HUGUES CAPET ET LA TROISIÈME RACE

 

TOME PREMIER

CHAPITRE V. — GOUVERNEMENT DE HUGUES CAPET.

 

 

Concessions aux barons. — Aux églises. — Suzeraineté du roi. — Oppositions. — Le duc d'Aquitaine. — Réunion au domaine. — Actes et chartes de Hugues Capet. — Lutte avec la race germanique. — Déposition de l'archevêque de Reims. — Association de Robert à la couronne. — Mort de Hugues Capet.

987—996.

 

Hugues Capet, roi des Francs, avait reçu l'onction des clercs dans la cathédrale de Reims, au même lieu où Clovis avait été sacré. Les Francs avaient leur chef, leur conducteur militaire ; ils pouvaient se porter sur la Meuse et sur le Rhin pour combattre. Si le pays était envahi, n'avaient-ils pas à leur tête l'héritier de ce Robert le Fort, que les chroniques appelaient le Macchabée ? Le roi était désormais Hugues à la forte tête (Caput ou Capet) et au bras plus rude encore[1]. Dès son avènement, Hugues fit une large distribution de bénéfices militaires ; il jeta nombre de terres à ses comtes, à ses leudes ; il se montra généreux, magnifique envers tous : il le fallait bien, car ceux-ci l'avaient fait leur roi. Chacun put élever ses tours, ses châteaux sur la montagne ; les vertes prairies, les gras pâturages, les moulins, les péages, les juridictions, tout fut concédé aux hommes d'armes. L'édit de Piste fut confirmé ; chaque terre eut son seigneur, et chaque seigneur fut libre dans la hiérarchie ; il n'y eut pas de supérieur en droit ; le contrat féodal fut volontaire. Et pourquoi vouliez-vous, quand on avait de braves suivants d'armes dans la tour fortifiée sur le rocher qu'on ne la gardât pas pour soi, et pourquoi vouliez-vous, quand on était le plus hardi, qu'on se soumît à un supérieur ?

Les clercs ne furent point oubliés par Hugues Capet dans les largesses de l'avènement ; des chartres de donations pieuses se multiplièrent : ici c'est un droit de pêche accordé à un abbé fort désireux de bons et gros poissons ; là le droit de chasse, les fours banaux, les moulins communs, les péages, ces dons, le roi les concède aux monastères ; voilà des terres bien verdoyantes, des forets épaisses, de petits villages peuplés de serfs, Hugues les aumône à des abbayes, à des moines, comme fondation pieuse, ou à un leude pour un service de guerre ou de corps. Toutes les fois que le roi tenait une cour plénière dans une province, il marquait sa présence par des chartres[2] scellées en son scel ; s'il s'arrêtait en un gîte au monastère, il léguait quelque chose à la châsse du saint. L'existence voyageuse de la royauté militaire multipliait ces concessions ; il fallait payer ce droit d'hospitalité sous le toit d'une abbaye ou d'une châtellenie ! L'avènement de Hugues Capet ne lui donna que le titre de roi et la suzeraineté sur les propres terres de son domaine. Il n'y eut pas en France d'autre révolution ; chaque grand vassal resta libre et acquit même par cet avènement plus d'indépendance encore. Les comtes de Paris, ducs de France, n'étaient que les égaux des ducs de Bourgogne, de Normandie et des comtes de Champagne. Quand il s'agissait de la race carlovingienne, il y avait un droit en quelque sorte inhérent à la suzeraineté ; la vieille famille avait pour origine et pour chef l'empereur ; il y avait des liens, des souvenirs, une supériorité antique et constatée ; mais ce Hugues qu'on élevait sur le pavois, avec la couronne au front, quel était-il ? n'était-ce pas le pair des ducs et comtes féodaux dans la juridiction royale ? d'où pouvait venir sa suzeraineté ? la terre qu'il possédait n'était ni ])lus étendue ni supérieure ; les vassaux eux-mêmes ne lavaient-ils pas élu ? A quelles conditions devait-on reconnaître son avènement[3] ? Le nouveau roi avait la juridiction sur ses propres domaines, et encore il ne commandait pas au delà de quelques terres, bois et châtellenies : l'avait-il également sur ceux des autres barons, ses égaux ? L'avènement de Hugues Capet consacrait la féodalité la plus indépendante, chacun restant libre de reconnaître son supérieur. De là résulte une grande confusion ; des Chartres aux extrémités des Gaules, parmi les Catalans eux-mêmes, sont datées du règne de Hugues Capet[4]. Dans des terres plus rapprochées, l'indication du règne est omise ; chacun reconnaît le suzerain qui lui convient, il n'y a pas de règle fixe ; c'est l'anarchie féodale la plus complète ; le roi des Francs est encore le duc de France pour un grand nombre de fiels.

