HUGUES CAPET ET LA TROISIÈME RACE

 

TOME DEUXIÈME

CHAPITRE XIX. — SÉJOUR DES FRANCS ET DES FÉODAUX À CONSTANTINOPLE. - LES CROISÉS EN ORIENT.

 

 

L'empereur Alexis. — Anne Comnène. — Récit de l'Alexiade. — Première excursion des Francs sur les côtes de Bithynie. — Désordre et défaite. — Arrivée des grands féodaux à Constantinople. — Entrevue avec Alexis. — Hugues de France. — Godefroy. — Bohémond. — Le comte de Toulouse. — Combat devant Constantinople. — Hommage des croisés. — Lettre du comte de Blois sur le séjour des hommes d'armes à Constantinople. — Les royaumes francs en Syrie. — Chronique des races diverses à la croisade.

1096—1101.

 

Lorsque les comtes féodaux, à la tête de leur milice, débordaient sur Constantinople, l'empereur Alexis jetait ses regards inquiets sur cet effrayant orage. Tous les officiers du palais, envoyés dans les provinces à la rencontre des chefs barbares, rapportaient l'aspect sauvage de ces féodaux couverts de leur armure noircie[1] : ils disaient la haute stature des cavaliers, la fierté de leurs regards pleins de feu, la ferme attitude des archers à l'abri de leurs boucliers et l'arbalète en main, arme terrible ; ils décrivaient la force des chevaux de Lorraine ou de Normandie aux crins roux et épais ; combien les rangs étaient pressés de lances, et quelles étaient les paroles hautaines des Barbares ! Chose inouïe pour les papas pacifiques de Constantinople, les clercs et les moines latins maniaient l'épée et le glaive : on avait vu des prêtres l'arc en main comme de farouches guerriers. Ces rapports circulaient parmi les officiers du palais et parmi le peuple plein de surprise et d'inquiétude. L'empereur Alexis avait aperçu le danger de cette irruption subite et presque sauvage ; prince d'une haute dextérité politique, il apercevait la faute qu'il avait commise en attirant par trop grandes masses les Francs sur son territoire[2]. Ces hommes indomptables de Normandie, de Champagne ou de Lorraine, à l'aspect des immenses richesses de Constantinople avec ses palais de marbre et ses églises dorées, allaient-ils rester paisibles spectateurs ? et si leur enthousiasme les appelait à délivrer le saint sépulcre, une ambition plus matérielle n'allait-elle pas les appeler à la conquête de Constantinople, la merveille qui resplendissait sur le Bosphore, et le cœur devait s'épanouir à l'idée de tant de richesses[3] ! Alexis ordonna, comme une précaution indispensable, les préparatifs d'une grande défense militaire. Il concentra dans son palais les soldats auxiliaires de l'empire ; les portes de bois de cyprès aux gonds d'airain furent fermées ; les murailles et les tours se garnirent de balistes et de machines de guerre, comme pour soutenir un siège. Toutes les forces impériales furent confiées à Nicéphore Brienne, d'une grâce toute personnelle et d'une brillante illustration de naissance, ce prince qu'Anne Comnène appelle son César[4], car il lui était destiné pour époux[5].

Anne Comnène avait treize ans à peine lorsqu'elle vit les premiers gonfanons des féodaux francs apparaître dans l'empire[6]. Sa vive imagination de jeune fille fut profondément frappée par les dangers de son père, et il faut lire dans l'Alexiade les réflexions tour à tour pleines de mépris et de fierté, de terreur et d'orgueil qu'excite dans l'âme de la fille d'Alexis l'approche de ces hommes à l'aspect terrible qui venaient des contrées d'Occident. Dans son enthousiasme pour la belle langue d'Homère, elle s'excuse plus d'une fois d'être obligée de rappeler des noms d'une prononciation si dure. Le divin chantre d'Ilion a écrit lui-même des phrases incultes pour la plus grande exactitude de son récit ; il a cité des peuples barbares dans une langue barbare. C'est à l'occasion du pèlerinage de Pierre l'Ermite qu'Anne Comnène parle pour la première fois de l'invasion des Francs dans les provinces de l'empire. Cette fatale nouvelle arriva au palais du Bosphore quand l'empereur Alexis venait de vaincre les Comans et de les soumettre autour d'Andrinople ; Alexis faisait creuser un canal à Nicomédie pour le dessèchement des marais et l'écoulement des eaux qui croupissaient stagnantes dans de vastes plaines : les traditions de l'administration romaine avaient survécu, et Constantinople imitait la ville éternelle. Les empereurs de Byzance avaient succédé aux Césars de Rome ; d'immenses richesses de civilisation subsistaient dans les palais du Bosphore[7] ; les merveilles des arts s'y groupaient comme dans le grand dépôt de la vieille Grèce et de Rome impériale ; Constantinople, digne fille d'Athènes, en réunissait les chefs-d'œuvre dans sa vaste enceinte tourellée. Au milieu des soins de son empire, dit Anne Comnène, l'empereur Alexis eut à subir cette furieuse inondation ; les Francs étaient conduits par Pierre l'Ermite ; ils étaient aussi nombreux que le sable et que les étoiles du firmament ; on les voyait passer de toutes parts comme des ruisseaux qui se joignent pour faire un grand fleuve : cette inondation était précédée d'une armée de sauterelles qui, par une rencontre fort surprenante, épargnèrent le blé et infestèrent les vignes, ce que certaines personnes, adonnées à de superstitieuses observations, prirent pour un présage que les armes des Francs devaient épargner les chrétiens et se tourner contre les infidèles adonnés au vin et sujets à l'ivrognerie[8]. Cette multitude innombrable arrivait en Lombardie par bandes séparées, les uns devant et les autres après, et ils passaient le trajet de même. Mais ce qui est le plus surprenant, c'est que chaque bande était précédée par ces troupes de sauterelles, ce qui, ayant été remarqué plus d'une fois, fut cause que l'on dit qu'elles étaient comme les précurseurs des Français. Quand l'empereur sut qu'il y en avait déjà un grand nombre qui avaient passé la mer, il envoya quelques capitaines aux environs de Durazzo et d'Aulone, avec ordre d'établir des marchés pour fournir des vivres aux troupes, et les empêcher de piller. Il envoya aussi des personnes qui savaient la langue latine, pour apaiser les différends qui pourraient naître[9].

C'est à l'aide des secours de l'empereur que Pierre l'Ermite, en effet, et ses pèlerins s'étaient avancés vers Constantinople. On se rappelle que les compagnons de Gauthier sans avoir, peuple franc et vagabond, s'étaient campés autour de Constantinople en attendant les moyens de passage. Ils étaient là dans un peu d'aisance et beaucoup d'oisiveté ; l'empereur leur envoyait de temps à autre quelques boisseaux de la petite monnaie de tartarons ! Le peuple, impatient de passer le Bosphore, restait enthousiaste pour l'idée qui lui avait fait prendre les armes[10]. En vain Alexis conseillait aux chefs d'attendre les fortes armées de féodaux ; la multitude, toujours audacieuse, insista : de petits navires furent fournis par l'empereur ; Pierre l'Ermite et Gauthier sans avoir, suivis de leurs ardents compagnons, de tout ce peuple errant qui avait quitté les villages de Normandie et de Champagne, débarquèrent près des montagnes qui couvrent Nicomédie, hélas ! si loin des clochers d'Europe ! Ils s'établirent au petit port de Civitot ; là tout leur fut fourni généreusement par l'empereur ; des bateaux à rames et à voiles traversaient sans cesse le Bosphore et leur apportaient des vivres en abondance. Le système de l'empereur était évidemment de coloniser les Francs dans les provinces asiatiques de l'empire et de leur donner des terres, comme il avait fait pour les autres Barbares, les Bulgares, les Warenges, les Petchenègues. Alexis, avec un empressement généreux, satisfaisait à tous les caprices des chefs de ces multitudes ; il leur conseillait sagement de demeurer là et d'y attendre les forces réunies d'Occident : que pourrait en effet une multitude désordonnée ? Les pèlerins francs y restèrent deux mois ; mais l'ardeur des combats avait saisi l'imagination de cette multitude, l'oisiveté la fatiguait ; les pèlerins se répandirent en masses sur le territoire de Nicée, enlevant les moutons, les brebis à ces populations nomades de Turcomans campées jusque sur le rivage[11]. L'ermite Pierre n'était plus maître d'une multitude rêvant le pillage et la conquête sur les infidèles. De jeunes hommes francs ou allemands se répandirent dans les provinces qui environnent Nicée ; ils y venaient par troupes avec bannières dressées, à la couleur rouge comme le feu, pour s'emparer des bœufs et des brebis qui paissaient dans la plaine ; ils coururent assiéger un château crénelé à trois milles de Nicée, où pendait l'étendard de Soliman et la queue de cheval tartare, signe de suzeraineté pour les Seljukides : les Turcs prirent les armes ; on pillait leurs troupeaux et leurs tentes ! Soliman convoqua dans les plaines du Khorasan et de la Remanie toute la race tartare campée autour des villes grecques à la manière nomade[12] ; les pèlerins furent à leur tour attaqués, et Ton entendit partout les cris de guerre des enfants du prophète. Il y eut un premier massacre de trois mille Allemands, jeunes hommes imprudents pris du vin recueilli aux belles vignes du Bosphore : pour les venger, tout le peuple chrétien se leva ! Les pèlerins s'étaient réunis en tumulte autour de Renaud de Breis, de Foucher d'Orléans, de Gauthier sans avoir, leurs chefs ; ils demandèrent qu'on marchât en avant pour repousser les mécréants ennemis des chrétiens : fallait-il laisser des frères égorgés sans vengeance ? Godefroy Burel, l'homme de la multitude, chevalier sans terre et sans fief, leur dit qu'il les trouvait bien timides de ne pas venger les chrétiens morts dans les combats. Tout était confusion dans le camp ; Pierre l'Ermite était à Constantinople, et d'ailleurs l'influence de sa parole s'affaiblissait, il était trop calme, trop politique avec l'empereur. Le peuple se mit tumultueusement en marche avec une indicible ardeur pour venger ses frères ; les cornets, les trompettes et buccines firent retentir le signal de la guerre ; on se réunit, on s'excita, puis les pèlerins, bannières déployées, se précipitèrent dans les campagnes qui environnent Nicée. Que de malheurs n'éprouvèrent pas ces hommes enthousiastes ! Les Turcs coururent impétueusement contre eux et les entourèrent ; en vain Gauthier sans avoir, Foucher d'Orléans, se battirent en vrais dignes chevaliers ; ils succombèrent percés de flèches, d'autres se sauvèrent dans les bois[13] : il y eut d'indignes trahisons, et le peuple, qui exagère toujours les accusations de perfidie, imputa à quelques-uns de ses chefs, à l'empereur Alexis, à Renaud de Breis surtout, les malheurs qui les avaient accablés. Les Turcomans se précipitèrent sur les chrétiens, s'emparèrent des jeunes filles et des jeunes garçons pour les réduire à l'esclavage sous leurs tentes nomades : tout le reste fut massacré ; et plus tard, avec leurs ossements on bâtit une ville des morts, une nécropolis blanchâtre comme le sépulcre[14] ! Un petit nombre de pèlerins se sauvèrent dans Civitot, et il fallut que Pierre l'Ermite implorât la pitié de l'empereur Alexis pour protéger les débris de l'innombrable armée du peuple chrétien.

