HUGUES CAPET ET LA TROISIÈME RACE

 

TOME DEUXIÈME

CHAPITRE XX. — RÉGULARISATION DES COMMUNES. - FÉODALITÉ. - CHEVALERIE.

 

 

Esprit de liberté produit par la croisade. — Le drame de Charles le Bon, comte de Flandre. — Les cités flamandes. — Leur comte. — Bourgeois. — Serfs. — Conjuration contre le comte. — Assassinat. — Vengeance. — Communes de France — Noyon. — Laon. — Beauvais. — Tentative des serfs de Vézelay. — Chartres et ordonnances royales. — Les Templiers. — Les Hospitaliers. — Les féodaux. — La chevalerie. — Corporation, actes et coutumes.

XIe ET XIIe SIÈCLES.

 

Quand le peuple fut au point d'exaltation produit par les croisades, il se fit un long frémissement contre le servage. L'Église abaissait la féodalité par le triomphe de la prédication, et les lois du Christ annonçaient l'égalité des hommes. Dans la fête du dimanche, lorsque les manants des cités écoutaient au moutier la vie et la mort de ce serf divin, de cet admirable ouvrier de Dieu qui annonça la liberté au monde, l'homme du corps ou de la terre devait se faire des idées plus hautes et plus émues d'un avenir libre et d'une existence meilleure. Les croisades avaient éloigné la plupart des comtes féodaux ; il n'y avait plus dans le donjon les hommes d'armes prêts à réprimer les révoltes ; la génération active était aux lieux saints ; la prédication de la croisade avait réuni plus d'une fois les masses populaires sur un même point ; elles étaient habituées à se toucher, à se voir, à participer en quelque sorte au mouvement armé[1]. Beaucoup de pèlerins du peuple étaient aussi de retour de la croisade ; s'ils avaient eu des malheurs et de longs soucis, s'ils avaient éprouvé tous les accidents d'un voyage lointain, leurs âmes s'étaient habituées aux périls, aux dangers ; elles s'étaient retrempées : ceux-là qui avaient bravé le cimeterre des Turcs pouvaient-ils encore abaisser leurs têtes sous le fouet du majordome ? Après la grande expédition pour le Christ, il ne devait plus y avoir de servage ; tous égaux et libres, les croisés du peuple, au retour de leur pèlerinage, ressemblaient à ces vieux soldats qui, après de longues campagnes, conservent toute l'énergie des batailles ; ils pouvaient indiquer aux serfs des champs, aux manants des villes, les moyens de secouer le joug, de se servir des armes et des forces de leur corps ; les pèlerins devinrent les chefs de ces colonies villageoises qui conquirent plus tard leur liberté au cri populaire de commune ; ils enseignèrent les batailles aux peuples, et leur apprirent à braver les barons : tous fils de l'Église, ils éprouvaient un sentiment d'égalité à la face même du féodal : n'avaient-ils pas tous marché sous la bannière de la croix quand la plaine retentit des acclamations de Dieu le veut ![2]

Les grandes cités de Flandre formaient comme une fédération commerciale ; déjà même, au Xe siècle, Bruges était renommée entre toutes pour ses métiers ; à côté de Bruges était Ypres, Gand avec ses murailles et ses tours, ses corporations municipales-, Namur la forte, puis Lille, nouvellement bâtie dans un marais desséché. Toutes ces cités avaient, pour s'enrichir et se glorifier, des métiers, des corporations avec leurs bannières, où se voyaient les saints évêques sur broderie d'argent. Dans les villes de Flandre, les métiers tissaient la laine, fourbissaient les armes d'acier et travaillaient les cottes de mailles. Il y avait au comté de Flandre, selon les traditions antiques, des juridictions diverses : dans la campagne, le paysan était serf du comte, c'est-à-dire soumis à son droit et à sa verge ; dans les cités, il y avait d'abord des hommes dépendant de la juridiction du même seigneur comte, puis des gens de métiers, libres, quoique d'origine servile. Si les sergents d'armes du sire se déployaient avec leurs mines insolentes sous leurs casques fourbis et leurs pesantes cuirasses, comme pour faire menace, les compagnons de métiers montraient leurs bras nerveux, leurs cuisses musclées, leurs poignets formidables, leurs épaules nues et épaisses, image de la force brutale qu'au jour de la révolte ils pourraient opposer à leur comte quand le beffroi sonnerait. Les métiers avaient leurs prévôts, leurs syndics, nés comme eux dans la classe ouvrière, fiers hommes qui avaient devant eux, hautains comme des licteurs, les ouvriers tisserands avec leurs outils de fer ; les bouchers avec leurs coutelas et leurs chiens de garde ; les Fourbisseurs de cuirasses armés d'épées, de lances ou de poignards de miséricorde. C'était formidable quand les métiers processionnaient avec leurs prévôts, leurs bannières déployées, car ils avaient haine des hommes serviles de la campagne soumis au comte, tous de castes esclaves : les métiers étaient corporés, mais ils n'étaient pas serfs[3].

Le comte de Flandre était alors Charles le Bon, ainsi le surnommaient au moins les chroniques des monastères ; germanique d'origine y Charles avait succédé par héritage au comte de Flandre ; pieux croisé dans la grande expédition, il visita l'Orient, et à son retour, tant sa renommée fut retentissante, on lui offrit la couronne de Jérusalem, et même les insignes pourprés de l'empire, la succession de Charlemagne. Charles le Bon avait conquis une réputation de bienfaisance ; il était digne seigneur pour ses hommes ; mais, comme tous les féodaux, on le disait enclin à la violence ; nul ne pouvait lui résister quand il n'était pas en ses jours de clémence. Si un bourgeois flamand insultait aux serfs du comte, les hommes de son corps, il n'hésitait pas à se défaire dudit bourgeois par la pendaison au haut de sa tour, ou par le dur fouet du majordome. Comme il aimait la chasse, il ne pouvait souffrir que ses lévriers fussent arrêtés, même sur les terres municipales ; il élevait ses faucons de manière à voler sur les pigeonniers des gens de métiers, tréfileurs d'or, faiseurs de hauberts, vendeurs d'épices ou forgerons de cuirasses, comme saint Éloi. Tout cela inspirait beaucoup de haine contre monseigneur le comte. Ensuite, grand justicier, il observait les coutumes antiques contre les gens serviles qui voulaient se dire nobles. Si un chevalier se présentait au combat, il examinait les origines et les coutumes ; souvent il prohibait la bataille à outrance, quand des hommes de corps s'y présentaient ; tous devaient rentrer dans la condition de leur naissance[4].

Or, il y avait dans toutes les villes de Flandre la dignité de prévôt de la cathédrale, fort grande et fort exaltée ; le prévôt était l'homme des clercs et de la bourgeoisie, le chef des métiers, le second après le comte. Au moyen âge, chaque classe avait son juge, son chef ; les serfs mêmes avaient leurs syndics. Quand le prévôt convoquait les dignes ouvriers flamands, il y avait plus de bannières déployées que dans la chevalerie ; tout métier avait son symbole, sa couleur et son saint. Le prévôt de Bruges se nommait Bertulfe, sa famille était nombreuse, son frère était châtelain, et son lignage portait les armes de chevalerie. Charles, le comte de Flandre, voulait abaisser le prévôt, parce qu'il était d'origine servile et qu'il prétendait tous les droits de chevalerie. Ce fut une forte indignation dans le cœur de Bertulfe : Quoi ! s'écria-t-il, c'est moi qui ai fait élire ce Charles le Germain, et maintenant qu'il est comte, il veut nous faire serfs ! Dès ce moment la guerre fut déclarée, les hommes d'armes du prévôt de Bruges pillèrent les sergents et les laboureurs du comte. Le chef de ces ravageurs des pauvres serfs aux champs se nommait Bouchard, proche parent du prévôt ; et le comte à son tour ordonna qu'on détruirait la maison de Bouchard comme représailles : las ! ladite maison fut bientôt rasée et brûlée[5] ! Quelle rage parmi les parents du prévôt quand ils surent que l'hôtel de Bouchard, leur cousin, ami et confédéré, avait été brûlé ! Alors ils conjurèrent la mort du comte. Quatre chevaliers du prévôt, d'origine de métiers, mais très-versés au fait des armes, se réunirent à cet effet ; ils avaient noms Isaac, Bouchard, Guillaume de Werwich et Enguerrand ; tous avaient l'assentiment du prévôt pour le complot sanguinaire, disant qu'ils marchaient à la délivrance des cités de Flandre soumises à la tyrannie du comte.

Dans le silence de la nuit, les conjurés se réunirent : une simple lampe de suif brûlait, ils l'éteignirent, afin de ne point violer la coutume normande du couvre-feu, et de ne pas signaler leur présence. Ce fut dans les ténèbres qu'ils se lièrent par serment de frapper dur le comte au cœur et au visage jusqu'à la mort[6]. Terrible vengeance ! Le crépuscule commençait à poindre, un brouillard épais couvrait la cité, et l'on ne pouvait distinguer à la longueur d'une lance. Les conjurés se rendirent à l'église Saint-Donatien, où le comte venait prier ; tous portaient des épées nues sous leurs manteaux ; ils se placèrent le glaive haut aux deux issues de la tribune, pour que nul ne pût échapper. Quand ils eurent ainsi entouré leur seigneur, de telle sorte qu'il ne pût se préserver de leurs coups, ils se précipitèrent sur lui, le frappèrent les uns au cœur, les autres au visage, comme cela avait été convenu dans le conciliabule, et ainsi fut fait du comte. Les assassins tuèrent aussi Thancmar, châtelain de Bourbourg et le sénéchal de Flandre. Toute la maison du comte fut pillée, ses serviteurs mis à mort ou obligés de prendre la fuite ; attentat sauvage de serfs à maître, atroce guet-apens de gens de condition servile ! Nul des amis du seigneur n'échappa, et bientôt la bannière des métiers flotta seule sur les murailles de Bruges. Comme le prévôt avait agi pour les corporations, une confédération se fit pour la défense de la cité ; le peuple se réunit autour du prévôt, les métiers fourbirent leurs armes, tous se décidèrent à vendre cher leurs privilèges[7].

