HENRI DE GUISE LE BALAFRÉ

 

CHAPITRE PREMIER.

 

 

En quel état de misère épouvantable les guerres civiles avaient réduit la France au milieu du XVIe siècle. — Situation des partis après la mort de François de Lorraine, duc de Guise (1563). — Desseins absurdes de Catherine de Médicis. — Négociations entre Condé et Montmorency. — L'édit d'Amboise (19 mars 1563). — Mécontentement des calvinistes et des catholiques. — Licenciement des troupes étrangères. — Reprise du Havre sur les Anglais par Brissac. — Mort de ce maréchal. — Situation financière de la France. — Le chancelier Michel de l'Hôpital propose au parlement l'aliénation d'une partie des biens du clergé.— Quelques considérations sur cette mesure illégale et sur la politique du chancelier. — Charles IX proclamé majeur par le parlement de Normandie. — Le cardinal Charles de Lorraine au concile de Trente. — Ce prélat est chargé de rédiger les acclamations, et s'attire le mécontentement de Catherine de Médicis. — Fin du concile. — Retour du cardinal à la cour. — Dissentiments entre lui et le chancelier. — Le cardinal retourne dans son diocèse. — Voyage du roi en Lorraine et dans toutes les provinces. — La cour se rend à Bayonne (14 juin 1565). — Négociations infructueuses entre la cour de France et le duc d'Albe. — Blaise de Montluc, le duc de Montpensier et le cardinal de Guise. — La politique de la reine mère. — Marguerite de Valois, Charles IX, Henri de Béarn et Henri de Lorraine, duc de Guise.

 

Au commencement de l'année 1563, la France offrait un spectacle vraiment digne de pitié.

Tous les partis étaient en armes, la guerre civile désolait toutes les provinces ; le massacre, l'incendie, le vol à main armée répandaient partout la terreur et la misère. On vit alors les paysans abandonner la charrue, les ouvriers et les industriels leurs outils et leurs comptoirs pour prendre l'escopette ou l'arquebuse, et, de paisibles et laborieux citoyens qu'ils étaient jusque-là, devenir de véritables bandits, faisant souffrir à d'autres innocents tous les maux dont ils avaient souffert eux-mêmes.

Castelnau, dans ses Mémoires, fait un tableau saisissant de la situation de la France à cette époque

Les villes et villages, dit-il, estans saccagés, pillés et bruslés, s'en alloient en déserts ; et les pauvres laboureurs, chassés de leurs maisons, spoliés de leurs meubles et beslail, pris à rançon, et volés aujourd'hui des uns, demain des autres, de quelque religion ou faction qu'il fussent, s'enfuyaient comme bestes sauvages, abandonnans tout ce qu'ils avaient pour ne demeurer à la miséricorde de ceux qui estoient sans mercy.

Et pour le regard du trafic, qui est fort grand en ce royaume, il y estait aussi délaissé et les arts méchaniques ; car les marchands et artisans quittaient leurs boutiques et leurs mestiers pour prendre la cuirasse. La noblesse estoil divisée et l'état ecclésiastique opprimé, n'y ayant aucun qui fust assuré de son bien ny de sa vie. Et quant à la justice, qui est le fondement des royaumes et républiques et de toute la société humaine, elle ne pouvait estre administrée, veu que ; où il est question de la force ou violence, il ne faut plus faire estat du magistrat ny des lois. Enfin la guerre civile estait une source inépuisable de toute meschancetés, de larcins, voleries, meurtres, incestes, adultères, par parricides et autres vices énormes que l'on pust imaginer, esquels il n'avoit ny bride ny punition aucune.

Tous les historiens et tous les commentateurs du temps font le même tableau de cette époque sinistre, et de l'état de misère, de ruine et de deuil où les soi-disant réformateurs de la religion avaient plongé leur patrie, jusqu'alors si prospère, en levant l'étendard de la révolte.

Le duc de Guise, François de Lorraine, celui que l'histoire a surnommé le Grand, venait de succomber sous les coups de Poltrot de Méré, la veille, peut-être, du jour où il allait s'emparer d'Orléans, qu'il assiégeait, pour se porter ensuite contre Coligny, qui ravageait la Normandie, et chasser les Anglais de la ville du Havre dont les protestant leur avaient ouvert les portes[1].

La mort de ce héros laissait Catherine de Médicis maîtresse absolu des destinées de la Franco, et livrait presque les catholiques à la merci d'une cour incapable de résister aux fantaisies d'une reine dont l'ambition était l'unique mobile de tous ses actes.

Antoine de Bourbon était mort de la blessure qu'il avait reçue devant Rouen ; Saint-André avait été tué à la bataille de Dreux ; Montmorency avait été fait prisonnier dans cette même journée, et le duc de Guise venait d'être lâchement assassiné. Le cardinal Charles de Lorraine était au concile de Trente, où il discutait les affaires du royaume et les affaires de l'Église, et aucun des autres capitaines, des princes, des prélats et des grands seigneurs de cette époque n'avait assez de prestige ni assez de génie pour prendre le commandement du parti catholique.

Bien que le prince de Condé eût été fait prisonnier aussi à la bataille de Dreux, les pertes que les protestants avaient éprouvées pendant cette campagne étaient infiniment moins sensibles. D'Andelot se voyait réduit, il est vrai, à la dernière extrémité dans Orléans, assiégé par une armée que la mort de son chef bien-aimé n'avait fait qu'exciter contre ses ennemis. Mais Coligny, à la tête d'une nombreuse noblesse, fort du concours que lui prêtaient la reine Élisabeth et les princes luthériens allemands, se croyait en situation de dicter des lois à Catherine de Médicis et au chancelier Michel de l'Hôpital.