Ce fut au milieu de ces tristes funérailles que les chefs féodaux arrivèrent successivement à Constantinople. Dès que l'on vit ces bannières déployées, ces hommes de haute et forte stature, ces rangs pressés des chevaliers de Normandie ou de Flandre, les officiers de l'empire s'aperçurent qu'il ne s'agissait plus d'un peuple tumultueux de pèlerins, mais d'une armée régulière et fortement constituée. La politique d'Alexis avait été, lors de la croisade de Pierre l'Ermite, de s'emparer du chef, de dominer l'homme de la parole ; et l'ermite Pierre s'était fait en quelque sorte le vassal de l'empereur Alexis ; il ne quittait point son palais, il était l'intermédiaire pour porter les ordres et les secours aux pèlerins qui campaient au delà du bras de Saint-Georges. L'empereur voulut suivre la même politique à l'égard de ces chefs barbares accourus en armes vers Constantinople. La coutume féodale de l'hommage commençait à s'établir dans le droit public des Francs ; l'homme lige devenait comme le défenseur du suzerain ; se soumettant à l'obéissance filiale, il était considéré comme déloyal, sans cœur et sans énergie, s'il manquait aux engagements pris avec son suzerain. D'un autre côté, les coutumes impériales reconnaissaient des formes d'adoption, sorte de filiation mystique entre l'empereur et ceux qui recevaient la robe pourpre dans les cérémonies du palais[15]. La pensée d'Alexis fut d'attirer à lui les chefs des Francs par la double cérémonie d'hommage et d'adoption ; ainsi il disposerait d'eux, il pourrait les envoyer bannières déployées contre les populations nomades et tartares campées dans les vieilles provinces asiatiques de l'empire, et il leur donnerait des terres, des villes, de manière à les coloniser comme un obstacle et une barrière aux invasions des Turcs. Alexis montra dans cette crise difficile une certaine prévoyance et une grande habileté ; il avait devant lui des chefs barbares, au caractère violent, aux mœurs indomptables ; il ne voulait point les combattre, car ils étaient chrétiens, et de plus ils pouvaient lui servir d'auxiliaires contre les conquêtes envahissantes des Turcs. Il avait bien des méfiances à apaiser, bien des ambitions à satisfaire, et l'empereur se montra l'un des princes les plus capables de conduire un mouvement si difficile à diriger.

Anne Comnène a décrit avec pompe l'ordre successif dans lequel les chefs des Barbares, les comtes francs, arrivèrent à Constantinople. Le premier des chefs dont l'empereur apprit le débarquement à Durazzo fut Hugues de Vermandois, le propre frère du roi des Francs. La fille d'Alexis dit qu'il était extraordinairement enflé de sa vanité, et qu'il écrivit une épître fort dure au César, sans respect pour la pourpre impériale. Sachez, empereur, lui manda le Barbare, sachez que je suis le roi des rois, et le plus grand qui soit sous le ciel ; il est donc juste que vous veniez me recevoir avec les honneurs qui sont dus à l'éminence de ma dignité[16]. Quand l'empereur lut cette lettre, il écrivit à Jean, fils d'Isaac Sébastocrator, qui était alors à Du-azzo, et à Nicolas Maurocatacalon, qui commandait la flotte dans le même lieu. Il dit à l'un d'observer l'arrivée du prince de France et de lui en donner avis, et à l'autre de veiller incessamment, de peur d'être surpris. Lorsque Hugues fut aux cotes de Lombardie, il envoya vingt-quatre chevaliers couverts de cuirasses d'airain et de cuissards, à Jean, gouverneur de Durazzo. Quand ils furent devant lui, ils lui dirent : Sachez, duc, que Hugues, notre maître, est près d'arriver ici, après avoir pris l'étendard de saint Pierre à Rome ; il est chef de toutes les armées des Français ; préparez-vous donc à le recevoir d'une manière convenable à sa qualité, et allez lui rendre les honneurs qu'il mérite. Cependant Hugues étant parti de Rome et s'étant embarqué à Bary pour passer en Illyrie, il fut secoué par une furieuse tempête qui fit périr la plus grande partie de ses vaisseaux, de ses matelots et de ses soldais, et qui jeta son navire à demi brisé contre un lieu nommé Palus et Durazzo. S'étant sauvé de la sorte, il fut rencontré par deux de ceux que le gouverneur de Durazzo avait envoyés pour épier son arrivée, qui lui dirent[17] : Le gouverneur vous attend avec impatience et souhaite avec passion de vous voir. Hugues ayant demandé un cheval, un de ces deux hommes descendit du sien et le lui donna. Jean lui fit de grands honneurs, et après avoir appris de lui les circonstances de son naufrage, il voulut le consoler de cette disgrâce par l'espérance d'un avenir plus heureux ; il lui fit aussi un festin fort magnifique et le traita avec beaucoup de respect, quoiqu'il ne lui laissât pas une entière liberté, il donna aussitôt à l'empereur avis de son arrivée. L'empereur envoya Bucéphore, officier de son palais, pour l'amener de Durazzo à Constantinople, non par le droit chemin, mais par Philippopolis, de peur de trouver d'autres troupes barbares. Alexis le reçut très-honorablement, lui fit de riches présents, et lui persuada de lui prêter le serment de fidélité en la manière que les Romains ont accoutumé de le faire[18]. L'hommage que Hugues, comte de Vermandois, frère du roi des Francs, adressait à l'empereur Alexis était un exemple de vasselage que devaient suivre les autres chefs de la croisade. Alexis l'avait attiré auprès de lui pour obtenir ce premier acte de soumission, et il mettait une grande importance à le recevoir comme vassal de l'empire[19].

Hugues de Vermandois n'était pas le plus redoutable ni le plus barbare de ces chefs qui venaient de l'Occident. C'étaient surtout le féodal Godefroy des Ardennes et le rusé Bohémond qu'il fallait amener à une soumission pleine et entière. Godefroy arrivait avec sa troupe germanique et ses Lorrains à travers les terres sauvages de la Bulgarie ; il avait la fierté des comtes, et comment l'abaisser à faire hommage à l'empereur, dont la foi était si douteuse ? Ce Bohémond avec ses chefs normands, si souvent victorieux des Grecs, il fallait l'attirer à l'obéissance envers l'empire ? Le nom de Godefroy avait déjà retenti à Constantinople ; on savait qu'il arrivait avec dix mille chevaliers et soixante-dix mille hommes de pied, archers armés d'arbalètes, tous à l'abri des atteintes de la flèche tartare par leurs énormes boucliers de fer et de peaux de bœuf, comme les héros d'Homère[20]. On faisait d'épouvantables descriptions de leurs armures, et surtout d'un arc (dit Anne Comnène) d'une fabrique inconnue aux Grecs et à l'usage des Barbares. Ce n'est pas en attirant la corde avec la main droite et en repoussant l'arc avec la gauche que l'on emploie ce terrible instrument ; celui qui s'en sert se couche à la renverse, et appuyant les deux pieds sur le demi-cercle, il tire la corde avec les deux mains ; au milieu de la corde il y a un tuyau en forme de demi-cylindre, de la grosseur d'un trait ; on met dedans des traits fort courts et garnis de fer ; lorsqu'on lâche la corde, le trait part avec une impétuosité contre laquelle il n'y a rien qui soit à l'épreuve ; il ne perce pas seulement un bouclier, il traverse une cuirasse et un homme de part en part ; on dit même qu'il rompt des statues de bronze, et que quand les murailles des villes et des forteresses sont fort épaisses, il enfonce dedans si avant qu'on ne le voit plus ; quand quelqu'un en est frappé, il est plus tôt mort qu'il n'a senti le coup : l'invention de cette machine semble tout à fait digne de la malice des démons[21]. La description que fait Anne Comnène de larme terrible des Francs, l'arbalète normande et flamande, indique l'impression profonde qu'avait faite sur son esprit l'aspect guerrier des Barbares ; on considérait leurs bras comme invincibles ; leurs corps couverts de cuirasses paraissaient gigantesques ; leurs casques surmontés d'une plume flottante relevaient leur stature, et Anne Comnène compare sans cesse ces populations d'Occident aux géants de l'antiquité, aux fabuleuses créations de l'Odyssée.

Hugues le comte avait prêté serment de féauté à l'empereur Alexis, mais Hugues n'était qu'un féodal isolé ; quoique d'une illustre origine, il n'était pointa la tête d'une grande armée de barons et de chevaliers ; on l'avait recueilli comme un pauvre naufragé sur le rivage de Durazzo. L'empereur voyait donc, je le répète, s'approcher avec plus d'effroi le farouche Godefroy avec sa race de Lorraine et de Germanie. Ces hommes à la forte stature quelle était leur origine et leurs desseins ? Cependant les banderoles flottantes de Godefroy et des comtes se déployèrent sous les murs de Constantinople ; on pouvait les voir campées sur les rives du Bosphore ; du haut des tours, les Grecs, comme les héros de Troie, pouvaient désigner les blasons, les couleurs, les signes de guerre[22]. L'empereur Alexis avait semé çà et là des troupes d'arbalétriers et d'archers pour surveiller les mouvements des Barbares ; les machines étaient préparées sur le haut des murailles comme s'il s'agissait de soutenir un siège. Les Francs et les Germains se répandirent à leur tour dans la campagne, ravageant tout pour se procurer des vivres ; les palais de marbre qui se miraient dans les eaux du Bosphore furent détruits ; les cyprès, les sycomores, les bosquets de roses et d'orangers tombèrent sous la hache d'armes des Barbares, qui vinrent insulter même les portes d'airain de Constantinople.

