HUGUES CAPET ET LA TROISIÈME RACE

 

TOME PREMIER

CHAPITRE PREMIER. — LE TERRITOIRE FÉODAL AU DIXIÈME SIÈCLE.

 

 

Aspect des terres. — Forêts. — Déserts. — Ermitages. — Oratoires. — Routes. — Culture. — Ponts. — Bacs. — Péages. - Bourgs. — Villes. - Monastères. — Châteaux. — Traces de la civilisation romaine. — Les races d'hommes. — La grande famille féodale.

Xe SIECLE.

 

Les vastes terres qui s'étendent des Alpes à l'Océan, du Rhin aux Pyrénées, offraient dans le dixième siècle l'aspect d'une nature sauvage ; ces fertiles campagnes, où se déploient, en mille couleurs ondoyantes, les vertes prairies ; ces coteaux où jaunit aujourd'hui le pampre ; ces parcs, ces jardins si travaillés par l'art, n'ornaient pas de leur brillante parure le territoire féodal. Si vous avez quelquefois parcouru la sombre forêt de Fontainebleau, dans ses sentiers les plus épais, à travers ces rochers de granit jetés par la création, vous pouvez alors vous faire une idée de la vieille terre au Xe siècle ; et quand vous vient au cœur ce frissonnement que donnent la solitude et les grands bois secoués par l'ouragan, vous pouvez vous représenter la triste société ravagée par tant de fléaux avant qu'elle se fût organisée sous la double hiérarchie de la royauté et du catholicisme[1].

Les forêts couvraient le sol. De la Meuse à la Bretagne, ce n'était qu'une vaste terre, peuplée de vieux arbres que la cognée n'avait jamais atteints. Qui pouvait pénétrer sans effroi dans la forêt des Ardennes, si célèbre par ses grandes aventures, et dans ces retraites antiques de la Bretagne, où des ormes séculaires entrelaçaient leurs rameaux épais ? Toutes les légendes s'y rattachaient : ici c'était l'apparition des monstres, des enchanteurs et des fées ; là c'était une grotte profonde, où les enfants des druides, couronnés de buis verdoyants, rendaient les oracles. A l'abri de ces impénétrables retraites, plus d'un terrible seigneur avait trouvé appui pour ses pilleries ; il faut parcourir la vie des saints et les translations de reliques pour se reproduire l'aspect sauvage de ce sol de la vieille Gaule pendant plus de deux siècles[2]. La touchante histoire de Geneviève de Brabant est le plus poétique tableau de la société, quand elle était ainsi livrée à la violence ; la pauvre femme calomniée qui vit dans la forêt, cette solitude absolue pendant de longues années, sous les bois épais ; la biche si douce qui nourrit le pauvre orphelin ; ce seigneur qui poursuit sa chasse au son du cor retentissant ; voilà bien cette époque de force individuelle et d'usurpation. Tout vivait dans l'isolement comme la tour sur la montagne, le château fortifié, et l'homme d'armes qui apparaissait sur le donjon[3].

A côté de la forêt était le désert couvert de bruyères ; il n'est pas une chartre, une légende qui ne parle du désert ; la plupart des fondations pieuses indiquent ces terres incultes ou malsaines. Le désert offrait des champs en friche, des landes sans culture, qui se prolongeaient pendant des lieues entières sans présenter une seule habitation ; là bondissait en liberté le chevreuil sauvage, tandis que le loup faisait entendre sa glapissante voix ; de temps à autre, une troupe de pèlerins traversait ces bruyères épaisses pour se rendre à l'oratoire voisin, et visiter les châsses bénites d'un saint en vénération à la contrée. On entendait alors des hymnes, des cantiques au son de quelques instruments grossiers[4] ; on apercevait le pèlerin agenouillé comme on le voit encore aux vitraux des vieilles églises. Quelquefois aussi, des marchands, des juifs, des Italiens, parcouraient à l'aide de guides ces contrées perdues, pour aller à la foire ou landit, à Saint-Denis en France, ou vers toute autre réunion marchande qui tenait ses étaux à la porte des cathédrales, sous les niches des saints, à l'abri de l'image des martyrs.