La reine manifesta de profonds regrets devant le lit de mort du héros que la France venait de perdre ; mais il est permis de douter de la sincérité des larmes qu'elle versa. Cette mort la débarrassait d'un adversaire qu'elle redoutait entre tous, autant à cause de ses talents que pour la noblesse et la fermeté de son caractère.

Guise mort, Catherine espérait avoir facilement raison des autres princes de la maison de Lorraine, ainsi que de Montmorency, de Condé et de d'Andelot. Un seul peut-être la gênait encore, c'était Coligny. Mais Coligny était en Normandie, et aussi n'eut-elle un moment de repos jusqu'à ce qu'elle eût, fait signer par Condé les principaux articles du traité de paix.

Toutefois les historiens rapportent, de Thou entre autres, que tandis que Catherine de Médicis envoyait ses émissaires, Henri Clutin d'Oysel et l'évêque de Limoges, auprès [le la femme du prince de Condé et de d'Andelot, elle dépêchait en même temps, en le nantissant de lettres de créance, le sieur Rascalon auprès du prince Christophe de Wurtemberg.

Le dessein, — absurde et digne de l'esprit vague d'une femme toujours douteuse, selon les propres expressions de de Thou, — le dessein, disons-nous, que nourrissait Catherine de Médicis, était d'appeler en France un prince étranger pour le placer en quelque sorte à la tête de l'État, et pour qu'il réglât les choses à sa fantaisie en temps de paix comme en temps de guerre[2].

Heureusement pour la France que cette humiliation et ce surcroît d'embarras lui furent épargnés par le duc de Wurtemberg lui-même ; il refusa la mission qui lui était offerte, se bornant à conseiller à la reine de faire observer les articles de l'édit de janvier, et surtout de faire publier une confession de foi sur le modèle de celle d'Augsbourg.

Les négociations avec le prince allemand en restèrent là, et, sur les vives instances de la princesse Éléonore de Roys, le 7 mars 1563, une assemblée fut tenue à l'Île-aux-Bœufs, près d'Orléans, pour traiter des conditions de la paix.

Montmorency, qui était prisonnier de d'Andelot, et Condé, qui était confié à la garde de d'Anville, fils cadet du connétable, furent tous deux mis en liberté et assistèrent à la réunion.

Il y eut de part et d'autre échange d'injures et de violentes récriminations. Le connétable déclara hautement, dès l'ouverture des pourparlers, qu'il ne consentirait jamais à signer un édit semblable à celui de janvier[3]. Les protestants voulaient obtenir, comme minimum de garanties et de libertés, les conditions contenues dans ce même édit. Condé put pénétrer dans Orléans pour conférer avec les ministres de la religion réformée, au sujet des conditions qui étaient proposées par les princes pour apaiser les troubles et pacifier le royaume.

Il y avait dans Orléans soixante-douze ministres de la religion protestante, qui, après délibération tenue entre eux, vinrent le lendemain présenter à Condé les principaux articles qu'ils voulaient voir figure dans le traité en cours de négociations.

Condé, qui était prisonnier et qui inclinait vivement pour la paix, répondit qu'il ne suivrait en cette circonstance que les conseils de la noblesse protestante. Or, comme la noblesse était lasso, non moins que le peuple, d'une guerre aussi meurtrière que ruineuse, les clauses du nouvel édit furent bientôt arrêtées. Par cet édit, qui a pris le nom d'édit d'Amboise, parce qu'il fut signé par le roi dans cette ville (19 mars 1563), il était permis aux gentilshommes qui étaient seigneurs absolus dans leurs terres, de faire profession libre et publique de leur religion en leur maison et avec leurs sujets.

Qu'en tous les bailliages et séneschaussées, il y auroit une ville assignée aux huguenots pour l'exercice de leur religion, outre les villes esquelles l'exercice se faisait auparavant le septiesme jour de mars, qui fut le jour que l'édict fut conclu, sans toutesfois qu'il fust permis aux huguenots d'occuper les églises des catholiques, qui devoient être restitués en leurs biens, avec toute liberté de faire le service divin comme il se faisait auparavant les guerres ;

Qu'en la ville et prévosté de Paris il ne se feroit aucun exercice de la religion réformée, que l'on appelloit pour lors ainsi ; et néantmoins que les huguenots y pourraient aller avec seurete de leurs biens, sans estre recherchés au fait de leurs consciences ;

Que tous les estrangers sortiraient de la France le plus tost que faire se pourrait ; et toutes les villes que tenaient les huguenots seroient remises en la puissance du roy ;

Que tous sujets de Sa Majesté seroient remis en leurs biens, estats, honneurs et offices, sans avoir esgard aux jugements rendus contre les huguenots depuis la mort du roy François Second, qui demeureroient cassés et annulés, avec abolition générale octroyée à tous ceux qui avoient pris et porté les armes ;

Que le prince de Condé et tous ceux qui l'avoient suivy seroient tenus et réputés comme bons et loyaux sujets du roy, et qu'ils ne seroient recherchés pour les deniers et finances de Sa Majesté par eux prises durant la guerre, ny pour les monnoyes, poudres, artilleries, démolitions faites par le commandement du prince de Condé ou des siens à son adveu ;

Que tous prisonniers, tant d'une part que d'autre, seroient es ares sans payer aucune rançon, fors et excepté les larrons et voleurs ;

Défendu à tous, de quelque religion qu'ils fussent, de s'injurier ny reprocher les choses passées, sur peine de la hart, ny de faire aucun traicté avec les estrangers, ny lever aucuns deniers sur les sujets du roy ;

Que l'édict seroit lu, publié et enregistré en tous les parlements du royaume[4].

