HENRI DE GUISE LE BALAFRÉ

 

CHAPITRE IV.

 

 

Situation des deux armées à la fin de l'année 1568. — D'Aumale sur les bords de la Loire. — Guise rejoint le duc d'Anjou, et essaye de s'emparer de Jarnac. — Bataille de Jarnac (16 mars 1569). — Assassinat du prince de Condé. — Guise blâme cet acte. — Le prince de Condé. — Le duc d'Anjou ne sait pas profiter de sa victoire. — Intrigues de cour. — Coligny et son frère d'Andelot rallient les débris de l'armée protestante. — Jeanne d'Albret et Henri de Navarre à la Rochelle. — Ce prince est nommé généralissime de l'armée protestante, avec Coligny pour premier lieutenant. — Mort de d'Andelot. — Coligny ne se laisse pas abattre par la douleur, et va à la rencontre des Allemands, ses alliés. — Mort du duc de Deux-Ponts. — Jonction des alliés. Médaille commémorative de cet événement. — Le duc d'Anjou sort de son inaction. — Bataille de Roche-Abeille (14 juin 150), gagnée par les protestants, qui, après l'affaire, massacrent blessés et prisonniers. — Guise ne peut pas dégager Strozzi, qui est sauvé par l'amiral. — Le duc d'Anjou licencie une partie de son armée. — Coligny, après avoir tenté de négocier avec la cour, est condamné à mort par contumace. — Sa tête est mise à prix et ses biens sont confisqués. — Le vidame de Chartres et Montgomery sont traités de la même manière. — Guise et Mayenne se jettent dans Poitiers, dont Coligny veut faire le siège. — Brillante et héroïque défense de Poitiers (fin juillet, août et septembre 1569) par le duc de Guise. — Triomphe de Guise sur Coligny. — Mayenne. — Le duc d'Anjou devant Châtellerault. — Marches et contremarches des deux armées. — Bataille de Moncontour, gagnée par le duc d'Anjou sur Coligny (3 octobre). — Massacre des protestants. — Guise est blessé. Coligny ramène encore une fois les débris de son armée à la Rochelle, relève par son exemple le courage de ses amis et reconstitue une nouvelle armée. — Marche triomphale de Coligny vers le Centre. — Combat indécis d'Arnay-le-Duc, entre Coligny et Cossé de Gonor (23 juin 1570). — Rivalités dans le camp du duc d'Anjou. — Négociations et traité de Saint-Germain-en-Laye en faveur des protestants. — Mécontentement des catholiques. — Mariage de Coligny. — Guise à la cour. — Les amours de Guise et de Marguerite de Valois. — Le roi veut faire assassiner Guise. — Mariage du duc de Guise avec Catherine de Clèves. — Mariage de Catherine de Lorraine avec le duc de Montpensier. — Pourparlers entre l'Angleterre et la France pour le mariage du roi avec la reine Élisabeth. — Les Guises quittent la cour.

 

Vers la fin de l'année 1568, tout le royaume, divisé en deux camps, était en armes. Les capitaines de l'armée du roi n'avaient pu empêcher les confédérés de concentrer leurs troupes vers la Rochelle, dans la Saintonge, l'Aunis, l'Angoumois et le Poitou. Condé allait se trouver à la tête de vingt mille hommes d'infanterie, de dix mille cavaliers, et attendait de plus un corps de six mille reîtres et quarante enseignes de lansquenets, que devait lui amener le duc des Deux-Ponts. La reine d'Angleterre et les princes allemands pourvoyaient à la solde de ces troupes.

L'armée française, sous les ordres du jeune duc d'Anjou, se composait de six mille Suisses, de quatre mille lances françaises, de six mille arquebusiers, d'un bel équipage d'artillerie et de bon nombre de gastadours, troupes légères ou fourrageuses.

D'Aumale, avec deux à trois mille lances, deux mille arquebusiers, était posté sur les bords de la Loire pour empêcher le passage des reîtres du duc de Deux-Ponts et favoriser l'entrée en France de six mille autres reîtres que les catholiques attendaient de leur côté. Cossé opérait en Picardie pour rejoindre le duc d'Albe si besoin était ; et Montpensier, avec de la cavalerie seulement, était dans le Périgord, où il attaqua et défit, près de Menseignac, un corps protestant venu du Dauphiné, et commandé par Mouvons. Henri de Guise, premier lieutenant de Montpensier, se distingua dans cet engagement par une charge furieuse qu'il dirigea en personne contre les protestants, dont trois mille restèrent sur le champ de bataille.

Mais ce n'étaient là que légères escarmouches et combats obscurs ; le jeune Lorrain voulait s'illustrer sur un champ de bataille plus vaste. Le duc d'Anjou, pour ne pas laisser-à Condé le temps d'opérer sa jonction avec le duc de Deux-Ponts, avait quitté Paris précipitamment (mars 1569), et était venu à Châtellerault, où déjà l'attendaient Guise et Montpensier. L'armée royale, allant au-devant de l'armée protestante, avait passé la Vienne à Confolens, et la Charente à Châteauneuf, et, par un coup hardi, s'emparait de la petite ville de Jarnac. Coligny, qui était à l'avant-garde protestante, se présenta aussitôt devant cette place avec des forces relativement considérables. Guise, sachant son ennemi personnel à portée en quelque sorte de ses mains, sollicita du duc d'Anjou quelques régiments pour dégager Jarnac ; les secours qu'il réclamait lui ayant été refusés, il n'en tenta pas moins l'aventure avec sa compagnie d'hommes d'armes seulement. Après avoir fait des prodiges de valeur, il se vit contraint de battre en retraite, et Coligny reprit Jarnac, en accordant à la garnison, commandée par la Rivière, ses bagues sauves[1].

Mais, tandis que Guise occupait ainsi Coligny par une bravade plus que téméraire, le gros de l'armée royale passait, sans être inquiété, la Charente à Châteauneuf, et prenait ses positions de bataille devant Jarnac.

Deux jours après l'équipée de Guise, c'est-à-dire le 15 mars, Coligny partit de Jarnac avec huit cents chevaux et autant de mousquetaires, et vint se poster à Bassac, au milieu d'un chemin, entre Jarnac et le camp du duc d'Anjou. Le lendemain 16 mars, Guise et Brissac, revenant  à la charge contre Coligny, poussèrent jusqu'à Bassac ; mais leur infanterie fut repoussée et allait être mise en déroute, lorsque le prince, avec douze cents arquebusiers et un corps reîtres, put rallier les catholiques et leur faire exécuter une retraite en bon ordre. La bataille se livrait principalement sur l'aile droite, entré l'arrière-garde protestante, commandée par la Noué, et l'avant-garde royale. Condé, qui n'avait pu empêcher le duc d'Anjou de passer la Vienne, espérant éviter le combat, fit faire volte-face à ses troupes, pour dégager la Noue, qui n'avait plus seulement à lutter contre l'avant-garde, mais contre Guise, Brissac, de Martigues, de Malicorne.et Lavalette aveu une nombreuse cavalerie. Cependant les protestants tenaient ferme, et la cavalerie royale était repoussée sur presque tous les points. Ce fut alors que Condé, après avoir exhorté ses soldats dans une énergique harangue, entra en ligne, et vint charger, à la tête de ses escadrons, la cavalerie de Montpensier et du dauphin d'Auvergne, qui arrivaient aussi sur le champ de bataille. Le choc fut terrible ; mais, si impétueuse qu'eût été la charge de Condé, Montpensier et d'Auvergne la subirent sans fléchir, et par leur fermeté permirent au duc d'Anjou d'arriver à temps sur le lieu du combat. Alors Condé, écrasé par le nombre, fit en vain des prodiges de valeur. Le bras cassé d'une chute récente, blessé d'un coup de pied de cheval, démonté, ne pouvant se tenir debout, comme un sanglier acculé, il combat un genou à terre, la tête nue, l'épée seule à la main. Tant de bravoure-excite l'admiration des catholiques, qui font cercle autour de lui. A ce moment, le prince voyant Abas de Tison, seigneur d'Argence, et Saint-Jean devant lui, leur donne sa foy et son épée pour être leur prisonnier[2]. Mais au même instant Montesquiou, capitaine des gardes du duc d'Anjou, arriva sur le lieu du combat, et, avant que nul n'eût pu s'opposer à son lâche dessein, cassa la tête du prince d'un coup de pistolet, qu'il lui tira par derrière. De Thou dit que Montesquiou avait reçu des ordres secrets pour agir ainsi ; et Brantôme ajoute qu'il (le prince) avoit esté recommandé à plusieurs favoris de Monseigneur (le duc d'Anjou)[3].