Cependant la chevalerie flamande, les châtelains du comte, sa noble cour, s'étaient réunis contre les métiers et le prévôt pour venger la mort du comte ; tout ce qui avait au cœur la répression des serfs avait fait cause commune avec la châtellenie de Flandre ; on devait réprimer cette tourbe de peuple ; la comtesse de Hollande arrivait avec ses hommes de Frise, ennemis des Flamands. Le siège de Bruges commença ; le prévôt et les métiers, réfugiés dans le château, furent ensuite obligés de soutenir les assauts dans l'église, et puis dans cette tribune élevée où le comte avait été frappé. Les nobles hommes se tenaient tous dans la hiérarchie des fiefs contre les communaux, et c'était un trait douloureux décoché contre le baronnage que la mort du comte de Flandre ; un seigneur avait été frappé par ses serfs ! quel exemple ! on courut le venger. Louis le Gros, le roi des Francs, voulut aussi concourir à comprimer cette révolte servile ; les hommes d'armes de France vinrent devant Bruges[8] ; il y eut répression violente de ces séditions de métiers ; le prévôt Bertulfe, livré au bâtard d'Ypres, fut lapidé ; des supplices affreux devinrent la punition des meurtriers du comte ; les corporations furent frappées d'impôts ; on détruisit la hiérarchie des métiers, tous furent réduits au titre de serf, car Bruges s'était révoltée contre la chevalerie, la cité avait méconnu les droits du comte et frappé son seigneur. Ainsi s'accomplit la terrible vengeance féodale dont la chronique garde souvenir : la vie de Charles le Bon fut écrite comme celle d'un saint par les clercs et les moines surtout ; on exalta ses vertus, et les Bollandistes ont conservé cette lamentable histoire des communes de Flandre dans leur collection immense. J'ai narré la triste mémoire de Charles le Bon pour faire connaître l'esprit de la classe servile et des hommes d'armes, la vie des métiers et des corporations, et comment se manifestèrent alors les premières effervescences des masses.

Le mouvement populaire pour la conquête d'un système communal se produisit avec plus de régularité dans les cités du domaine royal en France. La municipalité antique comme les colonies romaines dans les Gaules, avait éprouvé néanmoins des malheurs et des vicissitudes à travers les invasions et les races. Le municipe d'ailleurs, tel que la loi romaine l'entendait, n'était pas précisément la commune ; cette forme d'association populaire pour la défense du faible semble se manifester avec énergie au commencement du XIe siècle. C'est le type de gouvernement alors choisi pour les villes et la campagne ; il se produit partout un mouvement spontané ; la commune se mêle aux formes de la paroisse et au clocher. L'Église est encore le fondement de la liberté, le peuple se groupe et

se réunit pour sa défense. L'origine de la commune est essentiellement épiscopale ; ce furent les évêques qui favorisèrent l'armement des serfs et des manants contre les féodaux, afin de maintenir la paix publique. Orderic Vital, le chroniqueur contemporain, raconte l'origine de la commune avec un grand accent de vérité[9]. Louis VI, pour comprimer la tyrannie des voleurs et des séditieux, demanda le secours à tous les évoques du royaume, et ce fut alors que les communes furent instituées en France par les évoques, de manière que les curés accompagnaient le roi dans les batailles ou dans les sièges en se faisant suivre de leurs paroissiens sous leur bannière. Ainsi ridée de commune et de paroisse fut intimement unie ; la bannière de l'Église fut l'étendard de la liberté pour les serfs ; on se groupa autour de la mitre épiscopale. Les trois premières communes établies furent celles de Noyon, de Laon et de Beauvais[10], vieilles cités épiscopales de la monarchie ; les évoques en étaient seigneurs temporels. Les chroniques disent plus d'une fois que les clercs portaient le casque en tête, la lance au poing pour défendre leurs droits avec l'impétuosité des barons ; il y avait là un mélange de féodalité et d'épiscopat, une confusion qui ne permet pas de distinguer précisément ce qui tient à la crosse et ce qui lient au glaive. Les évêques de Noyon et de Beauvais conservent leur caractère chrétien, cette protection de liberté et d'égalité envers leurs hommes ; ils dotent et favorisent la commune ; tandis qu'à Laon, Gaudri, dur féodal, quoique évêque, conserve son type normand et belliqueux au plus haut degré de fierté ; il lutte avec les communaux, il emploie la force batailleuse, et comme Charles le Bon, il tombe sous la colère et la révolte des serfs ; Gaudri est moins évêque que baron.

Quel drame vivement coloré que l'origine et le développement de la liberté dans la Langue d'oïl ! La première commune dont le droit fut bien établi est celle de Noyon, vieille ville des temps primitifs de la monarchie, tout entourée de châteaux, depuis Guiscard que l'Oise arrose, jusqu'à Beauvais. Noyon était ville épiscopale sous Baudry son digne évêque ; le peuple était considérable, et ce fut contre les pilleries des barons que Baudry, du conseil des clercs et de ses hommes, établit une commune ; il la confirma de son autorité épiscopale, et déclara, sous peine d'excommunication, que nul ne pourrait l'enfreindre ; tous étaient tenus de l'observer[11]. D'après la chartre de la commune de Noyon nul n'aura juridiction sur les fossés, les fortifications et les portes de la ville que le conseil de bourgeois ; tous ceux qui auront maison dans la cité, excepté les clercs et les hommes d'armes, doivent l'impôt à la commune et l'observation des coutumes[12] ; toutefois, s'ils sont infirmes, pauvres, ou s'ils demeurent chez eux à cause des douleurs de leurs femmes ou de leurs enfants, ils ne seront point punis pour avoir manqué à la commune. La juridiction appartient aux jurés ; le juge est chargé de réprimer tous ceux qui manquent par faux poids ou fausses mesures ; si le pain est plus petit que la coutume ne le veut, le panetier sera puni ; le froment devra être vendu à bonne mesure ; si quelqu'un blesse un communal, les jurés en feront vengeance. La juridiction extérieure reste à l'évêque et au châtelain. Si quelqu'un veut être de la commune, alors ce qu'il paiera sera toujours dépensé pour Futilité de la cité. Personne ne pourra être traduit devant les jurés en l'absence de l'accusateur ; les clercs qui seront dans la voie des saints, les veuves qui n'ont point d'enfants adultes, les jeunes filles sans avocats ne sont point tenus de la commune. Celui qui possède une terre pendant un an et un jour, en devient propriétaire incontestable ; la vente qui ne s'élève pas à plus de huit deniers ne doit aucun droit. Enfin toute fausse mesure doit être brisée[13].

On remarquera que, dans cette chartre primitive, la commune n'est pas toujours un droit, c'est plutôt une obligation pour tous ceux qui se lient ; il y a des engagements d'argent et de services souvent très-onéreux ; pour certains hommes, en être affranchi est considéré comme un privilège et une faveur. Si la commune offre les garanties d'une ligue contre la violence, elle impose de lourdes obligations ; si les manants la demandent avec tant d'insistance, si les bourgeois la sollicitent, c'est qu'ils sont de tous côtés pressés et torturés par les féodaux ; ils sont obligés de se réunir par un lien commun de paroisse contre les exactions et les pilleriez du baronnage ; mais ce lien est souvent lourd, appesanti par les obligations de service et d'argent ; la dure main du seigneur qui frappe explique seule l'ardeur avec laquelle la commune est appelée par les classes opprimées, comme un grand remède. Il y a un entraînement qui pousse les masses vers cette administration libre qui substitue un résultat d'argent à l'arbitraire des exactions. Commune ! Commune ! tel fut le cri poussé à Laon. La cité de Laon est la seconde commune qui s'élève dans l'ordre chronologique ; Gaudri, on l’a dit, est plus baron hautain qu'évêque de paroisses, l'homme de bataille dominait l'homme d'Église[14] ; incessamment en rapport avec le roi d'Angleterre, Gaudri portait la cuirasse et le brassard, c'était un féodal, et non pas un serviteur du Christ.

Pauvres serfs de Laon, que pouvez-vous espérer d'un tel sire ? Il était du nombre de ces clercs batailleurs contre lesquels Grégoire VII s'était si puissamment élevé I Dur seigneur, Gaudri pressurait les serfs et les bourgeois de la ville de Laon ; avec ses portes vermoulues, ses antiques monuments, Laon respire les souvenirs de la paroisse et de la commune : que faire contre l'impitoyable seigneur Gaudri ? car ce n'était pas un évêque ; il portait l'épée haute, et plus d'une fois il s'était mêlé dans les batailles d'Angleterre : les serfs, les bourgeois se révoltèrent donc en criant : Commune ! Ils se précipitent vers le palais épiscopal ; ils sonnent le beffroi de la paroisse, tout est soulevé ; et comme cela s'était vu pour le comte de Flandre, il y eut une terrible tragédie de peuple et de clercs. Le dur féodal Gaudri fut frappé par les communaux ; les serfs ne virent point en lui le prélat revêtu de la mitre et de l'étole, mais le seigneur et le baron qui les avait opprimés le casque en tête[15]. La commune de Laon fut obtenue à prix de sang, et voici ce que disait la chartre : Sachez tous, clercs, chevaliers et manants, que nul homme libre ou serf ne sera désormais arrêté que selon la justice delà commune ; que si quelqu'un fait injure à autrui, clerc ou noble, marchand étranger ou indigène, qu'il vienne en justice devant les jurés pour se purger de sa faute, sinon il sera expulsé de la commune ; le malfaiteur sera retenu jusqu'à ce qu'il ait fait satisfaction ; si quelqu'un frappe un autre homme de son poing ou de sa main, qu'il paie des dommages arbitrés par les jurés et juges de la commune ; s'il y a des coupables d'un crime, la peine du talion sera appliquée[16] : tête pour tête, membre pour membre ; si l'on s'empare d'un voleur, justice en sera faite par les jurés ; le cens ou impôt sera exactement acquitté envers qui il est dû, autrement le débiteur sera poursuivi. Nul ne sera reçu dans la commune, s'il n'est libre ou s'il n'obtient la volonté de son seigneur ; il pourra être revendiqué dans les quinze jours par son maître[17] ; il sera exclu de la commune, si pendant l'année il n'achète une maison ou une vigne, un champ, ou s'il n'apporte un mobilier ; dès ce moment, il paiera la taxe et toutes les charges de la corporation : bien entendu que tous ces privilèges sont accordés, sauf les droits du roi et ceux de l'évêque, lesquels seront respectés par les communaux.

