HUGUES CAPET ET LA TROISIÈME RACE

 

TOME PREMIER

CHAPITRE VIII. — LA SOCIÉTÉ AU Xe SIÈCLE.

 

 

Les serfs. — Les manants. — La servitude. — La terre. — La hiérarchie des fiefs. — L'Église — Les barons. — Tendance vers la liberté. — L'hérésie. — Esprit de sédition. — Premier symptôme de la Commune. — La science. — L'évêque Gerbert.

LE Xe SIECLE.

 

Le cri douloureux que poussait la société au Xe siècle donnait un aspect triste et désolé à toute cette génération. Il n'y avait rien de franc et de libre dans le peuple ; la servitude était le caractère général ; les symptômes de liberté ne se révélaient que faiblement. Partout l'on voit les hommes suivre la condition de la terre, s'y rattacher comme un accessoire ; quand un baron, un simple possesseur d'alleu ou de fiefs donne sa manse à une église, à un monastère, il comprend dans ses moulins, ses fours banaux, les serfs, les hommes des champs, les vilains qui tiennent aussi fortement au sol que la tour et les murailles de la châtellenie. Les chartres proclament ce principe du droit romain : le serf est la chose du maître. Ce n'était point, certes, la faute des vieilles coutumes ; il y avait dans la multitude quelque chose de si laid, de si hideux, de si faible, de si lâche, qu'elle méritait, hélas ! la chaîne qui pesait sur elle. Quand on contemple les monuments de cette époque, on s'explique ce caractère général de servage et cette distinction qui séparait l'homme d'armes de l'homme de la terre. Une notable différence se révèle entre le Franc à la tête belle, au front haut, aux formes élancées, et ces serfs petits de corps, difformes de face, contournés affreusement, qui vous regardent de leurs yeux ronds et hébétés[1] ; quel courage pouvait-on trouver dans de telles créatures ? où chercher des sentiments généreux dans ces avortons noués, méchants et lâches tout à la fois comme les Sosies et les esclaves des comédies de Plante et de Térence ? La nature hideuse est naturellement mauvaise et pusillanime ; les tourbes de serfs qui s'abaissaient pour recevoir le fouet du majordome n'avaient pas le cœur assez haut pour saisir le glaive et courir sur les Hongres et les Normands qui dévastaient le territoire ; ces serfs se réfugiaient, tremblants de peur, dans les vastes souterrains des châteaux, et c'était le féodal qui défendait leur vie. Pourquoi, dès lors, le baron n'aurait-il pas acquis le droit de disposer de ces serfs comme de sa chose ? L'esclave s'accroupissait dans l'étable des nobles coursiers qui, au moins, couraient braver, en' hennissant, les traits des arbalètes et de l'arc des Hongres sauvages. Le chevalier brave et hardi ne devait-il pas traiter avec plus d'amour ce fier animal que le serf sans courage qui se cachait sous le fumier de l'écurie ou s'abritait dans le souterrain[2] ?

Le caractère général du Xe siècle fut la servitude, parce qu'à côté des hommes forts qui osaient défendre les propriétés et les personnes, il y avait des lâches qui n'avaient pas le cœur aux batailles ; de là les grandes habitudes de recommandations personnelles que Ton rencontre si souvent dans les Chartres ; on sent le besoin de protection et de suzeraineté. Voici un homme libre, il habite son champ, la cité ; et pourquoi ne saisit-il pas les armes quand l'invasion menace[3] ? Ah ! le cœur lui manque ; il est isolé, il vient s'agenouiller devant un seigneur, il demande appui, protection ; eh bien ! le féodal le prend et lui assure la vie en échange de l'indépendance ; c'est un contrat libre entre celui qui brave la mort et celui qui frissonne au bruit des chevaux, au sifflement de l'arbalète. Le serf couard donne son corps à la terre pour la cultiver ; le noble homme donnera bientôt à cette même terre son cadavre mutilé aux batailles pour l'engraisser, car peu do féodaux vieillissaient, peu mouraient au foyer domestique en caressant leurs lévriers ; les corbeaux ont leurs dépouilles quand leurs ossements ne se mêlent pas au sillon dans la campagne désolée[4].