Guise, qui nourrissait à l'égard de Coligny une haine implacable puisant sa source dans le sentiment filial dont il était animé, ne put cependant, assure-t-on, s'empêcher de présenter au duc d'Anjou de sévères observations sur l'assassinat commis par Montesquiou, et demanda que le coupable fût désavoué et puni. Le sang de Condé, ainsi répandu, retombait sur la personne du frère du roi et sur le roi lui-même.

Condé mérite d'être sévèrement jugé ; il passa toute sa vie dans les intrigues et dans les complots. Sa place parmi les conjurés donnait à la rébellion une sorte de légalité qui entraîna plus d'un gentilhomme à tirer l'épée contre le roi, et il est avéré qu'en se mettant à la tête des calvinistes il cherchait bien plus à satisfaire son ambition qu'à assurer le triomphe de la religion nouvelle. Coligny, était un puritain, un fanatique ; mais Condé, dont les mœurs étaient des plus légères, n'avait embrassé le protestantisme que pour sortir de l'obscurité relative où la cour le reléguait. Prince du sang, il ne pouvait admettre que les Guises eussent le pouvoir, et il se vengea de l'oubli dans lequel il était tenu en précipitant son pays dans les horreurs de la guerre civile.

Eh bien, malgré la lourde responsabilité qui pèse sur sa mémoire, on ne peut se défendre d'une secrète sympathie pour ce prince, que la nature avait si admirablement doué. Spirituel, éloquent, loyal dans ses amitiés, généreux et brave jusqu'à la témérité, ses adversaires eux-mêmes l'aimaient et l'estimaient[4].

Il fut rarement heureux sur le champ de bataille. Battu par Guise et prisonnier à la bataille de Dreux, il accepta l'offre généreuse du vainqueur de partager la même couche que lui. Sept ans plus tard, blessé et au moment de rendre son épée, il meurt assassiné, comme Saint-André à Dreux et Montmorency à Saint-Denis. La haine de parti étant soutenue et envenimée par les haines personnelles, la guerre, déjà assez désastreuse par elle-même, dégénérait en vastes assassinats, et les lois de l'honneur n'étaient plus observées. Triste et funeste époque !

L'Écossais Stuart, qui avait traité Montmorency à peu près de la même façon que Montesquiou venait de traiter Condé, prisonnier à son tour, était tué de la propre main du comte de Villars, qui crut ainsi venger le connétable, comme si un crime pouvait être vengé par un autre crime. Le brave la Noue allait subir le même sort ; c'était le rude Montpensier qui avait prononcé sa sentence de mort. Il fut sauvé par un ancien compagnon d'armes, Martigues, que tous appelaient le soldat sans peur. Mais combien d'autres furent sommairement exécutés dans un moment de fureur sanguinaire, et au mépris de toutes les lois de la guerre et de l'humanité !

Guise, pendant toute cette campagne et dans cette dernière affaire connue sous le nom de la bataille de Jarnac, avait, par sa brillante conduite, et son courage impétueux excité l'admiration de toute l'armée catholique, heureuse de voir en lui le chef intrépide appelé à remplacer bientôt le héros que la France et la religion avaient perdu devant Orléans. Le duc d'Anjou ne fut pas le dernier à lui adresser de vives félicitations. Le pape Pie V lui fit tenir une lettre pour lui annoncer qu'il n'avait pas voulu écrire au roi pour le féliciter du succès de ses armes sans lui faire en même temps compliment à lui-même du grand courage qu'il avait déployé dans cette rencontre et de son attachement à la cause catholique.

Les protestants venaient d'éprouver un échec des plus graves ; la perte de la bataille de Jarnac et la mort de Condé auraient pu entraîner la perte tout entière de leur armée si les catholiques avaient été commandés par un chef habile et résolu. Malheureusement le jeune duc d'Anjou se montra dans cette campagne ce qu'il devait toujours être, impétueux et hésitant. Après avoir bravement combattu à la tête de ses escadrons, il ne sut pas profiter de sa victoire, soit en poursuivant les fuyards, qui se retirèrent dans l'Angoumois, soit en allant de sa personne avec le gros de l'armée à la rencontre du duc de Deux-Ponts, que d'Aumale et Nemours étaient impuissants à arrêter dans sa marche à travers la France malgré leurs efforts combinés. Du reste, la reine et le cardinal Charles, tous deux en Lorraine à cette époque, intriguaient également pour neutraliser l'action de l'armée royale. Tandis que Catherine de Médicis contrariait tous les ordres qui n'avaient pas pour objet de mettre en évidence son fils préféré, le cardinal excitait la jalousie de Charles IX en lui parlant des lauriers que recueillait son jeune frère pendant que la politique de la reine le condamnait à une inaction indigne de son courage. L'astucieux cardinal insinuait que, pour la gloire du roi et le succès de ses armes, il vaudrait mieux que le commandement général fût confié à un capitaine éprouvé, tel que Nemours ou d'Aumale.

Ces hésitations et les contre-ordres qui en furent la conséquence permirent à Coligny et à d'Andelot de rallier l'armée à Cognac, où, à la nouvelle des désastres éprouvés par les siens et de la mort du prince de Condé, Jeanne d'Albret s'était rendue en toute hâte, amenant avec elle de la Rochelle son fils, le jeune Henri de Béarn, et Henri, le fils aîné du prince de Condé, âgé de dix-sept ans. Aux seigneurs, gentilshommes et capitaines réformés, la vaillante reine de Navarre tint un langage énergique, qu'elle termina ainsi : Je vous offre le jeune prince de Béarn, mon fils. Je vous confie Henri, fils du prince qui excite vos regrets. Fasse le Ciel qu'ils se montrent l'un et l'autre dignes héritiers de la valeur de leurs ancêtres, et que la vue de ces tendres gages vous excite sans cesse à rester unis pour le soutien de la cause que vous défendez. Henri de Béarn, animé d'une noble ardeur guerrière, s'avançant à son tour vers les conjurés, étendit la main, et s'écria : Je jure de défendre la religion, et de persévérer dans la cause commune jusqu'à ce que la mort ou la victoire nous ait rendu à tous la liberté que nous désirons.

Les conjurés couvrirent ces paroles d'applaudissements, et nommèrent par acclamation le jeune Henri de Béarn généralissime des armées protestantes, ayant Coligny pour premier lieutenant. L'amour-propre des seigneurs confédérés étant sauvegardé, tous se soumirent dès lors aux ordres de l'amiral, qui commandait au nom d'un prince du sang.

