HENRI DE GUISE LE BALAFRÉ

 

CHAPITRE IX.

 

 

Habileté du Balafré. — Anne de Joyeuse, duc et pair de France. — Mariage de ce favori avec la sœur de la reine régnante. — Mayenne se démet en sa faveur de sa charge d'amiral. — Expédition de Flandre. — Le duc d'Anjou s'empare de la citadelle de Cambrai par trahison. — Il repasse en Angleterre et de là à Anvers, où les états lui décernent les titres de duc de Brabant, de Gueldres et de comte de Flandre (10 février 1582). — Le duc de Nassau est blessé par un assassin. Méprisé des Anversois, qui accusent les Français. — Représailles du duc d'Anjou. — Les Français sont chassés d'Anvers. — Salcède et la fameuse conspiration de ce nom. — La vérité présumée sur cette conjuration. — Guise est tout entier à ses projets contre l'Angleterre. Suite désastreuse des expéditions dis duc d'Anjou dans la Flandre. — Ce prince rentre en France, où il essaye de réveiller les discordes civiles. — Sa mort (10 juin 84). — Le prince d'Orange meurt assassiné. - L'ambition des Guises. — Ils prétendent descendre de Charlemagne et même de Priam, roi de Troie ; Supplices inventés en Angleterre contre les catholiques. — La cruelle Élisabeth. — Situation de Marie Stuart.— Conspiration en faveur de Cette reine. — Expédition contre Élisabeth organisée par le duc de Guise et par Philippe 11 et soutenue par le pape.— Elle avorte par suite de l'indolence du roi d'Espagne, qui redoute aussi l'ambition du duo de Guise. — Le Balafré, un instant distrait par ses projets contre l'Angleterre, retourne à la Ligue. — Le roi de Navarre, hérétique, combattu par les ligueurs.— C'est la Ligue qui a préparé le règne d'Henri IV. — Le peuple commence à se soulever. — Satires de l'époque. — Le récit des tortures imaginées par Élisabeth contre les catholiques anglais est exploité par les ligueurs de Paris. — Le peuple veut que le duc de Guise se mette à sa tête. — Guise refuse et quitte Paris. — Assemblée des ligueurs au château de Bassompierre. — Le Ligne s'organise à Paris. — Les Seize.— La noblesse, le clergé et la magistrature suivent l'élan populaire. — Les ligueurs à Joinville. — Traité passé entre la Ligue et Philippe II (31 décembre 1584). — Contre-ligue protestante signée à Magdebourg. Le baron de Pardaillan est envoyé en Angleterre par les réformés. — Forces étrangères qui doivent envahir la France. — Opinion de Sully sur les chefs de la réforme. — Advertissement, manifeste de la sainte Ligue et autres pasquins. Réponse des Guises. — Le cardinal de Bourbon. — Catherine de Médicis favorise la Ligue dans l'espérance d'être régente de son petit-fils. — Le Béarnais. — Guise trompe Catherine de Médicis et Philippe II. — Nouvel édit (29 mars 1583). — Guise s'empare de Verdun et de Toul. — L'armée de la Ligue. — Soulèvement général. — Manifeste ou déclaration du cardinal de Bourbon. — Députation des Pays-Bas près d'Henri III. — Réponse au manifeste du cardinal de Bourbon. — Le roi négocie avec la Ligue et avec les protestants. — Nevers quitte la Ligue et part pour Rome. — Le roi transige avec ses trésoriers. — Discussion parmi les mignons. — Rapport de Nicolas Poulain. — Les quarante-cinq. — Réponse du roi de Navarre au manifeste de la Ligue — Requête des ligueurs. — La reine mère négocie avec le duc de Guise. — Édit de Nemours (7 juillet 1585). — Articles secrets. — Propos du roi sur cet édit. — Effet qu'il produisit sur le Béarnais. — Prélude de la guerre des trois Henri.

 

On a vu dans quelle disgrâce le duc de Guise était tombé ; mais son autorité, loin d'être diminuée, semblait avoir grandir à mesure qu'il restait plus éloigné de la faveur royale. Habile à dissimuler, et nullement jaloux de la gloire de Mayenne, loin de faire au pouvoir régulier une opposition ouverte, Henri III n'a pas à sa cour de courtisan plus aimable et plus satisfait. Le trône décrépit des Valois croule sous les fautes et les crimes amoncelés comme à plaisir par Charles IX et par ses successeurs, instruments dociles de la reine leur mère ; il n'a qu'à patienter, à attendre l'effondrement inévitable.

Il assiste, à côté du roi, au lit de justice tenu pour enregistrement les édits sur les finances que les prodigalités de la cour ont rendus nécessaires. Le roi fonde un nouvel ordre de pénitents ; Mayenne et le cardinal assistent à cette solennité religieuse. Le président de Thou vient à mourir (août 1583) ; tous les Guises figurent à ses funérailles. Le Balafré écrit à ses amis, s'informe de ce qui les intéresse, les engage à venir voisiner avec lui quand ils en ont le temps[1], intercède en faveur d'un des ennemis de leur famille qui est prisonnier de Mayenne, et contribue puissamment a l'élargissement du brave la Noue, qui est passé en Flandre et a été fait prisonnier par les Espagnols[2].

C'est par ces procédés humains ou courtois qu'il étaye sa popularité, et se crée des amis même dans les rangs de ses adversaires.

Mais cette habileté constante dans ses relations privées ne lui fait pas perdre de vue ses intérêts politiques. Le duc d'Anjou a besoin de son appui pour l'expédition qu'il va tenter ; Guise le lui assure en lui donnant pour lieutenant général le marquis d'Elbeuf, qui doit l'accompagner à la tête de trois cents gentilshommes des plus valeureux. En récompense il obtient du roi, par l'entremise du duc d'Anjou, que le marquisat d'Elbeuf soit élevé au titre de duché-pairie[3]. Ce qui ne l'empêche pas de correspondre activement avec Philippe II pour lui communiquer de fréquents rapports sur les affaires des Pays-Bas, et pour l'engager à agir contre l'Angleterre.

Le vicomte Anne de Joyeuse était alors un des mignons du roi. Pour complaire à ce favori, qu'il appelait l'un de ses enfants, Henri III changea sa vicomté en duché-pairie, et lui donna le pas immédiatement après les princes du sang ou issus de maison souveraine, comme Savoie, Lorraine et Clèves[4]. Guise et son cousin d'Aumale rehaussèrent de leur présence la cérémonie qui eut lieu à l'occasion de cette élévation. Henri III voulait pour ses mignons de riches et nobles alliances. Après qu'il eut fait Joyeuse duc et pair, il le maria à la princesse de Vaudemont, la propre sœur de sa femme, la même qu'il avait proposée à Condé. Les noces, qui eurent lieu le 18 septembre 1581, dépassèrent en somptuosité ridicule tout ce qu'on avait vu jusque-là. Henri voulut que son favori portât le même habillement que lui, tant couvert de broderies et pierreries qu'il n'étoit pas possible de les estimer, car tel accoutrement, y avait qui coûtoit dix mille écus de façon... La dépense en fut si grande, y compris les tournois, mascarades, présents, danses, musiques, livrées, etc., que le bruit était que le roy n'en seroit pas quitte pour douze cent mille écus[5].

Toute la famille de Guise assista a ce mariage en habits somptueux.

Quelque temps après (juin 1582), toujours pour complaire au roi, le Balafré permit que son frère Mayenne se délit de sa charge d'amiral en faveur de Joyeuse ; il la vendit cent vingt mille écus, et ce fut encore Henri III qui paya pour son favori.

Il nous faut ici parler quelque peu de l'expédition du duc d'Anjou dans les Flandres, cet événement, se rattachant par plus d'un côté à la politique et à la personnalité même du duc de Guise.

Ce que redoutait avant tout Philippe II, c'était de voir Henri III se prononcer en faveur des provinces rebelles, et favoriser ouvertement l'entreprise du duc d'Anjou. En 1580, il se faisait informer par son ambassadeur du mouvement des armées françaises, et Guise, toujours en rapport avec les émissaires du roi très catholique, communiquait à son allié, par l'entremise de l'envoyé d'Écosse ou par son secrétaire particulier, les nouvelles reçues à la cour de France concernant la révolte des Pays-Bas. C'est par lui que Philippe était tenu au courant des menées du duc d'Anjou et des dispositions d'Henri III. Cependant toutes les lettres de Guise ne parlent que de l'amitié du roi Henri III pour son beau-frère, et paraissent favorables aux mesures de la cour de France[6].

La mort de don Sébastien, roi de Portugal, vint troubler les bons rapports existant malgré lotit entre les deux royaumes. Catherine de Médicis avait des prétentions à la succession de cette couronne[7] ; si elle ne pouvait l'avoir tout entière, elle n'eût pas été fâchée d'en détacher le Brésil, qui était un de ses plus riches joyaux. A cet effet, elle envoya Strozzi avec une flotte soutenir ses droits sur cette colonie.

Le bâtard don Antonio soutenait aussi par les armes ses prétentions à la couronne de Portugal ; mais, après les batailles de Lisbonne et d'Oporto, il fut obligé de se réfugier en France, puis en Angleterre. C'était le moment que le duc d'Anjou avait choisi pour se porter dans les provinces révoltées.

Le 23 janvier 1581, le duc d'Anjou accepta la souveraineté des Pays-Bas, qu'étaient venus lui offrir les députés de ces provinces, et cette acceptation fut sanctionnée par les états généraux, réunis à Amsterdam, le 26 juillet de la même année.

Le maréchal de Biron, le vicomte de Turenne, Rosny, la Noue et une foule de gentilshommes huguenots, que le roi de Navarre ne vit pas partir sans regret, — car il connaissait son beau-frère, et savait que son manque de courage, son esprit versatile et son caractère hautain le rendaient incapable de bien diriger cette entreprise, — s'enrôlèrent sous la bannière du duc d'Anjou. D'Elbeuf rejoignit le prince avec trois cents gentilshommes catholiques ; mais il abandonna bientôt la cause, et rentra en France. Cependant le prince se trouva à la tête d'une armée de douze mille hommes environ, et son entrée dans les Flandres fut saluée par les acclamations populaires ; mais les villes qui se rendirent à lui, ayant conquis leur indépendance au prix des plus cruels sacrifices, tenaient à leurs prérogatives, et l'omnipotence altière du duc soulevait de leur part de nombreuses protestations.

La première faute qu'il commit fut de lancer à l'aventure une poignée de gentilshommes contre l'armée, relativement faible, il est vrai, mais enfin supérieure en nombre, du duc de Parme, qui assiégeait Cambrai.

A la mort de son frère don Juan, Philippe II, toujours inintelligemment inspiré dans le choix de ses généraux, envoya dans les Flandres un des plus grands capitaines et des plus habiles négociateurs de cette époque, Alexandre Farnèse, son neveu, duc de Parme, fils d'Octave, duc de Parme, et de Marguerite, fille naturelle de Charles-Quint et gouvernante des Pays-Bas. En ce moment, Alexandre assiégeait Cambrai avec une petite armée de quatre mille hommes exténués de fatigue[8]. Le duc d'Anjou aurait pu contraindre son adversaire à combattre dans des conditions désastreuses ; il préféra lui donner l'alarme en envoyant contre lui quelques héros, qui vinrent se briser contre des forces décuples. Turenne, qui était de l'entreprise, fut fait prisonnier, ainsi que ceux de ses compagnons qui échappèrent à la mort.

Le duc de Parme ayant levé le siège de Cambrai, le fils de Catherine de Médicis se présenta devant la ville en victorieux et en libérateur. Il fut accueilli avec des transports d'allégresse ; mais les Flamands, en gens prudents et jaloux de leurs privilèges, ne permirent pas aux Français de pénétrer dans la citadelle. Monsieur, ayant été invité chez le gouverneur, fit entrer subrepticement avec lui plusieurs de ses gardes, et, quand ils furent en nombre, il déclara insolemment à son hôte que le château était à lui ; et comme l'honnête d'Inchy, — c'est le nom du gouverneur, — protestait contre cette trahison, le duc le menaça de mort.

Après cet exploit, peu digne d'un gentilhomme, il repassa en France, et ensuite débarqua en Angleterre pour presser encore son mariage avec Élisabeth (22 novembre 1581). Déjà il avait été précédé à la cour de Londres par Manix de Sainte-Aldegonde, envoyé des états de Flandres et de Brabant, et par un ambassadeur de son frère, qui avaient décidé cette princesse à déclarer la guerre à l'Espagne et à épouser le futur souverain des Pays-Bas ; les articles de l'acte de mariage étaient même rédigés. Cependant, comme Élisabeth avait exigé que la France entrât dans la ligue et que la signature du traité se faisait attendre, cette habile princesse ne s'engagea pas plus avant. Quand le duc vint la revoir pour presser son mariage, loin de le décourager dans ses espérances, elle échangea même avec lui l'anneau des fiançailles[9] ; mais elle borna son action à lui prêter les vaisseaux qui devaient le conduire à Anvers, où il était attendu.

