HUGUES CAPET ET LA TROISIÈME RACE

 

TOME PREMIER

CHAPITRE II. — MŒURS. - USAGES. - HABITUDES DE LA SOCIÉTÉ.

 

 

Vie des seigneurs aux châteaux. — Les femmes. — Les clercs. — Les abbayes. — Système de protection. — Le serf. — Le moine. — Les opinions. — Tristesse du Xe siècle. — Appréhension de la fin du monde et de l'an mil. — Légendes, chroniques. — Chansons de gestes. — Les souverains de la féodalité.

Xe SIECLE.

 

Les indomptables soigneurs du Xe siècle étaient toujours aux champs de guerre. Ils y marchaient dans le temps d'hiver, quand la neige couvrait les forêts de chênes ou les sapins qui se balancent sur les Vosges et le Jura ; ils y marchaient quand le printemps ouvrait les fleurs aux petits oiseaux, comme le dit le lai de Marie de France. La condition de tout homme fort qui avait du cœur et de nobles entrailles, c'était les batailles ; il n'en était pas d'autre, peu de comtes ou vicomtes restaient aux lits amollis sous le toit des châteaux ; le foyer était bon pour les femmes et les faibles enfants, dont le bras fragile ne pouvait soutenir l'épée[1]. De temps à autre, quand le butin était bien lourd, la main bien fatiguée, les chevaux tout harassés de sueur et de sang, on s'en revenait au château à travers les précipices, les rochers ; on suivait les sentiers inconnus qui menaient à la haute demeure suspendue à la cime des monts, après qu'on avait franchi l'escalier péniblement creusé dans le granit qui soutenait les poternes.

Les châteaux du Xe siècle n'avaient rien d'élégant comme les ogives du XIIIe siècle ; ce système de ceintres, de vitraux, de portails armoriés. Les débris féodaux de cette primitive époque sont rares ; ils étaient hardiment si tués sur des hauteurs inaccessibles ; les tours fortement cimentées que les Romains avaient jetées ici et là, quand les légions campaient dans les Gaules, avaient servi de bases à de nouvelles fortifications ; les vieux nids de l'aigle de Rome que le centurion faisait construire pour son poste militaire, servaient alors de refuge au féodal[2]. Souvent un torrent, une rivière, un fleuve, coulaient impétueux à leur pied, comme le Rhin et le Rhône, où se mirent encore les anciennes ruines ; le château était un mélange de pierres fortes et pointues, de rochers cimentés par la chaux et le grès de la montagne ; les murailles en étaient hautes, épaisses ; les tours carrées : partout des mangonneaux pour décocher la pierre de l'arbalète et la flèche de l'arc. L'intérieur de l'habitation était sombre ; à peine quelques ouvertures pratiquées aux murailles laissaient pénétrer la clarté du soleil[3] ; une salle d'armes, décorée des dépouilles de guerre ou des conquêtes de la forêt, formait le centre de l'habitation du seigneur. Là, dans les festins de l'hiver, circulait la coupe ou le hanap à la ronde et quanti les vœux de batailles se faisaient sur le paon aux jours de fête, on devisait sur les projets de pillage des marchands, conquêtes de fiefs, invasions de manses abbatiales et de celliers monastiques.

