Seize, réjouit le cœur de tous les bons catholiques. Il y eut bien encore quelques tentatives de résistance ; les députés de la Ligue objectèrent, par exemple, que, cette résolution n'ayant pas été prévue, ils manquaient d'instructions pour traiter avec le roi ; mais, le 23 juillet, Henri IV ayant définitivement abjuré, le 31 il signa une trêve avec la Ligue, et le 8 août les états généraux se séparèrent. Enfin, le 3 janvier 1594 le parlement de Paris rendit un arrêt en faveur d'Henri IV, et ordonna à Mayenne de traiter avec lui.

Dès lors la Ligue n'avait plus sa raison d'être, et ceux qui continuaient à en faire partie n'étaient plus que des rebelles et des factieux ; c'est ce que comprit Brissac, gouverneur de Paris. Aussi ce capitaine s'empressa-t-il d'ouvrir au roi les portes de sa capitale (22 mars).

L'entrée d'Henri IV a été écrite, chantée et célébrée si souvent, qu'il est inutile de rappeler dans cette esquisse rapide l'enthousiasme que laissa éclater à sa vue cette population en délire accourue au-devant de ses pas.

Mayenne, dont la conduite devient inexplicable, au lieu de se soumettre comme il l'aurait dû, essaya encore une résistance désormais sans but et sans excuse. Après avoir mis sa famille en sûreté dans la ville de Laon, il passa dans les Pays- Bas où l'archiduc Ernest[30] fut sur le point de le faire arrêter comme traître envers la religion. Mais l'Espagne ayant encore besoin de lui, et espérant par son concours entretenir la guerre civile en France, il lui fut remis quelques troupes avec lesquelles il essaya de débloquer Laon, assiégé par le maréchal de Biron. Il n'y put parvenir, et la place capitula le 22 juillet.

Pendant un an il lutta encore, non sans doute avec l'espoir de vaincre, mais par orgueil et par entêtement ; car sa position était des plus critiques ; il avait à se méfier des Espagnols et n'était plus soutenu par aucun des membres de sa famille, tous s'étant empressés de faire leur soumission.

Enfin des négociations sont entamées entre ce prince rebelle et le roi, et, au mois de janvier 1596, il est signé entre eux un traité qui met fin à la Ligue. Par ce traité, Mayenne obtient pour six ans trois places de sûreté : Soissons, Châlons et Seurre ; tous ses actes sont validés ; ses partisans conservent les charges qu'ils tiennent de lui ; ses parents sont déclarés innocents de la mort d'Henri III ; les bannis peuvent rentrer dans leur patrie. Le roi acquitte, jusqu'à concurrence de trois cent cinquante mille écus, les dettes contractées par Mayenne, et paye aux reîtres, lansquenets et Suisses, les sommes qui leur sont dues. Un article secret donne la charge de grand chambellan et le gouvernement de l'Île-de-France, moins Paris, au fils du duc, mais à la condition qu'il renoncera au gouvernement de la Bourgogne.

Quelques jours après (31 janvier), le roi et Mayenne eurent une entrevue chez Gabrielle d'Estrées, dans le parc de Monceaux. Henri IV prit son cousin sous le bras, et lui fit faire au pas de course une longue excursion. Comme Mayenne était très gros, cette marche rapide le fatiguait horriblement. Quand le roi vit que son compagnon ne pouvait plus le suivre, il s'arrêta, et lui dit en riant : Voilà cousin, la seule vengeance que j'ay voulu tirer de vous : embrassons-nous maintenant, et gué tout soit oublié.

A partir de ce jour, Mayenne devint un sujet aussi fidèle que dévoué, et il donna une dernière preuve de son patriotisme en combattant, sous les yeux du roi, à Amiens (1597), pour chasser les Espagnols du territoire, tandis que la plupart des seigneurs calvinistes boudaient dans leurs terres ou essayaient de susciter de nouvelles guerres civiles.

Voici le parallèle que d'Aubigné fait entre le frère du Balafré et Henri IV.

