HENRI DE GUISE LE BALAFRÉ

 

CHAPITRE III.

 

 

Quelques considérations sur la féodalité et sur les causes qui entraînèrent une partie de la noblesse française à embrasser le protestantisme. — François de Lorraine et Catherine de Médicis. — Caractère et mœurs de cette reine. — Sa politique immorale et dissolvante. — État de corruption où elle fait tomber ses enfants et toute la cour. — Les Guises, leur génie et leur popularité. — Henri de Lorraine, troisième duc de Guise, surnommé le Balafré. — Son enfance ; son éducation ; ses lettres à son père ; son caractère. — Jugement que Marguerite enfant portait sur lui. — Son portrait. — Ses premières armes en Hongrie (1565-66). Ambition de Condé. — Charles IX et les ambassadeurs luthériens allemands. — Réponse de Charles IX à Coligny. — Le duc d'Albe traverse la France pour gagner les Pays-Bas. — Les protestants commencent à s'inquiéter des mesures militaires de la cour. — Ils reçoivent des avis alarmants, et s'assemblent à Valery chez Condé et à Châtillon chez l'amiral. — La cour, qui est à Monceaux en Brie, ne veut pas ajouter foi au rapport de Castelnau. — Des courriers venus de toutes parts confirment ce qu'a dit. Castelnau touchant les armements que font les réformés pour s'emparer de la personne du roi. — Sur l'avis des princes lorrains, malgré le connétable et le chancelier, le roi se place au milieu de son armée et prend la route de Paris (29 septembre 1567). — Les réformés n'osent pas attaquer l'escorte royale. — D'Aumale, avec trois cents gentilshommes, sort de Paris et va au-devant du roi. — Fuite piteuse du cardinal Charles. — Condé à Saint-Denis. — Pourparlers entre les deux partis. — Le roi attend des secours des Espagnols et des Italiens, et Condé des Allemands. — Le duc de Guise va défendre Metz et Verdun, menacées par les reîtres. — Le connétable se décide enfin à attaquer Condé. — Dénombrement des deux armées et leurs positions. — Bataille de Saint-Denis (10 novembre 1567). — Le connétable est blessé. — Brillante conduite du duc de Guise et du duc d'Aumale. — Parallèle entre la bataille de Saint-Denis et celle de Dreux. — Le connétable de Montmorency. — Sa mort. — Le roi est forcé par sa mère de nommer son frère le duc d'Anjou lieutenant général. — Ce jeune prince, à la tète de l'armée royaliste, se met à la poursuite de Condé. — Belle retraite des protestants. — Comment les protestants payèrent leurs alliés, qu'ils parvinrent à rejoindre. — Catherine de Médicis négocie. — Entrevue de Châlons. — Traité de Longjumeau (23 mars 1568), autrement appelé paix boiteuse ou malassise. — Castelnau reconduit les reîtres à la frontière. — Aucun parti ne désarme. — Catholiques et huguenots font entendre es in mes plaintes et commettent les rhèmes excès. — Conseil occulte de la reine. Le chancelier Michel de l'Hôpital rend les sceaux. — Les princes et les seigneurs calvinistes préparent la troisième guerre de religion.

 

Depuis les fils et successeurs de Charlemagne jusqu'à Louis XI, les hauts barons, princes et seigneurs féodaux défendirent, les armes à la main, contre les rois de France, les provinces, terres, châteaux et seigneuries ou ils exerçaient des droits souverains. Blanche de Castille fut la première à faire sentir l'autorité royale aux grands vassaux de la couronne, et l'habile et implacable Louis XI ramena par la hache ces tout-puissants seigneurs à l'obéissance et à la fidélité. Richelieu acheva l'œuvre de la mère. de saint Louis et du seigneur de Plessis-lès-Tours.

La trahison du connétable de Bourbon fut le dernier acte de haute insubordination que notre histoire ait enregistré pendant les trois derniers siècles de la monarchie. Mais cette soumission des anciens seigneurs suzerains, jadis presque aussi puissants que les rois de France, ne s'était pas faite sans laisser dans les grandes familles seigneuriales des traces de profonds mécontentements.

Les guerres contre les Anglais qui ensanglantèrent la France depuis Charles VI jusqu'à Louis XII, les guerres du Milanais ; du Piémont et des Flandres, qui eurent lieu sous François ter et sous Henri II, servirent en quelque sorte de dérivatifs à ces mécontentements. L'amour des combats et le prestige de la gloire faisaient des descendants des grands feudataires de la couronne de loyaux et fidèles compagnons d'armes des rois de France, leurs souverains.

Du reste, les ducs de Bourgogne, de Bretagne et de Normandie, les comtes de Provence et de Toulouse n'existaient plus, et les descendants des grands feudataires de la couronne n'exerçaient dans leurs domaines qu'une autorité relative. Si les Châtillon, les Montmorency, les Guises, les Bourbons, les Nemours et les Nevers avaient des hommes d'armes, c'est que le roi leur avait accordé le commandement de ces compagnies, qui n'étaient guère que de cent hommes ; et quant aux gentilshommes qui leur faisaient escorte, ils n'étaient retenus auprès d'eux que par amitié personnelle ou par des largesses où tous trouvaient leur compte.

Les doctrines de Luther et de Calvin réveillèrent soudain le vieil esprit d'indépendance, poussé jusqu'à l'insubordination, que les anciens grands vassaux avaient si souvent manifesté.

La France était en paix avec ses voisins ; elle se déclara la guerre à elle-même.

Une grande partie de la noblesse se convertit au protestantisme, prit les armes, les fit prendre à ses vassaux, appela l'étranger et alluma la guerre civile au nom de la liberté de conscience, ainsi que les Armagnacs et les ducs de Bourgogne l'avaient fait deux siècles auparavant au nom de leur ambition personnelle.

Comme une manifestation appelle toujours une contre-manifestation, les huguenots virent immédiatement, en dehors du pouvoir royal, se lever une armée de catholiques, aussi ardents et résolus à soutenir leurs vieilles croyances que les premiers mettaient de fanatisme à propager les nouvelles doctrines, et à demander pour elles la protection des lois et la répartition des privilèges.

Les hommes du XVIe siècle conservaient encore les mœurs guerrières et rudes du moyen âge. Les arts, les lettres, les sciences, la religion surtout, avaient bien ôté à ces derniers chevaliers ce qu'il y avait de trop farouche en eux ; leur langage était plus poli, leur aspect plus courtois ; mais ce n'était guère qu'à la surface qu'ils s'étaient ainsi métamorphosés : dans le fond, ils le cédaient peu à leurs ancêtres, qui étaient, du reste, infiniment plus chastes.

Soldats et capitaines avaient apporté de leurs incursions en Italie des habitudes de plaisirs raffinés et de débauches inavouables ; les guerres civiles rallumèrent toutes ces passions et tous ces vices dans une soldatesque indisciplinée et fanatique, dont le courage à l'assaut des villes était surtout excité par l'appât du pillage et des viols. Cela explique, — sans les excuser, il n'est pas besoin que nous l'ajoutions, — les crimes et les excès de toutes sortes dont se souillèrent tous les partis.

Si, à la place des derniers Valois, il y avait eu sur le trône de France un prince énergique et intelligent, servi par un Richelieu ou par un Louvois, les catholiques n'auraient pas eu besoin de prendre eux-mêmes la défense de leur foi religieuse ; il eût mis lui seul les rebelles à la raison, tout en faisant respecter, autant que l'époque le permettait, la liberté de conscience de tout le monde. Malheureusement François II, pauvre enfant maladif, fut obligé de confier le pouvoir à ses oncles les Guises, qui étaient déjà les chefs du parti catholique. Si François de Lorraine fut un grand homme de guerre, un habile politique et un loyal chevalier, son origine, les fautes que commit son frère le cardinal, ses exploits et même les immenses services qu'il rendit à sa patrie d'adoption, lui suscitèrent de nombreux et d'implacables ennemis ; de plus, son action dans le gouvernement était toujours traversée par l'influence néfaste de Catherine de Médicis, dont l'ambition jalouse ne pouvait souffrir aucune supériorité.