Coligny, après avoir fortifié Cognac, se replia sur Saintes, et ensuite sur Saint-Jean-d'Angély, où il était mieux à proximité pour marcher à la rencontre du duc de Deux- Ponts. C'est dans cette ville, au moment où il avait le plus besoin d'être intelligemment secondé, que l'amiral perdit son frère d'Andelot, souffrant depuis longtemps d'une fièvre. D'Andelot était brave, loyal, modeste et sincèrement attaché à la religion calviniste, qu'il avait embrassée fort jeune. Son nom n'est souillé d'aucune tache, et sa mort fut une des grandes douleurs qu'éprouva Coligny. Mais le chef protestant était trop énergiquement trempé pour que le chagrin pût l'abattre ; au lieu de perdre son temps à verser des larmes, il se transporta immédiatement à la rencontre des Allemands, qui, après s'être emparés de la Charité sans coup férir, et avoir traversé la Loire a Pouilly, s'avançaient tranquillement sur les bords de la Vienne. Mais le duc de Deux-Ponts, qui avait si heureusement conduit ses hommes à travers la France, mourut le 11 juin à Escars près de Limoges, laissant le commandement à Valrath de Mansfeld, son principal lieutenant, qui avait un frère dans l'armée catholique. Les deux armées pourtant opérèrent leur complète jonction à Saint-Yrieix, le vingt-troisième de juin, où, par le commandement du prince, les reîtres ayant fait la revue de leurs gens, ils firent monstre et receurent argent[5]. L'amiral fit don aux officiers allemands de plusieurs chaînes d'or, et il fut frappé, en souvenir de cet événement, une médaille qui portait d'un côté le portrait de la reine de Navarre[6] et de son fils, et de l'autre ces mots : Paix assurée, victoire entière ou mort honnête.

Cependant le duc d'Anjou sortit enfin de son inaction, et vint établir son camp en Limousin, dans une vaste plaine qui se termine en vallée, près de Saint-Yrieix. Les Italiens envoyés par le pape engagèrent le combat avec l'avant-garde de Coligny. Les protestants supérieurs en nombre, avaient le dessus, lorsque Strozzi, nommé depuis peu colonel de l'infanterie française, arriva sur le champ de bataille, et fit pencher un moment la victoire du côté des catholiques ; mais, étant soudain attaqué en flanc et à dos par la Rivière, Rouvray et Pouilli, il se vit entouré de toutes parts, et, après avoir fait bravement son devoir, fut obligé, étant blessé, de se rendre prisonnier. Dans ce combat, qui prit le nom de Roche-Abeille (14 juin 1569), les protestants ne firent pas de quartier ; blessés et prisonniers furent presque tous massacrés à coups de piques et de dagues, et Strozzi allait subir le même sort, lorsqu'il eut l'idée de dire qu'il avait une communication à faire à l'amiral, ce qui le sauva. Guise, qui était colonel de la cavalerie légère, prit part au combat de la Roche-Abeille ; mais, n'ayant pu amener que très peu d'hommes avec lui, il fut contraint de battre en retraite sans avoir pu délivrer Strozzi.

Les chaleurs étaient accablantes, et l'armée royale commençait a être décimée par les maladies. La reine, qui était venue voir son fils le duc d'Anjou dans son propre camp, en compagnie des cardinaux de Bourbon et de Lorraine, suggéra au jeune lieutenant général l'idée de renvoyer ses gentilshommes chez eux et de faire rentrer ses troupes dans des campements plus salubres. Cette-trêve forcée devait durer jusqu'au premier septembre.

Coligny crut que le moment était favorable pour entrer en négociation avec la cour ; à cet effet, il envoya un émissaire à François de Montmorency, qu'il chargeait d'être son intermédiaire auprès du roi. Mais Charles IX déclara qu'il n'avait pas à traiter avec un sujet rebelle, et qu'il exigeait avant tout que les princes et seigneurs confédérés déposassent les armes et rendissent les places dont ils s'étaient emparés. Les protestants n'ayant pas voulu souscrire à ces conditions, un arrêté du parlement de Paris condamna Coligny, le vidame de Chartres et Montgomery à la peine de mort et à la confiscation de leurs biens. Ces trois personnages furent exécutés en effigie. Coligny fut même déclaré hors la loi, et une somme de cent mille écus fut promise a celui qui le livrerait ou le tuerait.

Tandis que la plupart des gentilshommes retournaient dans leurs châteaux pour se reposer pendant quelques mois des fatigues de la dernière campagne, Guise, qui n'abandonnait jamais ses projets, suivait d'un œil attentif tous les mouvements de l'ennemi, afin de ne pas laisser échapper l'occasion de se trouver face à face avec Coligny.

Débarrassés de l'armée royale, les protestants avaient tout à leur aise ravagé le pays, qu'ils frappaient de fortes contributions de guerre, et le plan de l'amiral était d'envahir le bas Poitou et de s'emparer de Saumur, ville peu défendue et très heureusement située sur les bords de la Loire. Mais la noblesse protestante avait des intérêts personnels à s'emparer de Poitiers avant de quitter le pays. Coligny dut satisfaire les désirs de ses alliés. Avant toutefois de marcher contre Poitiers, qui promettait une résistance sérieuse, il s'empara de Châtellerault et de Lusignan, qui capitulèrent avant que Guise fût arrivé à temps pour les secourir.

Nous avons dit que le prince lorrain suivait tous les mouvements de l'amiral pour pénétrer ses desseins ; quand il vit que son ennemi se réparait à faire le siège de Poitiers, il réunit à la hâte quelques compagnies de gens de pied, douze à treize cents cavaliers, et, avec son jeune frère le marquis de Mayenne, parvint a se jeter dans la place avant l'arrivée des forces protestantes, qui s'élevaient à trente mille hommes environ, soutenus par une puissante artillerie (22 juillet)[7].

Il était temps que ce secours arrivât ; le comte du Lude, qui commandait dans le Poitou pour le roi, n'avait que quatre mille hommes de garnison, et la ville ne pouvait fournir qu'une milice de deux mille hommes. Henri, comme son père a Metz, inspecta les fortifications, passa en revue la garnison, et, lorsqu'il se fut rendu compte des moyens de défense que présentait la ville et des ressources dont il pouvait disposer, il se mit bravement à l'œuvre. Ceux qui ne pouvaient pas porter les armes furent employés aux travaux de terrassement et à la reconstruction des remparts. Bien que n'ayant pas voulu accepter le commandement de la place que lui offrait le comte du Lude, c'est lui que les assiégés considéraient comme leur véritable chef, et ce fut lui, en effet, qui donna, avec une vigilance et un sang-froid au-dessus de son âge, — il n'avait pas plus de dix-huit ans ! — tous les ordres nécessaires pour repousser les assaillants.

Les protestants étaient arrivés devant Poitiers le 24 juillet ; en deux jours le prince lorrain avait mis la place en état de défense, et forçait Coligny, qui comptait la surprendre, à disposer son armée pour un siège en règle. Le ter août, l'attaque commença par une vive canonnade, dirigée contre la tour du pont An Joubert. Les effets de l'artillerie ennemie furent sérieux, et, malgré les ressources de son imagination, Guise ne pouvait garantir la ville des boulets, dont quelques-uns traversaient la principale rue de Poitiers dans toute sa longueur.

Coligny changea ses batteries de place, et, vint battre les murs de la ville du côté d'une abbaye qu'arrose le Clain. Un pont fait de tonneaux solidement liés est jeté sur cette rivière ; c'est par là que doivent passer les troupes pour donner l'assaut. Le découragement est dans la ville, et conseil est donné à Guise de profiter de la nuit pour faire une sortie, au lieu de s'exposer inutilement à tomber prisonnier, lui et son père, entre les mains de l'amiral. C'était mal connaître ces jeunes héros que de leur faire une semblable proposition. Guise répondit noblement que sa résolution et celle de son frère étaient de redouter ni d'espargner rien pour que l'ennemi fust réduit à ne retirer que de la honte de ses tentatives. Au lieu de s'enfuir, ainsi qu'on le lui proposait, il fit dans la nuit détruire le pont de l'amiral. Mais voici que deux autres ponts plus solides sont de nouveau jetés sur le Clain, et que même une ou deux compagnies de reîtres parviennent à s'établir près d'une vieille tourelle où l'artillerie protestante avait fait une large brèche. Guise profite encore de la nuit pour faire jeter des pieux dans la rivière, et, à l'aide de balles de laine, forme une sorte de digue qui fait sortir le Clain de son lit, inonde le camp des assiégeants, noie ses canons, et isole les soldats qui ont eu la témérité de s'aventurer trop près des vieux remparts.