Ce fui surtout dans l'Aquitaine que la résistance devint plus absolue ; l'Aquitaine formait un grand fief, et dans le temps un véritable royaume ; les Pépin, fils et petits-fils de Charlemagne, l'avaient originairement gouverné ; il en était résulté un souvenir dans la race méridionale pour les Carlovingiens, si bien qu'aucun fief de Guienne n'avait reconnu ni Eudes ni Robert, ducs de France ou rois[5]. Le duc d'Aquitaine ne voulut point dater ses Chartres du règne de Hugues Capet ; il protesta dans ses actes contre ce qu'il appelait l'envahissement de la couronne. Il y avait peut-être aussi haine de race ; les Visigoths n'avaient jamais aimé les Francs : l'esprit indépendant des municipes du Midi protestait contre toute tentative de suzeraineté. Guillaume, duc d'Aquitaine, dit un vieux chroniqueur, ne pouvant souffrir l'injustice que les Français avaient faite à Charles, duc de la basse Lorraine, en se soumettant à Hugues Capet, ne voulut point reconnaître celui-ci pour roi[6]. Les Chartres contemporaines témoignent, dans la plupart des villes du Midi, que la reconnaissance de Hugues Capet ne fut point unanime : ici elles sont datées du règne de Louis V enfant ; là elles disent : Dieu régnant, en attendant le roi ; le roi terrestre absent[7], et la suzeraineté en veuvage. Les peuples du Midi restent fidèles à la race de Charlemagne, ou, pour parler plus exactement, ils demeurent dans leur propre indépendance. Il faut se rappeler ensuite que le royaume d'Arles était germanique, et que les populations visigothes n'avaient point oublié leur origine primitive : le Limousin fut la dernière terre qui reconnut la suzeraineté d'Hugues Capet ; ses braves barons respectèrent le sang de Charlemagne[8]. Quelques Chartres isolées sont datées du règne de Hugues Capet ; les monastères surtout se rappellent avec une sainte joie que Hugues est le fils des ducs de France qui avaient pris les abbayes sous leur patronage. Les églises venaient donc saluer leur protecteur et leur défenseur d'épée.

Hugues Capet exerçait la royale juridiction dans ses domaines ; la race carlovingienne en était à ce point d'épuisement, que Lothaire et Louis V avaient été obligés d'aliéner un à un tous les fiefs de la couronne ; ils en vinrent à céder la ville de Laon, la plus vieille, la plus forte cité de leurs domaines ; ils la donnèrent on garde aux dues de France, et ceux-ci la placèrent parmi leurs joyaux. Quand Hugues Capet eut été proclamé roi, le domaine personnel des comtes de Paris rentra dans la couronne ; royauté et patrimoine se confondirent dans une commune administration. Hélas ! elle n'était point une et fixe, cette administration ! au milieu du domaine même il y avait mille terres indépendantes ; chaque tour avait son seigneur, chaque féodal son pouvoir. Lorsque la bannière d'un comte était là hissée, est-ce que le roi pouvait la faire abaisser ? il fallait dompter et vaincre plutôt encore qu'administrer. Si les seigneurs de Puiset ou de Montmorency, les sires de Corbeil ou de Brie, opposaient résistance aux sommations de leur sire, il fallait aller à leur rencontre bannière levée ; il n'y avait pas d'autre mode de reconnaissance admis dans le baronnage de France.

La préoccupation de Hugues Capet s'applique surtout à ces expéditions militaires ; il est incessamment à la tête de ses bommes d'armes pour faire reconnaître son pouvoir. Comme il est attaqué par Charles et ses Lorrains, il accourt avec les Français[9], qui ne veulent pas subir le joug des races germaniques : le voilà dans les plaines de Champagne et de Brie ; il invoque l'appui des féodaux ; ceux-ci marchent ou refusent, selon leur goût ou leur caprice. Quand la querelle principale est un peu apaisée avec Charles de Lorraine, Hugues Capet passe sa vie à courir contre les grands vassaux ; il élève l'étendard de sa royauté partout, il cherche à la faire reconnaître dans les plaines de Saint-Denis, jusqu'à l'Oise, l'Eure et l'Aube, qui divisent le duché de France de la Normandie et de la Champagne. Il mène les Francs en Aquitaine, la lance haute ; on trouve même des traces d'une expédition contre les Catalans à travers les Pyrénées tant il y a que dans les Chartres quelques-unes des populations pastorales des montagnes datent les années par le règne de Hugues Capet[10]. L'administration consiste tout entière dans la conquête victorieuse. Là où se montre la force se manifeste aussi l'obéissance. La pensée de police est dans l'Église ; il faut fouiller les conciles provinciaux, les premières chartres de fondations monastiques, pour recueillir les idées de gouvernement et de bonne gestion. Les conciles provinciaux promulguent des règlements d'ordre et de mœurs ; ils délibèrent, s'assemblent dans des réunions solennelles ; les règles monastiques sont les premiers modèles des libertés communales ; toutes les prévisions économiques s'y trouvent sous la grande loi de l'élection[11]. Plus tard, les communaux copièrent les actes d'administration monastique pour rédiger leurs propres chartres, et les métiers s'organisèrent d'après la hiérarchie religieuse : le catholicisme fut ici encore la première loi de sociabilité.