Le duc de Mayenne avait une probité humaine, une facilité et une libéralité qui le rendoient très agréable aux siens. C'étoit un esprit judicieux, qui mesuroit tout à la raison ; un courage plus ferme que gaillard, et en tout se pouvoit dire un capitaine excellent. Le roi avoit toutes ces choses, hormis la libéralité... Le duc de Mayenne étoit incommodé d'une grande masse de corps, qui ne pouvoit supporter ni les armes ni les corvées ; l'autre,' ayant mis les siens sur les dents, faisoit chercher des chiens et des chevaux pour commencer une chasse...

De son mariage avec Henriette de Savoie, Mayenne eut quatre enfants Henri de Lorraine, duc d'Aiguillon, qui succéda aux titres et dignités de son père ; Charles-Emmanuel, comte de Sommerive, qui mourut à Naples en 1609 ; Catherine et Renée de Lorraine.

Le duc d'Aiguillon, plus tard duc de Mayenne, joua un rôle considérable à la cour, surtout sous la régence de Marie de Médicis. Ayant suivi Louis XIII dans l'expédition que fit ce monarque contre les protestants, il fut tué au siège de Montauban (1621), et n'eut pas de postérité.

La nouvelle de sa mort causa d'immenses regrets dans Paris, et donna lieu, contre les protestants de la capitale, à des manifestations qui rappelèrent la Ligue.

Il nous reste à dire maintenant comment disparut la race des Guises.

François de Lorraine, dit le Grand, second duc de Guise, avait eu de son mariage avec Anne d'Este, plus tard duchesse de Nemours, six fils, dont trois qui moururent en bas fige ; les trois autres furent Henri, prince de Joinville ; Charles, marquis, puis duc de Mayenne, et Louis, cardinal de Guise. Il eut aussi une fille, qui épousa le duc de Montpensier, et dont la vie orageuse appartiendrait plutôt à la chronique qu'à l'histoire si elle n'avait été mêlée de trop près au derniers événements du règne d'Henri III.

A l'avènement d'Henri IV, Mayenne était le seul survivant des fils de Guise le Grand, et nous savons comment les deux autres étaient morts sous le poignard des quarante-cinq.

Henri de Lorraine, troisième duc de Guise, surnommé le BALAFRÉ, qui épousa Catherine de Clèves, eut quatorze enfants, dont sept fils. Quatre de ses fils n'ont laissé ni postérité ni trace dans l'histoire. Les trois autres sont : Charles, prince de Joinville, qui naquit le 20 août 1571 ; Louis, cardinal de Guise, et Claude, duc de Chevreuse. Une de ses filles épousa le prince de Conti, et fut, dit-on, l'auteur des Amours du grand Alexandre.

Charles de Lorraine, quatrième duc de Guise, prince de Joinville, pair de France, grand chambellan, amiral des mers du Levant, gouverneur de Champagne et de Provence, avait dix-sept ans et quatre mois quand son père et son oncle furent assassinés à Blois.

Enfermé dans le château de Tours, dont on a fait depuis une caserne qui porte encore aujourd'hui le nom de Guise, il essaya plusieurs fois inutilement de s'évader. Enfin, en 1591, il put mettre son projet à exécution en descendant de la fenêtre de sa prison pour rejoindre une barque qui l'attendait au pied de la tour, où venaient battre les flots de la Loire.

La nouvelle de son évasion jeta un moment la consternation dans le camp des royalistes ; mais Henri IV n'en fut pas longtemps affecté, disant que plus la Ligue aurait de chefs, moins elle serait redoutable. Il avait raison ; mais il n'aurait pas fallu pour lui que ce quatrième duc de Guise possédât le génie politique et militaire dont son père et son grand-père avaient fait preuve à son âge, car alors la Ligue n'eût plus eu qu'un chef, et ce chef eût été pour ses adversaires autrement redoutable que Mayenne.

Les ligueurs pensèrent un moment à le faire nommer roi de France en lui faisant épouser la fille de Philippe II ; nous avons dit que son oncle fit avorter ce projet, et ce fut la dernière tentative d'usurpation imaginée et poursuivie par ces superbes ambitieux. Après avoir combattu comme son oncle tant qu'Henri IV n'abjura pas, le jeune Guise eut le bon sens et le patriotisme de faire sa soumission complète et absolue (1594) aussitôt que son roi légitime fut retourné à la religion de sa patrie et de ses ancêtres. Dès ce jour il le servit loyalement. Ce fut même lui qui ramena Marseille à la soumission, et qui contraignit d'Épernon à mettre bas les armes.