Quelquefois cependant on trouve le serf saisissant la vie active avec le courage au cœur et le feu à la tête. Dans l'admirable récit d'Aimoin sur les miracles de saint Benoît, il est un épisode de bataille et de duel au bâton entre un serf de l'abbaye de Fleury et un serf fin seigneur de Pithiviers ; leurs épaules ruissellent de sueur, ils se prennent corps à corps, s'enlacent, se frappent, se brisent. Et de quoi s'agit-il ? de décider par le jugement de Dieu si le serf de l'abbaye appartient au sire de Pithiviers ; c'est un servage contre un servage[5]. Presque toute la classe intermédiaire disparaît ; vous chercheriez en vain des municipes, des bourgeois paisibles, de pacifiques commerçants ; ces classes-là ne grandissent qu'aux temps calmes. Aux époques sanglantes et d'héroïsme, il n'y a que les combattants et les serfs de ceux qui combattent : que voulez-vous que fassent les hommes qui n'ont pas assez de courage et de forces pour se défendre ? Au Xe siècle, tout porte les armes ou est serf : ce n'est pas dire qu'on ne puisse jamais sortir de ce servage, car du sein de ces esclaves il s'élève quelquefois des hommes d'énergie et de courage ; eh bien ! ceux-là deviennent puissants et sires eux-mêmes. Les Regnault, les Rutland, les Lupus de Gascogne, les Sanche de Navarre, d'où venaient-ils ? d'où sortaient-ils à leur origine ? Croyez-vous que les féodaux, ces pillards d'église, les Buchardus-Montmorenci eux-mêmes, fussent des hommes au lit mollet, quelques grands de la race carlovingienne amollie ? Oh ! non, leur ancêtre était souvent un serf de corps ou de terre ; il avait senti son sang bouillonner[6] ; le voilà avec quelques compagnons qui se mettent aux champs ; comme ils ont l'énergie suffisante pour combattre, ils deviennent seigneurs et maîtres ; ici une vieille tour de construction romaine est leur repaire ; là, c'est la cité tout entière dont ils expulsent l'évêque ; ils sont dominateurs parce qu'ils sont forts ; le serf ne reste serf que parce qu'il est lâche : dans les temps d'énergie, il n'y a point de classe intermédiaire ; on est vainqueur ou vaincu sans milieu. La condition de la terre, sous les Carlovingiens, était la même que celle de l'homme ; il y avait beaucoup d'alleux ou manoirs libres : Charlemagne avait établi un système régulier d'administration. Le franc propriétaire habitait ses manses sous la protection des capitulaires ; il devait le service de son bras, la dîme imposée par les missi dominici ; les bénéfices d'église ou d'armes ne formaient pas la majorité des propriétés en France ; s'il y avait des fiefs soumis à la hiérarchie, il y avait pour le moins autant de terres libres. Mais à l'époque de l'invasion des Hongres, des Sarrasins et des Normands, une même révolution se produisit pour la propriété et pour les personnes ; bien des possesseurs d'alleux n'osaient se défendre seuls, isolés sur leurs terres ; il n'y avait que quelques hommes au puissant courage qui pussent ainsi offrir leur poitrine aux envahisseurs : que faire alors, si ce n'est chercher un suzerain dans l'ordre des fiefs ? Ici on donnait en servage sa personne pour obtenir protection ; là sa terre pour la sauver ; on réclamait appui[7], parce qu'on n'avait pas assez d'énergie pour se protéger soi-même : la faiblesse et la lâcheté, voilà les deux sources de servage pour les personnes et pour les terres. Avait-on besoin de se vouer à un supérieur, si l'on avait la fermeté au cœur pour courir à la face des Barbares ? Le Xe siècle est l'apogée du double système du servage de l'homme et de la propriété ; tout se place sous la hiérarchie des forts ; il n'y a plus de terres et d'hommes libres ; les alleux et les municipes ont presque tous disparu ; l'isolement est la faiblesse ; la féodalité est la force, le contrat d'union qui lie les hommes à la propriété.

Quand la liberté matérielle s'efface, quelques symptômes d'indépendance intellectuelle se manifestent par l'hérésie ; ils sont peu saillants encore, et ne vont pas au delà d'une grossière révolte, d'une superstition nouvelle. Tandis que l'Église catholique marche vers son unité en formulant un corps de doctrines, il y a des systèmes qui apparaissent comme une résistance à ses solennelles prescriptions. Deux écoles d'hérésie se révèlent au moyen âge : la première résulte d'une forte exaltation d'idées, d'une exagération des facultés de l'esprit, de cette intuition qui se joue dans un monde fantastique ; la seconde école est rationnelle, elle tend à l'examen, aux conditions d'une réforme dans la discipline et les dogmes de l'Église catholique. Les hérésies se montrent avec hardiesse : dans la ville de Sens, on découvrit des hommes d'étude qui se représentaient Dieu comme un roi aux cheveux et à la barbe blanche, assis sur un trône d'or, au milieu d'un monde de lumières ; Michel l'archange s'agenouillait devant le trône céleste. D'autres hérésiarques se rattachaient aux opinions des manichéens. En 1017, dit le moine Glaber, on découvrit dans la ville d'Orléans une hérésie impudente et grossière qui, après avoir longtemps germé dans l'ombre, avait produit une ample récolte de perdition, et fini par envelopper un grand nombre de fidèles dans son aveuglement. Ce fut, continue Glaber, une femme venue d'Italie qui apporta dans les Gaules cette infâme hérésie. Pleine des artifices du démon, elle savait séduire les esprits, non-seulement ceux des idiots, mais la plupart même des clercs les plus renommés par leur savoir n'étaient pas à l'épreuve de ses séductions. Elle vint à Orléans, et le court séjour qu'elle y voulut faire lui suffit pour infecter plusieurs chrétiens de sa doctrine empoisonnée. Bientôt ses prosélytes firent tous leurs efforts pour propager cette semence du mal. Il faut même l'avouer, ô douleur ! les hommes les plus distingués du clergé de la ville, également fameux par leur naissance et leur science, Héribert et Lisoie, furent les deux chefs de cette hérésie criminelle. Cependant, tant qu'ils surent tenir leur opinion secrète, ils jouirent de l'amitié du roi et des grands du palais. Ils trouvèrent ainsi plus de facilité à surprendre les cœurs qui n'étaient pas enflammés d'une loi assez vive. Us ne se bornèrent pas à corrompre la ville, ils essayèrent encore à faire circuler dans les cités voisines le poison de leur doctrine. Ils voulurent même communiquer leur folie à un prêtre de Rouen, d'un esprit solide. Ils lui envoyèrent quelques-uns de leurs complices, chargés de lui expliquer tous les secrets de leurs dogmes pervers, et de l'initier à leurs mystères. Us lui annoncèrent en même temps que leur opinion allait être bientôt embrassée par le peuple, Le prêtre, instruit de leurs vues, courut communiquer ses inquiétudes au pieux Richard, comte de Rouen, et lui développa tout le plan du complot dont il était informé. Ce comte, de son côté, envoya en toute hâte vers le roi, et lui dévoila la contagion secrète qui menaçait d'infecter dans son royaume toutes les brebis du Christ. Le roi Robert, à cette triste nouvelle, conçut une profonde affliction, car c'était un prince sage et un chrétien fidèle, et il craignait tout ensemble la ruine de sa patrie et la peinte des âmes, lise rendit donc promptement à Orléans, et après y avoir convoqué des évoques, des abbés et des laïques religieux, il lit commencer vivement les poursuites contre les auteurs de cette doctrine perverse et contre les adeptes qu'elle avait déjà séduits. On fit donc des recherches exactes sur l'opinion personnelle de chaque clerc, on s^assura de sa croyance entière aux vérités transmises par la doctrine des apôtres, que la foi catholique conserve et enseigne dans toute leur pureté : c'est alors que Lisoie et Héribert trahirent leurs sentiments secrets, en reconnaissant qu'ils ne professaient pas les mêmes principes. Plusieurs autres, après eux, déclarèrent qu'ils partageaient leur doctrine et qu'ils voulaient partager aussi leur sort.