A la mort de François II, Catherine de Médicis manœuvra si habilement entre les Guises et les Châtillon, les Bourbons et les Montmorency, que tous furent obligés d'abdiquer le pouvoir entre ses mains. Si elle ne posséda jamais, sous la minorité de Charles IX, le titre de régente qu'elle convoitait, elle eut constamment la direction suprême des affaires de l'État ; son influence et son action ne cessèrent de se faire sentir, même quand ses fils furent en âge de gouverner par eux-mêmes tant était grand l'empire qu'elle avait su prendre sur eux.

Quelles que soient les qualités dont les ambitieux vulgaires puissent être doués, ils sont condamnés à voir leurs efforts les plus grands et leurs combinaisons les plus habiles marqués d'avance du sceau de la stérilité. Quiconque ne prend que soi pour objectif ne peut rien faire de grand ni d'utile. Catherine de Médicis voulait le pouvoir pour lui-même, pour les satisfactions qu'il procure, et non parce qu'elle croyait qu'elle seule pouvait en disposer pour la gloire et l'indépendance du royaume. Cette étroite et mesquine ambition, lui masquant le but plus noble et plus élevé auquel elle pouvait aspirer, ne lui suggéra que des expédients indignes d'une reine, indignes d'une femme qui a quelque sentiment de pudeur et de fierté.

Trop lâche pour braver en face les puissants seigneurs dont elle redoutait l'influence et la domination, trop vulgairement ambitieuse pour chercher au milieu d'eux celui sur lequel elle pourrait franchement appuyer le trône de son fils, et trop vindicative pour pardonner à ceux qui s'étaient jetés au travers de ses projets, elle voulut annihiler leur puissance en les entourant dé toutes sortes de pièges, et, au lieu de se les attirer en faisant appel à leur courage ou à leur talent, elle préféra les tenir sous une sorte de joug méprisable en leur facilitant elle-même la satisfaction de leurs vices.

En ce temps de guerres farouches, où presque tous les seigneurs et gentilshommes combattaient dans un camp ou dans un autre, les femmes étaient fortement exposées dans les châteaux dont la garde était confiée à quelques serviteurs seulement. La plupart de ces seigneurs envoyèrent donc à la cour leurs filles ou leurs sœurs, pour les mettre à l'abri d'un coup de main de l'ennemi. Ce fut parmi ces dames et demoiselles que Catherine de Médicis recruta ses filles d'honneur. Au lieu de veiller sur elles comme elle l'aurait dû, cette reine indigne en fit les instruments dociles de sa politique dissolvante. Les noms de Louise de Rouet, d'Isabelle de Limeuil, de Françoise de Rohan et de Mlle de Châteauneuf appartiennent presque à l'histoire tant est grand le rôle que Catherine de Médicis leur fit jouer.

Elle avait promis à Louise de Rouet de lui faire épouser le roi de Navarre, lorsque François de Bourbon aurait divorcé avec Jeanne d'Albret. Isabelle de Limeuil put croire un moment qu'elle deviendrait princesse de Condé ; mais elle fut délaissée pour Marguerite de Lustrac, la riche veuve du maréchal de Saint-André, qui fit don au prince du château de Valery. Ce château fait encore partie du domaine de la famille d'Orléans.

Quant à Françoise de Rohan, elle avait obtenu du duc de Nemours promesse écrite de mariage ; mais le duc était depuis longtemps le chevalier d'Anne d'Este, duchesse de Guise, dont il portait les couleurs rouge et noir. Lorsque François de Lorraine fut mort, ses frères, les cardinaux Charles et Louis, les ducs d'Aumale et d'Elbeuf, hâtèrent le mariage de leur belle-sœur avec le duc de Nemours, afin de faire bénéficier leur famille d'un puissant allié de plus. A la nouvelle du mariage de celui qu'elle considérait comme son fiancé, Françoise de Rohan ressentit une vive douleur et résolut de porter la question devant les tribunaux. Toutefois le procès ne fut pas jugé ; le pape ayant annulé la promesse de mariage faite à Françoise de Rohan, le duc de Nemours put épouser la duchesse de Guise.

Les femmes comme Catherine de Médicis ne sauraient avoir le véritable sentiment de la maternité : il n'est donc pas étonnant que celle-ci ait fait entre ses enfants des parts très inégales de son affection. Il ressort à peu près clairement, de tous les actes de sa vie, qu'elle ne témoigna jamais une tendresse bien vive à François II ni à Charles IX, moins encore au duc d'Alençon. Quant à sa fille Marguerite, connue sous le nom de la reine Margot, elle parut la prendre un moment en grande amitié ; mais tout à coup elle s'en détacha lorsque la jeune princesse témoigna, — quoi qu'elle en dise dans ses Mémoires, — une affection un peu trop vive pour le jeune et brillant duc de Guise, qu'il avait été question un moment de lui faire épouser. Par contre, tout ce que le cœur de Catherine de Médicis pouvait contenir d'amour maternel était donné à Henri, duc d'Anjou, plus tard Henri III. C'est à lui qu'elle forçait Charles IX de confier le commandement des armées, c'est lui qu'elle mettait sans cesse en évidence ; son plus grand chagrin fut de le voir partir pour la Pologne, et sa plus grande joie de le rappeler pour lui mettre sur la tête la couronne de France.

Elle l'éleva au milieu d'une cour corrompue, qui lui donnait tous les jours l'exemple des intrigues les plus inavouables. Elle chargea elle-même Mlle de Châteauneuf d'espionner tous les actes de sa vie, de contrôler toutes ses actions, de sonder toutes ses pensées, afin qu'il lui fût fait chaque jour un rapport fidèle sur ce fils qui paraissait être l'objet d'une affection exclusive.

Voilà à quel degré de dépravation cette Florentine avait fait descendre la cour de France !

Si poignant et si triste, si horrible même que soit un tel tableau, nous devions le présenter ; car, en histoire comme en philosophie, il faut toujours remonter des effets aux causes, afin que les événements se dégagent avec netteté aux yeux du lecteur soucieux de s'en faire fine opinion raisonnée et juste.

Historiquement et philosophiquement parlant, il serait donc faux de rendre la religion catholique responsable des guerres civiles qui ensanglantèrent le XVIe siècle, et surtout des massacres de la Saint-Barthélemy.

La. cause première de ces guerres, nous l'avons suivie pas à pas dans la Vie de François de Lorraine, duc de Guise, où nous avons vu les princes et les seigneurs protestants ourdissant leurs complots, recherchant l'alliance de l'étranger, puis enfin levant l'étendard de la révolte, et livrant leur malheureuse patrie aux sanglants et terribles excès qui sont les conséquences fatales de ces luttes fratricides où la conviction devient du fanatisme et le courage de la férocité[1].

La cause seconde vient des mœurs que Catherine de Médicis propagea à la cour, et des moyens de corruption dont elle se servit pour régner mœurs qu'elle inculqua dans le cœur de ses propres enfants, moyens dont elle se servit contre eux-mêmes afin de les tenir toujours sous sa domination.

Telle était donc la situation politique et morale de la France, lorsque le duc de Guise fut appelé à prendre la place qui lui revenait de droit à la tête du parti catholique.

Les Guises, malgré leur naissance d'origine étrangère, étaient les plus populaires et les plus aimés d'entre tous les seigneurs de leur époque. Par leurs alliances, ils marchaient de pair avec les princes du sang, et, dans leur ambition, ils jetaient un regard de convoitise jusque sur la couronne des Valois, ne voyant se dresser entre leur front et cette couronne que la branche des Bourbons, qui semblait avoir perdu ses droits à l'héritage royal en embrassant le protestantisme.