Les bruits les plus étranges circulaient sous la tente des Francs ; on disait que le comte Hugues de Vermandois était captif dans le palais, et que l'empereur préparait des embûches aux pèlerins. Tous les malheurs on les imputait à la mauvaise foi des Grecs : en vain une entrevue eut lieu pour s'expliquer ; la colère des Francs éclatant en mille injures, ils menacèrent d'escalader les murailles et d'assiéger la ville[23]. Les comtes étaient excités à cette résolution vigoureuse par les conseils de Bohémond et des Normands d'Italie. Le fils rusé de Guiscard avait écrit à Godefroy l'indomptable : Bohémond, prince très-riche de Sicile et de Calabre, te prie de ne point te réconcilier avec l'empereur, de te retirer vers les villes de Bulgarie, Andrinople et Philippopolis, et d'y passer la saison de l'hiver, certain qu'au commencement du mois de mars le même Bohémond marchera à ton secours avec toutes ses troupes pour attaquer cet empereur et envahir son royaume. Ce conseil était bon ; Constantinople était une si belle proie ! il trouva plus d'un approbateur parmi les comtes ; les ravages continuèrent dans les fertiles campagnes autour de Constantinople : Alexis patienta beaucoup, car il craignait de se heurter contre ces nuées de Francs, de Provençaux et de Germains[24]. Mais, dit Anne Comnène, quand l'empereur vit que les Francs ne voulaient point de paix, et qu'ils commençaient l'attaque, il commanda à Nicéphore, mon époux, de monter sur les murailles et de tirer sur eux, de telle sorte néanmoins qu'on leur fit plus de peur que de mal. Il se prépara en même temps à une sortie, et rangea les gens de guerre proche de la porte de Saint-Romain : chaque soldat qui avait lime lance était entre deux autres qui avaient des boucliers ; au-devant de ceux-ci il y en avait de fort adroits à tirer de l'arc, qui avaient ordre de viser aux chevaux plutôt qu aux hommes, tant pour épargner le sang chrétien que pour réprimer la fierté hautaine des Francs. Ils obéirent à cet ordre, et ne laissèrent pas néanmoins de blesser et de tuer un grand nombre des Francs : mon César était au haut des tours avec les plus adroits ; ils avaient tous des arcs fort justes ; ils étaient tous jeunes, et avaient tous autant de valeur que le Teucer d'Homère. Mon César ne ressemblait pas à ces Grecs si vantés par le poète, qui, pour se servir de leur arc, tiraient la corde jusqu'à l'estomac, comme s'ils eussent été à la chasse ; il ressemblait plutôt à Apollon et à Hercule, et il lançait comme eux des traits mortels avec un arc immortel : il ne manquait jamais de frapper où il visait, et en ce point il surpassait beaucoup Teucer et Ajax[25].

Ainsi l'enthousiaste et savante fille d'Alexis rappelait les souvenirs de la vieille Grèce et d'Homère ; elle aimait ces noms classiques ; son César était Nicéphore Brienne, qui devint depuis son époux ; elle le peint beau et grand, fier et noble. Les images d'Hector et d'Ajax reviennent souvent dans le récit d'Anne Comnène ; toute empreinte de ces belles éludes des modèles de l'antiquité, lorsque les formes magnifiques de quelques comtes francs s'offrent à ses yeux, elle s'arrête avec complaisance sur la description de ces têtes de Barbares au port majestueux ; elle s'y complaît avec admiration[26]. Ainsi les filles de la Grèce, habituées à étudier les chefs-d'œuvre d'Apelles et de Phidias, conservaient l'ardent amour du beau ! Nicéphore Brienne et les Grecs défendirent vaillamment les murailles, et les flèches pleuvaient jusque sur les tentes des pèlerins armés pour la guerre sainte. Qu'allait devenir le but de la croisade ? Au lieu de conquérir le saint sépulcre, on s'arrêtait à combattre des chrétiens et à assiéger la ville de Constantin, le prince qui arbora le signe du Christ. On vit donc s'approcher des lentes de Godefroy le comte Hugues de Vermandois, qui vint conseiller aux barons et aux chevaliers de faire hommage à l'empereur. Godefroy, indigné d'abord, lui dit : Comment as-tu été capable d'une lâcheté aussi infâme que celle de te soumettre à un prince étranger, après être venu ici avec une si puissante armée, et comment oses-tu me proposer une pareille bassesse ? Hugues lui repartit : Nous eussions fait plus sagement de demeurer en France et de nous abstenir du bien d'autrui ; mais puisque nous sommes engagés si avant dans une entreprise qui ne peut réussir sans la protection de l'empereur, il vaut mieux condescendre à ses volontés que de nous ruiner par une résistance opiniâtre[27].

Ces conseils étaient salutaires et fondés sur la connaissance des forces d'Alexis. Quelques barons hautains pouvaient rêver la ruine de l'empire grec pour se partager en fiefs ses riches débris ; mais était-il sage, dans une vigoureuse expédition contre les mécréants, de laisser dans les sentiments d'inimitié profonde des hommes aussi puissants, aussi rusés que les Grecs ? L'empire n'était pas sans force militaire, on venait de l'éprouver ; il avait à sa solde les Bulgares, les Turcopoles, d'origine mélangée grecque et turque, les Petchenègues, race tartare, archers habiles qui combattaient à la manière nomade et fatiguaient incessamment les ennemis ; le feu grégeois brûlait les tentes, pénétrait dans les armures de cuir et de fer, et rien ne pouvait en arrêter le désastreux effet. Dans plusieurs combats essayés devant Constantinople par les comtes féodaux, les avantages avaient été de part et d'autre vivement disputés ; on n'avait pas fait un pas au delà des faubourgs. Les conseils du comte Hugues de Vermandois furent donc entendus, et Godefroy n'hésita plus, quoique avec répugnance, à déléguer quelques comtes francs et germaniques chargés de traiter avec l'empereur : selon la coutume, des otages durent être échangés, et l'empereur Alexis, tant. il était impatient d'en finir avec ces races du Nord, consentit à livrer pour otage Jean, le fils chéri de son cœur, jeune prince, frère d'Anne Comnène, et on le vit, encore adolescent, conduit par un officier du palais, avec ses cheveux noirs et tressés, sa veste étroite, comme s'il était prêt au pugilat, dit Guibert le chroniqueur dans son rude langage d'Occident[28].

Quand cet enfant eut été salué par les comtes, les principaux féodaux se revêtirent de leur hermine, des belles toques qu'ils portaient dans leurs plaids et cours plénières ; ils prirent leurs faucons au poing en signe de paix, et leurs lévriers en laisse ; puis ils abordèrent ainsi le palais de Blaquerne où Alexis tenait sa cour, lui sur le trône d'or, et les officiers du palais prosternés la face contre terre. Les comtes féodaux s'avancèrent gravement avec leurs vêtements les plus somptueux tout fourrés, leurs bottes de daim éperonnées de fer, tandis que les écuyers les suivaient, portant leurs casques et leurs gantelets. Alexis demeura immobile sur son trône d'or, sa tête presque cachée sous sa tiare resplendissante de pierreries. A mesure qu'un comte s'approchait, l'empereur paraissait plus immobile encore, et tous les fiers Barbares s'agenouillèrent pour rendre l'hommage selon les vieilles coutumes féodales. Godefroy baisa les genoux de l'empereur, mit ses mains dans les siennes, et il reçut sa propre chemise de lin, afin de ne plus faire qu'un de chair et de sang avec Alexis[29] : c'étaient ainsi l'hommage et l'adoption filiale tout à la fois. Quand les trompettes eurent retenti à trois reprises sous les longues voûtes de marbre, les eunuques noirs, revêtus de dalmatiques brillantes comme l'or sur l'ébène, jetèrent sur le parvis des boisseaux remplis de monnaies impériales, et chaque comte reçut des coupes ciselées en pierres précieuses, des vases d'émeraudes, des croix en diamants, des robes de pourpre si magnifiques qu'on eût dit les dépouilles de Tyr ou de Ninive chantées par les prophètes.

Ainsi Godefroy le Lorrain devint l'homme lige de l'empereur ; mais Bohémond, le redoutable ennemi de l'empire, le vainqueur des Grecs à Durazzo, lui qui avait conseillé à la race germanique de s'emparer de Constantinople, accepterait-il l'humiliation de l'hommage ? Bohémond et ses Normands s'avançaient avec Tancrède, l'expression de la race sauvage et montagnarde, méditant la conquête de Constantinople ! Tancrède, comme le faucon, volait de rochers en rochers, et voulait placer son nid sur le palais de Blaquerne ; il conduisait dix mille chevaliers normands qui portaient la lance haute. Quand ils approchèrent de Constantinople, Godefroy, avec vingt des comtes féodaux des plus sages, des plus expérimentés, marcha au-devant de Bohémond, et pressant sa main dans la sienne, il lui dit : J'ai reçu ta lettre, mais il est mieux de faire hommage à l'empereur que de le combattre ; c'est l'avis des comtes. — Non, répondit Bohémond, tu ne connais pas cet homme rusé, mieux vaut le combattre que de subir ses embûches. La nuit porta conseil, et les avis du Normand changèrent : les officiers grecs du palais portèrent des lettres pourprées à Bohémond ; Alexis promettait de lui donner au delà d'Antioche une principauté assez vaste pour qu'un homme à cheval ne pût la parcourir qu'en quinze jours en longueur et huit jours en largeur[30]. A ces promesses de conquêtes et de suzeraineté, Bohémond ne tint plus de joie ; il se soumit à l'hommage comme Godefroy de Bouillon, tandis que le montagnard de la Pouille, le jeune et bouillant Tancrède, se séparait de son bel oncle pour ne pas subir l'humiliation de l'hommage aux Grecs ; il traversait le détroit pour mépriser les ordres de l'empereur. Depuis, Bohémond devint le vassal intime de l'empire ; Alexis le vit à part, le caressa comme un ennemi redoutable, le combla de prévenances et de richesses ; Bohémond sollicita comme une faveur la dignité de grand domestique du palais[31], le gouvernement entier de l'empire. Alexis lui répondit avec douceur : Le temps n'est pas loin où je pourrai t'accorder ce que tu me demandes ; je le ferai lorsque ta valeur et ta fidélité seront généralement reconnues, et que les récompenses les plus magnifiques te seront déférées par la voix publique. Bohémond espéra une sorte de mairie de palais qui souriait à son ambition[32].

