CATHERINE DE MÉDICIS

 

MÈRE DES ROIS FRANÇOIS II, CHARLES IX ET HENRI III

 

 

XXI. — 1584-1587.

 

Il était impossible qu'un parti, aussi parfaitement organisé que l'était la Ligue, subit longtemps les lois des édits de pacification si favorables aux huguenots. De justes murmures se firent entendre dans les rangs des catholiques : on courut encore aux armes, et comme acte d'opposition aux intrigues et aux menées des politiques et des calvinistes unis, le traité de Joinville fut signé entre le peuple de la Ligue, la maison de Guise et d'Espagne ; traité qui excluait Henri de Navarre et le prince de Condé de tous droits à la couronne de France, comme fauteurs et relaps du crime d'hérésie[1]. Les chefs de la Ligue savaient la grande intimité de Catherine de Médicis et du roi de Navarre ; ce prince instruisait la reine mère de tout ce qui se délibérait parmi les calvinistes, et il lui envoya même les cahiers arrêtés en l'assemblée de Montauban pour les faire approuver comme lois du royaume ; catholiques ou protestants montraient tous une certaine austérité ; on n'est à la tète d'un parti qu'à cette condition de tempérance et de vertu. Madame, le synode a été tenu à Montauban, suivant ce qu'il a plu au roy de permettre. Je n'ai pas vu compagnie plus disposée à la paix, au bien de l'Estat et à l'obéissance à rendre à Votre Majesté[2]. Les calvinistes mettaient un prix infini à prouver leur fidélité au gouvernement de la reine mère qui les protégeait et traitait avec eux sur le pied d'égalité. La mort du duc d'Anjou (d'Alençon), l'héritier naturel et légitime de Henri III[3], rendait encore plus considérable la personnalité de Henri de Navarre, désormais le successeur désigné pour la couronne de France. Catherine de Médicis s'était engagée envers lui pour la lui assurer au cas de mort de Henri III, sans postérité.

Les chefs de la Ligue, engagés contre Henri de Navarre, exerçaient une active surveillance sur les moindres démarches du parti des politiques, dont Catherine de Médicis était la tète et la personnification. Les politiques avaient un grand projet, c'était d'amener une habile abjuration du roi de Navarre, et, une fois Henri proclamé héritier de la couronne, de reconnaître la liberté de conscience et la mutuelle indépendance des cultes, idée trop avancée pour une époque de ferventes croyances et d'ardeurs religieuses. De là cette haine profonde, manifestée dans mille pamphlets de la Ligue contre les politiques, toujours personnifiés dans Catherine de Médicis. Il existe un recueil de curieuses caricatures, avec légendes, imprimées à Paris et dirigées contre les politiques[4]. Voici le pourtrait et description des politiques de ce temps, extrait de l'Escriture sainte. C'est un monstre effroyable, moitié femme et moitié poisson, la tète entourée de vipères.

Quel est ce monstre-ci et comment a-t-il nom ?

Des Grecs est dit Syrène et des Hébreux Dagon,

Et le siècle aujourd'hui politique rappelle.

Mais, dites-moi, pourquoi est-il femesle ?

Sa plus grande vertu est de chacun flatter

Et des plus forts le cœur el le courage ester.

Catherine de Médicis était parfaitement indiquée dans ce portrait des politiques tracé par les ligueurs : elle avait toujours négocié pour apaiser les partis et dompter les plus fières âmes, et c'est pourquoi on disait qu'elle avait toujours ôté le cœur et le courage aux forts.

Pourquoi une bouteille est sa dextre tenant ?

Pour autant que le soin plus grand de maintenant.

Et mesme le premier est d'engraisser sa panse,

Se donner du bon tems et faire grand despense[5].

Il n'y avait pas jusqu'à son goût de faste, de plaisirs, de fêtes qui ne fût ainsi un grief contre la reine mère et les chefs de partis modérés.

La vaste association de la Ligue était dans un de ces moments suprêmes qui assurent le triomphe d'une cause ou préparent sa décadence. Tout ce qu'il y avait de bourgeois honorables, de membres populaires, confréries de métiers, ouvriers des corporations, non-seulement à Paris, mais dans toutes les grandes cités de France : Marseille, Lyon, Amiens, Toulouse et Bordeaux étaient entrés dans la Ligue, pour la défense de la foi et le triomphe des libertés municipales[6], deux idées alors corrélatives. Déjà plusieurs tentatives avaient été faites pour s'emparer de l'autorité royale contre les politiques qui l'avaient usurpée. La Ligue avait ses chefs valeureux dans la maison de Guise, son plan concerté, son but définitif et le triomphe absolu de la religion catholique. La Ligue marcherait à ses desseins avec ou sans le roi, sous sa bannière fleurdelisée ou contre elle, à raison qu'il se montrerait catholique zélé ou politique timide et favorable aux protestants. La Ligue avait sa protection au dehors dans le roi d'Espagne, Philippe II, et dans le pape qui commençait à se prononcer contre les hésitations compromettantes de Henri III et de Catherine de Médicis.

La Ligue c'était l'immense majorité de la population, à Paris surtout, où tous les états et métiers faisaient partie de l'union catholique, où même les membres des grands corps politiques se faisaient honneur d'être affiliés. Un curieux document[7] nous dit comment se faisaient ces affiliations. La chambre des comptes s'y était associée par le conseiller La Chapelle Marteau ; le parlement par le président Le Maistre ; les procureurs par Leclerc et Michel ; les greffiers par Senault ; les huissiers par Louchard, etc. Tous les mariniers et garçons de rivière, les bouchers, les boulangers, les charcutiers, les marchands courtiers de chevaux, étaient fortement organisés comme un seul homme, tous prêts à prendre les armes. Le plus grand nombre étaient convaincus que les calvinistes dominaient le conseil de Catherine de Médicis ; et dans le but de se protéger, ils avaient organisé leur gouvernement particulier et municipal : rien de plus honorable que les Seize, magistrats d'élite choisis par élection parmi la meilleure bourgeoisie de Paris et dont voici les noms : La Bruyère, lieutenant particulier au Châtelet ; Crucé, procureur ; Bussy-Leclerc, procureur ; Louchard, commissaire ; Lamorlière, notaire ; Senault, commis au greffe du parlement ; Debart, commissaire ; Drouart, avocat ; Alrequin, Esmonot, procureurs ; Sablier, notaire ; Messien, Potart, colonels de quartier ; Oudineau, prévôt de l'hôtel ; Letellier de Morin, bourgeois. Ces seize réunissaient deux pouvoirs en leurs mains, le gouvernement municipal d'abord ; puis ils formaient le conseil provisoire de l'union en correspondance avec les autres cités municipales[8], de manière à embrasser toute la monarchie.

Une des grandes erreurs historiques a toujours été de voir une intrigue dans la Ligue et non point l'opinion de la France, se prononçant contre la minorité active des calvinistes. La Ligue fut la plus belle, la plus vaste conception nationale organisée pour remplacer le pouvoir royal qui n'accomplissait plus son devoir de gouvernement dans l'intérêt de l'immense majorité.

La France, fatiguée de se voir gouvernée par la petite fraction des politiques, prenait ses précautions en constituant une nouvelle autorité. La Ligue ne manifestait pas encore ses desseins définitifs. Elle disait dans ses manifestes : Chacun voit à l'œil les actions et desportement d'aucuns qui s'estant glissés en l'amitié du roy se sont saisis de son autorité pour se maintenir en la grandeur qu'ils ont usurpée[9]... Il n'y a plus personne honorable qui ait part en la conduite et administration de l'Estat : s'il avoit paru quelque espérance lors de la réunion des estats généraux à Blois, il n'en est resté que la mauvaise volonté de ceux qui avoient le gouvernement. A ces causes déclarons tous avoir juré et saintement promis de tenir la main forte à ce que la sainte Église de Dieu soit réintégrée en sa dignité, en la vraie et seule catholique religion, que la noblesse jouisse comme elle le doit de toute sa franchise, et le peuple soulagé de ses maux, les nouvelles impositions aboUes et toutes crues ostées ; que les parlemens soient remis en la plénitude de leur connoissance et en l'entière souveraineté de leurs jugemens ; que tous deniers qui se lèveront sur le peuple soient employés en la défense du royaume et que désormais les estats généraux, libres et sans aucune pratique, soient réunis et tenus de trois en trois ans au plus tard, avec l'entière liberté à chacun de faire ses doléances[10].