Robert et les évêques firent subir aux accusés un interrogatoire secret, par égard pour la probité et l'innocence de mœurs dont ils avaient toujours donné l'exemple jusqu'alors ; car Lisoie, l'un d'eux, était le plus estimé des clercs du monastère de Sainte-Croix ; et l'autre, Héribert, était attaché à l'église de Saint-Pierre, surnommée l'abbaye des Pucelles, en qualité de chef et de directeur de l'école. Quand on leur demanda où ils avaient puisé leur erreur et depuis quand ils la pratiquaient, ils répondirent : Il y a bien longtemps que nous avons embrassé cette doctrine, qui vous est restée inconnue jusque aujourd'hui. Nous nous attendions toujours à vous la voir professer aussi comme tous les autres, de quelque rang, de quelque ordre que ce fût ; nous en conservons même encore l'espérance. Puis ils se mirent aussitôt à développer l'hérésie la plus vieille, comme aussi la plus sotte et la plus misérable, qui pourtant les avait fait succomber, quoique toutes les conséquences qui se déduisaient de leur système reposassent sur des bases d'autant moins raisonnables qu'elles étaient mille fois plus contraires à la vérité. Ils disaient, par exemple, qu'il fallait regarder comme des rêves délirants tout ce que l'ancien et le nouveau canon nous enseignent de la Trinité des personnes dans l'unité de Dieu, de cette vérité fondée sur les signes et les prodiges les moins équivoques, sur les témoignages les plus anciens, sur les autorités les plus saintes. Us assuraient que le ciel et la terre avaient toujours existé tels que nous les voyons, sans créateur. Enfin, après avoir hurlé comme des chiens, et exhalé dans leur folie les horreurs accumulées de toutes les hérésies, ils finirent par professer aussi l'hérésie d'Épicure, en ce qu'ils prétendaient avec lui que les excès et les crimes n'avaient à craindre ni punition ni vengeance, et que toutes les œuvres de piété et de justice par lesquelles les chrétiens croyaient mériter les récompenses éternelles, n'étaient que peine inutile. Telles furent en partie les impostures grossières qu'ils ne rougirent pas d'avancer ; et il y avait là beaucoup de fidèles tout prêts à rendre témoignage à la vérité, à réfuter leurs erreurs et à les convaincre de leur aveuglement, si toutefois ils avaient voulu seulement ouvrir leurs yeux à la lumière et leur âme au salut[8].

Les hérétiques soutenaient donc l'éternité de la matière, l'unité du principe créateur, et la fatalité dans les actions humaines, doctrines bien osées au sein de la société du moyen âge ; l'hérésie était une sorte de révolte morale contre le principe de civilisation posé par le catholicisme. Quels étaient les hommes assez hardis pour s'affranchir de l'Église ? Aussi la plus grande répression suivit l'apparition de l'hérésie ; Robert vint lui-même à Orléans, et se plaça, les yeux courroucés, devant la cathédrale, au milieu du pronaos dont on élargissait le cintre. Les hérésiarques parurent en sa face ; c'étaient des clercs, des bourgeois, vêtus simplement, avec une expression indicible de résignation et de sincérité. Le roi les interrogea lui-même, et tous répondirent fermement jusqu'à la fin : Ce que nous croyons, tout le monde doit également le croire[9]. Alors le roi leur répéta : Persistez-vous dans cette erreur ? Aussitôt on éteignit les flambeaux, les clercs hérésiarques furent dégradés ; un bûcher de frênes et de sapins s'éleva sur la grande place d'Orléans, et illumina la ville d'une couleur rougeâtre[10] Pendant ce temps, la reine Constance était restée sur le seuil de l'église ; la multitude murmurait, car tous, clercs, peuple, serfs voulaient mettre en pièces les hérésiarques. Il nous les faut déchirer de nos mains, s'écriaient-ils. Constance les apaisait à peine en leur montrant le bûcher qui s'élevait pour eux. Enfin ces malheureux hérésiarques, couverts d'une aube blanche, sortirent processionnellement de l'église ; ils paraissaient calmes, résignés au milieu des insultes du peuple ; ils marchaient pêle-mêle, hommes, femmes, enfants, poursuivis par les risées et les ardentes paroles des serfs, des clercs et des chevaliers. Quand le lévite Lisoie parut devant la reine Constance, celle-ci, la bouche exhalant la colère, lui creva l'œil avec un roseau qu'elle tenait en main, car elle était fort emportée ; le peuple applaudit avec fureur à cet acte de barbarie qui était dans les mœurs. Hélas ! tous ne se montrent-ils pas barbares aux époques d'exaltation et de fanatisme ? tous sont portés à cette sauvagerie qui dépèce en riant les cadavres. Les pauvres hérésiarques furent conduits au bûcher ; quand ils virent les flammes s'élever, telle était leur foi, qu'ils crurent que ces flammes les respecteraient au milieu d'une voûte ardente. Ce furent aussi des grincements de dents, des cris aigus lorsque les premières douleurs se firent sentir ; quelques-uns s'agenouillèrent pour faire l'aveu de leur erreur, la voix expira sur leurs lèvres ; et quand le peuple voulut les délivrer, car ils étaient repentants, leurs corps n'étaient plus qu'un monceau de cendres ; ils étaient consumés par les flammes comme ils le seront en enfer, et ils mériteront aussi les peines éternelles[11].

