HENRI DE GUISE LE BALAFRÉ

 

CHAPITRE VIII.

 

 

Continuation des états. — Retour des ambassadeurs envoyés près des princes et de d'Anville. — Réponse du roi de Navarre. — Condé ne veut pas prendre connaissance des lettres que lui adressent les états, dont il ne reconnaît pas l'autorité. — Réponse d'Anville. Le duc de Nevers penche pour la paix. — Réaction dans le tiers. — Les états se séparent après une déclaration pacifique (mars 1577). — Édit modéré du roi qui ne satisfait personne. — Reprise des hostilités. — Le duc d'Anjou (d'Alençon) commande la première armée, et Mayenne la seconde. — Siège et prise de la Charité par le duc d'Anjou. — Nevers et d'Aumale conduisent l'armée devant Issoire. — Le duc d'Anjou et Guise retournent à Blois. — Fêtes données au château Plessis-lès-Tours. — Guise retourne à l'armée ; le prince vient le rejoindre. — Conseil de guerre. — Plan d'attaque. — Bravoure de Guise, qui conduit l'assaut général. — L'assaut est repoussé. — La ville demande à capituler. — Le Balafré intercède pour elle ; Monsieur refuse. — La ville se rend à discrétion. — Le Balafré essaye de la sauver du pillage. — Magnanime conduite de ce héros. — Mayenne dans la Saintonge. — Prise de Tonnay-Charente, de Rochefort et de Marans. — Mayenne défie Condé en combat singulier. — Condé refuse avec hauteur. — Siège de Brouage (22 juin 1577). — La flotte protestante et la flotte royale devant Brouage. — Lansac, avec les galères du roi, s'empare des îles d'Orlons et de la Florissante. — Suite du siège de Brouage. — Sortie désespérée des assiégés. — Conditions de la capitulation (16 août). — D'Anville, dans le Languedoc, abandonne les protestants et combat pour le roi. — Montpensier, Villeroy et Biron négocient avec le roi de Navarre. — Traité de Poitiers (23 septembre). — Politique de Guise, — Mort du cardinal de Guise (29 mars 1578). — Crime de Villequier. — Bussy d'Amboise, favori du duc d'Anjou, et les mignons de Henri III. — Bussy insulte les mignons. — Le duel interrompu. — Siège de l'hôtel de Bussy. — Bussy est attaqué près de la porte Saint-Honoré. — Un bal masqué. — Le duc d'Anjou est gardé à vue pour avoir voulu s'échapper de la cour. — Bussy est jeté à la Bastille, et en est tiré le lendemain. — Évasion du duc d'Anjou favorisée par sa sœur Marguerite. — Projets du duc d'Anjou sur les Flandres. — Duel entre trois mignons et trois gentilshommes du duc de Guise. — Mort et funérailles de Caylus et de Maugiron. — Saint-Mégrin, autre mignon, insulte le Balafré et la duchesse de Guise. — Mort de ce mignon attribuée à Mayenne. — Bussy, trahi par le duc d'Anjou, est assassiné par les estafiers du comte de Montsoreau. — Alliance des Guises avec le roi d'Espagne. — Le roi penche en faveur des protestants. — Plaintes des catholiques et des protestants. — Création de l'ordre du Saint-Esprit. — Première promotion, dans laquelle ne sont compris ni Guise ni Mayenne. — Catherine de Médicis et Marguerite sa fille à la cour du roi de Navarre. — Traité de Nérac (28 février 1579). — Le Béarnais prépare néanmoins à la guerre. — Le duc d'Anjou passe en Angleterre pour presser son mariage avec Élisabeth. — Les Guises retournent à la cour sur la volonté du roi, qui leur fait une magnifique réception. — Mayenne accompagne la reine dans la Guyenne et dans le Languedoc. — Montmorency tombe malade. — Guise lui prodigue ses soins. — Mort de cet illustre personnage. — D'Anville en Languedoc. — De Bellegarde dans le marquisat de Saluces. — Tout en négociant avec La reine mère, Condé s'empare de la Fère. — Guerre des amoureux, suscitée par Henri III. — Le roi de Navarre s'empare de Cahors. — Henri III lève trois armées, commandées par Biron, Matignon et Mayenne. — Exploits et belle conduite de Mayenne, qui s'empare de presque toutes les places du Dauphiné et soumet cette province. — Biron obtient aussi des succès en Guyenne. — Le duc d'Anjou, ayant obtenu de son frère l'argent et la permission de lever les troupes dont il a besoin pour la guerre de Flandre, négocie la paix de Fleix, qui termina la guerre des amoureux.

 

En attendant le retour de leurs délégués auprès des princes et de d'Anville, les états continuaient leurs travaux avec une modération, une netteté de jugement et une fermeté qui font le plus grand honneur à l'usage que tous les députés savaient faire de leur liberté politique et au sentiment qu'ils avaient de leurs droits, dont tous, du reste, se montraient très fiers et très jaloux, ne souffrant nullement qu'il leur fût porté la moindre atteinte. En relisant les procès-verbaux de leurs délibérations, on est frappa de la franchise avec laquelle ils rejetaient les propositions faites par le roi ou ses ministres, et de l'égalité qui régnait entre les membres des trois ordres. Trois siècles se sont écoulés depuis cette époque ; eh bien, il est triste de reconnaître que, malgré les progrès accomplis, nos assemblées délibérantes n'offrent plus ces spectacles de maturité, de sagesse et de ferme raison qui présidaient aux délibérations de nos anciens états généraux.

Ainsi les prélats demandèrent l'acceptation pure et simple de la publication du concile de Trente ; cette publication fut accordée, mais à la condition qu'on assurât à l'Église de France les privilèges et immunités qui lui avaient été toujours accordés par les rois et par les souverains pontifes. Les députés de la Bourgogne, de la Picardie, du Poitou et de la Saintonge, après avoir protesté[1] contre cet article, demandèrent qu'il leur fût permis de faire à cet égard leurs remontrances au roi, exigèrent qu'il leur fût donné acte de leur protestation qu'ils rendirent ensuite publique.

Le roi demanda aux états une somme de quatre millions pour subvenir aux frais de la guerre. Les députés des trois ordres répondirent qu'ils étaient assemblés pour porter les doléances de leurs provinces et traiter les questions religieuses, mais non pour voter des subsides, n'ayant pas mission pour cela.

Les états touchaient au terme de leur mandat, et les ambassadeurs envoyés auprès des princes n'étaient pas encore de retour ; Henri III leur fit demander, par l'archevêque d'Embrun, de choisir douze délégués, dont Sa Majesté devrait prendre l'avis, pour statuer sur les réponses que feraient le roi de Navarre, Condé et d'Anville. La noblesse et le clergé avaient consenti, le tiers allait également y souscrire, lorsque le député Bodin les ramena tous à un avis contraire, en faisant comprendre à ses collègues les dangers qu'il y avait de rendre quelques-uns d'entre eux arbitres des demandes qui avaient été faites par les états réunis. Ces délégués, si incorruptibles fussent-ils, pourraient se laisser intimider par le roi ou séduire par les caresses de la cour, ce qu'il fallait éviter dans l'intérêt des institutions du royaume. Les députés de tous les ordres se rangèrent à cet avis, et Henri III fut bien obligé d'en passer par là.

Enfin le roi réunit encore une fois les états pour leur demander, en cas de guerre, l'aliénation perpétuelle de cent mille écus de rente du domaine de la couronne. Ce fut Hesnar, président de Bordeaux, qui prit la parole. Il répondit qu'on ne pouvoit imaginer aucun cas où le droit pût être revendiqué par nos souverains ; qu'ils n'avoient, en effet, que l'usufruit du domaine de la couronne ; que la propriété en appartenoit à tout le corps de la nation, et qu'elle ne pouvoit jamais être aliénée, non pas même dans les besoins les plus pressants comme l'exemple du roi Jean, prisonnier en Angleterre, le demontroit invinciblement ; que cette loi était la base et le soutien du trône, et que c'estoit pour cette raison que nos pères l'avaient toujours regardée comme sacrée et inviolable.

La proposition fut rejetée à la majorité des voix.

On voit par ces exemples de quelle indépendance et de quelle fermeté savaient faire usage les représentants de la nation, et cela sans porter atteinte à l'autorité royale et sans se départir du respect dû à la personne des souverains.

C'est par l'union constante des pouvoirs et, de la liberté que les révolutions s'évitent et que les nations prospèrent.

Les ambassadeurs envoyés près des princes revinrent enfin. Le roi de Navarre, dont la réponse fut la première connue, après avoir essayé de s'emparer de Bordeaux, était venu faire le siège de Marmande, et c'est devant cette ville qu'il reçut les délégués des états. A la peinture que lui fit l'archevêque de Vienne des maux et des désastres qu'entraîne la guerre civile, ce prince, dont le cœur était aussi bon que son âme était chevaleresque, ne put 'retenir ses larmes. Il répondit qu'il était touché des sentiments que lui exprimaient les états, dont il louait le zèle pour la religion et le bien public ; mais que cependant il les priait de réfléchir sur la gravité de la demande qu'ils avaient faite au roi de ne souffrir qu'une religion dans l'État ; qu'une telle décision ne pouvait manquer d'engager le roi à violer sa parole concernant les édits, et par là de plonger encore le pays dans une nouvelle guerre civile. Quant à la religion catholique, apostolique et romaine, dont il était sorti, il ajoute qu'il avait toujours prié Dieu de le mettre dans le droit chemin ; que s'il était dans la mauvaise voie, il était non seulement dans l'intention d'en sortir pour embrasser la religion véritable, pour y vivre et mourir, mais de travailler encore de tout son pouvoir à bannir l'erreur du royaume et même de toute la terre.

Les pasteurs protestants, toujours inquiets et dominateurs, avaient effacé ce dernier paragraphe de la réponse écrite du Béarnais ; mais lui, avant tout ferme et loyal, exigea qu'elle fût reproduite, et l'historien de Thou assure qu'on vit dans ces paroles un présage heureux de ce qui devait arriver plus tard.