Ainsi était le but national de la Ligue puissamment appuyé sur le vœu de la population armée. Les chefs étaient fatigués des tergiversations des politiques ; ils voulaient enfin qu'on se prononçât d'une façon résolue sur la question de confiance et de gouvernement : le conseil était-il catholique ou protestant, ligueur ou politique ? Si l'autorité de Catherine de Médicis jusqu'ici était un obstacle, on saurait la briser ; le but était enfin de contraindre la reine à se déclarer. Ceux qui dirigent les États ne font pas toujours leur volonté, et leur action personnelle subit la nécessité des temps et des choses : certes, la sainte union, ce pacte qui s'étendait de proche en proche, faisait peur à la reine Catherine de Médicis ; elle aurait préféré les huguenots, moins redoutables, minorité active et plus facilement domptée. Mais les forces de la Ligue se développaient avec une énergie sans pareille, et quelle puissance avait-on pour les combattre ? Un nouveau travail alors s'opéra dans la pensée de Catherine de Médicis : n'y aurait-il pas moyen de dompter, de conduire, d'adoucir la Ligue elle-même, de rattacher la sainte union à la couronne, d'en faire s'il le fallait, sous la main du roi, un moyen de gouvernement ?

Pauvre vieille malade, Catherine de Médicis[11], tout endolorie de son corps, va trouver le duc de Guise au milieu du camp de la Ligue, d'où elle écrit à Henri III[12] : Monsieur mon fils, j'espère que mon nepveu le duc de Guise viendra lundi ; je crois savoir ses intentions ; je désire vous faire entendre et représenter que du point de la religion ils sont tellement préoccupés qu'ils ne veulent rien négocier que par ce point-là. Je vous demande votre intention à ce sujet, et vous dirai-je, monsieur mon fils, que je me suis mieux portée cette nuit ; grâce au ciel, je me suis un peu levée pour faire faire mon lit. La douleur que j'avois hier au costé est un peu calmée, et ai douleur à un pied et l'autre est si foible que je ne pourrois me soutenir : aussi ne me tiendrai-je guère debout : M. de Mayenne a fort bonne volonté pour nous. Monsieur mon fils, le sieur Chartellerie m*a dit que, sans M. de Guise, M. de Mayenne seroit venu nous trouver, et m'a dit aussi que son arquebuse estoit pleine de bonne volonté pour ce pays-ci. Votre très-obligée mère, Catherine[13].

La reine mère, avec son habileté admirable, avait déjà deviné l'homme pacifique et modéré dans la Ligue, M. le duc de Mayenne ; elle le caresse, l'assouplit encore pour le placer dans les mains du roi et calmer l'orage. A ses yeux, le chef-d'œuvre d'habileté ce serait de rapprocher le duc de Mayenne et le roi de Navarre, la double expression modérée des catholiques et des protestants. En attendant la réalisation de cette espérance très-hasardée, il lui paraissait nécessaire que son fils adhérât complètement à la Ligue et s'en déclarât pour ainsi dire le chef. Il existait cette différence entre Catherine de Médicis et Henri III, que celle-ci savait abdiquer ses opinions personnelles, dissimuler ses sentiments, tandis que le roi, impatient et vif, disait haut ses sympathies ou ses antipathies. Or, tandis que Catherine de Médicis signait le traité de Nemours[14], triomphe de la Ligue, Henri III, la raillerie à la bouche, disait aux chefs de la sainte union, aux parlementaires qui la soutenaient : Vous avez voulu la guerre civile et les batailles contre les huguenots ; eh bien ! donnez-moi les moyens de soutenir votre cause par des levées d'hommes et des subsides d'argent. La reine mère cherchait à détruire le mauvais effet de ces paroles imprudemment jetées : quand on se place à la tête d'un parti, il faut bien se garder de le blesser par des aigreurs maladroites ou des révélations indiscrètes ; autrement vous lui devenez suspect, et il cherche de nouveaux conducteurs pour diriger sa cause. La guerre commença dans des conditions de méfiances réciproques ; l'armée de la Ligue, que conduisait le duc de Guise, ne se fondit pas avec l'armée royaliste sous les ordres du duc de Joyeuse. Henri de Navarre gagna la bataille de Coutras sur l'armée de Joyeuse[15]. On ne fut pas sans remarquer qu'au premier choc toute cette armée s'était mise à la débandade ; les ligueurs y virent une trahison, tandis que dans le même mois le duc de Guise remportait une éclatante victoire sur les reîtres et les lansquenets, qui allaient joindre le prince de Condé et les calvinistes. On criait donc victoire pour l'un et trahison pour l'autre. Le grand grief jeté par les ligueurs à Catherine de Médicis était toujours qu'elle cherchait à faire sa paix avec le roi de Navarre, afin de terminer une fois encore la guerre civile par une transaction. Ces plaintes partout transpiraient, même dans les dépêches que l'ambassadeur d'Espagne adressait à sa cour[16]. Le duc de Guise écrivait : Je crains toujours les desseins de la royne mère qui se doit sous peu de jours voir avec le roy de Navarre, et que sur cette conclusion elle veut troubler le repos des catholiques, qui consiste dans l'union. J'escris à mon frère, le duc de Mayenne, que devant qu'elle puisse prendre conclusion, il s'en revienne en diligence en son gouvernement, qui depuis Auxonne est tout nostre, et qu'il s'assure de Lyon afin que nous soyons prêt à empêcher l'effet de telles menées[17]. Les Guise prenaient ainsi toutes leurs précautions contre les menées de la reine.

Les méfiances devenaient encore plus grandes depuis la perte de la bataille de Coutras, défaite, je le répète, que les ligueurs attribuaient à la trahison. Tandis que le duc de Guise, à la tête de son armée victorieuse, poursuivait les reîtres et les lansquenets jusqu'au dehors des frontières du royaume, Catherine de Médicis, le duc d'Épernon[18], tous les chefs du parti politique étaient hautement accusés d'aspirer encore une fois à une transaction dont la Ligue ne voulait à aucun prix. Le duc de Guise venait d'obtenir du pape Sixte-Quint, comme un grand succès pour sa cause, l'excommunication définitive du roi de Navarre et du prince de Condé. Tous ceux qui désormais traiteroient avec ces relaps dévoient être frappés comme hérétiques eux-mêmes. Réunis à Nancy, la capitale de leur prince lorrain, les chefs de la Ligue arrêtèrent entre eux une suite d'articles qu'ils durent soumettre définitivement à la reine mère, comme conditions essentielles de toute adhésion du roi à la Ligue. Ces articles les voici : 1° publication du concile de Trente sans aucun changement ; 2° rétablissement de l'inquisition, tribunal nécessaire pour poursuivre les hérétiques ; 3° toutes les hautes fonctions de l'État confiées aux chefs de l'association catholique ; 4° confiscation des biens des hérétiques pour faire face aux frais de la guerre[19].

Ces conditions étaient trop inflexibles pour que l'esprit si modéré de la reine mère pût les accepter sans y être contrainte. Les articles de Nancy furent envoyés à Henri III, alors dans le palais du Louvre, livré à tous les actes d'une piété extrême et d'une dissipation folle ; étrange confusion toujours reprochée à ce prince extatique. Comme la reine mère était un peu suspecte, elle envoya auprès des chefs de la Ligue, à Nancy, un négociateur habile, expérimenté, M, de Bellièvre, avec mission d'obtenir quelques concessions favorables à son pouvoir[20]. La reine mère s'était pénétrée de cette idée qu'en politique il faut moins suivre ses propres sentiments, ses antipathies ou ses sympathies, que subir les nécessités de sa position. Or, si les Guise sans doute étaient les princes pour lesquels elle avait le moins de tendance, elle savait aussi qu'en eux était la force, la puissance populaire, et qu'ainsi il était difficile de ne pas accepter leur alliance, à moins de se condamner à la nullité de toute action. Catherine de Médicis allait droit à ceux en qui reposait l'autorité sur les masses ; profondément convaincue de cette idée qu'avec de la patience et de l'habileté elle viendrait peut-être à bout d'adoucir les Guise, tout fiers qu'ils étaient. Elle avait déjà jeté les yeux, pour ménager une transaction, sur le duc de Mayenne, qu'elle savait moins passionné que l'aîné de la maison de Lorraine.