Ce n'étaient là malheureusement que dès expédients passagers, ne causant à l'ennemi que des dommages relatifs et bientôt réparés. Le roi avait fait parvenir à Guise, à l'aide de deux émissaires qui avaient pu pénétrer dans la ville assiégée, un avis par lequel il lui disait de tenir jusqu'à la fin du mois, ne pouvant pas le secourir avant cette époque. La canonnade cependant était moins vive, les assiégeants commençant à manquer de munitions ; mais, Coligny ayant fait brûler les moulins, les assiégés ne tardèrent pas à souffrir de la famine. Le 20, l'amiral fit exécuter un mouvement offensif à ses troupes ; Guise, qui était sur la brèche, accueillit les assiégeants par une décharge si vigoureuse d'artillerie et d'arquebusade, que les protestants reculèrent sans même avoir répondu.

La fin du mois d'août arrivait, et les assiégés attendaient en vain les secours promis ; les canons recommençaient à battre les faibles remparts de la ville et faisaient brèche de toute part. Il était visible que Coligny, humilié d'être si' longtemps tenu en échec par le courage et la prévoyance de deux jeunes gens, dont l'un n'avait pas dix-neuf ans et l'autre à peine quinze, se préparait à l'assaut décisif.

Enfin, le 3 septembre, Coligny, impatient, donna ordre à de Piles de conduire les réformés à l'assaut. Guise attendait l'attaque de pied ferme. A cheval à l'ouverture d'une brèche, ayant à ses côtés son frère et une partie de la noblesse, il était prêt à fondre sur l'ennemi au premier mouvement de recul, tandis que du Lude, à une autre brèche avec le reste de la cavalerie, devait exécuter le même mouvement. Les premiers soldats qui se présentèrent à portée de mousquet furent les Gascons, qui bravement allèrent droit aux brèches la tête baissée. Le jeune Guise, impassible comme un jour de parade, commande le feu, qui fut meurtrier, semant la mort dans les rangs huguenots. La fermeté des assiégés ; la contenance hardie et menaçante de leurs chefs, qu'on distinguait au premier rang l'épée au poing, intimidèrent les reîtres placés derrière les Gascons ; après un moment d'hésitation, ces mercenaires lâchèrent pied, et les calvinistes français, ne se sentant plus soutenus par leurs auxiliaires, furent obligés à leur tour de battre en retraite après avoir essuyé des pertes considérables. Pourtant les gentilshommes réformés parviennent à les rallier et à les ramener au combat avec une fureur plus grande que la première ; mais du rempart humain qui se dresse devant eux est lancée sur leurs têtes une effroyable quantité de projectiles de toutes sortes, qui encore une fois les obligent à reculer jusque dans leur camp. Les lansquenets, se croyant plus solides, au feu, veulent à leur tour tenter un effort ; mais ils viennent aussi se briser contre la bravoure inébranlable des catholiques, et leur déroute achève de semer le découragement dans l'armée de Coligny.

Après ces trois assauts, les assiégeants ne pouvaient plus espérer qu'il leur fût encore possible de s'emparer de force d'une ville qui se défendait si énergiquement. Du reste, si les officiers huguenots étaient toujours remplis d'ardeur, leurs troupes démoralisées, décimées par les maladies et par les balles, se refusaient de marcher.

Le lendemain, le feu cessa de part et d'autre, et il était manifeste que Coligny n'attendait qu'une occasion ou, pour mieux dire, ne cherchait qu'un prétexte, pour lever le siège d'une place ou sa réputation de vieux général avait pâli devant la réputation naissante d'un jeune homme qui se posait comme le chef futur du parti catholique et comme son ennemi personnel. Pendant quatre jours, assiégeants et assiégés restèrent en présence sans tirer un coup de fusil ; et puis, dans la journée du 7 septembre, le bruit du canon s'étant fait entendre du côté de Châtellerault, situé seulement à quatre lieues, Coligny ordonna la levée du camp. L'armée de Monseigneur, dit la Noue, fit beaucoup d'honneur aux huguenots quand elle vint assiéger Chastellerault ; car ce leur fut une légitime satisfaction de lever le siège, qu'aussi bien eussent-ils levé, parce qu'ils ne savoient plus de quel bois faire flèche[8].

La défense de Poitiers fut, comparée à la défense de Metz. Le nom du duc de Guise, un peu oublié, est de nouveau prononcé avec enthousiasme, et les catholiques songent avec orgueil que le vainqueur de Charles-Quint revit tout entier dans la personne de son fils. La Noue, tout protestant qu'il est, ne peut s'empêcher de dire : M. de Guyse et son frère acquirent grand renom d'avoir gardé une si mauvaise place, estant encore si jeunes comme ils estoient, et aucuns ne prisoient moins cest acte que celuy de Metz[9].

Pendant ces six semaines, Guise déploya les qualités d'un grand capitaine ; on l'avait vu jusque-là fougueux et irréfléchi, se jeter tête baissée clans toutes les aventures où il y avait des coups à donner et à recevoir, sans paraître se soucier des conséquences que peuvent avoir ces actes de bravoure inutile. A Poitiers, le calme et la réflexion président à tous ses desseins ; une sorte d'intuition supplée chez lui aux leçons de l'expérience. Tandis que sa mâle énergie soutient le courage des soldats et des habitants, les heureuses dispositions qu'il prend tous les jours et presque à toute heure pour réparer les dégâts faits par l'ennemi ou pour diriger une sortie qui doit repousser les assaillants et détruire leurs ouvrages, inspirent à tous la confiance et l'admiration. Jusqu'au dernier jour il resta sur la brèche, au premier rang. On le vit, pendant les trois assauts de la journée du 3 septembre, une pertuisane sanglante à la main, frapper d'estoc et de taille au milieu des soldats, que sa bravoure enflammait. Il fut, du reste, vaillamment soutenu dans cette lutte héroïque par le brave du Lude, qui s'effaça modestement devant le prince lorrain, et par son jeune frère le marquis de Mayenne.

Ce dernier, avec moins de fougue et de brio que Henri, avait dans toute sa personne quelque chose d'éminemment sympathique. Tout en lui respirait la bonté, la douceur et la loyauté. Brave et hardi comme tous ceux de sa race, d'une beauté sereine et calme, le futur chef de la Ligue n'était ni ambitieux ni vindicatif. Il avait le rire franc et joyeux des cœurs droits qui ignorent le mal.

En des temps moins difficiles, de quel puissant secours de tels hommes n'eussent pas été pour la monarchie et pour la France ! Quelle malédiction n'ont-ils pas mérité de s'attirer ceux qui semèrent dans leur patrie les ferments des discordes civiles, et, après avoir soulevé tant de haines et de vengeances, la réduisirent au triste état où nous l'avons vue pendant ces dernières années et où elle devait se trouver un peu plus tard !

Le roi appela Guise auprès de lui afin de lui adresser ses vives félicitations et ses remerciements pour sa belle conduite. Après l'avoir embrassé, il lui accorda comme récompense le titre de conseiller intime, ce qui lui permettait désormais d'être directement mêlé à toutes les affaires du royaume, et même de prendre une part active dans leur direction. Il ne parait pas toutefois que Guise, à cette époque de sa vie, ait souvent joui de cette faveur ; sa jeunesse et son tempérament le poussaient vers une existence plus active. C'est sur les champs de bataille qu'il devait faire de la politique.