Anvers, où il fit une entrée solennelle au milieu des fêtes et des réjouissances publiques, les états assemblés lui décernèrent les titres de duc de Brabant, de Gueldres, et de comte de Flandre (10 janvier 1582). Les transports d'allégresse se changèrent bientôt en cris furieux. Le fameux Guillaume d'Orange, duc de Nassau, dit le Taciturne, fut blessé d'un coup de pistolet qu'un assassin lui tira dans la figure (18 mars).

Les Anversois, croyant que le crime avait été commis par un français, se précipitèrent sur les troupes du duc d'Anjou et le prince lui-même dut chercher un refuge dans la tente du Taciturne. Le meurtrier avait été massacré par les gardes du prince d'Orange ; quand on fouilla dans ses papiers, on découvrit que c'était un Espagnol du nom de Sangueri, et qu'il avait été soudoyé par le gouvernement de son pays. A cette nouvelle, les Flamands demandèrent pardon à leur nouveau souverain de l'injuste soupçon qu'ils avaient conçu et du mouvement de colère auquel ils s'étaient abandonnés. Le prince feignit de pardonner ; mais, quand il eut reçu les renforts qu'il attendait du jeune duc de Montpensier (le vieux duc de Montpensier venait de mourir) et de Biron, il se vengea en livrant la ville au massacre et au pillage. Cet acte d'inutiles et cruelles représailles tourna contre ses troupes et contre lui-même. Les Flamands s'armèrent, et, au lieu de se laisser égorger, prirent l'offensive, et firent de cette soldatesque barbare un affreux carnage. Disons à leur louange que les gentilshommes français, huguenots aussi bien que catholiques (car le duc d'Elbeuf ne les avait pas tous ramenés en France), ne voulurent pas s'associer à cette vengeance féroce. Montpensier avait répondu au duc, qui venait lui soumettre son projet d'extermination et lui demander son appui pour animer la fureur des soldats : Non, Monsieur, je m'appelle Bourbon, et je ne démentirai point un sang aussi pur. Ne comptez sur moi que quand il s'agira d'entreprises justes et légitimes.

Plusieurs officiers, témoins de cette trahison, quittèrent le service du duc d'Anjou et passèrent dans le camp du prince d'Orange.

Le digne fils de Catherine de Médicis, qui n'avait pas jugé prudent d'aller châtier lui-même ses sujets, réunit à la hâte les débris de son armée et quitta Anvers, poursuivi non par les Espagnols, mais par les Flamands, indignés contre lui.

C'est après ces événements que le prince d'Orange et le duc d'Anjou découvrirent la conspiration de Salcède, que les historiens, même les plus impartiaux, ont appréciée avec plus de passion que de vérité.

Nicolas Salcède, fils de Salcède, ancien gouverneur de Vic, qui se mit en révolte contre le cardinal de Lorraine et fut assassiné la nuit de la Saint- Barthélemy, ayant levé un régiment en Champagne, était venu offrir ses services au duc d'Anjou. C'était un homme jeune, actif, intelligent, perdu de vices, couvert de dettes, apte à tous les métiers, capable de tout faire pour s'enrichir. Il était de plus sous le poids d'une condamnation pour faux monnayage, et n'avait échappé à sa peine que par la protection du prince de Lorraine, la mère de Salcède[10], — son père était Espagnol, — étant alliée à la duchesse de Mercœur. Son activité et les services qu'il rendit lors de la soumission de Cambrai lui avaient valu la confiance du prince, qui l'admettait dans son intimité. Guillaume d'Orange, qui avait remarqué ce personnage, conçut des soupçons contre lui. Il savait qu'il avait souvent passé en Espagne, qu'il s'était réconcilié avec les Guises, et qu'il entretenait de fréquents rapports avec 1e fils du comte d'Egmont, zélé catholique, bien que son père fût mort sur l'échafaud par ordre du duc d'Albe. Nassau fit part au duc d'Anjou de ses méfiances, lui fit parvenir ses renseignements, et Salcède fut arrêté à Bruges, le 21 juillet 1582. Interrogé et menacé de la question, il fit devant le prince des aveux d'une haute gravité, mais dont l'exactitude ne fut jamais contrôlée, parce que le coupable ne fut pas confronté avec ses soi-disant complices, et qu'il se démentit lui-même plusieurs fois. Mais enfin nous devons faire connaître ses déclarations, quelle qu'en soit la valeur.

Il avoua donc qu'un agent du duc de Lorraine, beau-frère du roi, M. d'Haussonville, lui avait fait tenir, l'année dernière, des lettres pour qu'il allât trouver M. de Guise à Paris. Le duc de Guise l'aurait alors gagné à sa cause à force de promesses, et lui aurait donné la mission de se rendre à Dieppe pour voir la flotte que Strozzi devait conduire à Tercère. Quand il eut rendu compte de sa mission au duc de Guise, celui-ci aurait à son tour instruit le ministre d'Espagne de ce qu'il venait d'apprendre. Ensuite il aurait été envoyé en Lorraine porter des lettres à Christophe de Bassompierre, Savigny de Rosny et plusieurs autres. Ayant reçu l'ordre de revenir à Paris, il fut conduit un soir chez le. duc. de Guise, où il rencontra aussi Mayenne et le secrétaire d'État Villeroi qui étaient en conférence secrète. Pendant que le Balafré et son frère causaient en se promenant, Villeroi le prit à part, l'engagea à servir les Guises et le roi d'Espagne, et lui donna à lire quelques-unes des dépêches qu'il venait de communiquer aux princes lorrains. Ces dépêches, que Villeroi, si intelligent, Guise, si habile et si prudent, que Mayenne, si loyal auraient communiquées à ce misérable agent subalterne, contenaient l'exposé détaillé d'une gigantesque conjuration dont tous les plus hauts personnages du monde chrétien faisaient partie, depuis le pape et Philippe II jusqu'aux mignons de Henri III, Joyeuse et Maugiron ; depuis les Guises jusqu'à des gardes et des officiers du duc d'Anjou.

Voici le plan de cette conjuration, tel qu'au dire de Salcède il était exposé dans les dépêches en question. Il ne s'agissait de rien moins que d'organiser eh France un- immense soulèvement, de s'emparer de Calais, de Dunkerque, de Cambrai, de toutes les villes par où le duc d'Anjou pourrait s'enfuir, afin de l'enserrer dans le Brabant entre les ligueurs et le duc de Parme, de se saisir de sa personne ainsi que de celle d'Henri III, et de mettre ensuite la France entre les mains du roi d'Espagne[11].

Cette ligue, qui avait pour agent à Rome le Cardinal Pellevé, chargé d'affaires de la maison de Guise[12], s'appuyait en France sur les deux princes lorrains, à la tête de toute la noblesse catholique ; sur d'Aumale, qui commandait en Picardie, tandis que le Balafré et Mayenne avaient la Champagne et la Bourgogne, dont la noblesse avait engagé sa parole à Chabot. Pour cette ligue encore, Jean de Mouy sollicitait la noblesse du pays de Caux, Matignon tenait Granville et Cherbourg, Créné sait maître de Brest ; toute la Bretagne appartenait aux ligueurs. Lyon devait être ouvert aux troupes du pape et du duc de Savoie, dont Jacques de Nemours allait avoir le commandement. Les Espagnols devaient descendre par le Béarn, et les troupes de Biscaye par le Bigorre ; enfin Brunswick, beau- frère du duc de Lorraine, levait en Allemagne de nombreuses troupes de cavalerie et d'infanterie.

Sa mission, à lui Salcède, était d'obtenir du duc d'Anjou le commandement de Dunkerque, le duc de Parme devant amener le prince de ce côté ; celui-ci y serait de lui-même attiré par la proximité d'avoir sous sa main un bon régiment ; c'est là qu'on espérait le saisir.

Voici maintenant les noms des principaux personnages que Salcède dénonça en dehors de ceux que nous avons déjà cités : le maréchal d'Aumont, les deux Villequier, la Châtre, gouverneur de Bourges ; Dandelot, gouverneur de Lyon ; Gérard Moléon de Gourden, gouverneur de Calais ; Corboran de Cardillac, gouverneur du Havre ; René de Tournemine, gouverneur de Bretagne. Il y joignit Louis de Gonzague, duc de Nevers ; Charles de Lorraine, duc -d'Elbeuf ; Jean de Puygaillard, Guy de Saint-Gelais de Lanzac, François de Cadillac, lieutenant de la compagnie de cavalerie du duc de Guise ; Foucault de Joyeuse, F. de Balzac d'Entragues, lieutenant général de l'Orléanais, et Charles de Balzac, son frère ; Cicoyne, gouverneur de Dieppe, et Balemont (c'est ici qu'il nomme d'Arques, nom qu'il donnait à Anne de Joyeuse) ; Nicolas le Gendre, père de Villeroi, et Nicolas Horhman, de famille bourgeoise, mais très accréditée et fort riche (pour Paris) ; François d'O et Jean d'O, le premier gouverneur du Coteniin, et le second capitaine des gardes du corps ; Laurent de Maugiron, lieutenant général du Dauphiné ; Philibert de la Guiche, commandant d'artillerie.

Le lendemain de son premier i,terrogatoire, il écrivit au duc d'Anjou pour lui confirmer ce qu'il avait dit la veille, retrancher quelques noms peu importants de la liste des conjurés, affirmer ce qu'il avait dit de Nevers, et, touchant la prise de Calais et de Dunkerque, ajoutant cette fois que les Guises espéraient que lorsqu'ils seraient maîtres de ces villes, de Calais surtout, le roi, épouvanté, leur donnerait le commandement du royaume. Il disait pour sa défense qu'il suppliait le duc de ne pas le prendre pour un Maurevel, que son dessein n'avait jamais été de l'assassiner, mais seulement de s'emparer de Dunkerque et de Cambrai, de débaucher quelques colonels pour le service des Guises, de tenir ces derniers au courant des opérations de l'armée pour qu'ils en instruisissent le duc de Parme, et, que les Guises eux-mêmes n'avaient jamais eu le dessein de lui ôter la vie, mais seulement de l'empêcher de rentrer en France et de s'emparer de sa personne. Enfin il ajoutait qu'il avait agi en cette circonstance non comme Français, mais comme Espagnol, et pour forcer don Luis de Figueroa, son oncle maternel, à lui restituer son patrimoine, dont il s'était emparé. Il finissait en conjurant le duc de lui laisser la vie, lui promettant, s'il lui accordait cette grâce, de se sacrifier pour sa conservation et pour sa gloire[13].

Ces révélations terrifièrent le duc d'Anjou, qui fit partir immédiatement Dammartin avec une copie de la confession de Salcède pour rendre compte au roi de cette conjuration. Dans les lettres dont cet envoyé était porteur, le duc suppliait son frère d'accorder une attention sérieuse à cette affaire, de ne pas préférer ses amusements au salut de l'État et au sien propre. Il ajoutait qu'il y avait longtemps que les intrigues des Lorrains lui étaient suspectes, et qu'il était nécessaire de s'opposer au mal naissant.

La confession de Salcède produisit sur Henri III le même effet que sur le duc d'Anjou. Après avoir renvoyé l'ambassadeur de son frère, il fit appeler Bellièvre, qui était un de ses meilleurs conseillers, et, quand il lui eut communiqué le document qu'il venait de recevoir, le chargea de se rendre avec Brulart près du duc d'Anjou, pour obtenir de la bouche de l'accusé la confirmation de cet écrit. Il exigea ensuite que le coupable lui fût envoyé sous bonne escorte. Si mon frère y consent, dit Henri III, je verrai que l'accusation est sérieuse, et que ce n'est point une calomnie ; mais s'il refuse, je compterai que tout ceci n'est qu'une fable inventée par quelques personnes de sa suite qui cherchent à nous brouiller ensemble et à troubler le repos de ma vie[14].

Bellièvre et Brulart reçurent un excellent accueil. du duc d'Anjou, qui leur permit d'interroger Salcède et de l'emmener avec eux. L'Espagnol répéta sa déclaration, et fut, a son arrivée en France, conduit à Vincennes, où se trouvait le roi, qui voulut l'entendre lui-même en compagnie de la reine mère, du chancelier de Birague, de Chaverny, garde des sceaux, de Bellièvre, de Brulart et de Christophe de Thou (qui mourut peu après), premier président, et de Guesles, procureur général. Mais devant le roi et sa suite il rétracta tout ce qu'il avait déclaré en Flandre, disant que Lavergne, Chartier et Pruneaux lui avaient dicté sa confession, et qu'il l'avait signée par crainte de la torture.

Devant la cour, il maintint ce qu'il avait dit devant le roi, rejetant ses accusations premières sur les menaces et les intimidations dont il avait été l'objet tant qu'il était resté au pouvoir du duc d'Anjou.