Henri III, plus tenace que sa mère dans la liberté de son pouvoir, n'acceptait pas les conditions de Nancy avec autant de facilité. Il avait encore une armée à lui, des amis braves, déterminés ; lui-même était toujours ce brave et loyal duc d'Anjou, grand capitaine, qui avait gagné de si glorieuses batailles. Aux yeux des catholiques n'avait-il pas rendu autant de services que les Guise à la cause générale ? Henri III n'acceptait donc les articles de Nancy qu'avec la condition expresse de rester le chef de la Ligue, sans subir la tutelle du duc de Guise. A cet effet, il avait imposé deux clauses essentielles au négociateur, M. de Bellièvre : 1° c'est qu'il disposerait, comme roi, de la Ligue catholique où il voudrait et comme il l'entendrait ; 2° que le duc de Guise ne viendrait pas à Paris, dans la crainte de lui voir usurper l'autorité publique[21]. Le roi ne le cédait en piété à personne, lui et la reine suivaient tous les offices, les processions, les pèlerinages. Rien en lui ne sentait le huguenot ; que pouvait-on lui reprocher dans la sainte union ?

Comme il voulait se mettre en mesure contre toute entreprise des Guise, Henri III ordonnait secrètement aux gardes suisses de se rapprocher de Paris avec les compagnies françaises. Le roi voulait bien se faire ligueur et assurer le triomphe des catholiques ; mais il portait en son cœur l'instinct secret que dans les Guise il y avait une rivalité instinctive de son pouvoir et de sa couronne. À cette époque le roi redoubla de tendres et passionnés témoignages pour les jeunes hommes qui servaient sa cause et sa personne de leur épée et de leur dévouement. S'il avait tant aimé Saint-Mesgrin, c'est que ce noble jeune homme avait profondément humilié le duc de Guise par l'amour partagé qu'il portait à la femme du chef de la maison de Lorraine. Ces jeunes cavaliers, braves, insouciants, le distrayaient par leurs propos, leurs médisances ; ils vengeaient le roi même par des moqueries sur toutes les insupportables austérités des huguenots et les exigences répétées des chefs catholiques, parlementaires, bourgeois et peuple. Au Louvre, autour du roi, les mignons se raillaient de tout ; et les politiques se vengeaient de ces généreux jeunes hommes, de ces brillants spadassins[22] par d'affreuses et lourdes calomnies rapportées dans le triste et mauvais pamphlet de d'Aubigné. Oui, la cour de Henri III fut élégante, paresseuse, mais brave ; elle aimait les beaux vêlements de soie, les riches objets d'art, legs des Médicis, transmis par la reine mère. Henri HI multipliait les bals, les réunions de plaisirs où, malgré ses souffrances et les années, paraissait encore la reine Catherine de Médicis, couverte de riches habits tout de velours d'or, comme en ses jours de beauté et de jeunesse. Elle se parfumait d'essences, mettait du rouge et du blanc jusqu'aux yeux, se gantait les mains jusqu'aux bras, qu'elle avait si parfaits. Les faiseurs d'histoires qui ont parlé de ses remords, de ses tristes nuits pleines de rêves fantastiques, ne savent rien de celte vie si animée qui ne se partagea qu'en deux éléments, les plaisirs et les affaires.

A la dernière période de son existence les souffrances viennent, mais les souffrances matérielles, les douleurs physiques, tristes compagnes de l'âge. Et qu'avait-elle fait, d'ailleurs, pour mériter des rêves de sang ? Était-ce pour avoir tenté des rapprochements entre les partis incessamment en lutte ? La reine mère, certes, pouvait se tromper sur son temps, sur les tendances des opinions qui abdiquent difficilement leur haine ; mais ce n'était pas un crime que d'avoir cru à la paix des hommes quand tout retentissait de cris de guerre ; ce n'était pas un crime de vouloir rapprocher les esprits irrités et les idées dissidentes, en supposant qu'un peu de duplicité fût nécessaire pour arrêter l'effusion du sang !

 

XXII. — 1587-1588.

 

L'esprit de la population de Paris avait cessé d'être favorable au roi Henri III depuis que les masses, confréries, métiers, bourgeois s'étaient organisés dans la Ligue. L'association secrète (depuis devenue publique) avait ses chefs proclamés par l'union, ses capitaines bien-aimés. En vain la reine Catherine de Médicis avait conseillé à son fils de se déclarer chef de la Ligue, le roi n'inspirait pas une confiance suffisante au peuple de Paris. Les chefs delà Ligue n'avaient foi que dans le duc de Guise. Les partisans de la maison de Lorraine commençaient ce système de dénigrement auquel rien n'échappe en politique ; et bien que Henri III eût multiplié les gages de sa sincérité, ils l'attaquaient dans la chaire et les pamphlets comme un vilain hypocrite qui, le vendredi, ne négligeoit ni la viande ni les tendrons[23]. La confiance du peuple n'appartenait donc qu'aux Lorrains : c'est pourquoi Henri avait spécialement insisté pour que M. de Guise restât éloigné de Paris, le centre du mouvement catholique.

Un certain frémissement avait circulé dans tout Paris lorsqu'on avait su que le roi avait mandé auprès de sa personne les gardes suisses et françaises. Dans quel dessein ? Les ordres des capitaines de quartiers, dizainiers de la ville, se multipliaient à chaque minute pour mettre les troupes bourgeoises sous les armes ; mais l'unité et l'ensemble de ce mouvement municipal ne pouvaient résulter que de la présence du duc de Guise à Paris. Dans l'histoire des partis, il y a un fait qui se produit toujours, c'est l'instinct sympathique des opinions pour leur chef naturel : il y a entre eux des courants électriques qui les rapprochent et les mettent en rapport de sentiments et de projets. A chaque moment le duc de Guise était informé de l'état de Paris[24], des projets du roi, des intentions plus rassurantes de Catherine de Médicis ; il savait que la révolution municipale était prête à éclater contre le conseil dirigé par le duc d'Épernon, et que la reine mère ne serait même pas éloignée de le seconder dans ce projet. Le duc de Guise savait que le peuple de Paris l'appelait de tous ses vœux, qu'il n'attendait que sa présence pour sonner l'insurrection. Des émissaires partaient et revenaient chaque jour auprès du duc de Guise, qui, sous le nom emprunté aux annales de Rome, de Mutins, correspondait avec les grands meneurs du parti populaire à Paris. L'existence d'un chiffre diplomatique, déjà employé à cette époque, est une curiosité historique[25] qui doit être notée. Catherine de Médicis plus d'une fois s'en était servie dans sa correspondance, et le duc de Guise, après die, écrivait ses dépêches secrètes en chiffres particuliers.

La reine fut instruite des desseins des ligueurs et de leurs forces : elle différait avec son fils et le duc d'Épernon sur la manière de traiter cette immense association populaire qui s'était nommée la Ligue. Catherine de Médicis savait qu'il ne faut jamais lutter avec ce qui est plus fort que vous, et qu'il y a souvent des faits et des hommes que l'on déteste, et qu'il faut subir et même caresser avec bonne grâce : elle n'était pas d'avis d'une lutte corps à corps avec le duc de Guise, comme le voulaient Henri III et d'Épernon ; elle désapprouvait l'appel au Louvre des gardes suisses et françaises : le duc de Guise voulait venir à Paris, et il y viendrait, selon Marie de Médicis, malgré le roi et contre le roi si l'on s'y opposait ; mieux valait donc qu'il fût appelé par le roi et pour le triomphe de son autorité. Catherine de Médicis allait si loin dans ce dessein de conciliation, qu'elle espérait bien que M. de Guise n'aurait pas d'autre logis que le sien aux nouvelles Tuileries ; elle savait la fermentation de Paris : et quel meilleur moyen de la calmer ou de la diriger que d'avoir sous sa main chef populaire de la Ligue !