Les dispositions générales de ces Chartres de communes révèlent un commencement d'administration politique ; le monastère avait été le type primitif sur lequel toutes ces administrations s'étaient modelées. Il y avait dans la commune privilèges et devoirs, avantages et soucis, droits et obligations. Souvent les charges de la commune étaient grandes ; on devait de l'argent et des services militaires ; le serf de corps, soumis à son seigneur, n'avait-il pas toutes les jouissances d'une vie résignée ? le féodal veillait sur lui, tandis que le communal, pour un peu de protection, avait tous les devoirs de l'existence libre[18]. Le serf travaillait brutalement ou machinalement au son de la cloche, depuis le soleil levé jusqu'à son déclin ; le féodal devait prendre soin de lui. Hélas ! l'homme de la commune était soumis à des taxes régulières, au guet et à la garde des murailles ; il fallait sacrifier son repos, exposer sa vie, et ces obligations ne plaisaient pas toujours ! Il n'y avait pour l’ordre communal que le sentiment de liberté, grande puissance sur les âmes ; souvent ou y sacrifie son repos, et cette pensée, je suis libre, fait noblement palpiter le cœur. L'esclavage est partout dans la société, mais il n'est pas visible et senti. Plus d'un serf resta en dehors de la commune pour s'affranchir de ces charges et vivre de la vie paresseuse et régulière dans les champs du seigneur. Cette impulsion effervescente de la commune se révélait dans quelques cités plus exclusivement menacées par les féodaux : le Parisis était si plein de châtelains et de barons pillards et belliqueux !

Plus loin, les querelles entre les évêques et les comtes favorisaient le soulèvement des multitudes pour la commune. Quand le comte avait besoin de bras nerveux pour briser le pouvoir des moines, il promettait aux manants la liberté[19] et la commune. Lorsque l'évêque à son tour élevait le gonfanon épiscopal contre le sire de la féodalité, il invoquait également les serfs et leur promettait la commune : c'était pour le grand nombre un appât, une récompense ; et comme la croisade avait imprimé dans les esprits des idées de liberté et d'égalité chrétiennes, le soulèvement se produisait partout avec une certaine énergie. Bans le bourg de Vézelay en Bourgogne, si renommé par son monastère, le comte de Nevers et l'abbé de Vézelay sont en querelle sur leurs droits ; ils prétendent l'un et l'autre la suzeraineté du bourg ; leurs hommes d'armes s'étaient plus d'une fois rencontrés dans des disputes pour les fiefs ; le comte de Nevers invoqua pour lui l'appui des manants et habitants du bourg qui faisaient des dégâts sur les terres de l'abbaye ; le comte leur disait : Pourquoi ne feriez-vous pas une ligue de communes contre le monastère ?[20] Ces idées de confrérie pour la défense mutuelle étaient partout ! La révolte des communaux prit tons les caractères de violence des époques désordonnées. Longtemps cette querelle d'armes entre le féodal et le monastère se prolongea ; on y voit intervenir, comme dans un drame, le peuple, l'abbé et le comte.

Ces trois éléments : la féodalité, le clergé et les communaux se disputent l'influence sur la société : le serf réclame la liberté avec une énergie brutale et presque sans intelligence ; le comte de Nevers favorise ou comprime le développement de la commune de Vézelay comme un instrument d'usurpation. Ici les moines de Vézelay s'opposent à la commune, parce qu'ils agissent, comme l'évoque de Laon, en qualité de seigneurs territoriaux[21], et non point comme corporation religieuse. Les monastères se lient par la terre au système féodal ; ils sont empreints de deux esprits : comme organisation chrétienne, ils sont favorables aux serfs ; mais comme seigneurs de la terre, ils en partagent les intérêts et les passions ! voilà ce qu'il ne faut pas oublier dans l'histoire du moyen âge ; les clercs se mêlent à la féodalité, comme la féodalité se mêle au monastère !

La commune fut au moyen âge l'organisation des serfs et des manants pour la défense mutuelle ; elle leur offrit une force pour se protéger dans la confusion de tous les droits, dans la lutte de toutes les violences ; le monastère fut aussi la règle dans l'Église, quand la pensée religieuse se manifesta au milieu de la solitude et du désert[22]. Les seigneurs hautains, les barrons, les châtelains, les hardis possesseurs de la terre, devaient-ils rester seuls en dehors de ce mouvement de fraternité du XIe siècle ? Il se manifestait une tendance générale ; tous les éléments de la société se portaient alors vers l’ordre et la hiérarchie ; les forces confuses, désordonnées, cherchaient à se grouper ; les féodaux seuls resteraient-ils dans leur situation effrénée, dans cette effrayante individualité qui les faisait courir aux armes à chaque insulte, à chaque offense, ou pour un but de pillage et d'ambition ? Ce chaos serait-il la forme invariable de l’ordre féodal, et la force pouvait-elle être à tout jamais le droit et le devoir, et l'état sauvage pouvait-il être le but final de la Providence ? Au commencement du XIe siècle, il se révéla un besoin impératif de renoncer à cette vie tout isolée de la tour et du château ; on court s'organiser en corporations ; les croisades avaient réuni peuple, chevaliers et clercs ; elles avaient imposé des devoirs d'obéissance militaire[23] ; on marchait sous un chef et sa bannière ; tout tendait à fixer les rapports des hommes d'armes entre eux sous des règles pieuses ; il y eut des corporations de barons et de chevaliers, comme il y en avait pour la commune ou les monastères, et pour les métiers : de là naquirent les ordres de chevalerie, les communautés armées, qui tinrent une si vaste place au moyen âge[24].

Le sentiment de repentance qui saisissait au cœur le farouche châtelain ne devait pas toujours le conduire vers la solitude et le désert ; la croisade avait montré à la génération active qu'on pouvait servir Dieu les armes à la main, et cela convenait aux habitudes batailleuses des barons. Il se forma des corporations religieuses, qui, tout en conservant leurs masses d'armes au poing, faisaient des vœux de pénitence et se soumettaient à une règle sévère. Le nom de milice sainte[25] leur demeurait, comme pour témoigner leur double caractère de chevalerie et de monastère ; ils se consacraient au triomphe de la pensée catholique et de la pensée belliqueuse. Le mélange du clerc et de l'homme d'armes est continu dans le moyen âge ; ce sont deux natures qui se confondent, quand elles ne se heurtent pas par les intérêts du sol et des fiefs. La constitution des ordres de Saint-Jean de Jérusalem et du Temple est donc marquée de ce double signe : ce sont des hommes de guerre qui se font moines tout en conservant leur destinée de batailles ; institution naturelle dans la Palestine, terre conquise récemment sur les infidèles ; on se dévouait à vivre au milieu des Barbares, entouré de mécréants et de Sarrasinois : ne fallait-il pas incessamment se défendre ? Tout religieux à Jérusalem devait avoir les armes à la main et revêtir la cotte de mailles ; il fallait se protéger sans cesse contre les infidèles qui attaquaient les hôpitaux des pèlerins et le Temple ; la vie matérielle s'y mêlait à la vie morale, le chevalier au moine, la prière au bruit des armes, l'hymne sainte au chant de Geste des barons !

Le plus antique de ces ordres militaires fondés en Palestine fut celui de Saint-Lazare[26] ; moins vigoureux et moins brillant que les chevaliers de Saint-Jean et du Temple, l'ordre de Saint-Lazare était sous la protection de ce grand saint ressuscité du sépulcre, qui proclama, le visage encore couvert des pâleurs du tombeau et le flanc rongé par le ver de la mort, la gloire du Christ. Les religieux de Saint-Lazare avaient mission de panser les pèlerins blessés ou malades ; la route était si longue, le climat si brûlant, les besoins si nombreux ! Quand les pauvres de Dieu visitaient Bethléem, Nazareth, lieux ou demeuraient debout de si puissants souvenirs de la prédication chrétienne, ils trouvaient les lazaristes pour bander leurs plaies, étancher leur soif ou calmer la fièvre brûlante : il y avait un hôpital de lazaristes à Jérusalem, tout à côté du saint sépulcre, le grand séjour des souffrances. Les lazaristes étaient chevaliers ; tous conservaient leur caractère belliqueux quand il fallait défendre les conquêtes ou préserver les pauvres malades. Toutefois, dans les statuts de l'ordre, on distinguait trois classes de frères[27] : les chevaliers ne quittaient jamais le glaive ; ils portaient dignement la cotte de mailles, l'épée au poing et le manteau blanc de l'ordre, avec une croix de gueule sur la poitrine ; les servants étaient vêtus comme les infirmiers des léproseries ; c'étaient les humbles et les plus repentants. Lorsque le vent du désert soufflait, et que la peste, comme un cavalier de feu armé de flèches, arrivait sur la terre de Palestine avec ses désolations, les religieux de Saint-Lazare soignaient les souffreteux étendus sur leur lit, tandis que les prêtres lazaristes (le troisième ordre) se consacraient au service des autels ; triple et sainte union pour la défense de Jérusalem, sauver la santé du corps et fournir les remèdes, afin de guérir les douleurs de l'âme des pauvres pèlerins qui s'en allaient en Palestine !

