HENRI DE GUISE LE BALAFRÉ

 

CHAPITRE VII.

 

 

Siège de Livron. — Le cardinal de Guise succède à son oncle dans le conseil. — Sacre du roi (13 février 1575). — Querelle entre Guise et Montpensier. — Mort de Marie de Clèves. — Mariage du roi avec Louise de Lorraine, fille du duc de Vaudemont (15 février). — Nouvelle puissance des Guises par ce mariage. — Le jugement porté par Charles IX sur son frère est justifié. — Le gouvernement livré aux favoris et à Catherine de Médicis. Henri III perd la couronne de Pologne. Guise et le roi de Navarre à la cour. — Union intime de ces deux princes. — Fuite du duc d'Alençon. — Manifeste de ce prince. — Condé lève une armée en Allemagne à des conditions antipatriotiques. — La guerre éclate. — Catherine de Médicis délivre Montmorency et Cossé de la Bastille, et se sert de ces deux maréchaux pour traiter avec les politiques et les réformés, tandis que Guise prend le commandement de l'armée royale et catholique. — Thoré-Montmorency, qui commande l'avant-garde de l'armée protestante, est traqué par Guise, qui le force à livrer bataille (10 octobre 1575) à Dormans. — Thoré est battu. — Guise est blessé à la joue, et c'est à cette blessure que lui vient le surnom de Balafré. — Enthousiasme du roi et des parisiens en apprenant la victoire de Guise. — Convalescence du Balafré. — Ses projets pour délivrer Marie Stuart. La reine mère et le duc d'Alençon se rencontrent au château de Champigny. — Trêve de six mois (du 22 novembre au 25 juin 1576). — Tous se préparent à violer la trêve. — Intrigues de cour. — Du Guast et Marguerite de Navarre. — Le baron de Vitaud tue du Guast. — Participation de Marguerite à ce crime. — Le roi de Navarre à la cour de Henri III. — Son habileté à tromper ses ennemis. — Sa fuite. — Il retourne au protestantisme. — Mayenne, qui remplace son frère, lutte contre Condé, les Allemands et le duc d'Alençon. — Conférences et paix de Moulins (5 mai 1576). — Cette paix soulève la colère et l'indignation des catholiques. — La Ligue sort de cette effervescence populaire, provoquée par le sentiment religieux de la France tout entière. — La Ligue se manifeste d'abord en Picardie, où d'Humières, qui y commande, refuse de livrer Péronne à Condé. — Serment prêté par les membres de l'Union. — La Ligue s'étend dans toutes les provinces et dans toutes les classes. — Guise chef de la Ligue. — Les effets et les causes. — L'avocat David et sa mission à Rome. — Le plan de la Ligue découvert dans les papiers de cet avocat et le peu d'authenticité à ce document. — Mariage de Mayenne avec Henriette de Savoie. — Don Juan d'Autriche à Joinville. — Son alliance avec le duc de Guise. — Projets de ces deux grands hommes. — Le roi de Navarre, Condé et d'Anville protestent contre les États généraux. — Réunion des états (décembre 1576). — Henri III reçoit communication du mémoire concernant la Ligue. — Il signe en tête du manifeste de l'Union catholique. — Ouverture des états. — Prétentions du tiers. — Mesures contre les protestants. — Réserves faites par le roi, qui consulte les seigneurs de la cour sur les résolutions des états. — Réponses de Mayenne et de Guise.

 

Le roi et la cour ne tardèrent pas à quitter Avignon (10 janvier 1575), et se présentèrent devant Livron, qui opposait à l'armée royale une vive résistance. Le roi fit sommer cette bourgade de se rendre ; mais le commandant de la place ne lui répondit que par un défi hautain, et est assiégés par des injures. Henri III, que les plaisirs faciles énervaient déjà ôtant en lui la fougue dont le duc d'Anjou avait fait preuve, ne resta que trois jours dans le camp et fit licencier l'armée, sous prétexte qu'il devait aller se faire sacrer à Reims.

Le cardinal de Guise, homme de jugement et de résolution, qui avait remplacé son frère auprès du roi et de la reine mère, suivait fidèlement la tradition de ses aînés. Toujours en correspondance avec Philippe à et ses ministres, il continuait à assurer la puissance de sa famille en l'appuyant au dehors sur le crédit de l'Espagne, et au-dedans sur les masses populaires catholiques.

Le sacre du roi eut lieu à Reims, le dimanche 13 février, par les mains du cardinal de Guise, son neveu l'abbé de Fécamp, qui héritait de l'archevêché de Reims, étant encore trop jeune pour être élevé à la haute dignité d'archevêque. Le duc de Guise n'avait consenti à assister à cette cérémonie qu'à la condition d'avoir le pas immédiatement après les princes du sang ; cela occasionna une vive querelle entre lui et le duc de Montpensier, qui fut prié par le roi de ne pas assister au sacre.

Quand on vint placer la couronne sur son front, Henri III dit tout haut qu'elle le blessait, et deux fois elle glissa et faillit tomber. Ce futile incident n'échappa point à la cour, qui le considéra comme d'un funeste présage.

Marie de Clèves, princesse de Condé, étant morte au mois d'octobre précédent, le roi, après avoir manifesté une bruyante douleur, envoya du Guast, son favori, à Nancy pour demander la main de Louise de Vaudemont au duc de Lorraine et au comte de Vaudemont, son père.

La reine mère elle-même facilita ce mariage, soit qu'elle redoutât moins l'influence des Guises depuis la mort du cardinal Charles, soit que le caractère timide et réservé de la belle et pieuse princesse de Lorraine fût pour elle la garantie que la future reine ne serait jamais une barrière entre elle et son fils. Le roi aurait pu prétendre à une alliance plus puissante ; mais Catherine estimait que le roi d'Espagne, son beau-fils, avait déjà assez de motifs pour s'immiscer dans les affaires de la France, sans lui en fournir de nouveaux en lui permettant de placer à côté du trône d'Henri III une épouse à son gré.

Les articles du contrat de mariage furent dressés par Cheverny, qui porta en même temps les cadeaux de noces. Après que du Guast eu rempli sa mission, le duc Charles de Lorraine, la duchesse Claude, sa femme et sœur du roi, le comte de Vaudemont et la duchesse douairière de Guise, Antoinette de Bourbon, alors âgée de près de quatre-vingts ans, amenèrent à Reims la belle et douce fiancée.

Le mariage eut lieu deux jours après le sacre (15 février), et fut suivi de fêtes splendides, auxquelles prirent part un grand nombre de gentilshommes venus de toutes les provinces.

Par cette union, qui excita les railleries et les sarcasmes d'Élisabeth d'Angleterre, les princes de la maison de Guise voyaient leur puissance grandir et leur crédit se fortifier. Comme sous François II, c'était encore une de leurs proches parentes qui était assise sur le trône, et par cette alliance ils touchaient eux-mêmes à la couronne.

Le jugement porté par Charles IX sur son frère se trouvait justifié de point en point. Jamais monarque ne fit preuve de plus de faiblesse d'esprit, d'indolence et de perversité que cet Henri III dont Catherine de Médicis avait voulu faire un héros. La guerre civile éclatait partout à la fois dans la Saintonge, dans le Poitou, dans le Dauphiné, et lorsque dans les Trois-Évêchés, Metz, Toul et Verdun ; les conjurés s'organisaient avec une célérité et une audace excessives. Condé levait en Allemagne une véritable armée ; les confédérés huguenots et les politiques étaient en correspondance secrète avec les princes luthériens germaniques, avec la reine Élisabeth, et même avec les ministres espagnols, relations fondées sur l'intérêt qu'avaient tous ces gouvernements à ce que la discorde et la guerre ne s'éteignissent pas en France[1] ; et le vainqueur de Jarnac et de Moncontour s'abandonnait tout entier à la mollesse et aux plaisirs, laissant ses favoris, surtout du Guast, s'emparer jusqu'au dernier sou de l'argent qui restait dans les coffres de l'État ! Quant aux choses du gouvernement, c'était toujours Catherine de Médicis qui s'en occupait, seule ou à peu près, et elles allaient à la grâce de Dieu.