En 1611, il épousa la fille d'Henri de Joyeuse, considérée comme un des plus riches et des plus beaux partis de France. Bien qu'il ne remplit plus qu'un rôle politique secondaire, le prestige de son, nom était si grand, que son mariage rencontra de vives oppositions à la cour ; car on craignait que les avantages qu'il retirait de cette union ne lui permissent de soulever l'État comme son père l'avait fait.

Après la mort d'Henri IV, la cour de Marie de Médicis devint un foyer d'intrigues dont l'amour et l'ambition faisaient tous les frais. Les princes de Condé, de Conti, de Soissons, les Guises, d'Épernon et le marquis d'Ancre se disputaient les faveurs de la reine et les économies que le feu roi avait faites. Le chevalier de Guise, Alexandre-Paris, fils posthume du Balafré, était aussi célèbre à cette cour par ses aventures galantes que par ses duels. Ce fut lui qui tua le baron de Luz dans la rue Saint-Honoré, et ;peu de temps après, le fils de ce dernier, qui le provoqua pour venger son père. Cette audace, chez un jeune homme de vingt-deux ans, fit trembler le marquis d'Ancre, qui jugea prudent de s'attirer les Guises en faisant donner au duc cent mille écus, et au chevalier son frère la lieutenance générale de la Provence.

Le chevalier Paris de Lorraine mourut peu après (juin 1613), des éclats d'une pièce d'artillerie qu'il avait trop chargée et à laquelle il voulut lui-même mettre le feu.

En 1615, Condé était à la tête des mécontents, qui exigeaient l'exil du favori. Pendant le voyage que fit le roi pour aller au-devant de l'infante d'Espagne, Anne d'Autriche, Guise eut l'honneur de protéger la marche de Sa Majesté de Bordeaux à Châtellerault, et ce fut lui aussi qui épousa par procuration, à Burgos, cette jeune et belle princesse.

Sept ans plus tard (1622), dans la campagne que fit le roi contre les rebelles avec la flotte qu'il commandait, Guise eut la gloire de battre l'escadre rochelaise. Le feu ayant pris au vaisseau qu'il montait, la Rochefoucauld vint lui dire : Ah ! Monsieur, nous brûlons. — Tourne ! tourne ! cria Guise au pilote ; autant vaut être rôti que bouilli.

On sait que les Guises ne cédaient pas facilement sur les questions de préséance. Le fils du Balafré eut à ce sujet un différend avec Richelieu ; mais les temps étaient passés où les princes de Lorraine faisaient tout plier devant leurs volontés ; cette fois ce fut le ministre qui l'emporta, et Guise quitta l'armée, sous prétexte d'accomplir un vœu en Italie.

Ce prince, qui mourut en 1640, était aussi laid que son père était beau ; il n'avait pas non plus de bien grands talents militaires ; mais il était, bon, loyal, brave, fidèle, et libéral jusqu'à la prodigalité. Pourquoi ne le dirions-nous pas ? il était épouvantablement menteur... Il mentait tellement et si bien, qu'il finissait presque toujours par croire lui-même à ses mensonges.

Charles Ier de Lorraine, quatrième. duc de Guise, eut plusieurs enfants ; les plus célèbres furent Henri II, cinquième duc de Guise, prince de Joinville et comte d'Eu, qui naquit à Blois le 4 avril 1614 ; Roger, chevalier de Malte, et Louis, duc de Joyeuse.

Henri II était destiné à entrer dans les ordres ; à quinze ans il se trouvait à la tête de nombreuses abbayes, et était même nommé archevêque de Reims, lorsque la mort de son aîné lui ouvrit une carrière plus en rapport avec ses mœurs et avec son caractère. Il débuta dans la vie politique en se incitant à la tête des mécontents, et en épousant la cause du comte de Soissons contre Richelieu. Obligé pour ce fait de s'exiler, il passa dans les Pays-Bas, où il épousa Honorée de Berghes, veuve du comte de Bossu, dont il eut bientôt dissipé presque toute la fortune. Un an après, il apprit qu'il avait été condamné à mort, exécuté en effigie, et dépouillé de tous ses biens. La mort de Louis XIII (1643) lui permit de rentrer dans sa patrie, et la régente le réintégra dans sa fortune. Brave et brillant cavalier, il eut à la cour de grands succès et toutes sortes d'aventures. A propos d'une rivalité entre la duchesse de Longueville, sœur du grand Condé, et Mme de Montbazon, Coligny, petit-fils de l'amiral, chevalier de la duchesse de Longueville, ayant pour tenant d'Estrades, provoqua le duc de Guise, qui, on n'a jamais bien su pourquoi, se trouva dans cette affaire le champion de la Montbazon, avec de Bridieu pour second.