Dans les conseils de Hugues Capet, toute chose était à la guerre. Comment aurait-il pu s'occuper de Chartres et d'organisation, quand les Lorrains paraissaient en force et attaquaient la Champagne par Laon et Reims ? Charles était à leur tête, impatient de saisir la couronne ; en homme habile, Charles voulait attirer les grands et les évêques français ; multipliant les promesses, il avait envoyé partout des émissaires et des agents secrets, afin de réveiller les sympathies pour sa race. Ses Chartres originales n'existent point, mais on retrouve quelques-unes des réponses qui lui étaient faites. Charles de Lorraine avait profondément blessé les clercs ; il cherche à s'en rapprocher, il écrit à l'archevêque Adalbéron ; le prélat répond en termes fiers et un peu hautains à Charles de Lorraine, son seigneur : Comment pouvez-vous me demander conseil, vous qui me croyez le plus déclaré de vos ennemis ? Pourquoi me traitez-vous de votre père, moi à qui vous vouliez ôter la vie ? Je n'ai néanmoins mérité ni l'un ni l'autre ; mais j'ai toujours fui et je fuis encore les conseils des méchants ; je ne parle pas de vous. Puisque vous me dites d'avoir de la mémoire, je vous prie de vous ressouvenir vous-même des conseils avantageux et salutaires que je vous donnois lorsque 'vous me demandiez mon avis sur les moyens dont vous vous serviez pour regagner les grands du royaume. Car qu'étois-je pour donner moi seul un roi aux François ? Ces choses sont publiques, rien ne s'est fait en cachette. Vous me reprochez que je hais votre race ; je prends à témoin Jésus-Christ que je ne la hais point. Vous me demandez ce que vous devez faire ; je n'en sais rien, ou si je le sais, je n'ose le dire. Vous me demandez mon amitié ! je souhaite qu'il vienne un temps où je puisse avec bonheur vous rendre mes services, quoique vous ayez envahi le sanctuaire du Seigneur, que vous ayez mis dans les prisons la reine, à qui vous aviez fait les serments que je sais ; que vous ayez aussi fait prisonnier l'évêque de Laon ; qu'enfin vous ayez méprisé les excommunications que les évêques avoient lancées contre vous. Je ne parle point du roi (Hugues Capet), mon souverain, contre lequel vous avez entrepris une guerre qui est au delà de vos forces. Néanmoins je me souviens du bienfait que j'ai reçu de vous lorsque vous m'avez sauvé la vie. Je vous en dirois davantage, mais sachez que ceux qui sont dans vos intérêts ne cherchent qu'à vous tromper. Ils se servent de vous pour faire leurs affaires, vous le connoîtrez tôt ou tard. Il n'est pas temps à présent de vous développer ce mystère. C'est un effet de la crainte, si je vous dis ceci ; si je n'ai pas répondu à vos premières lettres, c'est aussi pour ce sujet que nous tenons pour constant que la confidence n'est jamais sûre. Je pourrois traiter de ces matières avec Pr. K. I. H. H. T. Z., s'il pouvoit venir jusqu'ici, après avoir donné et reçu des otages. S'il peut venir, je lui confierai tout, mais je ne puis et je ne dois pas m'expliquer devant quelque autre que ce soit[12].

Tous ces mystères dont parle l'archevêque se liaient à une conjuration des grands et des évêques contre Hugues Capet. La ville de Laon ouvrait ses portes aux Lorrains ; Arnould, chanoine de la cathédrale, introduisait les batailles de lances dans la cité, encore vivement attachée au sang de Charlemagne. Ici se montre une nouvelle époque de guerre et de trahison ; il y a une sorte de réaction des mécontents contre Hugues Capet ; le nord de la monarchie féodale lui échappe. Laon est à peine soumis que Hugues veut l'assiéger ; les Lorrains[13] le surprennent et brisent son armée de Français. Charles, le représentant des Carlovingiens, s'avance en toute hâte ; Reims lui ouvre ses portes. Le premier archevêque est mort ; son successeur, qui porte le nom d'Arnould, bâtard de Lothaire, va au-devant de Charles de Lorraine et l'accueille ; il ne s'agit plus que de le sacrer comme roi des Français, car les murailles se sont abaissées ; les clercs hésitent ; il ne peut pas y avoir deux rois oints de la sainte ampoule. Pendant ce temps, Hugues Capet se lie avec les Normands, et à la tête d'une forte armée il vient mettre le siège devant Reims pour se venger de la trahison d'Arnould. Ce siège fut conduit avec vigueur, Charles de Lorraine, trahi par l'évêque de Laon, est livré avec sa noble femme de sang germanique à Hugues Capet, roi couronné.

Le principal auteur de la levée d'armes du duc de Lorraine avait été Arnould, archevêque de Reims. N'avait-il pas abandonné Hugues Capet, son suzerain victorieux ? C'était un prélat de sang carlovingien, très-puissant d'ailleurs et bâtard de Lothaire. Combien était grande cette force d'un archevêque posant la couronne sur le front d'un roi[14] ! Arnould était traître à Hugues Capet, et un acte de force qui marque la supériorité de ce vigoureux chef des Francs, ce fut sa résolution de faire déposer Arnould par un concile provincial ! Elle était dangereuse cette entreprise du roi contre un évêque ! c'était un procès dans lequel toute la conjuration devait être révélée. Qui oserait mettre la main sur un évêque ? qui oserait l'accuser en plein concile ? Hugues Capet avait besoin de montrer sa force, et il n'hésita pas. Le concile provincial ne fut pas complet ; on appela des évêques, les suffragants de Reims ; quelques-uns vinrent, d'autres refusèrent ; enfin l'assemblée fixa le lieu de sa réunion dans l'abbaye de Saint-Basle, près de Reims. Là devait se préparer la grande scène d'une déposition épiscopale et solennelle ; le concile plaçait en face le sang carlovingien et le premier des Capet ; c'était une sorte d'assemblée politique délibérant sur une conjuration de la famille ancienne contre la royauté nouvelle. Le premier jour de l'année 991, les vastes dortoirs de l'abbaye de Saint-Basle, au diocèse de Reims, réunirent une immense assemblée d'évêques, de clercs, d'abbés revêtus de la mitre et de l'étole, chaque abbé précédé de la croix pour marquer sa juridiction[15]. Le concile s'ouvrit au milieu du plus profond silence : De quoi s'agit-il ? s'écria l'archevêque de Sens ; on ne souffrirait pas qu'un évêque soit traduit ici et condamné pour crime de lèse-majesté, si nous n'avions l'assurance que tout pardon lui sera accordé. — Voilà qui serait commode, répondit l'archevêque de Bourges ; par ce moyen on voterait sans se compromettre. Et en disant ces mots il regarda fixement l'archevêque de Sens : Vous voulez donc soumettre cette décision aux laïques ? dit l'évêque de Beauvais, un des batailleurs à lance et à l'épée. Je connais parfaitement toute cette affaire, déclara l'évêque de Langres ; Arnould a vendu la ville aux Lorrains, il a lâchement abandonné son église ; il m'a mis en danger de mort, moi et les comtes qui sont restés fidèles au seigneur Hugues ; c'est un crime de lèse-majesté, qui peut le nier ? Il y eut quelques applaudissements parmi les comtes français. Oui, Arnould est coupable, ajouta l'évêque d'Arras, mais qui voudrait verser son sang ?Verser le sang ! j'y répugne comme toi, s'écria l'évêque de Langres ; mais jugeons d'abord le crime, n'épargnons pas celui qui a livré Laon aux troupes germaniques. — Voulez-vous lire le serment qu'Arnould avait prêté au roi Hugues, dit l'archevêque de Bourges ? il l'a trahi ; combien son manque de foi est grand ! Et le secrétaire du concile le lut à voix haute : Moi, Arnould, archevêque de Reims, promets aux rois Hugues Capet et Robert de leur être très-fidèle, et de leur donner aide et conseil dans leurs affaires, selon mon savoir et mon pouvoir ; de ne donner ni aide ni conseil en aucune cause que je saurais être contre eux. Je promets ces choses en présence de Dieu, des saints anges et de toute l'Église, et prie que leur exécution soit parfaite. Si au contraire, ce que je ne veux point, je manquais à mes promesses et à mon serment, je veux que les bénédictions que je me souhaite, se changent en malédictions sur moi, que je vive peu, que je sois déposé, et que mon évêché soit donné à un autre, et que les ecclésiastiques qui me sont soumis et mes vassaux m'abandonnent. Je signe de ma main cet acte que j'ai aussi tout entier en témoignage de ma bénédiction, et je prie mon clergé et mes vassaux de le souscrire[16]. C'est indigne, s'écrièrent quelques évêques, après un tel serment d'avoir trahi le seigneur Hugues !Mais voulez-vous le condamner sans entendre la défense des clercs du diocèse ? répliqua l'archevêque de Sens. Cela ne peut être, ajoutèrent d'autres évêques. On introduisit les abbés et clercs du diocèse de Reims ; Arnould trouva parmi eux des défenseurs très-habiles ; un d'entre eux s'écria : Appel au pape, appel au pape ! nous en appelons à Rome !