Avec un peu plus d'énergie et d'habileté, Henri aurait pu conserver la couronne de Pologne ; le sénat, jaloux de ses prérogatives, n'eût pas mieux demandé, dans le fond, que de se contenter de cette effigie de monarque, qui n'aurait fait dans son royaume que de rares et courtes apparitions. Mais Henri, qui avait chargé de Pibrac de cette négociation, mit si peu d'empressement à expliquer sa conduite à ceux qui l'avaient élu pour leur roi, que son messager arriva trop tard, et qu'il ne put ainsi ni garder cette couronne ni la faire passer sur la tête de son frère, ce qui eût été peut-être plus habile encore.

Il y avait à la cour trois princes qui suivaient les événements avec une attention soutenue et intelligente : Monsieur, duc d'Alençon, le duc de Guise et le roi de Navarre.

Monsieur épiait l'occasion de s'enfuir de la cour et de se mettre à la tête des mécontents. Déjà une conspiration avait été découverte. On n'avait parlé rien moins que d'assassiner Henri III et de mettre le duc d'Alençon sur le trône. L'affaire fut étouffée par Catherine de Médicis ; mais la réconciliation ne s'était jamais faite entre les deux frères, qui se soupçonnaient réciproquement de nourrir l'un contre l'autre de sinistres projets.

Guise et Henri de Navarre, plus habiles et plus patients, parce qu'ils se sentaient plus forts et avaient des projets plus arrêtés, dissimulaient leur ambition sous le masque de l'insouciance. Ils ne semblaient occupés l'un et l'autre que de plaisirs et de fêtes. Ces deux natures supérieures ne purent se trouver en contact sans se lier d'amitié, ou du moins, si l'amitié n'était pas aussi réelle qu'elle le paraissait et qu'elle l'eût été en des temps moins troublés, elle leur était certainement imposée par cette sympathie instinctive qui attire l'un vers l'autre deux hommes de valeur perdus dans un milieu rempli de petites intrigues et de médiocrités.

Certains historiens ont affirmé que le roi de Navarre favorisait de toute son amitié le duc de Guise et Mayenne, et que l'aîné de ces princes avait offert ses services et son épée au Béarnais pour lui faire obtenir la couronne, au préjudice du duc d'Alençon, dans le cas où Henri III, alors malade, serait venu à mourir[2].

En tout cas, on les voyait toujours ensemble, à la chasse ou aux carrousels, jouant aux dés ou à la paume, l'un portant l'autre en croupe au milieu de Paris, partageant le même lit à l'occasion[3].

Telle était la situation lorsque le roi et la reine mère apprirent la fuite du duc d'Alençon, dont le roi de Navarre, son compagnon d'infortune, ignorait même les projets. D'Alençon, en effet, n'avait averti son beau-frère et sa sœur Marguerite que quelques instants seulement avant son départ, prenant pour prétexte de l'action qu'il allait commettre la pénurie dans laquelle il était laissé par du Guast, qui, disposant de tout à la cour, ne lui payait les pensions de ses apanages qu'à son bon plaisir.

Le soir du 15 septembre, avant le souper du roi, le duc changea de manteau, et, le mettant autour du nez, sortit du Louvre et alla à pied jusqu'au faubourg Saint-Honoré, où Simié, son chambellan, l'attendait dans le carrosse d'une dame. A un quart de lieue il trouva des chevaux de selle, et quelques lieues plus loin deux à trois cents cavaliers qui lui firent escorte jusqu'à Dreux[4].

Quand le roi apprit la fuite de son frère, il entra, dit Marguerite, dans une grande colère, et ordonna à tous ses gentilshommes de monter à cheval et de le ramener mort ou vif. Quelques-uns obéirent ; mais ils revinrent le lendemain matin de leur promenade nocturne sans même avoir découvert la trace du fugitif, qui arrivait à Dreux peu d'heures après leur rentrée au Louvre.

De Dreux le prince lança un manifeste où il dissimulait son ambition sous les dehors des intentions les plus honorables. Il dit qu'il n'avait quitté la cour que sur les conseils des prélats et de la noblesse ; qu'il ne voulait rien faire contre l'autorité royale ; au contraire, qu'il voulait raffermir et rendre au royaume sa première splendeur, empêcher les vols et les malversations, tirer des prisons les premières têtes du royaume[5], restaurer la religion de ses ancêtres, tout en assurant aux protestants la liberté de conscience que les édits leur accordait, et rétablir une paix durable et sincère. Pour atteindre ce résultat, il ne voulait ni en appeler aux armes ni former un parti, mais réunir les États. Il terminait en suppliant le roi de prendre en bonne part la requête qu'il lui adressait.

La fuite du duc d'Alençon apportait une grande force aux protestants et surtout à Condé, qui obtint des princes allemands la levée de dix mille reîtres qu'il devait commander, ayant pour premier lieutenant le comte palatin Jean Casimir. Condé devait en outre, d'après ce traité, indigne d'un Français, lever six mille Suisses, tirer douze mille fantassins et deux mille chevaux du Languedoc, ne traiter de paix ou de guerre avec le roi sans le consentement de son allié ; une des conditions de la paix serait quo Jean Casimir aurait le gouvernement de Metz, Toul et Verdun, et qu'on lui ferait tenir immédiatement deux cent mille écus d'or.

Ainsi Condé, non content d'entretenir la guerre civile et d'avoir l'étranger pour auxiliaire, en arrivait encore à mettre d'avance entre les mains de l'ennemi nos principales villes fortes.

Quand le roi fut surpris par le départ de son frère, il n'avait plus ni armée ni argent. Pour subvenir aux premiers frais, il fut obligé de faire un emprunt au duc de Lorraine, son beau-frère, et au comte de Vaudémont, son beau-père.

Catherine de Médicis, après avoir donné ordre de massacrer Montmorency et Cossé, alla elle-même délivrer les prisonniers à la Bastille, leur assurant que c'était à son intervention qu'ils devaient la vie, et les décida à la suivre en Touraine pour essayer avec elle de préserver le pays d'une nouvelle guerre.

Pendant que Catherine se mettait en marche pour entrer en négociation avec son fils révolté et les princes confédérés, Guise recevait le commandement de l'armée qui allait combattre contre les rebelles, et se rendait dans son gouvernement de la Champagne avec mille gens d'armes (2 octobre).

Nul ne pouvait lui disputer l'honneur de conduire l'armée royale à la victoire : c'était sa cause autant que celle du roi qu'il servait, son nom étant comme un drapeau autour duquel la France catholique était toujours prête à se ranger. Mais la cour le secondait peu ; Catherine promettait sans cesse et ne donnait jamais rien. Cependant elle s'aperçut que le duc ne voulait plus tant de paroles, mais de vrays grands effets. Il écrivit à sa femme qu'il n'avait plus un sou, et lui recommanda de prendre de l'argent où elle pourrait et jusque dans les coffres du roi.

Enfin sa troupe est équipée, grâce à une activité que rien n'arrête. Il a avec lui Philippe Strozzi, colonel de l'infanterie française, avec dix mille hommes de pied ; de Gontaut-Biron, son frère Mayenne, ses cousins d'Elbeuf, d'Aumale, et une foule de jeunes gentilshommes qui ont pris spontanément les armes et sont venus lui offrir leurs services.

Guise se porta immédiatement à la rencontre de Thoré-Montmorency[6], à qui Condé avait confié le commandement de l'avant-garde franco-allemande qui devait alter renforcer le duc d'Alençon. Cette avant-garde, composée de deux mille reîtres, de cinq cents arquebusiers français et de cent gens d'armes, passa le Rhin, traversa la Lorraine, et entra en Champagne par Langres. Le dessein de Thoré était de venir passer la Loire à la Charité pour gagner ensuite le Poitou ; mais il comprit qu'il ne lui était plus possible de traverser la Champagne. Changeant son itinéraire, il prend la route des Ardennes, où il est rejoint par quelques troupes huguenotes, et arrive à Attigny-sur-Aisne.

L'armée royale, sous la conduite hardie de son jeune général, après avoir occupé Mézières, se porte sur Suippe-la-Longue, d'où Guise observe l'ennemi, l'enveloppe de toutes parts, et le force, au bout de trois jours, a livrer combat à Pont-à-Brisson, sur les bords de la Marne et près de Langres.