C'est à Saint-Jean-d'Angély que les délégués trouvèrent Condé. Le prince reçut courtoisement l'évêque d'Autun et sa suite ; mais il ne voulut même pas prendre connaissance des lettres dont il était porteur, sous prétexte que les étais n'avaient pas été convoqués légitimement, qu'ils ne formaient qu'une assemblée de gens séduits, subornés et ennemis du repos public, auquel il était prêt à sacrifier sa vie, et que c'était là ce qui l'avait engagé plusieurs fois à souhaiter, et qui le portait à demander encore dans les circonstances présentes, pour épargner le sang du peuple et celui de la noblesse, qu'on permit aux chefs des deux partis de terminer un différend qui durait depuis trop longtemps. Qu'au reste, s'ils avaient une communication à lui faire de la part de Sa Majesté, il leur donnerait audience. Sur ces mots, et après un échange de politesses réciproques, il congédia les délégués, qui rendirent compte de leur mission aux états, dans la séance du 8 février, quatre jours après ceux qui avaient été envoyés près du roi de Navarre.

D'Anville était à Montpellier quand il fut informé de la délégation qui lui était envoyée par les états, qu'il appelait l'assemblée de Blois, pour ne pas paraître reconnaître leur autorité. Dans les lettres[2], datées du 7 février, qu'il adressa à cette assemblée, il rappelait qu'il appartenait à l'une des plus anciennes familles du royaume, et que ses ancêtres avaient autrefois mérité le titre glorieux de premiers chrétiens ; qu'il ne pouvait donc qu'approuver l'assemblée de son zèle pour la religion catholique, apostolique et romaine, dans laquelle il était prêt à vivre et mourir ; mais qu'il n'appartenait qu'à Dieu seul de donner la foi, et qu'il était à redouter que les protestants, après tant de guerres et de sang versé pour mettre leurs consciences à couvert, à l'abri des édits, ne prissent les moyens les plus extrêmes pour conserver une liberté qui avait coûté la ruine et le sang de tant de leurs frères. Il ne croyait à la paix dans le royaume qu'à la condition d'y souffrir deux religions, et que du reste, ajoutait-il en terminant, il ne pouvait leur donner une réponse là-dessus sans consulter le roi de Navarre et le prince de Condé, qui devaient être les garants du dernier édit, auquel ils avaient travaillé conjointement.

Nul à la cour ni dans les états ne se faisait illusion sur le résultat de la démarche des délégués ; cependant, lorsque Montpensier, qui avait été envoyé également près de Condé et du roi de Navarre, rendit compte de sa mission, et que, dans le discours qu'il lut aux états, il ne fut prononcé en faveur de la paix, une sorte de réaction se fit dans le tiers. Sur les propositions de Bodin, président de cet ordre, de Hesnar, président de Bordeaux, et de Bigot, député de la ville de Rouen, l'avis suivant passa à la pluralité des voix : Sa Majesté était suppliée de ramener tous. ses sujets à l'unité de la religion catholique, apostolique et romaine, par toutes sortes de voyes justes et raisonnables, sans cependant en venir à la force et aux armes.

Les états se séparèrent vers la fin du mois de février 1577, et, en conséquence de leur dernière délibération, le roi publia une déclaration, qui était du reste rédigée depuis près de deux mois, par laquelle Sa Majesté disait qu'elle avait acquiescé à la juste demande des états de ne souffrir qu'une seule religion dans le royaume, et que par son ordre signification en avait été faite au prince de Condé et au roi de Navarre, par le duc de Montpensier ; mais que son intention n'avait jamais été de confisquer les biens des réformés, ou d'user envers eux de violence ; qu'au contraire, elle lès considérait. comme de fidèles sujets, les prenait sous sa protection, leur ordonnant toutefois, sous peine de crime de lèse-majesté, de se tenir chez eux tranquilles, et défendant sous la même peine aux autres sujets„ quels qu'ils fussent, de les troubler ou molester en aucune manière..

Cette déclaration pacifique eut le mérite, de ne toucher personne : elle ne pouvait satisfaire les protestants à qui elle défendait l'exercice public de leur religion, et elle ne pouvait désarmer les catholiques, parce qu'elle était l'autorisation tacite de l'exercice privé de deux religions dans l'État. Du reste, avant même cette publication, les hostilités avaient recommencé, si tant est qu'elles eussent cessé un seul instant, et les réponses que les princes confédérés. allemands, le margrave de Hesse, l'électeur palatin et Jean Casimir, son frère, avaient faites aux envoyés de Henri III, qui étaient venus leur demander de ne plus envoyer de secours aux réformés. de France, avaient été si hautaines et si insolentes, que tout espoir d'accommodement par les voies pacifiques fut bientôt évanoui.

Malgré la pénurie où se trouvaient les. finances de l'État[3], le roi se vit dans l'obligation de lever deux armées ; le commandement de la première, forte d'environ quinze mille hommes et de vingt-deux canons, fut confié au duc d'Anjou, que Catherine de Médicis voulait éloigner à jamais du parti protestant, avec Guise et Nevers pour principaux lieutenants du prince. Biron commandait l'artillerie.

Mayenne, moins redouté que le Balafré, que la cour voulait autant que possible tenir à l'écart, dans la crainte de lui voir remettre en mouvement la Ligue, qui paraissait assoupie, eut le commandement de la seconde armée, forte seulement, à son départ, de six à sept cents chevaux et de deux mille fantassins. Cette dernière, qui devait opérer dans le Poitou, l'Angoumois, la Saintonge et l'Aunis, s'était portée devant Saintes pour forcer Condé à lever le siège de cette ville (avril). Elle fut rejointe par quelques. autres troupes, conduites par de Ruffec-Puygaillard et des Roches-Birotaut.

Monsieur, ayant résolu de s'emparer de la Charité, que sa situation sur la Loire rendait très importante, prit congé de son frère le 7 avril, et se rendit le lendemain à Gien ; de là il continua sa route par Cosne et Pouilly, et se présenta à la Chapelle, devant, la Charité, où Martinengue qui commandait l'infanterie, avait établi son camp.

La ville était défendue par Jacques Moroge, sieur des Landes, bourgeois de la ville, à qui la cour avait accordé plusieurs privilèges[4], assisté de Saligny de la Hocle le jeune, de Valenville, de Villaneve de Rainville, et par une garnison de cinq enseignes de gens de pied.

Faisant bonne mine au mauvais jeu, les huguenots assiégés mettaient en circulation le quatrain suivant :

En vain vous emploirez le blocus et la mine :

Le canon ne peut rien contre la vérité.

Plutost vous détruiront la peste et la famine ;

Car jamais sans la foi n'aurez la Charité[5].

Je ne pense pas, en effet, que le duc d'Anjou eût beaucoup de foi, mais l'histoire nous apprend qu'il prit la Charité.

L'attaque de la place commença du côté du pont ; le duc de Nevers ouvrit la tranchée, et y établit une batterie qui battit les fortifications d'un ouvrage avancé, appelé le tour du Coufain. De leur côté, Guise et d'Aumale se rendirent maîtres du fossé que la tour défendait, et furent les premiers à porter la terreur dans la ville, qui demanda à capituler le jour même cal l'assaut devait être donné..

Les conditions furent que les officiers se retireraient avec armes et chevaux ; les soldats, l'épée au côté, avec une escorte pour les conduire en lieu de sûreté ; des otages devaient être échangés de part et d'autre, et Monsieur entrer dans la ville le lendemain, 1er mai, par la brèche que le duc d'Aumale avait faite[6].

Après ce siège de quelques semaines, Monsieur laissa le commandement de l'armée à Nevers et au duc d'Aumale, qui passèrent en Auvergne et allèrent se présenter devant Issoire, tandis qu'il prenait la poste avec Guise et quelques autres seigneurs pour revenir à Blois, où le roi se trouvait encore, sous prétexte de prendre de nouveaux ordres de Sa Majesté, et en réalité pour assister aux fêtes que la cour donnait au château du Plessis-lès-Tours. Ces fêtes, pour lesquelles la reine mère acheta à Paris pour soixante mille francs de soie verte[7], afin d'habiller ses dames et demoiselles d'honneur, furent un scandale d'indécence et de luxe. Toutefois, disons-le à sa louange, Guise ne fit qu'y paraître ; il repartit immédiatement pour rejoindre Nevers devant Issoire, qui, doublement fortifiée par la nature et par la main des hommes, menaçait d'offrir une résistance sérieuse.

Guise, après avoir envoyé un héraut d'armes au gouverneur de la ville, Chavagnac, un des meilleurs officiers du roi de Navarre, et n'ayant essuyé de ce dernier qu'un refus altier, se prépara à une attaque vigoureuse.

Le 20 mai, il établit le régiment du colonel Champagne autour de la ville.

Ces troupes, renforcées de celles du comte de Saint-Aignan et de Jacques Savari, soutinrent deux sorties furieuses, tentées par les assiégés.

Le 28 mai, Monsieur arrive à Milhau, ville voisine d'Issoire, où il tient immédiatement un conseil de guerre, dans lequel il est résolu qu'on fera trois attaques, et qu'on nommera trois généraux pour les commander.

Pendant quatre jours (du 29 mai au 2 juin), le Balafré travaille à la construction de deux cavaliers (plates-formes), destinés à recevoir six pièces de canon qui doivent battre la porte Pontet.

Le duc de Mercœur, frère de la reine Louise de Lorraine, établi de son côté un ouvrage semblable, dont les batteries détruisent le pont qui communique à la ville, ce qui ôte aux assiégés tout espoir d'être secourus.

Le 4 juin, Nevers canonne la porte Barbigeau, ou les boulets font une large brèche, que les assiégés dans la nuit essayent de réparer. Le lendemain, les protestants tentent une sortie, qui est violemment repoussée. Enfin, le 9, les brèches étant jugées suffisantes, l'assaut général est résolu, et Guise revendique l'honneur d'être le premier à l'attaque.

Tandis que Maugiron, le beau Bussy d'Amboise, le jeune Tavannes, Saint-Luc et autres gentilshommes, se pressent, couverts de leurs armures brillantes, autour de ce chef intrépide, le Balafré, toujours téméraire au milieu du danger, a dédaigné de se revêtir de sa cuirasse, et apparaît aux yeux de l'ennemi l'épée à la main, mais en simple pourpoint de soie.