Cet appel au pape était redoutable, il suspendait la juridiction des évêques, et le roi Hugues Capet était trop faiblement établi pour le braver ; il se hâta d'écrire lui-même au souverain pontife une humble lettre pour lui expliquer la conduite d'Arnould. Cela fait, le concile ordonna l'arrestation de l'archevêque. Il fallait le voir protester en pleine assemblée : Je suis dans les mains de mes ennemis, s'écriait-il, je n'ai plus ni moines, ni abbés, ni clercs pour me défendre ; j'en appelle au pape. Après cet acte de force, la faiblesse vint ; Arnould se prosterna la face contre terre devant le concile, il confessa ses torts : Eh bien ! dirent les Pères, va trouver le roi Hugues, et fais-lui la même génuflexion. Ce qui fut dit fut fait, on vit l'évêque s'agenouiller devant le roi : Hugues, laisse-moi la vie, ne mutile aucun de mes membres. Et le roi lui répondit : Arnould, déchire ton pallium, et tout sera oublié. Et l'archevêque scella sa renonciation à l'évêché de Reims[17]. La victoire fut ainsi complète pour Hugues Capet ; Arnould, fils bâtard de Lothaire, était Lorrain, de race germanique ; il avait tenté de favoriser son oncle ; eh bien ! il était humilié la face contre terre : que restait-il de la race carlovingienne ? un rejeton captif et un prélat agenouillé, la nouvelle race était pleinement favorisée par la fortune ! Hugues Capet avait les évêques pour lui ; il disposait d'un concile provincial pour frapper ses ennemis : la vieille race était abandonnée !

Les vifs débats pour la convocation des clercs en conciles avaient soulevé les appréhensions de Hugues Capet ; la couronne qu'il avait mise sur sa tête lui était contestée par un compétiteur, vaincu sans doute, mais qui avait encore des partisans. L'esprit batailleur des féodaux lui permettait-il de compter sur une transmission paisible de son pouvoir à son fils et successeur ? Il était curieux de voir le roi constamment au champ pour combattre ici un comte, là un simple avoué d'église, un usurpateur de terre et de fiefs[18] ; il n'avait pas un moment de repos dans l'exercice de l'autorité suprême. Le poids de la lance fatiguait le bras autant que le poids de la couronne ; c'était une royauté d'aventures ; il fallait la faire reconnaître par des coups d'épée, des sièges, des combats à outrance. Quelques prélats, tels que Gerbert et Abbon, cherchaient à établir la théorie d'un pouvoir royal fort et respecté ; Gerbert écrivait des épîtres aux grands, aux évêques ; Abbon faisait des canons, des règlements sur l'autorité royale ; tous invoquaient les traditions de l'Écriture pour exalter le privilège de la couronne[19] : ils n'étaient pas écoutés. Que pouvait être une théorie écrite dans des livres, lorsqu'il y avait la force brutale partout ! Si le suzerain déplaisait aux féodaux, s'il violentait leurs habitudes, pourquoi ne briserait-on pas son pouvoir ? On voit dès ce moment Hugues Capet en lutte avec cette pensée inquiète des comtes et des leudes ; ceux qui l'avaient placé sur le pavois murmuraient haut contre l'ordre hiérarchique que le roi voulait établir : comment leur égal, leur pair, s'élevait-il à une autorité incontestée ?