Thoré aurait bien voulu éviter le combat ; mais Guise l'avait serré de si près que la fuite n'était plus possible. Il rangea donc son armée en bataille dans l'ordre suivant : les Français, en tête des Allemands, formant la première ligne, sous les ordres d'Antoine de Vienne, seigneur de Clervan ; la noblesse française, en seconde ligne, sous les ordres de Thoré ; la cavalerie est sur les ailes avec les arquebusiers.

L'avant-garde royale, qui est commandée par Strozzi et Fervaques ne livre que des escarmouches, jusqu'au moment où Guise, posté dans un bois voisin, d'où il observe l'ennemi, lance son frère Mayenne, qui attaque brusquement l'infanterie française, et vient donner ensuite de sa personne avec le gros de l'armée. Le choc de Mayenne fut rude et bien soutenu ; mais lorsque Guise chargea à son tour, l'ennemi plia, et ses reîtres furent taillés en pièces et poursuivis vigoureusement par les vainqueurs.

La victoire est complète ; de Clervan est prisonnier, deux des principaux lieutenants de Thoré sont tués ; une centaine de Français mettent bas les armes, et un corps de reîtres de cinq cents hommes passe dans l'armée royale avec armes et bagages.

La bataille avait commencé vers deux heures de l'après-midi (10 octobre), et la poursuite continuait encore quand vint la nuit. Thoré et quinze cents hommes environ qu'il était parvenu à rallier n'auraient pu s'échapper sans une blessure que reçut le duc de Guise en poursuivant les fuyards. Un reître, qu'il avait blessé de deux coups d'épée et dont il voulait se saisir, lui tira, de derrière un buisson, un coup d'arquebuse qui lui emporta la moitié de la joue et de l'oreille gauche.

Comme son père combattant devant Boulogne contre les Anglais, il est blessé au visage, et la cicatrice de cette glorieuse blessure lui vaut le surnom de Balafré, que l'histoire lui conserve comme un titre, héréditaire dans cette grande famille, pour la désigner plus spécialement à l'admiration et à l'affection du peuple.

Lorsque Guise, tout sanglant et presque sans connaissance, fut transporté en arrière de l'armée, la stupeur se mit dans les troupes royales, et elles allaient peut-être se débander, lorsque fort heureusement Biron survint avec de la cavalerie, qui les rallia et les ramena au combat[7]. Mais ce moment d'hésitation permit à Thoré, à son frère Méret et aux débris de leur armée de passer la Loire et d'aller rejoindre le duc d'Alençon à Vatan.

Quand Fervaques et le secrétaire de Guise arrivèrent à Paris portant les enseignes prises à l'ennemi, le roi, la cour et le peuple célébrèrent cette victoire par des réjouissances publiques, et furent transportés d'allégresse, comme si les Allemands de Condé avaient été compris dans le désastre et n'en étaient point échappés. Des Te Deum, furent chantés spontanément, ou par ordre du roi, dans plusieurs églises ; des processions eurent lieu, et Henri III les suivit en donnant toutes les marques extérieures de la piété la plus sincère.

La pieuse et noble Antoinette de Bourbon, qui conservait toujours comme une relique le bois et le fer qu'Ambroise Paré avait retirés de la tête de son fils, il y avait trente et un ans, fit faire un pèlerinage à Saint-Nicolas, près de Nancy, pour la guérison de son petit-fils.

Henri fut transporté du camp à Épernay, et pendant plusieurs jours on put craindre que la blessure ne fût mortelle ; mais les soins dont l'entourèrent les hommes de l'art que le cardinal de Guise amena avec lui de Paris, sa robuste constitution aidant, le mirent bientôt hors d danger.

Pendant sa convalescence, qui fut assez longue, Guise s'occupa de divers intérêts de famille et de succession qui n'avaient jamais été réglés, correspondit avec Philippe II,  qui lui fit personnellement parvenir ses félicitations sur la victoire qu'il venait de remporter, et jeta les yeux du côté de l'Angleterre pour essayer. de trouver un moyen quelconque de venir au secours de l'infortunée Marie Stuart, sa cousine, que la cruelle Élisabeth tenait prisonnière en attendant qu'elle donnât ordre de lui faire trancher la tête.

Catherine de Médicis non plus ne restait pas inactive. Profitant de l'absence de Guise, elle poursuivait, en Touraine, ses négociations avec son fils François d'Alençon. C'est au château de Champigny, appartenant au duc de Montpensier, qu'eurent lieu les entrevues entre la mère et le fils, et le maréchal de Montmorency servit d'intermédiaire aux deux partis.

Catherine de Médicis perdit un mois en pourparlers ; qui n'aboutirent qu'à une trêve de six mois, commençant le 22 novembre 1575, et devant finir le 25 juin de l'année suivante. Cette trêve, tout à l'avantage des protestants, stipulait que le roi compterait cent soixante mille écus d'or pour payer l'armée que le prince de Condé avait levée en Allemagne ; que six villes seraient mises entre les mains des politiques et des protestants unis comme garantie de la trêve Angoulême, Niort, Saumur, Bourges, la Charité-sur-Loire et Mézières-sur-Meuse ; que le roi licencierait les troupes étrangères, à l'exception des gardes suisses et écossaises ; enfin comme article restrictif, mais purement illusoire, il était convenu qu'à l'expiration de la trêve les six villes remises comme garantie seraient rendues au roi.

Ce dernier article est d'une naïveté étonnante. Les hostilités reprenant avant la fin de la trêve, il est évident que les confédérés se seraient bien gardés de rendre les places, et, la paix s'établissant, la première chose qu'auraient demandée ces mêmes confédérés devait être de conserver les places qu'ils détenaient.

A cette époque la bonne foi n'était pas la vertu dominante des chefs de parti ; aussi la trêve était à peine signée, que c'était à qui la violerait le premier. Les protestants ne cessaient d'engager Condé à venir à leur secours avec ses reîtres, comme si la parole de Monsieur ne l'avait pas engagé ; les Rochelais et la Noue se préparaient aussi à la guerre, tandis que de leur côté le roi et la reine mère lâchaient d'éluder le plus possible les articles qui leur étaient le plus défavorables. Ainsi l'armée, au lieu d'être licenciée, fut, au contraire, renforcée de six mille Suisses et de huit mille reîtres que devaient faire venir d'Allemagne, pour le service du roi, le comte de Mansfeld, Schomberg et Bassompierre. D'autre part, Mézières ne fut point remise au prince de Condé, ni Angoulême à Monsieur. Le gouverneur de Bourges, de Montigny, ne voulut pas non plus rendre cette place aux protestants ; ils durent accepter en échange Saint-Jean-d'Angély, qui fui remis à la Noue, et Cognac, qui fut remis à la Bateresse.

A la même époque, il advint à la cour un événement tragique qui ont une place trop grande dans les chroniques du temps pour que nous passions sous silence.

Il se peut que du Guast, le favori d'Henri III, fût un ambitieux, un dissipateur et un courtisan que la faveur de son maitre rendait hautin ; mais de tous les mignons de la cour il était certainement le seul qui eût le courage de parler souvent au roi lb langage de la vérité, de lui faire sentir que sa mollesse indigne et sa politique indécise avaient les effets déplorables pour le royaume. Les intrigues de Marguerite de Valois avaient souvent trouvé en lui un censeur plus quo sévère ; il n'hésitait pas à poursuivre la reine de Navarre de ses sarcasmes et de ses mots spirituels et méchants, dont il l'accablait même en présence du roi son frère et du roi son mari. Henri de l3ourbon, qui n'avait pas donné à Marguerite son honneur à garder, et qui faisait à cette cour un rude apprentissage, haussait les épaules à ces propos, feignant de ne pas y ajouter foi, la prudence lui conseillant de ménager sa femme tant qu'il serait prisonnier de son beau-frère et de Catherine de Médicis. Mais Henri III se montra moins endurant, et bien des fois il lui arriva, en présence de toute la cour, de dire à sa sœur des paroles outrageantes. Marguerite résolut de se venger.

Le baron de Vitaud, qui avait tué d'Allègre, sieur de Milhaud, deux ans auparavant, vivait caché dans le couvent des Augustins. Ce meurtre avait été la suite d'une querelle de famille, et le meurtrier, bien que très protégé, n'avait jamais pu obtenir sa grâce ; du Guast fut un de ceux qui s'y opposèrent le plus auprès d'Henri III. C'est cet homme que Marguerite alla trouver, déployant, pour l'entraîner à commettre un nouveau crime, toutes les séductions de sa beauté et toutes les promesses d'une haute protection, sans compter, ajoutait-cite, que le roi lui-même ne serait pas fâché sans doute d'être débarrassé d'un courtisan dont le langage commençait à lui être insupportable.