Ce fut le 5 mai que le duc de Guise quitta Nancy pour prendre hautement en main la direction du mouvement de Paris ; il entra déguisé par la porte Saint-Martin[26] ; mais bientôt ses amis, pleins d'enthousiasme, lui ôtèrent son masque et son manteau, et il n'y eut plus qu'un cri partout : Le duc de Guise est parmi nous ! Le flot populaire porta cette bonne nouvelle aux quatre coins de la cité. Selon l'invitation de Catherine de Médicis, et comme pour donner un gage de ses bons desseins, le duc de Guise vint habiter le logis de la reine mère, qu'il rassura sur ses projets, qui n'allaient pas au delà du renvoi du duc d'Épernon et de la consécration royale du traité de Nancy. Catherine de Médicis en parut si esmue d'aise et de contentement, qu'on la vit frissonner, changer de couleur, tant elle estoit heureuse. Elle accueillit le duc avec enthousiasme, et quoique bien souffrante, elle voulut elle-même le conduire au Louvre, afin de saluer le roi et de présider en quelque sorte à l'entrevue, comme une mère prudente et une négociatrice habile et sans passion. A travers les rues de Paris, Catherine de Médicis put voir l'immense popularité du duc de Guise : il n'y avait de cris que pour lui. Même une demoiselle qui était sur une boutique, baissant son masque, lui dit tout haut : Bon prince, puisque tu es ici, nous sommes tous sauvés[27].

La marche de Catherine de Médicis à travers Paris fut lente ; jusqu'au Louvre, la reine était en chaise à cause de sa maladie ; le duc de Guise la suivait à pied : et ensemble entrèrent dans la chambre du roy, lequel pour lors estoit assis près de son lit, et ne se remua pas pour rentrée du dit sieur de Guise, qui lui fit une référence, touchant presque le genou en terre ; mais le roy, irrité de sa Tenue, ne lui fit aucun accueil, sinon de lui demander ceci : Mon cousin, pourquoi estes-vous venu ? La réponse de M. de Guise fut : que c'estoit pour se purger des calomnies qu'on lui avoit mises sus, comme s'il eût été criminel de lèse-majesté[28]. Cette conversation se passionnait à mesure des paroles du roi, lorsque Catherine de Médicis prit son fils à part pour l'apaiser, sans doute, tandis que le duc de Guise se retirait avec assez de hauteur pour qu'aucun des officiers de S. M. n'osât raccompagner. Catherine de Médicis, douloureusement affectée de cette rupture, parla dans le conseil contre toute résolution violente dont la conséquence essentielle serait le soulèvement de Paris agité. Le roi ne partagea pas l'avis de sa mère, et le duc d'Épernon, qui avait toute sa confiance, dut commander les gardes suisses et françaises qui occupaient Paris, et avaient ordre de se grouper dans le Louvre[29] pour une expédition inconnue.

Le conseil du roi essaya d'autres précautions dans la cité ; les registres de l'hôtel de ville sont remplis d'ordres et d'arrêtés pour la visite des hôtelleries et l'armement de la partie bourgeoise et paisible de la population[30]. Le roy veut que la recherche fort exacte se fasse en toutes les maisons de la ville, cité et université, et que les quarteniers fassent mettre par escrit non-seulement le nom des personnes qui ont accoutumé de demeurer es dites maisons, mais encore de celles qui y sont passagèrement logées ; S. M. commande que la dite recherche soit commencée demain, à 6 ou 7 heures[31].

Au milieu de ces émotions si vives, Catherine de Médicis espérait toujours rapprocher le roi son fils du duc de Guise. Dans une entrevue au Louvre, Henri III avait chaleureusement défendu le duc d'Épernon et ses amis. Le duc de Guise avait plusieurs fois protesté de sa loyauté, avec cette déclaration franche et hautaine pourtant : qu'en aucun cas il ne souffriroit que le roy de Navarre fût appelé à la succession de la couronne de France[32]. Tels étaient les sentiments unanimes de la Ligue. Catherine de Médicis en donna, sur ce point, l'assurance au duc de Guise ; elle déclara même que nul roi ne pourrait porter la couronne, s'il n'était bon et loyal catholique. La reine mère conservait l'espérance de tout pacifier, lorsque la lutte s'engageait en armes aux rues de Paris, par l'apparition des gardes suisses et françaises.

D'après les ordres du roi, le duc de Biron entrait dans la cité à la tète des gardes et prenait position devant l'hôtel de ville (Saint-Jean de Grève), au Petit-Pont, aux Saints-Innocents et au Marché-Neuf. L'autre côté, rive gauche de la Seine, depuis la place Maubert jusqu'à l'Université, ne put être occupé vu le petit nombre de troupes : En un instant les escoliers commencèrent à s'esmouvoir ; généralement commença-t-on à se barricader partout de trente à trente pas et de tendre les chaisnes, les barricades fort bien flanquées cl munies d'hommes pour les défendre, tellement qu'il ne fut plus question d'aller partout à Paris sans passeport ou billet particulier[33].

Peuple et bourgeois étaient en armes lorsque le parti modéré de l'hôtel de ville députa auprès du roi pour le prier d'ôter les troupes s'il ne voulait une immense émeute à Paris. Le roi résista à ces prières avec fermeté ; il croyait les forces suffisantes pour comprimer la vive et profonde émotion des masses. Toutes les démarches n'aboutirent à rien qu'à des pourparlers inutiles. Ce qu'avait pressenti Catherine de Médicis et qu'elle avait voulu éviter, éclatait furieusement ; les Suisses, les gardes du roi étaient attaqués, pressés entre mille barricades sans pouvoir s'ouvrir un passage, si ce n'estoit par-dessous terre comme les souris, ou dans l'eau comme les grenouilles, ou s'ils ne voloient en l'air comme les oiseaux[34]. Les barricades s'étendaient de proche en proche jusqu'au Louvre, où était Henri III. La royne mère pleuroit à grosses larmes tout le long de son disner. Le roi ordonna que ses gardes ne fissent plus aucune résistance[35], et Catherine de Médicis s'offrit de nouveau comme médiatrice pour apaiser l'émotion.

La voici encore l'active et pauvre vieille, en sa chaise, pour aller en l'hôtel du duc de Guise ; l'émeute populaire était dans toute son activité, et à peine la royne pouvoit passer parmi les rues si dru semées et retranchées de barricades, tellement que ceux qui les gardoient ne voulurent pas faire plus grande ouverture que pour passer la chaise. C'est ainsi que Catherine de Médicis arriva jusqu'à l'hôtel de ville.

Les paroles douces, persuasives de la reine mère ne furent pas inutiles auprès du duc de Guise, qui, maître de Paris, ne dicta d'autres conditions au roi que le renvoi du duc d'Épernon, chef du conseil, et l'engagement pris d'accéder aux articles de la Ligue signés à Nancy sans arrière-pensée, en promettant surtout de ne pas quitter la bonne cité de Paris et de vivre et mourir avec ses catholiques habitants. Le duc de Guise suivait les vieux conseils de sa famille et les traditions de son père ; en plaçant la couronne de France sur le blason de la ville de Paris, le duc de Guise était sûr de dominer la cité et de régner en maire du palais. Catherine de Médicis le sentait bien sans doute ; mais entre deux maux il fallait choisir le moindre, et puisque l'émotion du peuple était parvenue à son paroxysme, on devait avant tout la calmer. Cet apaisement, le duc de Guise seul pouvait l'obtenir[36] ; ensuite on aviserait aux moyens de contenir la maison de Lorraine si elle allait au delà de certaines limites. Catherine de Médicis faisait sans hésiter la première concession imposée par la Ligue : Qu'en aucun cas le roi de Navarre et le prince de Condé ne pourraient succéder à la couronne. A cette condition le duc de Guise promettait de calmer le peuple.

 

XXIII. — Avril-mai 1588.

 

Henri III était moins décidé que Catherine de Médicis à toutes ces concessions : depuis l'arrivée du duc de Guise à Paris, il n'avait pris aucune part aux démarches de sa mère pour obtenir un traité auprès des chefs de la Ligue. S'il n'avait pas réussi à dompter les barricades par ses gardes suisses et françaises, obligées de se retirer devant le peuple, il s'était jusqu'ici refusé aux conditions impératives que lui faisait l'hôtel de ville de Paris. La pensée du roi fut dès ce moment de quitter la cité secrètement, afin de reconquérir sa liberté d'action au milieu de son armée, et, s'il le fallait, même sous la tente du roi de Navarre, son héritier désigné. Le roi de France, naguère duc d'Anjou, aimait la vie des camps : il n'aspirait qu'au moment où il pourrait rejoindre une armée pour combattre Paris agité ; il fit le semblant d'une paisible promenade, seul, un petit bâton à la main, aux Tuileries, dans les nouveaux jardins plantés : Son escurie estoit là[37] ; il monta à cheval avec ceux de sa suite qui eurent le moyen d'y monter ; il sortit par la porte Neuve, et se retournant vers la ville, jeta quelques propos d'indignation contre son ingratitude et lascheté[38]. Dès ce moment tout fut dit pour son pouvoir.