Le plus humble habitant de ces déserts était l'ermite[5] ; de loin en loin, dans la vaste plaine ou sur la colline élevée, on voyait briller la croix sur un petit clocher en forme latine, comme les basiliques de Rome, qui remuent l'âme si profondément. Un petit bâtiment construit en chaume contenait deux seules pièces : l'une pour le chétif ermite, couché sur des feuilles sèches, son unique lit de repos ; l'autre était destinée aux voyageurs pour l'hospitalité sainte ; quand un pauvre chrétien s'était égaré dans le désert, sans trouver trace, il frappait fortement à la porte, et Termite lui préparait le dîner de ses mains, et le servait sur sa modeste huche ; les pieux canons imposaient comme devoirs à l'ermite[6] la prière et le gîte pour le voyageur. Souvent ce religieux à la barbe grisâtre, au front haut et fortement ridé, avait été, dans le temps de sa force et de sa jeunesse, un farouche chevalier au bras indompté, au cœur impitoyable, au dur gantelet, à la lance plus dure encore ; les traditions populaires disaient souvent que c'était un seigneur fameux par ses pilleries d'églises, et qui les expiait ainsi par le repentir et la pénitence austère. Dans la fougue de sa jeunesse, il avait mené ses chevaux bardés de fer dans le parvis du monastère ; il avait brisé le crâne de l'avoué ou défenseur de l'église, et meurtri le sein des religieux : aujourd'hui il faisait pénitence et pleurait ses fautes[7]. L'ermite était vénéré par tous les habitants du canton ; quand on le voyait venir de loin, appuyé sur son bâton blanc, vêtu de bure comme les serfs du manoir, on lui prodiguait tout le respect qu'inspire une existence de sainteté et de solitude ; l'ermite était l'arbitre des différends, le consolateur des affligés, et lorsque les ravages des grandes passions avaient secoué la vie, on venait déposer dans le sein du solitaire les secrets de la confession après une existence agitée, où apparaissaient le meurtre, la violence et la confusion !

Non loin de l'ermitage, souvent était l'oratoire ; si un pèlerinage célèbre dans la contrée appelait les habitants vers quelque lieu sacré, riche d'un pieux reliquaire, on bâtissait sur la route de petits oratoires avec une croix pour prier ; c'étaient des stations fréquentées et des lieux de repos pour la troupe des pèlerins qui s'agenouillaient. Au pied de l'oratoire s'établissait la petite caravane, qui allait porter l'ex-voto au reliquaire ; on voyait seigneurs, clercs, femmes, enfants, le faucon au poing et les chiens en laisse, se diriger vers les stations. On n'allait jamais tout d'un trait au pèlerinage lointain ; on se reposait dans les lieux les plus agrestes où la croix était plantée, au milieu de ces rochers couverts de mousse, rafraîchis par les cascades et les ruisseaux qui se perdaient dans la prairie. La distance se comptait par les oratoires, et le chapelet récité on route servait à mesurer l'éloignement, comme le sablier à marquer les heures dans les manoirs. De longues processions suivaient l'itinéraire tracé par les pèlerinages ; et lorsque les ravages des Normands jetaient la désolation et l'effroi au sein des abbayes, on voyait les troupes de moines éperdus porter sur leurs épaules la chasse, qui était le plus riche dépôt de la communauté[8]. Les reliques attiraient les fondations pieuses sur le monastère ; ces ossements arrachés au sépulcre se rattachaient le plus souvent à un souvenir patriotique : ici c'était une sainte patronne qui avait arrêté l'invasion des Huns ; là un évêque qui avait abaissé le col du fier Sicambre, et apaisé le courroux des Barbares sous le joug salutaire du christianisme. La plupart des légendes c'étaient l'histoire de la civilisation dans les Gaules ; elles célébraient le saint qui avait cultivé la terre, ou enseigné la morale aux hommes de force et de violence[9]. Ces pèlerinages aux oratoires, aux pieuses abbayes, avaient tracé les premières routes dans les campagnes désertes ; on se voyait, on se communiquait dans les grandes fêtes, dans les saintes solennités. Les foires, les landits, se tenaient devant la porte des abbayes ; il y avait un mélange de cérémonies religieuses et d'émotions populaires ; tout se tenait et marchait de concert dans ces siècles ; le Christ tendait la main aux serfs, et la corporation monastique fut le modèle de la corporation communale.