Le duc d'Anjou vint donc fort à propos assiéger Châtellerault, où les protestants avaient fait évacuer leurs malades, et l'amiral, ainsi qu'en témoignent tous les récits du temps, fui heureux de saisir l'occasion d'abandonner le siège d'une place où toute son arillée eût péri. De son côté, le duc d'Anjou n'avait menacé Châtellerault que dans le but de forcer l'ennemi à faire diversion. Ce résultat une fois acquis, le prince ordonna qu'un assaut fût tenté ; mais, comme la ville était défendue par de solides remparts et une nombreuse garnison, les catholiques furent repoussés, après avoir éprouvé des pertes considérables. Dans le conseil du jeune lieutenant général, il fut un moment question de livrer bataille à Coligny ; mais la position des deux armées était tout à l'avantage des protestants. En cas de défaite, les catholiques, pris entre Châtellerault et l'armée victorieuse, auraient été infailliblement écrasés jusqu'au dernier.

Le 8 septembre, le duc d'Anjou ordonna la levée du siège ; l'armée royale repassa la Creuse au pont de Piles, et vint camper à la Celle, tandis que Sonzay, avec six compagnies de gens de pied et quelque cavalerie, entrait dans Poitiers, d'où sortaient le même jour le duc de Guise, la jeune noblesse qui l'avait suivi dans cette place, et les escadrons de cavalerie légère qu'il commandait.

L'amiral se mit à la poursuite du duc d'Anjou, espérant faire passer son armée, par l'endroit même où étaient passés les royaux. Mais Tavannes avait fait garder le pont de Piles par tr6is régiments, qui repoussèrent les huguenots quand ils se présentèrent. Coligny fit alors obliquer son armée sur la droite, et vint passer la Creuse entre le pont de Piles et la Haye en Touraine. Ce ne fut pendant quelques jours que marches et contremarches, pendant lesquelles eurent lieu plusieurs combats d'avant-garde et d'arrière-garde, mais consacrés surtout, de part et d'autre, à observer l'ennemi et à le forcer à livrer combat dans des conditions défavorables. Le duc d'Anjou, intelligemment conseillé cette fois par Tavannes, Cossé, d'Aumale et Montpensier, quitta brusquement Chinon, où Guise était venu le rejoindre avec la cavalerie légère et les Suisses, repassa la Vienne, et marcha droit sur Loudun et sur Moncontour (23 septembre). L'armée royale était forte de dix-sept mille chevaux et de dix- huit mille hommes de pied. Les avant-gardes ennemies se rencontrèrent à Saint-Clair, le 1er octobre[10], et cette escarmouche se fût changée en véritable bataille si la nuit n'était venue mettre fin au combat. Dans cette première affaire, Guise, Brissac et Martigues défirent complètement les huguenots français, et, malgré les reîtres et les lansquenets du comte de Mansfeld, ils les repoussèrent jusque dans Moncontour.

Lorsque le duc d'Anjou arriva, le champ de bataille était encore couvert de cadavres protestants, et il eut grand'peine à maintenir l'ardeur de ses troupes. Le lendemain, le prince fit gagner le passage de la Dive vers sa source à une partie de son armée, qui occupa aussi la plaine d'Assay, afin que l'ennemi ne pût faire retraite vers le bas Poitou. C'est dans cet ordre de bataille que le duc d'Anjou, après avoir fait reconnaître les positions prises par l'armée des princes, donna le signal de marcher en avant (3 octobre).

L'avant-garde était commandée par Montpensier, ayant avec lui cinq régiments français, les Italiens divisés en deux bataillons et séparés par neuf pièces d'artillerie, les Suisses commandés par Cléry, les chevau-légers commandés par Guise, et un escadron ou deux de cavalerie ayant à leur tête le brave Martigues.

Le gros de l'armée était commandé par le duc d'Anjou, ayant avec lui les ducs d'Aumale et de Longueville, le maréchal de Cossé, Villars, qui venait d'être fait amiral à la place de Coligny, Tavannes et une foule de seigneurs et capitaines.

L'amiral avait disposé son année dès le matin à une demi-lieue de Moncontour, entre la Dive et la Toise, deux rivières fort peu guéables, se réservant le commandement de l'aile gauche, ayant avec lui d'Acier, Mouy, la Noue et Telligny ; Mansfeld avec ses Allemands formait son arrière-garde. L'aile droite était sous les ordres du comte Ludovic, ayant avec lui ses deux frères, d'Orange et Henri, et les colonels allemands.

L'affaire commença par une vive canonnade, et puis Montpensier fit attaquer ses enfants perdus[11], que soutenaient Guise et Martigues. Mouy et la Noue plient sous le choc, et leurs troupes se débandent. Coligny, voyant les siens en déroute, fait avancer trois régiments français pour les soutenir, et leur donne ordre de ne viser qu'aux chevaux des six cornettes qui tiennent Jean d'Acier en échec. Le duc d'Anjou se jette alors dans la mêlée générale des deux avant-gardes ; son cheval est tué sous lui ; il va périr ou être fait prisonnier, sans d'Aumale ; celui-ci arrive à son secours et refoule impétueusement l'ennemi, dont l'artillerie tire encore à cent pas dans le gros de l'armée royale. Mais l'attaque devient alors si furieuse dans cette bataille, où tout n'ayt combattu s'il l'a voulu, depuis le plus petit jusques au plus grand, qu'en une demi-heure toute l'armée huguenote est mise à vau de route, s'estant messieurs les princes, encore jeunes, retirés quelque peu auparavant[12].

L'infanterie protestante fut toute taillée en pièces, l'artillerie et les cornettes prises, et le reste en complète déroute, à l'exception d'un millier de chevaux commandés par Ludovic, qui firent une assez bonne retraite. Dans cette affaire, Coligny eut la mâchoire fracassée, et Guise fut atteint d'un coup d'arquebuse au pied.

Jamais peut-être on n'avait vu un combat livré avec une telle fureur ; les catholiques s'excitaient mutuellement en criant : Roche-Abeille ! Roche-Abeille ! ce qui signifiait, hélas ! Pas de quartier ! Car, pendant la bataille de Roche-Abeille, les protestants ayant fait acte de cruauté sauvage, les catholiques voulaient user de représailles, et venger aussi leurs coreligionnaires commandés par Sainte-Colombe, que les protestants venaient de massacrer en Béarn. La Noue, prisonnier, eût été tué sans l'intervention du duc d'Anjou.

Il resta sur le champ de bataille cinq à six mille réformés ; trois mille environ qui, enveloppés de toutes parts, furent obligés de mettre bas les armes devant le duc d'Anjou[13], et cinq à six cents reîtres qui passèrent dans les rangs de l'armée catholique.

Moncontour ne fut pas une défaite, ce fut un désastre pour les huguenots, et ils ne s'en seraient peut-être jamais relevés si le duc d'Anjou, continuant son œuvre, se fût mis résolument à la poursuite de Coligny, et l'eût traqué dans la Rochelle sans lui laisser le temps de relever le moral de son parti et de reconstituer une armée. Mais le duc crut plus sage de s'emparer de Niort et de faire ensuite le siège de Saint-Jean-d'Angély, sans vouloir écouter les conseils de d'Aumale. Cette place, qu'il croyait emporter en huit jours, lui résista jusqu'au 2 décembre, malgré la présence du roi, qui était venu avec sa mère assister à ce vain succès.