Cette ville de Paris, apostrophée par le roi, Catherine de Médicis ne l'avait pas abandonnée ; elle avait compris que la force populaire était désormais dans la Ligue, et qu'en trop la heurtant, les Valois perdraient la couronne. La reine resta donc auprès des habitants de la ville de Paris, bien qu'on l'accusât (et certainement à tort) d'avoir conseillé la retraite de son fils ; les conséquences de cet événement étaient prévues par les ligueurs : le conseil de ville assura par une suite de mesures la liberté de son gouvernement, tandis que le duc de Guise, toujours prudent et réfléchi, se montrait respectueusement dévoué au roi Henri III ; il protégeait les gardes suisses et françaises menacées par le peuple irrité ; il les réarmait même, comme s'il n'était que le lieutenant de S. M. Il existe encore une lettre écrite par le duc de Guise au roi d'Espagne[39], pour lui rendre un compte exact de la journée des Barricades, n n'y a pas un mot dur ou séditieux prononcé contre Henri III, son suzerain, dont il veut garder la foi et allégeance, car il est bon catholique.

Catherine de Médicis mettait à profit son séjour à Paris pour essayer un rapprochement encore possible entre le roi son fils et Henri de Guise, qui, victorieux des troupes royales, continuait à montrer des sentiments très-modérés. La ville s'organisait sous son épée : des magistrats tout populaires étaient élus avec la volonté de défendre et de protéger la cité[40]. Toutes les villes ligueuses s'écrivaient dans un dessein de protection mutuelle ; mais toutes aussi ne voulaient point se séparer encore de la royauté des Valois ; Catherine de Médicis profitait de ces bonnes dispositions, et, par son conseil, les présidents La Guesle et de Neuilly vinrent à Chartres où était précisément le roi, pour offrir leur soumission à S. M. Henri III les accueillit avec sévérité, et cependant il aimait tant Paris, qu'il eût été heureux de revoir son Louvre et les Tuileries. La reine mère, instruite de ses dispositions, mettait tout son zèle, toute son activité à conquérir les partisans par son affabilité extrême[41] : elle se promenait en litière au milieu des confréries et des halles en armes, témoignant à tout le peuple qui l'entourait qu'elle allait s'entremettre pour obtenir le retour du roi en sa bonne ville : ce qui était le désir de tous. Dans cette pensée de conciliation, la reine mère résolut elle-même le voyage de Chartres avec le duc de Guise, qui consentit à l'accompagner. Catherine de Médicis mettait d'autant plus d'importance à cette conciliation, que sans le concours du duc de Guise, elle croyait la couronne des Valois tout à fait perdue ; car le peuple choisirait tôt ou tard un prince dans ses opinions, et Henri de Guise était désigné par tous[42]. La suite de la reine mère en ce voyage estoit belle ; le duc de Guise, accompagné de quatre-vingts gentilshommes ; le cardinal de Bourbon, précédé de ses gardes, vestus de casaques en velours cramoisi, brodé d'or ; l'archevesque de Lyon, plusieurs des magistrats de la ville de Paris, etc. Tous arrivèrent à Chartres en la cour, et la reine mère, portant la parole, supplia S. M. de s'en revenir à Paris[43]. Henri III déclara fermement qu'il n'y consentirait jamais tant que les princes lorrains en seraient maîtres ; il pria sa mère de ne l'importuner davantage. Alors Catherine de Médicis se prit à pleurer : Comment, mon fils, que dira-t-on plus de moi et quel compte pensez-vous qu'on en fasse ? Seroit-il bien possible qu'eussiez changé votre naturel que j'ai toujours connu si aisé à pardonner ?C'est vrai, madame, ce que vous dites, répondit le roi en se raillant, mais que voulez-vous que j'y fasse ? c'est le méchant d'Épernon qui a tout changé mon bon naturel.

Le roi jetait cette parole moqueuse à ceux qui accompagnaient la reine, parce qu'il savait que le duc d'Épernon, chef de son conseil, était en haine à tout le parti des princes de Lorraine et même à sa mère ; et il rappelait ce nom pour se gausser des remontrances populaires qui dénonçaient le duc d'Épernon et Lavalette, son frère, comme les

fauteurs et suppôts des hérétiques[44]. Dès ce moment, la Ligue, de plus en plus méfiante à l'égard du roi, et resserrant ses liens, devenait une association puissante qui avait sa diplomatie à l'étranger comme son gouvernement intérieur. Pour Henri il n'y avait plus à hésiter : ou il fallait se mettre avec la Ligue et subir toutes ses conséquences, ou marcher contre elle avec une armée organisée. Catherine de Médicis supplia son fils d'accepter les conditions du parti ligueur, et la médiatrice eut encore l'honneur et le bonheur d'une dernière victoire pacifique.

Par le traité signé à Chartres (juin 1588), le roi Henri III se déclarait le chef de l'union catholique, promettant d'exclure de toute fonction d'État les huguenots et politiques de tout rang et condition. Avant la signature de ce traité, et pour constater sa loyauté, le roi éloignait du conseil le duc d'Épernon et Lavalette ; il confiait en même temps la lieutenance générale du royaume au duc de Guise, appelé ainsi à la plénitude de tous les pouvoirs sur l'armée et l'administration générale. Les ligueurs avaient pleine satisfaction et une garantie suffisante, car le lieutenant général du royaume c'était l'alter ego de la royauté : aussi le duc de Guise se hâte d'annoncer au roi d'Espagne le grand résultat que les catholiques viennent d'obtenir[45]. Philippe II lui fait répondre par son ambassadeur : Quelles que soient les caresses du roy, dites au duc de Guise de ne point se fier à ces trompeuses démonstrations. Rien n'est capable d'inspirer confiance dans cette volonté variable[46]. Les chefs de la maison de Valois, les politiques et les calvinistes, profondément affectés du triomphe absolu des Guise désormais maîtres du gouvernement, mettaient tous leurs soins à démontrer au roi dans leurs écrits l'abjection dans laquelle il était tombé en se plaçant sous l'épée d'un Lorrain. Ce fut encore l'époque des pamphlets ardents, répétés[47], et cela s'explique, car les pamphlets démoralisent un pouvoir, l'affaiblissent, et quand il est bien abattu dans l'opinion, il suffit d'un coup de main pour le renverser. Les politiques savaient Henri III hautain et railleur de sa nature : lui faire entrevoir qu'il n'était plus le maître sous la main des Guise, c'était le disposer à s'affranchir d'un joug odieux ; il avait à peine subi celui de la reine sa mère, de celte intelligence supérieure et toute dévouée aux Valois : comment souffrirait-il la domination des Lorrains dont la pensée définitive était la restauration de l'empire de Charlemagne et de sa dynastie revivant en leur personne ? Il en résultait pour Henri III une conséquence obligée : il devait se débarrasser au plus tôt et n'importe comment du chef de la maison des Guise. Serait-ce par la force, la ruse, la violence ? On ne le savait pas encore ; mais la nécessité des choses le commandait, et c'est une souveraine impérative. En vain la reine mère, avec sa prudence consommée, répétait à son fils : qu'il se briserait contre les Guise en les attaquant de front, et que la première qualité d'un politique c'était la patience ! Henri III n'écoutait que ceux qui flattaient ses penchants pour son autorité libre et affranchie : le duc de Guise, ce maire du palais, qui marchait devant lui sa longue épée haute, lui devenait toujours plus odieux[48]. Le roi cherchait le temps et l'heure pour s'en débarrasser : à quoi cela lui servirait-il ? En frappant un chef d'opinion, on n'affaiblit pas la force de cette opinion ; celle-ci trouve toujours un nouveau bras pour la diriger et la conduire. La reine Catherine de Médicis le répétait au roi : car l'âge n'avait fait qu'augmenter en elle cette prudence consommée, cet esprit fin qui comparait les faits et savait la portée de chaque événement. Il n'y avait que les fous, les imprudents, tels que d'Épernon et Lavalette qui pouvaient conseiller au roi de frapper l'aîné des Guise et lui faire envisager la mort du lieutenant général du royaume comme une solution politique.