L'œil en feu et les lèvres frémissantes, il crie : En avant ! et se jette le premier sur les huguenots du côté de Pontet. Malgré une grêle de balles qui fait une large trouée dans sa troupe, il arrive sur l'ennemi, combat corps à corps, donne de l'épée et même du poignard, et parvient seul à s'emparer d'une tour, où il se maintient et se défend pendant plus d'une demi-heure. Cette action, presque fabuleuse, lui mérita de laisser son nom à cette tour[8].

Cependant, assailli par une vive arquebusade, il est obligé de battre en retraite ; il revient vers ses troupes décimées, qui gardent leur position toute la nuit.

Bussy, le capitaine la Mothe et Montmorin sont tués ; presque tous les autres grièvement blessés ; lui, n'a pas une égratignure. Cinq cents hommes de troupe ont également péri.

Les attaques dirigées par Mercœur et par Nevers n'ont pas été plus heureuses ; mais les assiégés sentent que toute nouvelle résistance leur est impossible, et c'est, à Guise qu'ils envoient leurs parlementaires, pour que ce prince, toujours généreux après le combat, leur fasse obtenir vies et bagues sauves. Il refuse d'abord, puis enfin il se laisse toucher et intercède pour eux ; mais Monsieur, qui était situ d'avoir la place sans condition, refusa.

Le 12 juin, Guise imagina de faire tirer, de la brèche du rempart, un coup de coulevrine dans la ville, qui tua de vingt-cinq à trente personnes. L'alarme que ce coup jeta dans Issoire fut si grande, que les assiégés se rendirent a discrétion.

Si le prince lorrain ne put empêcher que la ville ne fût livrée au pillage, du moins il préserva autant que possible les habitants contre la fureur des soldats.

Aux malheurs du pillage et de la brutalité des vainqueurs vinrent se joindre les ravages d'un incendie, dont un forcené, nommé Archiadamus, alimente le foyer, afin que sa prophétie s'accomplisse. Cet homme, dit-on, avait prédit qu'Issoire périrait par les flammes ; mais il n'avait pas prévu qu'il périrait avec elle ; car Guise, ayant appris sa conduite, le fit saisir et jeter dans le feu[9]. Il tua aussi de sa main un soldat qui traînait une jeune fille par les cheveux[10].

En parcourant les rues, il prenait les enfants dans ses bras pour les mettre en sûreté ; sa tente servait de refuge à quiconque pouvait s'échapper de la ville ; quand il apercevait au camp des femmes prisonnières, il leur faisait rendre la liberté ; sa justice et sa bonté semblaient être l'unique sauvegarde des vaincus. En le voyant en toute circonstance si grand et si généreux, on se demande comment il put se laisser aller à tremper dans le crime de la Saint-Barthélemy, malgré le désir qu'il pût avoir de venger son père.

Après Issoire, l'armée royale se rendit devant Ambert, qui à son approche capitula sans résistance.

Tandis qu'avec son armée, relativement nombreuse, Monsieur s'emparait de la Charité et d'Issoire, Mayenne, dans la Saintonge, remportait aussi de brillants succès, dus autant à son courage qu'à son habileté et à sa prudence. Si les comparaisons nous étaient permises nous dirions volontiers que, dans l'art de faire la guerre, le Balafré apportait la brillante impétuosité, la sûreté de coup d'œil, qui distinguèrent plus tard le grand Condé, et Mayenne cette bravoure froide, cette science prudente et réfléchie, qui étaient les côtés saillants du génie de Turenne.

Nous avons dit qu'à l'approche de Mayenne et des dix mille hommes tout au plus qu'il commandait, Condé avait levé le siège de Saintes.

Le jeune prince lorrain resta quelques jours à Saint-Julien, près de Saint-Jean-d'Angély (avril), où eurent lieu quelques escarmouches, presque toujours défavorables aux catholiques. Mais tandis qu'on armait une flotte à Bordeaux, ce qui intriguait fort les protestants, nul ne savait où Mayenne allait se porter, lorsque tout à coup il se présenta devant Tonnay-Charente, dont la haute et la basse ville furent enlevées de vive force en deux assauts bien conduits. Il ne restait plus que le château, dont la garnison découragée ouvrit elle-même les portes pour avoir la vie sauve. Mais le capitaine Lucas, qui la commandait, ayant voulu s'enfuir, fut tué en se défendant.

A l'approche de l'armée royale, Rochefort se rendit, et Mayenne donna le commandement de cette place à Maisonblanche, qui, à la tête d'une forte garnison, fit des sorties fréquentes, dont les protestants étaient très incommodés. A l'exemple de Rochefort, plusieurs châteaux se rendirent, et le découragement et la défection se mirent dans les rangs des protestants. Les désertions se produisaient surtout parmi les catholiques, dits politiques, qui étaient las de combattre pour une cause qu'ils ne pouvaient considérer comme la leur.

Le 6 mai, Mayenne vient effrontément camper à Nouaillé, c'est-à-dire à moins de trois lieues de la Rochelle, et menace Marans, que les Rochelais tenaient à conserver à cause des salines. Une garnison et des munitions furent envoyées à la Popelinière, qui y commandait pour Condé. Lorsque Mayenne, après avoir fait sonder les marais, se fut emparé des ouvrages avancés qui gardaient la ville, la garnison, sans attendre l'attaque, et malgré les prières du pauvre gouverneur, s'en retourna à la Rochelle bannières déployées ; mais les Rochelais, honteux de sa conduite, ne voulurent pas la recevoir, et la forcèrent à camper hors la ville, où Mayenne, après être entré dans Marans, vint l'attaquer et la tailla en pièces.

Le frère du Balafré, ne pouvant entreprendre le siège de la Rochelle, envoya un héraut d'armes, précédé d'un trompette, pour défier Condé en combat singulier ; à son exemple, plusieurs gentilshommes catholiques proposèrent aux gentilshommes protestants de rompre quelques lances en l'honneur des dames. Condé fit répondre à son rival en lui reprochant de n'être pas sorti de Saintes alors qu'il tenait la campagne avec des forces suffisantes ; que, quant au duel qu'il lui proposait, il devait savoir que ces sortes de combats n'avaient lieu qu'entre égaux, et qu'il devait se souvenir de la distance que la naissance avait mise entre eux.

Cette réponse, plus hautaine que réellement chevaleresque, blessa profondément Mayenne, qui, du reste, ne resta pas longtemps devant la Rochelle. Après avoir laissé dans Marans une assez forte garnison, sous les ordres de Jean de Chateaubriand, il vint faire le siège d Brouage (22 juin 1577).

Brouage est une petite ville située sur le bord de la mer, bâtie sur un terrain sablonneux que le flux couvre presque entièrement. Prise, reprise, tantôt par les catholiques et tantôt par les protestants, chaque parti, en l'occupant, s'y était fortifié de son mieux, dans l'espoir de la conserver. Quand Mayenne parut à la tête de son armée, renforcée de cinq compagnies de gendarmes, d'un corps de Suisses, de dix-neuf pièces de canon, de munitions de guerre et de bouche, ayant avec lui ses deux cousins, Nicolas de Lorraine et le marquis d'Elbeuf, Philippe Strozzi, le comte de Lude, de Ruffec-Puygaillard et une foule d'autres gentilshommes, la ville était commandée par Manducage, bon capitaine et bon soldat.

Les premiers jours se passèrent en escarmouches sans importance, Mayenne prenant son temps pour étudier les approches de la ville et pour combiner son plan d'attaque. Enfin, le 3 juillet, les tranchées sont poussées jusqu'au bord des fossés, et, Puygaillard commence le feu, moins dans le but de contrarier les assiégés que pour prévenir la flotte royale, que commandait Lansac, de venir s'embosser devant le canal de Brouage, pour ôter à la ville toute communication par mer. Aussitôt la flotte protestante, commandée par Clermont d'Amboise, sortit de la Rochelle ; mais elle n'était pas en état de se mesurer avec les vaisseaux du roi, qui alliaient être encore secourus par les galères du chevalier Montluc, ancrées à l'embouchure de la Mayenne, mais qui vinrent immédiatement se poster entre les îles d'Alvert et d'Orlons.

Toutes les tentatives de Clermont d'Amboise et même de Condé, qui prit aussi la mer, échouèrent contre les armées navales du roi, et Lansac reçut à composition l'île d'Orlons, qui capitula, ainsi que la Florissante. Après ces exploits, Lansac vint s'embosser de nouveau à l'embouchure du canal de Brouage, et presser aussi de son côté les opérations du siège.

Mayenne avait fait dresser un cavalier (plate-forme), composé de tonneaux, de planches et de fagots, sur lequel il plaça une batterie de cinq pièces de canon, destinée à foudroyer le port et la ville. Les assiégés font une sortie et essayent de mettre le feu à cet ouvrage ; mais ils sont repoussés avec des pertes énormes. Le découragement commence à se mettre dans la ville, et c'est en vain que Manducage, blessé et malade, essaye de ranimer le courage des combattants en leur faisant espérer des secours promis par Condé. Seré, qui s'était jeté dans la place, propose de faire une sortie à la tête des meilleures troupes de la garnison et de toute la noblesse ; c'est l'unique ressource qui reste aux assiégés, dont les vivres et même l'eau sont presque épuisés. La sortie est exécutée sous le commandement de Seré, qui fond à l'improviste avec sa cavalerie sur les royalistes, dont les premiers rangs plient sous le choc. Les fossés sont franchis ; mais Mayenne a rallié les Suisses, qui enveloppent les protestants de toutes parts, et Seré, avant de mourir, a la douleur de voir ses officiers et ses soldats taillés en pièces.