Lorsque Coligny arriva à la Rochelle avec les débris de son armée, les gentilshommes qui avaient survécu au désastre ne parlaient que de faire leur soumission au roi, d'implorer sa clémence et de rentrer dans leurs domaines, ou de se sauver en Angleterre et en Hollande. L'amiral, dont l'énergie était inébranlable, combattit les résolutions de ses amis, ralluma leur courage et releva leur confiance, en leur disant qu'il y aurait lâcheté, de la part de ceux qui voudraient fuir, d'abandonner leurs familles à la merci de leurs ennemis ; que, du reste, il n'était pas dépourvu de ressources. Il leur rappela que l'alliance de l'Angleterre et des luthériens allemands leur était toujours acquise ; que l'Allemagne était pour eux une mine d'hommes inépuisable ; que Montgomery, victorieux en Béarn, allait arriver à leur secours. Ces paroles, venant d'un chef que ses partisans considéraient comme la prudence et la sagesse même, produisirent une profonde impression ; nul ne parla plus de soumission ni de fuite, et en peu de temps, grâce aux secours d'hommes et d'argent qui lui arrivèrent de toutes parts, grâce aussi à la jalousie et à la mauvaise humeur de d'Anville, qui laissa dans le haut Languedoc libre passage à Montgomery, Coligny se vit de nouveau à la tête d'une belle armée.

Tandis que la cour donnait le spectacle de toutes les intrigues soulevées et entretenues par tant d'ambitions déçues, et que l'armée royale s'épuisait devant Saint-Jean-d'Angély, Coligny faisait armer en corsaires les navires des armateurs rachetais, et la part des prises qui lui revint remit ses finances dans un état de prospérité qu'elles n'avaient peut-être jamais connu. Profitant de l'inaction de ses ennemis, partit alors de la Rochelle, après avoir pourvu à la défense des places qui pouvaient lui servir de points d'appui, traversa sans être inquiété l'Angoumois et le Périgord, rejoignit en Béarn les troupes auxiliaires nouvellement levées revint ensuite dans la Gascogne, le Languedoc, le Vivarais, ravageant et pillant sans merci toutes les contrées qu'il traversait dans cette course presque furieuse, jusqu'à ce par la souffrance que lui causait une maladie très grave, il tomba, harassé, sans force, laissant son armée dans la consternation. Coligny était l'âme et le bras de la ligue protestante ; lui mort ou incapable de commander, les chefs et les princes réformés se sentaient tous impuissants de continuer la lutte. Aussi parlaient-ils encore une fois de faire leur soumission, de licencier l'armée ou de fuir à l'aventure. Heureusement pour eux l'amiral se releva et put reprendre le commandement.

Du Vivarais, Coligny pénétra dans la Bourgogne, avec l'intention ou de menacer Paris ; ou d'aller à la rencontre du prince d'Orange et de ses gueux, qui devaient pénétrer par la Flandre.

Cossé de Gonor, voyant ce mouvement, quitta Orléans, passa la Loire à Decise, et se présenta devant Coligny à Arnay-le-Duc, ayant ordre de livrer bataille quand même afin de couvrir Paris.

L'armée de Cossé était forte de seize mille hommes et bien pourvue d'artillerie ; mais les protestants avaient l'avantage de la position.

L'action s'engagea (juin 1570), avec vigueur de part et d'autre, et, après une lutte assez acharnée, le deux armées se séparèrent sans résultat décisif. L'avantage toutefois resta aux protestants, puisqu'ils forcèrent le passage ; mais ils durent battre en retraite devant Cossé, qui ne put les rejoindre, embarrassé qu'il était par son artillerie.

Coligny n'alla pas jusque devant Paris ; mais il se rendit maitre de cette grande étendue de pays située entre la Loire, l'Yonne et l'Île-de-France, et s'avança jusqu'à Montargis.

Cossé de Gonor, qui avait lancé à la poursuite des fuyards cinq cents chevaux sous les ordres de la Valette pour charger leur arrière-garde, prit la route de Sens avec le gros de son armée, dans le but de garantir Paris contre un coup de main de Coligny.

Après Moncontour, la reine, fidèle à ses habitudes, avait tenté auprès de Jeanne d'Albret de négocier une nouvelle paix ; mais les conditions imposées par la cour ayant paru. trop dures aux Calvinistes, la reine de Navarre les rejeta en des termes violents, qui excitèrent vivement la colère du cardinal de Lorraine et- même. du. roi,. Mais depuis les événements avaient changé de face ; Coligny avait repris l'offensive. Le roi était jaloux du rôle que jouait à l'armée son frère cadet ; les Montmorency, en disgrâce apparente, inclinaient pour la pacification, lorsque dans les provinces qu'ils commandaient ils ne soutenaient pas les protestants ; Tavannes, d'Aumale, Nemours et Montpensier se disputaient l'honneur du commandement des armées, et leurs jalousies allaient encore excitées par la reine, qui favorisait, tantôt les uns, tantôt les autres ; Guise, souffrant encore de sa blessure, était loin de la cour, et le cardinal, son oncle, voyant qu'il n'y avait pour les siens ni profit ni gloire à retirer momentanément, semblait se désintéresser de la question. Enfin le trésor royal était épuisé ; le pape et le roi d'Espagne, croyant qu'après Moncontour les hérétiques étaient anéantis, avaient, rappelé leurs troupes, et les gentilshommes volontaires étaient dans d'une si longue campagne. Du côté des protestants mêmes symptômes : l'armée des princes n'avait plus ni chaussures ni vêtements ; leurs ressources financières étaient dans le même état que celles du roi ; les provinces qu'ils occupaient depuis longtemps ne pouvaient plus nourrir tant de troupes, et les mercenaires allemands, qui voulaient quand même être payés, menaçaient tous les jours de reprendre la route de leur pays. Dans une telle situation, malgré le pape et Philippe II, les négociations avaient chance d'aboutir. En effet, Castelnau et envoyé près des princes, qui de leur côté dépêchèrent des ambassadeurs à la cour, où ils furent reçus très affectueusement par le roi, alors à Saint-Germain-en-Laye. C'est dans cette résidence royale que la paix fut signée, le 2 août 1570.

Cette paix fut plus avantageuse aux protestants que toutes celles qu'ils avaient pu obtenir jusque-là Elle leur accordait amnistie générale et grâce entière, droit à toutes les charges de l'État, restitution des biens confisqués, libre exercice de leur religion dans les faubourgs de deux villes par province, excepté à Paris et à la cour, et enfin quatre villes, dites de sûreté, où gouverneurs et garnisons étaient à leur choix pendant deux ans ; après ce délai, les princes devaient remettre ces places sous l'autorité du roi. Les quatre villes choisies par les protestants furent la Rochelle, Montauban, Cognac et la Charité.

Après la signature de cette paix, la reine de Navarre, les jeunes princes et un grand nombre de seigneurs confédérés se retirèrent à la Rochelle, qui devint ainsi la capitale de la France protestante, pouvant traiter avec le roi de puissance à puissance.

Les catholiques firent entendre de sourds murmures, en apprenant qu'après tant de batailles gagnées et tant de sang répandu par eux les protestants liraient de si grands bénéfices d'une campagne qui avait duré deux ans, et dans laquelle ils avaient presque toujours eu le dessus. Montluc surtout laisse éclater dans ses Mémoires une violente indignation.

Quant aux protestants, ils étaient peut-être plus surpris que les catholiques de tous les avantages qui leur étaient faits, et surtout de la facilité avec laquelle on les leur avait accordés. Ils se demandaient, non sans effroi, si tant de largesse ne cachait pas quelque piège ténébreux, et, malgré les garanties matérielles qu'ils avaient, ils restaient sur le qui-vive, en proie au doute et à la méfiance.

Les terribles événements qui étaient sur le point de s'accomplir ne devaient pas tarder à leur donner raison.

La paix signée, les fêtes reprirent à la cour à l'occasion de plusieurs mariages qui, depuis longtemps projetés allaient enfin s'accomplir.

Le cœur reste toujours jeune, et l'austère Coligny, malgré sa gravité et malgré son âge, — il avait soixante-trois ans alors, — s'étant très sérieusement épris de Jacqueline de Montbel, très riche veuve, qui de son côté, dit-on, l'aimait passionnément, fut le premier à s'engager dans les doux liens de l'hyménée, comme dit un poète de l'époque.