Vitaud consent, et choisit pour commettre ce lâche attentat le 1er novembre, veille de la fête des Morts. Du Guast était toujours accompagné d'une foule de gentilshommes ; il fallait donc attendre, pour le frapper, qu'il fût seul. A la nuit close, Vitaud, escorté de quelques estafiers, s'introduisit dans un petit appartement situé près du Louvre, où du Guast se rendait parfois, et, avant que ce dernier eut pu se défendre, il le tua à coups d'épée[8].

Marguerite de Navarre parle longuement, dans ses Mémoires, des intrigues de du Guast, de la méchanceté avec laquelle cet homme la poursuivait, dans le but de la priver de l'affection de son mari et de ses frères, et entretenir la division dans la famille, afin d'être seul influent près de son maitre ; mais elle ne souffle mot sur sa mort, dont plusieurs auteurs contemporains l'accusent, sans que nul ait cherché à l'innocenter de ce crime. A l'occasion de la réception que fit Henri III, deux ans après, à Bussy et autres gentilshommes catholiques, elle se contente de dire : Car du Guast estoit mort, ayant esté tué par un jugement de Dieu lorsqu'il suoit une diette, comme aussi c'estoit un corps gasté par toutes sortes de vilainies[9]...

Henri III fit faire à du Guast de brillantes funérailles, auxquelles assistèrent tous les gentilshommes de la cour, croyant ainsi être agréables au roi, qui plaignit le sort de son favori, mais ne chercha pas à poursuivre les coupables ; et l'affaire en resta là.

Catherine de Médicis ne put s'empêcher de manifester le contentement que lui causa cette mort ; car du Guast, dans son franc parler, lui avait dit souvent de cruelles vérités.

Quant au meurtrier, il trouva un refuge près du duc d'Alençon.

Le Balafré, aussitôt en convalescence, revint à la cour, où il retrouva Fervaques, son lieutenant à Dormans, et reprit ses liaisons amicales avec Henri de Bourbon, qui dissimulait de plus en plus ses projets d'avenir, cachant sous une insouciance affectée les humiliations de toutes sortes, qu'il endurait et les profonds ressentiments de son âme.

Le Béarnais ne portait ombrage à personne. Seule Catherine de Médicis avait compris peut-être ce que contenait de projets la tête du petit roitelet. Henri III croyait qu'on en ferait, comme de son père, un lieutenant général, prêt à marcher contre les huguenots. Les protestants eux- mêmes le croyaient perdu pour eux, et ne l'appelaient que l'indigne fils de Jeanne d'Albret. Guise enfin ne voyait en lui qu'un spirituel et charmant compagnon et un brave capitaine.

Pourtant Henri de Navarre clan parvenu à se faire des serviteurs dévoués parmi les catholiques de la cour, et même parmi les favoris de Guise et d'Henri III.

C'était au mois de février 1576, et Henri de Bourbon avait obtenu du roi la permission d'assister à une chasse à Saint-Germain. Avant de partir, il était, allé voir le Balafré dans sa chambre, s'était étendu sur son lit, et l'avait entretenu des plans militaires qu'il mettrait à exécution lorsqu'il serait lieutenant général.

Quand le Béarnais fut parti, Guise rejoignit le roi, et tous deux riaient[10] de la confiance du roi de Navarre, lorsqu'ils apprirent qu'il était en fuite.

En effet, le fils de Jeanne d'Albret, par les soins de Fervaques, de d'Aubigné et de d'Armagnac, son valet de chambre, après avoir déjoué la vigilance de ses gardiens, parvint à s'échapper et à gagner Vendôme, où ses amis l'attendaient. De Vendôme il fila presque d'une seule traite dans son gouvernement de la Guyenne, et ensuite dans le Béarn. Il revint plus tard à Moulins renforcer l'armée du duc d'Alençon, après avoir abjuré le catholicisme[11].

D'après de Thou, la reine mère et le roi apprirent sans trop en être irrités le départ du roi de Navarre, disant que plus il y aurait de chefs dans l'armée des rebelles, plus il y aurait de divisions ; mais, s'il faut en croire Marguerite de Valois, le roi en ressentit une si violente colère, qu'il faillit s'en venger sur sa propre sœur. Marguerite fut enfermée dans ses appartements, comme otage répondant pour son mari, et personne ne l'osait voir, excepté le brave Crillon[12].

Cependant les négociations continuaient entre Catherine et d'Alençon sans amener de résultat, tandis que Condé et Jean Casimir avaient passé la frontière et traversaient la Lorraine. L'armée de Condé était composée de six mille reîtres, de deux mille Français qui avaient rejoint le prince sur la frontière, de deux mille lansquenets, de deux mille Flamands, de six mille Suisses levés dans le canton de Berne, enfin de quatre gros canons et seize pièces de campagne.

Mayenne, qui avait eu le commandement de l'armée royale lorsque son frère fut blessé, était chargé de s'opposer à la marche de l'ennemi. Si la cour avait envoyé au jeune prince lorrain les renforts qui lui étaient toujours promis, il aurait pu engager le combat et essayer de refouler l'ennemi hors la frontière ; mais ce n'était pas avec les faibles ressources dont il disposait[13] qu'il pouvait avoir la moindre chance de vaincre. Le jeune général, avec une prudence et une habileté au-dessus de son âge, fit tous ses efforts pour garantir Paris, côtoyant sans cesse la droite de l'ennemi, le harcelant par des attaques incessantes et imprévues, lui tuant ainsi beaucoup de monde, et se dérobant, à lui aussitôt le coup porté. Mais tandis que le futur chef de la Ligue avait d'un côté Condé et Jean Casimir, il se vit d'un autre côté menacé par le duc d'Alençon, qui venait à la rencontre de ses alliés ; il n'y avait plus que la rivière de l'Allier qui les séparât. Les confédérés parvinrent à se rejoindre à Charroux, après que Condé eut passé la Sioube (4 mars 1576), ce qui obligea Mayenne à battre en retraite par Cosne et Montargis, sans pouvoir conserver Moulins.

Pendant ce temps Guise était à Melun, où il rassemblait quelques troupes pour les joindre à celles de son frère réunies à Étampes.

Les confédérés passèrent le 11 mars la revue de leurs armées, dont l'effectif se montait à plus de trente mille hommes, et tandis que Jean Casimir campait à Soze, les princes revenaient à Moulins, où la reine mère ne devait pas tarder à les rejoindre.

Les princes réunis avaient lancé des manifestes contenant les conditions les plus exagérées, et, sous prétexte de liberté de conscience, tous se taillaient à l'envi des domaines dans le royaume, et laissaient l'autorité royale amoindrie et sans armes contre leur puissante domination. Par son impéritie et sa mollesse, Henri III avait mérité que son frère et ses sujets lui missent ainsi le couteau sur la gorge. Catherine fut chargée encore une fois de négocier une paix plus honteuse que toutes les précédentes, et qu'elle signa sans rougir, pensant bien qu'elle n'aurait pas de plus longue durée.

La reine se fit accompagner a Moulins par le maréchal de Montmorency, et c'est à Beaulieu, près de Loches, qu'on s'assembla pendant un mois (avril), pour discuter les soixante-treize articles du nouvel édit de pacification, le cinquième depuis celui de janvier 1560.

Par cet édit, après les formules d'usage et la répétition des promesses faites dans les précédents, le roi accordait au duc d'Alençon, comme son apanage, le Berri, la Touraine et l'Anjou, avec une pension de cent mille écus d'or ; à Condé le gouvernement de la Picardie, avec Péronne pour place de sûreté, et une somme de cinq cent mille livres ; au prince Jean Casimir une somme de quatre millions d'écus d'or et la promesse de la principauté de Château-Thierry ; aux protestants le libre exercice de leur religion par tout le royaume, la permission du mariage des prêtres, l'admission des réformés à toutes les charges de l'État. Dans les huit parlements du royaume, les chambres devaient être composées d'autant de protestants que de catholiques pour juger les différends qui pourraient s'élever entre citoyens de religion différente. Le roi leur accordait en outre, comme villes de sûreté, huit places fortes en dehors de la Rochelle, Nîmes et Montauban, qu'ils conservaient. Enfin Coligny, Montgomery, Montbrun, la Mole, Coconas et tous ceux qui avaient péri par le fait des guerres civiles étaient réhabilités, les arrêts qui les avaient condamnés étaient annulés, et leurs enfants réintégrés dans leurs biens, honneurs et privilèges. Les confédérés avaient en outre obtenu que les états généraux seraient assemblés à Blois à la fin de l'année.