Il était rare que l'hérésie ne fût pas accompagnée de quelque mouvement de peuple, de quelque expression tumultueuse du bourg, de la cité ou de la campagne. Si le caractère général du Xe siècle fut la servitude, il y avait déjà des révoltes confuses de serfs qui signalaient une certaine tendance vers un peu de liberté désordonnée. Les chroniques révèlent une fermentation d'esprit ; on n'a point encore prononcé le mot de commune, pour la défense mutuelle ; mais les serfs et les manants éprouvent un frissonnement d'indépendance : on dirait qu'ils se préparent à secouer leurs chaînes pour briser le crâne de l'abbé ou du seigneur qui les tient en servage. Tantôt ce sont les métiers d'une ville, tantôt les pauvres laboureurs de la campagne, tantôt les habitants d'un bourg, ou bien les serfs cachés dans le manoir, qui prennent les armes ; ici pour s'exempter d'un impôt vexatoire, là pour s'affranchir d'une corvée trop dure qu'impose le majordome ou l'abbé[12] ; la plupart de ces révoltes sont réprimées. Les chevaliers bardés de fer viennent facilement à bout de ces serfs mal armés ou de ces bourgeois indociles ; et comme le dit le roman de Gérard de Nevers, chaque paladin enfile dix ou douze vilains dans le dur bois de sa lance, comme si c'étaient oiseaux friands à embrocher. Le temps n'était pas venu encore où les manants proclamaient la commune aux cris sauvages de liberté, au bruit du beffroi dans la paroisse. Les forces ne sont point égales. La féodalité domine l'homme et la terre ; elle ressemble à ces durs anneaux de fer rouillés qui pressent les pieds et les mains du captif. Le peuple est en effet captif ; il n'a pas les lumières encore pour comprendre son état d'abjection, et il n'a pas au cœur la force suffisante pour conquérir son affranchissement

Cependant chaque siècle trouve sa personnification scientifique dans un homme plus éminent que ses contemporains ; toutes les idées se groupent autour d'une grande intelligence ; elles font cortège à cette reine, comme les étoiles du firmament saluent le grand astre qui les illumine de ses rayons ; ainsi dans la nuit du moyen âge se leva Gerbert, esprit qui résuma toute la science. C'est une vie bien pleine que celle de Gerbert depuis élu pape sous le nom de Sylvestre II ; depuis sa naissance obscure jusqu'à son pontificat, elle est comme l'élévation du génie à la papauté. L'intelligence supérieure de l'époque fut ainsi appelée au gouvernement de l'Église. Gerbert ou Girbert, quelques chroniques disent Gerlent, naquit à Aurillac, dans l'Auvergne, vers le milieu du Xe siècle[13]. L'Auvergne était alors sous des comtes féodaux, dont les habitudes batailleuses avaient acquis une grande renommée. Gerbert fut consacré à la vie monastique dans la solitude de Saint-Gérauld ; on y remarqua bientôt son application à toutes les études, et l'écolâtre du monastère dit à l'abbé que Gerbert serait un prodige dans la grammaire et l'enseignement ecclésiastique[14]. Le jeune moine fut envoyé à Barcelone, auprès des comtes de la marche d'Espagne, car la renommée retentissante qu'avaient acquise les écoles de Séville et de Cordoue attira cette ardente imagination ; les sciences exactes étaient grandies parmi les Arabes : la géométrie, les calculs des astres, l'application des nombres et des mathématiques, toutes ces sciences avaient obtenu dans les villes moresques un vaste développement. Les Tables de Ptolémée s'étaient transmises sous le califat aux savants docteurs de l'islamisme, et dans les écoles d'Espagne au milieu des mosquées ou des alcazars, renseignement trouvait des maîtres et des élèves nombreux : Gerbert y vint étudier ; il acquit une si merveilleuse intelligence, qu'on disait à son retour qu'il était devenu magicien[15].