 

XXIV. — 1588-1589.

 

Une pensée fondamentale de toutes les réclamations, de toutes les doléances qui s'adressaient à Catherine de Médicis, ou au roi Henri III, était celle-ci : Il n'y a qu'un seul remède aux maux du royaume, c'est la convocation des états généraux ; c'est-à-dire la réunion des trois ordres pour délibérer sur la chose publique. Les chefs de la Ligue insistaient sur ce point, parce que maîtres de la majorité du pays, en définitive ils le seraient des états généraux. Aussi quand le roi Henri UI eut accédé à la Ligue, des lettres furent publiées pour convoquer les états à Blois, et la ligue envoya partout des instructions afin d'obtenir les députés de son choix[49] : il n'y a rien de fort comme une opinion dont tous les membres se tiennent bien et marchent dans les mêmes voies. Les calvinistes, peu portés pour les états généraux, préféraient le système des synodes soutenus par de petites armées et appuyés sur des places de sûreté. Les calvinistes savaient bien qu'avec le sentiment universel de la France ils n'auraient jamais pu triompher : ils agissaient par les moyens particuliers avec habileté.

Ce qui avait été pressenti arriva très-exactement, les élections catholiques dominèrent les états de Blois ; Catherine de Médicis en tira cette conclusion, qu'il fallait s'entendre plus que jamais avec l'opinion victorieuse. Tel ne fut pas le sentiment de Henri III se séparant encore des idées modérées de sa mère ; tout le conseil fut renvoyé parce qu'il partageait les opinions de Catherine sur la nécessité d'une transaction. Le triomphe du duc d'Épernon fut complet, et celui-ci était l'ennemi personnel des Guise. La majorité insistait pour que le concile de Trente fût déclaré loi fondamentale de l'État[50], et que la Ligue devînt la formule générale du gouvernement. A ce sujet l'innovation la plus grande fut tentée par rassemblée : jusqu'ici les états généraux avaient procédé par de respectueuses remontrances : il fut déclaré que désormais ils agiraient par voie d'ordonnances et d'édits, c'est-à-dire avec la plénitude de la puissance législative dont le roi n'était que le dépositaire.

L'esprit tout populaire de la Ligue se révélait dans cette tendance des états vers la conquête de la souveraineté. Les Guise les dominaient avec les desseins les plus hardis, la volonté forte et puissante de se poser d'abord en maires du palais pour préparer ensuite un changement de dynastie. Catherine de Médicis, sans pénétrer jusqu'au fond de tel projet, conservait cette idée juste et fixe : qu'il y aurait folie à essayer une lutte corps à corps en face des états contre la maison de Lorraine et la Ligue. Ces états demandaient une guerre immortelle et sans répit contre les hérétiques et la réduction des tailles sur le pied de 1516[51]. Henri III promettait tout, avec le dessein de se débarrasser bientôt de celui qu'il croyait la cause première de l'esprit d'opposition de l'assemblée. Le roi se sentait opprimé, humilié par la puissance des Guise ; il voulait frapper cette maison dans son chef et en finir par un coup d'État même sanglant contre les Lorrains.

L'histoire de la triste nuit du 23 décembre 1588 se résume par cette fausse pensée conçue par d'Épernon : que jamais le roi ne deviendrait maître de la Ligue, le duc de Guise vivant ; idée folle, imprudente, contre laquelle luttait Catherine de Médicis avec sa sage énergie. La reine mère resta tout à fait étrangère à la tragédie qui ensanglanta les états de Blois[52], à la mort du duc de Guise qui fut le signal d'une explosion immense contre les Valois. Henri III, sous l'influence du duc d'Épernon, n'avait confié ce dessein qu'à ses officiers intimes qui environnaient sa personne et obéissaient à ses ordres, à Duhalde surtout, l'un d'entre eux, le plus hardi ; il croyait, une fois son ennemi mort, que tout serait anéanti avec lui. Catherine de Médicis avait des idées plus justes et plus vastes : un chef frappé devient le martyr d'une cause, et il en surgit bientôt une autre tête. Une opinion ne vit jamais et ne meurt jamais en un seul homme, et bien que le coup d'État de Blois s'accomplit avec une sanglante solennité, par les ordres du roi ; bien que le cadavre du duc de Guise fut exposé comme celui d'un criminel, et que la mesure s'étendit à tous les autres membres de la maison de Lorraine et aux meneurs de la Ligue, presque tous arrêtés, le coup d'État n'eut aucune des conséquences que le conseil en avait espérées. A la mort du duc de Guise il se fit une explosion immense au sein de la Ligue, ainsi que l'avait pressenti la sage Catherine de Médicis, et le dernier lien qui unissait le peuple aux Valois fut brisé. Dans les chaires de Paris, le curé Leicester, le prédicateur populaire, s'écria : Le vilain Hérode (Henri de Valois) n'est plus notre roy, eu égard aux injures et déloyautés commises contre les catholiques[53]. Ces paroles résumaient l'acte de déchéance prononcé contre Henri dans les églises de Paris :

Ce perfide politique

Masqué d une vie sainte et catholique,

Communie au corps de Jésus-Christ, notre Seigneur,

Avec le duc de Guise (de l'hérétique vainqueur) ;

Après dînèrent ensemble, lui montrant

Signe d'amitié sous beau semblant.

Ce bon prince tost après fut lue et massacré.

Dans les provinces, la crise populaire s'étendit et se propagea : Henri III, depuis cette nuit sanglante, ne fut plus roi de France. La vieille reine mère eut la douleur de voir son fils se séparer de son système de modération et de gouvernement sans pouvoir y porter remède. Elle était au château de Blois lors de l'exécution des Guise ; mais elle n'apprit le coup d'État sanglant qu'après qu'il eut été accompli : Madame, lui dit Henri III, je suis maintenant seul roy et n'ai plus de compagnon ! La reine mère toute souffrante se souleva sur son séant : Que pensez-vous avoir fait, mon fils ?[54] Dieu veuille que vous vous en trouviez bien. Mais au moins avez-vous donné l'ordre pour l'assurance des villes ? Si vous ne l'avez fait, faites-le au plus tost, sinon il vous en prendra mal. Dans ces quelques mots, Catherine de Médicis avait jugé la situation sérieuse de son fils : c'était par les cités de la Ligue que l'explosion devait éclater contre le royaume des Valois, car la déchéance du roi serait le dernier mot de la Ligue... Mon fils, faites aussi prévenir le légat du pape par le cardinal de Gondi, dit encore Catherine de Médicis ; et ces paroles révélaient une pensée de prévoyance politique. Le pape (et c'était alors Sixte-Quint) devait nécessairement obtenir une immense influence sur la direction future des événements de la Ligue, et la déchéance définitive des Valois ne pouvait venir que de cette autorité suprême. La reine mère espérait encore, par des explications habiles et des promesses religieuses, atténuer la gravité de l'événement sinistre qui venait de s'accomplir à Blois : vaine conjecture !

L'explosion si redoutée des cités fut rapide comme la foudre : partout, à Lyon[55], Dijon, Toulouse, Marseille, on s'était soulevé contre le tyran (c'est ainsi qu'on appelait Henri III), qui avait frappé l'honneur, la gloire du catholicisme. Avec quel intérêt le peuple entoure tout ce qui appartient aux Guise : les frères, la femme, les enfants du martyr ! On ne leur donne pas encore la royale couronne, mais les voies se préparent larges et faciles pour y arriver, et déjà le conseil de la Ligue déclare la vacance du trône. Il existe à ce sujet une circulaire d'une haute importance, qui rappelle par ses termes plus d'un acte des révolutions modernes sur rétablissement d'un de ces comités intermédiaires qui séparent deux époques, et l'avènement des nouveaux pouvoirs. Le conseil de l'union (le gouvernement provisoire d'alors) écrit à tous les parlements : Messieurs, nous avons establi un conseil général de l'union, composé d'un grand nombre d'honnestes personnes des trois ordres, auxquels s'expédient et s'ordonnent toutes les affaires de notre union avec messieurs les princes catholiques, lesquels les premiers ont juré d'obéir au dit conseil. Les grâces, rémissions, provisions d'offices et toutes autres affaires sont dépeschées de toutes les parties du royaume sous un scel nouveau aux armes de France, sur la légende desquels sont escrits ces mots : Sigillum regni Franciæ, et de cet ordre nous espérons beaucoup de bien en attendant l'assemblée des estats généraux[56].