C'est dans le but d'assurer l'hérédité à la couronne que le roi Hugues Capet associa son fils à son pouvoir de son vivant. Telle était la vieille coutume de Rome pour les Césars ; l'adoption de l'héritier reconnu et salué par les légions, le sénat et le peuple ; cette coutume, les Francs l'avaient adoptée comme quelques autres formes de l'administration romaine. Quand les grands étaient convoqués sous la tente, le roi leur disait : Voilà mon fils et mon hoir, voulez-vous le reconnoitre pour votre suzerain ? Robert s'était partout montré vaillant chevalier ; il avait suivi son père dans toutes les expéditions contre les féodaux, les pilleurs d'églises, les avoués qui dévastaient les monastères confiés à leur garde ; enfant encore, Robert aimait à se couvrir d'une pesante armure-, il était digne et fort comme son père. Dans une assemblée d'Orléans, Hugues proclama Robert son héritier en son lignage[20] ; il dut succéder à la couronne, et les grands le saluèrent roi. Dès ce moment tout se fait en commun, et les Chartres sont scellées d'un double scel[21]. On avait besoin d'accoutumer les hommes d'armes à cet exercice d'un pouvoir en partage : on préparait l'hérédité.

La famille de Hugues Capet était nombreuse et brillante ; sa femme Adélaïs ou Adélaïde, active et puissante sur les clercs et les féodaux, domina le règne de Hugues, elle assista aux grandes entrevues avec l'impératrice Théophanie[22] ; elle ne resta étrangère à aucun acte de cette administration. Les chroniques nous racontent tous les incidents de la vie d'Adélaïs et de la peine qu'elle se donna pour assurer la couronne au duc de France. Avec Robert, son fils aîné, Hugues Capet eut encore deux filles, Hadwige, mariée à Rainier, comte du Hainaut ; la seconde, du nom de Giselle, épousa Hugues, qu'une chartre ne désigne que comme avoué de l'abbaye de Saint-Riquier[23]. Les avoués et défenseurs des abbayes étaient alors en pleine possession des domaines de l'Église ; personne n'aurait osé leur contester le droit de gouverner et posséder ces terres dans l'ordre des fiefs ; quand la crosse et la mitre de l'abbé n'avaient plus la force indispensable pour défendre la terre et les manses abbatiales, il fallait bien que l'Église se choisit un défenseur. Hugues Capet eut aussi un bâtard ; son nom était Gauzlin ; il fut abbé de Saint-Benoît-sur-Loire, puis archevêque de Bourges. Au moyen âge, lorsque la bâtardise n'entraînait pas aux grandes expéditions militaires, quand il n'y avait pas au cœur du bâtard un feu de gloire, il revêtait la robe de clerc, il brillait au pied de l'autel par la mitre et la crosse d'abbé ou d'évêque : le bâtard, comme le cadet de race, devait conquérir son état[24] !

Une fois associé à la couronne, Robert regarda le royaume comme le sien ; il marcha contre les féodaux à côté de son père. Que de sueurs pour établir un peu d'obéissance ! de nombreuses Chartres constataient les efforts simultanés du père et du fils. Voici d'abord des lettres de Hugues Capet qui permettent à toutes les abbayes sous sa dépendance de se choisir des défenseurs et avoués, car ceux qu'elles ont ne pensent qu'à les piller[25] : Cessez de commettre des excès, de remplir le royaume de meurtres, écrit Hugues le roi à ses vassaux qui le suivent en armes : Je vous paierai de vos services, mais point de désordres[26]. (Premier essai d'une solde militaire substituée au service féodal par devoir et fief.) Albert, comte de Vermandois, dit une autre chartre, restituez à l'abbaye de Notre-Dame de Soissons les terres que vous lui avez usurpées. C'est ainsi que Hugues Capet se pose en défenseur constant des terres, des clercs et des églises. Pour amener ce résultat d'ordre et d'obéissance, le roi convoque incessamment les assemblées des vassaux, grands, comtes et féodaux ; on voit qu'à tout prix le roi veut rétablir la hiérarchie, et il ne le peut pas absolument, car tout se révolte, tout frémit sous le frein qu'il tente d'imposer ; il n'y a de règle ni parmi les vassaux ni parmi les arrière-vassaux : la société militaire a besoin de troubles pour favoriser les usurpations ; c'est une lutte avouée. Le roi n'a pas une juridiction qui s'étende au delà d'une cité, d'un domaine : pourrait-il soumettre seulement les Burchards, qui ont établi une ligne de châteaux depuis le mont des Martyrs (Montmartre) jusqu'à Saint-Denis ? Le voilà, le roi Hugues, ayant Robert à ses côtés, sur les routes de Beauce ou de Normandie : à chaque pas se trouve un château fortifié; toutes les rives de la Seine et de l'Oise, les hauteurs, les plaines, les forêts, toutes les terres fourmillent de ces tours carrées, de ces murailles noircies où viennent battre de l'aile les corbeaux au croassement sinistre. Quand le pont-levis est dressé sur sa pesante chaîne, c'est le siége qu'il faut faire pour dompter tous ces sires révoltés ! Que de peines, que de sueurs pour soumettre un seigneur qui impose à son gré les vassaux ! que de fatigues pour empêcher le pillage ou la dévastation !