Cet édit, qui fut signé le 5 mai, souleva la colère et le mépris des catholiques, surtout des Guises et de leurs partisans, et acheva de ruiner Henri III dans l'estime de ses sujets, déjà scandalisés de la conduite indigne de ses mignons efféminés, dont il partageait les débauches.

Les confédérés, contents d'eux-mêmes, se firent leurs adieux. Tandis que le prince Jean Casimir se retirait à Langres, où il attendait les millions promis par Catherine, le duc d'Alençon, désormais duc d'Anjou, allait jouer au souverain dans ses apanages. Quant au prince de Condé, après avoir attendu vainement aussi les cinq cent mille livres promises, le gouvernement de la Picardie et les clefs de la ville de Péronne, il alla rejoindre le roi de Navarre en Guyenne.

Il faut se pénétrer des mémoires du temps, vivre par l'imagination à cette époque de troubles incessants et de foi ardente, qui n'admettait ni discussion ni défaillance, pour comprendre l'unanimité et l'impétuosité du sentiment réprobatif que souleva dans la France catholique la paix honteuse qui venait d'être signée. Dans cet immense soulèvement des consciences, tous les rangs, toutes les classes, toutes les intelligences et tous les cœurs se trouvèrent confondus. Un même souffle anima toutes les tunes, et devant le péril commun les différences de caste disparurent ; tous les hommes se trouvèrent égaux, parce que tous apportaient une égale part de dévouement, de sacrifice et d'enthousiasme à la défense d'une idée dont dépendait le salut de leurs âmes et l'unité de leurs croyances. C'est de ce mouvement général, irrésistible, auquel obéit aussi bien le paysan que le magistrat, le plus humble ouvrier que le plus grand seigneur, le modeste bourgeois que le prélat, que la LIGUE sortit tout armée, comme Minerve au front de Jupiter.

Le peuple, qui souffre, qui paye les impôts et qui verse son sang, et lent à se mouvoir et à prendre une décision ; mais une fois qu'il sort de son inertie et qu'il s'empare d'une idée, son impulsion est puissante comme lui-même, et l'idée se dégage nette et précise, brutale même de l'action à laquelle il se dévoue.

Jusqu'ici le peuple avait assisté, carne en apparence, aux efforts plus ou moins sincères, aux tentatives plus ou moins habiles, mis en œuvre par la cour, soit pour endiguer les progrès de la réforme, soit pour arriver à un accommodement, à une tolérance réciproque. Non seulement chaque effort avait été infructueux, non seulement toute tentative d'accommodement avait échoué, mais, de toutes ces luttes ouvertes et de tous ces compromis hypocrites, le parti protestant était sorti plus fort et plus insolent. Chose plus triste encore, des divisions, des haines et des guerres que ces luttes et ces compromis avaient fait naître, il était surgi un troisième parti qui achevait de semer la confusion et l'anarchie dans la nation.

Quand l'autorité légale donne l'exemple d'une impuissance aussi manifeste, le peuple se lève et prend le pouvoir dans ses mains robustes. Là est tout le secret de l'organisation et de la puissance de la Ligue.

Au concile de Trente, après la bataille de Dreux, le cardinal Charles de Lorraine, qui était un habile et puissant organisateur, jeta les bases de la Ligue. A son retour en France, il essaya de mettre son projet à exécution ; mais il échoua, l'heure n'était pas venue. Ce qu'il voulait tenter ne pouvait être l'œuvre d'un seul homme, si fécond que fût son génie. A son exemple, une foule de seigneurs, dans leurs provinces, s'unirent par une idée commune de défense religieuse ; mais ces ligues isolées se détruisirent d'elles-mêmes ou tombèrent à la moindre répression du pouvoir royal, qui n'avait pas perdu tout crédit et dont l'autorité était encore respectée.

En 1576, le chemin parcouru depuis 1563 était immense. Ces treize ans de guerres civiles, de massacres, de brigandages de toutes sortes, avaient ruiné le pays ; mais les hommes restaient debout, vigoureux et fiers, plus indomptables que jamais.

Lorsque Condé se présenta dans la Picardie pour prendre possession de son gouvernement, d'Humières, qui commandait cette province, refusa de lui céder la place de Péronne, malgré l'édit qui venait d'être signé, malgré l'ordre du roi et de la reine mère. C'est de cette province que partit l'étincelle, et l'explosion suivit comme une traînée de poudre.

Le gouverneur de la Picardie fit appel à tous les gentilshommes de sa province, dont il connaissait les sentiments religieux et l'attachement à sa personne, et leur fit signer une sorte de formulaire d'après lequel ils s'engagèrent par serment à persévérer jusqu'à la mort dans l'union formée pour la défense de la religion catholique, du roi et des prérogatives dont jouissait le royaume depuis Clovis. Tous ceux qui avaient adhéré à l'union se promettaient les uns aux autres assistance réciproque. Si quelques-uns, après avoir fait serment, viennent à y renoncer, ils seront traités comme rebelles et réfractaires a la volonté de Dieu, sans que ceux qui auront aidé à cette vengeance puissent être inquiétés. On élira au plus tôt un chef, à qui tous les confédérés seront obligés d'obéir, et ceux qui refuseront seront punis selon sa volonté. Nous ferons tous nos efforts pour procurer à la sainte union des partisans, des armes et tous les secours nécessaires, chacun selon nos forces[14].

Des gentilshommes l'union s'étendit aux magistrats, aux membres du clergé, à la bourgeoisie, aux ouvriers et aux paysans, qui tous signèrent le pacte et s'engagèrent, sous la foi du serment, à défendre par eux-mêmes ou collectivement la religion et leur patrie également menacées.

Paris se souleva à la parole ardente d'un avocat nommé David, qui fut depuis envoyé à nome pour obtenir de Grégoire XII son consentement à la formation de la Ligue ; un nommé la Bruyère, parfumeur, et son fils, conseiller au parlement, organisèrent des réunions soi-disant secrètes, auxquelles prirent part la bourgeoisie, la basoche et tout le populaire des halles et des faubourgs, animés contre le protestantisme d'une haine fanatique.

L'élan une fois donné, toutes les autres provinces suivirent, et la Ligue se trouva organisée comme par enchantement ; tous les regards se portèrent alors sur le duc de Guise, qui n'eut plus d'autre peine que de centraliser ces forces sous son commandement pour leur donner l'unité d'action dont elles avaient besoin.

Nous n'avons plus à rappeler quels étaient les titres du Balafré à cette popularité, sans exemple dans nos annales, et qui allait le rendre plus puissant que le roi. Cette popularité, il la devait, en naissant, aux souvenirs que son grand-père, Claude de Lorraine, premier duc de Guise, avait laissés en combattant comme un héros et comme un grand capitaine toutes les fois que sa patrie d'adoption avait été envahie ; seul de tous les généraux de François Ier, il avait fait reculer les armées victorieuses de Charles-Quint et d'Henri VIII. Il la devait surtout aux immenses services rendus par son père, le plus grand homme de guerre que la France ait possédé au XVIe siècle, au héros de Metz, de Renty, de Calais, de Thionville et de Dreux, au politique habile autant que loyal et généreux. Mais voici que, par une grâce toute particulière de la Providence, le descendant de ces deux illustres guerriers, de cette race de fiers catholiques, semblait avoir hérité de toutes les qualités remarquables qui distinguaient ses ancêtres. La défense de Poitiers contre l'amiral de Coligny, la victoire de Dornans, remportée sur les reîtres, étaient mises au même rang que les plus hauts faits d'armes accomplis par son père et même par les grands capitaines de l'antiquité. Comme tous ceux de sa race enfin, il faisait profession d'un catholicisme ardent, et l'on savait que son épée et jusqu'à la dernière goutte de son sang appartenaient à la défense de la religion.