De Thou, ayant reçu l'ordre de parler le premier, fut d'avis que la personnalité de ce scélérat n'était pas assez importante pour que sa mort pût être considérée comme une vengeance proportionnée à ses crimes ; qu'il convenait de le laisser vivre pour intimider ses complices et les pouvoir convaincre si la conjuration était vraie, ou si la conjuration était fausse, pour que la vie du criminel pût servir à justifier innocence de ceux qu'il avait accusés.

L'avis de de Thou ne prévalut pas ; les autres magistrats soutinrent que si la conjuration était vraie, il fallait terrifier les complices de Salcède par un châtiment exemplaire, 'et que si elle était fausse, il fallait donner à l'innocence la satisfaction qui lui était due.

Le roi, pour se débarrasser de cette affaire qui lui donnait trop de tracas, se rangea du côté des magistrats opposés à de Thou. Salcède fut convaincu du crime de lèse-majesté, et condamné le 25 octobre 1584 à être écartelé par quatre chevaux. Chacun des quartiers devait être mis au coin des quatre principales portes de Paris, et sa tête portée à Anvers. De plus, ses confessions, lettres et déclarations, devaient être brûlées comme calomnieusement inventées contre l'honneur de plusieurs princes, seigneurs et autres personnes ; avant d'être conduit au supplice, il devait être soumis à la question extraordinaire.

Le supplice de la question amena Salcède à répéter ses accusations premières, qu'il rétracta aussitôt qu'on le reconduisit dans son cachot. Il fit cette rétractation sur l'escalier de la prison.

Qu'y eut-il de vrai, de faux, ou tout simplement d'exagéré dans les déclarations de Salcède ? C'est encore là un de ces points historiques qu'il est impossible d'éclaircir, et que tous les auteurs ont malheureusement traités en obéissant bien plus à leurs passions qu'à cet esprit l'impartialité dont on ne doit jamais se départir.

La conjuration Salcède, pour lui laisser le nom qu'elle a dans l'histoire, contient dans ses grandes lignes quelques-uns des éléments qui appartiennent à la Ligue, ainsi que les événements le démontrèrent plus tard. L'autorité que le duc de Guise exerçait sur un grand nombre de seigneurs et gentilshommes de presque toutes les provinces, sur le peuple catholique de Paris surtout, et sur le clergé de France tout entier, n'était un mystère pour personne. Les princes, prélats, seigneurs, bourgeois et magistrats qui avaient signé la Ligue étaient connus de tous. Leurs noms figuraient sur les listes portant en tête la signature du roi. Mais accuser Joyeuse, Villeroi, Nevers et tant d'autres d'avoir voulu massacrer toute la famille royale pour livrer la France à l'Espagne, cela n'a pas même le sens commun.

Que maintenant les Guises, alliés plus ou moins fidèles, et surtout alliés intéressés de Philippe II, aient cherché par des moyens occultes à contrarier l'entreprise du duc d'Anjou, dans la crainte que cette entreprise, en réussissant, ne donnât trop de force au parti protestant et au parti des politiques, unis contre les catholiques et appuyés par le prince d'Orange, les luthériens allemands, le roi de Danemark et la reine d'Angleterre, nous n'en disconvenons pas, nous en sommes même persuadé. Mais que le pape, le duc de Brunswick ; le duc de Lorraine, les Guises et tous les plus hauts seigneurs de France aient conspiré pour livrer la France à Philippe II, qu'ils aient choisi un Salcède comme cheville ouvrière de leurs intrigues et qu'ils aient confie leurs secrets à cet aventurier, c'est un défi jeté au bon sens[15].

Du reste, le duc de Guise, en ce moment (1582-1583), était tout entier à son projet d'une descente sur la côte anglaise pour détrôner Élisabeth, rendre la couronne du Royaume-Uni à sa cousine prisonnière, et rétablir la religion catholique. Dans cette généreuse entreprise il avait pour auxiliaires le pape Grégoire XIII, le roi d'Espagne et le roi de Bavière.

Mais, avant de dire comment échoua ce projet, il convient de revenir dans les Flandres, où nous avons laissé le duc d'Anjou aux prises avec son redoutable adversaire, le duc de Parme.

Incapable de diriger lui-même de sérieuses opérations de guerre, faisant par ses excès oublier la tyrannie espagnole, odieux à ses nouveaux sujets, privé du secours de son frère et contrecarré par les Guises, le malheureux duc d'Anjou traînait dans les Flandres son armée, lasse et indisciplinée. Il remporta cependant quelques succès, grâce au maréchal de Biron et au prince d'Orange ; mais le neveu de Philippe II réparait promptement les échecs partiels de ses lieutenants, si bien que la plupart des villes de la Flandre retombèrent au pouvoir de l'Espagne, el que le Taciturne se vit lui-même contraint d'abandonner le duc à son triste sort pour soutenir les provinces du Nord sur les bords de l'Escaut. C'est alors que le faible fils de Catherine de Médicis rentra en France, laissant Biron,- avec trois mille Français seulement, sur les frontières des Pays-Bas, faisant contre le duc de Parme des prodiges de valeur et d'adresse pour essayer de sauver les dernières villes quo possédait encore son maitre. Guise, dit-on, avait proposé à Catherine de Médicis de ramener son fils sain et sauf si on voulait lui confier huit mille chevaux. A cet appel ainsi motivé, dit René de Bouillé, la noblesse française, par un élan spontané, se serait pressée sur les pas de Guise.

Le duc d'Anjou n'eut pas besoin de ce secours pour rentrer sain et sauf dans sa patrie ; mais le mépris avec lequel il fut accueilli remplit son âme de fiel, et il ne songea plus pour se venger qu'à soulever encore la guerre civile dans le royaume. Pour atteindre ce but, il écrivit de Château-Thierry au roi de Navarre ; mais les propositions qu'il lui fit étaient si déloyales, que le Béarnais crut devoir en instruire Henri III[16].

Cependant le duc se réconcilia avec son frère, qui lui écrivit une lettre affectueuse et l'engagea à passer avec lui les fêtes du carnaval. Après les excès qu'il commit à la cour, il se retira de nouveau dans son apanage de Château-Thierry, souffrant de la moine maladie qui avait emporté Charles IX. Le sang lui suintait par tout le corps ; tantôt il tombait dans des accablements profonds, tantôt il entrait dans des rages folles. Quand la reine le vit dans cet état, elle s'écria : Rien ne peut plus sauver mon fils.

Le 10 juin 1584, le duc d'Anjou mourut[17] à l'âge de trente ans, et fut enterré en grande pompe à Saint-Denis.

Un mois plus tard, jour pour jour, Guillaume d'Orange, duc de Nassau, surnommé le Taciturne, était assassiné dans son appartement par un Franc-Comtois[18] nommé Balthasar Girard, qui lui tira un coup de pistolet, chargé de trois balles. Ce prince, valeureux autant que grand capitaine, mourut dans les bras de sa sœur et de sa femme, qui était la fille de Coligny.

Ainsi se termina pour la France cette expédition des Flandres  imaginée par Coligny, si mal exécutée par le duc d'Anjou, mais qui, sous un autre roi, aurait rapporté à la France un siècle plus tôt des provinces dont Louis XIV ne devait conquérir qu'une partie.

La mort du duc et l'absence de postérité d'Henri III laissaient entrevoir, dans un temps assez rapproché[19], un changement de dynastie en France. L'héritier légitime du trône était Henri de Bourbon, roi de Navarre ; mais il était protestant, et les catholiques ne voulaient pas d'un souverain hérétique.

Les Guises, si populaires et si puissants, n'étaient pas du sang royal. Tous les Bourbons, même à défaut d'Henri de Navarre, avaient des droits plus établis que les leurs. Mais leur ambition ne s'embarrassait pas de si peu, et, à défaut de droits réels, ils savaient s'en créer de fictifs, que leurs ennemis leur avaient souvent reprochés, et dont ils se faisaient constamment, une arme contre eux pour les éloigner de la faveur royale. Cependant, si fictifs qu'ils fussent, ils étaient établis avec tant d'habileté, de science même, que bon nombre de leurs partisans les prenaient au sérieux, et que le peuple avait fini par y ajouter foi.

Le chef de leur branche, Claude de Lorraine, premier duc de Guise, grand-père du Balafré et de Mayenne, joignait aux armes de Lorraine les armes de la maison d'Anjou, se disant héritier du roi René par Yolande d'Anjou.

Cette prétention ne s'arrêtait pas là ; en outre du duché d'Anjou, du comté de Provence et du royaume de Naples, qu'ils considéraient comme leur légitime héritage ; ils avaient établi leur généalogie de telle sorte se disaient les descendants directs de Charlemagne, et considéraient les Capets comme des usurpateurs. On a vu que leurs ennemis avaient exploité cette prétention réelle ou feinte dans les mémoires, d'origine douteuse, qui furent trouvés parmi les papiers de l'avocat David.

Dans certaines circonstances solennelles, leurs panégyristes avaient parlé de l'Origine des princes de Lorraine ; des écrits avaient circulé depuis François Ier sur cette filiation se perdant dans la nuit des temps ; mais ce fut en 1580 que parut sur ce sujet, si fécond en controverses, le travail le plus étudié et même le plus savant dans l'espèce ; il était intitulé : Stemmatum Lotharingiæ ac Barri ducum tomi sepiem[20], etc., et fut imprimé à Paris avec privilège de Sa Majesté ; mais, ce privilège ayant été accordé sans qu'on se doutât du contenu du livre limiteur fut mis à la Bastille trois ans plus tard, et n'eut la vie sauve que grâce à la protection du duc de Lorraine. L'ouvrage fut condamné par arrêt particulier d'Henri III[21].

L'auteur était un nommé des Rosières, archidiacre de Toul, et son ouvrage était dédié à Charles II, duc de Lorraine. D'après cet érudit, les princes de Lorraine étaient issus de Priam, roi de Troie, par Anténor, frère d'Énée, et ensuite d'un fils de Clodion, qui aurait été frustré de la couronne par Mérovée. Enfin il établissait que ces mêmes princes descendaient de Charlemagne par Othon, fils de Charles de Lorraine. Mais, Othon étant mort sans postérité mâle, et la loi salique existant en France, ces princes ne pouvaient prétendre à la couronne du grand empereur, en admettant même l'exactitude de cette généalogie.

Si controuvées que fussent leurs prétentions, leur popularité était si grande et leur génie si fécond, qu'elles pouvaient, dans un moment de troubles, donner à leur ambition une apparence de légalité, à défaut de droits mieux établis.

Sans perdre de vue leurs intérêts sur le continent, les Guises tournaient depuis longtemps leurs regards du côté de l'Angleterre. En France, le moment d'agir ouvertement n'était pas venu ; comme successeur éventuel au trône des Valois, ils mettaient prudemment en avant le cardinal de Bourbon, qu'ils voulaient faire couronner sous le nom de Charles X. Mais l'Angleterre était mûre pour leurs projets, et ils auraient réussi avec un roi plus expéditif, moins soupçonneux et moins paperassier que Philippe II.

Élisabeth, malgré son incontestable génie, s'était par ses cruautés rendue odieuse aux non-conformistes, c'est-à-dire aux réformés calvinistes, aux puritains, dont la secte était nombreuse et résolue, non moins qu'aux catholiques, soumis à un joug de fer. C'est une histoire lamentable et horrible que celte de la persécution exercée sous ce règne contre les catholiques. Ce n'était pas, comme en France, la lutte ouverte et franche sur les champs de bataille c'était la lutte sourde, tenace, inflexible, où le bourreau, au nom de la reine papesse, fouillait les entrailles des victimes avec des tenailles de fer, inventait des supplices horribles pour les faire périr dans les cachots : c'était l'espionnage hypocrite se glissant clandestinement sous le toit domestique pour épier les soupirs de la conscience[22].

Élisabeth, aussi fausse et aussi corrompue que son père Henri VIII, menait à Londres une vie infâme, souillée de crimes et de débauches ; c'était à la fois une Messaline doublée d'un Néron. Voilà la grande papesse de l'anglicanisme, la grande reine du Royaume-Uni !

Pour conjurer la puissance infernale de ce monstre hideux, le Balafré s'était lié avec don Juan. Les deux héros chrétiens, avec l'appui de Rome, de l'Espagne et des catholiques de France, devaient entreprendre une glorieuse croisade. La mort du vainqueur de Lépante retarda ce projet. Philippe, ayant trouvé, ainsi que nous l'avons dit, dans les papiers de son frère, le traité passé entre les deux princes et le plan de l'entreprise, se substitua à don Juan ; avec l'aide des jésuites anglais, il espérait bien garder la couronne d'Angleterre pour lui au lieu de la rendre à Marie Stuart.

Voici en peu de mots quelle était la situation de l'Angleterre et de l'Écosse, et comment devaient opérer les illustres conjurés.