Dans les tourelles étaient l'oratoire, le lit de repos du seigneur et de la châtelaine ; plus bas la salle commune où les servants d'armes habitaient sous l'hospitalité du château ; presque toujours une grotte profonde percée à vif servait de souterrain, et les traditions des serfs et des vilains de la cité voisine racontaient les lamentables histoires des crimes du seigneur. Hélas ! bonnes gens, Dieu vous préserve de cet infernal repaire où des chaînes se font entendre ; bruit fatal, quand, à la sombre clarté de la lune, on voyait se promener les spectres couverts de linceuls, secouant leurs anneaux de fer vieux de quelques siècles ! Ces traditions, le voyageur les aime encore aux bords du Rhin, lorsque la forteresse d'Ehrenbreistein parait comme suspendue sur la roche, parmi ces ruines où sifflent le vent et le cri aigu de l'oiseau de nuit[4] ! Dans ces châteaux de la montagne, la famille féodale vivait avec ses serfs, ses hommes de poeste et ses servants d'armes ; l'habitude des batailles imprimait un caractère farouche même à cette vie intime. Dans le peu de moments que le sire châtelain restait à demeure, son délassement était la chasse aux bêtes fauves dans la foret ; les sangliers, les loups peuplaient les taillis, les bois touffus, et les légendes les plus sauvages racontaient les exploits du seigneur dans ces longues chasses où, l'épieu en main, et suivi de ses lévriers, il se prenait corps à corps avec le loup furieux et l'étranglait dans ses bras armés de gantelets, comme le Pépin des chroniques qui étouffa le lion à la longue crinière, en la cour plénière des rois chevelus. La chevalerie et le culte de la Vierge n'avaient point encore exalté la condition des femmes ; elles vivaient aux châteaux, occupées à quelques ouvrages demain, à la broderie surtout, qui retraçait les grands événements, ainsi que nous le conserve la tapisserie de la conquête[5] ; elles élevaient leurs enfants dans la crainte de leur seigneur. Comme la sainteté du mariage n'était point respectée, souvent le comte répudiait, reprenait, puis délaissait encore la chaste épouse de son cœur, qui allait cacher sa douleur dans les monastères[6]. Un chapelain était aussi au foyer pour réciter de longues prières, les offices du matin et du soir, aux hommes d'armes, aux serfs, aux servants de corps qui défendaient le château, dans les jours de batailles, derrière les murailles et mangonneaux. Les clercs n'avaient pas une condition plus paisible : le monastère n'était point une retraite à l'abri des grands orages de la vie et des irruptions de l'homme de guerre ; dans les cruelles invasions des IXe et Xe siècles, les Hongres, les Normands s'attaquaient spécialement aux monastères et abbayes ; ils pillaient les reliquaires, ravageaient les maisons abbatiales ; menacés par tant de calamités, les saints religieux poussaient des gémissements et fuyaient au loin jusque dans le souterrain de la campagne : que d'églises détruites ! Souvent les riches abbayes se rachetaient, par des sacrifices d'argent, de la désolation et du meurtre ; que pouvaient-elles opposer à ces terribles adversaires ? Les barbares mécréants ne craignaient pas l'excommunication, ils ne respectaient ni la croix sainte ni les immunités ; que faire ? la plupart des monastères s'étaient donc placés sous la protection d'un vicomte féodal qui en devenait comme le défenseur, l'avocat et le maître[7], on lui payait une somme d'argent pour la défense de l'église ; il s'asseyait dans les si al les du chœur et chantait matines comme les chanoines ; son gonfanon pendait sur l'autel ; le monastère lui concédait souvent une terre ; et quelquefois le brutal seigneur, sans tenir compte delà sainteté du lieu, du baptistère et du parvis sacré, s'emparait de tous les revenus du monastère et les dépensait dans les festins : une multitude d'abbayes étaient ainsi tombées sous la main des hommes d'armes, qui en chassant les pieux serviteurs avaient changé leur protectorat en usurpation. La puissance monastique n'était point encore parvenue, comme au XIe siècle, à toute sa splendeur, à toute son énergie ; les grands ordres de Saint-Benoît n'avaient pas pris leur développement et leur vaste organisation sociale.

Cependant, au milieu de ce pillage incessant des biens de l'Église, les fondations de mort et des vœux de prières venaient grandir la richesse des monastères ; ici l'abbé recevait une forêt bien boisée, là une rivière, des moulins à eau, des fours communs, une riche prairie : Il y avait un échange continuel entre la féodalité et l'Église, entre l'homme d'armes et le clerc. Lorsque le feu de la vie était au cœur du baron, il envahissait les biens du monastère ; il n'avait point à la pensée le châtiment ; il ne voyait pas la puissance de Dieu, le jugement dernier, et le Christ en sa colère. Quand la mort s'avançait pour glacer ses membres, alors, étendu sur la cendre, le féodal léguait au moutier du voisinage toutes ses terres, son argent monnayé[8] ; une messe journalière venait rappeler les bienfaits du baron repentant, car il n'était point mort en impénitence finale. On transcrivait sur l'obituaire de l'abbaye la chartre de donation. Que de sinistres histoires sur le comte farouche qui était trépassé sans repentir de sa folle vie ! Les feux de l'enfer le dévorent ! ses diables l'enlacent de leur queue ainsi que cela est peint aux cathédrales ! voilà la peine des barons morts déconfès, voilà ce qu'il advient aux pillards d'églises !

Il n'existait pas de vie bourgeoise et libre, à parler exactement ; si quelques cités du Midi avaient conservé les vestiges de l'administration romaine et des municipes, la plupart des cités du Nord dépendaient d'une seigneurie ; les habitants étaient serfs des hommes d'armes ou des clercs, et cette situation s'explique par la protection qu'ils trouvaient dans l'Église ou sous la lance du seigneur. Les bourgeois, faibles et désarmés, ne pouvaient se défendre contre les Hongres et les Normands. Que faisaient-ils alors ? ils invoquaient l'appui des Francs vigoureux et des barons qui avaient du cœur et le bras fort. Quand ils se reconnaissaient serfs d'Église, c'est que l'excommunication était une force morale, et que plus d'un baron s'arrêtait plein d'effroi sur les limites de la terre bénite ; quand ils se faisaient serfs féodaux, c'est qu'ils étaient assez couards pour fuir devant les Hongres, les Sarrasins et les Normands. D'autres encore préféraient la chape de chanoine à la cotte de mailles et au fort haubert. Il n'y avait pas précisément d'habitants libres, pas plus qu'il n'y avait d'alleuds et de terres absolument affranchies à la fin de la deuxième race[9]. L'empire de la force dominait,. la bourgeoisie était presque inconnue ; on ignorait absolument cette situation mixte entre la noblesse hautaine et la servitude absolue. Il y avait des bourgs, des cités, soumis à des dominations particulières, et des dominations n'appartenaient qu'aux évoques qui excommuniaient, ou aux hommes d'armes qui savaient manier l'épée.