Lorsque Coligny, qui était en Normandie, eut connaissance de cet édit, il fut outré de colère et s'écria : Ce trait de plume ruine plus d'églises que toutes les forces ennemies n'auraient pu en abattre en dix ans.

Calvin et Théodore de Bèze firent aussi à Condé les plus vifs reproches sur l'empressement qu'il avait mis à signer un traité de paix qu'ils considéraient comme la ruine de toutes leurs prétentions.

De leur côté, les catholiques se montraient vivement irrités des concessions accordées aux protestants. Ils avaient pris les armes, ils avaient sacrifié leur fortune et leur vie, ils avaient vu tomber sur les champs de bataille ou sous les coups de misérables assassins leurs chefs les plus expérimentés ; et tant de sacrifices n'avaient abouti qu'à donner eu quelque sorte gain de cause à ceux qu'ils considéraient comme les ennemis du royaume et les ennemis de la religion de leurs pères.

Il était donc facile de comprendre, dès le premier jour, que l'édit d'Amboise, au lieu d'inaugurer l'ère d'une paix sérieuse et durable, servirait tout au plus de prétexte à une trêve dont la durée serait plus ou moins longue, mais qui serait rompue à la première occasion. Cette occasion, du reste, tous les partis avaient hâte de la faire naître.

Nous nous sommes appesanti sur la situation que présentait la France le lendemain de la mort du duc de Guise, afin de bien faire apprécier l'importance du rôle que le fils du héros qui venait de disparaître allait avoir à jouer dans un pays si profondément divisé, où les passions et les haines étaient si ardentes et si fatalement disposées à servir ses projets de vengeance.

Le parlement de Paris et ceux de province se refusaient énergiquement à enregistrer l'édit qui leur était présenté. L'Hôpital parvint cependant à vaincre tous les scrupules, et, malgré les récriminations des uns, les hésitations des autres et la mauvaise humeur de tout le monde, la paix était si universellement désirée que l'édit fut enregistré et que les partis déposèrent enfin les armes.

Les compagnies étrangères que les protestants avaient appelées à leur secours furent licenciées et reconduites à la frontière. Il se passa ici ne fait qui mérite d'être rapporté.

Ces compagnies étaient surtout composées d'Allemands, connus sous le nom de reîtres. Deux sauf-conduits avaient été délivrés à ces terribles alliés. Mais pour qu'ils ne pussent revenir dans le royaume de France, Catherine de Médicis écrivit à Tavannes pour lui ordonner de les massacrer impitoyablement pendant qu'ils traverseraient la Bourgogne. Tavannes s'y refusa prudemment, sachant qu'il serait désavoué par la reine, et qu'il se ferait des ennemis des princes du sang, qui tomberaient sur lui comme infracteur à la paix[5].

La paix conclue, les calvinistes rendirent Orléans, Lyon, enfin toutes les villes dont ils s'étaient emparés, et l'on vit alors catholiques et huguenots, Montmorency et Condé en tête, marcher sous les mêmes étendards contre les Anglais, qui étaient maîtres du Havre.

Si les restes de l'armée fédérée marchèrent avec un noble enthousiasme contre les ennemis séculaires de la France, il est triste d'être obligé de reconnaître que l'austère Coligny fut le seul à s'élever dans le conseil du roi contre le siège de cette ville.

Ce fut le brave et loyal maréchal de Brissac qui contribua le plus à chasser, pour la dernière fois, les Anglais de notre territoire. C'est par ce haut fait d'armes que ce grand capitaine, si illustre par les exploits qu'il accomplit dans le Piémont sous le règne du roi Henri II, termina sa carrière militaire. Il mourut le dernier jour de l'année 1563.

Pour subvenir aux frais de cette nouvelle guerre, le chancelier s'était vu dans l'obligation d'avoir recours à une mesure extrême. Voici quelle était à peu près la situation financière de la France en ce moment : la dette publique était de quarante millions ; il fallait trouver immédiatement dix-huit millions pour solder les compagnies étrangères appelées par tous lés partis, et l'on ne pouvait compter que sur une recette de huit millions. Le chancelier proposa au parlement l'aliénation d'une partie des biens du clore. Cette mesure souleva de grandes protestations ; le pape lui-même s'en plaignit au chancelier ; mais l'urgence était telle, que le parlement se vit dans la nécessité de ratifier la proposition qui lui était faite, moyennant la condition que le clergé pourrait se rendre lui-même acquéreur de ses propres biens.

Voici en quels termes s'exprime M. Villemain sur ce passage de la vie du chancelier de l'Hôpital, qui se trouve dans ses Études d'histoire moderne :

L'Hôpital écrivit au souverain pontife une lettre pleine de candeur et de fermeté, où, répondant au reproche de ses ennemis, il déclarait que, fidèle à l'Église, à la foi catholique, il aurait voulu seulement réformer les scandales et le luxe qui nuisaient à la religion. Sans doute, disait-il en finissant, j'ai eu tort de lutter contre ce torrent, j'eusse peut-être mieux fait de m'accommoder aux temps présents ; mais, très Saint-Père, telle est ma façon d'être, que l'âge m'a rendu encore plus difficile et plus fâcheux.

Pour comprendre combien étaient fondées les protestations que fit entendre le parlement lorsque le chancelier proposa cette mesure de rigueur, il faut se rappeler qu'à cette époque le clergé supportait une grande partie des charges qui pèsent aujourd'hui sur le budget de l'État. C'était le clergé qui entretenait les hôpitaux et les maisons de retraite destinées aux malades, aux incurables, aux infirmes, aux vieillards et aux enfants pauvres ou abandonnés. Dans tous les couvents, abbayes, églises, etc., les malheureux n'avaient qu'à se présenter pour avoir les aliments et les secours qui leur étaient nécessaires.