Cette résolution soudaine du conseil de l'union supposait la déchéance de la maison de Valois et la vacance du trône, et c'est ce que la reine mère avait voulu éviter par ses transactions. Le rôle de Catherine de Médicis finissait par le triomphe des partis extrêmes ! La lutte prenait un caractère de vigueur qui n'allait plus au tempérament calme et réfléchi de la reine mère ; la tempête des passions agitait cette association de la Ligue, qui voulait en finir avec les Valois pour chercher un pouvoir nouveau. En vain Catherine de Médicis avait une fois encore tenté la médiation auprès des modérés : à Blois, elle s'était fait porter chez le cardinal de Bourbon, pour le supplier de servir d'intermédiaire à la paix du royaume. Le cardinal la reçut avec colère : Ah, madame, ce sont là de vos faits, de vos coups ; vous nous faites tous mourir. — Je prie Dieu de me damner, mon cousin, répondit la reine mère, si jamais j'ai donné ma pensée et mon avis en cette triste affaire. En prononçant ces paroles, la reine sentit ses jambes fléchir. Je n'en puis plus, il faut que je me mette au lit ! Le Journal de Henri III continue avec sa froideur parlementaire : Comme de ce pas elle fit et n'en releva plus et décéda au château de Blois, âgée de soixante et onze ans, et portoit bien l'âge pour une femme pleine et grasse comme elle estoit. Elle mangeoit et se nourrissoit bien et n'appréhendoit pas les affaires[57].

Ainsi s'exprime l'égoïste parlementaire qui a écrit le Journal de Henri III. Il n'avait pas compris l'immense labeur de cette fille des Médicis qui avait passé sa vie à se tempérer elle-même et à calmer les partis sanglants qui se heurtaient dans l'immense bataille du XVIe siècle : Aussi, après sa mortde laquelle fut parlé diversement, les uns tenant qu'elle avoit hasté sa fin par regret et dépit de voir tous ses desseins renversés ; les autres ajoutant que par moyens extraordinaires on lui avoit fait sauter le pas —, on ne parla pas plus d'elle que d'une chesvre morte[58]. Telle est la destinée des esprits de modération qui veulent mêler leur douce voix à l'éclat des tempêtes dans les révolutions. Leicester, le curé, le prédicateur populaire, dut aussi s'expliquer sur la mort de Catherine de Médicis : Aujourd'hui, dit-il, se présente une difficulté : savoir si l'Église doit prier pour celle qui avoit si mal et souvent soutenu l'hérésie, encore que sur la fin elle ait soutenu l'union et n'ait jamais consenti à la mort de nos bons princes ; sur quoi je vous dirai que si vous voulez lui donner à l'aventure, par charité, un pater et un ave, il lui servira de ce qu'il pourra. Je vous le laisse en liberté[59]. Les ligueurs ne pouvaient lui pardonner ses tendances et ses concessions au calvinisme. Ainsi les partis extrêmes jugeaient la reine Catherine de Médicis qui avait tristement usé sa vie à les empêcher de se combattre et de verser le sang à flots : c'est un crime à leurs yeux ! Il n'y a pas de situation plus difficile, plus mal jugée que celle d'un esprit habile qui se place entre deux opinions ardentes pour les contenir ; il ne doit attendre ni éloge, ni appui, ni même de justice ; les ligueurs, par l'organe de Leicester, flétrissaient la mémoire de Catherine, et les huguenots, par les pamphlets sur ses déportements, la présentaient comme une de ces reines de l'antiquité qui ne cachaient les crimes que par les vices. Ensuite vinrent les faiseurs de vers, de jeux de mots, d'antithèses, qui trouvaient agréable de badigeonner cette figure historique.

La royne qui cy gist fut un diable et un ange,

Toute pleine de blasme et pleine de louange ;

Elle soutint l'Estat, et l'Estat mit à bas,

Elle fit maints accords, et pas moins de débats,

Elle enfanta trois rois et trois guerres civiles ;

Fit bastir des chasteaux et ruiner des villes,

Fit bien de bonnes lois et de mauvais édits,

Souhaite lui, passant, enfer et paradis.

Ces antithèses saisissent les esprits superficiels et leur plaisent, mais elles manquent de ce grand sens, de cette vérité suprême, de cette étude profonde des temps et des caractères qui constituait l'histoire. Catherine de Médicis n'avait pas fait la situation, elle ne créa pas les partis, ils existaient ; seulement elle les empêcha, tant qu'elle put, de troubler la France. Est-ce que la reine mère avait prêché la réforme ou attisé la haine naturelle entre les catholiques et les protestants ? Avait-elle mis au monde Luther, Calvin, Sixte-Quint et les Guise ? Sa faute fut d'avoir entrepris une œuvre impossible, c'est-à-dire la conciliation de deux forces énergiques, ardentes, qui appelaient de tous leurs vœux la guerre civile avec du sang versé à flots ; il rejaillit un peu de ce sang sur la robe noire de Catherine de Médicis ; elle en porta les traces que les drames ont retrouvées ; et pourtant la cause ne venait pas d'elle. Les crimes furent l'œuvre des partis, qui ne finissent jamais leur lutte que par l'épuisement et la mort !

 

La vie de Catherine de Médicis, telle que nous venons de l'écrire, diffère sérieusement de tous les portraits qu'on a faits de la reine mère dans les livres, au théâtre, dans les romans, quelquefois même dans les œuvres aux prétentions graves que couronnent les académies ; il est convenu de représenter Catherine un poignard à la main, comme Charles IX, son fils, avec sa fameuse arquebuse ; tous deux tuent à plaisir pour avoir ensuite des remords, des visions sanglantes, des nuits sans sommeil, des attaques d'épilepsie sombre et désolée qu'on reproduit sur la scène. Vraiment, c'est mal connaître les deux familles les plus artistiques, les plus dissipées, celles des Valois et des Médicis, que d'ainsi les représenter depuis François Ier jusqu'à Henri III, sous ces féroces dehors de mélodrame. On n'a jamais relevé à leur juste hauteur les Valois, race d'élite, à qui la France doit ses plus beaux palais, ses chefs-d'œuvre d'art, ciselure, peinture, sculpture, imprimerie, librairie, reliure. Cette Catherine de Médicis, toute sanglante (dans les vulgarités historiques), dota la France de toutes les richesses de l'art florentin, et les beaux manuscrits de Cosme formèrent un des premiers fonds de la Bibliothèque royale. L'Italie a toujours enrichi la France de ses joyaux, de ses escarboucles littéraires.

La famille élégante des Valois subit le malheur attaché à tous les pouvoirs qui vivent au milieu des partis en armes ; ils voulurent distraire, conseiller, apaiser : ils ne le purent pas. Tous ces princes moururent jeunes et gracieux : Henri II, François II, Charles IX, Henri III, et ces poétiques figures furent déchirées par la fureur des passions qu'ils n'avaient pas assez bien servies. Il y a quelque chose de curieusement élevé dans cette reine mère qui, les yeux fixés sur la couronne de ses enfants, veut la préserver du naufrage. Les crimes de l'époque appartiennent aux réactions toutes sanglantes qui dominent les hommes et les choses. Ceux qui ont étudié la grande histoire savent combien sont martyrs les gouvernements de modération et de tempérance : presque toujours ils succombent à l'œuvre, et une fois à terre tous les petits esprits les déchirent.

N'oublions jamais que le XVIe siècle fut peut-être plus agité de révolutions que nos époques les plus ardentes des temps modernes. Hélas ! qui n'a pas vu des massacres, des guerres de rue, des exécutions violentes, des excès populaires ! le pouvoir en est-il toujours responsable ? Les partis ne sont-ils pas poussés par je ne sais quelles passions fanatiques et malfaisantes ? Qui peut les contenir, les réfréner ? Pourquoi accuser les têtes politiques qui, le plus souvent, ont redoublé d'efforts et de zèle pour empêcher les partis d'en venir aux mains ?