Le servage était la condition commune de la campagne ; chaque terre avait ses serfs, les reins nus ou couverts de bure, qui s'occupaient des travaux d'agriculture ; quelques-unes dos méthodes d'irrigation des Gaules et de la vieille Rome étaient connues encore ; les religieux enseignaient l'art de tracer les sillons, d'ensemencer la terre aux époques régulières, quand les Barbares ne les obligeaient point de fuir. Hélas ! le territoire, presque partout couvert de forêts, n'offrait pas des produits assez abondants pour nourrir les populations éparses ; souvent l'affreuse famine décimait les multitudes : quand on lit les vieilles chroniques, on est douloureusement frappé du triste aspect du peuple ; des famines horribles déchiraient ses entrailles ; quels effrayants tableaux que ces populations qui broutent l'herbe des champs, lorsque les vents et l'orage ont abîmé la récolte[10] ! Les chroniqueurs se complaisent dans la description de ces affreux tableaux ; ils les multiplient à côté des phénomènes célestes, de ces merveilleux récits sur les monstres étranges qui venaient effrayer, par leur apparition, la piété solitaire des religieux. Tantôt c'était un homme à la haute stature, aux pieds de bouc, avec la queue d'un serpent, qui jetait des flammes bleuâtres ; tantôt un veau à trois têtes, un lion qui portait une houppe sur sa crinière échevelée, des pieds d'homme et des plumes de coq, formes horribles que la solitude enfantait dans l'imagination assombrie des religieux[11] !

Quand la prière de minuit sonnait, le solitaire, qui se levait de son grabat pour prier, devait voir mille figures étranges, alors que le vent sifflait dans les châssis de son ermitage au désert ; s'il jetait les yeux au firmament couvert d'étoiles, ce ciel tout scintillant, ces feux qui filaient dans l'horizon rougi, ces formes qui se jouaient dans l'air, ces nuages de sang, ces gouttes pesantes de l'orage, le cri de ces mille voix inconnues que la tempête soulève quand elle vient battre les arbres antiques, les rochers sillonnés[12], et ces tours isolées, tout devait jeter la terreur la plus sombre dans l'âme des religieux ; puis la lecture de l'Apocalypse, le souvenir de ces plaies mystiques, de ces sceaux sacrés, de ces chevaux amaigris, donnait un sens mystérieux à toutes ces formes bizarres et sinistres dans la tempête ; quels tristes pronostics tirent les frères agenouillés devant ces phénomènes qui effraient leur imagination ! Il y a une indicible terreur dans la chronique ; la société est soumise à tant de fléaux divers qu'un cri déchirant semble partout s'élever pour prier Dieu de suspendre les malheurs qui accablent l'espèce humaine ; de là ces hymnes qui retentissaient déjà dans les églises antiques, ces psaumes de miséricorde qui remuent si mélancoliquement l'âme brisée par la douleur !

Dans cette confusion de toutes les idées, dans cette absence de tous les principes, il eût été inutile de rechercher les droits de propriété, les rapports de justice et de devoirs parmi les hommes ; la terre était en quelque sorte le droit du premier occupant. Où marche cette épaisse nuée de lances ? où vont ces hommes de fer ? Ils s'emparent violemment de ce bourg, de cette cité ; ils se partagent les habitants, et dispersent les serfs dans la campagne ; ils tirent au cordeau la terre entre les braves compagnons qui les ont suivis ; leur droit, c'est la conquête ; leur titre, la force de leurs bras ; ils s'établissent là comme les maîtres et suzerains. La propriété, l'état des personnes, les idées du droit romain, n'avaient point encore pénétré dans la société ; la législation prévoyante des capitulaires avait disparu du milieu des peuples. Qu'était devenue l'administration suprême de Charlemagne ? et ces missi dommici qui allaient par les provinces proclamer l'autorité du grand empereur ! Tout était usurpation dans l'organisation sociale ; il n'y avait aucune puissance respectée, aucun principe incontestable ; la propriété n'était plus un droit, l'administration une hiérarchie ; tout allait par la force, et la confusion était comme l'état normal du peuple. Il n'y avait qu'une distinction bien admise, l'homme d'armes et le serf ; l'un, au cœur haut, aux entrailles belliqueuses, appelé aux expéditions aventureuses ou à l'emploi de la violence ; l'autre attaché à la terre comme la chaîne de la vieille tour était liée au pont-levis qui se baissait devant le seigneur revenant de la guerre ; l'esprit local était dans la classe serve et l'homme de poeste[13], le sentiment hardi était, au contraire, le caractère distinct de l'homme d'armes ; le manoir n'était rien pour lui : Compagnons des batailles, le clairon sonne, il faut aller conquérir les terres éloignées ! et l'on voyait ces braves et forts chevaliers partir en pèlerins pour leurs expéditions lointaines. Le serf avait l'esprit du clocher et du sol ; le Franc avait trop de sang généreux dans les veines pour vivre et mourir dans la tour de pierre et sur un lit mollet.