La popularité des Guises remontait au commencement du règne de François Ier. Claude de Lorraine, le chef de la maison de Guise, l'avait élevée par sa bravoure, ses talents militaires et son habileté politique ; il y fut, du reste, puissamment aidé par son frère, le cardinal Jean, dont les mœurs n'étaient pas sans reproche, mais qui sut se montrer en maintes circonstances négociateur et ambassadeur d'un haut mérite, el dont le caractère généreux et l'esprit libéral gagnaient l'affection de tous ceux qui l'approchaient, surtout des lettrés, des poètes et des artistes, qu'il traitait avec une magnificence vraiment royale.

Quant au fils aîné de Claude, François de Lorraine, s'il fut sans contredit le plus grand capitaine de son siècle, il reste aussi, par la noblesse de ses sentiments et la droiture de son caractère, la plus belle et la plus sympathique figure de son époque ; il vécut et mourut en héros chrétien.

Henri, alors prince de Joinville, l'aimait el l'admirait jusqu'à l'adoration. L'assassinat de son père fut pour lui comme un coup de foudre. Il était venu à Orléans avec sa mère pour assister à son triomphe, et il y reçut son dernier soupir. Il vit autour du lit de ce père tant aimé la reine de France verser des larmes, toute une armée muette de désespoir, des capitaines endurcis sur les champs de bataille ne pouvant étouffer leurs sanglots, et tout un parti dans la consternation et dans le deuil qui semblait jeter sur lui, pauvre enfant orphelin, des regards d'espérance mêlés d'inquiétude.

Il n'avait pas encore treize ans, mais à cette époque on n'était pas longtemps jeune ; les passions. politiques, les haines religieuses, l'ambition, les intrigues et les complots mûrissaient les intelligences avant l'âge, et creusaient des rides précoces sur les fronts qui auraient dû encore rester ingénus.

Quand son père vint à lui manquer ainsi tout à coup et d'une façon aussi tragique, le jeune Henri sentit comme un vide immense se faire autour de lui, malgré les agitations dans lesquelles il était entraîné. Il fut en quelque sorte contraint de refouler dans son cœur ses larmes et son amour. Ses frères étaient trop jeunes pour apprécier l'étendue du malheur qui venait de les frapper ; sa mère, Anne d'Este, était toute à ses intrigues avec le duc de Nemours, à son procès contre sa rivale ; son oncle le cardinal Charles était à Trente ou à Rome, d'où il ne revint que pour reprendre sa vie d'agitations politiques, et les autres frères de son père étaient tout entiers aux soucis de la guerre et à l'administration de leurs provinces. Quant à son aïeule, Antoinette de Bourbon, elle s'était, sur les derniers temps de sa vie, donnée complètement à la religion. De Madame Renée de France, duchesse de Ferrare et mère d'Anne d'Este, duchesse de Guise, nous n'en parlerons pas ; car elle était protestante, et ce n'était pas auprès de cette amie de Coligny qu'Henri pouvait chercher un refuge pour son cœur.

Privé de conseils et de consolations, il se livra tout entier aux sentiments qui envahissaient son âme. Prendre la place de son père, marcher sur ses traces glorieuses et le venger tel fut le but qu'il se fixa et, vers lequel il marcha constamment, sans qu'aucun obstacle et aucune considération pussent l'en faire dévier.

Dans les lettres qu'à de six ans à peine révolus il écrivait a son père, qui était alors en Italie, le jeune prince laisse déjà éclater la fougue de son caractère ainsi que la pénétration de son esprit, en même temps qu'il donne un aperçu de l'éducation virile qu'il recevait.

En voici quelques extraits :

... Mais depuis ce temps-là (une chasse au cerf) j'avons esté en grand danger, car le jour des Innocents nous a fait une belle peur, car Madame Isabeau (Élisabeth de France) estoit venue pour nous donner les innocens (jeu qui consistait à donner le fouet, le jour des Innocents, aux enfants paresseux) ; mais j'étions déjà levé, et le duc de Bavière, qui est venu pour les donner, a esté bien estrillé, et je les avons donnés à Monsieur de Lorraine dedans son lit. Je ferai bon guet à l'avenir, de leur des coups. Je suis devenu un peu bon et n'en fault guères que nous ne soyons d'accord. Le petit père (son précepteur sans doute) me vient toujours quereller, mais je le bourre bien. Le roy a promis des haquenées à moy et à mon cousin, mais je ne les tenons pas encore[2].

Un enfant de six ans qui savait déjà le fond qu'il devait faire sur les promesses royales !

La plus grande partie de la lettre suivante est à reproduire ; car son cœur, son esprit et son caractère s'y reflètent avec une rare fidélité.

Monseigneur,

J'ay à ceste heure encore un beau petit frère que madame ma mère m'a fait à Nanteuil, incontinent que je fus parti pour aller à Reims avec monsieur mon oncle. On m'a dit que c'est bien le plus beau et le plus gros du monde. J'ay ouy de beaux sermons que mon oncle a faict à Reims ; mais je vous promets que je ne sauroy les raconter tout du long, car ils estoient si très longs qu'il ne m'en souvient pas de la moitié. Il m'a fait porter son au muse devant luy, et m'a demandé si je ne voulois pas estre chanoine à Reims ; mais je lui répondis que j'aimerois mieux estre auprès de vous pour rompre une lance ou une espée sur quelque brave Espagnol ou Bourguignon, pour esprouver si j'ay bon bras, car j'aime mieux escrimer ou rofnprc lance que d'estre toujours enfermé dans une abbaye avec le froc. Monseigneur, j'ay vu ma sœur et ma cousine d'Aumale, qui sont bien saiges et bien jolies... J'ayme bien mon frère Charles (Mayenne) et mon frère Louis (celui qui fut le cardinal de Guise), car ils sont les plus jolis du monde ; mais ne sçais, quand j'auroy vu mon -petit frère (il mourut en bas âge), lequel j'aymerois le mieux. Je seroy leur gouverneur et leur apprendrai leur cour...

On avoit dict à madame ma grand'mère que j'estois opiniâtre, mais Desfossés me fait bien voir du contraire ; car si je l'estois, il ne m'espargneroit pas le bois de brillon... Brusquet (fameux bouffon de François Ier) a esté ce matin à nostre lever plus plaisant que jamais, et Stic (autre bouffon) luy a bien fait la guerre, et s'il ne se fust bien contenu, il lui eust décousu de ses chausses[3]

On voit par les extraits de ces lettres que les fils des princes étaient, à cette époque, assez rudement élevés. Ils couraient le cerf à l'âge de six ans, et le bois de brillon ne leur était pas épargné à la moindre incartade.

L'éducation du prince de Joinville fut confiée à Piles de Villemur et à de Proneuf ; Desfossés l'instruisit dans l'art des armes, de la chasse et de l'équitation, et les deux bouffons Brusquet et Stic achevaient de développer ses forces aux exercices de la gymnastique.

Marguerite de Valois raconte dans ses Mémoires le fait suivant, qui se passa au mariage de Madame Élisabeth, quelques jours avant qu'Henri II fût tué par Montgomery. N'ayant lors qu'environ quatre ou cinq ans, et me tenant sur ses genoux pour me faire causer, il (le roi) me dict que je choisisse celuy que je voulois pour mon serviteur, de monsieur le prince de Joinville, qui depuis a esté ce grand et infortuné duc de Guise, ou du marquis de Beaupreau (il mourut peu de temps après), fils du prince de la Roche-sur-Yon, tous deux jouant auprès du roy mon père, moy les regardant. Je luy dis que je voulois le marquis. Il me dict : Pourquoi ? il n'est pas si beau. — Car le prince de Joinville était blond et blanc, et le marquis de Beaupreau avait le teint et les cheveux bruns. — Je luy dis pour ce qu'il estoit plus sage, et que l'autre ne peut durer en patience qu'il ne fasse tous les jours mal à quelqu'un et veut toujours estre le maistre... Et Marguerite ajoute : Augure certain de ce que nous avons veu depuis.