Ils étaient bien modestes les lazaristes ! il y avait plus de force et d'éclat dans les hospitaliers désignés dans les Chartres primitives sous le nom de chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem[28] ; la mission des hospitaliers était de recueillir les pèlerins égarés ou malades j quand la cloche sonnait aux hospices de Nicée, d'Antioche ou de Jérusalem, tous les hospitaliers étaient debout ; c'est qu'il arrivait auprès du monastère un pèlerin venant de lointain climat avec son bourdon et sa panetière ; ne fallait-il pas lui prodiguer les services et loi donner asile ? Vous tous qui avez éprouvé le vide et la solitude des voyages, ce vaste désert que forme autour de vous la langue étrangère, le sol étranger, et l'absence de la patrie, quand le cœur est serré de tristesse, vous savez quelle satisfaction on éprouve si une main s'étend vers vous, si l'hospitalité rayonne sur votre front assombri. Ce fut ce but de secours et d'appui qui détermina la fondation du pieux Gérard dans Jérusalem conquise, aux portes mêmes du Temple ! Le titre d'hospitalier signifiait que la maison était ouverte à tous venants sans distinction, à une époque surtout où les Italiens n'avaient point fondé encore les alberga dans leur égoïsme spéculateur ; froides hôtelleries où les services s'empreignent d'une indifférence d'autant plus pesante qu'elle est attentive, où tout vous rappelle le vide d'un sentiment affectueux, où tout se perd dans la banalité de soins incessamment renouvelés pour tous. L'ordre de Saint-Jean conquit bientôt une grande renommée ; les premiers frères furent Raymond du Puys, Dudon de Comps, Gaston de Bordeil, Conon de Montaigu ; ils étaient du Dauphiné, de l'Auvergne et de la Provence ; l'hospice s'agrandit par les dons des fidèles ; ils s'organisèrent comme chevalerie et comme corps religieux, avec une règle et des prescriptions fixes. Les hospitaliers s'obligeaient à l'abstinence, tandis que les mets délicats étaient offerts aux voyageurs égarés ; les statuts portaient l'obligation impérative de combattre à outrance les infidèles. A mesure que l'ordre grandissait, on le divisait par langues, c'est-à-dire par nationalité ; il y eut donc Provence, Auvergne, France, Italie, Aragon, Allemagne et Angleterre : partout où l'idée chrétienne se formulait, elle prenait un caractère d'universalité. Dans la pensée catholique, les nations ne devenaient que des provinces ; l'institution religieuse empreignait son esprit d'unité sur la société tout entière. Les hospitaliers de Saint-Jean devinrent un grand ordre de chevalerie ; ils portaient une robe de couleur noire, longue et pendante ; un manteau à pointes descendait jusque sur leurs sandales ; ils étaient encapuchonnés de bure comme les ermites[29], et sous ce vêtement noir reluisait une croix de toile blanche, large et à huit pointes. Les hospitaliers eurent un grand maître, un conseil de l'ordre, des commanderies, terres opulentes que la piété des fidèles laissait à l'hospice des pèlerins pour répondre aux besoins du pauvre. C'était une de ces pieuses aumônes qui allaient aux hospices et aux léproseries[30].

Ainsi les lazaristes avaient le soin des malades, les hospitaliers devaient fournir le gîte et le toit aux pauvres pèlerins. Puis il se forma une milice plus puissante et plus hautaine autour du temple de Jérusalem, fière confrérie vouée à la défense de la Palestine et des pèlerins qui traversaient les pays infidèles et les combattaient à outrance. On appela ces frères les chevaliers du Temple ; leur règle, approuvée par le concile de Troyes, leur donne le titre de pauvres chevaliers du temple de Salomon[31]. Nobles paladins, ils avaient aussi leur grand maître, élu comme l'abbé des monastères ; les prieurs, les visiteurs, les chefs de commanderies, dignitaires de l'ordre. Les obligations des templiers étaient immenses, et on les rappelait à l'instant des vœux solennels comme la règle mémorable de leur vie. Quand un néophyte se présentait, on lui demandait quelle était sa province, sa nation et son vœu : Je veux le pain et l'eau, devait répondre l'initié, comme dans les antiques mystères : Mon frère, répliquait le grand maître, vous vous exposez à de grandes peines ; quand vous voudrez dormir, il faudra veiller ; quand la fatigue brisera vos membres, vous n'aurez pas de repos ; il vous faudra quitter votre famille, voire paya, votre manoir dans la campagne fleurie pour les plaines de sable et les horizons du désert sans bornes. Si le néophyte persistait, le grand maître l'interrogeait sur sa vie et ses habitudes : Es-tu sain de corps ? es-tu fiancé ? et le récipiendaire, la main haute, faisait vœu de pauvreté, de chasteté et d'obéissance ; puis il jurait de défendre la croyance et les mystères de la foi, à ce point de lutter de toutes ses forces contre le mécréant jusqu'à la mort. Les templiers portaient un étendard à l'émail d'argent, surmonté d'une croix de gueules, glorieux gonfanon déposé dans le sanctuaire ; on le nommait Beauceant, et on lisait en son milieu cette légende d'humilité ; Seigneur, ce n'est point à nous qu'il faut attribuer la gloire, mais à ton saint nom[32]. Les frères du Temple vivent sans avoir rien en propre, pas même leur volonté, dit saint Bernard ; vêtus simplement et couverts de poussière, ils ont le visage brûlé des ardeurs du soleil, un regard fier et sévère ; à rapproche du combat, ils s'arment de foi en dedans et de fer en dehors ; leurs armes sont leur unique parure ; ils s'en servent avec courage dans les périls, sans craindre le nombre ni la force des infidèles ; toute leur confiance est dans le Dieu des armées, et en combattant pour sa cause, ils cherchent une victoire certaine ou une mort sainte et honorable. 0 l'heureux genre de vie, dans lequel on peut attendre la mort sans crainte, la désirer même, et la recevoir avec fermeté ![33] C'est dans la milice du Temple et parmi ces prud'hommes de chevalerie au regard fier et hautain que se faisaient recevoir les féodaux rassasiés du siècle, parce qu'ils avaient tout vu et tout goûté dans les joies du manoir et l'existence errante des batailles. Au temps où une empreinte de tristesse rendait toute la vie sédentaire, le baron n'avait d'autre pénitence que la solitude d'un cloître ; mais quand il y eut une grande issue pour le courage, lorsqu'on put se repentir les armes à la main et par une vocation de batailles, les chevaliers aimèrent mieux cette noble voie qui allait à leur goût, que le repentir paisible et silencieux des moines, dans les murs d'un oratoire au désert. Les chevaliers du Temple furent la forte milice chrétienne, et on les voyait partout dans les combats avec leur manteau noir et blanc, leur large croix, leur épée puissante et leur blason antique. Les commanderies, multipliées par les d(ms et legs pieux, se répandirent sur toute la surface du monde[34]. Ils aimaient les frais ombrages, les vallées abritées, élevant leurs églises au milieu de la commanderie, qui s'étendait au loin. Maintenant encore vous rencontrerez dans les provinces lointaines ces fragments des églises de templiers au milieu des bois retirés : les sanctuaires sont tous remplis de figures étranges et de symbolismes grossiers. Un saisissement indicible pénètre l'âme quand on se rappelle, au milieu de ces voûtes désertes, la catastrophe des templiers sous Philippe le Bel, et l'histoire mystérieuse de cet ordre qui traversa le moyen âge, comme l'expression du monastère féodal pour l'homme d'armes repentant ; on foule ces ruines avec une inquiète terreur, comme si le temps passé se levait debout pour révéler les sombres destinées des générations. Ces églises dans les bois, sous la feuillée frémissante, réveillent un mélancolique intérêt. Je me souviens d'avoir visité, il y a quelques années, une solitude profonde dans un vallon de Provence[35], où je trouvai les ruines d'une vieille chapelle de templiers ; des figures bizarres paraissaient encore en relief sur des murailles frappées parle temps, ou sur la pierre grisâtre enlacée de lierre ; j'apercevais çà et là des tronçons de colonnes, des poussières d'ogives ; la couleuvre qui glissait dans la broussaille desséchée rappelait ces serpents de l'antiquité, symbole du génie des morts, car ils étaient morts les dignes paladins ! Sur chaque dalle de la chapelle eu ruines il me semblait voir s'élever quelques-uns de ces chevaliers du Temple a la figure grave et noircie par le soleil de Palestine, me redisant l'histoire de leurs prouesses dans la terre sainte ! Depuis la croisade, les temps étaient changés, la pureté des chevaliers s'était altérée ! la chair avait dominé l'âme, le corps avait absorbé l'esprit, et sous les vastes dortoirs de l'ordre on avait entendu le cliquetis des coupes dans le festin[36].

Les hospitaliers et les templiers étaient une milice particulière, un ordre militaire établi comme une règle de moines avec un grand maître élu, sorte de mélange de l'esprit féodal et des règles du monastère. Mais il se formait en dehors de la pénitence religieuse une puissante ligue de chevalerie dont l'éclat brilla pur au moyen âge. Si la commune fut l'union du serf et du manant contre la violence du seigneur, la chevalerie loyale et militaire, telle qu'elle naquit alors, devint comme la fraternité des hommes d'armes et des seigneurs châtelains pour protéger les droits du faible contre la violence du fort. Il faut suivre la vie de Louis le Gros telle que l'a écrite Suger ; il faut voir ce roi continuellement en lutte contre les seigneurs du Parisis, pour se faire une juste idée de cet état social violent, où rien n'est respecté : la force dominait tout ; le seigneur, la lance au poing, le casque en tête, pillait et dévastait ce qui était à sa convenance ; il n'y avait aucun lien, aucune raison dans le droit. La commune s'était formée contre cette anarchie seigneuriale ; les châtelains voulurent avoir leur confraternité, leur ligue de bien public, et de là naquit la chevalerie ! Toutes les fois que les individus isolés sont trop faibles dans un ordre social, la corporation les groupe et se forme naturellement pour repousser la violence. La chevalerie fut donc une association d'hommes d'armes pour maintenir une foi commune, le droit et le principe moral violemment ébranlés par l'individualisme hautain des pilleurs d'églises et de manoirs. On s'unit contre le mécréant et le sire qui méconnaissaient les droits de l'orphelin et de l'innocence[37].

