HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

LA BASTILLE

 

LIVRE CINQUIÈME. — LE TIERS ÉTAT.

 

 

I. — INERTIE.

 

Cette France exaspérée, avec son Assemblée nationale, a enfin obtenu quelque chose ; sans aucun doute, quelque chose de grand, d'important, d'indispensable ; cependant reste toujours cette question : En quoi particulièrement ? Question difficile à résoudre, même pour des spectateurs calmes à la distance où nous nous trouvons ; tout à fait insoluble pour les acteurs qui y sont mêlés. Les États généraux, créés et mis en mouvement par l'effort passionné de toute une nation, c'est une chose grande et placée bien haut. L'espérance en jubilation s'écrie qu'ils seront comme un miraculeux serpent de bronze dans le désert, guérissant tous les maux, toutes les morsures de serpent chez quiconque le regarde avec foi et obéissance.

Quant à nous, nous pouvons répondre qu'ils serviront de bannière symbolique, autour de laquelle les vingt-cinq millions exaspérés et gémissants, jusqu'ici isolés et sans pouvoir, vont se rallier et faire le travail qui leur est donné de faire. Si ce travail doit être un combat, comme on ne peut s'empêcher de le présumer, alors ce sera une bannière de combat — comme le gonfalon italien dans son vieux carroccio — ; il sera porté haut sur un char étincelant au soleil, et avec une langue de fer fera retentir plus d'un signal. Chose de première nécessité ; laquelle, soit à l'avant-garde, soit au centre, soit conduisant la multitude qui combat, soit conduite par elle, doit lui rendre d'incalculables services. Pendant quelque temps, alors que cette bannière flotte aux premiers rangs, même lorsqu'elle reste là immobile et solitaire, attendant que la force se groupe autour d'elle, le carroccio national et la cloche du signal qu'il fait tinter au loin seront pour nous la principale affaire du temps.

Le présage des chapeaux rabattus gardés sur la tête montre que les députés sont bien décidés à une chose : savoir, que ni la noblesse, ni le clergé n'auront la préséance sur eux, à peine Sa Majesté elle-même. Voilà où nous ont conduits le Contrat social et la force de l'opinion. Qu'est-ce, en effet, que Sa Majesté, sinon le délégué de la nation ; délégué et marchandé — d'une manière même assez serrée — dans une assez singulière situation d'affaires, dont Jean-Jacques n'a pas fixé la date ?

Venant donc le lendemain, dans leur salle, masse inorganique de six cents individus, ces députés des communes voient sans terreur qu'ils l'occupent tout seuls. Leur salle est aussi la salle générale pour les trois ordres. Mais il paraît que la noblesse et le clergé se sont retirés dans leurs deux chambres séparées, et s'occupent là à vérifier leurs pouvoirs, non conjointement, mais séparément. Vont-ils donc constituer deux ordres séparés, votant peut-être séparément ? C'est comme si la noblesse et le clergé avaient silencieusement résolu qu'il en serait ainsi. Deux ordres contre un ; et ainsi le troisième laissé toujours en perpétuelle minorité ?

Beaucoup de choses peuvent rester indécises, mais ce qui est décidé, c'est que cette séparation ne sera pas acceptée, c'est décidé dans la tête des chapeaux rabattus, dans la tête de toute la nation française. Sans quoi la double représentation et tout le reste qu'on a obtenu deviendrait nul. Sans doute, les pouvoirs doivent être vérifiés ; sans doute, la commission, les documents électoraux de chaque député doivent être examinés et validés par les députés frères : c'est le préliminaire de tout. Cette question, d'ailleurs, de la faire séparément ou conjointement, n'est pas en elle-même vitale : mais si elle entraîne la question vitale ? Il faut s'y opposer. Bien sage est cette maxime : Résistez aux commencements. Principiis obsta. Et puis quand la résistance serait hors de propos, dangereuse même, cependant l'attente est toute naturelle ; l'attente, avec vingt-cinq millions d'hommes derrière soi, peut devenir une assez solide résistance. La masse inorganique des députés des communes se retranchera dans un système d'inertie, et, pour le moment, reste inorganisée.

Cette méthode, convenable en même temps à l'habileté et à la timidité, est adoptée par les députés des communes ; et avec adresse, avec plus de ténacité, ils y persistent jour par jour, semaine par semaine. Pendant six semaines, leur histoire est du genre nommé stérile, lequel, ainsi que le sait la philosophie, est souvent le plus fertile de tous. Ces jours furent leurs jours de tranquille création, leur période d'incubation. En fait, ce qu'ils faisaient judicieusement était de ne rien faire. Journellement le corps inorganique se rassemble, regrette de ne pouvoir être organisé par la vérification des pouvoirs en commun, de ne pouvoir commencer à régénérer la France. S'il se fait des motions violentes, il faut les réprimer ; l'inertie seule est inattaquable et invincible.

La ruse doit être combattue par la ruse, d'orgueilleuses prétentions par l'inertie, par un ton modéré de douleur patriotique, modéré, mais opiniâtre, inaltérable. La sagesse du serpent, la douceur de la colombe : quel spectacle pour la France ! Six cents individus inorganiques, essentiels pour sa régénération et son salut, siègent là, sur leurs bancs elliptiques, aspirant passionnément à la vie, dans une pénible attente, comme des âmes cherchant à naître. Des discours sont prononcés, pleins d'éloquence, retentissant au dedans et au dehors. L'esprit s'agite, l'esprit répond ; la nation contemple avec un intérêt de plus en plus vif. C'est ainsi que les députés des communes continuent l'incubation.

Il y a des réunions privées, des soupers, des consultations, le club breton, le club de Viroflay, germes de beaucoup de clubs. C'est un élément de bruits confus, d'obscurités, d'ardeurs irritées, où cependant l'œuf de l'avenir peut se tenir en sécurité, sans être cassé avant l'éclosion. Il y a pour cela assez de savoir chez vos Mounier, vos Malouet, vos Lechapelier, assez de ferveur chez vos Barnave et vos Rabaut.

Parfois vient une inspiration du royal Mirabeau ; il n'est nullement encore reconnu pour royal : même, à la première mention de son nom, il se produisit des murmures ; mais il lutte pour se faire reconnaître.

Dans le cours de la semaine, les communes ayant appelé au fauteuil leur député le plus âgé, en lui donnant de jeunes aides avec de bons poumons, peuvent maintenant parler distinctement et déclarer en termes lamentables, entendus au loin, qu'elles forment un corps inorganique, aspirant à devenir organique. Des lettres arrivent ; mais un corps inorganique ne peut ouvrir des lettres, elles restent intactes sur le bureau. Le président d'âge peut tout au plus se procurer une liste ou un rôle pour compter les votes ; il attend les événements. La noblesse et le clergé sont tous deux ailleurs. Cependant un .public avide encombre toutes les tribunes, tous les coins ; ce qui est un encouragement. Après quelques efforts, il est enfin décidé, non qu'une députation soit envoyée, car comment un corps inorganique enverrait-il des députations, mais que certains individus, membres des communes, iront d'une manière accidentelle dans la chambre du clergé, puis dans celle de la noblesse, et diront là, comme une chose observée par eux, que les communes semblent les attendre pour vérifier leurs pouvoirs. C'est la méthode la plus sage. Le clergé, où il se trouve une multitude de non dignitaires représentant les communes en robes de curés, envoie aussitôt une députation déclarant sur un ton respectueux qu'il est et va être plus que jamais tout occupé de cette besogne. La noblesse, au contraire, répond d'un ton cavalier, quatre jours après, que, pour sa part, elle est entièrement vérifiée et constituée et qu'elle avait cru que les communes l'étaient également, la vérification séparée ayant toujours été la sage méthode constitutionnelle des ancêtres : ce que cette noblesse se fera un plaisir de démontrer par l'envoi d'une commission de son ordre, si les communes veulent envoyer une commission de leur côté ! Immédiatement après vient une députation du clergé, répétant d'un ton de conciliation insidieuse la même proposition. Ici commencent les perplexités : que décideront les communes dans leur sagesse ?

Avec prudence, avec inertie, les sages communes, considérant qu'elles forment, sinon le tiers état de la France, au moins une agrégation d'individus prétendant à ce titre, décident, après cinq jours de discussion, qu'il sera nommé une commission, avec injonction sous-entendue de ne pas se laisser convaincre : un sixième jour se passe à nommer la commission ; un septième, un huitième à fixer les formes de la réunion, la place, le jour et l'heure ; de sorte que ce n'est que dans la soirée du 23 mai que la commission de la noblesse se rencontre avec la commission des communes, celle du clergé prenant le rôle conciliateur, et alors commence la tâche impossible de la conviction. Une autre réunion suffira le 25 mai : les communes ne se laissent pas convaincre ; la noblesse et le clergé persistent à vouloir convaincre ; les commissions se retirent, chacune maintenant ses premières prétentions[1].

Ainsi se sont écoulées trois semaines. Pendant trois semaines, le carroccio du tiers état, avec le gonfalon vu au loin, est resté immobile, narguant les vents, attendant les forces qui doivent se grouper autour de lui.

L'imagination seule peut concevoir les sentiments de la cour ; les conseils succédant aux conseils, et l'inanité creuse et sonore, égarée dans le tourbillon confus, où la sagesse ne trouvait aucune place. Cette machine à impôts si habilement montée est debout, organisée avec un incroyable labeur, et se tient là, ses trois compartiments en contact ; ses deux volants sont la noblesse et le clergé, et l'arbre de couche, le tiers état. Les deux volants tournent de la manière la plus facile, mais, chose prodigieuse à contempler, l'immense arbre de couche reste immobile, - se refuse à marcher. Les plus habiles ingénieurs sont en défaut. Mais quand commencera-t-il, comment travaillera-t-il ? D'une manière effrayante, mes amis ; quant à lever des impôts et à moudre du grain pour la cour, on peut prévoir qu'il n'en fera rien. Ah ! si nous avions pu continuer à lever les impôts à la main ! N'y a-t-il pas quelque vérité dans les présages de monseigneur d'Artois, Conti, Condé — nommés le triumvirat de la cour —, les auteurs de l'antidémocratique Mémoire au roi ? Ils peuvent balancer en reproche leurs têtes superbes ; ils peuvent fouetter leur pauvre cervelle ; mais les plus habiles ingénieurs ne peuvent rien. Necker lui-même, dût-on l'écouter, commence à pâlir. La seule chose que l'on trouve à propos est de faire venir des soldats. Deux nouveaux régiments et le bataillon d'un troisième sont déjà arrivés à Paris, d'autres se mettront en marche. Dans tout état de choses, il est bon d'avoir des troupes à portée ; il est bon que le commandement soit en des mains sûrs. Que de Broglie soit nommé ; le vieux maréchal duc de Broglie, vétéran disciplinaire, avec la solide moralité d'un sergent recruteur, sur qui l'on peut compter.

Car, hélas ! ni le clergé, ni la noblesse ne sont ce qu'ils devraient être et ce qu'ils pourraient être en face des menaces du dehors, c'est-à-dire compactes et unis au dedans. La noblesse, il est vrai, a son Catilina ou Crispin d'Esprémesnil, aux sombres regards, avec ses ardeurs de renégat, son bruyant Mirabeau-Tonneau ; mais aussi elle a ses Lafayette, ses Liancourt, ses Lameth ; par-dessus tous son d'Orléans, qui a brisé pour toujours ses attaches de cour et médite pesamment sur les magnifiques prises qu'il peut rencontrer dans son voyage vers le chaos ; car n'est-il pas un descendant de Henri IV et pouvant en être héritier présomptif ? Et puis, parmi le clergé, tant sont nombreux les curés, voici qu'il se fait des déserteurs : deux petites bandes ; dans la seconde le curé Grégoire. Bien plus, on parle de cent quarante-neuf d'entre eux sur le point de déserter en masse, retenus seulement encore par l'archevêque de Paris. C'est une partie qui se perd.

Jugez, durant ce temps, si la France, si Paris se tiennent oisifs ! Des adresses venues de près ou de loin abondent ; car nos communes sont devenues assez organiques pour ouvrir des lettres, et même pour en discuter le contenu. Ainsi le pauvre marquis de Brézé, huissier suprême, grand maître des cérémonies, ou quel que fût son titre, écrivant sur quelque affaire de cérémonie, trouve naturel de clore sa lettre par ces mots : Je suis à vous, monsieur, avec un sincère attachement. — A qui s'adresse, demande Mirabeau, ce sincère attachement ?Au président du tiers état. — Il n'y a aucun homme en France, reprend-il, qui ait le droit d'écrire cela. Sur quoi les tribunes ne s'abstiennent pas d'applaudissements[2], suivis des applaudissements du monde. Pauvre de Brézé, les communes ont contre lui une plus vieille rancune, et il n'en a pas encore fini avec elles.

D'un autre côté, Mirabeau a encore eu à protester contre la brusque suppression de son Journal des États généraux, et à le continuer sous un autre titre. Et, dans cet acte de vigueur, il a été soutenu par les électeurs de Paris, encore occupés à rédiger leurs cahiers. Par une adresse à Sa Majesté, ils réclament la complète liberté de la-presse, parlent même de démolir la Bastille et d'élever sur son emplacement la statue de bronze du roi patriote ! Voilà où en sont les riches bourgeois : jugez donc ce qu'il en pouvait être du mélange confus des oisifs, des rôdeurs, des déclassés et de la canaille quintessenciée, tous devenus éleuthéromaniaques, tous encombrant les avenues du Palais-Royal ; pensez aux sombres murmures devenus bientôt des hurlements, qui partent du faubourg Saint-Antoine, et des vingt-cinq millions en danger d'être affamés !

Il y a une incontestable rareté de blé ; que ce soit, cette année, par complot aristocratique, par complot d'Orléans, et l'année passée, par sécheresse et grêle. En ville et en province, le pauvre contemple d'un regard désolé le sort sans nom qui l'attend. Et ces États généraux, qui pouvaient nous faire un âge d'or, sont obligés de rester immobiles, ne peuvent avoir leurs pouvoirs vérifiés ! Tout travail languit nécessairement, si ce n'est celui de faire des motions.

Dans le Palais-Royal, on a élevé, apparemment par souscription, une espèce de tente en planches de bois[3] très-commode, où un patriotisme choisi peut maintenant à son aise rédiger des réclamations, émettre des harangues, quelque temps qu'il fasse. Espèce de domicile satanique où les ardeurs se donnent carrière. Sur une table, sur une chaise, dans chaque café est debout un orateur patriotique : une foule autour de lui à l'intérieur ; une foule l'écoutant au dehors, la bouche ouverte, encombrant portes et fenêtres, avec des tonnerres d'applaudissements pour toute proposition, toute expression se distinguant par sa hardiesse. Dans le voisinage est la boutique de M. Dessein, le centre du débit des pamphlets ; ce n'est qu'en jouant fortement des coudes que l'on peut arriver au comptoir : chaque heure produit son pamphlet aucune litière de pamphlets : treize aujourd'hui, seize hier, quatre-vingt-douze dans la semaine passée[4]. Figurez-vous à côté de cela, la tyrannie, la disette, l'éloquence ardente, les rumeurs, la Société publicole, le club Breton, le club des Enragés. Au fait, chaque café, chaque buvette, chaque réunion sociale, chaque groupe accidentel de la rue, n'était-ce pas, sur toute la surface de la France, autant de clubs d'enragés ?

Au récit de tout cela, les députés des communes ne pouvaient qu'écouter avec une sublime inertie de douleur ; réduits à s'occuper de leur police intérieure. C'était une position des plus sûres, s'ils la gardaient avec habileté. Que la température ne s'élève pas trop haut : que l'œuf ne soit pas cassé, jusqu'à ce qu'il soit complètement couvé, jusqu'à qu'il se casse de lui-même. L'avide public qui se presse dans les tribunes et dans tous les coins applaudit sans qu'on puisse l'en empêcher. Les deux ordres privilégiés, la noblesse vérifiée et constituée, peuvent regarder de l'air qu'ils voudront, non sans une secrète appréhension au cœur. Le clergé, qui vise à un rôle de conciliation, fait un appel aux tribunes et à la popularité, mais manque son coup. En effet, il vient de sa part une députation, avec de tristes doléances sur la disette de grains, et la nécessité de mettre de côté de vaines formalités, pour délibérer sur ce malheur public. Proposition insidieuse ! que cependant les communes — sur la motion du verdâtre Robespierre — prennent adroitement comme une insinuation ou même une annonce du clergé sur son intention de se joindre à elles, de constituer les États généraux, et ainsi de diminuer le prix du grain[5]. Enfin, le 27 mai, Mirabeau, jugeant le moment venu, propose de renoncer à l'inertie, de laisser la noblesse à son orgueilleux isolement, de faire un appel au clergé au nom du Dieu de paix, et de commencer[6]. Si à cet appel, il reste sourd, nous verrons ! N'y a-t-il pas déjà cent quarante-neuf d'entre eux prêts à déserter ?