Le duel eut lieu en plein cœur de Paris, sur la place Royale. Quand les deux adversaires se trouvèrent en présence, l'épée nue à la main, Guise dit à Châtillon : Nous allons vider de vieilles querelles de famille ; voyons la différence que l'on doit faire entre le sang des Guises et celui des Coligny. Dès le premier engagement, la supériorité de Guise sur son adversaire était si incontestable, que l'issue du combat ne pouvait être douteuse. Guise fit sauter l'épée de Coligny et le blessa au bras. Il eût pu le tuer, comme le permettaient alors les règles du duel ; il se contenta de lui donner un coup du plat de son épée, puis il sépara d'Estrades et de Bridieu, qui, bien que grièvement blessés, continuaient la lutte avec acharnement. Le petit-fils du célèbre amiral mourut peu de temps après, non des suites de sa blessure, comme on l'a cru, mais d'une maladie dont il souffrait et qu'aggrava encore l'humiliation de sa défaite.

Guise était alors éperdument épris d'une demoiselle d'honneur de la reine, Mlle de Pons, qu'il voulait épouser, et qu'il compromettait par toutes sortes d'extravagances. Il partit cependant pour l'armée, fit la campagne de 1644-45, et s'y distingua par un courage poussé aux extrêmes limites de l'audace et de la témérité.

Revenu à la cour, plus amoureux que jamais de Mlle de Pons, il part pour Rome afin de faire annuler son mariage avec Honorée de Berghes ; mais, étant déçu dans ses espérances, il s'apprêtait, sur la prière de Mlle de Pons, à retourner a Paris, lorsque des mariniers napolitains lui apprennent qu'à la voix de Masaniello le peuple de Naples s'est soulevé et a chassé les Espagnols. Se rappelant alors les prétentions de sa famille à l'héritage de la maison d'Anjou, dont le royaume de Naples fait partie, il instruit la cour de France de ses projets de conquête, et, ayant reçu une réponse encourageante, il quitte Rome le 13 décembre 1647.

Son armée de débarquement, sa flotte, ses munitions de guerre, l'or qu'il lui faut pour une telle entreprise sont prêts. L'armée de ce conquérant est de vingt-deux hommes ; sa flotte, une felouque ; ses munitions de guerre, deux ou trois barils de poudre ; ses fonds, quelques milliers de pistoles. On croit rêver en lisant les détails de cette expédition, et l'on se demande quel est le romancier qui oserait mettre en scène un héros assez fou pour tenter la conquête d'un royaume et entrer en lutte contre une puissance comme l'Espagne avec de semblables ressources. Boileau, qui voulait faire enfermer le grand Alexandre dans les Petites-Maisons, n'a rien dit de ce Guise, et c'est dommage.

Eh bien ! le plus curieux, c'est qu'il réussit, là où son arrière-grand-père le grand François de Guise, avec une armée puissante, protégé par le pape, avait échoué un siècle auparavant (1557), et qu'il se serait maintenu sur le trône de Sicile si la France l'avait tant soit peu soutenu, et s'il ne s'était rendu odieux à ses sujets par ses mœurs relâchées et par ses dissipations.

Sur sa frêle embarcation, il passa à travers l'escadre espagnole, et entra dans Naples aux acclamations d'un peuple ivre d'enthousiasme, à qui il fait l'effet d'un dieu échappé des flots. Proclamé roi immédiatement, il pose sur ses armes la couronne fleurdelisée de Sicile, signe ses écrits en langue napolitaine : Henri, par la grâce de Dieu roi de Naples et de Sicile..., et traite déjà avec les cours étrangères de puissance à puissance. Mais, n'étant pas soutenu par la France, et le dérèglement de ses mœurs aidant, il se vit bientôt abandonné de ses sujets, qui livrèrent Naples aux Espagnols pendant qu'il faisait une sortie pour essayer d'introduire des vivres dans la place. Après avoir vainement tenté de rentrer dans sa capitale, il fut pris en 1648, et resta prisonnier en Espagne pendant quatre ans. Enfin Condé obtint sa liberté en 1652.