Le jugement sévère porté sur Guise par cette enfant de quatre ou cinq ans, et la réflexion qui suit, sont ici en contradiction avec les sentiments que Madame Marguerite éprouva pour le prince lorrain. Il faut cependant reconnaître que tous les princes de la maison de Guise étaient de grands dominateurs, et que leur ambition était sans bornes. Ce fut Henri, peut-être, qui porta au plus haut point les qualités et les défauts de sa race. Il fut sans doute moins grand capitaine que son père, et cela vient de ce qu'il n'eut pas l'occasion de faire valoir sa science militaire avec autant d'éclat ; mais, s'il ne mérita pas comme lui le titre de Grand, sa vie fut celle d'un héros, qui excite encore aujourd'hui un attrait irrésistible et une étrange fascination.

Grand, élancé, doué d'une force incroyable, — certains historiens rapportent que, tout couvert de son armure, il remontait une rivière à la nage[4], — agile et adroit à tous les exercices du corps et au maniement des armes, passionné pour la chasse et pour la guerre, il était le plus rude soldat de son parti ; il était aussi le plus élégant gentilhomme de la cour. Auprès de lui, disait-on proverbialement, tous les autres princes semblaient peuple.

La reine Marguerite nous apprend qu'il était blond et blanc ; il avait, en effet, le teint d'une éclatante blancheur, et son visage, toujours souriant et comme illuminé par un œil bleu, perçant et doux tout à la fois, était encadré par une barbe blonde un peu rare et soyeuse. Son front vaste, d'une sérénité constante, était surmonté d'une forêt de cheveux blonds et bouclés.

Son éducation, aussi complète que possible ; l'étude de Tacite, dont il avait fait son auteur favori ; son intelligence, qui était remarquable, auraient suffi à faire de lui un des hommes les plus accomplis de son époque, si sa naissance ne l'avait destiné à porter de bonne heure le fardeau de la politique et à prendre la direction d'un puissant parti.

Mûri par l'étude, plus encore par le spectacle des événements dont il était le témoin, et par les réflexions que ce spectacle lui inspirait, il apprit tout jeune à dissimuler ses impressions et à se tenir constamment en garde contre tous aux qui l'approchaient. Et cependant il était avec cela franc et généreux, inaccessible à la crainte et au danger.

En politique, ses vues étaient larges et libérales ; dans la vie privée, il déployait, pour les plus humbles aussi bien que pour les plus grands, des séductions irrésistibles. Sur les champs de bataille, ses ressources étaient inimaginables, d'une fécondité prodigieuse. Enfin il joignait à ces dons précieux une rare sagacité dans l'observation.des caractères, une pénétration inouïe, une volonté que rien ne faisait plier, une conception prompte et une rapidité encore plus grande dans ses décisions.

Henri III subit longtemps tout le premier cette fascination étrange qu'exerçait Guise sur tous ceux qui étaient en rapport avec lui, et ne secoua cette sorte de joug que lorsque ses mignons, qui le haïssaient, lui tirent toucher de l'œil et du doigt la puissance et l'autorité que le Balafré avait prises dans le royaume, où il était adoré aussi bien du peuple que des gens de guerre.

Un jour Henri III demanda : Mais que fait donc le duc de Guise pour enchanter tout le monde ?Sire, lui fut-il franchement répondu, il fait du bien à un chacun ; où ses bienfaits ne vont pas directement, ils y arrivent par réflexion ; quand il n'a pas l'occasion d'obliger par des effets, il oblige par des paroles ; il n'est point de fente qu'il ne célèbre, point de baptême où il ne soit parrain, point d'enterrement où il n'aille ; il est civil, humain, libéral, il caresse tout le monde, ne parle mal de personne ; en un mot, il a l'éclat et l'autorité du roy !La France, disait-on, en était folle, et l'on ajoutait car c'estoit trop peu de dire amoureuse.

A cette époque (1465-66), Guise ne s'était pas encore affranchi de la tutelle de son oncle le cardinal, qui ne voulait pas l'exposer aux hasards des guerres civiles en le confiant au duc d'Aumale. Mais la guerre ayant éclaté entre l'empereur Ferdinand et, Soliman, le jeune prince, qui brillait du désir de se distinguer, et qui souffrait de son inactivité, suivit l'exemple d'une foule d'autres gentilshommes et partit pour la Hongrie. Malheureusement, l'empereur Maximilien commit pendant cette campagne les fautes les plus déplorables ; toujours irrésolu et incertain, il laissa son arillée, du reste mal organisée, dans une inaction complète dont les Turcs profitèrent habilement en s'emparant d'une foule de places fortes mal défendues, et en chassant devant eux les quelques troupes autrichiennes qui leur étaient opposées.

Guise ne fit en Autriche et en Hongrie qu'une sorte de voyage triomphal. Il reçut de l'Empereur et des princes un accueil splendide ; partout sa venue était fêtée comme celle d'un jeune roi. Si flatteuses que fussent ces démonstrations, il aurait préféré qu'on lui donnât, l'occasion de tirer l'épée. et de charger contre les Turcs. Quand il vit que décidément il ne pouvait compter sur cette occasion, qu'il était venu chercher si loin, il regagna la France, ou les plus graves événements allaient s'accomplir.

La scène de comédie jouée a Moulins, par ordre du roi, avait laissé les personnages qui y prirent part animés les uns contre les autres des mêmes sentiments d'animosité. Peu de temps après leur réconciliation apparente, Coligny accusait d'Aumale d'avoir voulu le faire assassiner, et d'Aumale, qui n'eut pas de peine à se laver d'une telle calomnie, déclarait à la reine qu'avec vingt-cinq de ses gentilshommes, il attaquerait Coligny au milieu de toute son escorte. Le cardinal était en guerre ouverte avec le chancelier et avec les Montmorency, et par-dessus les haines de parti s'élevaient les convoitises personnelles.

Condé voulait être lieutenant. général comme l'avait été son frère ; mais Catherine, qui ne tenait pas à confier les forces du royaume à un prince d'un caractère aussi brouillon, répondit que le roi avait promis cette charge à son frère le duc d'Anjou. Le connétable de Montmorency voulait que son fils François, qui était déjà maréchal, hérita de la charge ; il fut répondu à Montmorency qu'il ne serait pas nécessaire de créer un connétable lorsqu'il y aurait un lieutenant général, les deux charges répondant aux mêmes fonctions.

Coligny et les autres chefs protestants s'imaginèrent de faire intervenir les princes luthériens allemands, pour demander au roi qu'il permît aux réformés le libre et complet usage de leur religion. A cet effet, une députation fut envoyée à Charles IX pour assurer au roi de France l'amitié des princes, el lui demander, en leur nom, la liberté entière de conscience, sans distinction de lieu, de temps, ni de personnes, Charles IX ne put cette fois maîtriser sa colère, et ce fut sur le ton d'un véritable emportement qu'il répondit aux envoyés allemands : Je conserverai volontiers l'amitié de vos princes, quand ils ne se mêleront pas plus des affaires de mon royaume que je ne me mêle des affaires de leurs États. Et il ajouta, non sans raison : J'ay envie de les prier de laisser prêcher les catholiques et dire la messe dans leurs villes.

Un jour, Charles IX avait fait à Coligny, qui l'entretenait sur le même sujet, la réflexion suivante : Il n'y a pas longtemps que vous vous contentiez d'être soufferts par les catholiques ; aujourd'hui vous voulez être égaux ; bientôt vous voudrez être seuls et nous chasserez tous. On assure que Coligny baissa le front, et ne sut que répliquer à une observation aussi juste. Depuis son retour de Bayonne, et pendant un voyage à travers ses provinces, Charles IX avait eu l'occasion de constater par lui-même l'imminence des périls que couraient la France et le trône par le fait des progrès que faisait la réforme, et de l'audace toujours croissante des huguenots. L'assassinat du capitaine Charry le frappa de stupeur, et l'impuissance où il était de poursuivre les coupables, — car il aurait fallu faire remonter l'accusation jusqu'à d'Andelot, frère de Coligny, — fit germer dans son esprit les projets de vengeance et de terrible répression qui éclatèrent dans la nuit du 24 août 1572, c'est-à-dire cinq ans plus tard.