Ô triumvirat de princes, nouveau garde des sceaux Barentin, ministre de l'intérieur Breteuil, duchesse de Polignac, et reine trop empressée à écouter, — qu'y a-t-il maintenant à faire ? Ce tiers état va entrer en mouvement avec la force de toute la France en lui. Le mécanisme clergé et le mécanisme noblesse, qui devaient servir de beaux contre-poids et de balances, vont être honteusement entraînés par lui et prendre feu avec lui. Qu'y a-t-il à faire ? L'Œil-de-Bœuf devient plus troublé que jamais. Propos et contre-propos ; une vraie tempête de propos. Des meneurs des trois ordres y sont chaque nuit convoqués, comme autant de magiciens ; mais leur magie ne peut conjurer ceci. Necker lui-même y serait maintenant le bienvenu, si son intervention pouvait être efficace.

Que Necker intervienne donc, et au nom du roi. Heureusement, le message incendiaire au nom du Dieu de paix n'est pas encore répondu. Les trois ordres auront de nouveau leurs conférences ; avec ce ministre patriote, quelque chose peut être arrangé, raccommodé. — Pendant ce temps, nous ferons venir les régiments suisses et cent pièces de canon. Voilà ce que décide, pour sa part, l'Œil-de-Bœuf.

Quant à Necker — hélas ! pauvre Necker, ton opiniâtre tiers n'a qu'un mot, le premier et le dernier, vérification en commun, comme la garantie du vote et de la délibération en commun. Des demi-mesures de la part d'un ami si éprouvé ! Ils y répondent par des regards d'étonné- ment. Les tardives conférences sont promptement rompues : le tiers état, maintenant prêt et résolu, avec un monde derrière lui, retourne à sa salle des trois ordres ; et Necker à l'Œil-de-Bœuf, avec le caractère d'un magicien sans magie, — bon seulement à être congédié[7] !

Et ainsi les députés des communes sont enfin, par leur propre force, devenus maîtres du terrain. Au lieu d'un président d'âge, ils ont maintenant leur président élu, l'astronome Bailly. Ils sont en route, mais avec une vengeance. Après beaucoup d'éloquence bruyante ou modérée, portée sur les ailes des journaux dans tout pays, ils ont décidé, le 17 juin, que leur nom n'est plus celui de tiers état, mais d'assemblée nationale. Ce sont eux donc qui forment la nation ? Triumvirat de princes, reine, noblesse et clergé réfractaires, alors qu'êtes-vous ? Profonde question, à laquelle à peine y a-t-il une réponse dans les dialectes politiques du jour.

Sans plus en tenir compte, notre assemblée nationale s'occupe à nommer un comité des subsistances, cher à la France, quoique cela ne donne que peu ou point de grain. Ensuite, comme si notre assemblée nationale se tenait ferme sur ses jambes, elle nomme quatre autres comités permanents ; puis elle travaille à maintenir la sécurité de la dette nationale, à donner de la fixité à l'impôt annuel ; le tout dans quarante-huit, heures. C'est à ce degré de vitesse qu'elle marche : les conjurés de l'Œil-de-Bœuf peuvent à bon droit se demander : Vers quel but ?

 

II. — MERCURE DE BRÉZÉ.

 

Le moment est assurément venu pour le Deus ex ma- china, car il y a un nodus digne de lui. La seule question est celle-ci : Quel dieu ? Sera-ce Mars de Broglie avec ses cent pièces de canon ? — Non, répond la Prudence ; le roi Louis est si mou, si irrésolu ! Que ce soit le messager Mercure, notre huissier suprême, de Brézé.

Le lendemain, qui est le 20 juin, les cent quarante-neuf traîtres curés, que ne peut plus retenir l'archevêque de Paris, déserteront en corps : que de Brézé intervienne et produise des portes fermées ! Non-seulement il y aura une séance royale dans cette salle des Menus ; mais, jusque- là, il ne s'y fera aucune réunion, aucun travail — excepté celui des charpentiers —. Votre tiers état, s'appelant assemblée nationale, se verra soudainement exclu de sa salle, de cette adroite manière, avec des charpentiers, et réduit à ne rien faire ; pas même à se réunir, ou à articuler des lamentations, jusqu'à ce que Sa Majesté, avec sa séance royale et de nouveaux miracles, se trouve prête. C'est ainsi qu'interviendra de Brézé, comme Mercure ex machina, et, si l'Œil-de-Bœuf ne se trompe pas, accomplira le dénouement.

A propos de ce pauvre de Brézé, il est bon de remarquer qu'il n'a encore réussi dans aucune de ses affaires avec ces communes. Il y a cinq semaines, au baisement des mains de Sa Majesté, le mode prescrit par lui n'obtient que des censures ; et puis son sincère attachement, avec quel dédain il fut accueilli. Ce soir, avant souper, il écrit au président Bailly une nouvelle lettre, qui doit lui être remise le lendemain matin, au nom du roi. Laquelle lettre, cependant, Bailly, dans l'orgueil de sa dignité, se contente de mettre toute chiffonnée dans sa poche, comme un billet qu'il ne compte pas payer.

En conséquence, le samedi matin, 20 juin, à travers les rues de Versailles, des hérauts proclament d'une voix perçante qu'il y aura lundi une séance royale, et que jusque-là il n'y aura aucune réunion des États généraux. Et, cependant, au son de cette annonce, nous voyons le président Bailly, avec la lettre de de Brézé dans sa poche, s'avancer, suivi de toute l'assemblée nationale, vers la salle accoutumée des Menus ; comme si de Brézé et ses hérauts n'étaient que du vent. Elle est fermée, cette salle, occupée par des gardes françaises. Où est votre capitaine ? Le capitaine produit l'ordre royal ; des ouvriers, il regrette de le dire, sont tous occupés à élever la plate-forme pour Sa Majesté ; malheureusement, on ne peut entrer ; tout au plus, peut-on admettre le président et les secrétaires, pour enlever les papiers, que les charpentiers pourraient détruire ! — Le président Bailly entre avec les secrétaires, et revient emportant les papiers. Hélas ! à l'intérieur, au lieu de l'éloquence patriotique, il n'y a plus que le bruit des marteaux, des scies, des rabots et de toutes les opérations de charpente. Profanation sans pareille.

Les députés se tiennent groupés sur la route de Paris, dans l'ombreuse avenue de Versailles, se plaignant hautement de l'indignité qui leur est faite. Les courtisans, on peut le supposer, regardent par leurs fenêtres, et sé frottent les mains. La matinée n'est pas des plus belles ; humide, il tombe même une fine pluie. Mais tous les passants s'arrêtent ; des patriotes, habitués des tribunes, des spectateurs de toute classe, augmentent les groupes. Des avis audacieux se croisent. Quelques députés exaspérés proposent d'aller tenir la séance dans le grand escalier extérieur de Marly, sous les fenêtres du roi ; car, il paraît que Sa Majesté s'est retirée là-bas. D'autres parlent de faire de la place d'Armes un nouveau champ de mai des Français libres ; ou même de réveiller par les accents d'un patriotisme indigné les échos de l'Œil-de-Bœuf. Enfin, avis est donné que le président Bailly, aidé du judicieux Guillotin et d'autres, a trouvé un emplacement dans le jeu de paume de la rue Saint-François. Aussitôt, en longues files, comme des grues sur l'aile du vent, les députés s'y dirigent, bruyants et irrités.

Étrange spectacle que celui qui se voyait dans la rue Saint-François, vieux Versailles ! Un jeu de paume dénudé, tel que le représentent les tableaux du temps : quatre murs, nus aussi, excepté dans les hauteurs où règne à l'entour un pauvre appentis de bois servant de galerie aux spectateurs ; dans le bas, ce n'est plus un vain bruit de joueurs, de balles rebondissant sur des raquettes, mais le fracas retentissant d'une représentation nationale indignée, qui s'y trouve scandaleusement exilée. Cependant une nuée de témoins la contemplent, du haut de l'appentis de bois, des murs, des toits voisins et des cheminées ; la foule accourt vers elle de tous les quartiers, articulant tout haut des bénédictions passionnées. Trouvons une table pour écrire ; quelques chaises, sinon pour s'y asseoir, au moins pour y monter en guise de tribune. Les secrétaires déroulent leurs papiers ; Bailly a constitué l'assemblée.

L'expérimenté Mounier, pour qui de telles choses ne sont pas entièrement nouvelles, les ayant vues ou apprises dans des révoltes parlementaires, pense qu'il serait bon, dans ces lamentables et menaçantes circonstances, de s'unir par un serment. — Acclamation universelle, comme de poitrines oppressées qui trouvent de l'air ! Le serment est rédigé, prononcé hautement par Bailly, et d'une voix si sonore, que la foule des auditeurs l'entend même du dehors et y répond par ses cris de joie. Six cents mains droites se lèvent avec celle du président Bailly, pour prendre Dieu à témoin que les députés ne se sépareront sur l'ordre d'aucun homme ; mais se réuniront en en tous lieux, dans toutes circonstances, partout où deux ou trois hommes pourront se rencontrer, jusqu'à ce qu'ils aient fait la Constitution. Faire la Constitution, amis ! c'est une longue besogne. Six cents mains, cependant veulent signer, après avoir juré ; six cents individus moins un ; un fidèle Abdiel, encore visible dans l'histoire par ce seul petit point de lumière, et qu'il faut nommer, le pauvre Martin d'Auch, député de Castelnaudary, en Languedoc. On lui permet de signer ou signifier son refus ; on le sauve même des colères de la foule, en déclarant sa tête dérangée. A quatre heures, les signatures sont toutes apposées : une nouvelle réunion est fixée au lundi matin, avant l'heure de la séance royale, afin que les cent quarante-neuf déserteurs du clergé ne soient pas gagnés : nous nous réunirons à l'église des Récollets ou ailleurs, dans l'espoir que nos cent quarante-neuf nous y joindront, — et maintenant, il est temps d'aller dîner.

Voilà donc la fameuse séance du jeu de paume, dont le bruit a retenti dans toutes régions. Voilà l'apparition de M. de Brézé comme Deus ex machina, voilà le fruit qu'elle produit. Les joyeusetés des courtisans dans l'avenue de Versailles sont transformées en un piteux silence. Est-ce que la cour égarée, avec son garde des sceaux Barentin, son triumvirat et compagnie, s'est imaginée qu'il suffisait de la verge noire ou blanche d'un premier huissier pour disperser six cents députés nationaux portant en eux une constitution nationale, comme autant d'oiseaux de basse-cour ne portant en eux presque rien. Les oiseaux de la basse-cour s'enfuient en caquetant ; mais les députés nationaux font face avec des physionomies de lions, et, avec la main droite levée, prononcent un serment qui doit ébranler les. quatre coins de la France.

Le président Bailly s'est couvert d'honneur, ce qui lui méritera des récompenses. L'assemblée nationale est maintenant doublement et triplement l'assemblée de la nation, non-seulement militante et martyre, mais triomphante ; outragée, mais au-dessus de l'outrage. Paris se met en vacances encore une fois pour contempler avec des regards sombres la séance royale qui, par un nouveau bonheur, est remise à mardi. Les cent quarante-neuf, et même avec eux des évêques, ont eu tout le loisir d'aller en longue procession rejoindre solennellement les communes qui siègent en les attendant dans leur église. Les communes les accueillent avec des cris de joie, des embrassements et même des larmes[8], car maintenant c'est devenu une affaire de vie on de mort.

Quant à ce qui regarde la séance elle-même, les charpentiers semblent avoir achevé leur plate-forme, mais tout le reste demeure inachevé. Toute l'affaire en elle-même était futile, nous pourrions dire fatale, Le roi Louis entre à travers un océan de spectateurs silencieux et sombres, irrités par bien des choses, car il tombe aussi une grosse pluie ; il entre devant un tiers état, également silencieux et sombre, trempé de pluie par une attente sous les maigres portiques, et introduit par les portes de derrière pendant que la cour et les privilégies pénétraient par la grande entrée. Le roi et le garde des sceaux — car Necker est absent — font connaître, non sans longueurs, la détermination de la royale volonté. Les trois ordres devront voter séparément. D'un autre côté, la France peut attendre de considérables bénédictions constitutionnelles, contenues dans les trente-cinq articles[9], que le garde des sceaux s'enroue à lire. Lesquels trente-cinq articles, ajoute Sa Majesté en se levant, si malheureusement ils ne rencontrent pas l'accord des trois ordres pour les mettre à exécution, j'exécuterai moi-même ; seul je ferai le bien de mes peuples. Ce qui, étant interprété, peut signifier : Vous, députés hargneux des États généraux, vous n'avez probablement pas longtemps à rester là. Mais, en somme, tous devront pour aujourd'hui se retirer, pour se réunir ensuite demain matin, chaque ordre dans sa salle séparée, pour dépêcher les affaires. Telle est la détermination de la royale volonté : solennelle et claire. Sur quoi, le roi, sa suite, la noblesse et la majorité du clergé se retirent, comme si toute l'affaire était définitivement conclue d'une manière satisfaisante.

Ceux-là donc se retirent à travers un océan de peuple silencieux et sombre. Seulement, les députés des communes ne se retirent pas, mais restent assis dans un morne silence, incertains de ce qu'il faut faire. Un seul homme parmi eux n'est pas incertain, un seul homme parmi eux voit et ose. C'est maintenant que le roi Mirabeau s'élance à la tribune et fait retentir sa voix de lion. Jamais assurément parole ne fut plus opportune ; car, en de telles scènes, la minute est la mère des siècles ! Si Gabriel-Honoré n'avait pas été là, on peut supposer que les députés des communes, terrifiés des périls menaçants qui maintenant les environnent de toutes parts, et la pâleur de chacun grandissant à la pâleur de tous, auraient très-naturellement, l'un après l'autre, gagné la porte, et tout le cours de l'histoire européenne eût été bien différent.

Mais il est là. Écoutez le grondement de cette royale voix de la forêt, d'abord sourd et lamentable, puis s'enflant jusqu'au rugissement ! Les yeux s'allument aux feux de son œil ; les députés nationaux ont reçu mission de la nation, ils ont prononcé un serment ; ils... mais regardez ! Pendant que la voix du lion rugit formidable, quelle est cette apparition ? C'est M. de Brézé, marmottant on ne sait quoi. Plus haut ! s'écrie-t-on. — Messieurs, reprend de Brézé, d'une voix criarde, vous avez entendu les ordres du roi. — Mirabeau. le regarde avec des yeux étincelants, secoue sa noire crinière de lion : Oui, monsieur, nous avons entendu ce qu'on a conseillé au roi de dire ; et vous, qui ne pouvez être l'interprète de ses ordres aux États généraux ; vous qui n'avez ici ni place, ni droit de parler, vous n'êtes pas l'homme qui peut nous les rappeler. Allez, monsieur, allez dire à ceux qui vous ont envoyé que nous sommes ici par la volonté du peuple, et que nous n'en sortirons que par la force des baïonnettes[10]. Et le pauvre de Brézé disparaît en frissonnant de l'assemblée nationale ; et aussi (si ce n'est encore dans une seule teinte obscure à quelques mois de là) disparaît finalement des pages de l’histoire.

Infortuné de Brézé ! destiné à survivre pendant de longs siècles dans la mémoire des hommes, de cette triste manière, avec sa verge blanche tremblante dans sa main. Il était fidèle à l'étiquette, sa seule foi ici-bas. Des manteaux courts de laine ne pouvaient pas baiser les mains de Sa Majesté de la même façon que les manteaux longs de velours. Bien plus, quand récemment le pauvre petit Dauphin était étendu mort, et qu'il se présenta une visite en cérémonie, il fut ponctuel à l'annoncer, même au cadavre du Dauphin : Monseigneur, une députation des États généraux[11]. Sunt lacrymœ rerum.

Mais que fera l'Œil-de-Bœuf maintenant que de Brézé est revenu en frissonnant ? Dépêcher la force des baïonnettes ? Non pas ; les flots de peuple s'amassent multiples, guettant ce qui se passe. S'élançant même et roulant avec de longs mugissements dans les cours mêmes du château, car le bruit court que Necker doit être congédié. Le pis est que les gardes françaises ne semblent pas disposées à agir ; deux de leurs compagnies refusent de tirer, malgré les ordres des officiers[12]. Necker, par suite de son absence à la séance royale, sera acclamé, porté en triomphe, et ne doit pas être congédié. D'un autre côté, Sa Grâce de Paris est réduite à fuir avec les panneaux de sa voiture brisés, et ne doit la vie qu'à la rapidité de ses chevaux. On avait fait sortir les gardes du corps ; on trouve plus sage de les faire rentrer[13]. Il n'y a pas à songer à envoyer des baïonnettes.