Marie Stuart, prisonnière dans le château de Sheffield, en Angleterre était entrée en relation avec l'agent du duc de Guise, d'Aubigny, duc de Lennox, cousin de son fils Jacques VI. Ce d'Aubigny avait d'abord été envoyé en Écosse par le Balafré pour abattre le chef de la maison des Douglas, le comte Morton, qui était régent de Jacques VI et favorisait la politique d'Élisabeth.

Morton fut arrêté dans le conseil même du roi, composé des principaux seigneurs écossais, fatigués de sa domination et condamné à mort comme complice de l'assassinat d'Henri Darnley (2 juin 1581). Mais la faction anglaise d'Écosse, qui n'ignorait aucun des projets de Guise et de Philippe II, et était ainsi au courant des connivences des catholiques écossais avec ces deux personnages, ne tarda pas à prendre sa revanche. Le jeune roi fut attiré dans un piège croyant aller à une simple partie de chasse, il fut fait prisonnier, le 22 août 1582, et enfermé dans le château de Sterling. Ce n'est qu'un an plus tard, 27 juin 1583, qu'il parvint à s'échapper et à continuer ses relations avec le duc de Guise pour délivrer sa mère.

Un mois après l'évasion de Jacques VI, Guise envoya à Rome Richard Mélino pour soumettre au pape Grégoire XIII le plan de son expédition, et lui demander son appui matériel. Ce plan, qui avait été arrêté secrètement à Paris chez le nonce du pape, embrassait un ensemble d'opérations dont l'exécution lui était confiée. Une flotte espagnole et quatre mille hommes devaient débarquer sur la côte d'Écosse ; la flotte devait contenir en outre l'argent nécessaire pour la solde pendant quelques mois, de dix mille hommes qui. seraient levés dans la contrée, et dès armes pour cinq mille hommes. Mais Philippe II ne s'engageait qu'à regret pour une part active ; il aurait voulue ne coopérer à l'exécution du projet que pécuniairement ; c'est pourquoi il écrivit de l'Escurial (6 juin) à son ambassadeur Mendoza, si son moyen serait suffisant pour quelque bon effet avec le secours de l'argent seul[23]. Du reste, Philippe II, bien que gêné aussi dans ses financés, avait agi en cette affaire assez libéralement. C'est lui qui avait donné au duc de Lennox les dix mille écus qui avaient servi à favoriser l'évasion du roi Jacques VI, dix mille à Jean-Baptiste de Texis pour que Guise les distribuât aux conjura, vingt mille à Guise au moment où il allait s'embarquer ; et onze mille à l'archevêque de Glascow pour être employés, est-il dit dans la quittance, en certaines affaires dont il ne convient pas faire lei particulière relation[24].

Le pape était supplié par Richard Mélino, au nom du duc de Guise et de tous les catholiques du royaume (le Royaume-Uni), de donner avec quelque libéralité de l'argent, la seule chose dont on ait maintenant besoin, en fournissant pour une seule fois une somme proportionnée à la grandeur de l'entreprise, et de s'en reposer sur le duc de Guise pour la faire exécuter au plus tôt, et, s'il se peut, cette année encore[25].

Les catholiques de l'Écosse devaient grossir les rangs de l'armée espagnole ; Guise, Mayenne et le duc de Bavière s'engageaient à lever en France dans les Pays-Bas et en Allemagne des troupes nombreuses qui devaient débarquer dans le Northumberland et le Norfolk, où leur arrivée donnerait aux catholiques le signal de la révolte.

Les noms des seigneurs anglais qui devaient favoriser cette entreprise avaient été communiqués au pape par le duc de Guise[26], et Sa Sainteté, pour en faciliter le succès, était suppliée de renouveler la bulle de Pie V contre la reine d'Angleterre de déclarer qu'elle a chargé le roi catholique et le due de Guise de cette expédition, de donner aussi des indulgences à tous ceux qui y prendraient part, de désigner le docteur Allen, nommé évêque de Durham, pour y représenter sa personne en qualité de nonce[27].

Les, troupes sont prêtes, l'argent aussi ; les conjurés anglais et écossais attendent l'escadre qui doit venir des continents ; mais Philippe II doute, hésite, et, après avoir fait avorter deux fois l'expédition dans la crainte de l'hiver et des brumes, se renferme de nouveau dans son inaction calculée et dans sa coupable inertie, donnant ainsi aux ministres d'Élisabeth, dont les espions pénètrent jusque dans le Vatican, dans le collège des jésuites, à Rome, dans le conseil des Guises, le temps de connaître tous les fils de l'intrigue, les noms des personnages qui y sont compromis, et, sur l'ordre de la reine, de s'emparer de leurs personnes pour les livrer aux bourreaux.

Pendant que Guise voyait avec désespoir ses troupes impatientes se débander, les vaisseaux espagnols, malgré tant. de promesses, n'arrivant nulle part, Philippe II faisait des propositions au roi de Navarre[28]. C'est qu'il faut bien le dire, le roi d'Espagne craignait que Guise, une fois maître de l'Écosse et de l'Angleterre, ne se fit aussi proclamer roi de France et ne finit par tourner ses armes contre lui. Il trouvait plus habile et moins chanceux de se défaire d'Élisabeth par le même moyen dont servi pour se débarrasser du prince d'Orange.

Le Balafré était donc tout entier à ses projets contre l'Angleterre lorsque le duc d'Anjou entreprit la campagne des Flandres, et s'il se mêla de cette expédition, ce ne fut que pour la contrarier, afin qu'elle entravât pas ses desseins.

La chute de ses illusions, quand il vit que l'inaction de son allié avait fait avorter ce projet, si péniblement construit et qui devait donner des résultats si heureux, coïncida avec la défaite et avec la mort du duc d'Anjou, Dès lors la situation intérieure du royaume attira de nouveau son attention sur la Ligue, dont il avait été distrait par les vues qu'il portait sur l'Angleterre.

La mort du duc d'Anjou laissait Guise et Henri de Bourbon en présence, ou, pour parler plus exactement, le catholicismes militant, dont le Balafré était le chef, et le calvinisme, que sept révoltes à main armée et huit traités de paix tout à son avantage avaient rendu tout-puissant, et qui menaçait d'absorber l'État tout entier par l'avènement prochain au trône d'un prince de sa religion.

L'explosion soudaine de la Ligue, formée depuis huit ans, et dont les pruniers effets s'étaient manifestés aux états généraux réunis à Blois, a été faussement expliquée et prouvée par l'action du duc de Guise sur les masses populaires, non moins, que sur la noblesse et le clergé, obéissant lui-même à l'ordre qui lui fut intimé par Philippe à d'avoir à agir selon la promesse qu'il lui avait faite. Si populaire et si actif que fût le prince lorrain, il n'aurait pas pu déterminer un mouvement si vigoureux, et si général, si la France catholique tout entière n'eût eu comme lui le sentiment du péril que faisait courir à la religion, et partant à l'État, le triomphe du protestantisme dans la personne de son chef, qui était en même temps le prétendant légitime au trône laissé vacant par la mort de tous les princes de la maison de Valois.

De Thou, Lacretelle, et après eux bien d'autres historiens catholiques, n'ayant présent à la mémoire que le souvenir du règne glorieux d'Henri IV, s'élèvent avec une extrême énergie contre les ligueurs, et principalement contre le duc de Guise, qui osèrent, au nom de leur foi religieuse menacée, combattre les droits légitimes du plus grand et du meilleur des rois !

Autant que tous ces historiens nous aimons et nous admirons Henri IV ; mais il est facile, après coup, de se laisser aller à ces beaux sentiments. On oublie seulement qu'en 1585 le roi de Navarre, qui de protestant s'était fait catholique pour retourner immédiatement au calvinisme, ne s'était pas encore révélé à la France et aux catholiques sous le grand jour où il se manifesta plus tard.

Pour les ligueurs, c'est-à-dire pour la grande majorité des Français, Henri de Bourbon n'était alors qu'un joyeux compagnon de plaisir du roi Henri III, qu'un prince qui poussait l'insouciance jusqu'à fermer complètement les yeux sur la conduite criminelle de sa femme.

Admettons que le fils de Jeanne d'Albret fût mort sous le règne d'Henri III, quel jugement porteraient sur lui ceux qui, par opposition à Guise et à la Ligue, devaient le mettre si haut dans leurs écrits ? Les plus indulgents diraient que c'était un sceptique, spirituel et brave, sans autre ambition que de mener joyeuse vie ; mais ils ajouteraient que la frivolité de son caractère, bien plus peut-être que ses opinions religieuses, si tant est qu'il en eût, le rendait incapable de faire le bonheur de ses sujets. Tels faits de sa vie de jeunesse, qui depuis ont frappé tous les historiens, seraient passés inaperçus ou auraient été commentés contre lui.

Pour le bonheur et pour la gloire de la France, Dieu a permis que le Béarnais vécût assez longtemps pour nous révéler le grand Henri dont le règne a terminé nos discordes civiles. Eh bien, rendons grâces à Dieu de ce bienfait, honorons la mémoire chère et glorieuse de ce grand roi, si magnanime et si Français ; niais n'oublions pas que ceux qui le combattaient ne pouvaient deviner l'avenir, ni lire dans la conscience de ce héros. N'oublions pas surtout qu'à cette époque l'idée de l'autorité royale était inséparable de l'idée religieuse, et que le peuple, profondément catholique, ne pouvait comprendre et ne pouvait admettre que le trône. de Charlemagne et de saint Louis fût occupé par un prince hérétique.

La preuve de la sincérité de ses convictions éclata dans l'enthousiasme que ce même peuple manifesta lorsque le roi fut revenu à la religion du pays et de ses ancêtres, et dans la fidélité avec laquelle il fut servi par les chefs de la Ligue et principalement par Mayenne.

Si donc nous voulons juger sans passion ni parti pris la Ligue et les hommes qui la dirigèrent, effaçons pour le moment de notre souvenir le règne d'Henri IV ; transportons-nous par la pensée aux dernières années des Valois, et faisons d'avance la part des excès, des faiblesses, des crimes même qui sont toujours le résultat de tous les soulèvements populaires. Après cette synthèse, qui s'impose à tout esprit sérieux, nous pourrons suivre ses développements avec plus de calme et de maturité pour arriver à reconnaître que les ligueurs, bien plus que les calvinistes, préparèrent le règne d'Henri IV en le forçant à entrer dans la véritable voie des traditions monarchiques et religieuses. Sans la Ligue, qui peut assurer qu'Henri IV, retenu par ses amis de le veille, par les pasteurs qui avaient instruit sa jeunesse, serait revenu au catholicisme, et par conséquent si son règne n'aurait pas été marqué par une longue suite de troubles dans le genre de ceux qui marquèrent tristement les règnes de Charles IX et d'Henri III, et s'il n'aurait pas livré à ses successeurs une France morcelée, en proie à la guerre civile, si ruinée d'hommes' et d'argent qu'elle n'eût pas pu se relever !

Ceci dit, nous serons plus à l'aise pour parler des événements qui vont s'accomplir, et que le duc de Guise va diriger avec cette autorité et cette puissance de vues qui le rendaient si redoutable.

Les ligues, dans le genre de celle que d'Humières avait fait signer en Picardie, s'organisaient partout c'était la bourgeoisie, le peuple et le bas clergé qui en prenaient l'initiative en plus d'un endroit, et cela parce que le pouvoir royal semblait de plus en plus se désintéresser des choses de l'État, et.que cette apathie livrait là France aux mignons, en attendant qu'elle l'abandonnât complètement aux huguenots.

Une satire de l'époque disait : Les mignons demandent tout ; le roi accorde tout ; le chancelier scelle tout ; la cour du parlement enregistre tout ; le d'Épernon prend tout ; la reine mère conduit tout ; le duc de Guise résiste à tout ; l'âne rouge[29] brouille tout ; le diable emportera tout[30].

Des catholiques anglais, obligés de s'expatrier pour échapper à la torture, ayant fait le récit des supplices que la reine Élisabeth infligeait à leurs coreligionnaires, les orateurs populaires, les publicistes et même des fabricants d'images s'emparèrent de ces sujets si bien qu'il fut répandu dans Paris une quantité, incroyable d'écrits, de satires, de chansons, de pamphlets et de pasquins contre la reine d'Angleterre. Ce fut Louis d'Orléans ; avocat au parlement, qui sous l'inspiration d'un Anglais réfugié, publia le premier un récit complet des tourments infligés aux catholiques par les ministres de la fille d'Henri VIII. Dès ce moment ; dans les chaires, dans les carrefours, où se dressaient des tribunes improvisées, ce fut un déchaînement général d'imprécations contre le protestantisme. Des gravures, des estampes des enluminures grossières, représentant des gens torturés sur les chevalets avec des tenailles de. fer, des coins de bois, des pinces, des réchauds, furent répandus dans le peuple pour lui montrer de quelle sorte les protestants traitaient les catholiques, et quel sort lui serait réservé si les huguenots avaient le dessus. De grandes pancartes peintes furent exposées en plusieurs endroits, et des hommes munis d'une baguette désignaient les sujets et donnaient des explications à la foule, ainsi que le font encore de nos jours dans les villages les marchands de complaintes. Le lieutenant de police eut. ordre de saisir ces publications et l'on assure que les planches qui avaient servi à ces tirages furent trouvées à l'hôtel du duc de Guise. De Thou dit avoir vu lui-même un grand tableau peint sur bois qui. fut longtemps exposé au cimetière de Saint-Séverin[31].