Après la conversation qu'il eut avec Coligny, où il fit au chef huguenot la réponse que nous venons de citer, le jeune roi s'écria devant la reine et devant le chancelier : Le duc d'Albe a raison, des têtes si hautes sont dangereuses dans un État ; l'adresse n'y sert plus de rien, il faut en venir à la force[5].

Charles IX était, d'autre part, encore vivement excité contre les protestants par son beau- frère, Philippe 11, avec qui il était en correspondance suivie ; par les Guises, et surtout par le cardinal, qui paraissait en ce moment être rentré en faveur à la cour. Une circonstance vint précipiter le cours des événements. Les protestants des Pays-Bas s'étaient révoltés contre l'autorité espagnole. Philippe Il demanda et obtint la permission de faire traverser les provinces françaises à ses vieilles bandes, que le duc d'Albe ramenait d'Italie pour soumettre l'insurrection. Sous prétexte que le passage de ces troupes dans le royaume et la présence au milieu d'elles du duc d'Albe pouvaient occasionner des troubles, et qu'il n'était pas prudent de s'abandonner complètement à la merci de l'étranger, le roi ordonna immédiatement une levée de six mille Suisses, et fit mettre sur pied toutes nos vieilles compagnies. Cela fut résolu en plein conseil, composé de protestants aussi bien que de catholiques. Il fut aussi décidé que le secrétaire d'État l'Aubespine serait envoyé en mission extraordinaire auprès de Philippe II pour connaître ]es véritables intentions du monarque, et lui représenter les inconvénients que le séjour de ses troupes sur le territoire français pouvait amener. Philippe II feignit de recevoir assez cavalièrement l'ambassadeur du roi, sa réponse fut même impertinente ; mais tout ceci n'était qu'un subterfuge convenu d'avance entre les parties pour donner le change aux protestants, car l'Aubespine avait été précédé à la cour d'Espagne par le père Hugues, religieux franciscain, qui avait mis Philippe II au courant des intentions de son beau-frère.

Les protestants, qui avaient offert au roi de s'armer pour la circonstance, et à qui défense en avait été faite, conçurent de vifs soupçons quand ils virent les levées d'hommes préparées par la cour, et tous leurs chefs exclus des commandements auxquels ils avaient droit.

Malgré le traité d'Amboise, les protestants n'avaient jamais désarmé qu'en apparence. Sous le couvert de la trêve, ils s'étaient même puissamment organisés. Les catholiques, de leur côté, n'avaient pas perdu leur temps. Chaque parti avait donc ses hommes tout prêts, ses arsenaux remplis d'armes et de munitions, ses cadres formés et ses chefs à leur poste. Au premier signal, la guerre devait éclater avec une effrayante simultanéité, quel qu'en fût le motif et qui que ce fût qui tirât le premier coup de feu.

Cependant le duc d'Albe, venu de Savoie, avait traversé la Lorraine et la Franche-Comté sans être inquiété aucunement, et ordre avait été donné de le traiter en fidèle allié, — ceci se passait au commencement de l'année 1567. — Mais voici que, lorsque les Espagnols eurent quitté le territoire, la cour ne parut nullement disposée à licencier les Suisses et les vieilles compagnies nouvellement levées. Au contraire, on vit alors le colonel Spiffer, qui commandait les Suisses, faire prendre à ses troupes la direction du Centre, tandis que les compagnies françaises convergeaient vers le même but. Un avis, vrai ou faux, fut envoyé aux chefs réformés[6] pour leur annoncer que la cour avait résolu de faire disparaitre Condé et Coligny, de renforcer avec des troupes sûres les places les plus importantes du royaume, et puis, ces mesures prises, de révoquer tous les édits favorables aux protestants et de défendre expressément l'exercice de la religion réformée.

Aussitôt les coalisés huguenots s'assemblèrent à Valery, chez le prince de Condé, et ensuite à Châtillon-sur-Loing, chez l'amiral, et là furent arrêtées les résolutions d'où devait sortir encore une fois la guerre civile.

Le roi était alors à Monceaux, en Brie, ou, plein de sécurité, il s livrait avec toute la cour au plaisir de la chasse, sa passion favorite. Sur ces entrefaites, Castelnau, qui avait été envoyé par le roi pour faire la conduite au duc d'Albe, revint à la cour (septembre), et rapporta que, pendant la route, il avait rencontré nombre de gens armés se dirigeant vers le Centre ; que d'autres l'avaient prié d'avoir pour agréable qu'ils vinssent en sa compagnie, et que, chemin faisant, ils lui avaient manifesté leurs soupçons à l'égard des huguenots, dont le projet était de faire ce que les triumvirs avaient fait en 1562, de s'emparer du roi et de la reine, afin que leur présence au milieu d'eux légitimât tous les actes qu'ils pourraient commettre. Quant au sort des Guises, il avait été promptement décidé.

Le connétable de Montmorency par trop grande confiance en lui-même, et le chancelier de l'Hôpital par débonnaireté envers les huguenots, s'irritèrent très fort contre Castelnau, qu'ils accusèrent de donner de faux advertissements à son prince... — De sorte que tous estaient, dit-il, fort mal satisfaits de moy pour l'advis que j'avais donné[7].

Le lendemain, des ouvriers arrivés de Lyon, interrogés à leur tour, firent à peu près les mêmes rapports, déclarant qu'ils n'avaient jamais vu tant de gens courir la poste et prendre les traverses qui, sur ce chemin-là, mènent à Châtillon, où était l'amiral. La cour se décida enfin à envoyer divers émissaires auprès de Coligny, pour savoir au juste à quoi s'en tenir ; tous apportèrent des preuves. du soulèvement qui se préparait. C'était à Tanlay que se concentrait l'armée protestante ; elle devait, le lendemain, cerner Monceaux et s'emparer du roi, de ses frères, de la reine et de toute la cour. En même temps d'autres courriers arrivèrent, annonçant que les huguenots de Picardie et de Champagne étaient montés à cheval.

Il fallut bien que le connétable et le chancelier se rendissent à l'évidence ; il n'y avait plus un moment à perdre si l'on voulait sauver le roi. Monceaux ne pouvait supporter une résistance sérieuse ; il fut donc décidé que la cour partirait dans la nuit même (25 septembre) pour Meaux, qui pouvait être mieux défendu. Le chancelier et le connétable furent d'avis qu'il fallait rester dans Meaux et s'y défendre ; le chancelier ne voulait même pas du secours des Suisses, estimant que le roi devait avoir confiance dans la loyauté des intentions des réformés. Les princes lorrains pensaient, au contraire, que le roi devait se placer au milieu de son armée et marcher sur Paris ; Charles IX se rangea du côté des princes lorrains, et le départ fut décidé pour le 29 septembre, jour de la Saint-Michel, que les huguenots avaient justement fixé pour l'attaque, croyant que ce jour-là le roi serait tout entier à la cérémonie occasionnée par la célébration de son ordre. Ces quelques jours avaient suffi pour rassembler l'armée royale. Spiffer et ses six mille Suisses formaient le corps principal, au centre duquel devait être le roi, entouré des princes ses frères, des gentilshommes de sa maison et de ses gardes. Le connétable devait ouvrir la marche avec quelques enseignes et les chevau-légers. Nemours, ayant son beau-fils Henri de Guise pour lieutenant, avait le commandement général. C'est dans l'ordre que nous venons d'indiquer que l'armée royale et toute la cour se mirent en marche, le 29 septembre, à quatre heures du matin.

Vers onze heures, l'armée royale rencontra l'armée protestante. Condé, Coligny et d'Andelot furent fortement dépités en la voyant si nombreuse et si résolue. Après avoir cheminé quelque temps auprès d'elle, ils firent mine de l'attaquer par flanc. Les Suisses s'arrêtèrent net et baissèrent leurs piques ; le roi, qui voulait combattre à la tête se ses troupes, mit l'épée au poing ; Nemours et Guise en firent autant et se placèrent à ses côtés[8]. La cavalerie protestante n'osa pas pousser la charge plus longtemps et se retira en bon ordre, sans trop s'éloigner toutefois ; car pendant tout le trajet elle ne cessa de harceler les Suisses, dont, la contenance énergique rit l'admiration du roi et de tous les capitaines qui l'entouraient.