Au lieu de soldats, l'Œil-de-Bœuf envoie des charpentiers pour défaire la plate-forme. Expédient inefficace ! En peu d'instants, les charpentiers cessent de marteler et de démembrer la plate-forme, y restant debout, le marteau en main, et écoutant, bouche béante[14]. Le tiers état décrète qu'il est, qu'il était, qu'il sera, rien qu'une assemblée nationale, et de plus une assemblée inviolable, chaque membre inviolable. Infâme, traître envers la nation, et coupable de crime capital, sera toute personne, toute corporation, tout tribunal, cour ou commission, qui aujourd'hui ou plus tard, durant la présente session ou après, osera poursuivre, interroger, arrêter ou faire arrêter, détenir ou faire détenir quelques membres, de quelque part que viennent les ordres[15]. Cela fait, on peut résumer la journée par ces mots de Sieyès : Messieurs, vous êtes aujourd'hui ce que vous étiez hier.

Les courtisans peuvent crier ; mais il en est, il en restera ainsi. Leur explosion bien chargée a éclaté à travers le trou de lumière ; les couvrant eux-mêmes de contusions, de confusion et d'une épaisse suie ! Pauvre triumvirat ! pauvre reine ! et surtout pauvre mari de la reine ! qui a de bonnes intentions, s'il avait quelque intention fixe. La sagesse qui n'arrive qu'après coup est la vraie folie. Il y a peu de mois, trente-cinq concessions auraient rempli la France d'un contentement qui aurait pu durer plusieurs années. Maintenant elles sont sans valeur ; l'idée même en est repoussée ; les ordres exprès de Sa Majesté mis à néant.

Toute la France est en tumulte ; un océan de monde, estimé à dix mille individus, tourbillonne toute cette journée dans le Palais-Royal[16]. Le reste du clergé, et quarante-huit nobles, parmi lesquels d'Orléans, ont passé aux communes triomphantes, par lesquelles, naturellement, ils ont été reçus avec acclamation.

Le tiers état triomphe ; tout Versailles le saluant de ses cris ; dix mille personnes tourbillonnant dans le Palais-Royal, et toute la France debout sur la pointe des pieds, assez prête aussi à tourbillonner ! que l'Œil-de-Bœuf y prenne garde. Quant au roi Louis, il dévorera ses injures, temporisera, gardera le silence ; il veut à tout prix avoir la paix du moment. C'était le mardi 23 juin qu'il articulait péremptoirement son mandat royal ; et la semaine n'est pas passée, qu'il écrit au reste opiniâtre de la noblesse que ce serait l'obliger que de céder. D'Esprémesnil pousse ses derniers cris de rage ; Mirabeau-Tonneau brise son épée, en faisant un vœu qu'il eût bien fait de tenir. La triple famille est maintenant complète, le troisième frère égaré — l'ordre de la noblesse — l'ayant rejointe ; égaré, mais par donnable, radouci autant que possible, par la douce éloquence du président Bailly.

Ainsi triomphe le tiers, et les États généraux sont devenus l'Assemblée nationale, et toute la France peut chanter le Te Deum. Par une sage inertie et une sage cessation d'inertie, une grande victoire est gagnée. C'est là dernière nuit de juin ; toute la nuit on peut rencontrer dans les rues de Versailles des hommes courant avec des torches, acclamant et jubilant. Du 2 mai, lorsque les députés baisaient la main de Sa Majesté, à ce 30 juin, où les hommes courent avec des torches, nous comptons huit semaines et trois jours. Pendant huit semaines le carroccio national est resté debout, vu de loin et donnant plus d'un signal. Maintenant, tant de choses étant groupées autour de lui, on peut espérer qu'il se maintiendra.

 

III. — BROGLIE DIEU DE LA GUERRE.

 

La cour se sent indignée d'être vaincue. Eh bien ! quoi ? une autre fois elle fera mieux. Mercure est descendu en vain ; maintenant, c'est le tour de Mars. — Les dieux de l'Œil-de-Bœuf se sont retirés dans l'obscurité de leur nuageux Ida ; et demeurent là, fabriquant et forgeant ce qui peut être nécessaire, fût-ce des billets d'une nouvelle banque nationale, des munitions de guerre, ou des choses à jamais impénétrables aux hommes.

En conséquence, que signifie cet appareil de troupes ? L'Assemblée nationale ne peut obtenir aucune aide pour son comité de subsistances : elle apprend seulement qu'à Paris les boutiques des boulangers sont assiégées ; que, dans les provinces, le peuple se nourrit de son et d'herbe bouillie. Mais, sur toutes les grandes routes, planent des nuages de poussière, soulevés par la marche des régiments et le roulement des canons : voici des étrangers, des pandours d'un aspect féroce ; Salis-Samade, Esterhazy, le Royal- allemand ; la plupart d'entre eux étrangers ; au nombre de trente mille, que la crainte peut grandir à cinquante : tous se dirigeant vers Paris et Versailles ! Déjà, sur les hauteurs de Montmartre, on bêche et l'on creuse, comme - pour faire des talus et des tranchées. Le concours de Paris, dans la direction de Versailles, est arrêté par une barrière de canons sur le pont de Sèvres. Aux Écuries de la Reine, des canons sont pointés sur la salle même de l'Assemblée nationale. L'Assemblée nationale a même son sommeil interrompu par le piétinement des soldats, fourmillant et défilant en rangs sans fin ou semblant sans fin, au plus épais de la nuit, sans tambours, sans aucun mot de commandement perceptible[17]. Que signifie tout cela ?

Est-ce que huit ou même douze députés, nos Mirabeau et nos Barnave en tête, vont être soudainement traînés au château de Ham ; le reste ignominieusement dispersé aux vents ? Aucune Assemblée nationale ne peut faire la constitution avec des canons braqués sur elle aux Écuries de la Reine. Que signifient ces réticences de l'Œil-de-Bœuf, interrompues seulement par des mouvements de tête ou d'épaules ? Dans le mystère de ce nuageux Ida, qu'est-ce donc qui se fabrique et se forge ? Voilà les questions que pose un patriotisme troublé, qui ne reçoit pour réponses que des échos.

Questions et échos d'un caractère peu rassurant : - et maintenant, par-dessus tout, pendant qu'une année stérile, qui court d'août en août, devient plus avancée, se transformant de plus en plus en une année de famine, avec du son et de l'herbe bouillie pour nourriture, les brigands vont se rassembler, se présentant en foule aux fermes et aux domaines, avec ce cri de colère : A manger ! à manger ! En vain on envoie contre eux des soldats : à la vue de la troupe, ils se dispersent, disparaissent comme sous terre, et aussitôt vont ailleurs se réunir pour de nouveaux tumultes et de nouveaux pillages. Spectacle effrayant à voir ; mais plus effrayant encore ce qui s'en dit, dans des récits répercutés par vingt-cinq millions d'esprits soupçonneux. Les brigands et Broglie, des conflagrations publiques et des rumeurs mystérieuses, jettent dans l'égarement presque tous les esprits. Quelle sera la fin de toutes ces choses ?

A Marseille déjà, depuis des semaines, les citadins ont pris les armes, pour la suppression des brigands et autres choses encore. : le commandant militaire en pensera ce qu'il voudra. Ailleurs, partout, ne pourrait-on pas faire de même ? Dans l'imagination troublée du patriote, flotte comme une dernière ressource de délivrance, l'image confuse d'une garde nationale. Mais qu'on se figure surtout la tente de bois du Palais-Royal ! Là se produit un vacarme universel, comme une dissolution de mondes ; là s'entendent les plus bruyants récits des sinistres rumeurs qui égarent les esprits ; là se tient le pâle soupçon, interrogeant le tourbillon confus des événements, créant de vaines images et des fantômes : des régiments altérés de sang, campant au Champ de Mars ; l'Assemblée nationale dispersée ; des boulets de canon rougis (pour brûler Paris) ; les pas retentissants du farouche dieu de la guerre et de Bellone. Pour les hommes les plus carmes, il devient trop manifeste que la bataille et inévitable.

Inévitable, affirment aussi les airs significatifs de Messeigneurs et de Broglie : inévitable et prompte ! L'Assemblée nationale, arrêtée subitement dans ses travaux constitutionnels, peut fatiguer les oreilles royales de ses adresses et remontrances : nos canons sont convenablement braqués ; les troupes sont prêtes. La déclaration du roi, avec ses trente-cinq articles trop généreux, a été lue, n'a pas été écoutée ; mais elle reste sans être révoquée : lui-même peut l'exécuter ; seul il fera !

Quant à de Broglie, il a son quartier général à Versailles, comme étant le siège de la guerre : des commis écrivant ; des officiers d'état-major avec des airs significatifs, portés à la taciturnité ; des aides de camp emplumés, des courriers, des ordonnances en route qu en attente. De Broglie, lui-même, prend des airs importants, impénétrables, écoute : avec des sourires silencieux les communications de Besenval, commandant de Paris, venu tout exprès pour lui signaler les dangers des mesures violentes[18]. Les Parisiens résister ? répondent avec dédain Messeigneurs. A la façon des émeutiers de farine. Ils se tiennent tranquilles depuis cinq générations, soumis à tout. Leur Mercier déclarait, dans ces mêmes années, qu'une révolte parisienne était désormais impossible[19]. Il faut s'en tenir à la déclaration royale du 23 juin. Les nobles de France, vaillants, chevaleresques comme aux anciens jours, se rallieront avec un seul cœur autour de nous ; et, quant à ce que vous appelez tiers état, et que nous appelons une canaille de sans-culottes barbouillés, de patelins écrivassiers, rabâcheurs factieux, le brave de Broglie, avec une salve de canons, en fera justice, s'il le faut ! C'est ainsi qu'ils raisonnent, dans leur nuageux Ida, cachés à la vue des hommes ; et les hommes aussi leur étant cachés.

La mitraille, sans doute, est une bonne ressource, Messeigneurs, mais à une condition, c'est que le tireur soit fait du même métal. Malheureusement, il est fait de chair : sous sa buffleterie et ses bandoulières, votre tireur soldé a des instincts, des sentiments, même une sorte de pensée. C'est sa parenté, l'os de ses os, cette canaille., qui doit être balayée ; il y a des frères, un père, une mère, se nourrissant de son et d'herbe bouillie ; sa donzelle même, qui n'est pas encore morte à l'hôpital, le pousse vers l'hétérodoxie militaire ; déclare que s'il verse le sang des patriotes, il sera maudit parmi les hommes. Le soldat, qui a vu sa paye rognée par les Foulon, son sang gaspillé par les Soubise et les Pompadour, les portes de l'avancement inexorablement fermées pour lui, parce qu'il n'est pas né noble, le soldat a aussi ses griefs contre vous. Votre cause n'est pas la cause du soldat ; c'est la vôtre seulement, et celle d'aucun autre homme ou Dieu.

Par exemple, le monde a entendu parler de ce qui s'est passé dernièrement à Béthune, lorsque s'éleva une émeute à propos de grains, comme on en voit tant, et que les soldats étant rangés, le mot de Feu ! fut prononcé, sans qu'un seul chien s'abattît. Seulement, les crosses des fusils retentirent sur le pavé, et les soldats restèrent mornes, avec une expression de sentiments mélangés sur leur physionomie ; jusqu'à ce que chacun d'eux pris bras dessus bras dessous, par quelque père de famille patriote, ils furent tous ainsi emmenés pour être festoyés et caressés, et voir leur paye accrue par des souscriptions[20].

Même depuis quelque temps, les gardes françaises, le meilleur régiment de la ligne, ne montrent pas grand empressement à tirer dans les rues. Elles sont revenues en murmurant de chez Réveillon ; et n'ont pas, depuis, brûlé une seule cartouche, même, comme nous l'avons vu, quand on en donne l'ordre. Une dangereuse humeur règne chez ces gardes ; il s'y trouve, d'ailleurs, des hommes notables : Valadi le pythagoricien a été naguère un de leurs officiers. Dans les rangs mêmes, sous le tricorne et la cocarde, quelles têtes solides peuvent se rencontrer, où il se passe mille réflexions, ignorées du public ! N'y distinguons-nous pas une des têtes les plus solides, sur les épaules d'un certain sergent ? Lazare Hoche est son nom : occupé d'abord dans les Écuries royales de Versailles, neveu d'une pauvre marchande de légumes ; garçon intelligent, fortement adonné à la lecture. Il est maintenant le sergent Hoche, et ne peut avancer plus loin. Il dépense sa paye en chandelles à seize et en éditions de livres à bon marché[21].

Au total, le mieux à faire, semble être de consigner ces gardes françaises dans leur caserne. C'est l'avis et l'ordre de Besenval. Consignées dans leur caserne, les gardes françaises ne font que former une association secrète, avec engagement de ne pas agir contre l'Assemblée nationale ; gagnées par Valadi le pythagoricien, gagnées par de l'argent et des femmes, disent Besenval et beaucoup d'autres. Gagnées par qui l'on voudra, ou sans avoir besoin d'être gagnées, les voici en longues files, ayant rompu la consigne, avec leurs sergents en tête, arrivant le 26 juin au Palais-Royal ! Saluées de vivat, de présents et de patriotiques offrandes de liqueurs ; embrassées et embrassant ; déclarant, en paroles accentuées, que la cause de la France est leur cause ! Le lendemain, et les jours suivants, les choses se passent de même. Ce qui est singulier aussi, c'est que, à l'exception de cette humeur patriotique et de la consigne méprisée, elles se conduisent d'ailleurs avec la plus grande régularité[22].

Ils deviennent inquiétants, ces gardes. Onze de leurs meneurs sont envoyés à la prison de l'Abbaye. Cela ne sert pas le moins du monde. Les onze emprisonnés n'ont qu'à faire tomber, vers la nuit, par la main d'un individu, une ligne dans le café de Foy, où le patriotisme débite ses plus chaudes harangues : aussitôt, deux cents jeunes gens, devenus bientôt quatre mille, portant de solides leviers, se précipitent vers l'Abbaye, enfoncent les portes, et font sortir les onze, avec d'autres victimes militaires ; leur donnent à souper au Palais-Royal, les logent et les font coucher sur des lits de camp, dans le théâtre des Variétés, tout autre Prytanée national n'étant pas à portée. Grand acte d'audace ! mais, si scrupuleux étaient ces jeunes gens, qu'avertis qu'un militaire délivré était en prison pour un véritable crime civil, ils le reconduisirent à sa cellule, avec protestations.

Pourquoi donc une nouvelle force militaire ne fut-elle pas appelée ? Une nouvelle force militaire fut appelée ; et arriva au grand galop, sabre au poing : mais le peuple, en toute douceur mit la main sur leurs brides ; les dragons rengainèrent leurs sabres, levèrent leurs bonnets en manière de salut, et restèrent immobiles, comme de véritables statues de dragons, excepté cependant qu'une goutte de liqueur leur étant apportée, ils boivent à la santé du roi et de la nation, avec la plus grande cordialité[23].

Et maintenant, demandez en retour pourquoi Messeigneurs et de Broglie, le grand dieu de la guerre, en voyant ces choses, ne firent pas une pause, ne prirent pas quelque autre voie, toute autre voie. Malheureusement, comme nous l'avons dit, ils ne pouvaient rien voir. L'orgueil, qui précède toute chute, la colère, sinon raison- nable, au moins pardonnable, bien naturelle, avaient endurci leurs cœurs, échauffé leurs têtes : de sorte qu'avec un mélange d'imbécillité et de violence — couple mal assorti —, ils se précipitent pour aller au-devant de leur heure. Tous les régiments ne sont pas des gardes-françaises, ni gagnés par Valadi le pythagoricien : que de nouveaux régiments non gagnés s'avancent ; que le Royal-allemand, Salis-Samade, les Suisses de Château-Vieux s'avancent ; ceux-là peuvent se battre, mais peuvent à peine parler, excepté en gutturales germaniques ; que des soldats se mettent en marche, et que les grandes routes retentissent du tonnerre des caissons d'artillerie. Sa Majesté doit tenir une nouvelle séance et y opérer des miracles ! La voix de la mitraille peut, s'il est besoin, devenir une trombe et une tempête.

En de telles circonstances, avant que les boulets rougis commencent à pleuvoir, n'est-il pas permis aux cent vingt électeurs de Paris, quoique leur cahier soit depuis longtemps fini, de se réunir encore journellement, comme club électoral ? Ils se réunissent d'abord dans un restaurant, où une nombreuse noce leur cède cordialement la place[24]. Mais, bientôt, ils s'assemblent à l'hôtel de ville, dans la salle même des séances municipales. Flesselles, prévôt des marchands, avec ses quatre échevins, n'a pu s'y opposer : telle est la force de l'opinion publique. Lui, avec ses échevins et les vingt-six conseillers municipaux, nommés par en haut, peuvent bien siéger là en silence, dans leurs longues robes, et chercher, d'un œil terrifié, quel est ce prélude d'une convulsion venant d'en bas, et comment eux-mêmes se trouveront de tout cela !