A cette époque, l'homme qui devinait le temps, mesurait les distances, ou savait prendre les hauteurs des tours élevées passait aux yeux du peuple pour un être extraordinaire, pour un de ces mystérieux esprits qui soulevaient les ombres funèbres sous le marbre des tombeaux. On voyait Gerbert incessamment occupé à tracer des caractères inconnus, des signes cabalistiques, des lignes courbes ou droites, des constellations sous toutes les formes ; on le voyait, l'astrolabe en main, parcourir sur la sphère céleste la marche des astres et pénétrer dans la profondeur des temps ! Tantôt Gerbert dessinait sur la muraille des cathédrales le cadran solaire pour marquer les heures qui fuient ; tantôt il animait, par les lois delà mécanique, un automate qui se mouvait comme le corps humain ; tantôt enfin, par les combinaisons ingénieuses du vent et de l'eau, il donnait mille voix étranges ou harmonieuses à ces tuyaux des orgues qui bruissaient dans les églises[16]. A l'aspect de tous ces résultats, le peuple accusait Gerbert de magie ; on l'avait vu en compagnie de diables noirs et puants ; on avait vu autour de lui voltiger les esprits aux noires ailes, comme les chauves-souris et les chats-huants des vieilles tours, il avait employé des caractères inconnus pour deviner les sorts, pour remuer le passé, le présent et l'avenir. Ces accusations vulgaires n'empêchèrent point l'avancement de Gerbert ; attaché d'abord à la cathédrale de Reims, il en reçut le pallium d'archevêque ; et ainsi revêtu des hautes fonctions épiscopales, il ne cessa d'enseigner dans les églises, et les contrées diverses lui durent la fondation de plusieurs écoles de clercs et de serfs aux manoirs[17].

Dans les disputes de l'archevêché de Reims avec la race capétienne, Gerbert donna sa démission ; il vint en Italie, toujours dévoré du besoin de s'instruire ; il visita les écoles de Ravenne et de Milan ; il put joindre de cette façon les vastes études mathématiques des Arabes aux enseignements plus solides de l'Allemagne Gerbert devint l'homme de la renommée ; l'universalité catholique retentit de son génie ; la protection d'Othon l'empereur le poussa d'abord au siège de Ravenne, puis Gerbert, montant à l'échelle d'or et de gloire, fut promu à la papauté après la mort de Grégoire V. Les chroniqueurs ne tarissent pas sur les causes mystérieuses de cette élévation de Gerbert au pontificat ; ils l'attribuent à la magie, aux maléfices jetés sur le conclave par l'évêque de Ravenne ; alors on répéta toutes les accusations des temps où Gerbert avait étudié dans les écoles de Séville et de Cordoue. Le nouveau pape prit le nom de Sylvestre il, et sa gloire parvint ainsi à son apogée[18]. Sylvestre II fut un des pontifes les plus fermes, les plus décidées ; on le voit, à la tête de quelques soldats de Rome, comprimer les insurgés de Tibur et de Césenne ; puis, le premier des papes, il conçut la pensée d'une grande délivrance de Jérusalem. Sylvestre II comprenait tout ce qu'il y avait de force et d'énergie dans une croisade, il créait ainsi la milice du Christ. La lettre de Gerbert à l'Église universelle est d'une merveilleuse éloquence ; il s'identifie avec Jérusalem, il fait parler cette reine ? détrônée, cette veuve dans la douleur ; Sion s'adresse à ses enfants, elle invite les cœurs brisés à venir la délivrer, elle qui vit s'opérer dans son sein les mystères du rédempteur[19]. Ces paroles brûlantes tirent une si grande impression, que les Pisans prirent spontanément la croix et préparèrent une expédition pour la terre sainte. Gerbert ne survécut pas longtemps à cette manifestation catholique, il mourut la cinquième année de sa papauté[20], toujours occupé de la science et se vouant à elle, entouré d'astrolabes, de sphères, de livres écrits en caractères arabes et hébreux, tout resplendissants des signes cabalistiques. Aussi, dans le vulgaire, Gerbert, bien que pape, passa toujours pour maître en sorcellerie ; quelques jours avant sa mort, il inventa encore les moyens de détourner la foudre quand l'orage grondait sur la plaine : Gerbert faisait planter des bâtons en terre avec un bout de lance fort aigu, si bien que la foudre tournoyant s'abîmait ensuite sous le sol.

Les écrits de Gerbert sont nombreux ; les plus remarquables de tous furent, 1° l'Abacus, le livre subtil de l'arithmétique[21]. C'est un développement delà règle des nombres, un traité complet des chiffres arabes et de géométrie, la division des unités et des quantités dans les nombres ; on l'appelait le livre des multiplications ; 2° le Rhythmonachia, traité du combat des nombres et des chiffres[22]. Il existe aussi un traité de géométrie composé par le pape Sylvestre II. Tout y est examiné, et la mesure des temps, et l'intelligence des quantités ; il applique les premières règles à la musique, au rouage de l'horloge, aux tuyaux de l'orgue qui bruissent harmoniquement par l'action de l'eau ou du vent introduit dans les soufflets. S'il aime les mathématiques, Sylvestre II n'oublie pas la versification et le rythme, qui sont la musique du langage ; il étudie l'antiquité, il se complaît à fixer des règles pour la parole écrite. Gerbert n'est point le partisan des langues vulgaires, il reste grammairien dans ses épîtres. La philosophie, la dialectique, ces sciences, Gerbert les compare à deux sœurs qui marchent le front haut dans les voies de l'intelligence[23]. Le pape les protège de tous ses efforts ; il écrit beaucoup, il médite plus encore ; Gerbert se pose comme le chef du catholicisme, et il veut élever l'Église comme un grand centre de lumière qui reflète tous ses rayons sur la société féodale.