Après cet échec, qui ne laissait plus d'espoir à la ville, Mayenne permit à Strozzi de s'aboucher avec Maninville, qui était aussi dans Brouage, pour l'engager à conseiller au gouverneur de la ville de ne pas s'exposer au sort d'Issoire, ce qui arriverait si le duc d'Anjou, qui était dans la Saintonge, venait jusqu'à Brouage. Après cette entrevue, des délégués furent envoyés à la Rochelle pour exposer à Condé la situation de la ville, et la capitulation eut lieu aux conditions qui avaient été faites, le 16 août, par le duc de Mayenne : que les officiers, la noblesse et la garnison sortiraient avec armes et bagages, enseignes déployées et mèches allumées. Ceux qui prirent la route de terre furent conduits par Strozzi et Puygaillard, et ceux qui préféraient la voie de mer s'embarquèrent sur les navires de Lansac. Les habitants de Brouage et ceux des îles ne furent recherchés en rien au sujet du passé ; il leur était laissé la jouissance de leurs biens et de leur liberté de conscience.

Ainsi, partout où un prince de la maison de Guise avait pleine autorité, la guerre prenait un caractère d'humanité qui atténuait autant que possible l'horreur de ces luttes fratricides.

Les hasards de la fortune tournaient au désavantage des protestants. D'Anville n'avait pu supporter longtemps la tyrannie démocratique de ses nouveaux alliés, qui ne lui épargnaient ni les injures ni les menaces, et l'avaient obligé à quitter Montpellier. Sur les pressantes sollicitations de sa femme, il s'était réconcilié avec la cour ; le roi venait de lui confier le commandement de l'armée chargée d'opérer dans le Languedoc contre les réformés, et lui avait donné pour principal lieutenant son ami Bellegarde, qui venait d'être fait maréchal de France. D'Anville se porta contre Montpellier pour se venger en personne de l'injure qui lui avait été faite, et Bellegarde vint mettre le siège devant Nîmes.

Lansac, que Mayenne avait laissé dans Brouage, se porta avec ses galères devant l'île de Ré, où s'était établi Maninville, et captura six vaisseaux anglais qui se trouvaient dans le port.

Pendant que le duc d'Anjou et Mayenne tenaient la campagne avec tant de succès, Montpensier, Villeroi et Biron allaient et venaient de la cour à Bergerac, où était le roi de Navarre, pour trouver les termes d'un accommodement favorable à la paix.

Guise était retourné dans son gouvernement de la Champagne, où il prenait ses dispositions pour prévenir une nouvelle invasion de reîtres, et Mayenne continuait ses succès en enlevant la ville de Pons et le château de Coutras. Il allait assiéger Bouteville, près Cognac, lorsque les négociations aboutirent à une paix dont le traité fut signé à Poitiers, le 23 septembre. Ce traité était en soixante-trois articles, et, tout en accordant à la religion catholique le premier rang dans la protection de l'État, faisait à la réforme les plus larges concessions, et réglait le point délicat concernant les mariages contractés par les prêtres, les religieux et les religieuses qui avaient embrassé le protestantisme. Un traité secret, en quarante-huit articles, fut aussi conclu entre Henri III et les princes, pour satisfaire aux exigences de ces derniers, et leur accorder les garanties qui ne pouvaient être hautement avouées sans humiliation pour l'autorité royale. Le roi, qui appelait pompeusement le traité de Poitiers mon édit, comme s'il eût été un chef-d'œuvre d'habileté, glissa dans la rédaction de ce document un article relatif aux ligues faites ou à faire, contractées avec l'étranger ou entre ses sujets, et cet article visait bien moins les alliances et les pactes contractés par les huguenots que la Ligue catholique et les Guises, dont plus que jamais il redoutait l'influence.

Guise, toujours habile à dissimuler, et n'abandonnant pas la poursuite de ses projets, félicita le roi de la paix qu'il venait de conclure, dont le retardement n'eût apporté dans le pays qu'une ruine extrême, et ajouta, dans une lettre confidentielle, qu'il espérait que ceux de la religion mettroient un peu d'eau dans leur vin ; car s'ils ne le faisoient, son intention étoit d'aller à Joinville[11], et que six jours après ils l'auroient sur le dos[12].

Guise revint à la cour à la fin de l'année 1577, à l'occasion du mariage d'un de ses serviteurs le sieur de Vécourt, avec la fille de, Claude Marcel, argentier du roi. Les noces furent splendides, et Henri III y assista avec ses mignons, dont nous aurons bientôt à parler.

Son séjour à Paris fut marqué par des événements dont certains occupent une place trop grande dans l'histoire de cette époque pour que nous les passions sous silence.

Malgré l'ancienne rivalité de leurs familles, le jeune prince lorrain et les Montmorency, sans s'être complètement réconciliés, paraissaient vivre désormais en bonne intelligence. Une correspondance de l'époque dit à ce sujet : Monsieur de Guyse est icy, et tous messieurs ses frères et cousins... Monsieur de Montmorency y est pareillement et mange souvent ensemble avec monsieur de Guyse et monsieur le cardinal leur oncle, de manière que le temps faict ce que la raison ne peult faire[13].

Peu de temps après (29 mars 1578), le cardinal Louis de Lorraine était enlevé à l'affection de sa famille, et laissait à son neveu Louis, archevêque de Reims et nouvellement créé cardinal, ses dignités et son nom. Le cardinal Louis, qui mourut à l'âge de cinquante et un ans, était doué de mœurs douces, d'une haute intelligence et d'une bonté naturelle qui allait jusqu'à la faiblesse. Son goût un peu trop prononcé pour la table lui attira des critiques dont il ne parut jamais beaucoup s'offenser. De même que d'Aumale, son frère, était, heureux de marcher à l'ombre du grand duc de Guise, l'aîné de la famille, le cardinal Louis marchait aussi fidèlement à l'ombre du cardinal Charles, et ce ne fut qu'après la mort de ce dernier qu'il parut remplir à la cour un rôle un peu moins effacé.

Sa mort fut plutôt un deuil de famille qu'un événement politique dans le genre de celui qui marqua le trépas de son frère à Avignon.

Le commencement de l'année 1578 est si fécond en intrigues criminelles, en attentats de toutes sortes, qu'on no sait plus par quel bout prendre cet écheveau embrouillé et confus. Après le Guast, assassiné dans les conditions que nous avons rapportées, Henri III choisit de Villequier pour son favori ; il le nomma gouverneur de Paris et le combla de faveurs, jusqu'au jour où ce personnage tua sa femme et sa suivante dans le château qu'habitait le roi à Poitiers, pendant qu'il rédigeait l'édit de pacification[14]. Villequier, en disgrâce, mais non poursuivi pour son crime, est remplacé par les mignons, sortes de spadassins efféminés, vicieux comme le vice même, beaux de visage et d'une bravoure à toute épreuve, si c'est de la bravoure que de jouer sa vie à tout propos, de provoquer constamment des duels, et de répandre le sang avec une joie féroce. Ces mignons, dont les principaux étaient Saint-Luc, Caylus, Livarot, Maugiron, Saint-Mégrin, semblaient avoir reçu de leur maître la mission d'insulter tous les gentilshommes de la cour, et même jusqu'aux princes, sans en excepter le propre frère du roi. Ils pouvaient tout se permettre ; l'impunité la plus inqualifiable leur était d'avance assurée, quels que fussent leurs crimes.

Le roi avait ses mignons ; mais le duc d'Anjou avait le célèbre Bussy d'Amboise, élégant et fat, indolent et hautain, doué d'une force et d'une adresse extraordinaires, vrai spadassin de cour, aussi violent que féroce dans les combats.

Si les mignons ne se gênaient pas pour insulter publiquement le duc d'Anjou, qui souffrait cruellement de se voir ainsi bafoué en pleine cour sur sa tournure et ses habits, de son côté Bussy raillait impitoyablement ces gentilshommes sans dignité et sans honneur, qui passaient leur vie à tenir des propos outrageants sur les femmes et à se parer comme des courtisanes, car la plupart du temps ils quittaient leurs habits et se plaisaient à courir les bals en costumes féminins.

Guise était aussi l'objet des attaques de ces faméliques ; mais dans sa superbe hauteur le Balafré dédaignait leurs bravades et les accablait sous son mépris. Il avait trop le sentiment de sa force et de sa dignité pour descendre jusqu'à eux.

Les hostilités avaient été poussées trop loin de part et d'autre pour que des rixes sanglantes n'eussent pas lieu entre ces hommes, qui ne possédaient d'autre science que celle des armes, et faisaient passer le plaisir de se battre par-dessus tous les autres plaisirs.

Le jour des Rois, tandis qu'Henri III et ses mignons étaient dans les salons du Louvre, étalant leurs fraises et leurs riches pourpoints, frisés et gauderonnés, Bussy persuada au duc d'Anjou de n'aller à cette fête que vêtu très simplement, en se faisant suivre de six pages ridiculement habillés de soie, de velours et d'or. La chose fut fort remarquée. Pour que l'épigramme fût comprise de tous, Bussy dit tout haut : Le temps est venu que les plus bélistres sont les plus braves. Et, sans respect ni crainte, Bussy, durant toute la soirée, lança ses sarcasmes contre les mignons.

Quatre jours après, de Grammont, le plus jeune des mignons, ayant rencontré Bussy, lui demanda raison de l'injure. Les conditions du duel arrêtées, Bussy dit à Grammont que cent de ses amis sont prêts à prendre fait et cause pour lui. Grammont lui réplique que trois cents gentilshommes sont désireux de se battre pour le roi. Rendez-vous est donné pour le lendemain vendredi à la porte Saint-Antoine, et à l'heure dite six cents combattants arrivent sur le terrain. Mais le nombre et la qualité des duellistes permirent au roi d'être instruit de l'affaire et d'envoyer des troupes pour empêcher que l'action eût des suites.

Dans l'après-midi, Grammont et ses amis allèrent faire le siège de l'hôtel de Bussy, rue des Prouvaires, et un véritable combat s'engagea en plein jour et en plein Paris. La force armée fut obligée d'accourir sous les ordres d'un maréchal de France, de Cossé, et de Strozzi[15], pour séparer assiégeants et assiégés.