Les conciles provinciaux aident le roi Hugues dans cette lutte ; les clercs sont les plus violemment menacés par les usurpations brutales des comtes et des féodaux. Les conciles provinciaux songent à mettre un peu de police dans cette anarchie sociale; il n'est pas une seule épître d'évêques ou de clercs qui ne déplore les grandes dévastations de l'Église ; il faut un frein et un remède à tant de maux. Qu'on suspende donc les batailles par une trêve ; cette prescription est confuse alors ; ce sont quelques évêques seulement qui se réunissent pour demander une suspension de combats, ils ne fixent rien encore ; ils n'ont pas la confiance suffisante en leur crédit; ils supplient plutôt qu'ils n'ordonnent. Des règlements épiscopaux cherchent aussi à protéger la liberté des églises et le bien des pauvres : Si quelqu'un a violé la sainte église du Christ ou lui a pris quelque chose de force, et s'il ne revient pas à satisfaction, anathème contre lui. Si quelqu'un s'empare de l'agneau, du boeuf, de l'âne, de la vache, de la chèvre, du bouc, propriété du pauvre ou du laboureur, et s'il ne reconnoit sa faute, anathème contre lui. Si quelqu'un attaque un prêtre qui ne porte pas d'armes, à savoir, l'écu, le glaive, le casque, la visière, et qui marche paisiblement ou demeure en sa maison ; s'il le frappe, le vole et ne vient pas au repentir, qu'il soit rejeté des portes de l'Église[27]. Cette grande police épiscopale était toute au profit des pauvres et des clercs, confondus dans une même protection. Ce qui n'avait pas d'armes était sous l'aile de l'Église.

Dans les temps de calamité, la voix religieuse se fait mieux entendre; ces provocations pour la trêve de Dieu pouvaient se justifier alors, non-seulement par la désolation qu'entraînait la guerre, mais encore par une sorte de peste noire qui frappait comme un grand fléau la génération : cette peste se nommait la maladie des ardens ; on en était saisi tout d'un coup ; une fièvre dévorante amaigrissait le corps, on se sentait brûlé comme du feu d'enfer ; bientôt le malade était réduit à un état déplorable et mourait dans un délire frénétique. Toute l'Europe fut désolée par ce fléau ; il semblait que le cavalier noir décrit dans l'Apocalypse eût traversé l'horizon brûlant et lancé ses flèches de feu sur le peuple chrétien. Combien devait être puissante la voix des évêques qui appelaient les multitudes à la pénitence ! Les époques de grands fléaux sont portées à la repentance ; les fidèles couraient au désert implorer les reliques des monastères ; on voyait de longues processions traverser les villes et les campagnes pour appeler la miséricorde de Dieu. Dans ces circonstances, les évêques imposèrent la paix du Seigneur aux combattants. Le repos eût été considéré en tout autre temps comme une lâcheté indigne de l'homme qui avait du cœur ; il n'y avait que le nom de Jésus-Christ qui pût imposer une trêve aux guerriers indomptables[28]. L'esprit d'obéissance n'était nulle part, et Robert lui-même prit les armes contre Hugues Capet, son père ; il s'associa quelques féodaux hautains pour désoler la province. Que voulait-il ? les terres du domaine pour les distribuer à ses propres fidèles. Hugues Capet se désole auprès des évêques de la guerre que lui fait son fils : Quelle tristesse pour lui, après tant de peines qu'il s'est données, tant de soins pour transmettre à Robert la couronne royale ! son fils est pressé de le voir couché en sa tombe ; il ne veut pas lui laisser paisiblement finir ses jours. Quelques évêques lui répondent : Seigneur Hugues, n'avez-vous pas souvenance de tout ce que vous avez fait souffrir à votre propre sire ? eh bien ! vous éprouvez aujourd'hui ce que vous avez imposé jadis au seigneur Charles de Lorraine : ce sont des douleurs contre des douleurs. Cette révolte de Robert afflige les derniers temps de Hugues Capet. Le roi a passé à travers toutes les épreuves : la guerre, la rébellion, il a tout soutenu de son bras fort et de son sceptre de fer ; maintenant la révolte de son propre fils achève sa carrière ; Hugues Capet est fatigué plus encore qu'avancé dans la vie ; l'avenir de Robert le préoccupe ; au lit de mort il lui parle, l'exhorte, afin de ne pas briser l'œuvre de ses soucis et de ses armes, Robert va être roi ; c'est un poids immense : les exhortations de Hugues Capet révèlent les préceptes de la royauté féodale ; toutes les prescriptions se rattachent à l'Église et aux fiefs : Ô mon cher fils, par la sainte et divine Trinité, je t'adjure de ne point te laisser dominer par les conseils des adulateurs, ni corrompre par les dons des méchants ! Je te laisse le soin des abbayes, aime-les perpétuellement, protège leurs biens et ne les dissipe jamais ; honore notre père Saint Benoît et son ordre avec toute humilité de cœur, afin que tu touches saintement la tombe après la séparation de la chair[29]. Ne point violer les églises, avoir respect pour saint Benoît, c'était là une noble idée, car de l'Église devait venir l'ordre moral ; la force sacrée de la royauté, les prescriptions d'obéissance pour les sujets ; et la règle de Saint-Benoît n'était-elle pas le type et l'origine de toutes les agrégations bourgeoises et ouvrières du moyen âge ? Les religieux de Saint-Benoît avaient prescrit l'ordre, le travail, la hiérarchie dans une société toute militaire et désordonnée ; ils suivaient la grande loi du labeur, l'éternelle condition de la vie humaine.

Hugues Capet mourut le 24 octobre 996[30]. Il avait gouverné pendant dix ans, si l’on peut appeler gouverner un royaume poursuivre avec persévérance la vigoureuse lutte d'armes contre le désordre féodal : toute cette époque fut une sorte de combat livré aux comtes, aux vidâmes, aux pilleurs de moutiers et de terres. Il n'y avait pas de principes dans Tordre politique et civil ; chacun usait de sa force pour s'emparer des terres à sa convenance, et voilà pourquoi il y eut si peu de protestations et de dévouement pour l'ancienne famille de Charlemagne. L'idée du droit était encore impuissante ; elle ne pouvait grandir que par l'Église. A cette époque, l'immense institution catholique ne s'était pas elle-même formulée ; elle n'avait ni unité ni chef puissant. La papauté n'avait pas conquis une force suffisante pour dominer le monde ; la pensée morale devait venir de cette source protectrice ; les conciles provinciaux n'avaient qu'une influence locale, et ils prêtèrent néanmoins une certaine énergie pour ramener la paix publique : les règlements des conciles remplacent les Chartres du roi, si peu nombreuses. Dans la période de Hugues Capet, au milieu des barons de la race franque, il y avait bien des églises, mais il n'y avait pas encore une Église comme les papes eurent la gloire et la mission de la constituer.