Le Xe siècle ne tut point très-avancé dans les travaux scientifiques ; il y a toutefois à chaque époque une laborieuse tendance des esprits, tous marchent vers l'indicible besoin de s'instruire et de se perfectionner. Auprès de chaque cathédrale et des monastères antiques, il y avait une école de science : à Reims, à Orléans, à Saint-Martin-de-Tours, il s'était fondé des enseignements scolastiques sous la protection des évêques[24] ; la plus remarquable de ces écoles était celle de Metz : on y enseignait la grammaire, la philosophie de l'archidiacre Blidulfe. Parlerai-je du désert de Gorze, solitude studieuse, qui avait conquis alors une si haute célébrité ? L'enseignement des enfants se trouvait dans la cathédrale, les évêques en faisaient un devoir aux chanoines ; le principe de l'Église était que plus un clerc était instruit, plus il obtenait l'approbation devant Dieu. A Sainte-Geneviève de Paris, huit cents jeunes hommes étaient enseignés par les religieux, depuis l'aube, où l'on sonnait matines, jusqu'à midi, que commençait le travail manuel des solitaires et la lecture des livres saints[25]. La langue franque se formait lentement du latin corrompu et du vieil idiome gaulois ; tant de nations avaient passé sur ce territoire, que la langue n'était qu'un mélange de mots d'origines diverses. En Normandie, quelle langue était parlée ? était-ce le neustrien, le danois ou le latin ? ce mélange d'idiomes ne devait-il pas amener une indicible confusion ? Sur les places publiques de Caen ou de Bayeux, on devisait en danois et nortman[26], et en Bourgogne, en Provence, dans le pays des Basques, on pariait le patois du vieux peuple. La grammaire ne s'appliqua dès lors qu'à la langue latine ; on s'occupa d'en épurer les barbarismes, et quels que tussent ces efforts, les traces de l'invasion se montraient saillantes. Ce fut un continuel mélange du vieux gaulois et du latin ; si le clerc voulait s'adresser au peuple, au serf, au manant, ne devait-il pas employer les mots corrompus ? Il y eut alors une confusion de phrases latines et franques ; à côte d'une expression empruntée à la vieille Rome, à la basse latinité des villes de Lyon, Autun, Toulouse, on mêla les expressions dures, gutturales, des nations du Nord ; chroniques, Chartres, poésies, toutes ces traditions de la pensée contemporaine révèlent un chaos de mots, de syllabes et de tournures corrompues.

La poésie reste plus spécialement latine ; elle n'est pas une création hardie, cette langue des grandes idées par les belles images ; les moines scandent et imitent les vers latins des poêles de la vieille Rome, sans respecter la pureté et l'élégance qui grandissaient les œuvres de l'antiquité ; pour eux la poésie n'est que la mesure des vers, la césure, la rime matérielle. Il n'y a que les hymnes d'église qui se revêtent d'un caractère poétique et solennel, parce que là se montre la pensée de l'Écriture, la poésie hébraïque et chrétienne. L'hymne remue les douleurs de la vie, elle impressionne les âmes en rappelant les tristes déceptions de l'existence, et aux temps de grandes calamités une telle poésie répond à la pensée des générations. Bientôt vont apparaître et s'essayer les chants de Geste, les poésies chevaleresques qui secouent les antiques formes de la latinité, pour parler la langue franque et romane. Ces chants ont également peu d'invention, ils peignent les mœurs, ils reproduisent la société, mais la forme et le type du poème sont toujours les mêmes, soit que dans Gérard de Roussillon le trouvère recueille les exploits de Charles Martel, soit que dans Garin le Loherain, Girbert et Berte ans grans pies, le règne de Pépin le Bref fût raconté. Voulez-vous connaître l'époque de Charlemagne ? lisez Agolant, ou les Sarrasins chassés d'Italie ; Jean de Lanson, ou la Guerre de Lombardie ; Guiteclin de Sassoignes, ou les Guerres de Saxe, puis les Quatre Fils d'Aymon, Girard de Vianne, Ogier le Danois et Roncevaux, poétiques traditions des expéditions du grand Charles en Espagne[27].

La chronique est toute latine ; l'histoire n'a point assez de hardiesse pour emprunter la langue vulgaire, elle reste antique avec toute la simplicité naïve du moyen âge ; on ne trouve rien dans la chronique qui ressemble aux fortes pensées des Annales de Tacite et à la narration développée de Tite Live. De pieux moines rapportent les impressions, les phénomènes qu'ils ont observés, les événements qui se déroulent devant eux avec le temps ; ils n'ont pas assez de portée pour apprécier la conséquence des faits, ils rattachent tout à Dieu ; tout roule dans ce cercle inflexible que la Providence a tracé autour de nous. Les chroniques du Xe siècle sont sèches et dénuées d'intérêt ; soit que, comme Frodoard, l'archidiacre de Reims, on rapproche un à un les événements ; soit que, comme Raoul Glaber, on se jette dans une croyance naïve et raisonneuse qui explique tout avec la foi chrétienne ; soit que, comme Helgaud, le biographe du roi Robert, on décrive la vie pieuse et monastique du suzerain[28]. Il n'y a pas de chroniques encore dans la langue dos Francs, on n'ose confier la suite et la tradition des faits au parler vulgaire. Les souvenirs de Rome sont parvenus écrits en latin ; les fragments de Cicéron, les grandes œuvres d'Aristote, de Plante et de Térence surtout, arrivent aux monastères du moyen âge dans leur forme pure et primitive ; on les étudie, on les enseigne. Les manuscrits rassemblés sous la prévoyante administration de Charlemagne ont survécu ; quelques-uns apparaissent même sous le scel de l'empereur, où il est peint la barbe longue et blanche, les cheveux pendants, la tiare ou couronne d'or, les vêlements de pourpre et la boule du monde sur ses cinq doigts roides et amaigris. Cette étude de l'antiquité est fort répandue au milieu même des ténèbres et des douleurs du Xe siècle ; les épîtres des évoques, les poèmes, les vers, respirent une connaissance matérielle de l'antiquité ; on imite la césure, les formes et les comparaisons d'Horace, de Virgile et de Lucain même. On adapte la théologie chrétienne, les merveilles des légendes, à ces souvenirs de l'antiquité, et ce travail technique fait le fonds littéraire du Xe siècle[29].