Le samedi 1er février, Caylus, Saint-Mégrin, Saint-Luc et quelques autres mignons rencontrèrent Bussy près de la porte Saint-Honoré. Bussy était suivi de plusieurs gentilshommes. Caylus provoqua Bussy, et les épées sortirent des fourreaux ; cependant l'affaire n'eut pas de suite grave ; il n'y eut qu'un ami des favoris du duc d'Anjou qui reçut une blessure sérieuse.

Quelque temps après eut lieu au Louvre le mariage de Saint-Luc avec la fille du maréchal de Brissac. Le bal masqué, auquel le roi assista, suivi de tous ses mignons, fut des plus brillants ; mais le malheureux duc d'Anjou, qui n'avait pas voulu prendre part à la cérémonie, y fut l'objet de si cruelles plaisanteries, qu'il résolut de mettre à exécution les projets de fuite qu'il nourrissait depuis longtemps et dont Bussy ne cessait de l'entretenir.

Le roi, ayant appris ce projet, se rendit la nuit même dans la chambre de son frère, le fit lever, et, après l'avoir accablé de reproches, plaça des gardes à la porte de ses appartements ; il fit ensuite arrêter Bussy, qui fut jeté à la Bastille.

L'affaire vint le lendemain devant le conseil du roi, qui, sur la prière du duc de Lorraine, consentit à faire la paix avec son frère. Bussy fut tiré de la Bastille à la condition qu'il se réconcilierait avec Caylus ; un favori du duc se prêta en plaisantant à cette comédie.

Ceci se passait le 9 février ; cinq jours après, le duc d'Anjou s'échappa du Louvre par la chambre de sa sœur Marguerite, qui le fit évader par sa fenêtre à l'aide d'une corde dont elle s'était munie à cet effet. Du Louvre, le duc rejoignit ses amis, Bussy et autres, à l'abbaye Sainte-Geneviève, et c'est de là que tous sortirent de Paris et prirent la route d'Angers[16].

Le duc d'Anjou avait toujours approuvé le projet de l'amiral de Coligny sur les Flandres, et sa résolution était d'en poursuivre l'exécution pour son propre compte. Sa sœur Marguerite était du complot, et dans le voyage qu'elle avait fait l'année précédente pour se rendre aux eaux de Spa, elle profita de son séjour dans les Flandres et dans les Pays-Bas pour procurer des partisans à son frère.

La reine mère se mit, dès le lendemain, à la poursuite de son fils, pour l'empêcher de commettre quelque coup de tête capable de troubler encore une fois la paix du royaume, et, après l'avoir vu, parvint, à l'aide des promesses les plus brillantes, à obtenir qu'il bornerait son action à secourir les Flamands. La Ferté et la Noue agissaient déjà pour lui dans le Cambrésis.

Le départ du duc d'Anjou et de Bussy ne calma pas les mignons, qui semblaient maintenant s'acharner plus particulièrement contre le duc de Guise. Aussi le Balafré ne venait-il plus au Louvre qu'accompagné de plusieurs jeunes et braves gentilshommes, parmi lesquels étaient Balzac d'Entragues, Schomberg et Ribérac.

Caylus et d'Entragues avaient plusieurs sujets de haine : le premier appartenait au roi, et le second à Guise ; de plus ils étaient encore rivaux dans des intrigues de cour.

Caylus, froissé de certaine préférence accordée à son rival, insulte d'Entragues, et un duel est immédiatement arrêté. Les seconds de Caylus sont Maugiron et Livarot, et ceux de d'Entragues, Schomberg et Ribérac.

Les six gentilshommes, qui avaient tenu leurs projets secrets, afin de n'être pas dérangés, se rencontrèrent, le dimanche 27 avril, à cinq heures du matin, au marché aux chevaux, ancienne place des Tournelles, près de la porte Saint-Antoine[17]. Le roi et le duc de Guise, véritables objets de la querelle, dont la reine de Navarre n'est que le prétexte, étaient seuls instruits des combats qui allaient se livrer. Henri III était tantôt dans les transes, en proie à de noirs pressentiments, tantôt fier et joyeux à la pensée de la gloire que ses mignons allaient acquérir. Quant à Guise, il s'était contenté de dire à ses amis : Songez que vous êtes les vengeurs de la noblesse française !

Les armes choisies sont l'épée et le poignard ; les conditions, combat à mort.

L'épée d'une main, la dague de autre, les combattants, après s'être

assurés que nul ne vienclra.les interrompre dans leur terrible besogne, se chargent avec une indescriptible furie. Au cri de : Vive le roi ! que poussent les mignons, leurs adversaires répondent par les cris de : Vive la noblesse ! Vive le duc de Guise ![18]

Le soleil, qui se lève, est, l'unique témoin de cette scène de carnage.

D'Entragues est devant Caylus, Schomberg devant Maugiron, Ribérac devant Livarot.

Les épées se croisent, se froissent, et leurs clacs font jaillir des étincelles ; les poignards fouillent les chairs toutes les fois que les combattants peuvent se prendre corps à corps, et la lutte continue, furieuse, acharnée, jusqu'à ce que Schomberg et Maugiron tombent morts sur place. Mais d' Entragues est debout ; leste et vigoureux, il a paré tous les coups que son adversaire lui porte. Caylus perd tout son sang par dix-neuf blessures, et tombe à son tour à côté de Schomberg et de Maugiron. Ribérac est mortellement blessé, et Livarot a la tête fendu d'un coup d'épée.

La victoire appartenait aux favoris du duc de Guise, et d'Entragues, presque sans blessures, restant maître du terrain, s'écria encore une fois : Vive la noblesse ! Vive le duc de Guise ! Mais Schomberg était mort, et Ribérac succomba le lendemain. Seul, Livarot se releva, six semaines après, de la blessure qu'il reçut à la tête.

Caylus fut transporté dans un état désespéré, et, malgré les soins qu'il reçut des chirurgiens et d'Henri qui ne quitta pas son chevet pendant trente-trois jours, il mourut dans les bras de son maître, et ses dernières paroles furent : Ah ! mon roi ! mon roi ! et d'Estoile ajoute : Sans parler aultrement de Dieu ni de sa mère.

Après la mort de ses mignons, le roi baisa leur tête et fit raser leurs grandes chevelures, qu'il conserva précieusement. L'on prétend que c'est lui qui fit ce distique, que rapportent tous les auteurs contemporains :

Seigneur, reçois en ton giron

Schomberg, Quélus et Maugiron.

Caylus et Maugiron furent enterrés dans l'église Saint-Paul, et le roi et placer deux statues de marbre sur le riche mausolée élevé à leur mémoire.

Henri III était, assure-t-on, dans l'intention d'ordonner des poursuites contre d'Entragues ; Guise, l'ayant appris, s'écria : D'Entragues s'est conduit dans ceste affaire en gentilhomme et en homme de bien ; c'est pour cela qu'on luy en veut, mon épée, qui coupe bien, luy en fera raison ; car l'attaquer, c'est m'attaquer moi-même.

Ces paroles ayant été rapportées, le roi ne jugea pas prudent de faire poursuivre l'affaire.

Un autre mignon du roi, Saint-Mégrin, s'amusant un jour à percer un gant à coups d'épée, s'écria, en parlant des Guises, qu'il taillerait ainsi tous ces petits princes. Le jeune fanfaron, ne s'en tenant pas à cette bravade, inventa sur la duchesse de Guise certaines aventures dont il se disait le héros.

Les parents de Catherine de Clèves, les jugeant déshonorantes pour l'honneur de leur famille, les rapportèrent à son époux, par l'entremise de Bassompierre, son ami et confident. Le Balafré répondit avec hauteur que sa femme ne pouvait être atteinte par les propos d'un fat, et qu'il se portait garant de sa vertu. Mais, le 21 juillet suivant, Saint-Mégrin, en sortant du Louvre vers les onze heures du soir, fut assailli, dans la rue Saint-Honoré, par une vingtaine d'hommes qui le chargèrent à coups d'épée et à coups de pistolet, et le laissèrent pour mort, comme aussi il mourut le jour suivant. — Le roi fit porter son corps mort au logis de Boissy, à la Bastille, où était mort Caylus, son compagnon ; il fut enterré à Saint-Paul avec de pareilles pompes que Caylus et Maugiron y avaient été inhumés auparavant[19].

On rapporte[20] que parmi les assaillants on reconnut Cayenne à sa barbe blonde et taillée en éventail ; mais rien n'est moins prouvé, et Voltaire lui-même dit : Il n'y a pas d'apparence que le duc de Mayenne, qui n'avait jamais fait aucune action de lâcheté, se fût avili jusqu'à se mêler dans une troupe de vingt assassins pour tuer un seul homme[21].

Ce meurtre ne fut pas plus poursuivi que les précédents ; du reste si la rumeur publique en accusait les Guises, qui ne songeaient même pas à s'en disculper, les haines que soulevaient les mignons étaient telles que tous les moyens qu'on employait contre eux étaient trouvés bons.

Parmi les satires, épigrammes, pasquins et épigraphes qui couraient les rues de Paris contre les favoris du roi, nous détachons seulement le quatrain suivant, parce qu'il est des moins mauvais, et surtout des moins libres dans ses allures.

D'Entraguet[22] et ses compagnons

Ont bien étrillé les mignons ;

Chacun dit que c'est grand dommage

Qu'il n'y en est mort davantage.

Ainsi, par les duels ou par les assassinats, disparurent les principaux mignons, et le fameux Bussy ne tarda pas à subir le même sort. Le duc d'Anjou, toujours prêt à abandonner ou à trahir ses amis lorsqu'ils ne lui étaient plus utiles ou qu'il avait intérêt à s'en défaire ; sacrifia son favori au ressentiment du roi en lui confiant le secret d'une intrigue dont Bussy était le héros. Henri III parvint à se procurer quelques lettres de Bussy concernant cette intrigue, et les envoya au comte de Montsoreau, qu'elles intéressaient particulièrement. Ce seigneur, qui avait la charge de grand veneur, attira Bussy dans un piège, et le fit égorger par des spadassins.

Tel était le spectacle peu digne qu'offrait la cour en 1578-79, et l'on comprend facilement qu'au milieu de ce débordement de passions le roi ne pouvait guère tenir la main à la bonne administration des affaires de son royaume.