Oui, Catherine de Médicis fut la capacité d'apaisement et de modération ; sa mémoire y a succombé, parce que la guerre civile était dans les opinions, et que la fatalité les entraînait dans une sanglante lutte que nul ne pouvait empêcher. La cause première avait été la réforme de Luther. La Bible qu'il jeta au monde fut écrite en caractères terribles. Il ne l'avait pas voulu sans doute : je ne l'en accuse pas ; mais souvent une idée porte dans ses flancs des révolutions inouïes. On croit émettre une simple question scolastique, et on accomplit un bouleversement social, jusqu'à ce qu'il arrive un gouvernement d'autorité qui rétablisse la religion de l'obéissance, la première garantie de la grandeur des peuples.

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] Lettre autographe. Mss. Colbert, cote n° 9.

[2] 31 décembre 1584. Mss. Béthune, n° 8866.

[3] Juillet 1584, suivant la prédiction des astrologues.

[4] Recueil général de pièces détachées et figures qui regardent la Ligue, 1589-1594. (Biblioth. imp.)

[5] Recueil déjà cité. (Biblioth. imp.) Les politiques sont aussi représentés sous les traits d'un crocodile :

Tels sont, ô messagers, vos dissimulés pleurs,

Qui pleins du sang du peuple et gras de leurs malheurs,

Feignant tous en fascher n'en faites rien que rire.

[6] Voyez le curieux travail du conseiller de Lezeau (un des chefs ligueurs), sur l'organisation de la grande association catholique, à Paris surtout. (Biblioth. Sainte-Geneviève.)

[7] Ce document est le procès-verbal de Poulain, lieutenant de la prévôté de l'Ile de France, sur l'histoire de la Ligue, depuis le 2 janvier 1585 jusqu'aux Barricades. (Biblioth. imp.)

[8] Mss. du conseiller de Lezeau. (Biblioth. Sainte-Geneviève.)

[9] Ces reproches s'adressaient à la reine Catherine de Médicis.

[10] Déclaration des causes qui ont mû les princes, pairs, seigneurs, villes et communes catholiques de ce royaume de France à se liguer, etc. (Péronne, 30 mars 1585.)

[11] Catherine de Médicis avait alors soixante-quatre ans.

[12] Autographe, mss. Béthune, n° 8874.

[13] Les mss. Béthune contiennent un grand nombre d'autographes de Catherine de Médicis.

[14] Articles accordés à Nemours, au nom du roi par la reine sa mère, avec les princes, les seigneurs de la Ligue, en présence du duc de Lorraine. 7 juillet 1588.

[15] Août 1587.

[16] Archives de Simancas, B, 58.

[17] Archives de Simancas, B, 58.

[18] Le duc d'Épernon était en haine à la Ligue, plus peut-être encore que la reine mère.

[19] Articles arrêtés en l'assemblée de Nancy (février 1688). Archives de Simancas, A, 56. Les ambassadeurs d'Espagne envoyaient toutes les pièces importantes à leur cour, et celle-ci intéressait trop vivement Philippe II pour qu'elle ne lui fût pas directement adressée.

[20] Les négociations de M. de Bellièvre forment un petit vol. coté 8897. Mss. Béthune.

[21] Voyez les lettres et dépêches de Henri III à M. de Bellièvre. Mss. Béthune, n° 8897.

[22] Saint-Mesgrin, d'Épernon, Schomberg, Quélus, etc., toujours l'épée à la main pour le service du roi, étaient tués dans des duels :

Antrague et ses compagnons

Ont bien étrillé les mignons ;

Chacun dit que c'est bien dommage,

Qu'il n'y en est mort davantage.

[23] Rien alors de populaire comme les sermons des curés de Paris. C'est le curé Leicestre qui accusa le roi d'hypocrisie. Voyez le Journal de Henri III, ad annum 1588.

[24] Le n° 47 du ms. Dupuy contient une curieuse relation de ce qui se passa dans Paris avant et durant les barricades de 1688.

[25] Il existe plusieurs modèles de ces chiffres dans la précieuse collection de M. de Mesme (Biblioth. imp.) intitulée Mémoires sur la Ligue, t. III, in-fol., n° 893.

[26] Récit d'un bourgeois de Paris sur les particularités qui s'y sont passées au mois de mai 1588 ; ce journal est écrit par un témoin oculaire, in-fol., 29 feuillets. Mss. Dupuy, Biblioth. imp., n° 47.

[27] Journal de Henri III, t. II, p. 95.

[28] Récit d'un bourgeois de Paris, Mss. Dupuy 47.

[29] Amplification des particularités qui se passèrent à Paris lorsque M. de Guise s'en empara. (Brochure, 1588.)

[30] Registres de l'hostel de ville. Aux archives, t XII, p. 117.

[31] Registres de l'hostel de ville. Aux archives, t. XII, p. 119.

[32] Mss. de M. de Lezeau. (Biblioth. Sainte Geneviève).

[33] Récit d'un bourgeois de Paris, Mss. Dupuy, 47.

[34] Récit d'un bourgeois de Paris. Mss. Dupuy.

[35] 12 mai 1588, Le roi écrivit dans ce sens au duc de Nevers, un des hommes influents de La Ligue. Mss. de Mesme, intitulé : Mémoires sur la Ligue, in-fol., t. III, n° 893.

[36] On trouve dans les Archives de Simancas de curieuses observations du duc de Guise adressées au roi d'Espagne, B, 61, sur la journée des Barricades.

[37] Amplification des particularités qui se passèrent à Paris lorsque M. de Guise s'en empara et que le roi en sortit. (Mai 1588.)

[38] Journal de Henri III, 3 mai 1588.

[39] Archives de Simancas, cote B, 61. Le roi Henri III avait également annoncé sa retraite de Paris à Sa Majesté catholique, par un petit billet qui est aux mêmes archives, coté C.

[40] Collection Fontanieu (règne de Henri III).

[41] Mss. Béthune, vol. coté 8911, fol. 22.

[42] Journal de Henri III, mai 1588, t. II. p. 11.

[43] Explication des particularités qui se passèrent à Paris et à Chartres. Comparez avec les Registres de l'hostel de ville, t. X.

[44] Comparez la brochure : Propos que le Roy a tenu à Chartres aux députés de la cour du Parlement de Paris, 1588, et les Requestes présentées pour la défense de la religion catholique, apostolique et romaine.

[45] 24 juillet 1588. Archives de Simancas, B, 60.

[46] Réponse du 8 août, de la main de Philippe II.

[47] La plupart de ces pamphlets ont été recueillis dans la bibliothèque Fontanieu, ann. 1588. C'est à cette époque que les huguenots publièrent l'absurde et hideux pamphlet, intitulé : Le Cabinet du roy de France, et dirigé contre le clergé catholique.

[48] Depuis le traité de Chartres, le duc de Guise ne quittait pas le roi. Voyez sa lettre à Bernardone Mendoça, l'ambassadeur d'Espagne, 6 août 1688. Archives de Simancas, A, 60.

[49] La pensée de la Ligue pour la convocation des états se révèle dans la correspondance du duc de Guise avec l'ambassadeur d'Espagne, août 1588. Archives de Simancas, A, 60.

[50] Recueil des estats généraux, t. XIV, p. 412. Comparez avec la correspondance secrète du duc de Guise. (Archives de Simancas, 60, 12.)

[51] Il existe un curieux récit sur les états généraux, avec ce titre : l'ordre des estats généraux tenus à Blois l'an 1588. Mss., Biblioth. imp., vol. coté 258.

[52] Il existe, sur le triste épisode de Blois, un récit très-détaillé d'un témoin oculaire, Miron, premier médecin du roi. (Mss. Biblioth. imp., vol. coté 358, fol. 34.)

[53] Comparez le Journal de Henri III et les Registres de l'hostel de ville, XII, fol. 267 ; la rupture est complète entre Henri III et le conseil de la ville.

[54] Journal de Henri III, t. II, p. 154, en le comparant aux Mémoires sur la Ligue.

[55] Lyon surtout avait montré un zèle immense. Voyez Déclaration du conseil, échevins, manans et hahitans de la ville de Lyon, sur l'occasion de la prise des armes par eux faite (24 février 1689).

[56] Cet acte si curieux se trouve dans les Registres de l'hostel de ville, t. XII, fol. 303. On voit que les idées de gouvernement provisoire, de déchéance, ne sont pas exclusivement modernes, et qu'à toutes les époques les partis ont procédé par les mêmes voies.

[57] Journal de Henri III, t. II, p. 154 à 156.

[58] Mémoires de la Ligue, t. III, p. 184.

[59] Journal de Henri III.