Arrivés au Bourget, le roi et l'armée firent halte jusqu'au lendemain. D'Aumale vint avec trois à quatre cents gentilshommes bien armés, et une foule de bourgeois de la ville, à la rencontre de Charles IX, qui le traita de bon amy, et ce fut à la tête de cette brillante escorte et au milieu de toute la cour qu'il fit son entrée triomphale dans Paris.

Moins brillante, et, surtout beaucoup plus périlleuse, fut la retraite qu'opéra le cardinal Charles, que la malchance poursuivait décidément toutes les fois qu'il se trouvait mêlé aux choses de la guerre, peu faites pour son caractère et pour son genre de talent.

Le cardinal de Lorraine, ne se faisant pas illusion sur le sort que lui réservaient les protestants s'il tombait en leur pouvoir, et ne se croyant jamais en sûreté nulle part, au lieu de rester avec l'armée royale, profita de la nuit pour quitter Meaux et aller directement à Reims, où il se croyait beaucoup mieux à l'abri et où il espérait surtout se faire oublier. Mais voici qu'au point du jour les coureurs huguenots, qui tenaient la campagne pour intercepter le passage de la Marne, lui barrent le chemin et s'adressent directement à ses serviteurs pour avoir de ses nouvelles. Prévenu aussitôt, il n'eut que le temps de monter à cheval, et, à travers mille périls, de gagner Château-Thierry, ville catholique où il passa la Journée, et dont il partit la nuit suivante, vers onze heures ; après avoir dirigé ses mulets et son bagage par une route différente de celle qu'il comptait prendre, il s'échappa sur un rapide genêt d'Espagne. Ses équipages, sa vaisselle d'argent, tombés dans les embuscades, étaient devenus la proie des ennemis ; un de ses serviteurs avait été tué pendant le pillage, tandis que lui-même arrivait avec difficulté à Reims, où Condé s'était ménagé des intelligences dans l'espoir d'y pénétrer. Mais cette ville se tenait sur ses gardes et se trouvait protégée par une garnison, à la solde de laquelle le clergé contribuait au moyen de la vente des sacrés joyaux[9].

L'armée royale était entrée dans Paris, serrée de près par l'armée protestante, qui campa à Montereau, à Lagny et principalement à Saint-Denis, où, Condé établit son quartier général. Les réformés, n'osant pas tenter le siège de la capitale, résolurent de l'affamer en brûlant les moulins et en coupant les communications par où pouvaient venir les subsistances.

Le lendemain de son arrivée au Louvre, Charles IX lança un édit par lequel promesse d'amnistie était faite à tous ceux qui mettraient bas les armes dans les vingt-quatre heures, et prononçait la peine capitale contre tous les réfractaires. L'édit resta sans effet. La reine eut alors recours à ses moyens habituels ; elle noua négociations sur négociations avec Condé et Coligny, qui, bien disposés à n'avoir recours qu'à la force, à chaque ouverture de conciliation opposaient des pré- tentions plus exagérées.

Pendant que ces pourparlers avaient lieu, les deux partis appelaient à leur aide leurs alliés naturels. Philippe II et Louis de Gonzague, duc de Nevers, venaient au secours du roi de France, tandis que les princes luthériens allemands faisaient passer à leurs coreligionnaires plusieurs régiments de reîtres, sous la conduite de Jean Casimir, et que la reine Élisabeth envoyait à Condé les subsides nécessaires pour entretenir la guerre civile.

Guise, qui avait suivi le roi dans Paris, partit aussitôt pour la Lorraine à la nouvelle des dangers qui menaçaient Metz et Verdun. Il leva immédiatement et à ses frais plusieurs enseignes de cavalerie et de gens de pied, et, secondé par Tavannes, il soumit promptement le pays messin et empêcha qu'il ne tombât, au pouvoir des estrangers allemands venus en faveur des ennemis[10]. Sans perdre de temps, et son œuvre accomplie, il retourna avec sa petite troupe renforcer l'armée du connétable et prendre une part glorieuse à la bataille de Saint-Denis.

Le mouvement que Guise avait opéré contre les Allemands, Montgomery et d'Andelot avaient été obligés à leur tour de l'exécuter pour barrer le chemin aux troupes espagnoles du comte d'Aremberg, en marche pour venir au secours de l'armée. royale.

Le connétable, toujours irrésolu dans l'exécution des plans de campagne, retardait indéfiniment le moment d'attaquer l'ennemi. Cette lenteur, que rien ne justifiait, faisait murmurer les Parisiens, qui accusaient d'entretenir des intelligences avec les Châtillon, ses neveux. L'amitié qui unissait les deux cousins germains d'Anville et Coligny, autorisait en quelque sorte ces soupçons, pourtant injustes, il faut le reconnaître. Lorsque le connétable reçut les rapports qui lui avaient fournis sur l'armée protestante, et qu'il apprit par eux que les forces de Condé venaient d'être affaiblies par le départ de d'Andelot et de Montgomery, avec cinq cents chevaux et huit cents arquebusiers[11], ce qui faisait que le prince ne disposait plus que de deux mille hommes[12], se décidant enfin, il s'écria : C'est le temps de les attaquer, et que chacun se prépare à la bataille qui se donnera demain. » Il espérait même avoir encore le temps de couper le chemin à d'Andelot ; mais il était trop tard.

A l'aube du jour, 10 novembre, dit la Noue, il fit sortir son armée aux champs. Les catholiques avaient quatre avantages : l'artillerie, le nombre d'hommes, les bataillons, des piquiers, la place haute et relevée. Montmorency ne croyait pas que Condé acceptât la bataille dans de telles conditions d'infériorité ; il s'attendait à être obligé de l'attaquer dans Saint-Denis. Mais Condé, dont le bouillant courage ne pouvait accepter les conseils de la prudence, fit mettre sa cavalerie en ligne et offrit bravement le combat.

L'aile droite protestante, sous les ordres.de l'amiral, défendait Saint-Ouen ; l'aile gauche, commandée par Genlis, s'appuyait sur Aubervilliers ; et Condé était au centre, ayant avec lui le cardinal de Châtillon et Robert Stuart avec ses Écossais.

L'avant-garde catholique était commandée par le maréchal François de Montmorency ; le centre, par le connétable en personne ; et la réserve, par d'Anville et d'Aumale.

L'artillerie royale ayant commencé par faire quelques ravages dans les rangs de Genlis, les troupes de ce capitaine s'ébranlent et attaquent de front ; Coligny, au même instant, prend le connétable sur l'aile gauche, culbute tout devant lui, tandis que Condé avec ses escadrons, voyant le passage libre, achève la déroute. En vain François de Montmorency veut venir au secours de son père, il est refoulé de toutes parts. Cependant le connétable résistait toujours avec une bravoure et une vigueur indomptables. Se voyant mis en joue par l'Écossais Stuart : Tu ne me reconnais donc pas ? lui cria-t-il. — C'est parce que je te reconnais que je te porte celui-ci, lui répondit le farouche huguenot ; et au même instant il lâchait le coup de pistolet et fracassait la mâchoire du vieillard, qui eut cependant encore la force de lui porter un rude coup d'épée.

A la bataille de Saint-Denis se passa le même incident qu'à la bataille de Dreux. L'armée catholique est en déroute le connétable est prisonnier, et c'est encore un Guise qui rallie les fuyards, les ramène au combat et fait pencher la victoire de son côté. D'Aumale, comme son frère à Dreux, était à l'arrière-garde, n'ayant d'autres troupes sous ses ordres que sa compagnie d'hommes d'armes. Pourtant il parvint avec l'aide de d'Anville, à arracher le connétable des mains de l'ennemi, à sauver les Suisses qui allaient être écrasés et à refouler les protestants au moment où Condé et Coligny se croyaient sûrs du succès.

Le jeune duc de Guise, qui assistait à sa première bataille rangée, se conduisit dans cette affaire avec un courage digne de ceux de sa race.