Les Guises, toujours remuants et actifs, fidèlement unis les uns aux autres, marchaient résolument à leur but en s'appuyant sur le roi d'Espagne, qui, après la mort de son frère don Juan, eut l'ambition d'exécuter pour son compte le projet qu'avaient formé contre l'Angleterre le vainqueur de Lépante et le Balafré, dans leur entrevue de Joinville. A cet effet, et pour que Guise pût maintenir sa situation, Philippe lui fit tenir par don Juan de Vargas, son ambassadeur en France, une pension de deux cent mille livres. Avec l'or de l'Espagne et les nombreux emprunts qu'ils faisaient de tous les côtés, le Balafré et Mayenne levaient et entretenaient à leurs frais des troupes dans leurs provinces ; ils s'en excusaient auprès du roi en prétextant la nécessité qu'il y avait de ne pas se laisser envahir par les compagnies qui opéraient dans les Flandres, sous les ordres du duc d'Anjou. Quand ces prétextes n'avaient plus apparence de raison, on en trouvait d'autres plus ou moins plausibles, ou bien les ordres du roi étaient considérés comme nuls et non avenus.

C'était la faction des Guises que la cour redoutait le plus en ce moment. Le roi, réconcilié avec le duc d'Anjou, penchait du côté des protestants ; à ce sujet il écrivait aux gouverneurs de ses provinces pour leur recommander qu'ils eussent la main à l'exécution de son édit de pacification, et qu'aucune levée ne fût faite sans sa permission. Informez-vous soigneusement de la vérité, ajoutait-il, et empêchez telles entreprises, directement contraires à mon autorité[23].

Les protestants se plaignaient des armements des catholiques, et le roi de Navarre écrivait de longues lettres à d'Anville pour lui exposer ses griefs de ceux de la religion contre la Ligue, tandis que les catholiques se justifiaient en accusant les huguenots de continuer leurs dévastations sacrilèges, et d'entretenir des bandes qui ravageaient tout le pays.

Pour achever de réconcilier le roi de Navarre avec son fils Henri III, Catherine entreprit alors le voyage de Nérac, emmenant avec elle sa fille Marguerite, que son mari jusqu'ici avait vainement réclamée, malgré les paroles qu'il prononça en s'enfuyant de Paris. Toutefois il est permis de supposer que le Béarnais était moins désireux d'avoir auprès de lui sa volage épouse que d'entrer en possession des apanages qui constituaient sa dot, et dont son royal beau-frère continuait à le frustrer.

Mais, avant de suivre la reine mère à Nérac et de parler du nouveau traité qui fut passé entre elle et le roi de Navarre, il convient de dire quelques mots de la création de l'ordre du Saint-Esprit.

L'ordre des chevaliers de Saint-Michel, fondé par Louis XI, était réellement avili, tant il avait été prodigué à des hommes indignes de cette distinction[24]. Déjà après les nombreuses promotions qui furent faites au début du règne de François II par le cardinal de Lorraine, les protestants l'appelaient le collier à toutes bêtes. Il est dit, dans les Relations des ambassadeurs vénitiens[25], que le jour de la Saint-Michel les princes se sauvaient de la cour pour ne pas assister à la fête de l'ordre. Le duc de Guise n'était venu à la dernière réunion que sur la volonté formelle du roi.

La création de l'ordre du Saint-Esprit avait été inspirée à Henri III, quatre ans auparavant, par le cardinal de Lorraine. L'ordre était composé de cent chevaliers, y compris le roi, qui prenait le titre de grand maître de l'ordre ; de quatre cardinaux, quatre prélats évêques ou archevêques, du grand aumônier de France, d'un chancelier, d'un prévôt ou maître des cérémonies, d'un grand trésorier, d'un greffier, d'un héraut et d'un huissier de l'ordre. Les chevaliers prenaient le titre de grand commandeur, parce qu'en principe le roi aurait voulu dépouiller les plus riches abbayes et les mettre en commanderies comme en Espagne. C'était là le conseil, dit-on, que lui avait donné le cardinal Charles. Mais le clergé s'y opposa si fortement que le pape refusa de donner son consentement à cet article des statuts de l'ordre.

Ces statuts étaient composés de quatre-vingt-quatorze articles, et voici le serment que les chevaliers prêtaient entre les mains du roi :

Je jure à Dieu et vous promets, Sire, que je vous serai loyal et fidèle toute ma vie, vous recongnoistrai, honorerai et servirai toute ma vie, et prierai toujours Dieu pour le salut de Votre Majesté ![26]

La première promotion eut lieu le dernier jour de décembre 1578, et ne comprit que vingt-sept chevaliers, dont les principaux furent le duc de Nevers, le duc de Mercœur, le marquis de Villars, le duc d'Uzès, le duc d'Aumale, le maréchal de Cossé, le maréchal de Retz, le seigneur de la Guiche, Jacques sire d'Humières, le seigneur d'Entragues, Philippe Strozzi et Jean d'Aumont de Châteauroux.

Ni le Balafré ni Mayenne, on le voit, ne furent compris parmi les nouveaux chevaliers. Cette défaveur, témoignant de la crainte que les deux frères continuaient à inspirer à Henri III, ne pouvait qu'achever d'irriter les deux célèbres chefs de la Ligue.

La reine mère et Marguerite de Valois étaient arrivées à Nérac sur ces entrefaites. Catherine avait entrepris ce voyage afin d'entendre par elle-même les doléances que ne cessaient de faire les protestants de la Guyenne et de la Saintonge, et pour ramener son gendre au parti de la cour. Elle parut même nourrir un moment la secrète pensée de ramener le roi de Navarre à la religion catholique. Pour accomplir dignement sa mission si multiple, elle s'était fait accompagner, outre sa fille et la princesse de Béarn, sœur d'Henri, du cardinal de Bourbon, du duc de Nevers et du bataillon ordinaire de ses filles d'honneur.

Marguerite de Valois a laissé dans ses Mémoires un tableau charmant du séjour qu'elle fit à la cour de son époux. A l'en croire, cette cour était si belle qu'elle ne regrettait point celle de France. Le roi son mari était suivi d'une troupe de seigneurs et gentilshommes, aussi honnestes gens et galants qu'elle en eût jamais vu, et il n'y avoit à regretter ne eux sinon qu'ils estaient huguenots. Mais de cette diversité de religion il ne s'en oyoit point parler. Elle, la reine mère et leur suite allaient à la messe, tandis que son mari et sa belle-sœur allaient au prêche ; après, ils se rejoignaient tous dans le parc et dans les longues allées des jardins, et le reste de la journée se passoit en toutes sortes de plaisirs honnestes[27]. Les plaisirs honnestes de la reine Margot et de sa tendre mère n'ont jamais été d'une nature assez édifiante pour qu'on puisse y applaudir de confiance. Des écrivains plus sincères que Marguerite nous ont laissé, sur le séjour qu'elle et sa mère firent à Nérac, ample matière à nous édifier[28].

Le roi de Navarre ne voulut ni se convertir, ni retourner auprès de son beau-frère ; mais il consentit à ouvrir dans sa capitale des conférences auxquelles furent appelés les princes de Condé et les députés protestants de plusieurs provinces. Ces conférences aboutirent au traité dit de Nérac (26 février 1579), dont la plupart des articles ne furent que la confirmation ou l'explication de ceux contenus dans le traité de Poitiers. Il y fut ajouté aussi quelques avantages de plus en faveur des réformés, comme, par exemple, quatorze places de sûreté au lieu de neuf, le droit de bâtir des temples et de lever des deniers pour payer les ministres du culte.

Ce traité, en vingt-sept articles, fut ratifié par le roi ; mais on ne jugea pas à propos de le rendre public, momentanément du moins[29].

Tout en se prêtant à tous les accommodements possibles pour que la paix fût sincère et durable, Henri de Navarre, peu confiant, profita des conférences de Nérac pour faire prévenir les chefs de la réforme d'avoir à se tenir prêts dans le cas prochain d'une nouvelle prise d'armes. À cet effet, il rompit plusieurs pièces d'or par le milieu, distribua des moitiés de ces pièces à ses agents, et garda les autres moitiés. Cela fait, il leur dit de remettre les fragments de pièces aux capitaines qu'il leur désigna, pour que ceux-ci eussent à obéir aux instructions que leur donneraient les porteurs des autres moitiés qu'il avait retenues.

Quand la reine mère revint à la cour de France, elle trouva près de Henri III le duc d'Anjou, qui était venu avouer tous ses projets à son frère sur la conquête des Flandres, avec l'appui du prince d'Orange et surtout de la reine d'Angleterre. Son ambassadeur, Sérisier, gentilhomme bien fait et de bonnes manières, avait obtenu d'Élisabeth la promesse formelle qu'elle épouserait le duc d'Anjou. à fallait maintenant que le roi consentit à ce qu'il allât trouver sa future épouse pour arrêter les conditions de cet hymen, et lui permit à son retour de faire les levées dont il avait besoin pour conquérir les Flandres. Sur les instances de sa mère et de son frère, Henri III se prêta à tout ce qu'on voulut de lui., et le duc d'Anjou partit de la cour au mois d'août pour aller en Angleterre, où sous le déguisement d'un page il vit Élisabeth, pendant la nuit, à Greenwich. Élisabeth, l'embrassant avec la plus vive tendresse[30], lui promit de n'avoir que lui pour époux, malgré la vive opposition de son conseil[31], qui ne voulait pas mettre l'Espagne sur les bras de l'Angleterre.

La conduite des Guises donnait à Henri III de vives inquiétudes ; leurs rapports presque journaliers avec Philippe II, et leur attitude menaçante, faisaient redouter une explosion nouvelle. Le roi, voulant les avoir sous les yeux, espérant ainsi les mieux contenir en son obéissance, écrivit (février 1579) à leur mère, Anne d'Este, pour qu'elle les déterminât à se conformer à ses ordres. N'osant résister plus longtemps à l'invitation pressante du roi, dans la crainte de faire acte d'insubordination, le Balafré et Mayenne se décidèrent enfin à retourner à Paris. Ce fut le 16 mars qu'ils firent leur rentrée dans la capitale, accompagnés de six à sept cents chevaux, qui furent bientôt doublés par l'adjonction de seigneurs de la cour venus à leur rencontre, et de personnes de la ville dévouées à leur cause[32].