C'est une erreur profonde de croire que certains hommes, si populaires qu'ils soient, si libéralement doués qu'ils aient été par Dieu et par la nature, aient la puissance de créer un parti politique ou religieux. Ces partis se forment sous la pression des événements, suivant le cours des idées communes, et les hommes que ces partis font surgir en les plaçant à leur tête en deviennent l'incarnation vivante, parce qu'ils en résument toutes les aspirations.

Les catholiques du XVIe siècle n'ont pas levé l'étendard de la foi sous l'impulsion des Guises ; ce sont les Guises qui ont pris dans leurs mains vaillantes l'étendard de la foi levé par les catholiques. On confond trop souvent les effets et les causes. La religion fut, la cause de la Ligue, mais les Guises n'en furent que les effets ; et la preuve, c'est que lorsqu'ils ont voulu faire servir la cause de la religion au bénéfice de leur cause personnelle, la puissance leur a échappé, et ils ont été vaincus. Leur histoire est celle de tous les ambitieux qui se laissent éblouir par l'autorité dont ils ont été investis comblés d'honneurs et de gloire tant qu'ils se consacrent loyalement à la défense d'une idée, ils tombent du faite de leur grandeur lorsqu'ils veulent se substituer à cette idée.

Ce sont ces considérations qui nous portent à croire que, malgré leur ambition, les Guises, et tout particulièrement le Balafré, n'acceptèrent, au début de la Ligue, le grand rôle qui leur était assigné que dans le but, hautement avoué et énergiquement poursuivi, de défendre la foi catholique contre les empiètements de la réforme, et non pour poser sur leur front la couronne des Valois.

Le successeur au trône de Clovis, de Philippe-Auguste et de saint Louis, s'avouant tacitement impuissant à défendre les croyances de ses ancêtres, le peuple, la noblesse, le clergé et la bourgeoisie offrirent à celui qui était le plus digne et le plus capable de les commander le soin glorieux de prendre cette défense. La mission était assez belle, la gloire à en retirer assez grande pour suffire à l'ambition la plus haute. L'avocat David, dont nous avons déjà parlé, ayant été envoyé à Rome pour obtenir du pape son consentement à la Ligue et étant mort avant son retour en France, ses papiers furent saisis par les protestants. Parmi ces papiers se trouvait un document d'une grande importance, mais sur l'authenticité duquel tous les doutes sont permis ; car rien n'est venu prouver jusqu'ici que cette pièce n'ait pas été fabriquée par ceux qui l'ont fait publier. Elle indique, il est vrai, très exactement tous les plans et tous les moyens d'action de la Ligue ; mais ces plans et ces moyens d'action, le but même à atteindre, étaient dès le premier jour tombés en quelque sorte dans le domaine public, à cause de l'immense quantité de citoyens qui étaient dépositaires de ces secrets. Ce qui nous le fait paraître douteux, ce n'est pas l'éloge pompeux qui y est fait du duc de Guise, c'est la manière maladroitement naïve de le présenter comme héritier légitime du trône de Charlemagne et comme successeur éventuel du roi Henri III. Un pareil document n'aurait pas été envoyé à Rome sans être porté à la connaissance du chef suprême de la Ligue, et le Balafré était trop habile pour avouer dès le début de l'entreprise, avant même de savoir à quoi elle aboutirait, qu'il convoitait le trône.

Ces réserves faites, nous reproduisons en partie le soi-disant Mémoire trouvé dans les papiers de l'avocat David, parce que cette pièce a acquis une valeur historique par l'importance que tous les auteurs qui ont donnée :

L'issue des victoires réduites à une paix honteuse au roy et préjudiciable à l'Église, y est-il dit, avoit finalement fait cognoistre que, bien que la race de Cappet eût succédé à l'administration temporelle au royaume de Charlemagne, elle n'avait point touttes fois succédé à la bénédiction apostolique affectée à la postérité dudict Charlemagne tant seulement, mais, au contraire, que comme ledict Cappet, usurpant la couronne, avait violé par oultre-cuydance la bénédiction de Charles et de ses successeurs, aussi il avoit acquis sur soy et sur les gens une malédiction perpétuelle.

Ici l'auteur du factum voyait les signes de cette malédiction dans les maux dont cette race, justement la plus forte et la plus prospère, avait été frappée. Les rejetons de cette race étaient des gens stupides, abestys et de néant, des hommes proscripts et rejettés de la sainte communion.

Par exemple, les descendants de Charlemagne, lisez les Guises, estoient, au contraire, verdoyans, aymant la vertu, pleins de vigueur en esprit et en corps pour entreprendre et exécuter choses haultes et louables. Les guerres avoient servy à les accroître en degrez, en honneur, en prééminence ; mais la paix les remettrait dans leur ancien héritage du royaulme, avec le gré, consentement et eslection de tout le peuple.

Pour y parvenir, des prédications devaient être faites dans toutes les villes afin de soulever le peuple et empêcher que le protestantisme ne fût établi.

Après cet exorde, où il n'était question que de renverser les Valois et de placer les Guises sur le tronc de Charlemagne, oubliant que si les Guises eussent descendu réellement du grand empereur, le trône eût appartenu à leur cousin le duc de Lorraine et que le pape ne pouvait pas se prêter à une spoliation, on arrivait enfin à la Ligue, à ses moyens et à son but.

Henri III (on ne parlait plus de le renverser) devait être prévenu qu'il n'eût pas à s'émouvoir des événements et de s'en remettre à Guise, lequel en toute hardiesse, estant autorisé de la commune et de Sa Majesté, pratiqueroit les ligues entre la noblesse et les habitants des villes.

Voici où l'écrit devient plus intéressant, parce que ce qui y est di est plus vraisemblable :

... Cependant le roy feroit proclamer les états (fosse faitte par les hérétiques, dans laquelle ils tomberoient). La reine mère devait y attirer son jeune fils le duc d'Anjou, le prince de Condé et le roi de Navarre, et, afin d'ôter à ces princes toute excuse de crainte, Guise devait s'abstenir d'y paraître. Lesdicts estatz renouvelleroient le serment d'obéissance et de fidellité qu'ils devoient au successeur de saint Pierre, protestant de vivre et mourir en la foy déclairée au concile de Trente.

Après cette profession de foi catholique, les états devaient demander l'abrogation du traité de mai dernier et l'application des édits lancés contre les hérétiques. Pour que ces mesures fussent, appliquées, le roi devait être supplié de confier la lieutenance générale du royaume au duc de Guise. Le duc d'Anjou devait rendre compte aux états de l'alliance qu'il avait contractée avec les hérétiques, crime de lèse-majesté divine et humaine, qu'il n'était pas au pouvoir du roi de lui remettre et pardonner.

Ce jour-là le duc de Guise devait se présenter devant la ville où se tiendraient les états avec toutes les forces dont il pouvait disposer, faire exécuter la sentence prononcée contre Monsieur, courir sus aux réformés, amis ou adhérents, entrer ensuite dans les provinces rebelles, et après cette belle et infaillible victoire, avec l'avis et la permission de Sa Sainteté, enfermeroit le roy et la reyne dans un monastère, comme Pépin, son anceistre, feist de Childéric, et par ce moyen, ayant recouvert et réuny l'héritage temporel de la couronne avecques la bénédiction apostolique qu'il possède pour tout le reste de la succession de Charles le Grand, il feroit que ledict siège servit pleinement recogneu des estats du royaulme sans restriction en abolissant l'erreur des privilèges et libertez de l'Église gallicane, ce qu'il se promettroit, et jureroit.

Que les secrets desseins du Balafré aient été tels plus tard, nous voulons le croire, bien que cela ne soit pas prouvé ; mais qu'en 1576 il ait osé souscrire à des projets si hasardeux, nous ne pouvons y ajouter foi, non à cause de son désintéressement, mais parce qu'il était trop habile, trop intelligent pour se démasquer ainsi tout à coup et sans raison.