Anquetil dit que ce mariage se traita comme une affaire de roman. Nous croyons plutôt, qu'il se traita comme une affaire grave et sérieuse, tout à fait en rapport avec le caractère de l'époux. Coligny, qui se décida enfin à sortir de la Rochelle, fut reçu à la cour avec les marques d'une vive admiration et même d'une grande amitié. Le roi lui fit un accueil aussi flatteur que cordial ; le duc d'Anjou lui marqua une grande déférence ; et le jeune duc d'Alençon ne savait, dans l'impétuosité naturelle à son âge, comment lui exprimer ses sentiments affectueux. Faut-il voir dans ces vives démonstrations le masque de l'hypocrisie, qui dissimule ses projets pour frapper avec plus de sûreté sa victime sans défense ? Nous voudrions en douter ; mais la comédie fut jouée jusqu'au bout avec trop de duplicité par Charles IX et par sa mère pour qu'il soit possible de n'être pas persuadé que, depuis les préliminaires du traité de Saint-Germain jusqu'au 22 août 1572, les acteurs avaient mûrement préparé leurs rôles.

Après le mariage de Coligny, celui du duc de Guise fut alors une véritable aventure de roman.

Il est des hommes qui semblent ne vivre que pour une idée, et dont le cœur reste insensible à tous les sentiments et à toutes les passions qui généralement exercent une si grande influence sur les destinées des autres hommes. Ceux-là sont peut-être plus à plaindre qu'à admirer. Nés pour la lutte et pour le commandement, ils recueillent toutes les satisfactions de l'amour-propre ou de la vengeance satisfaite ; ils peuvent même contempler avec un juste orgueil le bien qu'ils ont pu faire à leur pays en assurant le triomphe de la cause qu'ils ont embrassée ; mais il est des joies intimes et profondes, graves et sereines, parce qu'elles viennent de Dieu, qu'ils sont condamnés à ne jamais connaître. Henri de Guise était de ceux-là Le sang qui était sorti de la blessure de son père était retombé sur son cœur, et, s'il ne l'avait pas pétrifiée il l'avait rendu comme inaccessible aux entraînements et aux passions du vulgaire. Venger son père, combattre et mourir pour assurer le triomphe de la Cause catholique, tel était le double but dont rien ne pouvait le distraire, et auquel il était prêt à tout sacrifier.

A cette époque, le duc de Guise avait vingt ans.

Doué de toutes les séductions, entouré d'un prestige éclatant, il avait le droit de prétendre à une riche et noble alliance. Sa grand'mère, Antoinette de Bourbon, venait de recueillir auprès d'elle, exprès pour lui, Catherine de Clèves, fille du duc de Nemours, veuve du prince de Porcien, nouvellement convertie au catholicisme. Sa naissance, sa fortune et sa beauté faisaient de cette jeune veuve un des plus beau partis de France. Mais, tandis que ce mariage était arrêté, le duc d'Anjou feignait de prendre le duc de Guise en si grande affection, qu'il le conduisait tous les jours dans les appartements de sa sœur, Marguerite de Valois, et là lui prodiguant toutes sortes de louanges et d'embrassant, lui disait : Plust à Dieu que tu fusses mon frère[14].

Marguerite, dans ses Mémoires, dit que Guise feignoit de ne point entendre, mais qu'elle, sachant la malice de son frère, perdoit patience de n'oser lui reprocher sa dissimulation. Toutefois la princesse. n'avoue pas la secrète affection qu'elle portait à son ambitieux cousin !

Les amours de Marguerite de Valois et d'Henri de Guise, — ou tout au moins leurs penchants mutuels, — firent grand bruit à la cour, où l'on crut que leur mariage allait bientôt être célébré. Cette nouvelle jeta les protestants dans la consternation, et fit perdre toute mesure au cardinal de Lorraine, qui, voyant déjà son neveu sur les marches du trône, s'écriait avec orgueil à qui voulait l'entendre : L'aîné a eu l'aînée ; le cadet aura la cadette[15].

A quel sentiment avait obéi le duc d'Anjou en se faisant en quelque sorte le protecteur des amours de Guise et de Marguerite ? Cherchait-il, ainsi que le croyait la future reine de Navarre, à tendre un piège à un rival dont il jalousait la gloire et redoutait l'ambition ? Cela est plus que probable ; car, aussitôt qu'il fut question de ce mariage, Henri d'Anjou laissa éclater une véhémente indignation disant que jamais il ne consentirait à accepter Guise pour beau-frère. Passant brusquement d'une tendresse trop grande, dit-on, à une haine trop aveugle, il accabla sa sœur sous le poids de sa colère, et, par l'intermédiaire de son âme damnée, du Guast, fil faire au roi des rapports outrageants sur le compte de Marguerite et d'Henri.

Le grand défaut de Charles IX, — défaut d'éducation sans doute, — était de s'abandonner trop facilement aux emportements de son caractère. Depuis longtemps il sentait gronder en lui une colère sourde qui devait éclater au moindre prétexte. La façon dont la dernière guerre avait été conduite, le traité qu'il venait d'être obligé de signer, la domination de sa mère, la jalousie dont il était animé contre son frère, l'ambition des Guises, en étaient les causes. Lorsque du Guast lui fit ce rapport envenimé, la fureur du roi éclata comme un torrent dont les digues se sont rompues tout à coup, et sa bile se répandit en flots d'injures grossières contre sa sœur et contre Guise. Excité et non calmé par ce débordement d'imprécations, il appela son frère le duc Henri d'Angoulême, bâtard d'Henri II, et, s'armant de deux couteaux de chasse, il lui en remit un en lui disant : Si demain tu ne tues pas Henri de Guise avec celui-là tu seras percé avec celui-ci.

Le lendemain était jour de grande chasse, exercice auquel excellait Charles IX ; Guise devait en faire partie. Il fut convenu que le grand prieur d'Angoulême chercherait querelle au prince lorrain, et que pendant la dispute il lui donnerait le premier coup. Les familiers du duc d'Anjou, prenant fait et cause pour le bâtard d'Henri II, devaient achever d'accomplir ce lâche attentat si la blessure n'était pas mortelle.

Le duc d'Angoulême eut peur de la responsabilité qu'il encourait et des haines qu'il allait s'attirer ; Marguerite, instruite du projet, se mit à trembler pour des jours qui lui étaient chers. Animés de sentiments divers, le bâtard et la princesse eurent la pensée bien naturelle de faire prévenir secrètement Guise du péril qui l'attendait, l'exhortant à ne pas le braver par vaine fanfaronnade. Guise ne croyait guère à cette menace ; mais sa prudence ordinaire lui fit écouter le conseil qu'on lui donnait, et, après s'être fait excuser auprès du roi, il s'abstint d'aller à cette partie de chasse.

Après la chasse du roi, il devait y avoir bal à la cour. Au milieu de la fête, qui était splendide, les amours de Guise et de Marguerite, la colère du roi et l'acte qu'aurait dû accomplir le duc d'Angoulême, faisaient l'objet des conversations qui se tenaient tout bas. Le roi était sombre, et, Guise n'ayant pas paru à la chasse, nul ne s'attendait à le voir, lorsqu'il fit soudain son entrée dans le bal, calme, souriant, tout vêtu de noir et ruisselant de pierreries.

Sans paraître se douter de rien, Guise le sourire aux lèvres, vint saluer respectueusement Charles IX qui à sa vue fronça le sourcils.

Que venez-vous faire ici, Monsieur ? lui demanda le roi.

J'y viens pour votre service, Sire, répondit Guise, feignant de ne pas remarquer la colère de Charles IX.

Je n'ai que faire de vos services ; allez-vous-en, répliqua le monarque.