Les catholiques ardents, surexcités par ce spectacle et par les orateurs populaires, allaient trouver le Balafré, le conjurant de ne pas attendre le moment où ils seraient exposés eux-mêmes à ces grils, à ces chevalets, à ces tenailles.

Guise répondait : Mes amis, il y a des moyens plus doux pour détourner cette persécution. Je vous jure de retourner vers vous si vous êtes menacés ; mais après mon départ le roi écoutera mieux vos prières. J'aime mieux tout souffrir que de me déclarer à demi. Quand on tire l'épée contre son souverain, il faut en jeter le fourreau.

Guise avait quitté Paris[32], et, après être resté quelque temps dans son gouvernement de la Champagne, réunit près de Nancy, au château de Bassompierre, quelques-uns des principaux ligueurs pour leur soumettre ses projets. A cette assemblée assistèrent le duc de Lorraine, les agents secrets de Philippe II et même de Jean Casimir, dit-on[33] ; le duc de Nemours, le duc et le chevalier d'Aumale, le duc d'Elbeuf, le duc de Mercœur et ses frères, le baron de Sencuy, Menneville et Mandreville[34].

Mayenne et le cardinal Louis ne furent pas, au début, mis dans tout le secret de la Ligue ; le premier avait un caractère si chevaleresque, et était si profondément dévoué à la personne du roi, que son frère même ne jugea pas à propos de lui faire entrevoir jusqu'où pourrait aller cette prise d'armes. Quant au second, il était encore trop jeune pour qu'on ne redoutât pas de sa part une indiscrétion compromettante.

C'est dans cette réunion que furent jetées les bases du traité qui devait être discuté et signé un peu plus tard à Joinville.

Pendant ce temps, la Ligue proprement dite, c'est-à-dire celle d'où devaient sortir les seize, s'organisait à Paris par les soins de Charles Hotman, sieur de Rocheblond, zélé catholique ; des curés de Saint-Benoît et de Saint- Séverin, et d'un chanoine de Soissons. Dans les premières réunions qui furent tenues, il fut décidé que tous les catholiques de Paris s'uniraient dans une association commune, ayant pour but de combattre l'hérésie, de contraindre le roi à réformer les abus dont le peuple souffrait, et d'empêcher l'avènement au trône d'un prince ne faisant pas profession de catholicisme. A cet effet, la ville fut divisée en cinq arrondissements, parmi lesquels : la Cité, les faubourgs de la rive gauche, le quartier de l'Université ; ces trois arrondissements étaient, sous la surveillance d'un marchand nommé Campan et de Crucé, procureur en la cour de l'Église. La Chapelle-Marteau, maître des comptes, et plus tard prévôt des marchands ; Louchard, commissaire au Châtelet, et Bussy-Leclerc, commissaire au parlement, se distribuèrent les deux autres commandements. Ces cinq quarteniers, étant insuffisants, s'adjoignirent onze autres catholiques, qui formèrent ainsi les Seize, sorte de gouvernement occulte, composa d'un conseil, d'un budget et d'une armée[35].

Le conseil était composé des quarteniers, élus par le peuple ; le budget était entretenu par les subsides volontaires que s'imposaient les affiliés, et l'armée était recrutée dans le peuple.

Liés les uns aux autres par serment, ils s'engageaient, au péril de leur vie et au sacrifice de leurs biens, à s'opposer à la royauté d'Henri de Bourbon et au démembrement de l'État. Ils juraient de défendre tous les catholiques, associés ou non associés, dévoués à la Sainte-Union ; de protéger les villes liguées, de faire homologuer le concile de Trente par les états généraux. Ils s'obligeaient par serment à faire rétablir dans leur ancienne liberté et leurs privilèges l'Église, la noblesse, les corps et communautés des bonnes villes ; à purger les parlements de leurs corruption, hérésie et tyrannie, et à affranchir le peuple de ses misères[36].

A l'exemple de Paris, presque toutes les villes de France s'organisèrent dans le même but et par les mêmes moyens. A cette impulsion démocratique se joignit l'impulsion aristocratique des seigneurs et gentilshommes, qui se liguèrent à leur tour dans les provinces ; les principaux furent May9nne, d'Aumale, d'Elbeuf, de Mercœur, de Nemours, Tavannes, Villars, le baron de la Châtre, Clialigny, le marquis de Belle-Isle, le comte de Randon, le seigneur de Menneville, l'amiral de Villars-Braneas, le baron Bedary, le marquis de Mignelay, le comte de Brissac, Boissy de Bois-Dauphin, le capitaine Saint-Paul, le marquis de Canilhac, etc. etc. Le haut clergé suivit la noblesse, et la Ligue fut fortifiée de l'assentiment que lui donnèrent les cardinaux de Bourbon, de Guise, de Pellevé et de la Rochefoucauld ; Pierre d'Espinac, archevêque de Lyon ; Geoffroy de la Mortonnie, évêque d'Amiens ; Louis de Brézé, trésorier de la Sainte- Chapelle, évêque de Meaux ; Gilbert Génébrard, religieux bénédictin, docteur et professeur d'une grande science, archevêque d'Aix ; Claude Sainctes, chanoine régulier, qui fut évêque d'Évreux, et enfin presque tous les prélats, chanoines et religieux de France.

La basoche et les parlements fournirent aussi leur contingent d'hommes illustres, d'avocats distingués, parmi lesquels nous citerons seulement les avocats Versoris, de Beaumont, Mesnager, Acarie, maître des comptes ; Crosne, conseiller au grand conseil ; le trésorier Olivier, la Chapelle-Marteau, etc.[37]

Ainsi toutes les forces vives de la nation, sans distinction aucune de sang, de classe ni de fortune, se trouvaient unies dans une pensée commune : guerre à l'hérésie. Si un peuple tout entier se tournait vers Guise comme vers le chef le plus autorisé, il serait insensé de dire que Guise seul 'convertit à sa cause cette multitude qui allait obéir à ses ordres. Le mouvement était trop national pour avoir été soulevé par une ou plusieurs personnes, et n'être que le résultat de l'intrigue ou de la pression. La seule chose que l'on puisse regretter, c'est que ce mouvement ait été exploité par des ambitions inavouables.

Le 31 décembre 1584, le duc de Guise recevait au château de Joinville, dans une petite pièce célèbre depuis sous le nom de cabinet de la Ligue, Jean-Baptiste de Texis, commandeur de l'ordre de Saint-Jacques, Jean Marco, commandeur, délégué de Philippe II ; François de Roncherolles, sieur de Menneville, représentant le cardinal de Bourbon, qui devait bientôt, prendre le titre de premier prince du sang et d'héritier présomptif de la couronne. Mayenne, présent à la réunion, et le Balafré étaient munis des pleins pouvoirs de leur frère le cardinal de Guise et de leurs cousins les ducs d'Aumale et d'Elbeuf. Ce jour-là fut discuté et signé le traité qui liait le roi d'Espagne et les ligueurs.

Les préliminaires du traité contenaient une protestation d'après laquelle les contractants déclaraient n'avoir formé cette union que dans le but de conserver la religion catholique, attaquée ouvertement par les hérétiques ; qu'à cet effet ils avaient souvent présenté au roi leurs respectueuses remontrances pour qu'il extirpât l'hérésie, tant en France que dans les Pays- Bas, et s'opposât aux efforts de celui qui, dans le cas où le roi viendrait à mourir sans enfants, voudrait s'emparer de la couronne en sa qualité d'héritier légitime, et que, leurs remontrances étant restées sans effet, ils étaient convenus des articles suivants :

Le cardinal de Bourbon serait regardé comme le légitime et plus proche héritier de la couronne, à l'exclusion de tous autres princes relaps et hérétiques ;

Si le roi Henri III mourait sans enfant male, tous les princes et conjurés reconnaîtraient le cardinal Charles de Bourbon, qui prendrait immédiatement possession du trône ; ratinerait : le traité de Cambrai, passé en 1559 entre l'Espagne et la France ; ne souffrirait dans le royaume que la religion catholique, apostolique et romaine ; poursuivrait contre l'hérésie une guerre d'extermination ;corrigerait les abus qui s'étaient introduits dans l'Église ; ferait publier les décrets et ordonnances du concile de Trente ; renoncerait, pour lui et ses successeurs, à l'alliance du Grand Seigneur (l'empereur des Ottomans) ; rendrait au roi d'Espagne la ville 'et la : citadelle de Cambrai ; et enfin une alliance éternelle et inviolable serait jurée entre le cardinal et Sa Majesté Catholique.

Par ce traité, le roi Philippe s'engageait à fournir aux princes conjurés une pension mensuelle de cinquante mille écus, et autant de troupes et d'argent dont ils auraient besoin pour l'avancement de la religion et la conservation de leurs illustres familles ; qu'outre les princes mentionnés, tous les grands officiers de la couronne, les seigneurs gentilshommes, villes, chapitres, universités et tous les ligues, du royaume, avec qui ils étaient unis ou pourraient l'être dans la suite, étaient compris dans ce traité.

Le traité fut fait et signé à double original ; une copie fut envoyée au roi Philippe II, tandis que les princes gardaient l'autre. On laissa en blanc la place pour les signatures des ducs de Lorraine, de Mercœur et de Nevers, qui étaient absents, mais dont le consentement à la Ligue n'était pas douteux.

Si la Ligue catholique avait été prompte à s'organiser, la contre-ligue protestante n'avait pas attendu d'être surprise pour préparer, ses armements et ses alliances.

Quinze jours avant la signature du traité de Joinville, dont nous venons de parler, les réformés de France, c'est-à-dire le roi de Navarre, Condé, les représentants de la Rochelle, signaient à Magdebourg un concordat ou contre-ligue avec Élisabeth, Jean-Casimir ; les protestants d'Allemagne et les calvinistes suisses.

La reine d'Angleterre était pour les protestants ce que Philippe II était pour les catholiques ; c'est vers elle que le baron de Pardaillan était envoyé pour obtenir les principaux secours en hommes et en argent dont le parti avait besoin pour faire la guerre et arriver à des fins, qui, pour la plupart des religionnaires, étaient beaucoup plus antinationales que celles des Guises, ainsi que nous le verrons bientôt. Pardaillan remit à Élisabeth un long mémoire contre les Guises et sur leur prétention de descendre de Charlemagne, de nourrir le dessein de s'emparer de la couronne en mettant d'abord en avant un vieillard plus que sexagénaire, et cela en attendant qu'ils, fussent assez forts pour parvenir à un but si difficile. Ceux qui avaient troublé la France pourraient bientôt troubler l'Angleterre... Ceux qui aujourd'hui troublent la France pour accroistre leur authorité et grandeur sont ceux mêmes qui de longue main ont brouillé les affaires d'Écosse, desquels, si les desseings viennent à prospérer en ce royaume, c'est à ladicte darne à considérer ce qu'ils oseront entreprendre contre son Estat.

La reine Élisabeth avait promis aux protestants de France douze mille Anglais, cinq mille reîtres et quatre mille Suisses ; les protestants d'Écosse, deux mille hommes de pied ; le duc de Poméranie, le comte palatin du Rhin, Jean-Casimir, le landgrave de Hesse et le duc de Wurtemberg, quatorze mille cinq cents reîtres ; les cantons suisses, cinq mille fantassins ; ce qui, joint aux troupes déjà levées en France, mettait le roi de Navarre à la tête d'une armée qui allait atteindre le chiffre respectable de soixante-quinze mille hommes.

Maintenant voyons l'usage que voulaient faire de ces forces étrangères non pas le Béarnais, dont le patriotisme ardent et éclairé ne s'est jamais démenti un seul instant, mais bon nombre de seigneurs et de gentilshommes huguenots, qui, ainsi que nous l'avons dit, dissimulaient leur ambition sous le masque de la liberté de Conscience. C'est l'intègre Sully, le ministre éminent d'Henri IV, le calviniste sincère, qui va nous l'apprendre dans ses Mémoires.