Un sentiment de douleur dominait cette société du Xe siècle ; des prophéties circulaient dans les cités et manoirs sur la fin prochaine du monde, qui devait engloutir la terre, et appeler toutes les âmes au jugement dernier, devant le Seigneur aux yeux éclatants de colère. On devait entendre des voix étranges ; on devait voir dans les nuages des batailles sanglantes, des chevaliers inconnus qui croiseraient le fer ; des monstres devaient naître aussi dans le sein des femmes et des animaux aux formes inouïes ; hélas ! tous ces phénomènes avant-coureurs s'étaient produits depuis quelques années, on avait vu tout ce que les prophètes avaient annoncé dans leurs prévisions sinistres ; n'étaient-ils pas venus les temps de faire pénitence ? L'an mil[14], chiffre mystérieux et fatal, se produisait à la face de toute la génération ; c'était l'époque marquée pour le cataclysme, alors que les montagnes verraient leurs flancs horriblement déchirés, la terre trembler, les grandes eaux se soulever comme l'Océan aux jours des tempêtes, quand les vagues se mêlent aux noires nuées du ciel. Dans cette désolation de l'univers abîmé, lorsque les gémissements des hommes devaient se confondre avec les cris des lions et des tigres radoucis et effrayés par les funérailles du monde, alors la trompette du jugement devait se faire entendre, toutes les âmes, dans la résurrection universelle des corps, devaient se renfermer en la vallée de Josaphat, pressées et foulées par la main de Dieu. Sur cette mer de têtes, le Christ devait planer en sa gloire, les yeux courroucés ; Marie, la more de Jésus, la Vierge si pure, devait s'agenouiller devant lui pour implorer le pardon du pécheur repentant. Tout cela arriverait en l'an mil. Et maintenant comprenez-vous comment cette génération n'était préoccupée que d'une seule et même pensée : voici venir la fin du monde ; implorez la miséricorde de Dieu ! Ainsi la vie de la société était un grand gémissement de l'homme qui s'élevait vers l'Éternel pour demander le pardon des fautes de l'humanité ! Ainsi l'existence de ces familles se passait entre le baptême et l'obituaire ; aucune distraction à la pensée, quelques jouissances grossières et matérielles ; la chasse au son du cor retentissant, le pillage et la bataille ou l'isolement du désert. L'existence du peuple ressemblait à cette image du solitaire de la Thébaïde, toujours en face d'une croix de bois, d'une tête de mort osseuse et du sablier des heures, fatale image du temps qui fuit !

Au milieu de cette société pleine de tristesse ou d'émotions désordonnées, il était difficile de trouver dos exemples de morale, des principes d'organisation politique ; que demander à ces hommes d'énergie et de batailles ? Que connaissaient-ils en dehors du droit du plus fort ? Quand le cornet retentissant les appelait à la guerre, ils y couraient : telle était leur vie ; ils n'avaient pas d'autres principes de sociabilité ; ils ne voulaient pas de formes régulières. Le droit de propriété, les privilèges de la faiblesse, tout était inconnu aux vigoureux seigneurs de la terre conquise ; dans quel ordre d'idées fallait-il chercher une répression à cette violence des barons ? Comment reconstituer la société si fortement ébranlée par l'individualisme féodal ?

Cette œuvre fut essayée par les légendes ; ces récits naïfs d'une mystique et religieuse histoire appelaient incessamment les mœurs et les idées à une réforme morale. Les légendes s'emparaient de la vie obscure d'un solitaire dans le désert pour en tirer des exemples. A l'heure où le seigneur féodal, couvert de dépouilles, s'asseyait à son banquet ; quand il savourait à pleine coupe le vin alors si renommé d'Orléans et de la Loire qui montait à la tête, le chapelain du château lui lisait la touchante légende d'un de ces saints ascétiques qui vivaient dans le jeûne et la pénitence[15]. Tandis que le comte farouche se livrait au pillage, le bienheureux avait détaché sa robe de bure pour la donner aux pauvres des bourgs et des hameaux ; à côté d'une existence de pilleries et de vols, la légende opposait la vie bienfaisante d'un saint que la gloire du ciel récompensait ; la violence des armes, la vie active des seigneurs impitoyables étaient refoulées en enfer, où Dieu entraînait le mécréant pour l'éternité.

Cette idée d'une peine matérielle, jetée à l'imagination grossière du seigneur, dut arrêter plus d'une mauvaise action, retenir plus d'une fois son bras prêt à se lever contre le souffreteux. La légende semblait dire aux forts et aux puissants : La vie du ciel n'est pas à vous ; une peine éternelle vous attend si vous vous abandonnez à la violence de votre bras, à l'énergie de votre courage ; vous devez être le protecteur de ce qui est faible et petit ; et de là cette image de la 'Vierge, cette puissance de l'enfant Jésus, symbole d'un grand pouvoir dans ce qu'il y a de plus doux et de plus innocent.