 

IV. — AUX ARMES !

 

Ainsi restent les choses en suspens, incertaines, fatales, dans les jours brûlants de juillet. Il y a un avis imprimé du passionné Marat, qui conseille, par-dessus tout, de s'abstenir de violence[25]. Néanmoins les pauvres affamés, tumultueux par besoin, brûlent déjà les barrières où se prélève l'octroi sur les comestibles.

Le 12 juillet est un dimanche, les rues sont toutes placardées d'une énorme affiche, portant en tête : De par le Roi, et invitant les citoyens paisibles à rester chez eux, à être sans alarmes, et à éviter tous rassemblements. Pourquoi ? que signifient ces énormes affiches ? Avant tout, que signifie ce cliquetis militaire ? des dragons, des hussards affluent de tous les points de l'horizon, vers la place Louis XV, avec une gravité compassée sur leur physionomie, quoique salués par des sobriquets, des huées et même des projectiles[26]. Besenval est avec eux : les gardes suisses qu'il commande sont déjà dans les Champs-Élysées, avec quatre pièces d'artillerie.

Les destructeurs sont-ils donc descendus sur nous ? Du pont de Sèvres aux extrêmes limites de Vincennes, de Saint-Denis au Champ de Mars, nous sommes enveloppés. Des alarmes, vagues, mystérieuses, sont dans tous les cœurs. Le Palais-Royal est devenu un centre d'interjections terrifiées, de silencieux signes de tête. On peut imaginer le douloureux saisissement que propage le bruit du canon de midi — que le soleil fait partir à son arrivée au méridien —, comme un pronostic, comme la voix inarticulée d'une sentence[27]. Ces troupes viennent-elles véritablement pour combattre les brigands ? Où sont-ils ces brigands ? Quel mystère y a-t-il en l'air ? Écoutez ! une voix humaine articulant en termes clairs le mot de l'énigme : Necker, le ministre du peuple, le sauveur de la France, est renvoyé. C'est impossible, incroyable ! c'est trahir la paix publique ! Cette voix doit être noyée dans le bassin[28] ; le porteur de nouvelles s'esquive à la hâte. Néanmoins, mes amis, faites-en ce que vous voudrez, la nouvelle est vraie. Necker est parti ; Necker est en route vers le Nord, depuis la nuit d'hier, en obéissance à des ordres secrets. Nous avons un nouveau ministère : Broglie, le dieu de la guerre, l'aristocrate Breteuil ; Foulon, qui a dit que le peuple pouvait manger du foin.

Une immense rumeur va donc s'élever, dans le Palais-Royal, dans toute l'étendue de la France. La pâleur est sur tous les visages ; une terreur confuse, des frémissements, éclatant bientôt en un tonnerre de voix, en un tonnerre de fureurs multipliées par l'effroi.

Mais regardez Camille Desmoulins se précipitant du café de Foy, avec une physionomie sibylline, ses cheveux flottants, un pistolet dans chaque main. Il s'élance sur une table : les satellites de la police le surveillent ; ils ne le prendront pas vivant ; leur vie se jouera contre la sienne. Cette fois il parle sans bégayer : Amis, mourrons-nous pourchassés comme des lièvres ? comme des moutons poursuivis dans leur pacage ? bêlant pour obtenir pitié, là où au lieu de pitié, il n'y a qu'un couteau. L'heure est venue, l'heure suprême du Français, de l'homme ;.quand l'oppresseur est en face de l'opprimé, et que l'alternative est une mort prompte ou la délivrance à jamais. Que cette heure soit bienvenue. Pour nous, ce me semble, un seul cri est de saison : Aux armes ! Que de tout Paris, que de toute la France, comme de la voix de l'ouragan s'élève le seul cri : Aux armes ! — Aux armes ! répondent en hurlant des voix innombrables ; comme une seule grande voix, comme la voix d'un démon hurlant du haut des airs ! Car, dans toutes les figures, les yeux s'enflamment ; tous les cœurs brûlent jusqu'à la frénésie. C'est en de tels accents, ou avec d'autres plus énergiques encore[29], que, dans ce grand moment, Camille évoque les puissances élémentaires. Amis, continue-t-il, quelque signe de ralliement ! des cocardes : de couleur verte, couleur de l'Espérance. Comme s'il s'abattait une nuée de locustes, les arbres sont aussitôt dépouillés de leurs feuilles ; des rubans verts sont achetés dans les boutiques voisines ; toute étoffe verte est enlevée pour être transformée en cocardes. Camille descend de sa table, est étouffé sous les embrassements, inondé de larmes : on lui passe un bout de ruban vert, il le met à son chapeau. Et maintenant, chez Curtius, aux images de cire ; sur le boulevard, aux quatre vents, et sans repos, jusqu'à ce que la France soit en feu !

La France, si longtemps ébranlée et desséchée par les vents, est probablement juste au point inflammatoire. Quant au pauvre Curtius qui, on le pense à regret, court risque d'être imparfaitement payé, il n'a pas à plaider pour ses images. Le buste de cire de Necker, le buste de cire de d'Orléans, les appuis de la France, sont enlevés : voilés de crêpe, comme dans une procession funéraire, où à la manière de suppliants faisant appel au ciel, i la terre, au Tartare lui-même, ils sont promenés par une multitude mélangée. Pour elle, c'est un signe ! car, en vérité, l'homme avec ses singulières facultés imaginatives, ne peut faire que peu ou rien, sans des signes. Ainsi les Turcs regardent la bannière de leur prophète ; ainsi des mannequins -d'osier ont été brûlés, et le portrait de Necker a précédemment figuré au sommet d'une perche.

De cette manière s'avance, à travers les rues, une multitude hétérogène, continuellement accrue : armée de haches, de bâtons et de divers instruments, menaçante et pleine de tapages. Que tous les théâtres se ferment, que toute danse cesse, soit sur la planche, soit sur le vert gazon ! Au lieu d'un sabbat chrétien, au lieu d'une fête de tabernacles dans les guinguettes, qu'il y ait un sabbat de sorciers ; et Paris, devenu frénétique, mènera sa danse, ayant pour ménétrier le démon.

Cependant Besenval, avec infanterie et cavalerie, est sur la place Louis XV. Des gens regagnant leurs demeures, venant de Passy ou Chaillot, des parties de campagne, arrosées de petit vin blanc, la traversent avec moins de gaieté que de coutume. La procession des bustes va-t-elle passer par là ? La voici ; mais voici aussi que le prince de Lambesc se précipite dessus, avec son royal-allemand ! Les balles sifflent, les sabres étincellent ; les bustes sont pourfendus, et aussi, hélas ! des têtes d'hommes ! Une procession sabrée n'a rien de mieux à faire que de se disperser à travers les rues, les allées, les avenues des Tuileries, et de disparaître. Un homme, désarmé, est étendu sans vie ; à son uniforme, reconnu pour garde-française : qu'on le porte — ou qu'on en porte même la nouvelle — mort et sanglant à sa caserne, où il a des camarades encore vivants.

Mais pourquoi donc, victorieux Lambesc, ne pas charger à travers le jardin même des Tuileries, où les fugitifs se sont retirés ? Pourquoi ne pas montrer aussi, aux promeneurs du dimanche, comment étincelle le sabre ensanglanté ; afin qu'on en parle et que les oreilles des hommes en aient des tintements ? Il y a, en effet, des tintements, mais d'une autre façon. Le victorieux Lambesc, dans cette seconde charge aux Tuileries, ne réussit qu'à renverser, avec le plat de son sabre, un seul homme, un vieillard, pauvre maître d'école, se promenant pacifiquement ; et puis, il est chassé du jardin par des barricades de chaises, des tessons de bouteilles et des exécrations sur tous les tons. Tâche délicate que celle de ce pourfendeur de canailles ! pour qui trop faire peut être aussi funeste que de ne pas faire assez. Car toutes ces voix qui le maudissent, répercutées dans tous les coins de la Cité, retentissent en tumultes d'indignation, et retentissent toute la nuit. Le cri Aux armes ! se multiplie avec des rugissements ; la voix métallique du tocsin y répond, à mesure que le soleil s'abaisse ; des boutiques d'armuriers sont enfoncées, pillées ; les rues sont des mers écumantes, soulevées par tous les vents.

Telle fut l'issue de la charge de Lambesc dans le jardin des Tuileries ; nullement productive d'une terreur salutaire chez les promeneurs de Chaillot, mais productive du réveil soudain des frénésies et des trois Furies qui, d'ailleurs, ne dormaient pas : car elles se tiennent toujours, ces souterraines Euménides — fabuleuses et pourtant si réelles —, au fond de l'existence humaine, brandissant leurs torches fumeuses, et secouant leurs chevelures de serpents. Lambesc, avec son Royal-allemand, peut retourner à sa caserne, puis revenir encore, comme un esprit troublé : des gardes-françaises, excités par la vengeance, le jurement à la bouche, les sourcils contractés, s'élancent sur lui, de leur caserne dans la Chaussée d'Antin, lui envoient une volée, faisant des morts et des blessés, et, sans pouvoir y répondre, il continue sa marche[30].

La sagesse ne réside pas dans des têtes emplumées. Si les Euménides sont éveillées et que de Broglie ne donne aucun ordre, que peut faire Besenval ? Quand les gardes-françaises, avec les volontaires du Palais-Royal, descendent plus altérés de vengeance vers la place Louis XV elle-même, ils n'y trouvent ni Besenval, ni Lambesc, ni Royal-allemand, ni aucun soldat. Absence de toute direction militaire. Sur le boulevard extrême de l'Est, Saint-Antoine, les chasseurs de Normandie arrivent, poudreux et altérés, après une rude course d'une journée ; mais ne trouvent aucun quartier-maître, ne savent où se rendre dans cette cité de confusions, ne peuvent arriver jusqu'à Besenval, ne peuvent même découvrir où il est. Normandie est obligé de bivouaquer là, avec sa poussière et sa soif, à moins que quelque patriote ne le régale d'un verre de liqueur, accompagné de conseils.

Des multitudes furieuses environnent l'hôtel de ville, criant : Des armes ! des ordres ! Les vingt-six conseillers municipaux, avec leurs longues robes, ont plongé silencieusement dans le chaos qui mugit, pour ne plus jamais reparaître. Besenval cherche péniblement à se replier vers le Champ de Mars ; il est obligé de rester là, dans la plus cruelle incertitude : courriers sur courriers sont dépêchés à Versailles, mais ne rapportent aucune réponse, pouvant à peine revenir eux-mêmes. Car les routes sont bloquées par des batteries et des piquets de soldats, par des flots de voitures arrêtées pour être visitées : telle a été la seule instruction de Broglie ; l'Œil-de-Bœuf, entendant à distance des bruits si assourdissants, qui retentissaient presque comme une invasion, veut, avant toutes choses, conserver sa tête intacte. Un nouveau ministère, n'ayant, pour ainsi dire, qu'un seul pied dans l'étrier, ne peut s'avancer par bonds. Paris, frénétique, est en somme abandonné à lui-même.

Quel Paris, quand la nuit vint ! Une métropole européenne, lancée tout à coup hors de ses vieilles combinaisons et habitudes, s'effondrant dans les tumultes, et cherchant du nouveau. L'usage et la tradition ne vont plus, désormais, diriger aucun homme ; chaque homme, avec la somme d'originalité qui est en lui, doit se mettre à penser, ou à suivre ceux qui pensent. Sept cent mille individus voient soudainement tous leurs vieux sentiers, toutes leurs vieilles voies pour agir et décider, disparaître sous leurs pieds. Et ainsi vont-ils, avec fracas et terreur, ne sachant pas encore si c'est en courant, nageant ou volant, tête baissée dans la nouvelle ère. Avec fracas et terreur : d'en haut, Broglie, le dieu de la guerre, plane sur eux, surnaturel, avec ses boulets rougis ; et, d'en bas, un monde surnaturel de brigands les menace avec le poignard et la torche. La folie seule règne à cette heure.

Heureusement, en place des vingt-six submergés, la club électoral se réunit, et se déclare municipalité provisoire. Le lendemain, cette municipalité s'adjoindra le prévôt Flesselles et un ou deux échevins, pour l'aider dans le détail des choses. Pour le moment, elle décrète une chose très-essentielle : que, dorénavant, il y aura une milice parisienne. Allez, chefs de districts, travailler à ce grand œuvre ; pendant que nous, constitués en comité permanent, nous siégerons avec vigilance. Que les hommes valides, chaque groupe dans son quartier, veillent et montent la garde toute la nuit. Que Paris goûte au moins un peu de sommeil fiévreux, troublé par tant de rêves fiévreux naissant des violentes motions du Palais-Royal, ou de temps en temps se réveille en sursaut, et regarde palpitant, à la fenêtre, en bonnet de nuit, interrogeant le bruit discordant des patrouilles, mutuellement inintelligibles dans leur apprentissage, ou la flamme des barrières lointaines s'élevant rougeâtre vers la voûte des nuits[31].

 

V. — DONNEZ-NOUS DES ARMES.

 

Le lundi, l'immense cité s'éveille, non pour son travail du jour ; pour un travail tout autre. L'homme de travail est devenu un homme de combat, n'a qu'un seul besoin : des armes ! L'industrie de tous les métiers est en suspens ; excepté celle du forgeron, martelant énergiquement des piques, et avec moins d'activité, celle du cuisinier, improvisant ses plats ; car la bouche va toujours. Les femmes aussi préparent des cocardes, non plus en vert, qui, étant la couleur de d'Artois, a été condamnée par l'hôtel de ville ; mais en rouge et bleu, les vieilles couleurs de Paris ; lesquelles, placées sur un fond de blanc constitutionnel, deviennent le fameux TRICOLORE, qui, si la prophétie est vraie, doit faire le tour du monde.

Toutes les boutiques sont fermées, si ce n'est celles des boulangers et des marchands de vin. Paris est dans les rues ; se précipitant, écumant comme un verre de Venise dans lequel on aurait mis du poison. Le tocsin, par ordre, sonne à toutes volées dans tous les clochers. Des armes ! électeurs municipaux ! et toi, Flesselles, avec tes échevins, donne-nous des armes ! Flesselles donne ce qu'il peut ; des promesses trompeuses, insidieuses peut-être, d'armes venant de Charleville ; ordre de chercher des armes ici, ordre d'en chercher là. Les nouveaux municipaux donnent ce qu'ils peuvent : quelque trois cent soixante mauvais fusils, l'équipement de la garde de ville : Un homme en sabots, et sans habit, en saisit aussitôt un, et monte la garde. De plus, ordre est donné à tous les forgerons de fabriquer des piques de toute leur âme.

Les chefs de district sont en fervente consultation ; les simples patriotes courent de côté et d'autre, cherchant avec fureur des armes. Jusqu'ici l'hôtel de ville n'a fourni que le modique contingent de mousquets inférieurs, dont nous avons parlé. Dans ce qu'on appelle l'arsenal, il n'y a rien que de la rouille, du rebut et du salpêtre ; on y est d'ailleurs sous le canon de la Bastille. Le dépôt de Sa Majesté, appelé garde-meuble, est forcé et pillé ; il n'y manque pas de tapisserie, ni de vains ornements, mais en fait d'instruments de combat, la provision est mince. Deux canons montés en argent s'y trouvent, ancien don de Sa Majesté de Siam à Louis XIV ; l'épée dorée du bon Henri ; des armes et des armures de l'antique chevalerie. Toutes ces choses et d'autres de même sorte sont, faute de mieux, avidement enlevées par un patriotisme nécessiteux. Les canons siamois s'en vont roulant pour une besogne qui ne leur était pas destinée. Parmi de mauvais fusils se voient des lances de tournoi, le casque et le haubert étincelant au milieu de têtes mal coiffées, image d'une époque où toutes les époques avec leurs productions se mêlent confusément.

A la maison de Saint-Lazare, autrefois un couvent, maintenant une maison de correction dirigée par des prêtres, il n'y a aucune trace d'armes, mais d'un autre côté, du blé, en une quantité qui touche au délit. Hors d'ici, à la halle, dans une telle disette de grain ! Ciel ! cinquante-deux charrettes, en longues files, suffisent à peine pour le transporter à la halle aux blés. Vraiment, révérends pères, votre paneterie était bien garnie, bien fourni votre garde-manger, bien généreux votre vin : coupables exaspérateurs du pauvre, perfides accapareurs de pain !

Vainement vous protestez ; vainement vous suppliez à genoux ; la maison de Saint-Lazare a en elle ce qui n'en sort pas par des protestations. Regardez ce qu'elle vomit par chaque fenêtre : des torrents de meubles, de vociférations, de tintamarres ; du fond des caves le vin ruisselle jusqu'à, ce que, chose naturelle, une fumée s'élève, un incendie, allumé, selon quelques-uns, par les lazaristes eux-mêmes, désespérés de leurs autres pertes ; et l'établissement disparaît dans les flammes. Remarquons néanmoins qu'un voleur (excité ou non par les aristocrates) y ayant été surpris, fut à l'instant pendu.