On cherche à peine dans ce conflit local d'armes et d'intérêts, dans ces querelles de châteaux, quelques reflets de la vieille science, quelques étincelles d'esprit et de littérature. L'époque est sauvage ; ou n'entend que le cliquetis des armes sous les voûtes de pierre ou sur les champs de bataille. Quelques traditions transmettent les aventures et les prouesses, ces lourds coups d'épée qui fracassent les cuirasses et les brassards. On voit poindre les chansons de geste, les premiers vers de l'épopée du XIe siècle : les trouvères n'ont point paru[31]. Les moines dans leurs couvents solitaires écrivent des épîtres, commentent les Écritures, multiplient leurs leçons ; quelques-uns composent les hymnes de l'Église, récitent en plain-chant les litanies des saints, ou relatent ces naïves légendes, épiques récits du christianisme civilisateur. La société n'a pas de littérature ; il n'y a pas pour cela assez de joies. On vient d'échapper aux Hongres, aux Normands, aux Sarrasins, et c'est pour tomber aux mains des barons qui pillent les églises et insultent les tombeaux des martyrs. Lisez ces translations de reliques, ces efforts de religieux qui sauvent la poussière des sépulcres, de retraite en retraite, à travers les ermitages et les déserts ; pieux récits pleins de merveilles ! Les reliques ne processionnent qu'au milieu des miracles ; on les transporte avec les pompes religieuses, plus brillantes que s'il s'agissait de saluer un roi. Les moines se complaisent à en décrire la marche[32] solennelle, avec des incidents d'une candeur et d'une naïveté qui montrent le moyen âge tel qu'il est, avec son esprit et ses mœurs. Le Xe siècle fut l'époque de la translation des reliques et de la biographie des saints. Et pourquoi dédaigner cette épopée dans l'ordre moral ? Il y a un avenir merveilleux dont l'intelligence échappe à notre faiblesse ; tout est prodige autour de nous ; le matériel de la vie dépend d'un monde supérieur qui se complaît à bouleverser les notions exactes. Au moyen âge, ces êtres, d'une nature fantastique, intervenaient pour tout : il y avait lutte entre les saintes intelligences et les esprits des ténèbres : tout ne se bornait pas au triste positif des sociétés. Gomme la génération était matériellement souffrante, on l'élevait jusqu'à cette douce idée que l'esprit détaché du corps dominait tôt ou tard la matière. Les légendes furent une poésie consolante pour le pauvre et le souffreteux ; elles le transportaient dans un idéalisme qui relevait sa destinée. Quelles étaient ces cendres dont on transportait le glorieux dépôt avec toute la pompe d'un cortège royal ? C'étaient les dépouilles mortelles d'un pauvre, d'un serf peut-être couvert de bure : et n'était-ce pas là le plus beau triomphe de l'égalité ? Les ossements de l'ermite, du solitaire ou du misérable serf, sanctifiés, étaient enchâssés dans de l'or, du cèdre et de la soie, comme pour élever les petits et abaisser le front superbe des grands que dévorait le ver du sépulcre.

Le règne de Hugues Capet fut un fait de nécessité ; le droit n'avait pas alors le privilège de se montrer dans sa force et dans sa puissance historique. Tout n'était-il pas en question ? Quand le fief était livré au pillage des plus forts, la couronne ne pouvait-elle pas être ramassée comme l'escarboucle ou l'épée du baron ? Il n'y avait pas, à proprement parler, de rois des Francs ; il y avait des fils et des descendants de Charlemagne, des successeurs du vaste empire ; mais Lothaire, Louis V, et après eux, Charles de Lorraine, étaient plutôt les suzerains de la race germanique, princes de la Meuse, qu'ils n'étaient des rois de France couronnés. Les Carlovingiens avaient eu l'empire et la couronne d'or ; leur puissance tenait de la pourpre impériale. Ensuite chaque race choisit son chef : les Othon régnèrent en Germanie ; les ducs de France, les comtes de Paris furent élevés rois de leur domaine. Le premier suzerain des Français (rex Francorum) fut Hugues Capet. C'étaient les grands vassaux francs réunis qui choisissaient un chef pour les conduire aux batailles. La transformation de la royauté de race en suzeraineté territoriale fut la suite d'une lutte difficile. Le passage de la royauté militaire au pouvoir domanial ne fut pas subit ; la transition fut longue et développée ; elle devint l'œuvre de la conquête et de la réunion successive des terres au domaine. Ce fait s'accomplit surtout pendant le règne de Philippe Auguste : le principe monarchique domina dès lors la souveraineté dans notre France.

 

 

 



[1] Voir Ducange, v° Feudum, et la préface du tom. X de dom Bouquet, Historiens de France.

[2] J'ai trouvé bon nombre de chartres de donations de Hugues Capet. Voyez Mabillon, De re diplomatica, p. 576. — Spicileg., tom. VI, p. 424. — Gall. christian., tom. VI, p. 606. — Preuves de l'Histoire de l'abbaye de Tournus, p. 289.

[3] Voyez Mémoires de l'ancienne Académie des inscriptions sur les droits d'Hugues Capet à la couronne.

[4] Baluze et Marca, lib. IV, ad ann. 087, col. 413 et 4l4 : — L'abbé de Camps, Cartul. 987.