Nous citons textuellement :

Une partie des principaux chefs, dit Sully, songeoient dès ce temps-là plutôt à leur agrandissement particulier qu'à celui du roi ; sans faire réflexion que leur fortune tenait si bien à la sienne, qu'il étoit impossible qu'ils réussissent s'il échouait. Chacun se bâtissoit à lui-même sa fortune hors du plan général. Dans une conférence plus particulière qui fut tenue à Saint-Paul-de-Lamiate, on donna audience à un ministre docteur, envoyé de l'électeur palatin, nommé Butrick, où parut avec plus d'éclat cette désunion des esprits. Le vicomte de Turenne y donna les premières marques de cet esprit inquiet, double et ambitieux qui formoit son caractère. Il avoit projeté, de concert avec ce Butrick, un nouveau système de gouvernement, dans lequel ils avoient entraîné messieurs de Canstans, d'Aubigné, de Saint-Germain-Beaupré, de Saint-Germain de Clan, de Bressolles et autres. Ils vouloient faire de la France calviniste une espèce d'État républicain, sous la protection de l'électeur palatin, qui tiendroit en son nom cinq ou six lieutenants dans les différentes provinces.

En examinant ce projet, on conviendra aisément que le roi de Navarre étoit quitte de toute reconnaissance envers ces messieurs, puisque par ce plan on confondoit tous les princes du sang avec les officiers du parti religionnaire, et qu'on les réduisait à la qualité de simples lieutenants d'un petit prince étranger. Ce n'est pas là la seule fois que le roi de Navarre a trouvé des ennemis secrets dans son conseil, parmi ses créatures et ses serviteurs en apparence les plus zélés, parmi ses amis même et ses parents[38].

Il serait fastidieux de reproduire ou de citer les nombreux écrits qui furent publiés pour ou contre la Ligue pendant les ann6es 1584-85. L'attaque se résumait toujours à reprocher aux princes lorrains de se servir de la religion pour soulever là guerre civile, en même temps que leur prétention de descendre de Charlemagne pour établir leurs droits à la couronne après qu'ils se seraient débarrassés du cardinal de Bourbon.

Un de ces écrits, Advertissement-manifeste de la Sainte-Ligue, dit en terminant :

L'entreprise heureusement achevée, si alliai elle se peut achever, ledit duc de Guise, pour rémunération, de ses services, seroit faict connétable, avec auctorité de gouverner le royaume au nom du roy, comme fésoyent anciennement les maires du palais, qui est le vray chemin que Pépin le Bref et Hue Capet prindrent pour parvenir à la monarchie.

Ainsi, dit un autre pasquin, se fit eslire Martel... Ainsi Capet, par mesme ruse, depuis changea la succession du royaume et en exclut Charles, qui en estait le légitime héritier. C'estoit, disoit Martel, pour la dense du christianisme contre l'impétuosité du Sarrazin. C'estoit, disoit Capet, pour restituer aux églises de France les biens dont elles avoient été dénuées, et leur rendre leur première dignité et splendeur... Et ainsi la quatrième race régnera sur les François.

Une des réponses que tirent les Guises mérite d'être analysée ; car elle réduit à leur juste- valeur toutes les accusations plus ou moins fondées dont ils sont l'objet. Elle a pour titre : Réponse par messieurs de Guise à un Advertissement[39].

Le Balafré commence par rappeler à ses adversaires les édits dont ils furent frappés, pour cause d'hérésie, par les rois François Ier, Henri II, François II et Charles IX ; ces condamnations prononcées contre eux, ils les oublient pour faire retomber toute leur haine sur la maison de Guise, comme si cette maison eust été seule cause de ce qu'ils n'estoient venus à leurs intentions. Pour combattre cette maison, ils ont maintenant recours contre elle à l'arme de la calomnie ; et cependant les faits sont là pour démontrer que de toutes les villes dont ils se sont emparés, qu'ils ont eues entre leurs mains, ils n'en ont jamais gardé une seule ; qu'ils les ont, au contraire, toujours fidèlement et loyalement remises en l'obéissance du roi ; ce que les huguenots n'ont pas fait, car ils ont retenu les villes de la Rochelle, de Montauban de Saint-Jean-d'Angély, etc., et mis entre les mains des Anglais, ces ennemis séculaires de la France, le Havre-de-Grâce et autres places de grande conséquence... — Doncques on pouvait dire à monsieur de Guise ce que Dion récite avoir esté escrit sur la sépulture de Ruffus : Ci-gist Ruffus, lequel, ayant chasse l'ennemy, a recouvert l'empire non pour luy, mais pour sa patrie ; car monsieur de Guise, après y avoir perdu la vie, a laissé sa maison engagée de plus de six cent mille livres, comme il est tout notoire.

Abordant alors la question de succession, le Balafré reconnaît que le dernier de la race de Charlemagne mourut sans enfants mâles, et il ajoute que s'il était vray que ceux de Lorraine descendissent de ce dernier prince, et que sa maison eût des droits à son héritage, ce serait d'abord au duc de Lorraine, puis au duc de Mercœur à se débattre, avant que ceux de Guise y puissent rien quereller[40].

La polémique continuant ainsi, ardente, passionnée, descendant souvent des régions de l'histoire et de la discussion pour se traîner sur le terrain de l'injure, n'a plus rien qui puisse nous intéresser. Nous la quitterons donc pour suivre le cours des événements.

Guise, avec une habileté et une souplesse rares, manœuvrait au milieu des ambitions diverses dont il était entouré, feignant de les favoriser, tout en marchant au but qu'il s'était marqué et dont le secret appartenait à lui seul.

Pour faire échec à Henri de Navarre, il avait mis en avant le vieux cardinal de Bourbon, son oncle, qui, à cause de son tige et du caractère sacré dont il était revêtu, ne portait ombrage à aucun des alliés de la Ligue, tout en les forçant à voiler leurs desseins personnels. Le cardinal, qui n'avait jamais été doué d'une bien haute intelligence, s'était laissé facilement dominer par le duc de Guise, et jouait avec une naïve bonne foi le rôle qu'on lui avait dicté.

Un jour, — trois mois avant la signature du traité de Joinville, — Henri III demanda au cardinal s'il était vrai, ainsi qu'on le disait, que, dans le cas ou il viendrait à mourir sans hoirs mâles, il prétendrait à la couronne au préjudice de son neveu. Sire, répondit le cardinal, si le malheur nous en vouloit tant que cela advînt, je pense qu'il m'appartiendroit, et non pas à mon neveu, et serais fort résolu de ne lui pas quitter. Le roi se mit à sourire, et lui frappant sur l'épaule, lui dit : Mon bon amy, le Châtelet vous le donneroit, mais la cour vous l'osteroit. Et il s'en alla en se moquant de luy[41].

Oh a assuré que le duc de Guise était parvenu à convaincre le faible cardinal que la cour de Rome, le dégageant de ses vœux les plus sacrés, lui permettrait de se marier pour avoir des héritiers directs. Son épouse, en ce cas, était trouvée : c'était la sœur de Guise, la veuve du duc de Montpensier.

Ce roi en expectative, quelles que hissent les espérances dont on le berçait, servait admirablérnent la politique de Guise. Sous le couvert de ce prélat, il entraînait officieusement Catherine de Médicis dans la Ligue.

La reine mère avait prévu depuis longtemps que ses enfants ne laisseraient, pas d'héritiers. Un moment elle se déclara en faveur du Béarnais, qu'elle espérait dominer par sa femme, et qu'elle croyait incapable d'avoir d'autre ambition que des succès amoureux. Mais son erreur ne fut pas de longue durée ; elle s'aperçut bientôt que, sous son rire insouciant et son humeur facile, son gendre cachait un caractère énergique, un esprit souple et pénétrant, une volonté de fer.

Depuis le jour de la Saint-Barthélemy jusqu'au moment de son évasion du Louvre, notre futur grand Henri joua une comédie qui trompa tous ceux qui l'entouraient, excepté Catherine de Médicis et Guise. Hors ces deux personnages, qui le devinèrent d'instinct, d'abord Catherine, Guise ensuite, pour tout, le monde, même pour sa femme et pour ses plus fidèles amis, à qui il ne se révéla que plus tard, chacun le prenait pour un plaisantin, et il n'est sorte de railleries dont les courtisans n'accablassent le roitelet. Il est vrai que le roitelet ; avec son sourire bonhomme, ne leur épargnait guère la riposte. Nul n'était à l'abri de ses traits, qui frappaient toujours juste.

Un gentilhomme de la maison de Noailles chantait, en s'accompagnant de son luth, auprès de la princesse douairière de Condé. Henri assistait à cette scène. Impatienté d'entendre le jeune gentilhomme répéter souvent cette phrase sentimentale :

Rien ne me plaît, rien ne me tente

Auprès de ma divinité.

Henri acheva le quatrain en y ajoutant ces deux vers de sa façon :

N'appelez pas ainsi ma tante,

Elle aime trop l'humanité.

La réplique fit fureur a la cour, et chacun s'égaya aux dépens de la princesse et de son soupirant.

Un soir, — c'était un peu avant son départ du Louvre, — il répétait tout haut, étant couché, le passage des Psaumes dans lequel David déplore la dispersion de ses amis. D'Aubigné, son écuyer, et d'Armagnac, son valet de chambre, l'entendirent ; remplis d'émotion, ils ouvrirent le rideau du lit, et d'Aubigné lui dit : Ils sont près de vous, Sire, ces amis que votre cœur regrette. Votre plainte tout injuste a pénétré nos cœurs. Sire, il est donc vrai que l'esprit de Dieu travaille en vous ? Sire, vos ennemis sont à cheval, et vous êtes encore à genoux ! Vous dissimulez ; oui, nous le croyons ; mais ouvrez-nous votre âme. Soyez à la tête des hommes qu'on redoute, et n'endurez pas plus longtemps les affronts parmi des hommes méprisés.

D'Aubigné, répondit Henri, vous chérissez tendrement votre maître, et pourtant vous ne craignez point de le mal juger. On n'avilit ni ne trompe le roi de Navarre. Je suis jeune, mais vieilli par le malheur, et vous verrez bientôt si mon courage égale ma patience.

Le prince qui avait dissimulé pendant trois ans et demi avec tant de patience et d'habileté, pour se relever avec tant d'éclat aussitôt qu'il avait pu conquérir sa liberté, ne pouvait plus être te roi selon le cœur de Catherine de Médicis. Aussi Guise n'eut pas de peine à persuader l'Italienne que le cardinal de Bourbon n'était mis en avant par lui que pour préparer le chemin du trône au fils du duc de Lorraine et de Madame Claude de France, fille d'Henri II. Catherine se berçait du doux espoir d'être régente de son petit-fils !

Philippe II était entretenu par Guise dans une même espérance. Comme Catherine, il croyait que le cardinal n'était qu'un plastron dont la Ligue se déferait au moment voulu pour mettre sur le trône de France sa fille, qui était aussi issue des Valois par sa mère, fille d'Henri II et de Catherine de Médicis.

Quant à Guise, il est permis de supposer qu'il riait sous cape de la simplicité dont ses alliés le croyaient capable. Cependant le moment d'agir était venu ; le roi venait de lancer un édit (29 mars 1585) par lequel il diminuait les impôts de deux cent cinquante mille écus, afin d'assurer la tranquillité et de parvenir au soulagement du peuple ; il défendait en outre les levées d'hommes de pied et de cheval, requérant les gouverneurs de les empêcher par la force des armes si besoin était. Henri III envoya en même temps Fleury, son ambassadeur en Suisse, pour faire des levées dans les cantons, et Schomberg en Allemagne pour ramener quelques compagnies de reîtres. Fleury arriva en Suisse ; mais Schomberg, en traversant la Lorraine, tomba, à Briey, entre les mains de Lénoncourt, qui le fit conduire à Verdun.

Guise venait de rassembler à la hâte six mille Suisses, que commandait Piffer ; quatre mille reîtres, levés par Bassompierre ; et, avec quelques gentilshommes qui formaient sa cavalerie, essayait, par un coup d'audace, de s'emparer des Trois-Évêchés[42]

La première place devant laquelle il se présenta fut Verdun, où Lesdieu tenait garnison pour le roi. Proche de Verdun était le château fort d'Oimbé, dont le capitaine Saint-Paul s'empara par surprise. Il allait en être chassé par un lieutenant de Lesdieu nommé Gargas, lorsque cet officier et sa compagnie passèrent dans le camp des ligueurs.

Malgré cet échec, le gouverneur de Verdun avait fait fermer les portes de la ville et s'apprêtait à faire résistance. Le jour de Pâques, étant à table, il appris qu'un de ses officiers dont il se méfiait, Guittaud, était rentre dans la place, et soulevait le peuple en faveur de Guise. Lesdieu ne put que se renfermer dans sa maison, après s'être entouré des troupes qui lui étaient restées fidèles ; le lendemain, Guise vint le relever du commandement et mit Guittaud à sa place.

Toul se rendit plus facilement encore ; les habitants, qui craignaient d'être massacrés par les Allemands, ces alliés naturels des huguenots, ouvrirent eux-mêmes à Guise les portes de leur ville.