Le roi fit aux princes lorrains une réception aussi somptueuse que cordiale en apparence, leur prodiguant grand régal et caresses, et voulant que le Balafré et son frère le cardinal logeassent au Louvre. Peu de temps après, la reine partit pour un voyage dans la Guyenne et le Languedoc, où catholiques et protestants étaient continuellement aux prises, et Mayenne fut chargé de l'accompagner dans cette mission pacificatrice. C'est pendant ce voyage que Mayenne vendit à Emmanuel de Savoie son comté de Tende, qu'il tenait de sa femme. Catherine donna son consentement à cet acte, qui fut regardé comme une prévarication nuisible au royaume, dont il aliénait un domaine considérable situé sur la frontière.

Le temps que Guise passa à Paris lui permit d'achever de se réconcilier définitivement avec le duc de Montmorency. Malheureusement la mort du premier baron chrétien vint briser à jamais les liens d'affection qui commençaient à unir ces deux rivaux dont l'inimitié avait été si funeste à la France. Le maréchal fut pris, au Louvre, d'une attaque d'apoplexie ; Guise passa toute la nuit à veiller à son chevet, et il lui rendit tous les services qu'on peut attendre d'un véritable ami[33]. Quand on put transporter le malade à Chantilly, Guise l'alla encore voir, et lui donna tous les témoignages possibles d'un attachement sincère[34].

Le noble duc parut se relever ; il entreprit le voyage de Normandie, dont il était gouverneur et où le roi l'avait envoyé dans la crainte que cette province ne se soulevât ; mais, quand il fut de retour, il eut une seconde attaque, et mourut à son château d'Ecouen, le 6 mai 1579, à l'âge de cinquante ans.

François de Montmorency paraissait, comme son père le connétable, mépriser également la haine et la faveur populaires. Les Parisiens l'aimaient peu, et, s'il n'avait quitté la capitale à temps, il est à craindre qu'il n'eût subi le sort de Coligny dans la nuit du 24 août 1572. Moins dur et hautain que son père, plus instruit que son frère d'Anville, catholique fervent, mais porté à la modération autant pour faire échec aux Guises, qu'il considérait comme les ennemis personnels de sa famille, que pour amener une sorte de compromis entre les deux religions, il se lança dans le parti des politiques, sans toutefois s'engager autant que ses frères avec les huguenots. C'était aussi un capitaine éclairé et un soldat d'une rare bravoure, qualité, du reste, qui était commune à tous les gentilshommes de cette époque. Enfin, s'il était ambitieux, on n'a du moins à lui reprocher aucune félonie, aucune trahison indigne de son nom illustre, et sa mémoire est restée pure de toute tache au milieu de cette cour souillée de crimes et d'attentats indignes. Ceux mêmes qui l'avaient le moins aimé pendant sa vie pleurèrent sa mort, et le roi parut longtemps le regretter.

Nous ne suivrons pas la reine dans son voyage, qui dura dix-huit mois, et pendant lesquels elle mit en œuvre tous les artifices de son esprit pour conjurer, par des palliatifs, des périls menaçants qui demandaient des résolutions énergiques.

D'Anville, dans le Languedoc, se faisait une situation complètement indépendante de la couronne, et son ami le maréchal de Bellegarde se créait un État libre dans le marquisat de Saluces. Henri de Béarn favorisait, dans sa correspondance secrète, ces deux seigneurs dans leur rébellion contre l'autorité royale. Aussi sentait-il le besoin de se disculper de cet acte auprès de Catherine de Médicis et du roi, par les lettres qu'il leur écrivait et qu'il terminait en disant : C'est tellement faux et controuvé, que je n'y ai pas seulement pensé, et vous supplie ne croire telles calomnies, qui sont éloignées de ma volonté et de la vérité[35].

De son côté, Condé était aussi en négociation avec Catherine, qui lui proposait d'épouser Mlle de Vaudemont, sœur de la femme du roi, avec une forte dot et la restitution de son gouvernement de Normandie, en même temps qu'elle lui faisait tenir copie du traité de Nérac. Condé répondait que les synodes protestants refusaient qu'il épousât cette princesse à cause de la différence de religion, et que, quant au traité de Nérac, il ne concernait que le roi de Navarre. Et puis, pendant qu'il écrivait au roi et à la reine mère, pour leur témoigner l'espérance qu'il avait que Leurs Majestez le remet traient en son gouvernement, leur déclarant qu'il était toujours prêt à monter à cheval pour exécuter leurs commandements, Henri III apprenait que son cousin ayant quitté Saint-Jean-d'Angély, après avoir traversé Paris sous un déguisement, venait, par un coup d'audace, de s'emparer, le 29 septembre, de la ville de la Fère en Picardie.

Le roi parut plus fâché du manque égards dont le prince s'était rendu coupable à son endroit, en traversant Paris sans le saluer, que du coup de main qu'il venait de commettre. Condé s'excusa, et de nouvelles négociations eurent lieu, mais sans résultat, pour lui faire abandonner le parti du roi de Navarre et le rallier à celui de la cour.

L'escapade de Condé fut bientôt suivie d'événements plus graves. Vers la fin de l'année, on apprit que les protestants du Poitou s'étaient emparés de Montaigne, ceux de la Saintonge de plusieurs châteaux forts, et que ceux du Gévaudan, conduits par le capitaine Merle, étaient entrés dans Mende la nuit de Noël.

Le feu avait été mis aux poudres par Henri III lui-même, qui souleva ce qu'on a appelé la guerre des amoureux. Dans le but de séparer le roi de Navarre de sa femme Marguerite, afin de n'avoir pas à donner à son beau-frère le Quercy et l'Agenois, qu'il avait promis comme apanages de sa sœur[36], il écrivit au Béarnais une lettre pour lui dénoncer une soi-disant intrigue de la reine Marguerite. La princesse protesta énergiquement contre ces indignes accusations, et à son tour dénonça les manœuvres de son frère, qui se servait de cet expédient pour semer la discorde dans le ménage et dans la cour du roi de Navarre, afin de n'avoir pas à lui restituer son apanage et d'affaiblir son parti. Les dames d'honneur, Marguerite en tête, excitèrent les chevaliers à se barder de fer et à rompre des lances contre les félons, et le Béarnais profita de cet enthousiasme belliqueux pour accomplir un acte si témérairement audacieux qu'il tient presque du génie.

Parti de Montauban avec quinze cents hommes, il arriva à minuit devant Cahors, dont l'accès est défendu de trois côtés par le Lot. Le côté de la porte de la Barre est seul abordable par terre ; mais il est défendu par trois ponts, et, dans l'intervalle des portes qui ferment ces ponts, des bastions sont dressés des deux côtés, se défendant l'autre.

Il ne fallait pas songer, avec une aussi petite troupe, à faire le siège en règle d'une place si bien défendue et pourvue d'une assez nombreuse garnison, commandée par l'énergique Vezins, le même qui sauva son ennemi dans la nuit de la Saint-Barthélemy.

Un coup de surprise peut seul permettre au Béarnais de franchir les murs de la ville. Des pétardiers font sauter la porte de la Barre et se jettent dans le corps de garde ; les autres portes sont forcées de la même façon avant que Vezins ait pu rallier ses troupes. Enfin ce dernier arrive, et la résistance est si furieuse, que le siège alors commence rue par rue, maison par maison. Le Béarnais est toujours où le danger est le plus grand. Des toitures et des fenêtres des maisons, les assiégés font pleuvoir sur les assiégeants une grêle de tuiles, de meubles, de vases contenant des matières enflammées ; on n'entend que ces cris : Charge et tue ! Des renforts arrivent aux assiégés ; mais Choupes, qui commande l'arrière-garde du roi de Navarre, les attaque et les met en déroute. Enfin, après cinq jours et cinq nuits de lutte homérique, la ville est prise (5 mai) ; Henri accorde la vie sauve aux soldats qui restent et aux habitants, mais ne peut empêcher le pillage des maisons. Quand on le félicite de tant de courage, d'adresse et de fermeté dépensés pour prendre cette ville, il répond en soupirant : Ah ! malheureusement cette ville est française ![37]

Le brave Vezins périt en défendant la ville dont il était gouverneur.

Sur ces entrefaites, Condé, qui avait quitté la Fère, s'était jeté dans les Pays-Bas, puis en Angleterre, et enfin en Allemagne, pour obtenir des secours, qui lui furent partout refusés, rentra en France sous un déguisement, et, s'étant fait connaître, dans le Languedoc, à François de Coligny-Châtillon, fils de l'amiral, qui commandait dans ce pays pour le roi de Navarre, celui-ci se dessaisit de son commandement en sa faveur.

Henri de Béarn avait envoyé aux chefs huguenots les moitiés de pièces d'or qui devaient faire reconnaître les porteurs de ses ordres, et la guerre des amoureux éclata dans tout le royaume à ce signal attendu.

Henri III, malgré sa mollesse, fut obligé alors de prendre les mesures que commandait la situation. Trois armées furent levées le maréchal de Biron eut le commandement de la première, qui opéra en Guyenne ; Matignon eut la seconde, qui se porta avec trop grande lenteur devant la Fère, et accorda à cette place une capitulation si avantageuse, que d'Aumale quitta l'armée, et la Valette, qui commandait l'artillerie, ne cessa de tirer pendant qu'on traitait ; enfin Mayenne fut mis à la tête de la troisième, chargée de soumettre le Dauphiné.

L'armée de Mayenne était composée de sept mille fantassins, de mille chevaux, de cinq cents pionniers, et fut bientôt renforcée de la cavalerie et de dix-huit pièces de canon qui se trouvaient dans cette province.