Quelquefois la légende était la longue histoire d'un grand labeur entrepris par un pieux moine de l'ordre de Saint-Benoît[16]. La terre était au loin inculte ; elle n'offrait partout qu'un désert immense, que des forets sauvages sans traces de la main humaine ; l'homme d'armes dédaignait le labourage, la charrue qui traçait le sillon ; alors ce saint, ce solitaire mettait la main à l'œuvre ; il fertilisait les champs, fécondait les campagnes ; on le sanctifiait pour ses travaux ! On célébrait en lui les utiles services rendus à la terre ; la légende détaillait les œuvres qu'il avait entreprises, les périls auxquels il s'était exposé pour enseigner l'art d'ensemencer et de produire ; il avait détruit les loups et les animaux sauvages dans la forêt lointaine. La légende exaltait jusqu'aux cieux les vertus loisibles de l'agriculture, et faisait de l'anachorète l'expression du travail intelligent et fécond. Puis c'était une pauvre femme qui n'avait pour défense que sa chasteté et la prière. Dans un temps où la force ne respectait rien, où le baron hautain rejetait de sa couche une pauvre délaissée, n'était-il pas heureux qu'on plaçât au ciel, à côté de la mère de Dieu, un chœur de vierges saintes, symbole de la femme ? N'était-ce pas condamner la condition humiliante où elle était réduite avant l'époque catholique et chevaleresque ?

En d'autres circonstances, la légende célébrait les vertus de famille, les douceurs de la prière, les principes d'obéissance et d'ordre. Toutes ces visions, ces extases, ces poétiques histoires de miracles, ces épopées chrétiennes, se rattachaient à un principe d'abnégation, de morale et de travail. Si l'on transportait processionnellement un reliquaire, si un pieux moine parcourait les mers pour prêcher la foi en Angleterre, eu Ecosse, en Irlande, tous les épisodes de ces petits drames avaient pour objet d'élever le cœur et de fortifier les courageuses entreprises, dans un but de civiliser les mœurs, d'enseigner les vertus et la culture des terres, de substituer enfin le triomphe de la morale à la force et à la brutalité[17]. L'époque de ces légendes est surtout le Xe siècle ; les moines éprouvaient le besoin de dire toutes leurs émotions, de recueillir toutes leurs pieuses histoires. L'invasion des Hongres, des Normands, des Sarrasins, les a forcés de fuir[18] ; ils emportent avec eux leurs saintes reliques, comme Énée sauve avec lui les dieux d'Ilion en cendres. Ces religieux, au retour de leurs courses lointaines, écrivaient à la hâte, la douleur dans l'âme, les émotions qu'ils avaient éprouvées pendant leur long itinéraire dans la campagne désolée. Ces relations se multipliaient alors incessamment ; elles présentaient le plus intéressant tableau des mœurs du peuple. Dans la frayeur qu'éprouvaient ces bons religieux, ils décrivaient leurs courses merveilleuses, les périls qu'ils avaient surmontés, la géographie de leur pèlerinage, les usages des habitants qu'ils avaient visités. Lorsque, fatigué de l'aspect monotone, et désabusé de la société actuelle, on parcourt la vaste collection des Bollandistes, le cœur se repose avec un mélancolique intérêt sur ces tableaux de la société au Xe siècle, sur ces habitudes de la vie féodale ou monastique ; on apprend la poétique histoire de ces tours, de ces murailles toutes noircies, de ces cloches au glas retentissant, de ces orgues des cathédrales, de ces plains-chants sévères, de ces horloges à sable qui remuaient leurs larges roues de fer, monotones comme la voix du temps, et le sablier des heures qui coulaient avec la vie.

La chronique venait en aide à la légende pieuse du monastère ; les hommes d'armes n'étaient pas assez avancés dans la vie lettrée pour s'occuper du récit des événements. Le Franc, à la chevelure flottante, allait en guerre, il ramassait du butin et du pillage ; c'était sa vie. Avait-il le temps de narrer les expéditions de château à château, les aventures de grandes routes, les dépouillements des pauvres pèlerins ? Ce ne fut que deux siècles plus tard que les barons, comme Villehardoin et Joinville, se mirent à conter les merveilles des lointaines expéditions[19] ; jusque-là c'étaient les clercs qui recueillaient silencieusement dans le monastère tous les récits des événements : d'abord l'obituaire des cellules et des manoirs voisins narrait comment était entré dans le sein de Dieu l'abbé dont on voyait le tombeau sous la statue blanche et mitrée dans le chœur ou le sanctuaire. On disait le trépas du simple frère et du baron qui avait légué son corps à la communauté et ses terres à la sainte maison, pour qu'une messe d'obit funéraire fût récitée chaque jour. Les chroniques ressemblaient aux inscriptions tumulaires que l'on voit encore dans les cimetières d'Allemagne pêle-mêle avec les statues et les armoiries dos barons et des graffs[20] ; il y règne un sentiment de tristesse, une douleur profonde sur les misères de la vie Au moyen âge, la pensée religieuse domine le monde ; tout se rattache au tombeau ; l'existence de l'homme est jetée dans une grande vallée de larmes qu'on traverse péniblement, les yeux fixés aux ciel[21].