Regardez aussi la prison du Châtelet. La prison pour dettes de la Force est enfoncée du dehors, et ceux qui y servaient de gages aux aristocrates sont mis en liberté. A cette nouvelle, les criminels du Châtelet ont soulevé leurs pavés et se mettent sur l'offensive, avec la perspective de réussir ; mais le patriotisme, passant par là, fait feu sur le monde criminel, et le fait rentrer dans ses cabanons. Le patriotisme ne pactise pas avec le vol et la félonie. D'ailleurs, en ce jour, le châtiment suit le crime (quand il le rencontre) d'un pas terriblement rapide. Une trentaine de personnes trouvées pleines de boisson dans les caves de ce Saint-Lazare sont avec indignation traînées à la prison. Le geôlier n'a plus de place ; sur quoi, à défaut d'une autre place de sécurité, il est écrit : On les pendit[32]. Vraie ou non, la formule est brève, mais non sans signification.

En de telles circonstances, l'aristocrate, le riche non patriote, fait ses paquets de départ. Mais il ne pourra partir. Une force armée en sabots s'est emparée de toutes les barrières, brûlées ou non ; là tout ce qui entre, tout ce qui cherche à sortir, est arrêté, et traîné à l'hôtel de ville s voitures, tombereaux, argenterie, mobilier, nombre de sacs de blé ; parfois même des troupeaux de moutons et de bœufs encombrent la place de Grève[33].

Et les bruits continuant, rugissant, tonnant ; les tambours battant, le tocsin bourdonnant ; des crieurs se précipitant avec des cloches à la main : Écoutez, écoutez ! tous les citoyens doivent être enrôlés dans leur district ! Les districts se sont réunis dans les jardins, dans les places ouvertes, et s'organisent en troupes volontaires. Aucun boulet rougi n'est encore tombé du camp de Besenval ; au contraire, des déserteurs, avec leurs armes, se présentent continuellement. Bientôt, ô joie suprême ! à deux heures de l'après-midi, les gardes françaises, recevant ordre de se rendre à Saint-Denis, refusent nettement, et viennent encore rejoindre le peuple. C'est un fait important entre tous. Trois mille six cents des meilleurs hommes de guerre, avec équipement complet, même avec des artilleurs et du canon ! Leurs officiers restent seuls, n'ayant pas même réussi à enclouer les canons. On peut maintenant espérer que les Suisses mêmes, Châteauvieux et autres, ne seront pas empressés à combattre.

Notre milice parisienne, que quelques-uns préfèrent appeler garde nationale, réussit à cœur-joie. Elle promettait de réunir quarante-huit mille citoyens ; mais en peu d'heures, elle doublera et quadruplera i invincible, si seulement on avait des armes.

Mais voici les caissons promis de Charleville, sur lesquels est inscrit le mot artillerie. Enfin, nous aurons assez d'armes ! — Qu'on se représente la pâle face du patriotisme, lorsqu'il trouve les caissons remplis de chiffons, de linge sale, de bouts de chandelles et de torches ! Prévôt des marchands, que veut dire ceci ? Déjà, au couvent des Chartreux, où nous fûmes envoyés avec un ordre signé, il n'y avait, il n'y eut jamais aucune arme de guerre. Et voici que maintenant dans ce bateau de la Seine, sous des toiles goudronnées, se trouvent cinq mille livres pesant de poudre ; non pas entrant à Paris, mais en sortant d'une manière subreptice, si le nez du patriotisme n'eût pas été des plus fins ! Que prétends-tu, Flesselles ? C'est un jeu dangereux que de nous amuser. Le chat joue avec la souris captive ; mais vit-on jamais souris jouer avec un chat en fureur, avec un tigre national en fureur !

Pendant ce temps, ô forgerons au tablier noir, martelez d'un bras fort et d'un cœur empressé. Que maîtres et compagnons se mettent à l'œuvre, de la tête aux pieds ; que chacun à son tour fasse son tonnerre, et manie le grand marteau de forge jusqu'à faire pirouetter l'enclume, pour recommencer encore ; tandis que d'heure en heure, au-dessus de vos têtes, résonne le canon d'alarme : car la cité a maintenant de la poudre. Des piques sont fabriquées ; cinquante mille en trente-six heures : jugez si les tabliers noirs ont chômé ! Creusez des tranchées, dépavez les rues, vous autres, activement, hommes et femmes ; emplissez de terre les tonneaux à barricades, placez-y des sentinelles volontaires, empilez des pierres sur les rebords des fenêtres, aux étages supérieurs ; vieilles femmes, ayez de la poix bouillante ou au moins de l'eau bouillante, pour la verser de vos bras décharnés sur le royal-allemand ! — Des patrouilles de la naissante garde nationale, portant des torches, parcourent toute la nuit les rues vides, mais illuminées par ordre à chaque fenêtre. Étrange spectacle, comme d'une cité de morts éclairée en naphte, où çà et là se rencontre une troupe de fantômes égarés.

Ô pauvres mortels ! combien vous faites entre vous cette existence amère, cette effrayante et merveilleuse vie, effrayante et horrible ; et Satan a sa place dans tous les cœurs ! Quelles agonies, quelles fureurs, quels gémissements nous épouvantent et nous ont épouvantés dans tous les temps : — pour être ensuite ensevelis dans un si profond silence ; et la mer salée n'est pas enflée par vos larmes !

Solennelle, cependant, est l'heure où retentissent pour nous des bruits de liberté ; quand l'âme, longtemps asservie, se réveille, même dans l'aveuglement et l'incertitude, brisant ses chaînes et secouant la poussière de son inertie, et jure par celui qui l'a créée qu'elle sera libre ! Libre ! médite bien ce mot ; c'est le besoin impérieux, besoin vague ou intelligible de tout notre être. La liberté est le seul but, prudemment ou imprudemment poursuivi, de toutes les luttes de l'homme, de tous ses travaux, de toutes ses souffrances sur terre. Oui, cette heure est suprême — si tu l'as connue — : première vision d'un Sinaï environné de flammes, dans ce pèlerinage au désert ; qui désormais n'aura plus besoin de sa colonne de nuées le jour, de sa colonne de feu la nuit. C'est quelque chose encore, quelque chose même de considérable, quand les chaînes sont devenues corrosives, vénéneuses, que d'être délivrés de l'oppression de nos semblables. En avant donc, furieux fils de France ! n'importe vers quelle destinée. Autour de vous, il n'y a que famine, fausseté, corruption, et le glas de la mort. Votre demeure n'est pas tenable.

L'imagination peut difficilement se figurer comment Besenval a traîné ces tristes heures. L'insurrection faisant rage autour de lui, et ses hommes se fondant peu à peu. De Versailles, les messages les plus pressants restent sans réponse, ou ne reçoivent que des mots vagues, plus décourageants que le silence. Un conseil d'officiers ne peut décider qu'une chose, c'est qu'il n'y a pas de décision à prendre : les colonels l'informent en pleurant, qu'ils croient ne pouvoir compter sur leurs hommes. Rien qu'une cruelle incertitude. Le dieu de la guerre de Broglie trône là-bas, inaccessible dans son Olympe ; ne descend pas environné de terreur, ne produit pas sa salve de mitraille, n'envoie aucun ordre.

En vérité, dans le château de Versailles, tout semble mystère : dans la ville de Versailles, tout est rumeur, alarme, indignation. Une auguste Assemblée nationale siège, pour faire montre ; menacée de mort, essayant de défier la mort. Elle à décrété que Necker emporte avec lui les regrets de la nation. Elle a envoyé une solennelle députation au château pour supplier le roi d'éloigner les troupes. En vain : Sa Majesté, avec une étrange contenance, les invite à s'occuper plutôt de leur devoir, qui est de faire la Constitution ! Des pandours étrangers s'en vont chevauchant et paradant d'un air fanfaron ; ils se porteraient sans doute volontiers vers la salle des Menus, sans les figures menaçantes groupées dans toutes les avenues qui y conduisent[34]. Tenez ferme, sénateurs nationaux ; espoir d'un peuple énergique et menaçant.

Les augustes sénateurs nationaux décident qu'il y aura séance permanente jusqu'à ce que cet état de choses finisse. Considérez, cependant, que le digne Lefranc de Pompignan, notre nouveau président nommé successeur de Bailly, est un vieillard fatigué par beaucoup de choses. C'est le frère de ce Pompignan, qui médita lamentablement sur le livre des Lamentations :

Savez-vous pourquoi Jérémie

Se lamentait toute sa vie ?

C'est qu'hélas ! il prévoyait

Que Pompignan le traduirait.

Le pauvre évêque Pompignan se retire, laissant Lafayette pour substitut : ce dernier, comme vice-président nocturne, veille sur une chambre dégarnie et découragée, à peine éclairée par un douteux luminaire, — attendant ce que les heures doivent apporter.

Voilà l'aspect de Versailles. Mais, à Paris, Besenval, inquiet, avant de se retirer pour la nuit, est allé dans le voisinage trouver le vieux M. de Sombreuil de l'hôtel des Invalides. M. de Sombreuil a, ce qui est un grand secret, vingt-huit mille fusils déposés dans les caves ; mais nulle confiance dans les dispositions de ses invalides. Dans cette journée, par exemple, il a fait descendre vingt de ses hommes pour démonter ces fusils, de peur que la sédition ne s'en empare ; mais, à peine en six heures, les vingt travailleurs avaient dévissé vingt chiens : chaque invalide le sien ! Si on leur ordonnait de tirer, ils pourraient, dans son opinion, tourner leurs canons contre lui-même.

Infortunés vieux militaires, votre heure est venue, non de gloire. Le vieux marquis de Launay, de la Bastille, a depuis longtemps levé ses ponts-levis, et s'est retiré à l'intérieur ; avec des sentinelles placées sur les remparts, sous le ciel de minuit, planant sur les lueurs de Paris illuminé. Une patrouille nationale, passant par là, prend la liberté d'en faire un point de mire : sept balles sont tirées vers minuit, mais sans effet[35]. C'était le treizième jour de juillet 1789 ; jour plus funeste, dit-on, que le précédent anniversaire, alors que c'était la grêle seulement qui tombait du ciel, et non la fureur qui émergeait de Tophet, ruinant bien autre chose qu'une récolte.

Dans ces mêmes jours, comme la chronologie nous l'apprend, l'inflammable vieux marquis de Mirabeau est étendu mortellement frappé à Argenteuil, — non à la portée des bruits de ces canons d'alarme ; car, à proprement parler, ce n'est pas lui qui est là couché, mais seulement son corps, sourd et froid à jamais. Ce fut le samedi soir que, respirant son dernier souffle, il y rendit l'âme ; quittant un monde qui ne lui aurait jamais convenu, détraqué maintenant en apparence jusqu'au vertige, et la culbute générale. Que lui importe, maintenant, qu'il part pour son long voyage vers d'autres régions, quelles qu'elles soient ? Le vieux château de Mirabeau reste debout, silencieux, dans le lointain, sur son roc escarpé, dans cette gorge entre deux vallées, asile des vents ; aujourd'hui pâle spectre effacé d'un château. Cette immense sédition populaire, et la France et le monde lui-même, s'effacent aussi, comme une ombre sur le grand miroir de la mer dans son calme, et tout ira selon la volonté de Dieu.

Le jeune Mirabeau, le cœur pesant, car il aimait ce vieux brave bourru de père, le cœur pesant et chargé de pesants soucis, est absent de l'histoire publique. La grande crise se passe sans lui.

 

VI. — ASSAUT ET VICTOIRE.

 

Mais pour ceux qui vivent et luttent, de nouveau se lève une matinée du quatorze. Sous tous les toits de cette cité en émoi, est le dénouement d'un drame ne manquant pas d'éléments tragiques et se précipitant vers une solution. Des agitations, des préparatifs, des tremblements et des menaces ; des larmes tombant des yeux de la vieillesse : Aujourd'hui, mes enfants, quittons-nous comme des hommes, avec le souvenir des souffrances de vos pères, avec votre espérance dans les droits de vos fils ! La tyrannie vous menace de ses sanglantes colères : pour vous pas d'espoir, si ce n'est dans l'œuvre de vos propres mains. En ce jour, il vous faut agir ou mourir.

Dès l'aube, un comité permanent sans sommeil, entend le vieux cri de mutinerie devenu frénétique : Des armes ! des armes ! Le prévôt Flesselles ou d'autres traîtres qui sont parmi vous, peuvent méditer sur les caissons de Charleville. Nous sommes cent cinquante mille, et un sur trois muni à peine d'une pique ! Les armes, c'est la chose nécessaire : avec des armes, nous sommes une garde nationale invincible défiant tout ; sans armes, de la racaille à balayer par la mitraille.

Heureusement, le mot est donné, car il n'y a pas de secret possible : à l'hôtel des Invalides, il y a des mousquets. Allons-y. M. Éthys de Corny, le procureur du roi, et tout ce que peut nous prêter d'autorité un comité permanent, viendront avec nous. Le camp de Besenval est là ; peut-être ne fera-t-il pas feu sur nous, mais quand même il nous tuerait, nous ne pouvons que mourir.

Hélas ! le pauvre Besenval, avec des troupes qui se fondent sous sa main, n'a pas la moindre velléité de faire feu. A cinq heures, ce matin-là, tandis qu'il sommeille encore, oublieux, à l'École militaire, une apparition se présente soudain à côté de son lit, avec le visage assez beau ; les yeux enflammés, la parole rapide et brève, l'air audacieux, apparition pareille à celle qui tira les rideaux de Priam ! Le message et l'avertissement de l'apparition portaient que toute résistance serait vainc ; que si le sang coulait, malheur à qui le répandrait. Ainsi parla l'apparition, puis elle disparut. Dans le tout, une sorte d'éloquence qui fascine. Besenval avoue qu'il aurait dû l'arrêter ; mais il ne le fit pas. Qui peut donc être cette apparition au beau visage, aux yeux enflammés et à la parole rapide et brève ? Besenval le sait, mais ne le dit pas. Est-ce Camille Desmoulins ? ou le pythagoricien, marquis Valadi, excités par les motions violentes de toute la nuit au Palais-Royal ? La renommée mentionne le nom du jeune M. Meillar, et puis clôt à jamais ses lèvres à son sujet.

En tout cas, voyez, vers neuf heures du matin, nos volontaires nationaux roulant comme un immense torrent vers le sud-ouest, à l'hôtel des Invalides, à la recherche de la chose indispensable. Le procureur du roi, M. Éthys de Corny, et d'autres autorités, sont là. Le curé de Saint-Étienne du Mont marche hostilement à la tète de, sa paroisse militante ; nous voyons les clercs de la basoche en habits rouges marchant, aujourd'hui les volontaires de La basoche ; puis les volontaires du Palais-Royal ; les volontaires nationaux par dizaines de mille ; tous, n'ayant qu'un cœur, une pensée. Les mousquets du roi sont ceux delà nation. Penses-y, vieux M. de Sombreuil ; en cette extrémité, comment feras-tu pour les refuser ? Le vieux M. de Sombreuil voudrait bien entrer en pourparler, envoyer des parlementaires, des courriers ; mais à quoi bon ? Les murs sont escaladés ; pas un invalide ne tire un coup de feu, il faut ouvrir les grilles. Le patriotisme s'y précipite en tumulte depuis les fondations jusqu'aux toits, dans toutes les chambres et corridors, furetant partout avec fureur à la recherche des armes : quelle cave, quel grenier peut leur échapper ? Les armes sont trouvées, toutes en sûreté, empaquetées dans de la paille, apparemment en vue d'être brûlées. Plus acharnés que des lions affamés sur une proie morte, la multitude, avec clameur et vocifération, se jette dessus, luttant, bousculant, empoignant, non sans écraser, étouffer, fracturer et probablement anéantir les patriotes les plus faibles. Et ainsi avec un fracas continu de la plus assourdissante et discordante orchestration, la scène est changée, et aux épaules d'autant de gardes nationaux sont appuyés vingt-huit mille fusils ramenés de l'obscurité profonde à une menaçante lumière.

Que Besenval regarde briller ces mousquets dans leur passage étincelant. Des gardes-françaises, dit-on, ont des canons braqués sur lui, prêts à partir s'il le faut, de l'autre côté de la rivière. Assis, immobile, étonné, on peut s'en flatter, de la fière contenance des Parisiens. Et à présent, à la Bastille, intrépides Parisiens ! là, la mitraille menace encore, là se dirigent maintenant les pensées et les pas de tous.