Le roi eût peut-être voulu confier à tout autre qu'à un membre de la famille des Guises le commandement d'une de ses armées ; mais tout ce qu'il put faire, ce fut d'éloigner le Balafré et de lui substituer Mayenne, moins redouté que son frère. Le Dauphiné, pays de montagnes, de gorges profondes, de vastes grottes dont l'entrée n'est connue que des habitants du pays, et dont l'approche est presque inaccessible aux troupes régulières, était considéré, pour sa topographie, comme le camp retranché du protestantisme. C'est là qu'il avait pris naissance, et sa position semblait inexpugnable. Les catholiques de cette province souffraient beaucoup de la tyrannie et des vexations de toute sorte que les religionnaires exerçaient sur eux. Quand cette septième guerre éclata, ce fut vers les Guises qu'ils se tournèrent, et ils supplièrent le roi de leur envoyer le Balafré ou son frère Mayenne pour les gouverner, ces deux seigneurs étant, disaient-ils, aussi loyaux vassaux de ceste couronne que zélés pour le service de Dieu[38].

Henri III et sa mère étaient donc contraints de se rendre aux désirs de leurs sujets, et Mayenne se montra digne de la haute confiance que le peuple lui témoignait.

Les paysans huguenots du Dauphiné, révoltés contre leur noblesse, sous prétexte de conquérir leur liberté, se vengeaient sur les catholiques de l'insolence des seigneurs. Mayenne arriva à temps pour les battre à diverses reprises et s'emparer de Saint-Quentin et de Beauvoir. Lesdiguières, lieutenant d'Henri de Bourbon, allait rejoindre ces bandes lorsqu'il apprit leur déroute ; dès lors il ne songea plus qu'à fortifier la ville de la Mure, dont il confia le commandement à Villars et à d'Apremont.

La ville était défendue sur ses hauteurs par un bastion solidement construit, que Mayenne fit attaquer par trois batteries. Trois mille coups de canon furent tirés sur cet ouvrage avant qu'on pût tente l'assaut. Quand la brèche est faite, deux assauts sont livrés ; mais les assaillants sont repoussés avec de grandes pertes. Voyant que ses efforts restaient infructueux, Mayenne fait alors attaquer le bastion par la mine. Une large partie de la muraille s'écroule, cent vingt des assiégés sont tués ; mais lorsque Mayenne a planté le drapeau du roi sur le bastion en ruines, il s'aperçoit que les huguenots se sont retirés derrière les retranchements, dont il ne pourra les déloger qu'en recommençant un nouveau siège. La saison des pluies, des neiges et du froid est venue, — c'est la fin d'octobre, — et la fatigue gagne les soldats. Mayenne lutte contre les hommes et contre les éléments conjurés. Par son ordre les fossés sont comblés, une batterie est établie près des retranchements ennemis, et ses feux, bien dirigés, foudroient la ville, qui désormais ne peut plus opposer de résistance. Mais il reste encore le château, situé à mi-côte d'une montagne qui partage la ville, et défendu par cinq ouvrages qui s'appellent tenailles[39].

Douze cents hommes de pied et cent chevaux environ se sont jetés dans le château, trop étroit pour contenir tant de monde, et surtout n'ayant ni provisions de bouche ni eau potable pour soutenir un long siège. Au bout de six jours, après quelques sorties infructueuses, les assiégés demandèrent à capituler. Mayenne, toujours généreux, permit aux soldats de sortir avec leurs épées et leurs poignards ; aux officiers, de se retirer avec les mêmes armes, leurs chevaux et leurs bagages, mais sans enseignes ni tambours, et après s'être tous engagés à ne plus servir contre le roi.

Au commencement du siège, la ville renfermait quatorze cents combattants ; il en sortit environ neuf cents, et quelques blessés. Il en était donc mort cinq cents environ.

Il n'est pas nécessaire de dire que les habitants n'eurent à supporter aucune vexation du vainqueur ; les articles de la capitulation furent même si scrupuleusement observés par Mayenne, et sa générosité fut si grande, que ses adversaires lui donnèrent le surnom de prince de la foi[40].

L'armée royale ne perdit qu'environ deux cent cinquante hommes.

La prise de la Mure entraîna immédiatement la reddition de quelques autres places moins importantes, telles que Livron, Die et Serres, et surtout la soumission spontanée de plusieurs gentilshommes huguenots.

L'arrivée de Mayenne dans le Dauphiné avait été précédée d'un édit royal confirmant toutes les garanties accordées aux réformés, et engageant les religionnaires à se tenir tranquilles en leurs maisons, moyennant quoi ils n'avaient à redouter aucune poursuite pour leurs actes passés.

Mayenne profita habilement des ferments de discorde que la jalousie avait semés dans les rangs de la-noblesse protestante de cette province. Par ses flatteries et ses promesses, par ses manières polies et par la loyauté qu'il apportait dans toutes ses relations, il gagnait à la cause du roi tous ceux qui l'approchaient.

Quand il lit son entrée à Grenoble, il avait à sa suite plus de gentils hommes huguenots que de catholiques ; le temps qu'il y passa fut employé en jeux de bagues, tournois, bals et autres divertissements, où il s'efforçait d'achever de séduire ceux qu'il voulait attirer à lui. Par cette conduite, il apaisa si bien en peu de temps les troubles de cette province, disoit hautement dans le païs et même à la cour qu'il avait fait par sa seule prudence et sa modération ce que d'autres auroient eu bien de la peine à faire par plusieurs batailles qui auroient fait couler des rivières de sang[41].

Lesdiguières lui- même vint le trouver à Grenoble. Le prince lorrain fit au capitaine huguenot une réception aussi flatteuse que. cordiale ; mais, quand il s'agit de signer le traité que lui proposait Mayenne, le lieutenant d'Henri de Béarn s'y refusa, en disant franchement que les ordres de son maitre s'y opposaient. Lesdiguières se retira librement à Serres, suivi des quelques rares officiers ou gentilshommes restés fidèles à la cause du roi de Navarre.

Le maréchal de Biron avait, de son côté, obtenu en Guyenne des succès analogues à ceux de Mayenne, et, sauf la maladresse qu'il confinait de tirer contre Nérac quelques coups de canon, ce qui lui attira la haine de Marguerite de Valois, qui vit dans ce fait une injure faite à sa personne, son entreprise réussit complètement.

Les protestants battus sur tous les points, le duc d'Anjou, sommé par le roi de Navarre de tenir sa parole en venant à son secours, insista de nouveau auprès de son frère afin d'obtenir les ressources en argent dont il avait besoin pour porter la guerre dans les Pays-Bas, qui venaient de le reconnaitre pour leur souverain, et s'offrit, en échange, de servir de médiateur, se faisant fort de conclure une paix honnête, qui, en assurant la tranquillité du royaume, débarrasserait en même temps le roi de ceux qu'il considérait comme les fauteurs de tout désordre.

Sur les prières réitérées du duc d'Anjou et de Catherine de Médicis, le roi consentit à avancer à son frère l'argent qu'il lui demandait, et qui permit de lever secrètement des troupes, mais à la condition que l'expédition ne se ferait que du côté des Flandres, et que Philippe II ne serait pas attaqué sur les frontières d'Espagne par le roi de Navarre.

Heureux de cette permission, le duc se hâta de convoquer les délégués du roi de Navarre et du parti protestant au château de Fleix en Périgord, où les conférences devaient bientôt se tenir. L'édit qui fut signé après ces conférences ne fut en somme que la répétition des précédents, auxquels on ajouta la convention de Nérac et quelques places de sûreté de plus pour les protestants.

Ainsi se termina (26 novembre 1580) la guerre des amoureux, qui prit son nom des circonstances qui la firent naître.

 

 

 



[1] 23 décembre.

[2] D'Anville était un bon soldat et même un habile capitaine ; mais il ne savait pas écrire ; tout au plus savait-il signer son nom.

[3] Les finances du duc de Guise ne se trouvaient guère dans une situation meilleure. Pour payer ses dettes, ce prince venait d'être dans l'obligation de vendre ses terres de Nanteuil, d'Hombourg et de Saint-Avold.

[4] De Thou.

[5] Mémoires. — Journal de l'Estoile.

[6] Sans la présence et l'autorité de Guise, protecteur de la loi et du droit des gens, ville eût été pillée selon l'usage.

[7] L'Estoile.

[8] Histoire manuscrite de la maison de Guise, par Oudin.

[9] Histoire des guerres de religion en Auvergne, par Imberdes.

[10] Histoire des guerres de religion en Auvergne, par Imberdes.

[11] Guise était alors à Metz.

[12] Manuscrits de Colbert. (Archives nationales.)

[13] Papiers de Simancas.

[14] Mémoires. — Journal de l'Estoile.

[15] Journal de Henri III.

[16] Mémoires de Marguerite de Valois.

[17] L'Estoile.

[18] L'Estoile.

[19] L'Estoile.

[20] L'Estoile.

[21] Voltaire, la Henriade, notes du Ier chant.

[22] D'Entragues ; on l'appelait d'Entraguet à cause de sa jeunesse.

[23] Manuscrits de Béthune.

[24] De Thou.

[25] Tome II, p. 547.

[26] Statuts de l'ordre du Saint-Esprit, édition de 1703. L'ordre prit une couleur toute catholique.

[27] Mémoires de Marguerite de Valois.

[28] Les filles d'honneur de la reine suscitèrent tant d'intrigues, que plusieurs duels eurent lieu entre les gentilshommes de la suite du roi de Navarre, et même entre le prince de Condé et le vicomte de Turenne. Ces deux illustres personnages ne se firent que quelques légères égratignures, et eurent le bon esprit de se réconcilier immédiatement.

[29] Il ne fut publié que deux ans plus tard, après la conférence de Fleix.

[30] Élisabeth avait alors quarante-deux ans, et le duc vingt-cinq.

[31] Histoire de la réforme, par Capeligue.

[32] Manuscrits de Gaignières. — René de Bouillé.

[33] De Thou.

[34] De Thou.

[35] Portefeuille de Fontanieu.

[36] Les lois du royaume s'opposaient à ce que les filles de France reçussent des terres en dot.

[37] Lacretelle.

[38] Papiers de Simancas.

[39] De Thou.

[40] Histoire de la maison de Guise, par Fournier.

[41] De Thou.