Cette éducation gratuite et à tous les degrés que l'on désire tant à notre époque, les évêques la répandaient à flots dans leurs diocèses, par les séminaires et les facultés qu'ils entretenaient à leurs frais, et d'où sont sortis les plus grands savants dont notre patrie s'honore.

Enfin, c'était aussi au clergé qu'appartenait le soin d'encourager les arts et les artistes. Les chefs-d'œuvre du moyen âge et de la renaissance, monuments historiques d'une incomparable valeur, disent encore éloquemment avec quelle intelligence et quelle libéralité ces prélats, ces prêtres et ces moines, tant décriés de nos jours par certains écrivains et hommes politiques, s'efforçaient d'inspirer le goût du beau idéal.

Toucher aux biens du clergé, ce n'était donc pas seulement porter la main sur des propriétés légitimes et violer les lois civiles du royaume ; c'était priver les pauvres de leurs principales ressources, exposer les malades, les vieillards et les infirmes à toutes les horreurs de la misère, et arrêter l'essor artistique, littéraire et scientifique du pays.

En rappelant le noble et pieux usage que le clergé faisait de sa fortune, nous n'entendons pas excuser les abus et les prévarications qui sont inhérents à toutes les institutions humaines. Mais, en faisant supporter au clergé seul les charges de la couronne, le chancelier ne détruisait aucun abus, n'apportait aucune réforme utile dans l'administration du bien que possédait ce grand corps de l'État ; au contraire il achevait d'ouvrir la porte à l'arbitraire et à la spoliation au grand détriment de la chose publique. C'est pourquoi le parlement n'approuva cette mesure qu'à regret, et le souverain pontife se vit dans l'obligation de la condamner.

Une foule d'historiens, M. Villemain entre autres, ont un peu trop exploité contre les catholiques du xvi0 siècle la haute réputation d'indépendance, de droiture et de fermeté de caractère dont est entouré la mémoire du chancelier Michel de l'Hôpital.

Parce que le garde des sceaux faisait profession de catholicisme et qu'on le vit, en plus d'une circonstance, prendre fait et cause pour les protestants, on en conclut que le bon droit et la justice étaient presque toujours du côté des réformés. On oublie seulement que l'Hôpital avait laissé sa femme adopter le protestantisme, et qu'il avait fait élever sa fille unique dans le sein d'une religion qui n'était pas la sienne ; ce qui prouve en somme que ses sentiments religieux étaient assez vagues pour lui permettre avec sa conscience certains accommodements dont on trouve des marques éclatantes dans sa vie politique.

Par le traité d'Amboise, qui fut, exclusivement son œuvre, Michel de l'Hôpital a donné la mesure sans doute des bonnes intentions dont il était animé, mais il n'a fait preuve ni de clairvoyance politique ni de fermeté d'esprit.

Dans les moments de crise semblable à celle que la France traversa au XVIe siècle, il aurait fallu un génie plus puissant et une main plus forte pour dominer les partis et leur imposer des lois. Ce n'était pas avec des compromissions que ne devaient accepter ni les catholique ni les protestants que l'on pouvait rendre au royaume les bienfaits d'une paix durable. Richelieu comprit cette vérité et si l'on n'a pas dit de lui, comme on a dit de Michel de l'Hôpital, qu'il devança son siècle, il eut du moins l'immense mérite d'étouffer les discordes civiles dans leur germe, et d'inaugurer pour son pays une ère de grandeur et de prospérité qui depuis n'a jamais été égalée.

Après l'édit de pacification et après la prise de la ville du Havre, où Catherine de Médicis et son fils Charles IX firent une entrée triomphale, le chancelier n'eut plus d'autre souci que de faire proclamer la majorité du roi par le parlement de Normandie : ce qui déplut fort au parlement de Paris, qui voulait seul avoir ce privilège, et ce qui contraria encore davantage le prince de Condé, le connétable de Montmorency, l'amiral de Coligny, et enfin tous ceux qui pouvaient avoir quelques prétentions au gouvernement de la France, quel que fût le parti auquel ils appartinssent.

Charles IX avait alors treize ans et demi, et, pour le faire proclamer majeur à cet âge, il fallut que le chancelier interprétât d'une façon assez étrange l'édit de Charles V[6] sur la majorité des rois. Mais enfin, la majorité du roi fut reconnue par le parlement de Normandie ; le parlement de Paris et ceux des autres provinces enregistrèrent l'arrêt, et force fut aux mécontents d'accepter une décision qui ruinait en partie leurs espérances et leurs ambitions.

Pendant ce temps, les prélats de toute la catholicité, réunis à Trente, terminaient leurs grands travaux et leurs longues et pénibles délibérations sur les réformes intérieures de l'Église. Le cardinal de Lorraine, frère de François de Guise, prenait dans les discussions du concile toute la part qui revenait à sa haute influence, à la considération qui s'attachait à son nom, et à la grande réputation de théologien et d'orateur dont, il était universellement entouré.

A la tête des prélats français, et d'accord avec les évêques et les archevêques du saint-empire, il demandait au concile la communion sous les deux espèces, l'usage des prières en français, le rétablissement du prône dans les églises paroissiales, l'instruction et le sermon à la messe, le catéchisme pour les enfants, et la collation des bénéfices à des sujets capables et irréprochables dans leurs mœurs et dans leurs doctrines[7].

Un des rêves les plus chimériques qui aient germe dans l'esprit du cardinal, doué cependant d'une intelligence si pratique et d'une connaissance si profonde des hommes de son époque, était, non seulement de séparer les calvinistes des luthériens, mais encore d'établir une transaction entre le calvinisme et le catholicisme, et d'en arriver ainsi a une sorte de fusion entre deux doctrines si opposées.