Guise s'inclina de nouveau, et s'éloigna sans laisser voir la moindre émotion à la foule des Courtisans qui s'ouvrait devant lui avec une sorte de terreur.

Quand il fut hors du logis du roi, le prince courut précipitamment à son hôtel, où l'attendait sa mère, la duchesse de Nemours, et dépêcha un serviteur auprès de sa grand'mère, Antoinette de Bourbon, en la suppliant de venir le rejoindre sans délai L'auguste veuve de Claude de Lorraine se rendit à la prière de son petit-fils, et, lorsque Henri eut dit aux deux princesses le récit de ce qui venait de se passer, tous trois décidèrent que, la colère du roi ne pouvant être désarmée par une simple protestation verbale ou écrite du duc de Guise de ne point prétendre à la main de Marguerite de Valois, il fallait que le jeune duc ne reparût à la cour que marié.

Catherine de Clèves depuis la mort du prince de Porcien, son époux, vivait, ainsi que nous l'avons dit, avec Antoinette de Bourbon, qui l'avait prise sous sa tutelle. La jeune veuve fut mandée immédiatement auprès de sa protectrice, qui lui expliqua en peu de mots l'étrange service qu'on attendait d'elle : il fallait qu'elle consentit à épouser immédiatement, presque sur l'heure, son volage et ambitieux prétendu. Le duc se jeta aux pieds de Catherine, lui jurant son amour, et la suppliant de lui sauver la vie. La jeune et belle veuve, dont le cœur plaidait en faveur de l'inconstant, et dont l'affection parlait plus haut que l'amour-propre froissé, ne fut pas longue à se laisser convaincre, et laissa tomber sa main dans la main d'Henri.

Le mariage fut célébré à Paris, à l'hôtel de Nemours (4 octobre 1770) ; le roi y assista, et fit don aux époux d'une somme de cent mille écus tournois, à chacun par moitié, pour les bons et recommandables services qui avoient été faicts à ceste couronne et à luy par les défuncts sieurs de Guise et de Nivernois, et pour la proximité du sang et lignage dont iceulx époux lui altouchoient.

Certes, en épousant la noble veuve du prince de Porcien, Guise ne commit point une mésalliance, et cette union, à tous les points de vue, était encore pour le prétendant de la sœur du roi un pis aller dont il avait lieu de se montrer fort satisfait.

Catherine était fille de François de Clèves, duc de Nevers, qui lui avait laissé par testament daté de Champ-de-Marne, 26 octobre 1561, les terres de Brionne et de Resonne ; à la mort de son frère, en vertu au même testament, il lui fut fait retour du duché et comté d'Eu (le comté d'Eu avait été érigé en duché-pairie par Charles VII) ; elle était en outre dame souveraine de Monterme, Breault, Lenchamp, près la Meuse, et de Château-Regnault, en Touraine.

La veuve du prince de Porcien était donc une des plus nobles et des plus riches héritières de France, et l'immense fortune qu'elle apporta à son mari, ainsi que les titres attachés à ses domaines, pouvaient le consoler du refus qu'il venait d'éprouver.

Quelques mois auparavant (janvier), un autre mariage non moins brillant avait été célébré la sœur de Guise, Catherine de Lorraine, épousait le vieux duc de Montpensier ; cette union avait été négociée par le cardinal de Guise, jaloux autant que son frère le cardinal Charles de resserrer les liens qui unissaient déjà sa famille à celle des Bourbons.

Enfin, c'est cette même année, toute aux projets matrimoniaux, que Charles IX épousa l'archiduchesse Élisabeth, fille de l'empereur Maximilien. Catherine de Médicis et Charles IX, effrayés de l'influence que Philippe II exerçait en France, avaient tourné les yeux du côté de l'Angleterre ; pour conclure une alliance avec cette nation Castelnau avait été plusieurs fois envoyé à Londres, afin de décider la reine Élisabeth à accorder sa main au roi. Mais Élisabeth aurait refusé l'offre qui lui était faite, prétendant que Charles IX était trop jeune pour elle ; — elle avait dix-sept ans de plus que lui ; — il est vrai qu'un peu plus tard elle était prête à accepter pour mari le duc d'Anjou, qui était encore plus jeune de deux ans. Élisabeth n'avait pas voulu de Charles IX parce qu'il était roi, et que la fille d'Henri VIII ne supportait aucune autorité à côté d'elle ; et le duc d'Anjou refusa la main de celte reine parce qu'il ne voulut pas avoir pour compagne une femme de mœurs si dissolues. Ne pouvant donc obtenir l'alliance d'Élisabeth, Catherine de Médicis rechercha celle de l'Empereur, et, avec le consentement du roi d'Espagne, le mariage d'Élisabeth et de Charles IX eut lieu à Spire, par procuration, et ensuite à Mézières, ou il fut consacré par le cardinal de Bourbon (29 novembre 1570).

Le roi avait vingt ans et cinq mois, et Élisabeth seize. La jeune reine eut pour gouvernante Madeleine de Savoie, veuve du connétable de Montmorency, femme d'une grande vertu.

De Mézières, où toute la cour s'était rendue pour aller a la rencontre de la reine, le roi alla à Chantilly pour faire visite aux Montmorency, ennemis des Guises presque autant que les Châtillon, afin de bien accentuer la disgrâce des princes lorrains.

Trop habile pour heurter inutilement de front la politique du roi et de la reine mère, politique qui en ce moment était ou paraissait être toute en faveur des protestants et des Montmorency, trop fier pour se résoudre à supporter sans mot dire les insolences et les bravades des nouveaux favoris, tandis que le marquis de Mayenne partait pour Venise, afin de faire campagne contre les Turcs[16], le duc de Guise, Aumale, les cardinaux Charles et Louis, ainsi que les princesses, se retiraient à Joinville, où ils goûtaient en paix les douceurs de la famille. Le 20 août 1571, ils célébraient, tous réunis, la naissance du premier enfant[17] du duc de Guise, qui reçut à cette occasion les félicitations de Philippe II.

 

 

 



[1] De Thou, liv. XLIV, XLV.

[2] Castelnau, chap. IV. — De Thou.

[3] De Thou. — Brantôme. — La Noue.

[4] Condé était né en 1530 ; il avait donc trente-neuf ans quand il mourut. Il fut le premier qu'on appela monsieur le prince. Il a laissé des Mémoires que nous avons dû souvent consulter dans le cours de cette histoire.

[5] Castelnau, chap. VI.

[6] Castelnau dit qu'elle ne portait que les noms de la reine de Navarre et de son fils.

[7] Et fust ajousté aussi que ce seroit une belle prise de M. de Guyse et son frère, qui estoient deux grands princes et les plus prompts à nous venir picquer. (La Noue, chap. XXV.)

[8] La Noue, chap. XXV.

[9] La Noue, chap. XXV.

[10] Castelnau, chap. IX.— René de Bouillé dit le 30 septembre.

[11] Castelnau, chap. IX.

[12] La Noue, chap. XXVI : Bataille de Moncontour.

[13] René de Bouillé.

[14] Mémoires de Marguerite de Valois, livre I.

[15] Le duc de Lorraine avait épousé, en effet, Madame Claude de France, fille aînée Henri II. Seulement le cardinal oubliait, ou ne voulait pas se rappeler que le duc Guise n'était pas souverain comme son cousin le chef de la maison de Lorraine.

[16] Pie V venait d'engager les princes chrétiens à prendre les armes contre le cruel Selim II. L'expédition réunit à Venise, sous les ordres du célèbre don Juan d'Autriche, plus tard le glorieux vainqueur de Lépante. Mayenne fut reçu avec les marques la plus haute distinction par tous les princes de la chrétienté et par le sénat, qui lui décerna le titre de noble vénitien.

[17] Charles, prince de Joinville, qui hérita du titre de duc de Guise.