Revenu en France, après tant d'aventures et une si longue captivité, il eut la douleur d'apprendre que Milo Susanne de Pons, à qui il voulait offrir une couronne, l'avait complètement oublié auprès de son écuyer, le sieur de Malicorne, commis a sa garde. Cette trahison, qui lui fut plus sensible que la perte de son royaume, ne changea pas son humeur. La première chose qu'il avait faite en mettant le pied. dans sa patrie avait été de lancer un manifeste dans lequel il se prononçait pour le parti du prince, et la seconde de se ranger du côté de Mazarin. Il était près du roi et du premier ministre quand la cour fit sa rentrée à Paris, le 21 octobre 1652.

Il était à la cour depuis deux ans, livré tout entier aux fêtes et aux plaisirs, lorsqu'il reçut des lettres d'Italie dans lesquelles on lui annonçait que les Napolitains l'attendaient avec impatience pour se soulever et lui offrir de nouveau la couronne. Cette fois le gouvernement français mit une flotte à la disposition du hardi aventurier, qui quitta le port de Toulon au mois d'octobre 1654. Arrivé devant Naples, il s'empara de la ville et du château de Castellamare ; mais il ne put s'y maintenir, et force lui fut de renoncer pour toujours à l'héritage de la maison d'Anjou.

Quand Henri de Guise revint de cette expédition, le roi le nomma grand chambellan ; il parut avec éclat dans les fêtes que Louis XIV donna en 1655, et s'y fit remarquer par son adresse dans les carrousels, tournois, quadrilles et courses de bagues (1662).

Ce fut le dernier et fugitif éclair que jeta avant de s'éteindre le descendant du grand Guise et du célèbre Balafré. Charles de Lorraine, cinquième duc de Guise, mourut le 2 juin 1664, sans laisser de postérité. Avec lui s'éteignait la branche aînée de la maison de Guise. Ce prince avait, moins le génie, toutes les brillantes qualités de ses ancêtres, surtout le courage militaire et l'amour des aventures. Voici le portrait que Tallemant des Réaux a fait de lui : Il a la mémoire excellente, il sait quelque chose, a de l'esprit, dit les choses agréablement, n'est pas méchant, a de la générosité, du cœur, et est fort civil. C'est dommage qu'il est fou.

Le duc de Guise a laissé des Mémoires sur sa première expédition de Naples. Après sa mort, sa fortune et son nom passèrent à son neveu Louis-Joseph de Lorraine, fils aîné de Louis de Lorraine, duc de Joyeuse, et de Françoise-Marie de Valois, né le 7 août 1650.

Timide et maladif, Louis-Joseph n'est plus qu'un souvenir, qu'un nom que l'histoire rappelle à regret. Par les soins de sa tante, il épousa Élisabeth d'Orléans, duchesse d'Alençon, fille puînée de. Gaston de France, duc d'Orléans, bossue et souverainement orgueilleuse. Louis mourut à l'âge de vingt et un ans, laissant un enfant encore plus malingre que lui et plus contrefait que sa mère, François-Joseph, septième et dernier duc de Guise, qui lui survécut à peine.

La fortune et le nom de Guise passèrent alors sur la tête de Marie de Lorraine, fille de Charles de Lorraine, quatrième duc de Guise, et d'Henriette de Joyeuse, qui était née le 16 août 1615, et mourut le 3 mars 1688. Mademoiselle de Guise, comme on l'appelait, après avoir refusé la main de Vladislas VII, roi de Pologne, ne voulut jamais se marier ; c'était une femme d'une grande piété, d'infiniment d'esprit, de cœur et de sens ; elle brillait surtout dans les controverses religieuses, qu'elle soutenait avec un remarquable talent. Par son testament elle consacra une grande partie de sa fortune à des fondations pieuses. Il faut bien le reconnaître, les filles de la maison de Guise occupent dans les chroniques galantes du XVIe siècle une place peu honorable pour elles ; il semble que la dernière des Guises ait voulu effacer ou racheter par ses vertus les fautes de ses ancêtres.