Déjà, au colloque de Poissy, le cardinal n'avait pas été éloigné de souscrire à certains articles présentés par le célèbre Théodore de Bèze[8]. A Trente, il semblait aller plus loin encore. Pour ramener les calvinistes dans le sein de l'Église, il demandait la concession du mariage des prêtres et l'autorisation de jouir des biens ecclésiastiques qu'ils avaient usurpés[9].

Ces exigences soulevaient d'immenses et légitimes protestations de la part des évêques italiens et espagnols. Le pape et Philippe II manifestaient hautement l'indignation que leur causait l'exposé de telles doctrines. Cependant, lorsque le concile apprit la mort de François de Lorraine, la consternation fut générale et il sembla vraiment que, dans ce moment de crise terrible que traversait la religion, l'Église romaine venait de perdre le seul homme qui pouvait la défendre contre les forces conjurées des luthériens et des calvinistes.

Le cardinal quitta le concile pour retourner à Rome, où le Saint-Père l'attendait et où il fut reçu par Pie IV avec les marques de la plus flatteuse distinction. Il logea dans le palais pontifical, et tous les cardinaux présents à Rome s'empressèrent autour de lui et lui firent une cour aussi assidue qu'à un souverain.

Lorsque Charles de Lorraine retourna au concile, qui touchait a sa fin, loin de manifester les mêmes exigences qu'autrefois, il sembla que la mort de son frère l'eût fait renoncer à toutes ses idées de réforme ; il se montra dès lors aussi conciliant et d'humeur aussi facile que les cardinaux les plus ultramontains pouvaient le souhaiter.

Le concile termina ses travaux sur les réformes à apporter à l'Église catholique, et se sépara par des acclamations qui furent aussi pacifiques que la reprise de ses discussions avait été orageuse.

C'est Charles de Lorraine qui fut chargé de composer les acclamations ; mais au lieu de les faire lire par un diacre, ainsi qu'il était d'usage, il les entonna lui-même à haute voix, ce qui n'était nullement dans ses fonctions.

Ce qui devait surtout lui attirer le mécontentement de Catherine de Médicis, c'est que, par une inadvertance inexplicable, il oublia, dans les acclamations, de mentionner François ter et Henri II, tandis qu'il venait donner des bénédictions à la mémoire de Charles-Quint et des autres rois, promoteurs et protecteurs du concile. Il exprima des vœux pour la conservation des jours du Saint-Père et pour l'immortalité de sa gloire ; il souhaita également longue vie à l'empereur Ferdinand et à tous les souverains, omettant ici encore de mentionner spécialement Charles IX ; il remercia les légats, les cardinaux et les ambassadeurs, fit le vœu que les évêques présents eussent une existence prolongée et un heureux retour dans leurs églises, et, enfin, applaudit aux décrets du concile en s'écriant : C'est la foi de saint Pierre et des apôtres c'est la foi des Pères, c'est la foi des orthodoxes.

Avant de se séparer, l'auguste assemblée prononça ce seul mot : anathème contre tous les hérétiques sans désigner plus spécialement les anciens ou les nouveaux[10].

Avant de quitter Trente, Charles de Lorraine avait écrit à sa belle-sœur, la duchesse de Guise, qu'il serait à Nancy vers les fêtes de Noël. C'est dans cette ville qu'il espérait voir le roi et la reine. Ce ne fut qu'au mois de février (1564), cependant, qu'il vit le roi et la reine, et non pas à Nancy, mais à Paris, où la cour se trouvait alors.

Il était évident que depuis la mort de François de Lorraine les Guises étaient en défaveur. La conduite que le cardinal avait tenue au concile depuis son voyage à Rome n'était pas de nature à lui rendre les bonnes grâces de la reine mère. Le cardinal put s'apercevoir, dès les premiers moments de son arrivée, combien était grande la disgrâce dans laquelle il était tombé. Avant de lui accorder audience, la reine lui fit faire antichambre pendant plus de deux heures. Quand elle eut enfin consenti à le recevoir, Catherine de Médicis lui reprocha amèrement d'avoir sacrifié, par son adhésion à divers articles, l'autorité temporelle à la puissance spirituelle, et d'avoir ainsi porta de graves préjudices aux droits de la couronne et aux droits de l'Église gallicane. Elle ne lui pardonna pas non plus de n'avoir nommé, dans les acclamations en faveur des souverains morts ou vivants ni François Ier, ni Henri III ni Charles IX.

Le cardinal ne put parvenir à se disculper entièrement de tous les reproches qui lui étaient adressés. II dit qu'il ne pouvait disposer à Trente que de la voix des six prélats français qui étaient restés au concile, et que la lutte, dans de telles conditions, était trop disproportionnée. Relativement aux omissions qu'il avait commises dans les acclamations, il mit en avant le désir qu'il avait de voir le royaume rester en paix avec les autres souverains.

Cependant il eut la faveur de prononcer à Fontainebleau, le dimanche après son arrivée à la cour, un fort beau sermon en présence de la famille royale, de la duchesse de Ferrare et d'une foule de huguenots. Mais là, en pleine cour, il eut à subir plusieurs injures des plus outrageantes de la part des réformés.

Entre le chancelier et lui les plus graves dissentiments étaient toujours prêts à éclater. Une dispute s'éleva même entre eux, acerbe et violente de part et d'autre, dans le conseil même du roi et en présence de la reine. Le cardinal reprochait à Michel de l'Hôpital de favoriser ouvertement les réformés et de prendre fait et cause pour eux en toutes circonstances. De leur côté, la reine mère et le chancelier ne dissimulaient pas les soupçons qu'ils nourrissaient contre le prélat, de rendre le roi d'Espagne dépositaire de ses mécontentements et de chercher auprès de lui et auprès du Saint-Père les protections dont il croyait avoir besoin pour rétablir la puissance de sa maison et son propre crédit.