L'impulsion était ainsi donnée par tous les féodaux : à mesure qu'un comte arrivait à Constantinople, il allait au palais pour rendre hommage comme l'avaient fait Hugues de Vermandois, Godefroy et Bohémond, les principaux comtes de l'expédition d'Orient. C'était toujours avec une suite nombreuse, dans toutes les pompes des cérémonies orientales, que cet hommage avait lieu : on baisait les genoux de l'empereur avec une déférence respectueuse. Quelquefois aussi des scènes de hauteur et de fierté venaient rompre ces spectacles de soumission et d'hommage, humiliants pour le baronnage. Il y avait parmi les chevaliers que conduisait au devoir féodal le comte de Flandre, un homme de haute stature, tout couvert de cottes de mailles, l'épée au côté ; il était de race franque ; on le nommait Robert, seigneur peut-être de quelques manses de terres dans le Parisis, fier et hautain comme tout le baronnage qui environnait Paris. Le comte monta quelques marches couvertes de soie, et s'assit avec hardiesse sur le trône de l'empereur ; Alexis ne dit mot, mais il rougit de résignation. Alors Baudouin de Bourg s'approcha de ce comte du Parisis et lui dit : Il ne t'appartient pas de te mettre à cette place, c'est un honneur qui n'est fait à personne ; comme tu es dans ce pays, il faut en respecter les lois. Le féodal ne répondit rien, mais il murmura : Voilà un beau monarque pour être seul assis lorsque tant de nobles comtes sont debout ! L'empereur suivit le mouvement de ses lèvres, et il demanda à un clerc de l'Église romaine ce que disait cet homme hautain ; et comme on lui répéta les paroles insolentes du comte, il garda le silence, mais ne l'oublia pas. Alors Alexis s'approcha du Barbare : Qui es-tu donc ? lui dit-il. — Je suis Franc, répliqua le féodal, de la plus antique et de la plus pure race[33] : je ne sais qu'une chose ; il y a en mon pays une église bâtie dans un lieu où se rendent ceux qui souhaitent de signaler leur valeur les armes à la main ; là ils font leurs prières à Dieu en attendant qu'il se présente un ennemi, et j'y suis demeuré longtemps sans que personne ait osé se mesurer contre moi[34].

C'était un défi de chevalerie ; Alexis se garda de l'accepter, et répondit avec une douceur dissimulée : Si tu attendais alors l'occasion de te battre, tu la trouveras au delà de la mer ; j'ai un avis à te donner : ne reste jamais ni à la tête ni à la queue de l'armée, place-toi au milieu ; j'ai une grande expérience de la manière dont les Turcs font la guerre, et je t'assure que c'est la meilleure place qu'on puisse prendre. Cette insolence de Robert du Parisis n'est point oubliée par Anne Comnène ; elle raconte avec une sorte de joie que le Barbare mourut dans la première bataille de la croisade[35].

Voici maintenant de plus gais pèlerins : les Provençaux sous le comte de Saint-Gilles, un peu retardataires, car ils étaient paresseux, pleins de jovialité, s'arrêtant en route pour prendre plaisir et divertissements[36]. Le comte de Saint-Gilles acquit une grande renommée de prudence et de courage ; Alexis le prit en confiance ; c'était le seul avec qui il s'abandonnait, car les Provençaux, fins, habiles, se mettaient bien partout. Anne Comnène dit qu'Alexis tenait le comte de Saint-Gilles autant au-dessus de la vertu des Français, que le soleil est au-dessus de la clarté des autres étoiles. Alexis le manda souvent après le départ des autres Barbares, pour se délasser, dans sa conversation, de la fatigue que cette multitude turbulente lui avait apportée. Il lui déclara les craintes qu'il avait de leur entreprise, et les défiances qu'il concevait de la conduite de Bohémond, l'exhortant à veiller sur ses actions, à le retenir dans le devoir, et à empêcher sa révolte. A cela le comte de Saint-Gilles répondit : Bohémond ayant succédé aux tromperies et aux parjures de son père, je m'étonnerais s'il vous gardait la fidélité qu'il vous a jurée. Je ferai néanmoins ce qu'il dépendra de moi pour le porter à tenir son serment[37]. Ce comte de Saint-Gilles tient une grande place dans la croisade ; les chroniques grecques et même les histoires sarrasinoises s'en occupent ; les unes vantent son esprit, les autres sa vaillance[38] ; c'est que la race méridionale était gaie, alerte, et qu'elle avait beaucoup de rapports avec l'Orient ; ne voyait-elle pas le même soleil ? n'éprouvait-elle pas les mêmes sensations vives et ardentes ?

A côté du comte de Saint-Gilles on peut aussi placer Etienne, comte de Blois, un des derniers arrivants à Constantinople ; accueilli avec bienveillance par l'empereur, seul des croisés il rendit témoignage des bons procédés qu'il avait trouvés à Constantinople. Quand sa tente fut posée sur les rives du Bosphore, il écrivit à Adèle, la noble comtesse sa femme, la magnifique réception qu'on' lui avait faite dans le palais de Blaquerne. Etienne le Champenois avait trouvé inépuisables les munificences de l'empereur ; lui qui vivait dans la cité noircie de Blois, il avait eu le cœur tout épanoui en voyant le Bosphore et ses belles eaux[39]. Que pouvait être la Loire ombragée par de sombres forêts, à côté de ces rives riantes où se balançaient l'oranger et le citronnier, les bosquets de jasmin autour des palais de marbre ? Hélas ! ces richesses somptueuses faisaient le danger de l'empire d'Alexis ; quand les Barbares d'Occident, les comtes féodaux, voyaient ces belles murailles, ces merveilles de l'Orient, ils devaient avoir désir de s'emparer de cet empire, et plus d'un de ces paladins qui montaient des chevaux aux larges poitrails, devait menacer dans sa pensée la puissance d'Alexis ; tous désiraient sa tiare d'or et son trône d'ivoire, ce trésor assez riche pour verser l'abondance sur des myriades d'hommes. Alexis eut une grande habileté ; les officiers du palais reçurent l'ordre de séparer les croisés les uns des autres ; leur marche fut tellement tracée, qu'ils n'arrivèrent à Constantinople qu'épars et séparés. Quand les bannières d'un comte se déployaient sur le Bosphore, l'empereur cherchait à le gagner à sa cause, en sollicitait l'hommage par des présents, et comme la foi chevaleresque était inaltérable, ces comtes devenaient ses vassaux fidèles, et ne conjuraient plus contre lui. L'empire menacé pouvait trouver ainsi des auxiliaires au lieu d'ennemis ; on avait l'espoir de coloniser dans l'Asie ces races vaillantes, et d'établir une barrière contre les excursions des Turcs et des populations musulmanes. Alexis opposait Barbares contre Barbares, selon la vieille coutume des empereurs. Telle était la situation des croisés en Orient.

En France, l'affaire du divorce de Philippe Ier et de Bertrade jetait encore quelque agitation dans la vie du manoir. Philippe Ier vieillissait, mais des feux de ses passions primitives il conservait une ténacité violente de caractère ; le roi avait préservé des ravages du temps les formes grandes et belles de sa stature, il était en tout point proportionné ; néanmoins la maigreur de son visage faisait contraste avec la mine rebondie et le large ventre de Guillaume le Roux, roi d'Angleterre ; naturellement adonné aux plaisirs, il négligeait les affaires du royaume pour les chasses bruyantes ou les festins somptueux. Les grandes chroniques disent que sa prédilection était pour les hures de sanglier farcies de grives ; le vin d'Orléans faisait ses délices, surtout lorsque la vigne s'était colorée dans le clos de Beaugency. Hélas ! si la vie matérielle se prolongeait joyeuse, le roi avait perdu toute sa force morale sur le gouvernement par l'excommunication ! Un mécréant jeté en dehors de l'Église ne pouvait exercer l'autorité réelle du roi des Francs sur les clercs et les laïques[40] ! Or, pour éviter cette excommunication, Philippe Ier avait consenti à fuir Bertrade ; c'était un sacrifice au-dessus de ses forces, et la séparation était à peine consentie que l'époux et l'épouse se réunirent, comme le dit un vieux chroniqueur. Le vigilant Yves de Chartres, le gardien des lois canoniques s'en aperçut bientôt, et il dénonça une fois encore son suzerain comme relaps et excommunié. La messe fut interdite en sa présence, la maison royale désertée par les serviteurs les plus fidèles[41], nul n'osa lui placer la couronne sur la tête dans les fêtes de l'Église. Cependant Urbain II, le pape de la croisade, n'existait plus ; les basiliques de Rome retentissaient encore dos acclamations soudaines pour l'intronisation de Pascal II ; et dans cette circonstance d'un changement de pontificat, l'archevêque de Tours se hasarda jusqu'à saluer le roi Philippe Ier pour les solennités de Noël, à la Pâque et à la Pentecôte. Au milieu de l'encens qui brûlait dans le sanctuaire, l'archevêque de Reims osa également couronner d'or la tête du prince excommunié[42], véritable outrage à l'autorité des pontifes. Yves de Chartres éleva de nouveau sa voix puissante pour rappeler les canons de l'Église, et il dénonça à Pascal II fit à ses légats en France l'infraction que les évêques avaient faite aux lois immenses du catholicisme[43] ; car Yves était l'actif soutien de l'unité morale contre la brutalité des rois et des féodaux. Un concile se réunit à Poitiers ; Philippe Ier y fut excommunié pour la troisième fois, l'homme d'armes dut abaisser la tête devant la crosse pastorale des évêques ; et tandis que Guillaume, duc d'Aquitaine, le féodal, disperse dans sa brutalité le concile[44] et fait poursuivre les légats, Philippe Ier se voit contraint d'abandonner Bertrade, car le peuple entier n'obéit plus à la voix du suzerain. Il fallut donc se soumettre à l'autorité du catholicisme, et Yves de Chartres se hâta d'écrire au nouveau pape Pascal II pour lui annoncer la soumission du roi. Je déclare à Votre Sainteté que nous nous sommes assemblés, plusieurs évêques des provinces de Reims et de Sens, dans la ville de Beaugency, qui est une place de l'évêché d'Orléans, Richard, évêque d'Albane, votre légat, nous y avait invités pour absoudre le roi, comme votre modération l'avait ordonné par ses bulles. Le roi et sa compagne s'y sont trouvés, et ont déclaré, ayant la main sur les saints Évangiles, qu'ils étaient prêts à se séparer l'un de l'autre, et de promettre qu'ils ne se verraient et ne se parleraient dans la suite qu'en présence de témoins non suspects, jusqu'à ce qu'ils en eussent obtenu la permission de Votre Sainteté. Comme vos lettres portent que l'évêque d'Albane ne devait agir en cette occasion que par le conseil des évoques, il a voulu que cette affaire dépendît entièrement de nous ; et les évêques, conjecturant je ne sais quoi, ont déclaré qu'ils ne voulaient que l'aider dans cette affaire, et qu'ils ne la consommeraient point. Ainsi elle est demeurée indécise, quoique le roi criât qu'on le maltraitait[45].