Cependant cette société du Xe siècle n'était pas exclusivement religieuse ; il y avait surtout la pensée des batailles chez l'homme d'armes ; quelle lecture pouvait le distraire, lui qui aimait tant à entendre le cornet retentissant au champ clos ? la chronique cléricale et monastique restait déposée sous les voûtes du moutier ; ou la consultait dans les graves discussions, comme on fit plus tard de la chronique de Saint-Denis en France ; mais il fallait à ces fiers hommes des chants de guerre et de longues histoires des grandes prouesses. Partout où la race du Nord s'était établie en conquérante, elle avait fait entendre les poèmes des scaldes à la harpe d'or ; l'époque carlovingienne avait déposé d'immenses souvenirs dans la mémoire des hommes ; quand une intelligence supérieure, une puissante tête de guerre apparaît, elle laisse après elle une longue traînée de gloire ; on en récite les hauts faits ; l'histoire devient trop étroite, l'épopée se révèle ; il faut à des chants merveilleux un monde merveilleux. Charlemagne était devenu le héros des mille chansons de geste[22], souvenirs de guerre récités d'une voix bruyante avant la bataille ; ce Charlemagne couvert de sa peau de loutre, cet empereur qui avait réuni sous sa puissante domination les terres de l'Elbe à l'Èbre, de la Saxe à la Navarre et à l'Aragon ; ce prince législateur qui datait ses capitulaires de Francfort ou d'Aix-la-Chapelle, dans les vieux palais où se tenaient les cours plénières ; Charlemagne était devenu le centre d'une grande épopée où se mêlaient les noms des chevaliers, des puissants hommes d'armes qui le suivaient à la guerre Qui pourrait nous dire les prouesses de Roland le fort paladin, héros invincible dans les batailles ! il était fils de Milon et de Berthe, sœur de Charlemagne ; sa vie entière fut un drame, depuis sa naissance jusqu'à sa mort à Roncevaux : Or, seigneurs, dames, écuyers, clercs et varlets, écoutez maintenant comment ce Roland et Olivier moururent à Roncevaux, écrasés sous les rochers des Pyrénées ! nobles paladins, ils feront entendre le son du cor, et les échos seuls répondirent à ce cri de mort des enfants de la France[23] ; si vous voulez savoir l'histoire des exploits de Charlemagne devant Narbonne et Notre-Dame de Grasse, écoutez la chanson de Philoména récitée par les troubadours de la langue d'oc ! vous aurez aussi les prouesses des paladins de Charles, dans le roman de messire Montauban ? il peut jouer trois bons tours à l'armée de Charlemagne, et le premier de ces tours est de mettre Charles dans un sac, et d'ainsi l'amener en la forteresse où se défendent les fils d'Aymon[24] ; or telle est la puissance de la loi féodale, que ces bons chevaliers baissent le genou devant leur empereur captif ; ils versent des larmes abondantes et demandent grâce. Ici les versions romanesques varient, les uns font finir Renaud en ermite, dans le désert ; les autres le changent en maçon, travaillant et édifiant de belles églises ; ne fallait-il pas exciter à la prière, à l'ordre et au travail les générations qui écoutaient ces naïves histoires ? Le roman de Renaud de Montauban est la peinture la plus complète, la plus précieuse des grandes luttes de la société féodale. C'est le tableau des hommes d'armes fougueux, d'une suzeraineté mal affermie, et de ces guerres de châtellenie qui agitaient le Xe siècle.

Faut-il vous réciter également les épopées de la Table ronde, ces aventures mystérieuses et galantes qui eurent pour théâtre les sauvages forêts de la Calédonic et le saint greal pour sujet ? Le saint greal était le hanap ou coupe d'or de la cène de Jésus-Christ ; il reproduisait le mystère de l'eucharistie, le symbole de l'hospitalité que la chevalerie adopta, lorsque, assis à la Table ronde, les paladins disaient les grandes prouesses. La société était agitée par les haines et les jalousies terribles, par l'esprit de dévastation et de pillage ; belle institution que cette Table ronde qui les unissait tous dans une confraternité d'armes[25] : apparaissez, noble Arthus à la chevelure d'or, roi couronné qui fonda les institutions de la chevalerie ; apparaisse/, vous tous, Merlin, fils du démon et d'une vierge, dont le tombeau se montrait dans la forêt épaisse ; hélas ! vous fûtes victime de Vivianne l'enchanteresse ! Ce paladin à la démarche mélancolique ; c'est Lancelot du Lac, avec l'incomparable reine Geneviève ! Amants, endolorez-vous tous aux aventures de Tristan le Léonois et de la jeune Iseult : que de traverses, que de tristesse, que de larmes versées avant d'arriver au triomphe d'amour[26] que je vous souhaite !