Si l'histoire marche avec toute la naïveté des chroniques et de la vie des saints, les sciences exactes ne se séparent pas de cotte simplicité d'observation ; il y a un esprit curieux et attentif qui suit les faits : comme les moines, dans la solitude du désert, n'avaient pas les distractions du monde qui tourbillonne, les phénomènes se révélaient à eux avec un caractère solennel et fantastique : si l'étoile du ciel fuyait brillante, si la comète se montrait au firmament azuré avec sa queue d'argent ; si la tempête brisait la tête superbe des sapins dans la montagne ; s'il pleuvait des insectes et de l'eau de couleur rougeâtre comme le sang, s'il y avait un choc de nuées éclatant par la foudre comme des armées qui se heurtent ; si des feux phosphorescents resplendissaient sur le faîte des tombeaux, ces phénomènes étaient consignés dans la chronique avec les frayeurs des pauvres frères qui les avaient observés[30] ; on reportait tout à la colère de Dieu, à cette souveraine puissance qui annonçait les grandes catastrophes du genre humain. Quelquefois le chroniqueur veut expliquer les bouleversements qui l'effraient, et le volcan qui jette des flammes, et le vent qui siffle au sein des montagnes, et les stalactites merveilleuses qui brillent dans les entrailles de la terre, première source sans doute de ces traditions de palais de diamants que les fées créaient de leur baguette d'or dans les grottes profondes ; alors ces explications sont plus naïves que les faits observés en eux-mêmes ; c'était un mélange des théories de Pline et d'Aristote, une confusion des erreurs de l'antiquité dominées par ce besoin du merveilleux que la terreur jette dans les âmes ardentes[31].

Les arts mécaniques devaient faire plus de progrès, parce que cette espèce d'avancement dans l'esprit humain exige de solitaires études et une adresse matérielle, produit du silence et du loisir. Tandis que les sciences intellectuelles n'avançaient que graduellement, les arts mécaniques produisaient l'horloge qui marque la fuite du temps, l'orgue surtout dont les sons solennels faisaient vibrer le sanctuaire. Quand le génie se replie sur lui-même dans le désert, il naît de là souvent des merveilles ; il en sort quelque chose d'abrupt et d'une immense énergie : l'adresse de l'ouvrier est remarquable au Xe siècle ; soit qu'il commence les constructions des cathédrales i soit qu'il parsème les châsses saintes de topazes, d'émeraudes et de saphirs ; soit qu'il habille les manuscrits d'or plat et mat, d'ivoire et d'étoffes de soie tissues à Constantinople[32]. L'art du dessin est naissant encore, l'école byzantine le domine ; c'est cette carnation imparfaite, ces traits roides qui sont le type de la créature privée de l'idéalisme dans l'art ; le Christ, Pierre et Paul, la Vierge, avec leurs vêtements de pourpre et d'azur sur un fond d'or, ressemblaient à un cortège de rois et de reines que le galvanisme aurait un moment remués du tombeau en leur imprimant partout une vie factice et effrayante ; on y retrouve ces yeux sans animation, cette chair de cire vermillonnée, ainsi que l'école lombarde en a laissé les modèles à Rome, à Milan ou à Ravenne.

Le Xe siècle fut également l'époque de ces hymnes religieuses, de ces compositions pieuses d'une magnifique simplicité, que l'on chante encore dans les solennités de l'Église. Quand la génération soupirait des chants de douleurs à la face de tant de calamités, il n'était besoin que de traduire les émotions du peuple, et les gémissements de l'âme trouvaient un vague retentissement dans ces mille voix étranges que l'orgue jetait aux vents sous les Voûtes des cathédrales. Ces chants grégoriens étaient simples ; le grave faux-bourdon pénétrait l'esprit d'une sainte terreur comme les paroles de Dieu même, tandis que la voix sereine des enfants de chœur s'élevait comme le doux battement de l'aile des séraphins qui montent au ciel ; ce mélange de faux-bourdon et de voix argentines créait la grande mélodie religieuse du moyen âge ; et pour cela il ne fallait ni calculs mathématiques, ni études de clefs et de sons ; tout était d'inspiration comme la prière : elle venait de l'âme et montait vers le Dieu éternel[33].

Telle fut cette première période de la race capétienne ; on sent la force matérielle dans les hommes d'armes, la force morale parmi les clercs : la lutte s'engage pour conduire la société vers une idée d'ordre et de régularité. La féodalité fut le grand lien hiérarchique ; elle organisa le désordre, elle comprima la vie individuelle, en la faisant passer dans une subordination par la tenure du sol. L'ordre des fiefs fonda les devoirs pour les personnes et pour les terres ; plus tard toute propriété dut se lier intimement par l'hommage à la couronne ; tout homme eut son supérieur. La conquête du principe monarchique n'est point faite encore ; la royauté a plus d'une victoire à gagner avant d'arracher l'autorité aux barons ; Dieu lui soit en aide, car les papes et les rois de France devaient travailler pendant plusieurs siècles pour la civilisation et la liberté du monde !

 

 

 



[1] Voyez dans Montfaucon, Monuments de la Monarchie française, quelques-unes de ces figures de serfs dans les vieux monuments. Il y a aussi quelques manuscrits à la Bibliothèque du roi, mais des XIIe et XIIIe siècles seulement, qui reproduisent les serfs aux travaux de la campagne.

[2] Ducange, v° Servit.