C'était un engagement solennel, une garantie religieuse que cette séparation jurée sur l'Évangile ; le pape pouvait-il alors hésiter à lever les censures et à absoudre le roi ? Deux légats parcouraient les terres des Gaules au nom du pape Pascal II[46] : le premier était Richard, évêque d'Albane, l'homme de confiance du pape, celui qui exprimait le mieux ses intérêts. Puis Pascal II avait revêtu temporairement de la légation romaine Lambert, évêque d'Arras, l'un des prélats qui étaient restés fidèles dans l'affaire du divorce. Ce fut dans la cathédrale de Paris en l'Ile que la solennité de l'absolution eut lieu ; le roi s'agenouilla devant le maître-autel, tandis que tous les évêques, la mitre d'or en tête, récitaient les prières de pénitence. Le roi dit d'une voix haute et sévère : Écoutez, vous, Lambert, évêque d'Arras, qui représentez ici le pape ; écoutez aussi, vous, archevêques, évêques et autres qui êtes présents. Je, Philippe, roi des Français, renonce de tout mon cœur, et sans aucun désir de me rétracter, au péché et habitude charnelle que j'ai eus jusqu'à présent avec Bertrade, et promets de n'y plus retomber. Je déclare aussi que je n'aurai plus d'entretiens ni conversations avec elle qu'en présence de personnes non suspectes[47]. Je promets de bonne foi d'observer toutes ces choses comme les lettres du pape le marquent et comme vous l'entendez ; ainsi, Dieu me soit en aide et ses saints Évangiles[48].

Cet acte d'obéissance et d'abaissement devait satisfaire la souveraineté du catholicisme ; la force ne s'affranchissait plus de la loi morale, et dès lors le pouvoir de l'Église pouvait se montrer indulgent. Cet esprit se révèle dans les lettres d'Yves de Chartres ; l'évêque impérieux s'était posé comme l'adversaire le plus absolu du mariage de Philippe Ier avec Bertrade, parce que ce mariage était une grande désobéissance envers l'Église. Une fois la soumission faite, l'évêque lui-même sollicite du souverain pontife les dispenses nécessaires pour la validité de l'union royale. Car il faut condescendre à la faiblesse de l'homme, écrit-il à Pascal II, et ne pas heurter trop vivement les âmes malades[49]. Pour arriver à l'absolution, Philippe le roi avait consenti à toutes les pénitences, et comme le catholicisme était la source des affranchissements de peuple, le suzerain promit d'abolir beaucoup de mauvaises coutumes dans les cités. Commune ! commune ! tel était déjà le cri qui retentissait. Le roi obtint les solennelles dispenses, il les appelait avec tant d'ardeur et depuis si longtemps ! Il se réunit de nouveau à Bertrade, et on le voit parcourir les terres du domaine avec la reine, et confirmer par un même scel les Chartres de donations dans les monastères. Cette année, dit un vieux cartulaire, sont arrivés dans la ville d'Angers, au milieu des ides d'octobre, la lune étant nouvelle, le roi des Francs, Philippe, avec la reine nommée Bertrade ; ils furent reçus avec honneur et révérence par Foulques le comte et par tous les Angevins, tant clercs que laïques[50].

A cette époque, de grandes pensées de piété et de remords s'étaient emparées du roi Philippe Ier. Comme tous les féodaux, la repentance et le désir de l'ermitage étaient venus après les fougues et les passions de la vie. Philippe Ier, devenu vieux, forma le dessein de se consacrer à la solitude dans un monastère ; c'était l'invariable condition des hommes d'armes ; il écrivit à Hugues, abbé de Cluny : Vénérable père, dites-nous s'il y eut des rois qui se firent moines. L'abbé répond : N'hésitez pas longtemps à exécuter ce dessein pieux : votre existence a été si agitée, il n'est jamais assez tôt pour commencer une meilleure vie ; imitez l'exemple de Gontran, roi des Français, qui s'abrita dans un monastère ; craignez qu'en restant dans le monde, la mort n'arrive pour vous comme elle est arrivée pour Guillaume d'Angleterre et Henri d'Allemagne[51]. C'étaient de solennels exemples à rappeler aux féodaux que la fin de ces deux princes ; ces morts rapides, malheureuses, étaient racontées comme à dessein par Hugues, l'abbé de Cluny. Le Roux venait d'être tué naguère dans une chasse bruyante, et une main inconnue lui avait décoché une flèche au cœur dans les solitudes de la forêt[52] ; Henri d'Allemagne mourait excommunié et flétri ; le Germain, homme de chair et de sang, la panse pleine de venaison, l'œil rouge et enflammé de concupiscence et de vin du Rhin, s'était couché dans le sépulcre, délaissé de tous, excommunié, et ne trouvant qu'un manteau pour sa sépulture. Henri avait blessé l'unité catholique, et fils de l'Église, il s'était pourtant révolté contre elle. Qu'arriva-t-il ? c'est que son propre fils leva le glaive contre lui : l'impétueux empereur n'avait-il pas déchiré de ses mains les entrailles de sa mère l'Église ? Ainsi le racontaient au moins les chroniques du moyen âge[53].

Ces exemples avaient vivement frappé l'imagination de Philippe Ier : à la fin de son règne, il ne gouvernait plus ; sa vie était entière à la piété et à Bertrade, alors devenue sa chaste épouse selon l'Église. Louis le Gros, son fils aîné, conduisait vigoureusement les batailles de lances, tandis que le roi des- Français vivait dans le repos et la solitude ; il avait renoncé aux armes. Philippe Ier avait cinq enfants : deux de sa première femme, la noble Berthe de Hollande, née au pays des Frisons. Le premier était Louis le Gros ; élevé dans le monastère de Saint-Denis, sa renommée retentissait déjà dans les châteaux du Parisis ; et Constance, dont les chroniques ont dit les beaux cheveux tressés et pendants jusqu'aux pieds, Constance épousa d'abord Hugues, comte de Champagne, puis elle s'unit à Bohémond quand il devint prince d'Antioche. Philippe Ier avait eu de Bertrade, l'épouse répudiée, plusieurs enfants : 1° Philippe, comte de Mantes, vigoureux chevalier ; 2° Louis, qui eut le nom de Fleuri à cause de ses couleurs rosées : il épousa l'héritière de Nangis ; 3° une jeune fille naquit aussi de cette union ; sa destinée fut orientale ; elle vécut en Galilée parmi les nobles pèlerins, et mourut à Tripoli après son mariage avec Pons le Provençal, devenu comte de grands domaines sur le rivage[54].

Ainsi était dispersée au vent la famille de Philippe Ier ; la maladie affaiblissait le roi, il se faisait incessamment porter en litière de Paris à Melun ; les médecins et physiciens n'avaient plus aucun espoir de conserver sa vie ; il expira le 29 juillet 1108[55], dans le château de Melun, et son corps fut enseveli en l'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire. Philippe Ier était le vrai type féodal ; dans sa jeunesse, livré aux passions brutales, il fut toujours prêt à piller les églises et les monastères ; plus tard il se fit ermite et repentant. Guibert de Nogent l'appelle un homme très-vénal dans les choses de Dieu. Et en effet, jamais le roi ne s'était fait conscience de vendre les bénéfices et d'imposer les monastères. Tous les féodaux avaient le même caractère ; leur vie se partageait en deux périodes : la violence et le repentir. Philippe Ier ne se fit point de scrupules d'extorquer de l'argent des moines, des églises et des communes par les exactions et les impôts ! Il fut preux chevalier ; et comment se fait-il que les chroniques parlèrent à peine de lui ? c'est qu'il resta en dehors des grandes idées et du mouvement populaire de ce siècle. Quand l'Église catholique se posait comme la puissance dominante, Philippe Ier se faisait excommunier par cette Église ; lorsque Guillaume le Bâtard conquérait l'Angleterre, Philippe, son suzerain, jeune homme plein de feu, restait paisible dans son domaine à guerroyer contre quelques comtes ; et enfin, lorsque tout l'Occident se levait pour marcher à la croisade, le roi se plaçait en dehors de cette immense impulsion populaire. Dès qu'on s'efface ainsi au milieu d'une génération, elle ne prend pas garde à vous, elle vous oublie. La mort de Philippe Ier ne fut donc point un événement dans la vie religieuse ou féodale ; on fit quelques épitaphes pour raconter sa fin et dire ses qualités[56] ; mais le passage d'un règne à un autre était déjà accompli depuis que Philippe s'était soulevé contre la pensée morale de l'Église, et Louis le Gros exerçait la puissance militaire dans le royaume : un excommunié pouvait-il porter la couronne de roi ai front[57] ?

Au moment de la mort de son père, Louis résolut de se faire sacrer. La tombe se fermait pour le roi le 29 juillet, et le 3 août Louis VI allait en pompe à Orléans pour recevoir la couronne des mains de l'archevêque de Sens, métropolitain, assiste des évêques de Paris, de Meaux, d'Orléans, de Chartres, de Nevers et d'Auxerre ses suffragants. Pourquoi le sacre n'avait-il pas lieu à Reims comme une prérogative de la vieille église de Saint-Remi ? Des plaintes arrivèrent ; il y eut une protestation de l'archevêque de Reims pour préserver les privilèges de son église. Yves, évêque de Chartres, répond à ces plaintes dans une lettre pastorale écrite au souverain pontife. Yves est toujours le grand modérateur des affaires du roi et du pape. Si les suzerains des Francs, dit-il, ont eu tant de respect pour l'église de Reims qu'ils ont mieux aimé y recevoir l'onction royale qu'ailleurs, nous ne leur envions pas cet honneur.... mais la loi doit être possible, elle doit être convenable au temps et au lieu ; or elle n'était pas possible, parce que le sacre du roi ne pouvait être fait sans trouble par un archevêque qui n'est pas encore intronisé. Le lieu et le temps ne convenaient pas non plus, parce que la ville de Reims était en interdit, et qu'on ne pouvait différer le sacre du roi sans mettre le royaume en péril[58].