Ces chants de geste, ces légendes, ces commencements d'épopées, tendaient à organiser la société dans ce période de violence. Si la pieuse légende et la sainte histoire d'un solitaire ou d'une simple femme enseignaient aux farouches féodaux les devoirs envers le faible et le petit, les liens de la société humaine, les chansons de geste qui se régularisèrent un siècle plus tard, poliçaient les mœurs et préparaient l'époque de galanterie. Tout était confus dans les habitudes de ces hommes d'armes : le droit n'était rien pour eux ; ils marchaient au triomphe de la force et de la violence ; les légendes, les chansons de Geste avaient une même tendance, une commune destinée ; elles étaient un progrès vers la civilisation. Sous ce point de vue elles méritent surtout d'être examinées ; souvent , quand l'heure du festin sonnait aux vieux châteaux sur la montagne, le trouvère entonnait la chanson de Roland, et comment ce pieux paladin mourut aux bras de l'archevêque Turpin en repentance de ses fautes[27] ; n'était-ce pas dire aux hommes d'armes violents qu'il était temps de se repentir, car la mort pouvait venir aux plus forts, aux plus hautains dans la mêlée, comme elle avait saisi par la gorge Roland et son cousin Olivier ! Pénitence donc ! pénitence donc ! maudits seigneurs, car les puissants et les invulnérables ne devaient pas mourir déconfés !

 

 

 



[1] Les chroniques et les chansons de gestes ne parlent jamais que des expéditions des seigneurs ; elles s'occupent à peine de la vie intérieure -, l'église et les batailles, voilà toute leur préoccupation. Voyez tom. X de dom Bouquet, Historiens de France, et Bréquigny, Collect. de Chartres et diplômes, tom. I.

[2] Il en est des châteaux du moyen âge comme des églises, ils sont presque tous construits sur des ruines romaines. Voyez la préface du tom. X de dom Bouquet, Histoire de France.

[3] Les plus anciens manuscrits à miniatures reproduisent les châteaux ceints de deux tours à créneaux ; le P. Montfaucon, qui a donné deux monuments du Xe siècle, les représente aussi dans ces formes toutes grossières, tom. I, planche Ire.

[4] Je visitais ces ruines en 1837, à l'approche de la nuit, quand les corneilles battaient la tour de leurs ailes noires ; je ne comprends pas un voyage aux bords du Rhin sans ce pèlerinage aux vieux châteaux des sept montagnes.

[5] Le P. Montfaucon a publié les plus anciennes tapisseries avec un soin et une exactitude minutieux. Monuments de la Monarchie française, tom. I. Il y a plus d'art dans les publications modernes, mais le calque contemporain est moins parfait.

[6] C'est un des caractères les plus odieux de la famille au moyen âge. Voyez Chronique de Frodoard au Xe siècle, et celle de Raoul Glaber : les seigneurs délaissent de chastes et pauvres épouses. Art de vérifier les Dates, tom. II et III.

[7] Ducange, v° Advocat., Defensor, donne d'admirables détails sur les fonctions des défenseurs et protecteurs des églises. Voyez aussi la préface du tom. II des Historiens de France de dom Bouquet, p. 184, et une Dissertation spéciale de l'abbé de Camps, Cartul. Mss., tom. I.

[8] On voit même des restitutions pendant la force de la vie ; en voici plusieurs exemples : Charta qua Rinardus, Normanorum princeps, in placito restituit Sancti Dyonisii monasterio Britnevallum in pago Tellam, etc. 18 mars 968. Voyez aussi : Notifia restitutionis terrarum in pago Massiliensis monasterio Sanct. Victor. (Gallia chrintiana, tom. I, p. 188. — Bréquigny, tom I).

[9] Ducange, v° Recommandatio, Potestat. Voici comment l'admirable Ducange définit le serf : Homo, potestatis, non nobilis ita nuncupantur. Quod in potestate domini sunt : opponuntur viris nobilibus.

[10] Voyez les Chroniques de Frodoard, de Raoul Glaber, aux années 950-970 : elles font d'horribles descriptions de la famine, dom Bouquet, Histoire de France, tom. X.

[11] Voyez les Annales de Mabillon, tom. III, p. 594, n° 6. Il y a un traité tout spécial d'Abbon, moine de Fleury, pour constater que les caractères de l'apparition de l'Antéchrist ne se sont point produits encore. Martenne, Ampliss. Collect., tom. IV, p. 860.

[12] Adhémar de Chabanais et le moine Glaber sont de tous les chroniqueurs ceux qui aiment le plus à s'arrêter aux prodiges, 970-1050.

[13] Le droit féodal ne fut fixe que postérieurement comme législation. Les établissements des barons et des chevaliers à Jérusalem sont, selon moi, le premier acte complet de la législation des fiefs : ils sont de la fin du XIe siècle. Les capitulaires n'étaient plus exécutés au Xe siècle. Voir Ducange, v° Feudum.

[14] C'est vers l'an 960 que cette opinion de la fin prochaine du monde se répandit avec une indicible rapidité. Trithème rapporte un sermon d'un ermite de Thuringe, nommé Berhnard, qui affirmait que le Seigneur lui avait révélé cette triste catastrophe. Voyez Trithème, Cronic. Hirsaugiens., tom. I, p. 103. L'armée d'Othon, se trouvant en marche dans la Thuringe, fut pleine de terreur à l'aspect d'une éclipse, parce qu'elle annonçait que la fin du monde approchait. Martenne, Ampliss. Collect., tom. IV, p. 860.