[3] Baluze, Formul. Capitul., tom. II. — Ducange, v° Recommendat.

[4] Il existe peu de monuments qui nous reproduisent les barons mourant dans les habitudes paisibles des manoirs ; les obituaires les désignent presque tous comme morts aux batailles.

[5] Aimoin, de Miraculis sanct. Benedict. — Duchesne, tom. IV, p. 151, 152.

[6] Les généalogistes un peu sûrs ne vont jamais au delà du Xe siècle. Voyez sur l'antique noblesse du Midi le travail de dom Vaissète, en le comparant avec les Bénédictins. (Art de Vérifier les Dates, tom. III, in-4°.)

[7] Sur les recommandations personnelles et territoriales, voyez Ducange, v° Salvatum et Commendatio. Le mot feudum (fief) ne se produit pas avant l'an mil ; quelques Chartres de 950-960 portent pourtant le mot feum, ferum, corruption sans doute du mot feudum. Voyez Ducange, tom. II.

[8] Chronique de Raoul Glaber, liv. III, chap. VIII.

[9] Chronique de Raoul Glaber, ad ann. 1017.

[10] Sur ces hérésies du Xe siècle, consultez Martenne, Amplissim. Collect., tom. IV, p. 860. — Mabillon, Annal., tom. III, p. 594, n° 26.

[11] Raoul Glaber, Cronic. ad ann. 1017.

[12] En Bretagne, en Normandie, dans la langue d'oc même, il se manifeste des révoltes de vilains et de serfs. Voyez Orderic Vital, dom Maurice, Hist. de Bretagne, et dom Vaissète, Hist. du Languedoc, aux preuves. L'hérésie faisait déjà de grands progrès dans la langue d'oc.

[13] Mabillon, Annal., tom. II, p. 241, et Glaber lui-même, Epist., part. I, Epist. 45. Sa famille n'avait rien d'illustre. Obscuro loco natus, dit Adhémar de Chabanais, Chron., p. 69.

[14] Hugues Flavigni, Chron., p. 157. — Mabillon, Annal., tom. II, p. 242.

[15] Adhémar de Chabanais, Chron., p. 69. — Epist. Gerberti, p. 1, ep. 13.

[16] Comparez, sur la sorcellerie de Gerbert, Guillaume de Malmesbury, et Adhémar de Chabanais, chroniqueurs poétiquement crédules. Adhémar, Chron., p. 67.

[17] Mabillon, Annal., l. XLVI, n° 87. — Epistol. Gerberti, p. 1, ep. 17.

[18] Gerbert fut élevé à la papauté, propter summam philosophiam. L'exaltation de Gerbert eut lieu le dimanche des Rameaux, ann. 998.

[19] Gerbert, Epistol., part. I, p. 28. C'est là sa plus belle lettre.

[20] Le pape Serge IV a écrit l'épitaphe de Gerbert : Obiit a. dominicœ incarnationis MIII, indiclione I, mensis maii die XII. Quelques chroniqueurs ont maintenu l'accusation de sorcellerie même après la mort du pape.

[21] J'en ai vu un manuscrit dans l'abbaye de Saint-Emmeran à Ratisbonne ; il est fort ancien, in-4°, et porte ce titre : G.... liber subtilissimus de arithmetica ; l'Abacus porte également le titre d'Algorismus. Je crois également que la Bibliothèque du roi a un exemplaire de l'Abacus, cote 5366-5.

[22] Il y en a un manuscrit à la Bibliothèque du roi, n° 4001, fonds Colbert. L'abbé Lebœuf l'a très-bien analysé, et l'a rapproché avec le jeu des échecs.

[23] Je regrette vivement qu'il n'y ait pas de travail spécial sur la vie et les œuvres de Gerbert.

[24] Il existe une savante dissertation des Bénédictins sur l'état des lettres au Xe siècle, tom. VI de l'Histoire littéraire de France. Cette dissertation est exacte, mais sans élévation.

[25] Mabillon, Annal., p. 370-388.

[26] Les ducs de Normandie étaient même obligés de parler plusieurs langues.

Richard sout en danois

Et en nortman parliez,

Une charte sout lire et les parts diviser.

(Roman du Rou)

On parlait danois à Bayeux et même à Evreux. Voir Guillaume de Jumièges. (Duchesne, Collect. hist. norman.)

[27] Voir sur tous ces romans de chevalerie le catalogue des manuscrits publié par M. P. Paris, et sa préface de Berte aus grans piés.

[28] Frodoard, Glaber, Helgaud et Adhémar de Chabanais sont les chroniqueurs les plus curieux du Xe siècle. Il faut ajouter les chroniqueurs de Normandie qui se rattachent spécialement à l'Histoire de France, tels que Dudon de Saint-Quentin et Guillaume de Jumièges. Les croisades sont l'époque des belles et grandes chroniques : elles ont été recueillies dans les Gesta Dei per Francos de Bongars.

[29] Les Bénédictins, Hist. litter. de France, Xe siècle, tom. VI, in-4°.

[30] Voyez le tom. X de la grande collection des Historiens de France, par dom Bouquet.

[31] J'ai déjà donné l'opinion du moine Glaber sur les éruptions du Vésuve.

[32] Le plus merveilleux travail d'orfèvrerie et de bijouterie au Xe siècle vient de l'art lombard : on peut s'en convaincre par le bel autel de San-Ambrosio à Milan ; il m'a vivement frappé ; ces merveilles d'orfèvrerie ressemblent aux belles couvertures de manuscrits.

[33] Sur les progrès de la musique d'église, voyez la dissertation de l'abbé Lebœuf, § 8.