En cet état de guerre ouverte avec la cour, le cardinal dut, prendre le sage parti de retourner dans son diocèse de Reims pour y prescher son peuple mais sans qu'il eût abandonné pour cela le dessein qu'il avait de poursuivre et d'atteindre, les complices du meurtre de son frère.

C'est pendant le séjour qu'il fit dans son diocèse que le cardinal se montra surtout digne de l'admiration que lui témoignent plusieurs historiens contemporains.

Tandis que le cardinal semblait se livrer tout entier à l'administration de son diocèse, la cour, presque toujours en fête, se préparait à suivre le roi dans le voyage qu'il devait faire à travers ses États, et cela pour assurer partout l'exécution de ses édits et pour s'instruire des besoins de ses peuples.

Étant parti de Fontainebleau, le roi alla à Sens, puis à Troyes ; et c'est dans cette ville que fut publié, le Il avril 1564, le traité de paix qui venait d'être conclu entre la France et l'Angleterre.

De Troyes, le roi alla à Nancy, où il fit baptiser l'enfant de Madame Claude de France, sa sœur, femme du duc de Lorraine. La présence du roi et de Catherine de Médicis avait attiré à Nancy et à Bar-le-Duc les représentants de presque tous les souverains étrangers. Les ambassadeurs du pape et de Philippe II saisirent surtout cette occasion pour ébaucher une foule de projets politiques contre les protestants. C'est là, assurent plusieurs historiens, que furent posés, entre les princes et les seigneurs catholiques, les premiers jalons de la sainte union connue sous le nom de la Ligue, inspirée comme moyen de résister, par l'ensemble et par la communauté d'efforts, aux progrès hardis et féconds de la réforme[11].

Après avoir quitté la Lorraine, le roi, la reine mère et le chancelier Michel de l'Hôpital parcoururent la Champagne, la Bourgogne, le Dauphiné, la Provence, la Guyenne et le Languedoc. La cour arriva enfin à Bayonne (14 juin 1565), où Philippe II devait se rendre également, mais où il se contenta d'envoyer à sa place sa femme, la reine Élisabeth, fille aînée de Catherine de Médicis, et le célèbre duc d'Albe.

Ce n'est pas une des pages les moins curieuses et les moins instructives de notre histoire que celle des négociations sans résultat qui eurent lieu entre le duc d'Albe, aussi rusé diplomate qu'habile capitaine, et l'astucieuse Catherine de Médicis. Le duc d'Albe avait pour lui une connaissance profonde du cœur humain, et il savait avec une habileté remarquable, trouver à son maître des alliés puissants parmi les seigneurs qui faisaient escorte au jeune roi et à la reine mère. Cette tâche lui était du reste facile, soutenu qu'il 'était par la reine Élisabeth et par le cardinal de Guise, qui, autant que son frère le cardinal de Lorraine avait à cœur de poursuivre ceux qu'il considérait comme les complices de Poltrot de Méré.

Le politique impitoyable qui, un peu plus tard, devait fonder dans les Pays- Bas le conseil des troubles, autrement qualifié de tribunal de sang, sut se montrer à l'égard du duc de Montpensier, cousin du prince de Condé, et de Biaise de Montluc, l'illustre défenseur de Sienne, doux, caressant et d'une politesse pleine de flatteries.

Montpensier, en entendant le duc d'Albe lui adresser au nom de son souverain les protestations d'une vive amitié, se jeta dans les bras du ministre espagnol, l'assurant qu'il se ferait mettre en pièces pour Sa Majesté Catholique, et que, si on lui ouvrait le cœur, on y trouverait gravé le nom de Philippe.

Montluc se montra encore plus sensible peut-être aux flatteries dont il fut l'objet. En entendant le duc d'Albe lui assurer que c'était à lui seul que l'on devait cette royale entrevue, le vieux guerrier fut pris d'un accès de vanité qui lui fit perdre toute mesure dans son langage.

Bref, le cardinal de Guise, le duc de Montpensier et Blaise de Montluc firent connaître au duc d'Albe les moyens qui, selon eux, étaient les plus propres pour en finir avec les hérétiques. Ces moyens, d'une violence extrême, devaient sourire à l'implacable ministre de Philippe II ; mais Catherine de Médicis et le chancelier Michel de l'Hôpital, qui avaient d'autres projets et d'autres vues politiques, sans repousser directement les propositions qui leur étaient faites, éludaient sans cesse les questions, opposant une force d'inertie calculée à l'activité prodigieuse que dépensait le duc d'Albe.

Il n'était pas jusqu'au jeune roi qui n'eût parfaitement appris sa leçon. L'ambassadeur de Philippe II lui ayant un jour recommandé de ne pas épuiser ses forces à la chasse, afin de les réserver pour châtier les hérétiques, le roi lui répondit avec vivacité : Oh ! pour prendre les armes, il n'y faut pas songer. Je n'ai pas envie de ruiner mon royaume, ainsi qu'on avait commencé de le faire en s'engageant dans les deux guerres précédentes[12].

Les négociations traînaient ainsi en longueur au milieu des fêtes et des réjouissances dont Madame Marguerite, connue sous le nom de la reine Margot, nous a laissé quelques aperçus dans ses Mémoires. Cependant la reine mère ne put se dispenser, sur les instances de sa fille Élisabeth d'accorder au duc d'Albe une entrevue où celui-ci demanda que le jeune roi éloignât de son conseil le chancelier Michel de l'Hôpital comme étant suspect d'hérésie, et que les mesures les plus énergiques fussent prises contre les protestants.