Depuis, le nom de Guise n'a plus été porté que par un des fils du duc d'Aumale, qui mourut également en bas âge.

Ainsi s'éteignit cette branche des princes de Lorraine, qui remplit tout le xvi0 siècle de ses exploits et de son ambition. Quatre d'entre eux se sont fait dans les annales de notre histoire une place exceptionnelle, bien qu'à des titres divers.

Les deux premiers, Claude, fondateur de la race, et François, son fils, qui en fut le plus grand, malgré leur ambition, ont laissé un nom sans tache après une vie glorieuse, toute consacrée à la défense de la patrie et de la religion. Puissamment aidés dans leur double tâche par les cardinaux Jean et Charles de Lorraine et par les ducs d'Aumale, ils ont occupé les premières charges de l'État, soutenu le trône avec autant d'indépendance que de génie, repoussé toutes les invasions, et raffermi la foi dans le royaume. Il n'est pas un champ de bataille, depuis Marignan (1515), où Claude fut laissé pour mort, frappé de plus de vingt blessures, jusqu'au siège d'Orléans (1562), où François fut tué, qu'ils n'aient arrosé du plus pur de leur sang. Protégés par Dieu d'une manière miraculeuse, ils n'ont jamais tiré l'épée sans être victorieux. Leur bravoure et leur génie ont fait pâlir l'étoile de Charles-Quint, du duc d'Albe et de Suffolk, toutes les fois que ces grands capitaines les ont eus pour adversaires.

Anglais et Impériaux, reîtres et lansquenets, luthériens et calvinistes de toutes nations, ennemis de la France, ennemis de la foi, ont reculé constamment devant la double croix de Lorraine qui brillait dans les armes de ces fiers Macchabées.

Les deux autres, le Balafré et Mayenne, fils et petits-fils des précédents, nés dans des temps plus troublés, chargés d'un fardeau plus lourd encore que celui qui pesait sur leurs aînés, ont marché constamment dans la même voie. Mais que d'obstacles sur leur route ! que de haines et d'embûches sous chacun de leurs pas !

Ce n'est plus Charles-Quint, ce n'est plus le duc d'Albe qu'ils ont à combattre ; il ne s'agit plus de reprendre Calais, de défendre Metz, de repousser des invasions étrangères, luttes glorieuses qui laissèrent à ceux qui les soutinrent un nom que la postérité ne prononce qu'avec admiration et respect. Hélas ! l'ennemi qu'ils ont à combattre s'appelle Coligny, Condé, Bourbon ! Les villes qu'ils ont à défendre sont assiégées par des Français ; celles dont ils veulent s'emparer sont défendues par des Français, et sur tous les champs de bataille c'est le sang français qui coule de part et d'autre !

C'est pourquoi le nom du Balafré, bien plus encore que celui de Mayenne, ne peut être prononcé sans rappeler à l'esprit les pages les plus douloureuses de notre histoire. Mais est-ce sa faute ? Est-il responsable des guerres civiles auxquelles il prit part ? Ne doit-on pas plutôt en accuser la réforme, dont les doctrines, en jetant la division dans les consciences, servirent de prétexte à l'ambition des grands ?

Si la mémoire de ce héros chrétien avait besoin d'être réhabilitée, il suffirait de dire que s'il s'est servi de l'or de l'Espagne pour faire la guerre aux protestants, il n'a jamais du moins ouvert les portes de la France à l'étranger, comme le firent Condé et Coligny. Si l'Espagnol, plus tard, vint jusqu'à Paris, on ne saurait oublier qu'il y avait quatre ans que le Balafré était tombé sous le poignard des quarante-cinq comme son père était tombé sous les balles de Poltrot de Méré.

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] Tabouret.

[2] De Thou, livre XCII.

[3] P. Matien, Histoire de France.

[4] La constitution du royaume voulait alors que les décisions des états n'eussent que la valeur de simples vœux ; ces vœux, pour avoir force de loi, devaient être sanctionnés par un édit royal enregistré par les parlements.

[5] Archives nationales, Lettre de Mucius à Mendoza, 24 octobre 1588. B. 60, n° 204.

[6] Paris, don Bernardino de Mendoza au roi d'Espagne. (Archives nationales, fonds espagnol, B. 60, n° 206.)