Le vieux de Launay, comme nous l'avons déjà insinué, s'était retiré en son intérieur peu après minuit, le dimanche. Il y reste depuis ce moment, écrasé comme le sont tous les militaires par les plus tristes conflits d'incertitude. L'hôtel de ville l'invite à| laisser entrer les soldats nationaux, ce qui est un mot plus doux que de se rendre ; d'un autre côté, les ordres de Sa Majesté sont précis. Sa garnison ne se compose que de quatre-vingt-deux vieux invalides, renforcés par trente-deux jeunes Suisses ; les murailles, il est vrai, ont neuf pieds d'épaisseur, il a des canons et de la poudre ; mais hélas ! pour un jour seulement de provisions de bouche ! et puis la cité est française ; la garnison est en majorité française. Austère vieux de Launay, pense à ce que tu dois faire.

Pendant toute la matinée, depuis neuf heures, a retenti le cri : A la Bastille ! Des députations répétées de citoyens, tous avides d'armes, se sont présentées : de Launay s'en est débarrassé par des discours pacifiques à travers les meurtrières. Vers midi, l'électeur Thuriot de la Rosière obtient accès ; il trouve de Launay peu disposé à se rendre, disposé plutôt à tout faire sauter. Thuriot monte avec lui jusqu'au parapet : des monceaux de pavés, de vieilles ferrailles et autres projectiles y sont entassés ; le canon dûment braqué, dans chaque embrasure ; seulement un peu reculé. Mais au dehors, contemplez, ô Thuriot, la multitude refluant de toutes les rues : le tocsin résonne avec fureur, tous les tambours battent la générale, le faubourg Saint-Antoine roule vers la forteresse comme un seul homme, Telle est la vision fantastique, mais réelle, qu'en ce moment, ô Thuriot ! tu contemples, comme de la montagne de vision : elle prophétise d'autres fantasmagories, des réalités spectrales fécondes en enseignements que tu ne vois pas, mais que tu verras. Que voulez-vous ? dit de Launay, en pâlissant à cette vue, d'un air de reproche, presque de menace : Monsieur, dit Thuriot, s'élevant au sublime : Que prétendez-vous ? Ne comprenez-vous pas que je pourrais nous précipiter tous les deux de cette hauteur ! Cent pieds, sans compter les fossés murés. Là-dessus de Launay demeure silencieux. Thuriot se montre d'en haut à la multitude, devenue soupçonneuse et frémissante ; puis il descend et prend congé en protestant, et après un avertissement adressé aussi aux invalides, sur lesquels il n'a pourtant produit qu'une impression mélangée et vague. Ces vieilles têtes ne sont pas des plus perspicaces ; de plus, on prétend que de Launay a été prodigue de boisson. Ils pensent ne pas tirer, si l'on ne tire pas d'abord sur eux, et s'ils peuvent faire autrement ; au total, ils doivent être considérablement gouvernés par les circonstances.

Malheur à toi, de Launay, si tu ne peux en un pareil moment, par une ferme décision, maîtriser les circonstances ! Des discours pacifiques ne peuvent rien, la mitraille est chanceuse ; mais flotter entre les deux, ne peut être une décision. De plus en plus fougueux s'élève le flot des hommes ; leur bourdonnement infini grossissant de plus en plus, arrivant à l'imprécation, peut-être même au fracas de balles égarées ; mais sur ces murs de neuf pieds d'épaisseur, ces dernières restent sans effet. On a abaissé le premier pont-levis pour Thuriot ; une nouvelle députation de citoyens — c'est la troisième et la plus bruyante de toutes — pénètre dans la première cour. Les discours pacifiques ne parvenant pas à dissiper ceux-ci, de Launay ordonne le feu et fait relever le pont-levis. Léger éclat qui met le feu au chaos trop combustible et en fait un chaos de feu rugissant. A la vue de son sang (car le léger éclat a fait des morts), l'insurrection fait explosion en un feu roulant, interminable ; explosion de mousquets, de cris, d'exécrations ; et là, au-dessus de nos têtes, qu'un seul canon du fort vienne retentir et nous montrer ce que nous pourrons faire. La Bastille est assiégée !

En avant donc, vous tous Français qui avez un cœur dans le corps ! Vociférez avec vos gosiers de cartilage et de métal, fils de la liberté ! réveillez en sursaut toutes les facultés qui sont en vous, âme, corps et esprit, car voici l'heure ! Frappe, toi, Louis Tournay, charron du Marais, vieux soldat du régiment du Dauphiné ; frappe sur la chaîne du pont-levis extérieur, à travers la grêle de feu qui siffle autour de toi ! jamais sur moyeu ou jante ta hache n'a frappé pareils coups ! Frappe, mon brave ! A bas ! à bas ! jusqu'aux enfers ! que tout le maudit édifice s'écroule, que toute la tyrannie soit engloutie à jamais ! Monté, les uns disent sur le toit du corps de garde, d'autres sur des baïonnettes fichées dans les joints du mur, Louis Tournay frappe, secondé par le brave Aubin Bonnemère (lui aussi un vieux soldat) : la chaîne cède, se brise, le gigantesque pont-levis tombe avec fracas. Quelle gloire ! Mais, hélas ! ce ne sont encore que les avant-postes. Les huit sombres tours, avec leurs invalides armés de mousquets, leurs pavés et leurs gueules de canons, nous dominant de là-haut, sont encore intactes. Le fossé est maçonné béant, impassable ; le pont-levis intérieur, dont nous voyons la surface extérieure, est devant nous : la Bastille est encore à prendre !

Décrire le siège de la Bastille (considéré comme un des plus importants faits de l'histoire) est peut-être au-dessus du talent des mortels. Si seulement à force de lecture on pouvait arriver à comprendre le plan de la construction. Mais il y a là au bout de la rue Saint-Antoine une esplanade ouverte ; et puis tant de cours : cour Avancée, cour de l'Orme, le portail voûté — où Louis Tournay est en train de combattre — ; le nouveau pont-levis, des ponts dormants, des bastions, des remparts, et toujours les huit tours sombres ; une masse inextricable dominant de ses hauteurs le travail de toutes Les époques, depuis les dernières années jusqu'à quatre cent vingt ans en arrière, assiégée à sa dernière heure par le chaos de retour ! Des pièces de tous les calibres, des gueules de toutes les capacités, des hommes de toutes les initiatives, chaque homme son propre ingénieur : rarement depuis la guerre des pygmées et des grues s'est rencontrée une pareille anomalie. Elle, à la demi-solde, rentre prendre son uniforme. Qui voudrait se soumettre à lui en habit de ville ? Le demi-solde, Hulin harangue les gardes françaises sur la place de Grève. Des patriotes frénétiques ramassent les balles et les portent encore chaudes — ou paraissant l'être — à l'hôtel de ville. Paris, vous le voyez, doit être brûlé. Flesselles est pâle jusqu'aux lèvres, car les rugissements de la multitude deviennent plus profonds. Paris est arrivé au paroxysme de la frénésie, tournoyé en tous sens par une folle panique. A chaque barricade de rue bourdonne un tourbillon secondaire, renforçant la barricade, car Dieu sait ce qui va venir, et tous les tourbillons secondaires s'identifient frénétiquement avec ce grand brandon enflammé qui fouette la Bastille de tous côtés.

Ainsi il fouette et mugit. Cholat le marchand de vin est improvisé canonnier. Voyez Georget, du service de la marine, fraîchement arrivé de Brest, pointant le canon du roi de Siam. Chose étrange (si nous n'étions pas habitués à de pareilles) ! Georget hier au soir prenait ses aises dans son auberge, le canon du roi de Siam était là depuis cent ans, n'ayant avec lui aucun rapport. Et pourtant voici qu'au moment voulu, ils se sont rejoints et font ensemble une musique éloquente : car, en apprenant ce qui se passe, Georget s'élance de la diligence de Brest et accourt. Les gardes françaises y seront aussi bientôt avec de la véritable artillerie : si encore ces murs n'étaient pas si épais ! Du haut de l'esplanade, horizontalement de tous les toits et de toutes les fenêtres, éclate un déluge irrégulier de coups de feu sans effet. Les invalides couchés par terre tirent comparativement à leur aise derrière la pierre, à peine si un seul montre le bout de son nez à travers les meurtrières. Nous tombons sous les coups, et ne faisons pas d'impression.

Que la conflagration se déploie avec tout ce qui est combustible. Des corps de garde sont brûlés, le réfectoire des invalides. Un perruquier exalté veut, avec deux torches allumées, incendier les salpêtres de l'Arsenal, si une femme n'était accourue, jetant des cris, et si un patriote avec quelque teinture de philosophie naturelle ne lui avait coupé la respiration avec la crosse de son fusil dans le creux de l'estomac, renversé les barils et arrêté l'élément destructeur. Une ravissante jeune fille a été capturée au moment où elle s'échappait de la cour extérieure, et, présumée à tort d'être la fille de de Launay, allait être brûlée sous les yeux du commandant : elle est étendue évanouie sur une paillasse. Ici encore un patriote intervient ; c'est le brave Aubin Bonnemère, le vieux soldat qui se précipite et la sauve. On brûle de la paille ; trois charretées pleines s'élèvent en blanche fumée, risquant d'asphyxier le patriotisme lui-même. De sorte que Élie, avec les sourcils roussis, en a retiré une charretée, et Réole, le mercier gigantesque, une autre. Une fumée comme d'enfer, une confusion comme de Babel, du bruit comme si éclatait la fin du monde.

Le sang coule, nouvel aliment à la fureur. Les blessés sont portés dans les maisons de la rue de la Cerisaie ; les mourants laissent comme dernière recommandation de ne pas céder, de combattre jusqu'à la chute du fort maudit. Mais comment, hélas ! le faire ? Les murs sont si épais ! Des députations, jusqu'à trois, arrivent de l'hôtel de ville. L'abbé Fauchet, qui en faisait partie, peut dire avec quel courage, avec quel dévouement surhumain ils font flotter sous les arcades le drapeau de l'hôtel de ville, et restent debout faisant rouler leur tambour. Tout cela en vain. Dans un vacarme d'une fin de monde, de Launay ne les entend pas, n'ose les croire ; elles reviennent à la charge avec une fureur trop justifiée, le sifflement du plomb retentissant toujours dans leurs oreilles. Que faire ? Les pompiers sont là, faisant jouer leurs pompes sur les invalides, afin de mouiller les batteries ; malheureusement l'eau n'arrive pas assez haut, et ne produit que des nuages de pluie fine. Des individus versés dans les classiques proposent des catapultes. Santerre, le bruyant brasseur du faubourg Saint-Antoine, conseille plutôt que la place soit assaillie au moyen de pompes à air avec un mélange de phosphore et d'huile de térébenthine. Ô ! Spinosa Santerre, as-tu ce mélange prêt ? — Chaque homme est son propre ingénieur ! Et le déluge de feu ne se ralentit pas ; les femmes même font feu, et aussi des Turcs, du moins une femme avec son amant, et un Turc. Les gardes françaises sont arrivées : de vrais canons et de vrais canonniers ; l'huissier Maillard est affairé ; les demi-soldes Élie et Hulin font rage parmi les milliers d'assaillants.

Combien la grande horloge de la Bastille, sans être entendue, tinte à son aise, heure par heure, dans la cour intérieure, comme si rien d'extraordinaire ne se passait pour elle ou pour le monde ! Elle sonnait une heure quand la fusillade commençait ; elle va bientôt en marquer cinq, et le feu ne diminue pas. — Du fond de leurs caveaux, les sept prisonniers entendent des bruits étouffés comme d'un tremblement de terre ; leurs geôliers leur font de vagues réponses.

Malheur à toi, de Launay, avec ta pauvre centaine d'invalides ! Broglie est loin, et son oreille est dure. Besenval entend, mais ne peut rien. Un pauvre détachement de hussards s'est avancé avec précaution, pour faire une reconnaissance le long des quais jusqu'au Pont-Neuf : Nous venons nous joindre à vous, dit le capitaine, car la foule paraît sans limites. Un individu, espèce de nain à grosse tête, à teint flétri et plombé, s'avance, ouvre ses lèvres blêmes, car il ne manque pas de bon sens, et crie : Alors, pied à terre, et remettez-nous vos armes. Le capitaine des hussards est trop heureux d'être escorté jusqu'aux barrières, et relâché sur parole. Quel était donc cet individu grotesque ? On répond, c'est M. Marat, l'auteur de l'excellent et pacifique Avis au peuple. Grand homme, en vérité ! Oh ! remarquable vétérinaire ! Est-ce donc ici ton jour d'apparition, de renaissance ? — Et pourtant en quatre ans, à compter de ce jour même ! Mais ne tirons pas le rideau qui cache l'avenir. — Que fera de Launay ? De Launay n'aurait pu faire qu'une chose, qu'il avait dit qu'il ferait. Qu'on se l'imagine, assis dès le commencement, une torche allumée à la portée des magasins de poudre, immobile comme un vieux sénateur romain, ou comme un porte-lampe de bronze, et par un léger mouvement des yeux, prévenant froidement Thuriot et les autres de sa résolution, ne voulant frapper que pour se défendre. Mais la forteresse du roi ne pouvait, ne devait certes se rendre que sur un message du roi. La vie d'un vieillard n'a de valeur qu'autant qu'elle se perd avec honneur ; mais pensez, canaille braillarde, à ce que ce sera quand la Bastille entière s'élancera dans les airs. — Dans cette attitude de statue porte-torche, on se figure que de Launay aurait pu laisser Thuriot, les clercs rouges de la basoche, le curé de Saint-Étienne et toute la racaille du monde entier, travailler comme ils l'entendraient.

Et pourtant et malgré tout, il n'a pu le faire. As-tu réfléchi combien le cœur de l'homme vibre sympathiquement aux cœurs de tous ? As-tu remarqué combien est puissante la voix des hommes réunis ; combien leurs cria d'indignation paralysent l'âme forte ; combien leurs rugissements apportent d'angoisses inconnues ? Le compositeur Gluck avoue que le ton fondamental, dans le plus noble passage d'un de ses plus nobles opéras, était la voix de la populace à Vienne qu'il avait entendue criant : Du pain ! du pain ! Puissante est la voix combinée des hom- mes ! l'articulation de leurs instincts plus juste que leurs pensées : c'est ce qu'il y a de plus grandiose parmi tous les sons et les ombres de ce monde fils du temps. Celui qui peut y résister a un pied posé au delà du temps. De Launay n'a pu y résister. Effaré, il flotte entre deux partis ; espère au sein du désespoir, ne rend pas la forteresse, déclare vouloir la faire sauter, saisit une torche à cet effet, et ne la fait pas sauter. Malheureux de Launay, c'est l'agonie de mort de ta Bastille comme de toi. Geôle et geôlier doivent finir ensemble.

Pendant quatre heures a rugi ce monde en fureur ; on peut l'appeler un monde chimérique, soufflant le feu. Les pauvres invalides se sont affaissés sous leurs batteries, ou se relèvent avec la crosse en l'air : ils ont fabriqué un drapeau blanc avec des serviettes, et battent la chamade ou sont censés la battre, car on ne les entend pas. Les Suisses mêmes qui gardent les barrières paraissent las de tirer, découragés de ce déluge de feu. Une embrasure est ouverte au pont-levis, d'où l'on peut entrer en pourparler. Voyez l'huissier Maillard, l'homme habile, sur sa planche, se balançant au-dessus de l'abîme du fossé. La planche appuyée sur le parapet, et ployant sous le poids des patriotes. il voltige en péril. Quelle colombe, pour une telle arche ! Doucement, malin huissier, un homme est déjà tombé, et gît là-bas bien loin, écrasé contre le mur. L'huissier Maillard ne tombe pas, il marche doucement sans broncher, les mains écartées. Le Suisse tient un papier à l'ouverture de l'embrasure ; l'huissier s'en empare et revient. Des termes de reddition, pardon et immunité pour tous !... Sont-ils acceptés ? Foi d'officier, répond le demi-solde Hulin ou le demi-solde Élie — car on ne s'accorde pas sur lequel —, ils le sont. Le pont-levis s'abaisse, l'huissier Maillard se précipite, et après lui le déluge vivant. La Bastille est tombée : Victoire ! la Bastille est prise[36].

 

VII. — PAS UNE RÉVOLTE.

 

Pourquoi s'appesantir sur ce qui suit ? La foi d'officier de Hulin aurait dû être respectée, mais ne le pouvait pas. Les Suisses sont rangés en bataille, déguisés en blouses blanches. Les invalides sans déguisement, leurs armes entassées contre le mur. Le premier élan des vainqueurs joyeux d'avoir échappé au péril de mort, les jette dans les bras des vaincus. Mais d'autres vainqueurs s'élancent avec une exaltation qui n'est plus complètement de la joie. Comme nous disions, c'était un déluge vivant plongeant en avant, et si les gardes françaises, avec leur sang-froid militaire, n'eussent fait volte-face et levé leurs mousquets, l'impulsion eût été jusqu'au suicide, car ils risquaient de se précipiter par centaines et par milliers dans les fossés de la Bastille.