Le Balafré, retiré en- ce moment de la cour, ne paraissait pas, en tout cas, s'occuper d'une manière bien active de la Ligue et de son organisation. Le 6 du mois d'août, il assistait, à Meudon, au mariage de son frère Charles, duc de Mayenne, avec Henriette de Savoie, fille unique d'Honorat de Savoie, marquis de Villards, maréchal et amiral de France, et veuve de Montpezat. Guise avait garanti à son cadet la possession du duché de Mayenne, et Henri Ill, en considération de ses bons et loyaux services, lui avait fait don d'une somme de cent mille livres une fois donnée, et qui devait être reversée à son fils aîné. Dans les Mémoires de l'Estoile, il est dit : Ce seigneur fut attrait par cent, mille livres comptant et trente mille livres de rentes au premier-né de ce mariage ; bruit fut que ce duc avait presté les cent, mille livres au roy, et qu'il avait reçu assignation de trois cent mille sur le denier provenant de la vente des biens du clergé. Son beau-père demanda au roi et obtint pour son gendre la faveur de déverser sur lui sa charge d'amiral, ce qui obligea Mayenne à se dessaisir du gouvernement de Bourgogne.

Un mois après avaient lieu à Joinville, en présence de toute la famille des Guises, parents et alliés, les noces du duc d'Aumale et de Marie d'Elbeuf, sa cousine, et du duc de Luxembourg, frère du feu duc de Brienne, avec Diane de Lorraine, sœur du duc d'Aumale.

En cette année 1570, Guise reçut à Joinville la visite de son rival en gloire et en renommée, le célèbre don Juan d'Autriche, le vainqueur de Lépante. Don Juan, bâtard de Charles-Quint, naquit à Ratisbonne en 1545. Élevé secrètement par don Luis de Quesada et destiné à entrer dans les ordres, malgré son penchant pour l'état militaire, il ne connut sa naissance qu'à l'âge de seize ans ; ce secret lui fut révélé par son frère Philippe II, qui se prit pour lui d'une vive affection, et, après lui avoir fait compléter son éducation, lui confia le commandement de l'armée contre les Maures. Don Juan fit des prodiges de valeur, et battit les ennemis séculaires de l'Espagne en 1569-70. Un an plus tard, il eut l'honneur de commander les armées alliées du Saint-Siège de la république de Venise contre les Turcs, qu'il vainquit à Lépante. Avec la permission de Philippe II, il voulut se faire nommer roi de Tunis ; il s'empara de cette ville et de Bizerte, mais ne put s'y maintenir. Après Requesens, il fut envoyé dans les Flandres, où le duc d'Albe avait rendu la domination espagnole impossible ; mais malgré son habileté il ne put conserver ces provinces à Philippe II, et il mourut de la fièvre scarlatine au mois d'octobre 1578 huit mois après la victoire de Gembloux sur les Néerlandais.

Les deux jeunes princes (Juan avait trente et un ans, et le Balafré vingt-six), déjà célèbres, au lieu de se jalouser, allèrent franchement l'un au-devant de l'autre, comme deux natures destinées à se compléter et à se seconder mutuellement. Ambitieux,- hardis, braves et entreprenants, la gloire et la renommée qu'ils s'étaient acquises ne leur suffisaient pas. C'était une couronne qu'ils voulaient.

Le frère de Philippe II traversa Paris incognito[15], ne vit absolument que les ministres du roi très catholique, et partit pour Joinville, où Guise l'attendait. Sans se donner la peine de dissimuler ou de faire assaut de finesse et de ruse pour se forcer mutuellement à se découvrir, ils allèrent franchement au but. A vous la couronne d'Angleterre, dit Guise en tendant la main à don Juan. A vous la couronne de France, dit le vainqueur de Lépante au vainqueur de Dornans.

Le Balafré avait toujours nourri le projet de faire une descente en Angleterre, de délivrer sa cousine Marie Stuart, et de détrôner Élisabeth. Maintes négociations avaient été à ce sujet entamées par lui et par les cardinaux ses oncles avec la cour de Rome et avec les partisans des Stuarts en Écosse et à Londres même. Philippe II semblait aussi se prêter à cette combinaison ; mais jusqu'ici les moyens d'action avaient fait défaut.

Don Juan se faisait fort d'obtenir de Philippe Il la permission de lever une armée et d'équiper une flotte de débarquement ; avec le secours des catholiques de France et l'appui du Saint-Siège, il envahissait l'Angleterre, délivrait Marie Stuart, l'épousait, et se faisait proclamer roi du Royaume-Uni, où il rétablissait la religion catholique. Ensuite les deux cousins, alliés de Philippe II et du pape, portaient le dernier coup au calvinisme français, et, comme les Valois s'éteignaient sans laisser d'héritiers directs, le Balafré s'emparait de la couronne, que nul désormais n'oserait lui disputer, car il aurait pour lui toute l'union catholique et les suffrages du peuple[16].

Ces projets, hardis jusqu'à la témérité et même jusqu'au romanesque, répondent mieux au caractère de Guise que le plan obscur et tortueux de l'avocat David. Ces deux princes, si magnifiquement doués, nés tous deux sur les marches d'un trône, héros aimés de toute la chrétienté, épées vivantes mises au service de la foi, devaient avoir des ambitions d'autant plus effrénées qu'ils touchaient de plus près à ce pouvoir suprême qu'ils convoitaient, et dont ils étaient séparés toutefois par des obstacles infranchissables.

Si deux ans plus tard la fièvre n'était pas venue terrasser le vainqueur de Lépante, qui sait si la face de l'Europe n'eût pas été changée ? La divine providence en décida autrement pour la gloire des Bourbons.

Tandis que le Balafré et don Juan se berçaient de leurs rêves ambitieux, la Ligue catholique et la contre-ligue protestante s'organisaient activement dans tout le royaume, et en même temps les bailliages désignaient leurs députés pour se rendre aux états, qui devaient s'ouvrir à Blois le 6 décembre[17]. Les catholiques, ayant d'avance préparé leur terrain voyaient arriver la réunion des états généraux avec confiance ; mais les protestants, promoteurs de l'idée, s'étant endormis dans une fausse sécurité, comprirent à la fin que cette arme allait leur échapper. Instruits des projets de leurs adversaires et des résolutions qui allaient être votées, le prince de Condé, le roi de Navarre et d'Anville refusèrent de se rendre aux états, malgré l'invitation du roi, et se contentèrent d'y envoyer des délégués pour protester en leur nom contre toute décision contraire aux édits. du roi et au dernier traité de paix. Sur l'avis de Mirambeau, député de la Saintonge, les délégués refusèrent même de se présenter devant l'assemblée, à laquelle ils laissèrent simplement copie de leur protestation.

Henri III vint aux états accompagné de sa mère, du duc d'Anjou et au chancelier de Birague, el c'est à Blois qu'il reçut communication des documents trouvés dans les papiers de l'avocat David. Cette pièce lui fut envoyée par son ambassadeur auprès de Philippe II. D'abord le faible monarque n'avait pas voulu croire que l'organisation des catholiques fût aussi vaste et aussi complète ; quand il ouvrit les yeux à la vérité, il s'aperçut trop tard que son autorité était complètement annihilée par les forces contraires qui divisaient son royaume, et que sa politique de compromissions et d'équivoques l'avait rendu également suspect à tous les partis. S'il voulait sévir contre les organisateurs de la Ligue, il fallait qu'il fit alliance avec les réformés et les politiques contre les catholiques, tout-puissants par leur nombre, et soutenus par l'Espagne et par Rome. A ce jeu il courait risque de perdre la couronne. S'il feignait de ne se douter de rien, il achevait de perdre tout prestige, et était menacé de se trouver dans un isolement absolu.

Il prit donc le seul parti possible après tant de fautes irréparables ; il signa en tête de la liste des seigneurs, fit signer après lui son frère et tous les princes présents à Blois, se déclarant ainsi le chef du parti catholique à la place du duc de Guise. Il ordonna de plus que la liste fût présentée dans tout le royaume pour être signée de tous les catholiques[18].

En se substituant au Balafré, Henri III accordait aux projets du prince lorrain la seule chose qui leur manquât, la sanction royale. En fait et en droit, Guise était dès ce jour le chef suprême des catholiques et des royalistes. Il pouvait alors faire acte de condescendance, par exemple, en ne réclamant pas contre la préséance accordée à Montpensier à l'ouverture des états, et en refusant de donner son avis dans la question de paix ou de guerre, sous prétexte qu'il n'était qu'un soldat prêt à obéir au roi.