[15] Les grandes épopées ascétiques des IXe et Xe siècles sont celles d'Aimoin, de Miraculis sanct. German. Dom Bouquet, tom. VII, p. 349. Hildegand, vit. S. Faronis, ibid., p. 375. Anonym., de Miraculis sanct. Benedict. (apud Duchesne, Script. rerum norman.), p. 27.

[16] Telle est la légende de saint Benoît, ainsi qu'elle est rapportée par les Bollandistes, la plus admirable collection, quand on veut se donner une juste idée des mœurs et des habitudes des IXe et Xe siècles ; c'est l'étude la plus éminemment historique : je m'y suis plus profondément appliqué. Voici la meilleure édition : Acta sanctor., etc., cura R. P. Johannis Bollandi ac sociorum ejus. Anvers, ann. 1642 à 1649. Voyez aussi Act. sanct. ordin. Sanct. Benedict., par le savant et modeste Mabillon.

[17] Je ne saurais trop recommander, même pour l'histoire de la science géographique, de lire dans les Bollandistes la vie des confesseurs et des martyrs, et particulièrement celle de saint Anschaire, qui visita le nord de l'Europe au IXe siècle. J'ai analysé la vie de saint Anschaire dans un Mémoire sur les invasions des Normands.

[18] Il existe des histoires de ces translations de reliques au Xe siècle surtout ; dom Bouquet en a rapporté plusieurs. Voyez Ex tranalation. beat. Vincent. martyr., et Translat. sanct. Faustœ. Hist. de France, tom. VII, pag. 84 et 352.

[19] En parcourant attentivement l'histoire littéraire du Xe siècle, je n'ai pas rencontré le nom d'un seul homme d'armes qui ait écrit les annales d'une ville, d'une province, d'un château ; or, chacun sait l'exactitude des Bénédictins. L'histoire littéraire du Xe siècle forme le tom. IV des Bénédictins, édition in-4° ; la préface surtout est remarquable.

[20] A Munich, dans la vieille ville, par exemple, les pierres tumulaires avec des armoiries allemandes sont incrustées dans les murailles des églises ; il en est ainsi à Ratisbonne. J'éprouvai une indicible mélancolie à l'aspect de ces traces de mort qu'on suit génération par génération.

[21] Les principales chroniques du Xe siècle sont celles de Frodoard, d'Adhémar de Chabanais, la vie de Buchardus ; elles sont au reste toutes publiées dans les IXe et Xe volumes des Bénédictins. Il est malheureux que, pour s'assujettir à l'ordre chronologique, les savants religieux aient cru indispensable de couper les chroniques par morceaux.

[22] Ce fut dans les Xe et XIe siècles que les grandes épopées chevaleresques furent développées. Dans le Xe, il n'y avait encore que des traditions et de simples chants. Les romans du cycle de Charlemagne sont considérables ; les principaux sont ceux de l'enfance d'Ogier le Danois, de Berthe aus grans piés, d'Aimery de Narbonne, de Regnault de Montauban, de Garnier de Nanteuil, etc. Mss. du roi, fonds la Vallière, n° 2729, 2733, 2734, 2735.

[23] Comment Roland voulust rompre son épée, et il fendit le rochier en deux, et puis comment il corna son cor, et mourut sous l'arbre dessus dict. Chronique de Turpin, édition de 1527. Je n'ai pas besoin de répéter que les épopées chevaleresques ne commencèrent à se régulariser que dans le Xe siècle ; M. P. Paris l'a très-bien démontré ; je ne parle donc ici que des traditions et des chansons de geste, origine incontestable des épopées postérieures.

[24] Maugis dit à Renaud, en lui remettant Charlemagne captif : Cousin, prenez garde qu'il ne vous échappe ; puis Maugis s'en alla faire pénitence de ses péchés en un ermitage (chap. XI).

[25] Le premier et le plus antique des romans de la Table ronde c'est le Brut ; il eut plein d'incidents et d'imagination. Le Roman du Brut vient d'être publié, 1837. Je regrette toujours qu'on n'adopte pas un système de traduction.

[26] Le Tristan a été le poème le plus connu et le plus fréquemment publié ; il en existe au moins quinze manuscrits à la Bibliothèque royale. Les Romans d'Arthus, de Merlin ont été édités ; Arthus en 1488, à Rouen ; les Prophéties de Merlin, Paris, 1458, 3 vol. in-fol. Qui ne se rappelle le touchant épisode du Dante sur Françoise de Rimini ? elle lisait le Lancelot avec son amant quand ils furent surpris.

[27] C'était en présence des dames et dans les grandes cours plénières que les trouvères entonnaient les chansons de geste. Voici comment Gérars se présente à la cour du duc de Metz :

A la porte tant attendi

Qu'un chevailer ens l'appela

Qui par la cour traiant alla

En la salle l'emmene amont

Et de violer le serment ;

Lors commence si com moi semble

Les vers de Guillaume au cor nes.