Une poète de l'époque a dit que ;

Défendant un moulin auprès de la grand'ville,

Aux exploits martiaux adroit et fort habile,

Il repousse et défaict, d'un courage vaillant,

Infinis huguenots qui viennent l'assaillant.

Si à la bataille de Saint-Denis, qui ne dura que quelques heures, la victoire est restée aux catholiques, parce qu'ils couchèrent sur le  lieu du combat et repoussèrent l'ennemi de sa position, cette journée a fait plus d'honneur aux protestants, qui combattirent avec une rare énergie, et, malgré leur grande infériorité numérique, faillirent prendre le connétable et purent un moment se croire vainqueurs.

Cette victoire, car enfin c'en est une, eut pour résultat de forcer Condé à déloger des environs de Paris, dont les habitants commençaient à souffrir et où le roi se trouvait comme enfermé ; mais elle fut chèrement payée. L'armée royale fit de grandes pertes, et au nombre des soldats et des officiers qui périrent dans cette journée, il faut compter en première ligne le connétable Anne de Montmorency.

De tous les princes, seigneurs et gentilshommes de cette époque, le plus sincèrement attaché à la personne du roi c'était le vieux connétable, soldat plus courageux que bon capitaine. Rude d'aspect et de caractère, avare et ambitieux, il rachetait ses travers par une loyauté et une fidélité à toute épreuve. Il n'aimait pas les Guises, ses rivaux en puissance et ses supérieurs par le mérite ; mais il n'hésita pas à s'allier ceux lorsqu'il vit que la religion catholique, à laquelle il était profondément attaché, était menacée par la propagation des doctrines de Calvin. Il supporta avec beaucoup de dignité la disgrâce dont il fut frappé par le roi François II, qui, dès son avènement au trône, l'exila dans ses terres sur le conseil du cardinal de Lorraine, son oncle, et de Catherine de Médicis, qui ne lui pardonna jamais d'avoir été le courtisan de Diane de Poitiers, sa rivale abhorrée.

Lorsqu'il fut délivré des mains des huguenots il ne voulut consentir à quitter le champ de bataille que lorsqu'il eut vu le dernier escadron ennemi abandonner le combat et s'enfuir. Jusqu'à son dernier souffle il montra combien il était rabroueur et peu endurant, selon les expressions de Brantôme. On rapporte qu'il répondit au religieux qui l'exhortait à bien mourir : Laissez-moi, mon père ; pensez-vous donc que j'aye vescu quatre-vingts ans avec honneur sans avoir appris à courir en un quart d'heurd ?

Le connétable fut regretté du roi et de la cour, mais non du peuple, qui le craignait et ne l'aimait point. Avec Anne de Montmorency s'éteignit le dernier des triumvirs ; Saint-André était mort à la bataille de Dreux, et François de Lorraine devant Orléans.

Le Il novembre, Condé, pour atténuer l'échec qu'il avait subi la veille, fit mine de présenter de nouveau la bataille en ramenant le restant de ses troupes en vue de l'armée royale ; mais ni dans un camp ni dans l'autre on n'avait envie de recommencer le combat ; et tandis que les royalistes rentraient dans Paris, où venaient d'arrêter les Espagnols du comte d'Aremberg, les huguenots se retiraient sur Montereau pour aller ensuite a la rencontre des reîtres et des lansquenets de Jean Casimir.

Coligny, avant de passer en Lorraine avec une partie de l'armée, voulut s'emparer de Sens ; mais le duc de Guise, qui suivait de près les huguenots dans leur retraite, se jeta dans cette place avant l'arrivée de l'amiral, qui, prévoyant la résistance que son jeune et implacable ennemi allait lui opposer, ne tenta même pas le siège de la ville et se dépêcha de remonter vers Troyes et de passer la Seine à Bray.

A la mort du vieux Montmorency, la charge de connétable étant devenue vacante, et Catherine de Médicis ne voulant en disposer en faveur de personne, le roi se vit obligé bien malgré lui de confier la lieutenance générale du royaume à son frère Henri, dont il était jaloux non sans raison. Il n'osa pas résister à la volonté de sa mère, mais il ne put s'empêcher de lui dire : Tout jeune que je suis, Madame, je me sens assez fort pour porter l'épée ; et quand cela ne serait pas, mon frère, plus jeune que moi, y servit-il plus propre ?

Ce fut donc le duc d'Anjou qui, en sa qualité de lieutenant général du royaume, fut chargé de conduire l'armée destinée à empêcher Coligny d'opérer sa jonction avec les reîtres et les lansquenets. Il est vrai que si le jeune prince avait le titre, le commandement appartenait de fait au duc d'Aumale, au maréchal de Cossé et au duc de Montpensier.

Ce fut au cœur de l'hiver (1567-1568) que les deux armées se mirent en marche, l'une à la poursuite de l'autre. L'armée royale était plus nombreuse et mieux organisée ; mais son chef était trop jeune et trop inexpérimenté pour la conduire avec résolution, et de la rivalité clos lieutenants principaux naissaient des contradictions et des indécisions dont l'ennemi ne pouvait que profiter. Les protestants, sans chaussures, sans logements préparés pour les recevoir, sans vivres, obligés de camper dans la boue et de se ravitailler à l'aventure, marchaient p6niblement. L'armée royale les rejoignit vers Châlons, où eut lieu une légère escarmouche, et ils auraient été infailliblement taillés en pièces si Cossé, qui commandait l'avant-garde pour le duc d'Anjou se fût porté avec plus de promptitude sur le lieu du combat. Malgré leur fatigue, au milieu de la pluie et par des chemins remplis de fondrières, les huguenots reprirent leur marche avec tant de vitesse, qu'ils disparurent aux yeux des catholiques et purent se mettre en sûreté de l'autre côté de la Meuse, qu'ils passèrent à Saint-Mihiel. L'armée de Monseigneur, dit la Noue, voyant cet éloignement, se désista de la poursuite. Le roi, en apprenant ce fait, écrivit à Guise et à d'Aumale (qui, avec Tavannes, avaient passé en Lorraine) de livrer bataille ; mais les Guises n'étaient plus en mesure de combattre avec chance de succès Condé et Coligny, dont les forces venaient d'être triplées par l'arrivée des renforts que leur amenait Jean Casimir, un des fils de l'électeur palatin.

Cependant on put croire d'abord que ces renforts n'arriveraient pas, et ensuite qu'ils ne seraient d'aucun secours ; car la première chose que demandèrent les reîtres ce fut qu'on les payât. Il leur fallait cent mille écus ; mais cette somme, promise à Condé par la reine Élisabeth, n'était, ni dans les poches du prince ni dans celles de l'amiral. Pour ne pas perdre les bénéfices de ces renforts tant attendus, princes, officiers et goujats de soldats donnèrent leurs chaînes d'or, leur vaisselle d'argent, leurs bagues, tous leurs joyaux, ce qui, joint au numéraire dont ils disposaient, forma une somme d'environ quatre-vingt mille écus dont, les mercenaires allemands daignèrent se contenter momentanément[13].

L'armée de Condé n'était plus composée désormais d'une bande de fuyards ; aux lansquenets et aux reîtres étaient venus se joindre une foule de gentilshommes bien armés et suivis d'une nombreuse escorte. Le prince, qui savait tout l'avantage de sa situation, voulut, avant de répondre aux offres que lui faisait Catherine de Médicis, effrayer la cour par un coup éclatant. Il traversa la France en vainqueur, et vint inopinément mettre le siège devant Chartres. Mais Lignières, qui commandait cette place, loin de se laisser intimider par les forces qui allaient l'assaillir, se montra résolu à ne céder qu'à la dernière extrémité.