Ainsi continue le flot roulant à travers cours et corridors. Mugissant, irrésistible, tirant par les fenêtres sur les siens dans une frénésie de triomphe, de haine et de vengeance pour ses morts. Les pauvres invalides vont passer un mauvais moment : un soldat suisse se sauvant en blouse blanche est refoulé par un coup mortel. Que tous les prisonniers soient conduits sous escorte à l'hôtel de ville pour être jugés. Hélas ! déjà un pauvre invalide a la main droite abattue d'un coup de sabre, et son corps mutilé est traîné et pendu à la place de Grève. C'est cette même main droite qui, dit-on, a écarté de Launay des magasins de poudre, et sauvé Paris.

De Launay, reconnu en frac gris avec un ruban rouge, veut se tuer avec sa canne à épée. On le mène à l'hôtel de ville ; Hulin, Maillard et d'autres l'escortent, Élie marchant en tête avec l'acte de capitulation sur la pointe de son sabre, à travers les vociférations, les malédictions, à travers les bousculades, les poussées et enfin les coups ! L'escorte est dispersée, renversée. Hulin exténué s'affaisse sur un tas de pierres. Malheureux de Launay, il n'entrera jamais à l'hôtel de ville ! Il n'y entrera que la queue de sa chevelure ensanglantée, tenue par une main ensanglantée en guise de trophée. Le tronc saignant est couché sur les marches, et la tête, effrayante à voir, promenée en triomphe dans les rues sur une longue pique.

L'austère de Launay est mort, criant : Oh ! mes amis, tuez-moi vite ! Il faut que l'indulgent de Losme meure ; quoique la reconnaissance l'embrasse dans cette heure terrible, et veuille mourir pour lui, mais c'est en vain. Mes frères, votre colère est cruelle ! Votre place de Grève est devenue la gueule du tigre, pleine de féroces rugissements et altérée de sang. Un autre officier est massacré, un autre invalide pendu à la lanterne : avec de grandes difficultés, avec une généreuse persévérance, les gardes françaises sauveront le reste. Le prévôt Flesselles, depuis longtemps frappé de la pâleur de la mort, doit descendre de son siège pour être jugé au Palais-Royal, hélas ! pour être fusillé par une main inconnue, au tournant de la première rue.

Ô soleil couchant de juillet, à cette heure, tes rayons obliques tombent sur le moissonneur dans les paisibles champs, sur les vieilles femmes filant dans leurs chaumières, sur des vaisseaux lointains au milieu de l'Océan, sur des bals à l'orangerie de Versailles où de belles dames fardées dansent avec les officiers de hussards, et aussi sur ce tumultueux enfer du portail de l'hôtel de ville. La tour de Babel avec la confusion des langues ne peut en présenter le type ; il faut y ajouter Bedlam avec la confusion des idées. Une forêt sans fin d'acier étincelle en face du comité électoral, se dresse et menace en horribles rayons tantôt l'une, tantôt l'autre des poitrines accusées. Ce sont les Titans guerroyant avec l'Olympe, et n'osant croire à leur victoire. Prodige des prodiges ! c'est du délire et ce ne pouvait être autre chose. Dénonciation, vengeance, éclat de triomphe sur un fond noir de terreur, toutes les choses extérieures ou intérieures confondues dans un naufrage général de folie.

Quand le comité électoral eût eu mille gosiers d'airain, il n'aurait pu suffire. L'abbé Lefèvre, dans la voûte des caves, est noir comme Vulcain, distribuant cinq mille livres pesant de poudre, avec quels dangers, pendant ces quarante-huit heures ! La nuit dernière, un patriote pris de boisson persistait à rester assis avec sa pipe allumée sur le bord d'un baril de poudre : là il fumait, fort de son indépendance, jusqu'à ce que l'abbé Lefèvre, lui ayant acheté sa pipe trois francs, s'empressa de la jeter au loin.

Élie est assis dans la grande salle, sous les yeux du comité électoral, son épée tirée et ployée en trois différents endroits, son casque aplati — car il était du régiment de cavalerie de la reine —, son uniforme déchiré, le visage roussi et souillé, comparable, prétend-on, à un guerrier antique, jugeant le peuple et formant une liste des héros delà Bastille. Oh ! mes amis, n'entachez pas de sang les lauriers les plus verts qui aient jamais été conquis dans ce monde. Tel était le refrain d'Élie ; si seulement on pouvait l'écouter. Courage, Élie ! courage, électeurs municipaux ! un soleil couchant, le besoin d'aliments, le besoin de raconter les nouvelles, amèneront l'apaisement et la dispersion : toutes choses en ce monde doivent finir.

Le long des rues de Paris circulent sept prisonniers de la Bastille portés sur les épaules ; sept têtes au bout des piques, les clefs de la Bastille, et bien d'autres choses. Voyez aussi les gardes françaises marchant avec leur régularité militaire vers leurs casernes, ayant avec bonté formé un carré autour des invalides et des Suisses. Il y a un an et deux mois, que ces hommes, sans y participer, furent avec Brennus d'Agoust au palais de justice, lorsque le sort triompha de d'Esprémesnil, et à présent ils ont participé et participeront à tout : non plus désormais gardes françaises, mais grenadiers du centre de la garde nationale, hommes d'une discipline de fer, gais, et nullement dépourvus d'idées.

La chute des pierres détachées de la Bastille continue aussi à tonner dans l'obscurité ; les archives de papier voltigent. Les vieux secrets se présentent à la vue, et le désespoir, depuis longtemps enseveli, trouve une voix. Lisez ce fragment d'une vieille lettre datée du 7 octobre 1752 : Si, pour ma consolation, Monseigneur voulait m'accorder pour l'amour de Dieu et de la très-sainte Trinité, que je puisse avoir des nouvelles de ma chère femme, ne fût-ce que son nom sur une carte, pour montrer qu'elle vit ! ce serait la plus grande consolation que je pourrais recevoir, et j'en bénirais à tout jamais la grandeur de Monseigneur. Pauvre prisonnier, qui te nommes Quéret-Démery, et qui n'a pas d'autre histoire. Elle est morte cette chère femme, et tu es mort ! Il y a cinquante ans que ton cœur brisé fit cette question, entendue à présent pour la première fois, mais devant vivre longtemps dans le cœur des hommes.

Mais voici que s'obscurcit le crépuscule de juillet ; voici que Paris, comme un enfant malade et comme toute créature affolée, s'endort par ses propres cris. Les électeurs municipaux, étonnés d'avoir encore leurs têtes sur leurs épaules, rentrent chez eux : seul, Moreau de Saint-Méry, avec un cœur et une naissance tropicale, avec un jugement calme, reste avec deux autres, en permanence à l'hôtel de ville. Paris dort, la cité illuminée rayonne : des patrouilles circulent sans mot d'ordre ; il y a des rumeurs, des alarmes de guerre ; on parle de quinze mille hommes traversant le faubourg Saint-Antoine, qui ne l'ont jamais traversé. A la confusion du jour on peut juger celle de la nuit. Moreau de Saint-Méry, avant de quitter sa place, donne plus de trois mille ordres : Quelle tête ! comparable à la tête d'airain du moine Bacon ! sur elle repose Paris. Prompte doit être la réponse, bonne ou mauvaise. Dans Paris il n'existe pas d'autre autorité ; sérieusement, c'est une tête froide et bien ordonnée, pour laquelle, ô brave Moreau de Saint-Méry, dans bien des fonctions, depuis celle d'auguste sénateur, commis négociant, libraire, vice-roi en bien des endroits, de la Virginie à la Sardaigne, en vrai brave, tu trouveras toujours de l'emploi.

Besenval a décampé sous un nuage de poussière, au milieu d'une grande affluence de peuple, qui ne- lui fait pas de mal ; il marche d'un pas faible et chancelant pendant toute la nuit, le long de la rive gauche de la Seine, vers l'espace infini. Besenval sera cité de nouveau pour être jugé et difficilement acquitté. Ses troupes du roi, son Royal-allemand, sont partis pour toujours.

A Versailles, les bals et les rafraîchissements sont terminés ; l'Orangerie est muette, excepté pour les oiseaux de nuit. Dans la salle des Menus, le vice-président Lafayette, les lumières non éméchées, avec environ cent membres étendus sur des tables autour de lui, siège la tête haute, veillant au delà des lumières étoilées. En ce jour, une seconde députation se présente à Sa Majesté, puis une troisième, mais sans effet. Quelle sera la fin de tout cela ?

A la cour, tout est mystère, non sans des chuchotements de terreur, bien que vous rêviez de bals et d'épaulettes, femmes frivoles ; Sa Majesté, tenue en une heureuse ignorance, rêve peut-être des fusils à deux coups ou des bois de Meudon. Le soir, tard, le duc de Liancourt, qui avait de droit officiel ses entrées, obtient accès à l'appartement royal, et de sa manière claire et constitutionnelle révèle les nouvelles désastreuses : Mais, dit le pauvre Louis, c'est une révolte. — Sire, répondit de Liancourt, ce n'est pas une révolte... c'est une révolution.

 

VIII. — LA CONQUÊTE DE NOTRE ROI.

 

Le lendemain, une quatrième députation au château est sur pied, d'un caractère plus solennel, pour ne pas dire plus effrayant ; car outre les orgies à l'Orangerie, il paraît que les convois de grain sont tous arrêtés : le tonnerre de Mirabeau n'a pas fait défaut. Telle est la députation qui se prépare à partir. Voici venir Sa Majesté elle-même, accompagnée seulement de ses deux frères ; elle arrive de la manière la plus paternelle, annonce que les troupes et toutes les causes de méfiance sont parties, que dorénavant il n'y aura que confiance, réconciliation et bon vouloir, et elle autorise et même requiert l'Assemblée nationale d'en informer Paris en son nom. Des acclamations comme venant d'hommes subitement arrachés à la mort répondent : l'Assemblée entière se lève pour escorter le retour de Sa Majesté, les députés faisant une barrière de leurs bras enlacés, pour écarter et empêcher l'extrême envahissement de la foule, car tout Versailles est là poussant et acclamant. Les musiciens du château, avec une heureuse promptitude, entonnent : Où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille. La reine paraît au balcon avec son petit garçon et sa petite fille, les embrassant à plusieurs reprises ; des vivats à l'infini s'étendent de près et de loin ; et tout à coup il est venu comme qui dirait un nouveau Paradis sur terre.

Quatre-vingt-huit illustres sénateurs, Bailly, Lafayette, et parmi eux notre archevêque repentant, montent en voiture pour porter à Paris la grande nouvelle : des bénédictions sans fin sur leurs têtes. De la place Louis XV, où ils ont mis pied à terre jusqu'à l'hôtel de ville, est un véritable océan de cocardes tricolores et de brillants mousquets nationaux ; une tempête de vivats, de battements de mains, accompagnés parfois de roulements de tambours. Des harangues dûment ferventes sont prononcées, spécialement par Lally-Tollendal, le fils pieux de l'infortuné Lally, sur la tête duquel on avait en conséquence placé de force une couronne de chêne ou de persil, que de son côté il transféra de force sur la tête de Bailly.

Mais il y a certainement une chose essentielle : il faut à la garde nationale un général ! Moreau de Saint-Méry, l'homme des trois mille ordres, jette un coup d'œil significatif sur le buste de Lafayette qui y est posé depuis la guerre de l'indépendance de l'Amérique ; et là-dessus Lafayette est nommé par acclamation. Ensuite à la place du traître ou quasi-traître Flesselles, le président Bailly sera-t-il prévôt des marchands ? Non ! maire de Paris ! Soit. Vive Bailly ! Vive Lafayette ! et les cris de la multitude qui sanctionne au dehors déchirent le firmament. Et maintenant pour conclure, allons à Notre-Dame et chantons un Te Deum.

Vers la cathédrale de Notre-Dame, en joyeuse procession, s'avancent les régénérateurs de la nation, à travers un peuple enthousiaste et d'une manière toute fraternelle ; l'abbé Lefèvre, encore tout noir de la poudre qu'il a distribuée, donnant le bras à l'archevêque, revêtu de son étole blanche. Le pauvre Bailly rencontre l'école des enfants trouvés envoyés pour lui faire hommage, et verse des larmes. Le Te Deum, l'archevêque officiant, est non-seulement chanté, mais salué de coups de feu. Notre joie est sans bornes, comme menaçait de l'être notre douleur. Paris, avec ses piques et ses mousquets, avec la valeur qui est en lui, a conquis même les dieux de la guerre, à la satisfaction maintenant de Sa Majesté elle-même. Un courrier a été cette nuit expédié vers Necker : le ministre du peuple, invité à revenir par le roi, par l'assemblée nationale, et par la nation, va traverser la France au milieu des acclamations, au son de la trompette et du tambourin.

En voyant la tournure que prennent les choses, messeigneurs du triumvirat de la cour, messieurs du ministère Broglie, mort-né, et autres pareils, jugent que leur parti à prendre est clair : c'est celui de monter en voiture et de décamper. Partez, trop royalistes Broglie, Polignac et princes du sang, partez, pendant qu'il en est encore temps. Le Palais-Royal, dans ses dernières motions nocturnes, n'a-t-il pas mis à prix chacune de vos têtes — sans indiquer l'endroit du payement — ? Avec mille précautions, avec l'aide de canons et de régiments sur lesquels on peut compter, messeigneurs, dans la nuit du 16 au 17, gagnent leurs différentes routes. Non sans risque ! Le prince de Condé voit — ou croit voir — des hommes le suivant au grand galop, avec l'intention, dit-on, de le précipiter dans l'Oise, à Pont-Sainte-Maxence[37]. Les Polignac voyagent déguisés, des amis au lieu de cochers sur les sièges. Broglie rencontre des difficultés à Versailles, court des risques à Metz et à Verdun, parvient néanmoins à gagner en sûreté Luxembourg, où il s'établit.

Ce fut ce qu'on appelle la première émigration, décidée, à ce qu'il paraît, en plein conclave à la cour, en présence du roi, toujours prompt à suivre toute opinion, comme pour en avoir sa part de responsabilité. Trois fils de France, et quatre princes du sang de saint Louis, dit Weber, ne pouvaient pas mieux humilier les bourgeois de Paris, qu'en paraissant par leur retraite craindre pour leurs jours. Hélas ! les bourgeois de Paris supportent l'humiliation avec le stoïcisme le plus inattendu ! Le prince d'Artois est parti, mais a-t-il, par exemple, emporté avec lui les terres d'Artois ? Pas même Bagatelle, sa maison de plaisance, qui va maintenant servir utilement de cabaret ; à peine ses culottes à quatre laquais, laissant derrière lui le culottier ! — Quant au vieux Foulon, on apprend qu'il est mort ; au moins de somptueuses funérailles ont eu lieu, les entrepreneurs de pompes funèbres lui faisant honneur à défaut de tous autres. L'intendant Berthier, son gendre, vit encore, se tenant aux aguets : il a rejoint Besenval dans cette journée des Euménides, le dimanche, paraissant traiter la chose avec légèreté ; et maintenant il s'est sauvé on ne sait où.

L'émigration n'est pas encore bien loin, le prince de Condé à peine au delà de l'Oise, que Sa Majesté, suivant ce qui a été arrangé (car l'émigration aussi pensa que ce pouvait être bon), prend une résolution assez audacieuse, celle de visiter Paris en personne. Avec une centaine de membres de l'Assemblée, avec peu ou point d'escorte militaire, qu'il congédia même au pont de Sèvres, le pauvre Louis se met en route, quittant un palais désolé, une reine en pleurs : pour elle, le présent, le passé et le futur sont également cruels.

A la barrière de Passy, le maire Bailly, en grand gala, lui présente les clefs, le harangue en style académique ; déclare que c'est un grand jour ; qu'avec Henri IV, c'est le roi qui a fait la conquête de Paris, mais que dans ce moment plus heureux, c'est le peuple qui a conquis son roi. Le roi, si heureusement conquis, s'avance lentement, à travers un peuple d'acier, silencieux ou criant seulement : Vive la nation ! est harangué à l'hôtel de ville par Moreau des trois mille ordres, par le procureur du roi M. Ethys de Corny, par Lally-Tollendal et autres, ne sait que dire ou penser, apprend qu'il est le restaurateur de la liberté française, comme doit le témoigner à tous une statue qu'on va lui élever sur l'emplacement de la Bastille. Enfin, il est montré au balcon avec une cocarde tricolore à son chapeau, est salué alors de véhémentes acclamations partant des rues et carrefours, des fenêtres et des toits ; puis, reprenant la route au milieu de cris mélangés, avec une alternative et comme un mariage entre Vive le roi ! et Vive la nation ! regagne Versailles, harassé, mais en sûreté.

C'était le dimanche que les boulets rougis étaient suspendus menaçants sur nos têtes ; nous voici au vendredi, et la révolution est sanctionnée. Une auguste Assemblée nationale fera la constitution ; et ni pandour étranger, ni triumvirat domestique, avec ses canons braqués et ses complots de poudre à la Guy-Fawx — car cela aussi fut dit —, ni aucun pouvoir tyrannique sur terre ou sous terre ne lui dira : Que fais-tu ? — Ainsi se félicite le peuple, certain maintenant d'avoir une constitution. Le délirant marquis Saint-Huruge est entendu sous les fenêtres du château, murmurant des paroles de trahison[38].