Le moyeu âge est l'époque des agrégations ; on se corporait partout : dans le monastère, dans la commune, dans les métiers. La chevalerie devint la noble association pour défendre le faible ; elle eut ses devoirs : la protection de ce qui souffrait contre les cœurs durs et les têtes méchantes : ainsi se manifesta, comme cause première et enthousiaste, la constitution spontanée de l'ordre de chevalerie ; sorte de ligue armée contre les dévastations et le désordre. Tout chevalier doit son courage à la répression du mal ; il commence sa vie, jeune varlet, en écoutant les enseignements des dames dans les manoirs ; il apprend le déduit d'amour et de la chasse presqu'à son berceau ; à mesure que ses bras deviennent nerveux, on lui enseigne à être courtois et à n'employer sa force que pour la protection du faible et la répression du méchant ; sa pensée humble s’agenouille devant Dieu, il fait vœu de toujours combattre les oppresseurs, de défendre les orphelins, les femmes et les pauvres. Comme tout ce qui était faible était persécuté par la violence, le chevalier en prend hautement la défense ; les nobles frères de l'ordre de chevalerie parcourent les grandes voies, les forêts profondes et mystérieuses, pour y trouver d'héroïques aventures. Y a-t-il un seigneur malfaisant dont le château sur un pic élevé menace toute la contrée, tout aussitôt le chevalier s'élance pour réprimer le sauvage baron qui plane du haut de sa tour comme l'aiglon dans son aire. Un chevalier discourtois dépouille les dames de leurs vêtements et déshonore les filles[38] ! le chevalier va combattre ce châtelain misérable ! Noble institution que la chevalerie ! elle reconstitua les douces mœurs, elle laissa comme une empreinte de dévotion sur toutes les idées généreuses. La chevalerie l'ut un culte pour les sentiments exaltés, pour les idées enthousiastes. A côté des chroniques, on aime à parcourir ces admirables légendes de chevalerie où tant de prouesses sont faites et tant de dévouements donnés aux pauvres souffreteux, à la femme, aux orphelins. La lâcheté est jetée au mépris, la couardise flétrie ; on fait la guerre aux Barbares comme aux félons, on proscrit la traîtrise comme un vice du cœur. La chevalerie reconstruit la société, elle l'épure surtout par la puissance des idées de loyauté[39]

L'ordre, dans la tenure féodale, fit pour la terre ce que la chevalerie prépara pour les mœurs ; elle plaça le devoir au-dessus de la force. Au Xe siècle, tout est confusion dans la propriété ; il y a des usurpations pour chaque fief, pour les cités ou pour les bourgs ; la conquête bouleverse tout ; ici l'on s'empare d'une terre, là d'un four banal ou d'un pont ; les petits, les pauvres femmes, les orphelins sont sans protection. Si le suzerain est le plus audacieux, pourquoi respecterait-il le voisin plus faible ? si une propriété lui convient, il s'en empare : ainsi se montrait l'époque désordonnée. La loi de tenure dans les fiefs créa des rapports réguliers, en constituant une grande hiérarchie de la terre, depuis le suzerain jusqu'au dernier vassal. Dès qu'il n'y eut plus d'alleux[40], c'est-à-dire quand les propriétés libres et isolées se lurent effacées, tout fut soumis à une supériorité ; la maxime nulle terre sans seigneur domina le droit public de la France. On compta, dans un ordre régulier, le seigneur, le vassal, le vavasseur ou arrière-vassal, tous soumis à des services ou à des redevances : le seigneur devait protection au vassal insulté, et celui-ci devait hommage à son supérieur. Si le chevalier s'agenouillait devant le Christ et la Vierge pour faire ses vœux de loyauté, le vassal plaçait ses mains dans celles du seigneur pour jurer qu'il le suivrait fidèlement à la guerre comme un digne et bon serviteur[41]. L'hommage s'accomplissait en cour plénière, en face des barons couverts d'hermine ; c'était la main nue et le front découvert que cette cérémonie avait lied ; souvent le seigneur donnait à son homme un beau cheval de bataille, des armes de guerre reluisantes d'acier ; et lui, le vassal, à son tour faisait hommage à son suzerain d'un faucon, de quelques lévriers bien dressés, comme gage de soumission et d'obéissance. Y avait-il solennité au manoir, le vassal servait le sire dans ses festins avec la coupe de cerf enchâssée dans l'or ; s'il était comte de son étable, il présidait à la bonne éducation du cheval de bataille[42] ; s'il était son chambellan, il prenait soin de son mantel en fourrure ; le panetier, l'échanson recevaient des fiefs en échange de leurs services de corps et d'hommage. Le fief était le salaire pour service rendu ; la guerre était la condition essentielle de tout vassal. Quand les trompettes et buccines retentissaient, il fallait monter à cheval pour suivre son seigneur dans les batailles. Les droits et les devoirs de la tenure étaient si régulièrement fixés que nul ne pouvait s'en écarter sans encourir le reproche de félonie discourtoise. La terre, comme les hommes, se trouvait soumise dans une hiérarchie commune ; il en résulta une juridiction fixe, des rapports réguliers entre les vassaux et le sol ; la féodalité fit naître le sentiment de la propriété. Le code des fiefs est une manifestation des droits et des devoirs ; il a constitué la société politique et morale[43].

La chevalerie et la féodalité eurent leur langue, leur symbolisme ; on vécut dans une sorte d'idéalisation de la vie matérielle ; les cloîtres avaient leurs magnifiques légendes pour exalter le saint évêque ; la corporation chevaleresque eut aussi ses merveilles, ses poétiques histoires, ses hauts barons, ses géants immenses, ses féeries, ses enchanteurs, tout ce monde qui s'agitait dans les forêts sombres, autour de ces châteaux aériens et ces tours de diamants qui se perdent dans les astres et plus brillantes qu'eux. On eut les armes enchantées, les lances d'or, les cors retentissants, les poitrines invulnérables comme le fer, les casques aux influences magiques, et les bonnes épées qui eurent leur histoire comme les coursiers de la féodalité. La chevalerie eut ses épopées, ses chansons poétiques, ses histoires, ses chroniques qui entraînent incessamment les imaginations dans un monde merveilleux ; elle eut comme langue le blason qui fut le témoignage parlant des actions de la race et la chronique de la famille féodale[44]. Qui peut dire le charme et le mystère des émaux, signes symboliques, expression des glorieuses épopées du moyen âge ? L'écu porte-t-il le rouge pour émail, c'est la gueule du lion, le symbole de la violence et de la fierté victorieuse ; le sable, c'est le tourbillon de poussière qui s'élève tout noir sous le pas des chevaux dans les batailles ; l'azur, c'est le ciel si pur et si beau ; le sinople est le vert oriental, ou le souvenir des flots de la mer qu'on a traversée en pauvres pèlerins de la croisade. Le blason porte-t-il une tourelle crénelée, c'est la mémoire du manoir chéri ou de la tour qu'on a brisée dans ses jours de gloire ; les merlettes, oiseaux sans becs ni pattes, c'est le symbole des pèlerins qui s'en vont s'acheminant en Syrie humiliés et contrits ; les besants d'of sont le prix de la rançon du captif aux mains des infidèles ; ce fond d'hermine est l'image de la cour plénière où justice est rendue par le comte en toque et en mantel, ces coquilles larges et d'argent rappellent le bourdon et la panetière ; le lambel, c'est la peinture de la table du seigneur, où le lambel pendait comme une riche draperie, au jour des festins, quand la coupe se vidait à la ronde ; l'épée flamboyante, c'est le signe de la vaillance et de la conquête[45].

Les alliances illustres se redisent et se perpétuent par l'union des deux armoiries ; la fusion des couleurs arrive comme la fusion des races ; s'il y a bâtardise, le témoignage s'en empreint aussi sur le blason. Rien n'échappe dans cette histoire du chevalier, de la maison ou de la race. Tout se symbolise dans le blason ; chaque chevalier porte sur sa poitrine une attestation publique de son origine, de ses exploits et de sa loyauté ; nul ne peut se cacher, c'est la vie en dehors ; le couard peut-il encore se dérober à la flétrissure, le perfide à sa déloyauté ? S'il y a honte ou tache, le blason parle haut ; le moyen âge est une époque de franchise où chacun se révèle dans ce qu'il fut et dans ce qu'il sera ; on doit mettre sa vie en dehors. La chevalerie, la féodalité et le blason furent le premier principe de cette loyauté qui caractérisa longtemps la gentilhommerie de France[46] ; il était impossible d'être discourtois et trompeur quand chaque action de la vie devait se révéler en public dans les armoiries j le lâche voyait son écu brisé sur sa tête, et le félon subissait l'infamie d'une tache marquée dans le blason de sa race. Quand les armoiries furent effacées, la loyauté française perdit de son éclat : dès que la vie put se cacher, que devint la foi des gentilshommes ?

Si les nobles possédant fiefs portaient haut leur blason, leurs vieilles généalogies, les métiers à leur tour formaient comme de grandes corporations qui avaient aussi leurs signes de reconnaissance et leurs enseignes armoriées[47]. Les besoins étaient grossiers alors, mais ils restaient considérables dans la vie usuelle : les barons avaient de fortes armures qui exigeaient un art perfectionné parmi les forgerons, les tréfileurs d'acier et de cottes de mailles. Dans leurs cours plénières les féodaux portaient de riches étoffes, des fourrures, dépouilles des forêts ; ils avaient à leurs doigts l'anneau qui leur servait de scel sous leurs gants de peau de daim ; sur la tête la toque de velours qui garantissait leur front. Les châtelaines étaient vêtues de robes traînantes, souvent garnies de pierreries ; leurs voiles, qui descendaient jusqu'aux pieds, étaient de fin lin ; et ces ornements d'une toilette raffinée exigeaient un grand nombre d'ouvriers experts et instruits dans toutes les industries perfectionnées. Le château voyait s'introduire un luxe jusqu'alors inconnu : l'oratoire contenait une sainte et pieuse chapelle ornée de la châsse d'argent garnie de pierres précieuses, une croix artistement travaillée, des vases en vermeil, des chandeliers d'or, des livres d'heures sur parchemin enluminé, avec les riches couvertures enchâssées de topazes et de rubis. Les meubles exigeaient un grand travail ; partout des bas-reliefs sur bois, des incrustations d'ivoire sur ébène, comme l'école byzantine en offrait le modèle ; et ces mosaïques reproduisaient de beaux sujets : des chasses au courre et aux sangliers, des animaux fabuleux, des batailles à outrance et des faits d'armes héroïques[48].