Et comment d'ailleurs serait-on allé à Reims pour exposer à mille périls la pauvre royauté de Louis le Gros ? C'était déjà beaucoup d'être parvenu jusqu'à Orléans à travers les châtellenies féodales qui dominaient le Parisis. Louis VI ruisselait de sueur dans cette lutte incessante contre les comtes féodaux ; il en avait beaucoup vaincu de ces farouches châtelains, mais il en restait encore de puissants et d'indomptables ! D'abord le châtelain de la Ferté-Baudouin, du nom de Gui le Roux, dont la renommée était sinistre pour les pauvres voyageurs ; mais le suzerain se porta avec tant de courage contre les murailles de la Ferté* Baudouin, qu'elles tombèrent devant lui ! Maintenant c'est la Roche-Guyon que vous voyez s'élever sur le promontoire de la Seine ; ce château est presque ras à sa surface, car il est creusé dans une roche à pic ; on n'y pénétrait que par une étroite ouverture. Là, Guillaume, le vieux Normand, avait poignardé Gui son neveu pour s'emparer du château ; il n'était pas une dalle de l'escalier qui ne fût teinte de sang ; Louis VI assiégea cette roche, il pénétra par le souterrain, et bientôt le comte Guillaume fut précipité dans la Seine, et son cadavre flotta jusqu'à Rouen. A Mantes, à Montlhéry, d'autres seigneurs vivaient puissants ; ils se révoltent contre le roi qui occupe sa vie militaire à les assiéger comme naguère il assiégeait la Roche-Guyon[59]. Vous dirai-je la chronique du château du Puiset, demeure féodale de Hugues, seigneur maudit ? Hugues opprimait les pauvres églises. Plus d'une fois, réunissant ses hommes d'armes, Hugues le comte courait la campagne, et il en vint à ce point d'insulter les terres de la comtesse de Chartres et de son fils Thibault, pauvre enfant en minorité. Les opprimés demandèrent justice au roi contre le châtelain du Puiset. Voilà donc Louis le réparateur des torts, le digne chevalier, à la tête des hommes d'armes ; il attaque le château avec les balistes, l'arc, l'arbalète et le glaive ; le Puiset fut détruit de fond en comble : triste demeure, elle est maintenant le séjour du hibou et du corbeau, comme elle l'était du faucon féodal et de l'oiseau de proie ; le baron féodal, de son nid de roches, ne fondait-il pas sur le pauvre pèlerin[60] ?

Louis VI ne pouvait avoir de ménagement contre ces féodaux qui tenaient les terres du Parisis. Naguère un comte de Corbeil, du nom de Burchardus, comme le disent les chroniques, avait aspiré à la couronne. Les cartulaires racontent que ledit comte de Corbeil, prenant les armes contre son suzerain, se glorifia du titre de roi des Francs ! Quand les cornets et buccines songèrent la guerre, le comte Burchardus tint son plaid féodal. Noble comtesse, dit-il à sa femme fière et hautaine, donnez joyeusement au comte votre époux sa brillante épée, et celui qui la reçoit de vous aujourd'hui comme comte, vous la rapportera comme roi[61]. Le fougueux Burchardus fut percé d'outre en outre par le comte Etienne de Champagne, qui défendait la cause du suzerain, et Burchardus mourut comte. Louis VI, en face de cette féodalité du Parisis, devait lutter, combattre, puis encore briser les murailles et les tours fortifiées ; il fut le prince destiné à cette œuvre pénible. Par le beffroi de la commune et le clocher de l'église il dompta le château ; la plaine entoura la montagne, le rustre et le manant furent émancipés pour briser sous le poids des masses la force vigoureuse et féodale. Nous développerons plus tard le caractère et la mission de Louis VI. L'Europe alors en veuvage de ses hauts barons partis pour la croisade, vit s'accomplir presque partout cette révolution.

Au milieu de ces races diverses le lien d'unité qui confondait les pèlerins entre eux était la croix, sainte image qui brillait sur leurs armes ; mais en dehors de ce signe universel, les races conservaient leur caractère à part, elles ne se confondaient pas plus sur la terre étrangère que dans le vol de chapon du manoir. Le Flamand parlait sa langue gutturale dans les déserts de la Syrie, comme le Provençal jargonnait son pur idiome roman de la Langue d'oc, et le Normand son dialecte national de Bayeux et de Rouen sur Seine. Il y avait des jalousies, des préventions de races invincibles, et toutes gardaient les caractères distincts qui les séparaient dans l'origine[62]. Dirai-je d'abord la fortune des Normands avec Bohémond et Tancrède à leur tête ? Bohémond portait dans son escarcelle de voyage la chartre pourprée de l'empereur Alexis, qui lui concédait un vaste territoire autour d'Antioche, et toute son ambition était de s'emparer des terres promises pour y établir son gouvernement de comte. La politique de la race normande se déploie dans cette expédition ; Bohémond songe à peine à Jérusalem, au Christ, à la pieuse bannière qui se déploie sur le saint sépulcre ; ses efforts se portent sur Antioche, la belle cité d'Orient[63] ; il en poursuit le siège avec les croisés ; la race normande a besoin d'un riche établissement, d'une principauté puissante ; le reste n'est que secondaire. La pensée fixe est de suspendre le gonfanon normand sur les murailles d'Antioche, la ville des Grecs. Bohémond fonde là sa principauté ; il traite avec les Sarrasins et les Syriens, il n'a point de scrupules ; le territoire d'Antioche s'étend jusqu'à Laodicée ; les Normands s'en emparent. Laodicée, Antioche sont désormais leurs fiefs ; c'est la belle terre fertile, la plus riche part du butin d'Orient, c'est l'escarboucle dans la riche parure que féconde le soleil ; la race normande s'en saisit comme elle a conquis la Pouille, la Sicile et plus tard l'Angleterre : saluez Bohémond, prince d'Antioche et de Laodicée[64].

Dans ce mouvement général, que fait la race provençale ? Elle est aussi rusée que les Normands, mais moins avide de conquêtes territoriales et d'établissements lointains, car elle aussi a un beau soleil comme en Syrie ; néanmoins elle convoite le littoral de la mer depuis Tortose jusqu'à Tripoli ; ces lieux lui plaisent, et lui rappellent la patrie qui se mire dans les Ilots depuis Agde, que baigne la Méditerranée, jusqu'à Maguelone, Arles et Marseille, l'opulente république. Les Provençaux rêvent déjà leurs comptoirs de commerce, tandis que les échevins de la vieille Phocée préparent leur consulat dans les escales du Levant. Les Provençaux marchent sous leur chef, ils font bande à part, ils sont gens de jovialité, à l'imagination légère, toujours prêts à croire les belles légendes, les traditions dorées du ciel ; Raymond est leur comte, l'évêque du Puy leur prédicateur, Ponce de Balazun porte leur bannière, et Raymond[65] d'Agiles écrit leur chronique. Quelle ardente tête que celle des Provençaux ! manquent-ils de vivres, ils s'en procurent toujours par la ruse et l'adresse[66] ! frêles hommes au teint noir et amaigri, ils jouent sans cesse de bons tours à la race du Nord, facile à tromper, car elle est lourde autant que grasse, blonde autant que fade. Que pouvait-on opposer à la dextérité bavarde du Gascon et à l'adresse industrielle du Provençal, toujours alerte comme la chèvre qui bondit sur les Pyrénées et les Cévennes ? Faut-il relever le courage de l'armée au siège d'Antioche, vite une légende, et le pauvre Pierre Barthélemy ou Barthoumiou de Marseille, trouve la lance sainte qui doit fortifier le courage des pèlerins[67] ! Faut-il un témoin pour attester le miracle ? Pierre Barthélemy se jette dans le feu et se sacrifie ! Toute la chronique de Raymond d'Agiles n'est qu'une suite de légendes et de visions belliqueuses pour ranimer le courage souvent appauvri des pèlerins. Il y en a pour le siège d'Antioche ; il en crée pour le siège de Jérusalem. Raymond d'Agiles ne laisse pas à la crédulité le temps de se reposer ; il la mène, il la conduit avec une incessante mobilité ; c'est un poète du Midi, à la langue naïve, qui orne son épopée des riches couleurs de la légende.

Les pèlerins provençaux s'établissent tous aux villes maritimes de Syrie, ils retrouvent en Orient leurs habitudes, ils dorment dans les longues chaleurs du jour, et les rêves viennent brillanter leur sommeil et dorer leur fatigue. Ici un vieillard à la barbe vénérable apparaît à l'évêque du Puy pour annoncer la victoire ou pour préparer les croisés à la pénitence ! là c'est un ange à la face rayonnante qui montre du doigt Jérusalem avec ses tours carrées toutes d'or et de saphir, son saint sépulcre, la grande maison de Dieu. La découverte de la lance qui releva le courage des soldats du Christ et brisa les portes d'Antioche est tout un poème épique[68] ; le merveilleux de l'imagination provençale se déploie dans un poétique cadre d'invention où viennent se ranger le fantastique, le miracle, les apparitions, comme dans l'Odyssée d'Homère. La plupart des Provençaux fondèrent leur établissement sur les côtes de la mer, dans les châteaux et les villes de la Syrie commerçante. Jérusalem, pour beaucoup d'entre eux, fut oubliée ; si les Normands s'étaient colonisés à Antioche, les comtes provençaux firent de Tortose le siège de leur féodalité commerciale.

Et les Lorrains, les Alsaciens, les habitants des solitudes des Ardennes ou de la forêt Noire eurent aussi leur principauté sous Baudouin : ceux-là avaient quitté la grande route du pèlerinage pour se diriger vers les montagnes d'Arménie[69]. L'aspect de la Syrie ne leur plaisait point ; comme un souvenir de la patrie, ils aimaient les rochers montueux, les paysages agrestes ; et dès la prise de Nicée, Baudouin s'était jeté, avec ses montagnards, à travers les défilés du mont Taurus, en traversant l'Euphrate, qui lui rappelait le fleuve du Rhin ; il avait fondé sa principauté à Édesse, la ville écartée ! Tancrède, né dans la Pouille, où la chèvre sauvage bondit dans les Abruzzes, prend également la route des âpres rochers de la Cappadoce et de l'Arménie. L'irruption des croisés est semblable à celle des fleuves qui suivent chacun leur cours ; les populations maritimes s'établissaient au bord de la mer ; ceux qui avaient vécu sans cesse dans la bruyère la retrouvaient en Orient, plus desséchée par les feux du soleil ; chacun cherchait ainsi à revoir la patrie comme un paysage ou un souvenir qui soulage les yeux et console le cœur : chaque peuple allait à ses habitudes[70].