Le roi ouvrit lui-même les états, qui s'assemblèrent dans une des salles du château de Blois. Il avait à sa droite la reine mère, le cardinal de Bourbon et ses deux frères, François et Charles de Bourbon ; le duc de Montpensier et le prince Dauphin, son fils ; le duc de Mercœur, frère de la reine, le duc de Mayenne[19] et le duc 'd'Uzès. A sa gauche, la reine sa femme, et plus bas les évêques de Langres, de Laon et de Beauvais, pairs de France.

Le discours du roi fut net et précis, allant droit au but, et se termina par l'engagement solennel de faire observer inviolablement les règlements qui seraient faits par les états[20]. Celui-du-chancelier fut long, diffus, et rempli de sottes louanges à l'adresse de tout le monde.

Après la première séance, qui se passa en congratulations mutuelles, Henri III put se croire le maître dans les états ; mais son illusion ne fut pas de longue durée[21]. Le lendemain, en effet, les trois ordres, ayant le tiers en tête, présentèrent un décret d'après lequel on suppliait Sa Majesté de nommer un certain nombre de juges, auxquels on joindrait un député par province, pour juger toutes les propositions que feraient les trois ordres ; de leur permettre de récuser ceux des juges qui leur paraîtraient suspects, et de déclarer que tout ce qui serait décidé par ce nouveau tribunal s'observerait inviolablement dans la suite et serait regardé comme une loi du royaume[22].

Le 15 décembre, à la seconde séance, d'Espinac, archevêque de Lyon, au nom du clergé, le baron de Sansey, pour la noblesse, et Versoris pour le tiers, parlèrent en faveur de la reconnaissance, dans tout le royaume, d'une seule religion, la religion catholique, apostolique et romaine ; cet article lut accepte sans aucune restriction.

Le jour où les états devaient donner audience aux députés du roi de Navarre, de Condé et de d'Anville, arrivés la veille, l'assemblée décida, à la pluralité des voix, que, pour mettre à exécution l'article relatif à la religion, on prendrait les moyens les plus sûrs et les plus sages qu'il serait possible ; c'est-à- dire que tous les ministres protestants auraient ordre de sortir du royaume au bout, d'un certain terme qui leur serait marqué par Sa Majesté, et qu'on révoquerait, tous les édits contraires qui jusque-là avaient été donnés en leur faveur ; que cependant on suppliait Sa Majesté de prendre les protestants sous sa protection, en attendant qu'ils fussent rentrés dans le sein de la religion catholique, sans que cette grâce s'étendit, jusqu'aux ministres, qui en seraient déclarés exclus.

Le roi essayait maintenant d'éviter la guerre civile, sur le point d'éclater de nouveau. Dans cette intention, il fit accepter aux états que des députations seraient envoyées au roi de Navarre, à Condé et d'Anville, pour les engager par la douceur à se soumettre aux décisions qui venaient d'être prises.

Pierre de Villars, archevêque de Vienne, André de Bourbon de Rubempré et Mesnoyer, trésorier de France, eurent la mission de se rendre près du roi de Navarre ; l'évêque d'Autun et Pierre Rat, lieutenant de Poitiers, allèrent trouver Condé ; enfin l'évêque du Puy, René de Rochefort et de Tolé furent, envoyés près de d'Anville. Ces députés partirent de Blois le 6 janvier 1577.

Henri III, toujours indécis et, fluctuant, eut besoin, malgré les décisions des états généraux, de demander l'avis écrit des princes et des seigneurs de la cour sur les résolutions à prendre vis-à-vis des protestants. Les consultés furent la reine mère, le duc d'Anjou,— dont l'avis ne fut pas signé[23], — le cardinal de Bourbon, Montpensier, son fils le prince Dauphin, le cardinal de Guise, le duc de Guise (qui venait d'arriver à la cour avec une escorte de douze cents chevaux), le duc de Mayenne, le duc d'Uzès, le maréchal de Cossé, de Gontaut-Biron, Chavigny, Chabot de Brion, le chancelier de Birague, Jean de Morvilliers, secrétaire d'État, de l'Aubépine, évêque de Limoges, etc. etc. Tous donnèrent un avis conforme à la décision des états, ne différant que sur les mesures de rigueur ou de clémence dont il faudrait d'abord user. Ainsi Montpensier voulait que le roi se mit lui-même à la tête des forces de tout le royaume pour les conduire là où la désobéissance apparoitroit le plus ; le cardinal de Guise disait qu'il fallait courir sus immédiatement, afin que les adversaires étonnés fussent mis en déroute.

Le Balafré et Mayenne, soit, par calcul, soit en toute sincérité, parlèrent avec plus de modestie, et donnèrent au roi les conseils les plus sages et les plus modérés. Tous deux mirent en avant leur inexpérience et leur jeunesse ; puis Mayenne ajouta : qu'il supplioit le roi d'oublier les choses passées et de les embrasser (les protestants) comme leur frère commun, leur promettant et leur donnant toute sécurité... Et, au cas que quelques ungs eussent été si oublieux de leur debvoir que de prendre les armes pour troubler le repos public, le roy debvoit, ce luy sembloit, premièrement pourveoir à la seureté des places, mesmement aux provinces où il y avait plus de doupte, et cependant faire un bon fonds de deniers et de forces avecq toute promptitude et diligence pour prévenir les surprises.

Le Balafré se disait plus propre à exécuter les commandements du roi et à suivre son avis qu'à bailler le sien. Il estoit vray qu'il n'y voit celuy qui ne die que pour ne mettre en deffiance les subjectz de nouvelle religion, le roy leur debvoit bailler tous asseurances dont ils le rechercheroient et se pourraient adviser... Et, par ce, luy sembloit que Sa Majesté n'y clebvoit manquer d'un g tout seul point, pourveu toutefois qu'ils se continssent doulcement en leurs maisons el sans contrevenir aucunement à l'intention et volonté du roy, qu'il supplioit très humblement le vouloir dispenser du surplus et estre asseuré que, pour l'exécution de cc qui servit arresté, il n'espargneroit ni bien ni vye contre qui que ce fust[24].

La circonspection des princes lorrains témoignait de leur force, et la communauté de leurs sentiments avec tous les seigneurs, prélats et ministres que le roi venait de consulter, obligeait ce dernier à s'appuyer exclusivement sur eux pour combattre l'hérésie.

 

 

 



[1] Relation des ambassadeurs vénitiens, traduction par Tommasio.

[2] Papiers de Simancas. — Histoire de la maison de Guise, par Oudin.

[3] D'Aubigné.

[4] Mémoires de Marguerite de Valois.

[5] Le bruit ayant couru que d'Anville était mort, Catherine avait déjà donné l'ordre faire tuer le maréchal de Montmorency et Cossé, prisonniers à la Bastille. Ils ne furent sauvés que par le retard calculé que Gilles de Souvré apporta dans l'exécution de cet ordre.

[6] Thoré avait suivi Condé en Allemagne lorsque ce prince sortit de France.

[7] Mémoires de Saulx-Tavannes.

[8] Brantôme, de Thou, etc.

[9] Mémoires de Marguerite de Valois.

[10] D'Aubigné.

[11] Il est rapporté dans le Journal de Henri III que lorsque Henri de Bourbon eut traversé la Loire et se vit en sûreté, il s'écria : Je n'ay regret que pour deux choses que j'ay laissées à Paris : la messe et ma femme. Toutefois, pour la messe, j'essayeray de m'en passer ; mais pour ma femme, je ne puis, et la veux ravoir.

[12] Mémoires de Marguerite de Valois.

[13] Mayenne n'avait pas plus de six mille hommes, mal disciplinés, parce qu'ils n'étaient pas payés.

[14] Histoire des guerres civiles, par Davila. — Journal de l'Estoile.

[15] Il était déguisé en colporteur.

[16] Histoire de don Juan d'Autriche.— Vie du duc de Guise, par Peraud. — Les Ducs de Guise, par René de Bouillé.

[17] L'Estoile fixe la date du 13 décembre.

[18] Ce fut par l'intermédiaire de Mayenne que le roi se fit présenter la liste qu'il naît de signer aux états pour y faire accepter la Ligue, dont il se déclarait, le chef.

[19] Guise ne vint que quelques jours après.

[20] On croit que le discours royal fut écrit par Morvilliers.

[21] De Thou.

[22] De Thou.

[23] De Thou. — Le duc d'Alençon portait désormais le titre de duc d'Anjou.

[24] Manuscrit de Dupuy (Bibliothèque nationale).