Si des manoirs féodaux vous descendiez là-bas dans la plaine, vous trouviez au monastère et dans l'église que surmontait la croix des objets habilement façonnés par l'art de l'ouvrier : le clerc paraissait à l'autel revêtu d'habits sacerdotaux imités des vieilles coutumes grecques ; la dalmatique, l'étole étaient brochées d'or avec une certaine richesse d'ornement ; la tiare, la crosse des abbés exigeaient un soin d'incrustation remarquable ; les couleurs des vêtements sacerdotaux étaient vives, le rouge, souvenir du sang des martyrs, le bleu céleste rivalisant avec l'azur des cieux ; on possédait des secrets inconnus pour une teinture si brillante et si tenace ; rien ne pouvait se comparer au luxe des autels, à ces travaux d'orfèvrerie qui depuis saint Éloi s'étaient produits avec une si grande perfection. Les bourgeois, les serfs et les moines, serfs de Dieu, portaient des vêtements de laine et de bure, grossiers, mais d'un long usage ; leur forme était simple et chaude, ils avaient tous un capuchon ou chaperon sur la tête qui les préservait des intempéries de la saison ; lorsque la pluie était froide et battante, ces vêtements de lame abritaient comme une cellule le bourgeois et le pauvre serf. Ce n'était pas un mauvais vêtement que la cape de bure ; la bonne laine de brebis empreinte sur le corps était plus saine que le lin recueilli dans les marais fangeux ; la robe des religieux aux monastères n'était point gracieuse, mais elle imprimait à l'homme une certaine dignité ; ce vêtement était commode, il laissait aux membres une aisance pour se mouvoir ; le cordon qui serrait la taille tombait jusqu'aux pieds pour couvrir les sandales : le chaperon pendait sur les épaules aux saisons chaudes, et ce n'était que dans les temps humides et froids qu'il cachait la tête vénérable de l’abbé ou des frères repentants[49].

Il y avait de nombreux métiers et états pour répondre à tous ces besoins de vêtements, de luxe et de richesse du moyen âge ; rien ne se faisait alors que par corporations, Les forces individuelles étaient trop éparses, trop faibles pour se défendre elles-mêmes, l'isolement n'était point permis dans un temps de désordre et de luttes personnelles ; il fallait s'agréger, se corporer. Tout métier était un corps, parce que l'association crée une force. Le plus renommé était les orfèvres, et les plus anciens statuts s'appliquaient à eux ; les objets de luxe préoccupent plus vivement que le nécessaire ; l'art de l'orfèvrerie était presque tout entier originaire de Constantinople, où on le portait à sa perfection. L'école byzantine avait enseigné les orfèvres francs, les argentiers, les doreurs, qui incrustaient si bien les beaux meubles, les chasses saintes, les couronnes de comtes et les poignées de grandes épées. Apres les orfèvres venaient les forgerons, qui frappaient sur l'enclume d'un bras fort et nerveux, car il faut préparer les boucliers, les lances et les durs vêtements des chevaux qui garantissent leurs nobles poitrails. Le tréfileur tenait aussi à la confrérie des armuriers, car c'est lui qui faisait les cottes de mailles impénétrables, les hauberts enchantés. Quelle perfection dans les armures si fortement trempées que la pointe de l'épée s'émoussait sur les boucliers ou glissait comme sur l'écaille luisante ! Et les imagers qui reproduisaient les belles peintures, et les marchands d'épices, la corporation des nautes et bateliers du Parisis ; les bouchers en leurs étaux et dignes trancheurs de viandes. Tout cela formait de grandes corporations, qui toutes avaient leurs syndics, leurs maîtres, leurs statuts comme dans les villes de Flandre[50]. Chaque état avait aussi son enseigne, sa bannière et son saint : l'enseigne était pour le métier comme le blason pour le comte, transmise de père en fils. Quand on avait la croix blanche, le cheval, les escuelles d'argent pour belle enseigne, il fallait maintenir sa réputation, et cela était une garantie. La bannière de chaque métier se portait en procession comme le gonfanon du féodal ; le boucher était aussi fier quand il hissait sa bandière avec son coutelas au côté, que lorsque le roi allait chercher l'oriflamme à Saint-Denis Et puis ce saint protecteur qu'on voyait en sa châsse vénérable n'était-il pas le premier et le plus noble d'entre tous les ouvriers ? ce saint avait été orfèvre comme eux, forgeron comme eux, imager comme eux, et il régnait en sa gloire dans les cieux bien au-dessus des comtes et des féodaux. Quelle puissante consolation pour les dignes ouvriers quand ils processionnaient un cierge à la main et l'outil, symbole de leur labeur, qu'ils portaient haut comme un hommage rendu à leurs travaux pénibles, et que Dieu récompenserait en son saint paradis[51] !

Les manufactures de tissus étaient presque tout entières dans les monastères. Aux vastes ateliers, tout à côté des dortoirs, se faisaient les vêtements des bourgeois et des serfs ; on y filait la laine grossière, ou la tissait ensuite avec la même activité ; tout se préparait de la main des moines, les grands industriels du temps ; ils recueillaient les produits et appliquaient incessamment leur labeur aux œuvres de tissage et foulage. Ces produits, ils les donnaient aux pauvres ou les vendaient au marché de chaque semaine. Les petites villes tenaient ce marché à jour fixe ; le privilège leur était concédé par chartre royale et seigneuriale[52]. Là il y avait un concours de peuple pour acheter et vendre ; on se procurait tous les besoins de la vie par vente et par achat. A des périodes plus éloignées se tenait la foire presque toujours fixée à la fête du saint, afin qu'on en gardât plus longtemps mémoire. Une foire était un bienfait pour la contrée ; comme pour les marchés on les obtenait par une chartre royale ; et ces ordonnances de concessions de foires faites aux habitants de la ville et du bourg sont nombreuses ; on s'y rendait de tous les côtés en caravanes, car les routes n'étaient pas sûres, on ne pouvait voyager que par troupes aux rangs pressés. Aux foires, accouraient les juifs à la barbe longue, les marchands italiens, qui déjà exploitaient par leur industrie tous les marchés de l'Europe. Les Italiens étaient rusés, matois ; les juifs prêtaient sur gages, sur l'escarboucle du comte comme sur le vêtement du serf ; rien ne pouvait empêcher leurs mauvaises habitudes de lucre ; ils y tenaient avec persistance jusqu'à ce qu'une révolte de bourgeois et de serfs vînt leur faire rendre gorge. Les foires étaient, sous plus d'un rapport, lucratives pour les seigneurs ou les cités qui en avaient le privilège ; Saint-Denis n'eût pas donné son landit pour cent besants d'or. On louait les échoppes, on rançonnait les marchands étrangers ; et puis ce nombreux concours de juifs ou d'Italiens jetait la prospérité sur toute la ville[53]. Quelquefois un des privilèges de la foire était précisément d'être exempté d'impôt ; le marchand ne devait ni péage, ni droit de tonlieu et les transactions étaient affranchies. Chacun pouvait gambader à volonté et joyeusement s'ébattre : les foires devenaient l'occasion d'une multitude de jeux que les baladins faisaient pour l'amusement de la compagnie : en la foire de Saint-Denis il y avait déjà des tréteaux où l'on commençait à jouer le mystère de la passion ou de l'agonie du Seigneur[54].

Les arts étaient inhérents aux métiers : comment était-il possible que les imagers pussent ignorer en leur état les règles de la peinture et l'art du dessin ? l'orfèvre avait besoin des couleurs pour nuancer ses belles œuvres ; l'armurier, le fourbisseur de cuirasses devaient souvent placer les émaux du blason sur la poitrine des hommes d'armes. Il fallait donc cultiver l'art du dessin et le coloris ; les lignes sont imparfaites encore, il y a peu d'avancement dans les diverses parties de l'œuvre ; mais ce qu'il y a de remarquable, c'est l'expression vive et la couleur saisissante. L'école byzantine se manifeste dans ces essais informes : si les images sont roides aux yeux fixes, les couleurs sont vivement relevées ; tout est Saillant dans ces miniatures de manuscrits si grossières, mais conservées à travers les âges ; empreintes sur parchemin, les lettres sont ornées avec patience ; on y voit des fruits, des fleurs et des animaux à mille formes[55]. Tout ce qui est sans animation de pensée est magnifique ; c'est une imitation exacte, une copie tellement technique, qu'on croirait que la fleur est plaquée sur le parchemin. Une indicible rêverie vous saisit en feuilletant ces manuscrits, l'œuvre patiente de quelques moines silencieux qui passèrent de longues années, la tête dans leurs mains, en pensées contemplatives sous les voûtes des monastères ; il faut les lire surtout à la lampe du soir dans cette bibliothèque de Sainte-Geneviève, qui m'a reproduit si souvent la vie studieuse des Bénédictins, quand un pas retentissant se fait entendre Sur ces dalles tellement accoutumées au silence que le vol de l'insecte retentit au loin sous les longues galeries[56]. Si l'art de la miniature jette quelque éclat dans le XIe siècle, l'architecture se développe dans des proportions gigantesques et gracieuses, dont je retracerai les progrès dans le siècle suivant. Les cathédrales supposent de vastes conceptions dans l'architecte ; ces monuments ne sont point une improvisation du génie, ils reposent sur les règles positives et les conditions mêmes qui forment les bases fondamentales de l'architecture : la magnificence de l'œuvre et sa solidité. On éprouve une impression indicible quand on entre dans ces cathédrales chrétiennes du XIIe siècle ; quelque chose d'ineffable et d'inconnu vient jeter l'âme dans les méditations qui s'élancent vers Dieu à travers les soupirs de l'orgue. Tout est disposé dans l'idée de la prière et les méditations de l'infini ; l'architecte est non-seulement un poète, mais le croyant qui a jeté son âme et sa foi dans son œuvre. Les merveilles des anciens, les temples qui sont demeurés debout depuis tant de siècles, les colonnes grecques et romaines qui, par leur masse et leur solidité, défient le temps, reposent toutes sur de larges bases. Mais l'ogive, ces flèches, ces clochers qui se balancent à travers la foudre, ces saints de pierre dans leurs niches qui forment un si admirable tout dans leur harmonie, ne sont point posés sur un piédestal immense, sur des murailles épaisses comme le Parthénon d'Athènes ou le Panthéon de Rome. Les églises du moyen âge semblent si sveltes, qu'on dirait qu'elles se jouent au vent, et que le premier souffle va les renverser ; et pourtant elles se maintiennent debout et bravent les siècles comme les géants de l'époque héroïque ; les passions des hommes seules les ont atteintes[57].