Au milieu de cette division produite par les habitudes et la nationalité de chaque race, il restait néanmoins une grande troupe de pèlerins qui continuaient leur route vers Jérusalem sans détourner la tête ; des fleuves d'or pouvaient couler autour de ces hommes de pénitence, ils n'avaient qu'une pensée : la délivrance du pieux tombeau ; ils avaient tout confondu dans le commun sentiment de l'expédition pieuse ; ils restaient tous pèlerins sous Godefroy de Bouillon, l'expression du repentir catholique ; ils prenaient les peines, les fatigues de la sainte expédition comme un dur ciliée qui brisait leurs os et pénétrait leurs chairs. Le duc de Lorraine avait au cœur un gémissement profond pour sa vie passée ; il portait comme une pesante croix la conscience de ses révoltes contre l'Église et le pape ; il allait en pèlerinage par le même sentiment qui l'aurait déterminé à se faire ermite, si l'idée de délivrer le saint sépulcre n'avait pas alors dominé toute la génération. Godefroy s'achemina vers Nicée, de Nicée à Antioche, où se fit le siège meurtrier, et d'Antioche à Jérusalem, qui tomba au pouvoir des pèlerins. Qu'ai-je besoin de narrer cette croisade redite par mille chroniques ? Ce furent des peines inouïes, des travaux supportés avec enthousiasme, des massacres qui ensanglantèrent le parvis du temple. Tel était l'esprit de ces guerres d'extermination de race à race, de peuple à peuple, de croyance à croyance ! Toute lutte armée d'opinions est sanglante, parce qu'elle se rattache aux entrailles, à ce qui parle au cœur et à la tête.

Maintenant Jérusalem est au pouvoir des croisés ; sur quel front ardent pour la prière, ridé par le repentir, reposera la couronne ? Fera-t-on un roi pour la cité sainte ou un comte féodal pour la conquête ? Si la pensée du tombeau avait exalté toutes lésâmes, l'aspect du territoire de la Palestine avait désenchanté tous les esprits. Antioche, la Syrie, les villes maritimes depuis Tarse jusqu'à Tripoli, offraient un aspect séduisant de richesses et de fécondité : le cèdre aux vastes branches se mêlait aux beaux figuiers d'Asie, et ombrageait les bosquets de roses et d'orangers ; aussi les races franque, normande et provençale se pressèrent pour s'établir dans ces contrées délicieuses, et la féodalité y fonda des établissements militaires. Mais quel était l'aspect de la Palestine avec ses ruisseaux desséchés, ses terres rougeâtres, ses sables mouvants, ses montagnes pelées où quelques oliviers abritaient de temps à autre les troupeaux amaigris, et la brebis si triste à côte du chameau du désert[71] ? L'imagination pieuse des pèlerins pouvait bien dorer ce paysage et revêtir cet horizon de poétiques couleurs ; on désirait de voir Jérusalem et le tombeau du Christ ; mais quand il s'agit des réalités matérielles de la vie, quand il fallut fonder un régime de fiefs, se partager enfin les terres de la conquête, tous les comtes qui possédaient de riches territoires refusèrent la couronne ; elle fut offerte d'abord à Raymond, comte de Saint-Gilles[72] ; Jérusalem ne lui convenait pas, à lui le sire de la Langue d'oc ; les Provençaux s'établissaient sur les bords de la mer, et le comte qui avait tant de villes plaisantes en Europe et une cour si gaie, aurait-il préféré la couronne royale de Jérusalem à la riche et plantureuse vie de ces beaux comtés dans la Langue d'oc ? Hélas ! il ne les vit plus ses beaux comtés, la mort le saisit sur le rivage. La pesante couronne de Jérusalem fut également offerte à Robert, duc de Normandie, au comte de Flandre ; tous la refusèrent par humilité, disaient-ils ; la véritable raison, peut-être, c'est que lorsqu'on avait un bel État dans les cours plénières d'Occident, pourquoi aurait-on accepté le sceptre de Jérusalem et de la Palestine desséchée par les feux du soleil ? Il n'y eut donc que Godefroy le pénitent, amaigri par le jeûne, le pieux comte, le Barbare féodal repentant comme un ermite, qui se changea du poids de cette couronne. Qu'avait-il à perdre en Europe ? que laissait-il derrière lui ? Rien, sans aucun doute, pas un seul comté libre et sans engagement ; tout était vendu ou aliéné. Godefroy accepta la couronne de Jérusalem comme pénitence et comme fief ; il avait tout délaissé en Europe ; son bandeau royal fut un cilice ; il était le chef de la multitude qui marchait sans vassalité et sans suzerain. Les Normands avaient leur duc, les Provençaux avaient leur comte ; mais il y avait une foule qui n'avait de chef que la croix, d'autre pensée que le Christ, d'autre but que le saint sépulcre ; c'étaient ou des féodaux pleins de l'idée de l'ermitage et de la pénitence, ou un peuple exalté. Godefroy s'en était fait le conducteur, et voilà ce qui explique sa royauté élue dans la ville sainte ; il fut salué roi de Jérusalem par tous ceux qui n'avaient en pensée que la délivrance du pieux tombeau. Depuis, le royaume de Jérusalem se fonda comme une colonie militaire avec les lois franques et le régime des fiefs, des services de chevaliers et d'hommes d'armes ; les Assises de Jérusalem sont comme le droit public de la chevalerie transportée en Orient ; elles obligent à un régime féodal très-sévère ; c'est un martyre auquel tous s'engagent comme un commencement du grand purgatoire de l'autre vie !

Voilà donc les races d'Occident qui se précipitaient dans la Syrie et la Palestine, chacune y jouant son rôle et prenant son lot. Que devenait alors l'armée grecque dont l'empereur Alexis avait promis le concours aux pèlerins ; réunie après le bras de Saint-Georges sous un chef, officier du palais, du nom de Tatice, elle s'avançait précautionneusement vers l'Asie Mineure[73]. Tatice appartenait à la race tartare ; les Provençaux disaient en plaisantant qu'il avait le nez coupé, tant il était aplati comme les serfs ; il tirait cela de l'origine mantchoux, race du plateau de l'Asie. L'armée grecque, en touchant Nicée, se retrouvait au milieu d'une commune population ; toutes les villes étaient occupées par les Grecs ; la race turque et conquérante n'avait point effacé les vestiges de la belle famille hellénique ; les Turcs campaient dans les campagnes sous la tente, les Grecs habitaient les villes. Dans toute l'Asie Mineure on parlait la langue d'Homère ; tous les noms des vieilles cités s'y retrouvaient dans leur douce euphonie : Smyrne, Éphèse, Pergame, que la prédication chrétienne avait rendues si célèbres ; Nicée, Antioche étaient aussi retentissantes dans les fastes de l'Église et de l'antique civilisation. Il y avait d'autres populations encore, les Arméniens et les Syriens, qui toutes se prosternaient devant le Christos des Évangiles, qu'elles expliquaient dans des rites divers et dans les vieux livres des siècles primitifs. Toutes ces populations prêtaient secours aux pèlerins de la croisade ; elles voyaient en eux des frères qui venaient les délivrer du joug, et accouraient, la croix en tête, en chantant le Kyrie eleïson[74] ! Les chroniques franques et provençales se sont élevées contre la perfidie des Grecs ; il y avait là haine de race ; les Latins n'avaient que peu de ressemblance avec ces Grecs au maintien sévère, au caractère grave et à l'esprit rusé. Toutefois les principaux secours vinrent de Byzance ; les croisés auraient été vingt fois perdus sans Alexis ; ce furent les flottes grecques de Chypre, de Rhodes et de Candie qui nourrirent les pèlerins, Tatice leur prêta secours devant Antioche ; mais comme il vit tout le désordre du siège, les projets d'ambition, les misères de l'armée ; comme il aperçut les méfiances que lui-même inspirait, Tatice se retira du pèlerinage pour agir contre les cités qui avaient secoué le joug de l'empereur. Cette méfiance de races domine toute l'expédition d*Orient ; les familles de peuples conservent leur haine, leur instinct de répugnance ; la croix, qui est le symbole commun, les réunit dans une même foi, mais la sang n'en reste pas moins bouillant ; le Provençal, le Franc et le Normand se détestent, et il faut toute la puissance de l'Église pour les retenir sous une même bannière. Le Grec est en méfiance à tous ces hommes qui viennent de si loin pour un but de pèlerinage ; les chroniqueurs se lancent de durs propos à chaque page de leurs livres ; la pensée du Christ ne les apaise point, et quand le but du pèlerinage est atteint, chaque race reprend sa position naturelle, Bohémond devient prince d'Antioche avec ses Normands ; Baudouin et ses montagnards s'établissent à Édesse ; les Provençaux prennent la ville maritime de concert avec la république d'Italie ; les Grecs restaurent l'autorité de l'empereur dans les grandes cités de l'Asie Mineure. Enfin, la bande nombreuse des pèlerins repentants, des chevaliers sans fiefs, des barons armés qui ont aliéné leurs comtés en Europe, se groupe autour de la couronne d'épines de Godefroy. C'est une royauté de tristesse et de douleurs que celle de Jérusalem ; il faut combattre incessamment ; le pays qu'on va gouverner est comme un sépulcre vide ; sa végétation, brûlée par le soleil, n'offre qu'une terre inculte et de pauvres produits. La royauté de Jérusalem[75] est le symbole de la vie de pénitence ; là on n'a point les bosquets de roses ni les flots argentés de l'Oronte, comme à Antioche ; la terre stérile de Judée n'a pas les bords de la mer qui baigne Tripoli, Laodicée ou Tarse ; on ne savoure point le vin de Chio dans des amphores grecques. La terre de Jérusalem est ingrate : des cailloux brûlants, quelques rares oliviers, des palmiers solitaires et la source tarie de Siloé, tout se ressent du grand deuil chrétien. Les nobles comtes peuvent encore faire la vie douce et gaie de chevalerie à Antioche, à Nicée ou à Édesse ; mais à Jérusalem c'est la vie de l'ermitage, c'est la pénitence sous la couronne d'épines, et voilà pourquoi Godefroy, le rude compagnon de l'empereur Henri IV, bourrelé de remords d'avoir porté la main sur Rome et l'Église, s'agenouille en pleurant devant le saint sépulcre ; le germanique repentant reçut comme pénitence le sceptre de roseau et la couronne sanglante du Christ !

 

 

 



[1] Le plus curieux des récits sur le séjour des croisés à Constantinople se trouve dans l'Alexiade, liv. X. Consultez l'édition de Ducange et ses admirables notes dans la Byzantine.

[2] Les lettres d'Alexis au comte de Flandre ont été rapportées chap. XXVIII.

[3] Albert d'Aix, liv. II.

[4] Τόν έμόν Καίσαρας, Alexiade, liv. X.

[5] Alexiade, liv. X.

[6] Anne Comnène était née le 1er décembre 1083, et on était alors en 1096-1097.

[7] Suivez dans Nicétas la description de Constantinople. J'ai cité dans Philippe Auguste l'admirable fragment conservé par Fabricius. Biblioth. Grœc., tom., VI, p. 414. Quelle érudition que celle de Ducange et de Fabricius !

[8] Alexiade, liv. X, et Ducange, Famil. Byzantin., tom. VII.

[9] Alexiade, liv. X, ch. VI.

[10] Albert d'Aix, liv. I.