Catherine de Médicis, qui, sous la majorité de Charles IX, était plus puissante que jamais, parce que ses actes étaient sanctionnés par le roi, quitta Paris, le 3 janvier 1568, se transporta dans le camp royal, où elle destitua des généraux, et distribua les commandements selon sa fantaisie ; ensuite elle vint à Châlons, où elle se rencontra avec le cardinal de Châtillon, chargé par les confédérés de lui porter des paroles d'accommodement. L'entrevue de Châlons n'ayant pu amener aucune solution, un second rendez-vous fut fixé à Vincennes, et enfin un troisième à Longjumeau, où assistèrent en qualité de plénipotentiaires Gontaut de Biron et Mesme pour le roi, et le cardinal de Châtillon et son conseil pour les confédérés. Les envoyés d'Angleterre et de Florence y assistèrent également en qualité d'arbitres.

Condé se prêtait volontiers à une prompte résolution ; mais Coligny, plus froidement ambitieux, plus énergique et moins confiant dans la valeur des promesses écrites ou verbales qu'il était toujours facile d'arracher à la reine mère, se montrait plus tenace, plus exigeant. Malgré

amiral, les négociations aboutirent, et la paix fut signée et publiée le 23 mars.

D'après le traité de Longjumeau, qui fut appelé paix boiteuse ou mal assise, à cause des ambassadeurs Biron, qui était boiteux, et Mesme, seigneur de Malassise, le roi pardonnait à tous ceux qui avaient pris les armes contre lui, payait les troupes étrangères appelées par les deux partis et les renvoyait dans leurs pays, promettait l'exécution singulière de l'édit de 1563 ; moyennant quoi les confédérés s'engageaient à déposer les armes et à rendre au roi les places dont ils s'étaient emparés.

Tandis que Castelnau était envoyé près des reîtres pour leur apporter beaucoup plus de promesses que d'argent, ce qui était loin de les satisfaire, et parvenait non sans peine à les faire sortir du territoire, catholiques et protestants s'empressaient déjà de prendre leurs mesures pour violer leur parole. Les catholiques ne désarmaient pas, et les protestants ne rendaient que les places qu'il leur était impossible de défendre. Catherine de Médicis avait débarrassé le royaume des mercenaires allemands ; mais elle s'était bien gardée de licencier les Suisses et les Espagnols.

D'autre part, les huguenots avaient conservé Castres, Sancerre, Albi, Montauban, et surtout la Rochelle, où Coligny devait bientôt chercher un refuge.

La paix boiteuse avait été bien nommée ; nul ne croyait a sa durée, et en parlant d'elle les religionnaires étaient les premiers à dire : Nous avons fait folie, ne trouvons donc estrange si nous la beuvons. Toutes-fois il y a apparence que le breusvage sera bien amer[14].

Les deux partis, animés d'une même haine, faisaient entendre les mêmes plaintes et les mêmes récriminations. Les huguenots se plaignaient d'être gênés dans l'exercice de leur religion, d'être menacés dans leur vie et dans leur liberté par les mesures militaires que le roi avait prises en renforçant certaines garnisons ; par l'établissement de l'inquisition dans les Flandres, qu'ils considéraient comme une menace à leur adresse ; par l'organisation des sociétés ou confréries dans les villes, sous prétexte de religion, mais, en effet, pour faire contre eux des complots cachés[15]. Toutes ces récriminations se terminaient par un débordement d'injures contre le cardinal de Lorraine, qui était décidément passé à l'état de bête noire dans le camp huguenot.

Les catholiques rappelaient sans cesse au roi, qui ne s'en souvenait que trop, les demies troubles de Meaux et l'obstination que mettaient les réformés à ne pas rendre les places qu'ils détenaient, tandis qu'ils passaient la frontière pour aller combattre dans les rangs des Gueux, contre le duc d'Albe, l'allié de la France. D'autre part, les protestants levaient les impôts dans les contrées où ils étaient en majorité, et n'envoyaient pas l'argent au roi, etc. etc.

Cet état de violente agitation, au lieu d'être calme par les ministres des deux religions, qui auraient dû chercher à 'apaiser les esprits, était, au contraire, plus excité encore dans les prêches et dans les sermons par la propagation de doctrines qui n'avaient rien de chrétien ni de part ni d'autre. C'était la haine farouche, née des vengeances personnelles, se couvrant du manteau sacré de la religion, tandis qu'en réalité la religion planait, auguste et sereine, au-dessus de ces discordes civiles.

Après les paroles, les actes ; dans une foule de villes, les catholiques, sous le moindre prétexte, se livraient contre les huguenots à de terribles vengeances ; et dari d'autres, les protestants commettaient contre les catholiques les attentats les plus atroces.

Les conseils de la sagesse et de la modération n'étaient plus écoutés ; la reine, qui n'avait plus confiance dans le conseil ordinaire du roi, forma une sorte de conseil occulte dont le cardinal de Lorraine était l'âme, et dont le chancelier Michel de l'Hôpital, suspect de favoriser les calvinistes, fut exclu, en attendant que les sceaux lui fussent demandés, ce qui ne tarda pas[16]. C'est de ce conseil occulte que sortit, selon Davila, le conseil privé, et c'est par opposition au parti catholique, alors tout-puissant à la cour, que se forma à cette époque le parti dit des politiques, qui devait aussi jouer son rôle un peu plus tard.

Sous différents prétextes, les princes confédérés poussaient avec une effrayante activité les armements des religionnaires et opéraient leur concentration. La reine de Navarre, Jeanne d'Albret, amenant avec elle son jeune fils, Henri de Béarn, arrivait à la Rochelle à la tête de quatre mille hommes ; Condé, à qui Catherine de Médicis avait fait demander le remboursement des sommes payées aux reîtres allemands, quittait Noyers avec toute sa famille et avec la femme de d'Andelot, et pénétrait aussi dans la Rochelle, où plusieurs autres chefs protestants, parmi lesquels Coligny, vinrent le rejoindre, tandis que d'Andelot, Soubise, la Noue, Montgomery, Noisi, d'Acier, Mornillier, soulevaient les provinces ou ils se trouvaient, et préparaient à Condé la plus formidable armée que ce prince eût jamais commandée.

C'était la troisième guerre de religion qui allait éclater.

 

 

 



[1] Sismondi, l'historien protestant, est lui-même obligé de reconnaître que la confédération protestante et les alliances qu'elle contractait avec les étrangers étaient contraires à la paix du royaume et à l'exercice de l'autorité royale. (Histoire des Français, t. XIX, p. 456.)

[2] Lettre du prince de Joinville au duc de Guise, son père, 27 avril 1552. (Bibliothèque Nationale, manuscrit Gagnières.)

[3] Lettre du prince de Joinville au duc de Guise, son père, 27 avril 1552. (Bibliothèque Nationale, manuscrit Gagnières.)

[4] On remarquoit dans toutes ses actions une douceur mêlée de hardiesse qui inspiroit le respect et la crainte à ceux qui le regardoient. Il étoit infatigable au travail, de complexion si robuste que rien n'altéroit sa santé. Il mangeoit peu, et cependant sa disposition pour les armes estoit jointe avec une force et une agilité si prodieuses que les fonctions de la guerre les plus pénibles des simples soldats ne l'incommodoient point ; et durant la paix il prenoit plaisir à nager, armé de toutes pièces, contre le courant d'une rivière rapide. (Histoire de Charles IX, par le sieur de Varillas, liv. VI, t. II.)

[5] Anquetil.

[6] Davila.

[7] Mémoires de M. de Castelnau, liv. VI.

[8] Castelnau, livre VI. — Mémoires de Turenne, depuis duc de Bouillon.

[9] René de Bouillé. Oudin. Morlot.

[10] Mémoires de G. de Saulx-Tavannes.

[11] Mémoires de la Noue, liv. XIV.

[12] En réalité, il en avait plus que cela. Les forces protestantes se composaient de dix-huit cents chevaux et quinze cents fantassins. Il est vrai que le connétable pouvait mettre en ligne de bataille quinze mille hommes de pied ou de cheval et quatorze pièces de canon.

[13] La Noue, Bouillon, Tavannes. — Mémoires pour servir à l'histoire de France. Collection Michaud et Poujoulat.)

[14] Mémoires de la Noue.

[15] De Thou, liv. XLIV.

[16] Le chancelier l'Hôpital fut relevé de sa charge le 7 octobre 1568, et eut pour successeur Birague.