Rien de comparable à cette architecture si ce n'est la musique solennelle, ces hymnes qui se font entendre sous les voûtes, et s'associent si bien à ce grand tout ! Si les instruments de ménestrandie étaient imparfaits, si la vielle était monotone sous l'archet, si l'orgue bruyant faisait éclater mille voix inconnues, si la corne du cerf façonnée en trompe jetait ses sons au loin dans la forêt, il y avait cependant une indicible mélodie dans ces chants d'église qui remuent encore aujourd'hui si profondément l'imagination. L'hymne, c'est le chant de douleur ou de joie des Xe et XIe siècles[58] ; tout se rattache à ces harmonies infinies qui jettent l'âme dans des sensations vagues et mélancoliques. Dans le silence des monastères se composèrent ces magnifiques chants, œuvres de foi, que l'on cherche en vain à imiter : c'est souvent une religieuse, un pauvre moine qui, par la seule étude du plain-chant grec, produisent ces œuvres d'une simplicité si magnifique et d'un effet si soudain ; ils improvisent les paroles et le chant ; l'hymne qui s'élève à Dieu est la peinture des souffrances du cœur humain, l'expression de la plaie profonde que tous nous portons, comme le Christ porta la croix sur ses épaules ; quelquefois ce sont les joies d'une âme pure, la prière s'élançant avec ses blanches ailes vers le trône de Dieu. Je trouve dans un vieux manuscrit du temps, les hymnes composées par une simple religieuse du nom de Herade ; elle fut abbesse de Hohembourg ; ses chants suaves sont destinés à encourager ses sœurs dans la prière et dans la confiance envers le Christ ; quelle douceur dans ces compositions ! quelle paix dans ces exaltations pieuses ! Salut ! salut ! chœur de vierges, chante la noble abbesse, plus blanches que le lis, amantes du fils de Dieu. Le Christ n'aime point ce qui est souillé ; il veut les branches pures de l'arbre ; ô mes sœurs, soyez fidèles comme la tourterelle ! aimez toutes votre céleste époux ! alors votre beauté se montrera éclatante comme le lis ; ô fleurs si pures, la vertu a de si saintes odeurs ! méprisez cette poussière terrestre, et portez vos yeux vers le ciel, afin que vous puissiez voir le Christ votre divin amour[59]. Ces cantiques sont fréquents à l'époque du moyen âge : tantôt c'est un moine qui fait bruire dans le Dies irœ toutes les passions du cœur abîmé par la mort[60] ; la voix de Dieu éclate dans le son de l'orgue et le cri rauque du serpent ; le tonnerre qui fait résonner les vitraux annonce le Dieu d'Israël en sa colère, car il vent frapper, frapper encore le vice et les mauvaises actions de l'homme ; tantôt c'est la voix des anges qui vous ravit jusqu'aux cieux, comme si vous reposiez votre tête dans un jardin de roses, de lis et de jasmins. La musique d'église a son origine dans l'imagination de l'homme vivement affectée, dans le sentiment de ses joies ou de ses douleurs ; elle ne cherche pas ses combinaisons dans des idées savantes ou réfléchies ; c'est le bruit fatal des passions ardentes, c'est le cri de la prière ou le naïf enthousiasme d'un cœur qui n'a jamais aimé que le Christ. Il y a des chants pour le vieillard vénérable qui attend la mort, le front calme et la conscience pure ; il y en a pour l'homme qui lutte vivement contre les appétits sensuels ; il y en a pour la jeune vierge qui, comme une fleur de vallée, s'épanouit sous le soleil du Christ. Les hymnes, les antiennes et les litanies, mélange de chant grec et latin, expression de cette double foi religieuse, de ce symbole tout chrétien, forment un ensemble admirable et s'identifiant aux basiliques, aux vitraux des cathédrales, à l'architecture gothique ; car, pour comprendre la musique d'église au moyen âge, il faut lire ces larges notes des livres du plain-chant telles qu'elles nous sont conservées en caractère rouge, carré et solennel dans les heures parcheminées[61].

Le moyen âge au XIe siècle est comme une époque mystérieuse que les ténèbres couvrent encore ; les monuments sont rares, les coutumes presque partout inconnues, et c'est à travers les chartres qu'il faut rechercher les débris de cette civilisation. Ce qui reste le plus distinct dans ce chaos, ce sont les coutumes ; on chercherait en vain des lois écrites ; chez les nations primitives la mémoire suffit ; chaque peuple qui composait les Gaules avait des coutumes et sa jurisprudence ; partout où il portait la conquête il établissait des lois : ainsi le Doom's book, ou le livre des services militaires, constate la coutume normande des fiefs et des hommages en Angleterre ; le service la lance au poing est la suite du partage des manses féodales ; chaque fief a son territoire, chaque baron son fief, chaque simple chevalier même son arrière-fief ; voilà U coutume de la conquête. S'agit-il d'une ville ? si elle est soumise à son évêque ou à un féodal, die reçoit de lui les coutumes. Ici domine le droit canon pour le mariage et l'état civil ; là le droit féodal pour les devoirs et les services ; dans d'autres provinces, le droit romain avait laissé des vestiges ; dans la campagne, c'est le servage pour la terre, les alleux ont presque partout disparu ; comme le paysan n'a pas eu le courage de se défendre contre le barbare, il s'est fait serf du chevalier, du féodal, de l'homme de cœur et de dévouement. Partout où il y a châtellenie, il y a obéissance et servitude, le serf est imposé à volonté[62] ; il est l'homme de son maître, son serviteur de corps ; il se livre aux travaux des champs, ou bien il sert dans les coutumes de la vie. Voyez-vous ces petites cases répandues dans la campagne ? elles sont habitées par des hommes la tête rasée, les reins ceints d'une corde ; dès que la cloche sonne, il prennent la pelle ou la bêche, ils ensemencent les champs, cultivent les campagnes, ils sont lâches de cœur ; car leurs membres nerveux et tout noircis par le soleil, ils n'osent les lever contre le majordome ou le sire dont la tour brille dans la campagne ; c'est donc leur faute s'ils baissent la tête : quand quelques-uns d'entre eux ont une poitrine plus forte, plus courageuse, le châtelain les prend pour ses archers, ils reçoivent sa solde et obéissent à ses commandements. Point de règle pour le service ou pour les impôts ; quand le seigneur a besoin d'argent, il faut bien qu'il en trouve ; s'il ne peut pressurer les juifs, piller les marchands, il multiplie les péages, les droits de tonlieu ; il lève des deniers de toute espèce. C'est inouï à voir les droits inventés dans la fiscalité grossière des seigneurs ; tantôt c'est la poussière que le pas des brebis soulève quand un troupeau nombreux passe sur la route ; tantôt c'est un droit sur les roues de chaque voiture qui traverse les champs[63], les marchés. Les ponts, rivières, péages, tout est imposé de quelques deniers de cuivre ou d'argent ; et la ville et le bourg ne s'exemptent de ces redevances que parles coutumes écrites ou des ordonnances sanctionnées ou achetées à bon denier comptant. Je trouve dans une vieille chartre un seul exemple d'une coutume écrite qui date du XIe siècle ; c'est la loi de Vervins en Picardie ; elle contient un formulaire de justice tant civile que criminelle. Vervins dépendait du comté de Coucy, de l'antique lignée ; et la chartre se conservait de toute antiquité chez le bailli de Vervins : la coutume fut donnée par Thomas, seigneur de Coucy et de Marie, le fils et l'héritier d'Enguerrand ; elle est une des plus anciennes lois usagères de France ; sorte de résumé des lois civiles et canoniques, servant de complément aux coutumes de la Flandre. Le vieux légiste Chopin s'exprime ainsi : De laquelle loi de Vervins, consistant en statuts d'échevinage et de police, les habitants de Saint-Dizier sont tenus d'user précisément par leur chartre ancienne[64].

Tout se tenait ainsi dans le moyen âge ; il y avait un besoin commun de Chartres, de lois et de règlements ; la société sortait du désordre du Xe siècle et des invasions des Hongres et des Normands ; partout se manifestait la nécessité des coutumes régulières ; la commune commençait à se former ; les Assises de Jérusalem, le livre des fiefs en Angleterre, les coutumes de l'Anjou et du Poitou, la loi de Vervins, tout cela tenait au système communal et provincial, et se liait à ce nouvel état de la société, qui se formulait par la commune. L'agitation des esprits produite dans la croisade avait montré à chacun l'image de la liberté et de la coutume ; il n'y a rien d'étonnant qu'il se fit alors un travail d'organisation et de liberté. Cet instinct ; tout matériel encore, a-t-il son principe dans de fortes études et l'homme arrive-t-il à l'affranchissement par un sentiment naturel ou par la réflexion philosophique ? Ici se présente la question du haut enseignement ; je vais parcourir la montagne universitaire ; il faut visiter Sainte-Geneviève du mont, vivre de l'existence des étudiants, car la liberté n'a de force qu'alors qu'elle arrive par un progrès de sciences et d'examen ; autrement elle n'est qu'un mouvement brut et matériel, un pur instinct d'indépendance sans durée et sans force !

 

 

 



[1] Les deux grandes assemblées du peuple furent à Clermont pour entendre Urbain II, et à Vézelay pour écouter saint Bernard. (Voyez Robert le Moine, ann. 1095, et Odon de Deuil, sur la croisade de Louis VII, liv. L).

[2] Il suffit de lire la collection des Chartres, pour s'apercevoir qu'un nombre infini de pèlerins, fils du peuple, arrivaient chaque année de la croisade ; ils avaient l'imagination toute remplie de l'Orient. (Voyez Bréquigny, Collect. diplomat., ann. 1099-1150.)

[3] Il y a évidemment à faire une histoire des corporations flamandes, dans leur origine et leur développement. (Voyez Meier, Annal. Flandrens., de 1100 à 1190.) Rien ne prête plus à l'épopée.

[4] Toul ce grand drame de Charles le Bon se trouve dans le recueil des Bollandistes, Acta Sanctor., mens. Mart., tom. I, p. 179-219. L'auteur de cette chronique est Galbert, syndic de Bruges. Il en existe une vieille traduction française.

[5] Vita Carol. comit. Fland., chap. II.

[6] Vita Carol. comit. Fland., chap. III, Bollandistes.

[7] Les Bollandistes rapportent des miracles éclatants lors des funérailles du comte de Flandre, Vita Carol., chap. V.

[8] Comparez aux Bollandistes, Suger, Vita Ludovir. Gross. ad fin. Il n'y a plus de numéros pour les chapitres.

[9] Ludovicus in primis ad comprimendam ejusmodi tyrannidem prœdonum et seditiosorum, auxilium totam per Galliam, etc. Ergo communitas in Francia popularis instituta est a prœsulibus ut preshyteri comitarentur regem ad obtidionem vel pugnam cum vexillis et parochianis omnibus. Orderic Vital, ad ann. 1108, lib. XI. Dans Duchesne, Hist. Normannor. scriptor., p. 836.