[11] Albert d'Aix, liv. I.

[12] Albert d'Aix entre seul dans de grands détails sur cette croisade des pèlerins de l'autre côté du Bosphore ; Robert le Moine en parle à peine. Les chroniques orientales ne disent rien encore sur les pèlerins chrétiens. Voyez les extraits latins de dom Berthereau, traduits par M. Reinaud, Bibliothèque des Croisades, tom. II.

[13] Albert d'Aix, liv. I. — Robert le Moine, liv. I.

[14] Sur tous les malheurs des croisés, consultez Ducange, note sur l'Alexiade, p. 360-366. Tudebode, le naïf chroniqueur, donne aussi quelques détails sur les souffrances des pauvres pèlerins ; Anne Comnène se sert de cette figure, όστών κολωνός, pour exprimer la forme de cet amas d'ossements, Mantis instar extiterit cum sublimi altitudine. Ducange traduit ainsi le texte de l'Alexiade.

[15] L'immense Ducange est entré dans de grands détails sur la forme de cette adoption (Dissertation sur Joinville). Cet admirable savant a disserté sur tous les points de l'histoire. Nicéphore Briennius, liv. II, dit que l'adoption ne se faisait que par semblant de la loi, μέχρι λόγου, Voir liv. II, chap. XXXVIII.

[16] Alexiade, liv. X. Ducange, Dissertation sur Joinville, p. 315.

[17] Anne Comnène avoue cependant la grande naissance de Hugues, εύγενεία, liv. X.

[18] Alexiade, liv. X, chap. VII et VIII.

[19] Anne Comnène parle de l'étendard de Saint Pierre et de la visite de Hugues de Vermandois à Rome, Alexiade, liv. X.

[20] Alexiade, liv. X.

[21] Alexiade, liv. X, chap. VIII.

[22] Alexiade, liv. X.

[23] Albert d'Aix, liv. II. Comparez avec Raoul de Caen, chap. V à VIII.

[24] Il faut rapprocher la version grecque de ces événements écrite par Anne Comnène, Alexiade, liv. X, de la version germanique d'Albert d'Aix, liv. II, et le récit normand de Raoul de Caen, chap. V à VIII.

[25] Alexiade, liv. X, chap. IX.

[26] Les Normands, mêlés au sang italien, étaient magnifiques. Voyez la description qu'Anne Comnène fait de Bohémond, Alexiade, liv. XIII, chap. VI.

[27] Alexiade, liv. X, chap. IX.

[28] Comparez Albert d'Aix, liv. II ; Foucher de Chartres, liv. Ier, et Raoul de Caen, chap. VI et VII.

[29] Voyez la belle dissertation de Ducange sur Joinville, n° 33. L'universel Ducange a parfaitement distingué toutes les formes de l'adoption.

[30] Raoul de Caen, et Albert d'Aix, liv. II.

[31] Alexiade, liv. X, chap. XI.

[32] Raoul de Caen ne dit rien de cette dignité de Bohémond ; elle blessait la fierté nationale du chroniqueur. Voyez chap. IV à X.

[33] Le comte se dit lui-même, Φράγγος κάθαρος τών εύγένων.

[34] C'est Anne Comnène qui rapporte cette insolence du comte franc, Alexiade, liv. X. C'est par cette conjecture que les savants ont dit que ce comte était Robert de Paris.

[35] Cet insolent barbare, Λάτινος τετυφώμενος, fut tué à la bataille de Dorylœum, Alexiade, liv. XI. Voyez aussi les notes de Ducange.

[36] Il faut suivre dans Raymond d'Agiles l'itinéraire des Provençaux en Orient et dans la Syrie. Liv. I.

[37] Alexiade, liv. X, chap. XI.

[38] Tu as vaincu par l'épée du Messie. Ô Dieu, quel homme que ce Saint-Gilles ! (Chronique du cadi Mogir-Eddin, Extrait des Hist. arabes de M. Reinaud.)

[39] Mabillon a donné le texte de ces épîtres et chartres. Mabillon, Mus. Ital., tom. I, p. 2 à 237 ; comparez aussi Mart., Ampliss. Coll., tom. I, p. 621.

[40] Voyez les reproches d'Yves de Chartres, Epistol. 11.

[41] Duchesne, Histoire des cardinaux français, tom. II, p. 18.

[42] Yves de Chartres, Epistol. 66 et 84.

[43] Comparez avec Baldrici carmina dans Duchesne, t. IV, p. 276.

[44] Comparez Dubois, Hist. Ecclésiast. de Paris, p. 749. — Marlot, Hist. Remens., t. II, p. 222, et Vita Bernard. abbat, dans Duchesne, tom. IV, p. 167.

[45] Yves Carnotens., Epistol. 144.

[46] Boulay, Hist. Universit. Parisiem., tom. II, p. 14.

[47] Nisi sub testimonio personarum minime stupectarum, Duchesse, tom. IV, p. 233.

[48] Cette formule se trouve dans le Spicil. de d'Achery, tom. III, p. 128 et 129. — Gall. Christ., tom. II, p. 213.

[49] Voyez dans Duchesne, tom. V, p. 233.

[50] Eodem anno 1106, ut constat ex cartulario Sancti Nicolai, ejusdem urbit Andegavensis, VI idus octobris, luna nova feria quarta, venit rex Franciœ Philippus ad civitatem Andegavam eum regina nomine Bertrada, receptusque est a Fulcene comite. Chron. Andeg., ann. 1106.

[51] D'Achery, Spicileg., tom. II, p. 401.

[52] Orderic Vital, ad ann. 1103.

[53] Bénédictins, Art de vérifier les dates, tom. II, 2e partie, p. 108, in-4°. L'empereur Henri IV mourut le 7 août 1106.

[54] Voyez le cartulaire de l'abbé de Camps, Règne de Philippe Ier (famille royale).

[55] C'est par erreur que des critiques ont fixé sa mort en 1107.

[56] Voici une épitaphe du roi, recueillie par Petau :

Septem milleno centum simul adde resectot,

Tuncque scies annum, regem subiise Philippum.

Ingressum mortis dirœ milli renuentit,

Augusto quartas orbi signante calendas,

In feria dicta silvestri dogmate quarta.

[57] Le savant Mabillon, dans sa Diplomatique, a fait justement observer que Louis VI prenait le titre : Louis, fils du roi, et par la grâce de Dieu désigné roi des Français. Mabillon, de Re Diplomatica, lib. VI, n° 170, p. 594. Dans d'autres chartres on lit : Anno ab incarnat. 1105, Philippo, Ludivico filio ejus, regibus Francorum. — Martenne, Monum. veter., tom. II, p. 43.

[58] Yves Carnotens., 114, H. F., t. XV, p. 144.

[59] Toutes ces batailles féodales sont racontées dans Suger, Vita Ludovic. Gross., chap. X à XXI.

[60] Suger, Vita Ludovic. Gross., chap. X à XXI.

[61] Voici ce texte : Burchardus, comes Corboilensis.... cum ad regnum aspirans, quadam die arma contra regem assumeret, gladium de manu porrigentis recipere refutavit, astanti conjugi comitissœ, jactative sic dicens. Prœbe, nobilis comitissa, nobili comiti splendidum ensem, lœtabunda, quia qui comes a te recipit, rex hodie tihi reddet. Verum, e contrario, Deo disponente, contigit, etc. Suger, Vita Ludovic. Gross., chap. XIX.

[62] Foucher de Chartres rappelle plus d'une fois la différence des langues dans la croisade. Voyez chap. IV.

[63] Voyez Raoul de Caen, le chroniqueur spécial de la croisade de Bohémond : Gesta Dei per Francos, Bongars, in-fol.

[64] Raoul de Caen a retracé dans le style épique l'Histoire de la Croisade de Bohémond : Gesta Dei per Francos, Bongars, in-fol.

[65] Je ne sache rien de plus poétique et de plus animé que le récit de Raymond d'Agiles. L'inspiration provençale s'y révèle belle et dorée. Raymond d'Agiles, Gesta Dei per Francos, Bongars, in-fol.

[66] Aussi Raoul de Caen, le Normand ennemi des Provençaux, s'écrie : Franci ad bella, Provinciales ad victualia. Anne Comnène, en souvenir des colonies grecques, a d'autres opinions sur les Provençaux.

[67] Les Provençaux l'adoptèrent tous unanimement. Les Francs furent plus incrédules. Foucher de Chartres dit : Invenit lanceam, fallaciter occultatam fortitan. Mais la chroniqueur poétique Raymond d'Agiles s'écrie : Vidi ego quœ loquor et Domini ibi lanceam ferebam. Bongars, Gesta Dei per Francos, in-fol.

[68] Comme ce merveilleux de la lance correspondait à l'imagination des Orientaux, l'historien arabe Ibn-Giouzi la rapporte tout entière. Voyez Bibliothèque des Croisades, de M. Reinaud (partie arabe).

[69] Kemal-Eddin parle des mauvaises dispositions du peuple de l'Arménie à l'égard des musulmans, et leur sympathie pour les chrétiens. (An de l'hégire 491.)

[70] Consultez spécialement Raoul de Caen pour cette expédition de Tancrède à Édesse ; Albert d'Aix parle des vives querelles entre Baudouin et le Normand, liv. III et VII.

[71] La sécheresse et l'aspect de cette terre désolée frappaient de douleur les pèlerins des pays riches en pâturages ; l'eau était si mauvaise, que les chevaux eux-mêmes la repoussaient. Equi ea odorata nares contractas rugabant et prœ fastidio nausœ sternutabant. (Baudri, lib. IV.)

[72] On s'est étrangement trompé en suivant encore la poésie du Tasse pour expliquer les motifs du refus de Robert, duc de Normandie ; le chroniqueur Brompton seul les a très-bien indiqués. Magis eligens quieti et desidiœ in Normannia deservire quam regi regum in sancta civitate militare (Anglic. scriptor.) Collect., tom. I, p. 1002.

[73] Sur la conduite des Grecs il faut mettre sans cesse en présence Anne Comnène et les chroniqueurs de la croisade, recueillis dans le Gesta Dei per Francos de Bongars. Les versions restent tout à fait diverses. (Alexiade, liv. X.)

[74] Il existe de curieux Mémoires sur l'Arménie, par M. Saint-Martin. On peut y trouver des détails sur la situation des Syriens et des Arméniens pendant la croisade. Le chroniqueur arabe Kemal-Eddin en parle aussi (An de l'hégire 491,)

[75] L'histoire du royaume de Jérusalem est surtout exactement racontée dans Guillaume de Tyr, le plus impartial des historiens des colonies chrétiennes d'Orient, liv. IX et suivants.