La reine ne voulut jamais consentir à se séparer de son principal conseiller, et sa politique lui commandait d'user de ménagements à l'égard des principaux chefs calvinistes. C'est à cette occasion que le duc d'Albe dit à Catherine de Médicis : Dix mille grenouilles ne valent pas la tête d'un saumon.

Catherine de Médicis et le chancelier Michel de l'Hôpital se flattaient de pacifier le royaume et de ramener l'unité de roi et de doctrines à l'aide d'une assemblée gallicane. Ce qui faisait dire au duc d'Albe dans une lettre adressée à Philippe II, où il l'informait de ce moyen d'accommodement : Plaise à Dieu que le raccommodage ne soit pas d'un drap si différent de l'étoffe, que cette mesure n'aboutisse qu'à introduire un excès de liberté dans les consciences pour augmenter les désordres et les calamités qui affligent le royaume[13].

Cependant Catherine feignit de ne repousser aucune des propositions du duc d'Albe, mettant pour conditions de son acceptation le consentement de Philippe II aux projets matrimoniaux qu'elle nourrissait. Elle demandait, pour sa fille Marguerite la main de don Carlos, fils de Philippe II et pour son fils le duc d'Anjou, qui fut plus tard Henri III, la main de la princesse de Portugal ou de toute autre parente de Philippe.

Sans s'opposer à ces projets d'union, le roi d'Espagne voulait qu'à son tour la reine Catherine de Médicis engageât la France dans la ligue qui venait d'être formée contre les Turcs. A cela Catherine répondait qu'elle voulait conserver à son fils toutes les anciennes alliances contractées par son père et par le roi François Ier, le laissant seul juge, lorsqu'il serait en âge, de rompre ces alliances s'il le jugeait utile à la grandeur de son royaume.

En définitive, celte entrevue, si redoutée des uns et si souhaitée des autres, n'eut que des résultats négatifs, et les grands personnages qui y prirent part se séparèrent les uns des autres, sinon en état d'hostilité ouverte, du moins très froidement, et en n'emportant dans leurs cœurs que des sentiments de doute et de méfiance réciproques.

Il y eut quatre personnages cependant qui saisirent avec bonheur l'occasion qui leur était offerte pour se livrer à toutes sortes de joyeux ébats. C'étaient Charles IX et sa sœur Marguerite, Henri de Bourbon, roi de Navarre, qui fut plus tard Henri IV, et Henri de Lorraine, duc de Guise, surnommé le Balafré.

Les plus âgés avaient à peine quinze ans. Sur ces quatre enfants trois devaient mourir assassinés ; un seul devait laisser dans l'histoire un nom qui sera prononcé dans les siècles les plus reculés avec une respectueuse admiration mêlée d'une ardente sympathie c'est celui d'Henri IV. Quant à celui de Charles IX et à celui du Balafré, il ne nous appartient pas encore de nous prononcer sur eux.

Les enfants d'Henri II méritaient d'avoir dans l'histoire une page plus belle que celle qui leur a été réservée. Ils régnèrent malheureusement dans une époque de trouble où les esprits les plus droits et les mieux intentionnés chancelaient, éperdus, entraînés malgré eux dans un tourbillon d'intrigues et de haines dont il leur était humainement impossible de sortir. C'est par l'assassinat que Charles IX crut devoir défendre son trône, et le Balafré, ayant vu mourir sous ses yeux son père assassiné, se servit à son tour de l'épée de l'assassin pour venger la mort de son père.

L'histoire reproche à Marguerite de Valois ses mœurs dissolues ; les reproches que l'histoire implacable adresse à la fille retombent sur la mère, sur cette Catherine de Médicis qui, pour assurer sa puissance, mettait en œuvre toutes les corruptions et faisait vivre ses enfants dans une cour où la débauche était le manteau cynique jeté sur l'intrigue.

Donc, pendant que le duc d'Albe, Catherine de Médicis, le chancelier de l'Hôpital, le cardinal de Guise, Montluc et le duc de Montpensier ourdissaient leurs complots et essayaient mutuellement de s'entraîne les uns les autres dans de ténébreuses intrigues, le jeune roi, le prince lorrain et le prince béarnais, entourant la spirituelle et séduisante Marguerite de Valois, se livraient tout entiers aux plaisirs et aux passetemps de leur âge, et déjà dans leurs jeux ils laissaient éclater les défauts et les qualités qui devaient les signaler plus tard.

Marguerite, avenante et coquette, provoquait Guise et le Béarnais Il avait été bruit un moment de son mariage avec le fils de François de Lorraine. Dans ses Mémoires elle se défend d'avoir jamais ressent la moindre inclination pour le prince lorrain.

Charles IX n'avait pas encore quinze ans. Il avait le port royal, la figure avenante et expressive, et tenait de son aïeul François Ier et de son père Henri II l'amour des combats, de la chasse ; il était d'une adresse très grande dans le maniement des armes et dans tous les exercices du corps. Il avait le caractère loyal et le jugement droit ; mais l'éducation qu'il reçut de sa mère, qu'il aimait profondément et dont il n'osa jamais combattre l'influence, les intrigues au milieu desquelles il vécut constamment, les rivalités implacables qu'il voyait éclater autour de lui et qui menaçaient chaque jour d'allumer la guerre civile dans ses États et de lui faire perdre à la fois la couronne et la vie, faussèrent son caractère ou répandirent sur son règne une ombre qui l'enveloppe comme un voile funèbre. Il semble en effet, que la vie de ce roi n'est éclairée que par l'éclat sinistre que jettent sur elle les éclairs des épées s'entrechoquant et des coups de feu qui retentirent dans la nuit de la Saint-Barthélemy.