[7] Paris, don Bernardino de Mendoza au roi d'Espagne. (Archives nationales, fonds espagnol, B. 60, n° 206.)

[8] Paris, don Bernardino de Mendoza au roi d'Espagne. (Archives nationales, fonds espagnol, B. 60, n° 206.)

[9] Cette querelle eut à Paris un grand retentissement ; le bruit courut même que Guise avait été assassiné.

[10] Guise avait essayé de gagner le maréchal d'Aumont à sa cause en lui promettant de lui faire obtenir le gouvernement de Normandie, que le roi venait de donner au duc de Montpensier. Le maréchal avait rapporté cette conversation au roi.

[11] Archives nationales, fonds espagnol, B. 60, n° 206.

[12] Archives nationales, fonds espagnol, B. 60, n° 206.

[13] De Thou, livre XCIII.

[14] René de Bouillé.

[15] René de Bouillé.

[16] René de Bouillé.

[17] Etienne Pasquier, livre XIII, lettre V.

[18] D'après Davila, Péricard ne serait pas entré avec Guise, puisque ce secrétaire s'étant aperçu que Crillon faisait fermer les portes du château, aurait envoyé à son maitre un billet, caché dans un mouchoir, contenant ces mots : Sauvez-vous, Monseigneur, ou vous êtes mort. Les soldats ne voulurent pas laisser passer le page. Il se peut que l'auteur ait confondu Péricard avec le valet de chambre du duc.

[19] De Thou dit qu'il saigna aussi du nez.

[20] De Thou dit que ce fut Sainte-Malines, mais il ajoute qu'il le frappa de bas en haut dans la poitrine, croyant qu'il avait sa cotte. Oudin dit que ce fut Montséry.

[21] D'après le Journal d'Henri III, il aurait dit : Mon Dieu je suis mort ! ayez pitié de moi ; ce sont mes péchés qui en sont cause.

[22] Histoire manuscrite de la maison de Guise, par Oudin.

[23] Lettres missives d'Henri IV.

[24] La copie de cette lettre se trouve également dans l'Histoire des ducs de Guise, par René de Bouillé.

[25] Il y eut entre autres une procession générale composée de plus de cent mille personnes portant toutes un cierge de cire jaune. Cette procession partit du  cimetière des Innocents pour se rendre à Sainte-Geneviève. En entrant dans l'église, chacun éteignait son cierge en disant : Dieu éteigne ainsi la race des Valois !

[26] Journal d'Henri III.

[27] Le 7 février, la duchesse de Guise mit au monde à Paris un fils, qui fut baptisé à l'église Saint-Jean-en-Grève. Il eut pour parrain ]a ville de Paris, et pour marraine la duchesse d'Aumale. Il s'appela François-Alexandre-Paris. La cérémonie fut magnifique ; car la plupart des capitaines des dizaines de Paris marchoient deux à deux, portant flambeaux de cire blanche, et estoient suivis des archiers, arquebusiers et arbalestriers de la ville, portant semblables flambeaux ; fut donné en l'hostel de ville une belle collation, et l'artillerie tirée en signe d'allégresse. Le peuple, en grande affluence, espandu par les rues où passoit la pompe, bénissant l'enfant, et regrettant le père avec douleur et gémissement très grand.

[28] Catherine de Médicis venait de mourir à Blois (5 janvier 1589). Après une vie si agitée, la toute-puissante veuve d'Henri II s'éteignit doucement, au milieu de l'indifférence générale, à l'âge de soixante-dix ans. Voici l'épitaphe qu'un auteur contemporain composa pour elle.

La royne qui cy-gist fut un diabe et un ange ;

Toute pleine de blâme et pleine de louange,

Elle soutint l'État, et l'État mit à bas.

Elle fit maints accorde et pas moins de débats.

Elle enfanta trois rois et cinq guerres civiles.

Fit bâtir des châteaux et ruyner des villes ;

Fit bien de bonnes lois et mauvais édits.

Souhaite-lui, passant, enfer et paradis.

(Mémoires de l'Étoile.)

[29] L'Etoile.

[30] Le duc de Parme était mort des blessures qu'il avait reçues à Caudebec et des fatigues de la campagne entreprise contre Henri IV.