[5] Vaissète, Histoire du Languedoc, tom. Il, p. 130 et 150.

[6] Adhémar de Chabanais, ad ann. 997.

[7] Deo regnante, regem sœspectante, ou absente rege terreno. (Chartres aux preuves du tom. II de Dom Vaissète, Histoire du Languedoc.)

[8] En 1009, les chartres du Limousin portent encore : Absente rege terreno, ibid.

[9] Albéric, Chronic. ad ann. 989.— Duchesne, tom. II, p. 629.

[10] Marca, Hispanica., lib. IV, ad ann. 987.

[11] Labbe, Concil. Voyez la table des matières, aux mots Cleric. Nobil. Feud. Eccles.

[12] Gerbert, Epist. 132. — Duchesne, tom. IV, p. 817 et 818. — Marlot, Hist. Rem. Metrop., p. 18.

[13] Chronic. Frodoard, ad ann. 990-991. — Epistol. Gerb. apud Duchesne, tom. IV, p. 14.

[14] Concil. Remens. ad ann. 991.

[15] L’abbé de Camps, dans ses cartulaires manuscrits (Bibliothèque du roi), a donné en grand détail tous les actes de ce concile ; il est ainsi daté dans le recueil des conciles, Ann. incarnat. 991. indict. 4. ann. Hug. Cap. regnant. Voir aussi Gall. christian., tom. III, p. 816, et Marlot, Hist. Remens., ibid.

[16] Le texte de ce serment se trouve dans les actes du concile. Gall. christ., tom. III, p. 816.

[17] Comparez surtout Gerbert, Epistol. 159. — Duchesne, tom. II, p. 826, et Sirmond, Concil. Gall., tom. II, p. 31. La source la plus complète est toujours l'abbé de Camps. Cartul. (Mss. Bibliothèque du roi, portefeuille Ier.)

[18] Chronique de Frodoard. — Raoul Glaber, 950-997. Voy. aussi le Xe vol. des Bénédictins : dom Bouquet.

[19] Les canons d'Abbon sont un des plus curieux documents de l'histoire des Xe et XIe siècles ; ils sont adressés : Dominis meis gloriosissimis Francorum regibus Hugoni, filioque Roberti speciem gerenti dignam imperio, humilis Floriacensium rector Abbo perpetuœ salutis, etc. On les trouve aussi dans Mabillon, Veter. Annal., tom. II, p. 248 et 249.

[20] Voyez Raoul Glaber, liv. III, chap. I. — Helgaud, Vita Roberti dans Duchesne, tom. IV.

[21] Les Chartres portent ce double titre : Régnant. Hugo. et Roberto. C'était plus qu'une adoption, c'était une complète association. Voyez la Diplomatique de Mabillon, tom. I, et l'Art de vérifier les Dates, des Bénédictins.

[22] Gerbert, Epistol. 120. — Duchesne, tom. II, p. 817.

[23] Voyez sur la généalogie de Hugues Capet, Sainte-Marthe (Maison de France), tom. I.

[24] L'abbé de Camps a fait une longue dissertation sur la dignité et les fonctions des avoués d'église. (Cartul. Mss. Biblioth. du roi, tom. I, Hugues Capet.)

[25] Ces lettres de Hugues Capet et de son fils sont adressées : Ecclesiarum vel monasteriorum defensoribus Hugo et Robertus reges. Mss. Biblioth. du roi, n° 9807, reg. f° 77-78.

[26] Quicumque autem stipendia soldi publice decreta consequitur, si amplius quœrit, tanquam concussor condemnetur. Mss. Biblioth. du roi, n° 9817, fol. 98.

[27] Si quis ecclesiam sanctam Dei infregerit, aut aliquid exinde per rim abstulerit, nisi ad satis confugerit factum, anathema sit. Labbe, Concil., tom. II.

Si quis agricolarum, cœterorumve pauperum prœdacerit orem, aut borem, aut asinum, aut vaccam, aut coprœam, aut hircum, aut porcos, nisi per propriam culpam ; si emendare per omnia neglexerit, anathema sit. Labbe, Concil., tom. II.

Si quis sacerdotem, aut diaconum, vel ullum quemlibet clericum, arma non ferentem, quod est scutum, gladium, loricam, galeam, sed simpliciter ambulantem, aut in domo manentem invaserit, vel cœperit, vel percusserit, nisi post examinationem proprii episcopi sui ; si in aliquo delicto lapsus fuerit, sacrilegus ille, si ad satisfactionem non venerit, a liminibus sanctæ ecclesiæ Dei habeatur extraneus. (Ibid.)

[28] Voyez les chartres de Treuga et Pace dans Mabillon, de Re diplomatica, liv. VI, p. 677. Sur la maladie des Ardens, voyez Raoul Glaber, Chroniq. 997.

[29] Præcepta seu monita quœ Hugues magnus, rex Francorum, in agone, mortis degens, Roberto regi filio suo reliquit pro regimine monarchiæ, IX kalendas novembris 996. — Helgaud, Floriacensis monachi epitome vitœ Roberti regis. (Édition Pithou, p. 168.)

[30] La date de la mort de Hugues Capet a été fortement discutée ; l'abbé de Camps en a fait une dissertation spéciale. Mss. Bibliothèque du roi, tom. I. (Cartul.)

[31] Voyez le chapitre de ce livre qui traite de l'origine et du développement de la littérature au Xe siècle.

[32] Comparez Aimoin, de Miracul. Sanct. Benedict. De invent. corpor. beat. Judœ. Translat. de S. Genor. — Mabillon, Vit. sanct. ordin. S. Benedict. sœcul., IV, f. 2, p. 226.