Le portrait du jeune Béarnais n'est pas à faire. C'est la figure la plus sympathique, la plus loyale et la plus française qui se détache dans notre histoire. Sa naissance et son éducation première sont connues de tous.

Le vieux roi de Navarre, Henri d'Albret son aïeul, avait enfermé son testament dans une boite d'or qu'il portait suspendue à son cou par une chaîne. Sa fille, Jeanne, interrogeait souvent son père sur le contenu de la boite mystérieuse, Henri d'Albret lui dit un jour : Elle sera tienne, mais à la condition que tu me donneras un héritier et que tu m'annonceras sa venue par une chanson béarnaise. Jeanne promit, et Henri vint au monde bercé par une chanson du pays natal.

Aux premiers accents de sa fille, Henri d'Albret accourut ; il ôta la chaîne et la boite de son cou, la passa au cou de la jeune mère, et, prenant l'enfant dans le pan de sa robe, il s'en alla en s'écriant joyeusement : Voilà qui est à vous, ma fille ; mais ceci est a moi. Et l'aïeul, au lieu de présenter au nouveau-né le sein d'une nourrice, lu donna un cap d'ail dont il lui frotta les lèvres. Et voyant qu'il suçait, il lui présenta aussi du vin dans sa coupe.

Son éducation première fut à la fois celle d'un prince et d'un enfant du peuple. C'est sous les ordres de Coligny qu'il apprit l'art de la guerre, et c'est au collège de Navarre qu'il fit ses études en compagnie du duc d'Anjou (Henri III) et d'Henri de Joinville, duc de Guise.

Plus tard ils devaient être les héros de la guerre dite des Trois Henri.

S'il reçut une instruction digne du rang qu'il devait occuper, Gaillet, dans ses Mémoires du prince de Condé, nous apprend qu'il avait été élevé en sorte qu'il estait duit au labeur et mangeoit souvent du pain commun, et a esté vu, à la mode du pays, parmi les aultres enfants du village, quelquefois pieds déchâux et teste nue, tant en hiver qu'en été.

Ses saillies gasconnes, son humeur enjouée, la promptitude de ses répliques, divertissaient fort la reine mère, qui lui témoignait une extrême tendresse.

Le caractère des trois princes se révèle dans ce trait, rapporté dans l'Histoire manuscrite de la maison de Guise, par Oudin, et que René de Bouillé relate en ces termes dans son Histoire des ducs de Guise :

Là, comme distraction propre à son âge, Charles IX établit, entre lui, le prince de Béarn et le duc de Guise — deux des trois Henri qui devaient plus tard se faire si vivement la guerre —, une lutte d'adresse au tir de l'arc. Le sort voulut que le roi et Guise gagnassent les cinq ou six premiers coups ; et, chaque fois, quel que fût le vainqueur, Charles IX recommençait, en profitant du respect avec lequel le jeune Lorrain lui cédait son droit. Le prince de Béarn ayant à son tour obtenu l'avantage, le monarque essaya d'user du même privilège, qui lui, fut si obstinément contesté pourtant par Henri de Bourbon que Charles IX repoussa brusquement ce dernier et le menaça de sa flèche encochée. Le prince se mit en attitude de riposter, et le roi, perdant toute patience, ordonna au gouverneur du Béarnais récalcitrant d'emmener son élève pour le réprimander et le châtier.

Dans cette occasion, la déférence, gracieuse d'Henri de Lorraine avait offert un contraste très remarqué avec la brusquerie tout agreste du jeune Bourbon.

Nous reviendrons plus loin sur le caractère du jeune duc de Guise.

Le duc d'Albe et la reine Élisabeth quittèrent Bayonne en emportant la secrète appréhension de voir la France s'unir contre l'Espagne dans une ligue offensive et, défensive avec le Saint-Père, la république de Venise, les ducs de Florence et de Parme ; tandis que Catherine de Médicis et Michel de l'Hôpital. redoutaient que l'Espagne ne tentât par un coup de surprise de s'emparer de Metz et de tout le pays des Trois-Évêchés.

Tel fut le résultat de cette entrevue, où tant de projets, furent élaborés, tant d'unions préposées sans qu'il pût y être donné suite à cause de l'esprit de méfiance dont tous étaient animés les uns contre les autres.

 

 

 



[1] Guise fut assailli, le jour du jeudi gras 18 février (1563), pendant qu'il traversait la forêt d'Orléans. Il succomba le 24 du même mois.

[2] De Thou.

[3] Cet édit, signé à Saint-Germain en 1562, était tout à l'avantage des protestants. Le duc de Guise avait dit que tant qu'il ne l'aurait pas fait abroger, son épée ne tiendrait pas au fourreau.

[4] Mémoires de Michel de Castelnau, livre IV, chap. XII ; édit. de Petitot, 1823.

[5] Mémoires de Tavannes.

[6] L'édit de Charles V portait que les rois, à l'exemple de Joas, de Josias, de David, de Salomon et de Jérémie, pouvaient avoir à l'âge de quatorze ans l'administration de leur royaume.

[7] Les Guises, les Valois et Philippe II, par Joseph de Croze.

[8] Vie de François de Lorraine.

[9] Il est inutile de faire observer qu'en s'exprimant ainsi le prélat n'était nullement l'organe de l'Église gallicane qui ne se sépara jamais, en matière de doctrine, de l'Église romaine. Égaré un moment par son ambition, le cardinal Charles était sur le point de tomber complètement dans l'hérésie, qu'il avait la prétention de combattre.

[10] Histoire du concile de Trente.

[11] René de Bouillé.

[12] Papiers d'État du cardinal de Granvelle, t. IX.

[13] Papiers d'État du cardinal de Granvelle.