 

IX. — LA LANTERNE.

 

La chute de la Bastille peut être considérée comme ayant ébranlé toute la France jusqu'aux dernières fondations de son être. La rumeur de ces merveilles vole de tous côtés avec la promptitude ordinaire de toute rumeur, avec un effet jugé surnaturel et produit par des complots. D'Orléans ou Laclos, ou même Mirabeau (non cependant alors surchargé d'argent), ont-ils envoyé de Paris des courriers pour galoper en rayonnant sur toutes les grandes routes, vers tous les points de la France ? C'est là un miracle qu'aucun homme de pénétration ne mettra en question[39].

Déjà, dans la plupart des villes, des comités électoraux se sont constitués pour voter des regrets à Necker, faire des harangues et prendre des résolutions. Dans plus d'une ville, comme Rennes, Caen, Lyon, un peuple en ébullition a témoigné ses regrets par des projectiles et des coups de feu. Mais maintenant, dans ces jours d'épouvante, aux portes de chaque ville, en France, se présentent des hommes, des hommes à cheval, car en général les rumeurs ne vont pas à pied. Ces hommes déclarent avec une figure alarmée que les BRIGANDS arrivent, qu'ils sont dans le voisinage, et puis ils reprennent leur course et poursuivent leur besogne, quelle qu'elle soit. En conséquence, toute la population des villes court précipitamment pour se défendre. Des pétitions sont ensuite envoyées à l'Assemblée nationale : dans de tels périls, au milieu de semblables terreurs, la permission de s'organiser ne peut être refusée, et la population armée devient partout une garde nationale enrôlée. Ainsi court la rumeur, rayonnant dans toutes les directions de Paris à l'extérieur : en quelques jours, d'autres disent quelques heures, toute la France, jusqu'aux dernières frontières, se trouve hérissée de baïonnettes. Chose étrange, mais incontestable, miraculeuse ou non ! C'est ainsi que tout liquide chimique, quoique refroidi jusqu'au point de congélation, ou plus bas, peut encore rester liquide, et puis au moindre choc, au moindre mouvement, se transformer entièrement en glace : de même, la France, après avoir été pendant de longs mois, de longues années, soumise à des élaborations chimiques, amenée au-dessous de zéro, se trouve tout à coup secouée par la chute de la Bastille ; la congélation arrive et devient une énorme masse cristallisée d'acier tranchant ! Guai a chi la tocca, gare à qui la touche !

Dans Paris, un comité électoral avec un nouveau maire, un nouveau général, a fort à faire avec les ouvriers belliqueux, pour leur faire reprendre leur travail. De fortes dames de la halle font des harangues de congratulation, présentent des bouquets à la châsse de sainte Geneviève. Les hommes non régulièrement enrôlés déposent leurs armes, pas avec autant d'empressement qu'on le voudrait, et reçoivent neuf francs. Avec le Te Deum, les visites royales et la sanction de la révolution, le temps revient au beau, brillant même d'un éclat surnaturel : l'ouragan est balayé.

Néanmoins, comme c'est naturel, les flots sont encore agités, et dans le creux des rochers retentissent les murmures. Nous ne sommes qu'au 22 du mois, une semaine à peine après la chute de la Bastille, lorsque soudainement il se dit que le vieux Foulon est vivant ; bien plus, qu'il est ici, dans les rues de Paris, dès l'heure du matin ; l'exacteur, le comploteur, qui veut que le peuple mange du foin, qui a été toujours et dès l'origine un menteur. Il en est pourtant ainsi : ni les trompeuses funérailles (de quelque domestique mort), ni l'asile caché de Vitry vers Fontainebleau n'ont profité au misérable vieillard. Quelque domestique vivant, ou quelque subordonné, car personne n'aime Foulon, ont fait connaître sa retraite au village. Des paysans impitoyables de Vitry le déterrent, se précipitent sur lui comme des chiens d'enfer : Vers l'ouest, vieille infamie ! à Paris, pour être jugé à l'hôtel de ville ! Sa vieille tête dépouillée, de soixante-quinze années, est nue. Ils ont attaché à son dos une emblématique botte de foin ; une guirlande d'orties et d'épines est autour de son cou ; c'est de cette manière que, conduit au bout d'une corde, poursuivi de malédictions et de menaces, il lui faut se traîner avec ses vieux membres ; de tous les vieux hommes, le plus digne de pitié, et celui qui en rencontre le moins.

Le noir Saint-Antoine et toutes les rues vomissent leurs foules sur son passage ; la grande salle de l'hôtel de ville, la place de Grève elle-même est à peine assez grande pour lui et son escorte. Foulon, non-seulement doit être jugé selon les règles, mais jugé sur place, sans délai. Nommez sept juges, ô municipaux, ou soixante-dix-sept, nommez-les vous-mêmes, ou nous les nommerons, mais qu'il soit jugé[40] ! La rhétorique électorale, l'éloquence du maire Bailly, se perdent pendant des heures à démontrer la beauté des délais de la loi. Des délais, toujours des délais ! Vois, ô maire du peuple, le matin est déjà passé au midi, et il n'est pas encore jugé ! Lafayette, appelé à la hâte, arrive, donne son avis : Ce Foulon, homme bien connu, est indubitablement coupable ; mais ne peut-il pas avoir des complices ? Ne pourrait-on pas adroitement obtenir de lui des révélations dans la prison de l'Abbaye ? C'est une lumière nouvelle ! Le sans-culottisme bat des mains, et le malheureux Foulon, voyant une lueur d'espoir et entraîné par sa destinée, bat aussi des mains. Voyez ! ils s'entendent entre eux ! s'écrie le sombre sans-culottisme, exaspéré par le soupçon. — Amis, dit une personne bien vêtue, en s'avançant dans la foule, qu'est-il besoin de juger cet homme ? N'a-t-il pas été jugé depuis trente ans ? Aussitôt, avec de sauvages hurlements, le sans-culottisme le saisit de ses cent mains ; il est traîné à travers la place de Grève vers la lanterne qui est au coin de la rue de la Vannerie, plaidant amèrement pour la vie, mais sa voix se perdant aux vents. Il fallut trois cordes pour le pendre, les deux premières ayant cassé, et dans l'intervalle sa voix gémissante plaidait encore. Son corps est traîné dans les rues ; sa tête plantée au bout d'une pique, avec du foin dans la bouche ; au milieu des vociférations infernales poussées par un peuple mangeur de foin[41].

Assurément, si la vengeance est une espèce de justice, elle est d'une espèce sauvage. 0 délirant sans-culottisme, as-tu donc surgi, dans ton obscurité délirante, dans tes souillures et tes haillons, subitement, comme un Encelade enterré vivant de dessous sa Trinacrie ? Ceux qui voulaient faire manger le foin le mangent ainsi eux-mêmes. Après de longues générations de gémissements inarticulés, ton tour est-il tout à coup venu ? Voilà à quels abîmes, à quels renversements, à quels effrayants déplacements du centre de gravité conduisent les solécismes humains, avec une responsabilité et des ruines proportionnées à la grandeur et à la durée du solécisme.

Pour ajouter à l'horreur du maire Bailly et de ses municipaux, la nouvelle leur arrive de l'arrestation aussi de Berthier ; il est en route, amené de Compiègne ; Berthier, intendant, collecteur d'impôts à Paris, délateur et tyran, accapareur de blé, organisateur de camps contre le peuple, accusé de beaucoup de choses. N'est-il pas d'ailleurs le gendre de Foulon ? et par ce seul fait coupable en tout, surtout dans ces heures où bouillonne la colère du sans-culottisme. Les municipaux épouvantés envoient un des leurs pour l'escorter avec des gardes nationaux à cheval.

A la chute du jour, le malheureux Berthier, portant encore une physionomie de courage, arrive à la barrière en voiture découverte, avec le municipal à ses côtés, cinq cents cavaliers le sabre au poing, des piétons sans armes, en nombre, non sans bruit. Des affiches circulent autour de lui, portant en immenses caractères son acte d'accusation tel que le sans-culottisme l'a rédigé avec une concision extra-légale[42]. Paris est venu à sa rencontre avec des battements de mains, avec le monde aux fenêtres, avec des danses, des chants de triomphe, semblables aux chants des furies. Enfin, se présente devant lui au bout d'une pique la tête de Foulon. A cette vue, on comprend que ses regards deviennent ternes, et qu'il perdit connaissance. Néanmoins, quelle que soit sa conscience, ses nerfs sont de fer. A l'hôtel de ville, il ne veut faire aucune réponse. Il dit qu'il obéissait à des ordres supérieurs ; ils ont ses papiers, ils peuvent le juger et prononcer : quant à lui, n'ayant pas fermé l'œil depuis deux nuits, il ne demande qu'une chose, c'est le sommeil. Sommeil de plomb, infortuné Berthier ! Les gardes se lèvent avec lui pour se diriger vers l'Abbaye. A la porte même de l'hôtel de ville ils sont dispersés, jetés de côté par un tourbillon de bras ; Berthier est traîné vers la lanterne. Il saisit un fusil, frappe et renverse, se défendant en lion furieux ; enfin il est abattu, foulé aux pieds, pendu, mutilé : sa tête aussi, et même son cœur, parcourt la cité au bout d'une pique.

Chose horrible, dans des pays ayant connu une justice égale pour tous ; pas si étrange dans des pays qui ne l'avaient jamais connue. Le sang qui coule est-il donc si pur ? demande Barnave, insinuant par là que les galères, quoique d'une manière irrégulière, ont la proie qui leur était due. Et toi-même, ô lecteur ! quand tu tournes ce coin de la rue de la Vannerie, et que tu vois cette même branche noire de vieux fer, les réflexions ne te feront pas défaut. Elle est là encore, par-dessus une boutique d'épicier ou tout autre commerçant, avec le buste de Louis XIV, dans une niche au-dessous, le buste cependant n'y étant plus aujourd'hui ; elle est là, supportant encore un réverbère à lumière douteuse ; elle a vu crouler des mondes, et reste muette.

Mais aux gens du patriotisme éclairé, quel coup de tonnerre, éclatant dans les rayons des beaux jours. Nuage d'une noirceur infernale, annonçant des masses cachées d'une électricité sans limites. Le maire Bailly, le général Lafayette, donnent avec indignation leur démission, ont besoin d'être ramenés par des flatteries. Le nuage disparaît comme tous les nuages portant le tonnerre. Le beau temps revient, quoique avec quelques teintes grises, mais d'un caractère de plus en plus évidemment non surnaturel.

Ainsi, dans tous les cas, quelles que soient les souffrances accidentelles, la Bastille est effacée de la terre, et avec elle la féodalité, le despotisme, et aussi, on l'espère, l'oppression et tout abus de l'homme sur ses frères en humanité. Hélas ! l'oppression et l'abus ne sont pas aussi aisément effacés ! Quant à la Bastille, elle s'écroule jour par jour, mois par mois ; ses pierres et ses moellons démantelés sans discontinuer, par ordre exprès de nos municipaux. Des foules de curieux rôdent dans ses cavernes, contemplent les squelettes murés, les oubliettes, les cages de fer, les monstrueux blocs de pierre où sont scellées des chaînes avec leurs cadavres. Un jour, nous y distinguons Mirabeau, venu avec le Genevois Dumont[43]. Ouvriers et spectateurs lui ouvrent respectueusement le chemin, jettent sur ses pas des vers et des fleurs, et dans sa voiture des papiers de la Bastille et des pièces curieuses, avec force vivat.

D'habiles éditeurs publient des livres avec les archives delà Bastille. Combien y en a-t-il qui survivent ? La clef de cette tanière traversera l'Atlantique, et restera sur le bureau de Washington. La grande horloge tinte maintenant dans l'appartement privé d'un horloger patriotique, ne mesurant plus les seules heures de douleur. La Bastille a disparu, ce que nous appelons disparu ; le corps ou les pierres suspendues maintenant par une heureuse métamorphose, et pour de longs siècles, au-dessus des eaux de la Seine, sous le nom de pont Louis XVI[44], l'âme devant vivre encore plus longtemps dans la mémoire des hommes.

Voilà où vous nous avez conduits, augustes sénateurs, avec votre inertie et votre impulsion, votre sagacité et votre persévérance. Et cependant, messieurs, comme le disaient avec justice les pétitionnaires, vous qui étiez nos sauveurs, vous avez vous-mêmes eu besoin de sauveurs, à savoir les braves bastilliens, les ouvriers de Paris, beaucoup d'entre eux dans la plus déplorable position pécuniaire[45]. Des souscriptions sont ouvertes ; des listes sont formées, plus correctes que celles d'Élie ; des harangues sont prononcées. Un corps de héros de la Bastille, passablement complet, est organisé, comparable aux Argonautes, espérant vivre autant qu'eux. Mais dans un peu plus d'une année, le tourbillon des choses les a dispersés, et ils sont anéantis. Il y a tant de superlatifs créés par l'homme qui sont suivis de superlatifs plus grands, et dégénèrent en comparatifs et en positifs. Le siège de la Bastille, auprès duquel la plupart des autres sièges, y compris celui de Troie, placés dans la balance historique, ne pèseraient pas un cheveu, ne coûta en morts et mortellement blessés que quatre-vingt-trois personnes du côté des assiégeants, et du côté des assiégés, après tant de paille brûlée, de jets d'eau des pompes, après un déluge de mousqueterie, qu'un pauvre invalide solitaire, tué roide mort sur les remparts[46]. La forteresse de la Bastille, comme la cité de Jéricho, fut renversée par des sons miraculeux.

 

 

 



[1] Histoire parlementaire, t.  I, p. 379-422. Compte rendu du 6 mai au 1er juin 1789.

[2] Moniteur, Histoire parlementaire, t.  I, p. 405.

[3] Histoire parlementaire, t. I, p. 429.

[4] Arthur Young, t. I, p. 104.

[5] Mémoires de Bailly, t. I, p. 114.

[6] Histoire parlementaire, t. I, p. 413.

[7] Compte rendu des débats, du 1er au 17 juin 1789, Histoire parlementaire, t. I, p. 422-478.

[8] Dumont, Souvenirs sur Mirabeau, t. I, p. 4.

[9] Histoire parlementaire, t. I, 13.

[10] Moniteur, Histoire parlementaire, t. II, p. 22.

[11] Montgaillard, t. II, p. 38.

[12] Histoire parlementaire, t. II, p. 26.

[13] Bailly, t. I, p. 217.

[14] Histoire parlementaire, t. II, p. 23.

[15] Montgaillard, t. II, p. kl.

[16] Arthur Young, !  I, p. 119.

[17] A. Lameth, Assemblée constituante, t. I, p. 44.

[18] Besenval, t. III, p. 398.

[19] Mercier, Tableau de Paris, t. VI, p. 22.

[20] Histoire parlementaire.

[21] Dictionnaire des hommes marquants. Londres (Paris), 1800, t. II, p.198.

[22] Besenval, t. III, p. 394-6.

[23] Histoire parlementaire, t. II, p. 32.

[24] Dussaulx, Prise de la Bastille (Collection des mémoires, par Berville et Barrière, Paris, 1821, p. 269).

[25] Avis au peuple, ou les ministres dévoilés, 1er juillet 1789.

[26] Besenval, t. III, p. 411.

[27] Histoire parlementaire, t. II, p. 81.

[28] Histoire parlementaire, t. II, p. 81.

[29] Vieux Cordelier, par Camille Desmoulins, n° 5, édition de Baudouin frères. Paris, 1825, p. 81.

[30] Weber, 1. II, p. 75-91.

[31] Deux amis, t. I, p. 267-305.

[32] Dussaulx, Prise de la Bastille, p. 290.

[33] Dussaulx, Prise de la Bastille, p. 290.

[34] Lameth, Ferrière, etc.

[35] Deux amis, t. I, p. 342.

[36] Deux amis : Besenval, Dusaulx, Bailly.

[37] Weber, t. II, p. 126.

[38] Campan, t. II, p. 46-64.

[39] Toulongeon, !  I, p. 95 — Weber, etc.

[40] Histoire parlementaire, t. II, p. 146-9.

[41] Deux Amis, t. II, p. 60-6.

[42] Il a volé le roi et la France ; il a dévoré la substance du peuple ; il a été l'esclave des riches et le tyran des pauvres ; il a bu le sang de la veuve et de l'orphelin ; il a trahi son pays. (Deux Amis, t. II, p. 67-73.)

[43] Dumont, Souvenirs de Mirabeau, p. 364.

[44] Dulaure, Histoire de Paris, t. VIII, p. 434.

[45] Moniteur, séance du samedi 18 juillet 1789.

[46] Dussaulx, Prise de la Bastille, p. 447.