Les gentilshommes commençaient à affluer dans le camp des ligueurs ; trois mille fantassins et autant de reîtres rejoignirent Guise à Rouvray le 24 mai. Le Balafré était maintenant à. la tête d'une armée de plus de douze mille hommes. Avec ces forces, il allait tenter un coup de main sur Metz ; mais d'Épernon, ayant saisi ses intentions s'était mis en mesure de renforcer la garnison de cette place si importante. Guise alors fit passer ses troupes en Champagne et revint à Châlons, dont il voulait faire sa place d'armes[43].

Tandis que Guise el Mayenne soulevaient. ainsi la Champagne et la Lorraine, d'Aumale soulevait la Picardie, et tous les autres conjurés en faisaient autant dans leurs provinces. Lyon, Bourges et Amiens se prononcent pour la Ligue. Une révolte éclate à Marseille mais elle est réprimée, et la ville rentre en l'obéissance du roi. Un tiers de la France est occupé militairement par les ligueurs, et un autre tiers par les huguenots. Le tiers restant va échapper à son tour à l'autorité royale si Henri III, qui tremble dans le Louvre, où il a peur que les Parisiens viennent l'assiéger, ne prend pas des mesures énergiques pour sauver sa couronne.

Pendant ce temps, le cardinal de Bourbon, après avoir écrit au roi pour le supplier qu'il lui permît de se retirer dans sa ville diocésaine de Rouen, où toute la noblesse de Picardie allait à sa rencontre, se rendait, pour plus de sûreté, à Péronne, toujours escorté d'un grand gentilshommes armés lui rendant des honneurs presque royaux.

C'est de Péronne[44] que le cardinal de Bourbon lança en faveur de la Ligue un manifeste écrit au nom de Dieu, Roy des roys, et signé : Nous Charles de Bourbon, premier prince de sang, cardinal de la sainte Église catholique, apostolique et romaine[45].

Ce document, excessivement long ne faisait que répéter ce que nous avons dit maintes fois sur les maux dont souffrait le royaume, la nécessité qu'il y avait pour tous les bons catholiques. de s'unir pour la défense de la religion l'allègement des charges qui pesaient sur le peuple, et l'abolition des impôts nouveaux établis depuis le règne de Charles IX. Le manifeste ou déclaration[46] s'adressait aussi au roi pour l'inviter à nommer son successeur ; et cela, y est-il dit, pour empescher les partialités et les divisions qui, touchant sa succession, soit durant sa vie, soit après sa mort, pourraient survenir entre les peuples qui sont commis à ses soins.

Ce fut après la publication de cet écrit que la guerre éclata ; et que les Guises appuyèrent tout particulièrement les prétentions de la Ligue par la force des armes en s'emparant des villes que nous, venons de citer.

Revenons à Henri III. L'édit royal contre les levées qui se faisaient dans tout le royaume n'avait été exécuté nulle part huguenots et catholiques continuaient d'armer avec la même activité, et les gouverneurs des provinces, tous favorables à l'un ou à l'autre parti, laissaient faire ou favorisaient même le recrutement des troupes. Les députés des Pays-Bas vinrent à la cour pour prier le roi de les secourir en envoyant contre le duc de Parme une armée sous le commandement du roi de Navarre. L'ambassadeur de Philippe II voulut s'opposer à la réception des ambassadeurs envoyés près d'un roi allié par des provinces révoltées contre son maitre ; mais Henri fidèle ici du moins aux glorieuses traditions de ses ancêtres, répondit énergiquement que la France était une nation hospitalière et généreuse, qui écoutait toujours les plaintes des faibles et des opprimés.

Les ambassadeurs furent reçus, et exprimèrent au roi leurs doléances et leurs vœux. Mais Henri III, en l'état d'hésitation où il se trouvait craignant d'une part la guerre civile et d'autre part la guerre avec l'Espagne s'il se prononçait ouvertement en faveur des réformés flamands, ne put leur répondre que par de bonnes paroles et des promesses vagues qui ne l'engageaient à rien.

Au lieu de prendre une ferme résolution, il suivit la politique de sa mère, qui avait été si funeste à lui et à ses frères. Tandis qu'il répondait au inanifeste.de Charles de Bourbon par un autre manifeste dans lequel, au lieu de parler en roi et maître, il plaidait faiblement les circonstances atténuantes et essayait de se justifier, il envoyait le duc d'Épernon auprès du roi de Navarre pour négocier une alliance avec les huguenots, et Catherine de Médicis auprès de Guise pour désarmer la Ligue à l'aide d'un compromis favorable aux catholiques.

Pour surcroît d'embarras, la reine d'Angleterre venait d'envoyer (28 février 1585) un ambassadeur[47] avec une escorte de deux cents chevaux pour remettre au roi l'ordre de la Jarretière. La réception splendide qu'Henri III fit à cet ambassadeur, les fêtes, tournois, diners de gala et ballets, exaspérèrent le peuple de Paris, qui l'accusait hautement de s'allier aux hérétiques.

Guise et Mayenne, à leur retour de Lorraine, avaient passé par Péronne, où était Charles de Bourbon, puis, en compagnie de ce prince, ils étaient revenus à Châlons. L'intention des princes lorrains était de se rapprocher le plus possible de Paris avec toutes leurs forces, pour intimider le roi et l'amener à composition, tandis que leurs lieutenants tenaient les provinces plus éloignées et formaient une imposante réserve. Il advint pourtant dans les rangs de la Ligue une défection qui fut particulièrement sensible au duc de Guise. Le duc de Nevers, qui avait épousé une des sœurs de la femme de Guise, était à Avignon lorsqu'il apprit que Marseille venait de rentrer en l'obéissance du roi. Le duc avait espéré être nommé gouverneur de la Provence par la Ligue s'il parvenait à s'emparer de Marseille. Déçu dans cette espérance, il écrivit à son beau -frère pour lui soumettre les scrupules de sa conscience. Nevers ne se croyait plus le droit de prendre les armes contre son souverain légitime si la Ligué n'était pas autorisée par Une bulle du Saint-Père[48], et c'était cette autorisation qu'il était résolu d'aller chercher lui-même à Rome.

Quelques autres ligueurs, parmi lesquels Villiers, ancien gouverneur du château de Caen, suivirent l'exemple de Nevers sous le même prétexte, et se retirèrent de la Sainte-Union. — Tout cela néanmoins n'étoit qu'une petite goutte d'eau qu'on ostoit d'une grande mer, pource que le peuple et les ecclésiastiques estoient si échauffés après la Ligue qu'elle se fortifloit plus fort de jour en jour par les continuels progrez qu'elle faisoit[49].

Le roi se trouvait dans un cruel embarras. A bout de ressources, était obligé de composer, au mois de mai, avec les trésoriers et financiers, moyennant une somme de deux cent mille écus pour le Capital, et de quarante mille pour les frais de justice, en compensation de tous vols faits à l'État. Ceux qui avoient manié peu ou prou les finances du roy, tant innocents que coupables, furent par testes quotisez, à la charge de mieux dérober qu'auparavant et donner courage à ceux qui, avoient été fidèles au roy de faire comme les autres, y ayant plus d'acquest à être larron qu'homme de bien[50].

Surpris par l'explosion subite de la Ligue, il n'avait  pas su prévoir, Henri était sans armée, et ne pouvait, pas même compter sur les Suisses, car Guise l'avait précédé et -avait gagné les cantons à sa cause. La défection s'était mise jusque dans le groupe des mignons. La haute faveur dont jouissait d'Épernon, qui était du resté le plus capable d'entre eux, avait déterminé Joyeuse, Saint-Luc, de Lansac et plusieurs autres à se ranger sous les drapeaux de la Ligue.

Nicolas Poulain, lieutenant du prévôt de l'Île-de-France, bien que ligueur zélé, prévint secrètement le roi de la situation morale et politique de la capitale, ne lui laissant rien ignorer de l'organisation concernant le gouvernement occulte que les catholiques s'étaient donné. Cet officier ne lui dissimula pas non plus qu'en restant dans Paris il s'exposait à quelque affront de la part du peuple, fort prévenu contre lui et l'accusant ouvertement de favoriser et de protéger les huguenots ; mais il ajoutait aussi que s'il sortait de la ville la révolte éclaterait aussitôt, car jusqu'ici ce n'étaient que sa présence et les mesures qu'il prenait qui avaient pu la contenir dans le devoir.

Le pauvre et faible monarque avait été obligé de s'entourer d'un garde de corps, composée de quarante-cinq gentilshommes, auxquels il donnoit bouche à cour et cent écus. de paye par mois pour se tenir toujours près de sa personne ; il vivoit néantmoins en grand soupçon et dans une extrême peine de se voir sur un cheval si fort en bouche, qu'il n'étoit pas possible de le mettre à la raison[51]. C'est avec ces quarante-cinq que le vainqueur de Jarnac et de Moncontour faisait tous les jours la ronde des corps de garde, comme s'il se fût trouvé dans une ville assiégée.

Ce fut alors que, cédant aux sollicitations de sa mère, de Bellièvre et de Villeroi, il entra en négociations avec la Ligue, pendant que d'Épernon faisait à Henri de Béarn les plus belles promesses pour l'engager à lever une armée et à se déclarer en faveur d'Henri III.

Catherine de Médicis, après s'être fait prier, consentit à se rendre à Épernay, qui n'est situé qu'à dix lieues de Châlons, pour s'aboucher avec le duc de Guise, comme étant celui qui avoit assez de faculté pour accommoder, en les prenant entre ses mains, les affaires de son fils[52]. Elle le pria, dès la première entrevue, d'être disposé comme un bon vassal et de lui expliquer ses prétentions. La reine était accompagnée de Louis de Saint-Gelais, sieur de Lansac, de Pierre Brulart, secrétaire d'État, et de Pierre d'Espinac, archevêque de Lyon.

Le départ de la reine mère et de sa suite pour Épernay avait été décidé dans le conseil ; où.fut débattue aussi là réponse à faire aux députés des états flamands. Le conseil décida le roi ne pouvait pas répondre par l'affirmation aux vœux des Flamands sans s'exposer à une guerre contre l'Espagne, qui viendrait s'ajouter aux maux de la guerre civile, et qu'avant de S'exposer a des complications extérieures, il convenait d'apaiser les troublés intérieurs. Henri III se vit donc obligé de congédier les députés en les députés en mandant à l'ambassadeur anglais, et en les faisant recommander lui-même à la reine Élisabeth par son ambassadeur auprès de cette princesse.

Le roi de Navarre, instruit de cette décision par ses émissaires à la cour de France, comprit dès. lors que toute alliance avec son beau-frère était impossible, et qu'il devait même s'attendre à être bientôt attaqué. En réponse aux manifestes de la Ligue, qui le traitaient d'hérétique et de relaps, il lançait, le 10 juin, et faisait publier dans Paris le 28 du même mois, un écrit vigoureux contre les Guises, accusait d'être les auteurs de tous les maux dont souffrait le royaume ; il terminait en suppliant le roi de lui accorder la permission de vider ce différend par un combat singulier, un contre un, deux contre deux, ou en plus grand nombre si on le souhaitoit, et en tel lieu que l'on voudrait, pourvu qu'on lui donnât sûreté.

La veille du jour où parut la réplique du roi de Navarre, le duc de Guise, que ta reine mère n'avait pu ébranler ni par menaces ni par prières, et le cardinal de Bourbon envoyèrent directement au roi une requête pour lui demander la publication d'un édit par lequel défense serait faite de professer dans toute l'étendue du royaume d'autre religion que la religion catholique, apostolique et romaine. Cet édit, qui devait être enregistré par le parlement, en présence du roi séant en son lit de justice, retirait aux protestants les places.de sûreté qui leur avaient été données. La requête parlait en outre de diverses autres mesures à prendre contre les protestants. Enfin le roi devait faire observer cet édit par les troupes levées par l'Union jointes à celles qu'il lèverait lui-même. A ces conditions, disait le duc de Guise, les princes et seigneurs de l'Union pour montrer qu'ils n'étaient animés ni par l'ambition ni par la haine, se déclaraient prêts à se désister de la proposition qu'ils avaient faite au sujet des places de sûreté qu'ils avaient demandées et même à donner leur démission de tous les gouvernements et de toutes les charges qu'ils possédaient, si telle était l'intention de Sa Majesté.

Selon son habitude, Catherine de Médicis avait usé de tous les moyens pour prolonger les pourparlers, afin de permettre à son fils de lever quelques troupes ; mais, à mesure que ses faibles ressources se montraient sur un point, Guise, qui les surveillait, leur opposait des forces supérieures.