[10] M. Henrion de Pensey, peu favorable aux évêques, avoue néanmoins que ce furent eux seuls qui donnèrent l'impulsion au système communal (n° 25). (Voyez aussi l'admirable préface des Ordonnances du Louvre, tom. XI, in-fol.)

[11] Voyez les Annales de l'église de Noyon, tom. I, p. 805. Ducange a savamment disserté sur les communes, comme sur toutes les grandes institutions du moyen âge. (Voyez Ducange, verb. Commune, tom. l, p. 1118.)

[12] Ce texte appartient à la chartre de confirmation de la commune, année 1181. Voyez les Ordonnances du Louvre, tom. XI, p. 224.

[13] Chartre de l'église de Noyon. — Ordonnances du Louvre, tom. XI, p. 224. Elle fut confirmée par Louis VII en 1140. Voyez Préface des Historiens de France, tom. XVI, p. 6.

[14] Cette distinction n'a pas été faite par l'auteur des Lettres sur l'Histoire de France ; elle l'aurait empêché de tant déclamer contre les évêques. L'histoire de la commune de Laon a été écrite par Guibert, de Vita sua, liv. III. On trouve de grands renseignements dans le Gall. Christ., tom. II, f° 620, act. 2.

[15] Le drame de la commune de Laon est rapporte par Guibert avec un accent d'indignation. Guibert, de Vita sua, liv. III.

[16] Caput pro capite, membrum pro membra reddat. (Ordonnances du Louvre, tom. XI, p. 185.)

[17] La chartre de Laon est datée de Compiègne, ann. 1128, Code du Louvre, tom. XI, p. 185.

[18] Ducange, v° Commune, et la préface de Villevaut et Secousse. Les Ordonnances du Louvre donnent plusieurs exemples des communes qui demandent elles-mêmes leur révocation. (Cod. du Louvre, tom. XI.)

[19] L'histoire des querelles du comte de Nevers et des moines de Vézelay forme un grand épisode dans la chronique de Vézelay. (Voyez dans dom d'Achery, Spicilegium, tom. I, p. 529.)

[20] Les habitants firent et instituèrent des consuls : Principes vel judices quos et consules appellari censuerunt. (Hist. Vizelliac. monast., d'Achery, Spicil., tom. I, p. 529.)

[21] Je renvoie, pour les faits qui justifient ce système, aux préfaces des Ordonnances du Louvre, tom. XI et XII. Les Bénédictins en ont également parlé dans leur prolégomène, au tom. XVI de leur Collection des Historiens de France.

[22] Voyez le chapitre XXX de ce livre, où je développe l'histoire des ordres monastiques.

[23] Voyez Albert d'Aix et Robert le Moine, dans le Gesta Dei per Francos, de Bongars.

[24] Voyez Ducange, Glossaire, v° Militia.

[25] Voyez Ducange, Glossaire, v° Militia.

[26] Benoît IX, dans une bulle de 1045, parle déjà de l'ordre de Saint-Lazare. Urbain II le cite également dans une bulle de 1096. Baronius et Pagi, Annal., ad ann. 1045-1105.

[27] Regul. ordin. Sanct. Lazar. : Preuves de l'Histoire des ordres de chevalerie, tom. I.

[28] Les Annales de Baronius sont encore le meilleur travail sur l'histoire des ordres religieux. L'histoire de Vertot sur l'ordre de Malte est partiale, souvent ridicule et imparfaite.

[29] Plus tard, les chevaliers laïcs purent porter une cotte d'armes de gueule avec la croix d'argent pleine. Bulle d'Alexandre IV. (Bullar., Magn. ad ann. 1250.)

[30] Les hospitaliers eurent bientôt des mœurs très-relâchées. Le pape Innocent II leur en fait de grands reproches. (Bullar., Magn. ad ann. 1135.)

[31] Le statut des templiers date du concile de Troyes ; il fut approuvé sous ce titre : Regula pauperum comilitonum templi Salomonis. Ad ann. 1128.

[32] Non nobis, Domine, non nobis, sed nomini tuo da gloriam. Voyez les Statuts, 1128.

[33] Saint Bernard a fait un opuscule tout exprès sous le titre : Éloge de la nouvelle milice. Il remplit quarante-trois colonnes des œuvres générales. Il a été composé en 1130, selon Chifflet.

[34] Molt sont prodomme li Templiers ;

Là se rendent li chevaliers

Qui ont le siècle sovoré

Et ont tot veu et tot tasté.

(La Bible Guyot.)

[35] Saint-Pons, près d'Albertas, au sud des petites Alpes.

[36] Li frères, li mestre du Temple

Qu'estoient rempli et ample

D'or et d'argent et de richesse,

Et qui menoient telle noblesse,

Où sont-ils ? que sont devenus

Que tant ont de plait maintenu,

Que nul à olz ne s'osoit prendre.

Tosjors achetoient sans vendre ;

Nul riche à olz n'étoit de prise ;

Tant va put à eau qu'il se brise.

(Roman de Fauvel.)

[37] Consultez, sur les mœurs de la chevalerie, l'admirable Théâtre d'honneur de Favin, p. 84 et suiv., et le traité de l'Épée française, avec le bel ouvrage du candide et loyal marquis de la Curne de Sainte-Palaye.

[38] Eustache Deschamps, fol. 309, col. 4.

[39] La Curne de Sainte-Palaye, 3e partie. Ducange, v° Militia.

[40] Comparez Crag., Jus feudal., liv. II, Beaumanoir, Coutumes du Beauvoisis, chap. LXI, p. 311, et Houard, Anciennes lois françaises.

[41] Ducange, Observat. sur Joinville, et v° Fidelitas et Investitura, Gloss.

[42] Voyez l'excellente Préface de M. de Pastoret, XVIe vol. des Historiens de France.

[43] Ducange, Gloss., v° Feudum militiœ.

[44] Comparez, sur l'origine du blason, Mabillon, Traité diplomatique, liv. II, chap. VII, et Mémoires de l'ancienne Académie des inscriptions, t. XX. p. 579.

[45] Voyez le bel ouvrage du père Ménestrier sur les armoiries. Mabillon a aussi étudié profondément l'origine des armoiries. Voy. Diplomat., liv. II, chap. XVIII.

[46] Le père Ménestrier fut le savant qui reproduisit avec la plus grande érudition l'histoire des armoiries ; il était de l'ordre des jésuites à Lyon, et a publié la Nouvelle Méthode raisonnée au blason, disposée par demandes et par réponses. Il y a eu vingt éditions de ce beau livre. La meilleure est celle de Lyon, 1754.

[47] Il y aurait une belle chronique à faire, ce serait celle des corporations au moyen âge. Elle serait la seule véritable histoire du tiers état, bouffonnerie qu'on a commandée en vertu de la brochure de l'abbé Sieyès.

[48] La Bibliothèque du roi possède plusieurs de ces beaux débris. On peut voir les livres d'heures incrustés du XIe siècle, ou antérieurs même, dans la première salle des Mss. et dans la galerie sous verre.

[49] Sur le vêtement des moines et du peuple il faut lire la table des conciles. Comme les Pères assemblés réprimaient incessamment le luxe, les dispositions des conciles s'appliquaient aux vêtements. Voyez aussi Cartulaires de Baluze ; ils ne s'étendent qu'à la fin de la deuxième race, mais ils fournissent des renseignements curieux sur le luxe et les corporations.

[50] Il existe plusieurs dissertations sur l'état du commerce pendant les trois races ; M. Pardessus les a résumées dans ses travaux récents sur le droit commercial. Il y a aussi plusieurs Mémoires dans le recueil de l'Académie des inscriptions. Parcourez les tables si parfaites des Ordonnances du Louvre, tom. I à III.

[51] Il y a dans les Bollandistes plusieurs légendes spéciales des saints, patrons des ouvriers ; saint Éloi en est un grand exemple. De là sont venues les fêtes des patrons pour chaque état. Voyez Bollandistes, Aug., 27.

[52] Ducange, Gloss., v° Mercata.

[53] Les chartres les plus nombreuses des Xe et XIe siècles sont relatives aux foires et marchés. Voyez Bréquigny, Chartres et Diplômes, tom. I. — Ordonnances du Louvre, tom. I, et aux tables.

[54] Dom Félibien, Histoire de l'abbaye de Saint-Denis, in-fol.

[55] La Bibliothèque du roi est riche en miniatures, mais seulement des XIIIe et XIVe siècles. Quelques rares manuscrits appartiennent aux Xe et XIe siècles.

[56] La bibliothèque de Sainte-Geneviève possède des richesses inconnues ; la lâche commode des bibliothécaires n'est pas de fouiller. Je me souviens que c'est dans un grenier de cette bibliothèque que je découvris les plus curieux des documents sur la Ligue et les Seize. Le vieux local de la Bibliothèque est aujourd'hui abandonné pour un bâtiment neuf.

[57] Je me garde d'établir un système sur le symbolisme des cathédrales, c'est chose trop facile, usée et fausse ; le seul symbole de cette architecture c'est le catholicisme et les légendes de saints. L'explication en est dans les Bollandistes.

[58] Sur le chant de musique et les instruments du moyen âge, il faut consulter l'Essai de M. Roquefort sur la poésie du XIIe siècle. Son Glossaire de la Langue romane est une œuvre aussi patiente et qui a servi à bien des travaux modernes, Paris, 1808.

[59] Mabillon, Act. Sanct. Benedict., tom. IV, p. 487.

[60] Je parle du Dies irœ primitif.

[61] J'ai passé des heures à contempler ces livres de plain-chant. La Bibliothèque en possède de très-remarquables. Voyez la dissertation sur le chant ecclésiastique dans Lebeuf, Dissert. sur l'Hist. civile et ecclésiastique de Paris, 1739.

[62] Voyez Ducange, Gloss., v° Villanus, Servus.

[63] Je ne pourrai rien dire de mieux sur les impôts que ne l'a fait M. de Pastoret dans sa belle préface des Ordonnances du Louvre, tom. XVI et XVII.

[64] On trouve la première indication de cette loi de Vervins dans Lacroix du Maine, Biblioth. franç., p. 466, et dans Duchesne, Hist. généalog. de la maison de Coucy, p. 159.