A chaque hésitation ou menace de la reine, Guise se renfermait dans un silence glacial, et ordonnait à ses troupes et à celles de Mayenne d'avancer vers la capitale. Catherine comprit que le Balafré plus encore que son père le grand Guise, comme on l'appelait, ne se fait ni intimider ni circonvenir ; aussi, lasse de lutter et de ruser inutilement, elle se voyait dans l'obligation de conseiller à son fils de lancer un édit pour annuler les précédents, et ne plus reconnaître que la religion catholique. Mais Guise exigeait plus ; il voulait pour lui et les gens des places de sûreté, comme garantie de l'exécution fidèle du traité. Catherine lui offrit. Saint-Dizier, Sainte-Menehould Maubert-Fontaine, Châlons et Reims. Guise voulait, tant pour lui que pour son père et ses cousins seulement, Metz et sa citadelle, le château et la ville de Dijon Châlons-sur-Saône, Reims (pour le cardinal de Guise), Mantes, Saint-Malo ou Dinan ; concession au duc d'Aumale de pouvoir commander dans Péronne, Ham, Montdidier, Corbie, Roye et Montreuil ; mêmes prérogatives en faveur du duc d'Elbeuf quant à Briançon, Embrun, Gap, Die, Montélimar et Valence[53]. De plus, autorisation pour lui, Mayenne et Mercœur, d'entretenir leurs gardes.

Les conditions du Balafré étaient trop énergiquement formulées, et appuyées sur des forces trop considérables, pour qu'il fût possible à la reine mère de les éluder d'une façon quelconque. Le roi de Navarre venait encore d'écrire à Henri III pour se plaindre de ce qu'il traitait avec la Ligue contre la parole qu'il lui avait donnée ; mais sa lettre arriva trop tard. Quand elle parvint au roi (7 juillet), il y avait trois jours que les préliminaires des traités de paix étaient consentis de part et d'autre et avaient été signés à Nemours, où vers les derniers temps se tenaient les conférences..

Le 18 juillet, le roi se rendit au parlement pour faire enregistrer le nouvel édit, qui fut appelé la paix de Nemours.

Par cet édit, défense était faite de professer dans le royaume d'autre religion que la religion catholique, apostolique et romaine, sous peine de mort ; les ministres protestants devaient quitter le royaume dans un mois, à partir du jour de la publication de l'édit ; et les sujets protestants qui ne voudraient pas se convertir, dans six mois ; toutefois ils pouvaient disposer de leurs biens, meubles et immeubles, et en percevoir les revenus ; les chambres composées mi-parties ou tri-parties dans certaines provinces en faveur des protestants étaient abolies. En terminant, l'édit disait que Sa Majesté, en considération du zèle que les Unis avaient fait paraître, oubliait tout ce que pendant ces troubles ils avaient entrepris tant au dedans qu'au dehors du royaume.

A cet édit il faut joindre divers articles secrets passés entre le roi et les conjurés. Ces articles avaient rapport aux places de sûreté que les princes lorrains exigèrent pour eux et leurs alliés. Le duc de Guise avait obtenu pour lui Toul, Verdun, Saint-Dizier et Châlons-sur-Marne ; pour Mayenne, le château de Dijon et la ville de Beaune ; pour d'Aumale, Saint-Esprit ; pour d'Elbeuf, le gouvernement du Bourbonnais ; pour le cardinal de Bourbon, la ville de Soissons ; pour tous des gardes attachés à leurs personnes, et deux cent mille écus d'or pour payer les troupes étrangères levées par le duc de Guise.

Le Balafré triomphait, et son autorité grandissait de tout le prestige qu'Henri III perdait par ce traité. On cria Vive le roi ! quand il sortit du palais, chose qui l'étonna fort, car il y avait longtemps qu'il n'entendait plus ce cri ; mais on apprit que ces cris avaient été proférés par des ligueurs, et qu'on avait donné pour ce faire et de l'argent à des faquins et de la dragée à force petits enfants[54].

Étienne Pasquier rapporte, dans une lettre à M. de Sainte-Marthe, que le roi aurait dit au cardinal de Bourbon, en se rendant au palais de justice pour l'enregistrement de l'édit, qu'il avoit raid deux édicts de pacification entre ses sujects l'un, en un, contre sa conscience, par lequel il avoit toléré l'exercice de la nouvelle religion, mais toutefois à lui très agréable, car il avoit pourchassé le repos général de toute la France ; que présentement il en alloit faire publier un autre selon sa conscience, auquel il ne prenait aucun plaisir, comme pré- voyant qu'il apporteroit la ruine de son Estat[55].

Il est rapporté que lorsque le Béarnais apprit à Bergerac le traité de Nemours, il en fut si violemment saisi, que le côté de sa moustache où il avait la main appuyée blanchit immédiatement[56].

Quant à la proposition que le roi de Navarre avait faite à Guise de vider leur différend en combat singulier, le prince lorrain répandit qu'il n'était animé contre lui d'aucune haine particulière ; en même temps il écrivait au roi pour l'assurer de son dévouement, tenant sa vie pour misérable si le bonheur ne le favorise de lui envoyer une occasion où il puisse s'employer à lui être agréable[57].

La révolte qui venait d'éclater et le traité de Nemours qui en fut la suite sont le prélude de la guerre des Trois Henri.

 

 

 



[1] Manuscrits de Dupuy.

[2] De Bouillé.

[3] Les lettres patentes furent données en novembre 1581, et enregistrées en mars 1582.

[4] L'Estoile.

[5] L'Estoile.

[6] Papiers de Simancas.

[7] La couronne de Portugal était devenue vacante par la mort du cardinal-archevêque de Braga, qui avait succédé au jeune roi Sébastien, tué sur le champ de bataille l'Alcazar (17 juin 1578-31 janvier 1580). Catherine de Médicis descendait, par sa mère, de Robert, comte de Boulogne, fils aîné d'Alphonse III, roi de Portugal. La mère de cc Robert avait été répudiée par Alphonse III, qui avait ensuite dépossédé son fils du premier lit au profit d'un puiné. Quant à Philippe II, il était fils d'une sœur du cardinal-roi. A côté de ces deux prétendants étrangers,. il y en avait deux nationaux, qui étaient le duc de Bragance, mari d'une nièce du cardinal-roi, et don Antonio, prieur du Crato, bâtard d'un frère de ce cardinal. Malgré cette bâtardise, qui n'était point en Portugal un titre absolu d'exclusion, don Antonio se faisait proclamer roi à Santarem ; mais Philippe II, quoique exclu par la loi fondamentale du royaume comme étranger, en appelait aux armes, chassait don Antonio de Lisbonne, se faisait reconnaitre par les cortès portugaises, et annexait le Portugal à l'Espagne. (Les Guises, les Valois et Philippe II, par Joseph de Croze.)

[8] Lacretelle.

[9] Manix de Sainte-Aldegonde, par Edgard Quinet.

[10] La mère de Salcède et la femme du duc de Mercœur (Philippe-Emmanuel de Lorraine) étaient sœurs, et descendaient de la maison de Beaucaire-Péquillon.

[11] Confessions et aveux de Nicolas Salcède.

[12] Il est bon de remarquer en passant que le pape n'avait donné son acceptation à la Ligue qu'en tant qu'elle avait pour objet de défendre la foi religieuse dans le royaume et qu'elle ne menaçait pas les droits du roi.

[13] Confessions et aveux de Nicolas Salcède.

[14] De Thou.

[15] Après l'avortement du complot de Salcède, Philippe II, mécontent des Guises et de la Ligue, fit proposer au roi de Navarre des subsides considérables s'il voulait prendre les armes contre le roi de France, à la condition qu'il n'empiéterait pas en matière de religion et sur les édits. Quant au temporel, il lui permettait de s'étendre tant qu'il pourrait. Plus tard, il lui proposa de le faire divorcer avec Marguerite et de lui donner sa fille en mariage. Henri refusa, disant qu'il ne voulait pas la ruine d'un État duquel il était né conservateur.

[16] Duplessis-Mornay, Lacretelle.

[17] ... Il mourut de grande évacuation de sang procédée du poulmon. (Mémoires de Chaverny.) Le bruit courut que cette hémorragie était la suite d'un empoisonnement. (Mémoires de De Thou, édition Michaud et Poujoulat.)

[18] La Franche-Comté était encore espagnole.

[19] Henri III souffrit des mêmes douleurs d'oreille et de tête dont son frère François II était mort. Étrange maladie dont étaient atteints tous les fils de Catherine de Médicis !

[20] Manuscrit de Béthune. — La Réforme et la Ligue, par Capefigue.

[21] René de Bouillé.

[22] Capefigue.

[23] Archives nationales. — Papiers de Simancas.

[24] Archives nationales, fonds espagnol. — Marie Stuart, par Mignet.

[25] Instruction du duc de Guise à Richard Mélino, du 22 août 1583. — Archives nationales.

[26] Lire l'Histoire de Marie Stuart, par Mignet.

[27] Archives nationales ; fonds espagnol.

[28] Henri III avait fait, venir près de lui sa sœur Marguerite ; puis, après l'avoir insultée, il la congédia ; mais il fit rejoindre le carrosse de la princesse par ses archers, qui visitèrent les dames d'honneur, sous prétexte de découvrir des hommes parmi les, et retinrent deux d'entre elles prisonnières. Le roi de Navarre demanda raison son beau-frère de l'insulte qu'il avait faite à sa femme ; mais Henri III répondit que c'était une querelle de frère el de sœur. Ce fut alors que Philippe II proposa au roi Navarre de le faire divorcer et de lui donner sa fille.

[29] C'était le cardinal de Bourbon qu'on appelait ainsi.

[30] L'ESTOILE.

Le pauvre peuple endure tout ;

Les gendarmes ravagent tout ;

La sainte Église paye tout ;

Les favoris demandent tout ;

Le bon roi leur accorde tout ;

Le parlement vérifie tout ;

Le chancelier scellé tout ;

La reine mère conduit tout ;

Le pape leur pardonne tout ;

Chicot tout seul se rit de tout ;

Le diable à la fin aura tout.

[31] De Thou.

[32] Guise et Mayenne n'étaient plus en sûreté à Paris. Le roi, mal content d'eux, les vouloit faire arrester prisonniers, ce qui leur fut imprimé par tant de gens désireux de troubler le royaume, qu'ils se retirèrent aux lieux où ils pensèrent trouver plus de seureté, comme à Chaslon en Champagne, et Dijon en Bourgogne.

[33] René de Bouillé.

[34] René de Bouillé.

[35] Voici, du reste, les noms des premiers Seize : Le Beaujeu, lieutenant particulier au Châtelet ; Crucé, procureur ; Bussy-Leclerc, procureur ; le commissaire Louchard ; de la Morlière, notaire ; Senault, commis au greffe du parlement ; le commissaire de Hast ; Provost, avocat ; Alveguin ; Émonot, procureur ; Sabliet, notaire ; Messier ; Passad, colonel ; Oudineau ; Letellier ; Morin, procureur au Châtelet.

[36] Les Guises, les Valois et Philippe II, par Joseph de Croze. — Archives curieuses de l'histoire de France.

[37] Journal de Nicolas Poulain.

[38] Mémoires de Sully, t. I, liv. II, pp. 89 et 99. Ce passage des Mémoires de Sully que nous venons de citer, nous ne l'avons trouvé reproduit dans aucun des auteurs qui ont écrit sur la vie du duc de Guise ou l'histoire de nos guerres civiles. Nous en avons été d'autant plus frappé que l'honnête. et éminent ministre d'Henri IV met dans son véritable jour l'esprit révolutionnaire et antinational d'une foule de seigneurs réformés. Les Guises ont pu prétendre au trône et s'allier aux Espagnols mais ils ne rêvèrent jamais à démembrement de leur patrie adoptive, et les catholiques qui combattaient à côté d'eux, en acceptant l'alliance de Philippe II, n'auraient jamais consenti devenir définitivement ses vassaux, et moins encore ses sujets.

[39] Cet Advertissement était dû à la plume de Duplessis-Mornay ; nous venons d'en citer quelques extraits.

[40] Manuscrits de la Bibliothèque nationale.

[41] Journal d'Henri III.

[42] Le 19 mars, les princes de Guise et de Mayenne adressèrent de Joinville uni, circulaire aux cours souverains du royaume ; prélats, échevins, prévôts, etc., pour leur annoncer les motifs de leur prise d'armes et les prier de les assister de leurs leurs conseils et moyens (Manuscrits de Béthune).

[43] De Thou.

[44] Fin mars.

[45] Histoire des guerres civiles, par Davila.

[46] C'est le nom qu'il porte dans l'histoire.

[47] De Thou nomme Henri Stanley, comte de Derby, et le Journal d'Henri III le comte de Warwick.

[48] Grégoire XIII, qui mourut le 10 avril 1515, avait dit au cardinal d'Este : La ligue n'aura de moi ni bulle ni bref jusqu'à ce que je voie clair en ses brouilleries.

[49] Histoire des guerres civiles, par Davila.

[50] Mémoires. — Journal de l'Estoile.

[51] Histoire des guerres civiles par Davila. — Mémoires. — Journal de l'Estoile. — Journal d'Henri III.

[52] Manuscrits de Béthune.

[53] René de Bouillé.

[54] Journal d'Henri III.

[55] Estienne Pasquier, livre XI, lettre X.

[56] Vie du duc Henri de Guise, par Perau.

[57] Manuscrits de Colbert.