Le monastère était plus vaste et plus peuplé que l'ermitage et l'oratoire. Ce n'était point encore l'époque des ogives élancées et des vitraux coloriés par les brillants efforts des artistes ; les temps étaient trop difficiles pour qu'on songeât aux embellissements de l'église ; les monastères étaient de véritables châteaux fortifiés ; des tours larges, byzantines ou romaines, avec des meurtrières[10] et des créneaux ; des portes toutes liardées de fer, aux gonds épais et criards ; des palissades, des fossés gardaient l'abbaye comme le plus fort château de la montagne ; et il le fallait bien, quand l'Église était incessamment menacée par mille Barbares, Hongres, Sarrasins et Normands[11]. L'ogive et la rosace, ces enjolivements gothiques, ne vinrent qu'au temps paisible, au XIIe siècle surtout, période si avancée déjà, comparativement aux époques qui l'avaient précédée. Si les pèlerinages avaient ouvert les voies pour les communications plus lointaines, les oratoires, les monastères furent le premier principe des bourgs, des villes qui se fondaient à leur entour. Dès qu'un lieu de prière était consacré, le peuple y accourait en foule ; quelques cabanes s'élevaient d'abord en bois et en chaume, puis on bâtissait des maisons plus solides, et bientôt le bourg, la ville prenaient un plus vaste développement autour du reliquaire ; et c'est ce qui explique comment les cités, les hameaux même, portent tous encore le nom des saints : ne fallait-il pas dire la reconnaissance des bourgeois et des serfs ?

L'aspect d'un bourg avait alors un caractère de simplicité et d'agreste sauvagerie. Ainsi que le monastère et l'abbaye, le bourg était palissade contre les invasions du dehors. C'était avec les débris des vieux monuments romains que les habitants fortifiaient leurs murailles ; ici les fragments d'un cirque, 4es ruines d'un théâtre, les vestiges d'un forum où s'asseyaient naguère les citoyens couverts du pallium ou de la prétexte, servaient à construire une tour, un château, ou les fondements d'une église[12]. Dans ces temps de tristesse et d'isolement, il se faisait une double invasion dans les monuments de la civilisation romaine. Aux longues veillées d'hiver, un religieux déchirait une page d'Homère et de Virgile pour écrire sur le parchemin ces plains-chants douloureux qui s'adressaient au Seigneur, tandis que la confrérie des maçons brisait les colonnes des temples pour établir sur de solides bases les murailles épaisses des monastères. Comme le bourg était parti de l'église, les maisons se groupaient autour du presbytère en ruelles étroites et pressées ; la croix de la paroisse était le centre du village, parce qu'elle en avait été la première origine. Là vivait le serf couvert de bure, sous la protection de l'abbaye ou du château ; et sur la hauteur on voyait aussi la forte tour aux murailles crénelées qui se mêlait aux rochers, nids d'aigle. Il n'y avait point encore cette noble chevalerie qui protégeait le faible et l'orphelin, les dames et les clercs. Le château du seigneur était un véritable repaire d'hommes d'armes. Elles étaient bien redoutées, ces tours que l'on voyait çà et là semées sur le territoire féodal. Entendez-vous le son du cornet, le bruit des chevaux qui font trembler la terre sous leur pas hâtif ? c'est l'implacable châtelain qui s'avance. Il a sa lance au poing, son corps est tout de fer, sa tête ornée d'un casque sans visière, comme on le voit encore sur les plus anciennes tapisseries[13]. Le voilà qu'il s'élance dans la plaine ; tantôt il dépouille des pèlerins, le pauvre moine qui visite un monastère de son ordre ; tantôt il s'en prend au marchand, au juif qui se rend à la foire ou landit à Orléans, Saint-Germain ou Saint-Denis en France. Ce mélange du bourg et de l'abbaye, de l'église et du hameau, explique, je le répète, comment les villages prenaient le nom d'un saint. Ne lui devaient-ils pas leur origine première et leur fondation autour de l'église ? ne lui devaient-ils pas la protection de la croix et des reliques contre les féodaux ?

Auprès de la bourgade, incessamment menacée par les invasions des Normands et des Hongres, se trouvait le champ cultivé par les moines, les serfs et les paysans. Toutes les terres d'abbaye étaient des fermes travaillées. On y voyait de vastes plaines de blé ; un jardinage arrosé par de nombreuses rigoles qui serpentaient dans ces terrains gras et plantureux[14]. Le serf était partout attaché au sol ; il le cultivait de ses mains calleuses sous la surveillance du majordome. Il n'y avait rien en dehors de ces cultures religieuses, car les méthodes de l'art du Latium et des Gaulois étaient oubliées. Quelques vestiges de routes romaines favorisaient les communications ; partout des ponts, des bacs, des péages. Et puis, comment éviter le pillage à main armée, quand l'homme d'armes s'élançait de sa tour en la montagne pour rançonner le bourgeois ou le voyageur qui allait de foire en foire, ou le pauvre pèlerin courant visiter le pieux reliquaire ? La forêt était aussi la demeure de ces noirs charbonniers qui effrayèrent l'enfance de Hugues Capet et de Philippe-Auguste[15].

Le voyageur qui aurait parcouru le vieux territoire des Gaules au Xe siècle, n'aurait trouvé que de rares vestiges de la grande civilisation romaine qui avait dominé cette magnifique contrée. Que de villes ne comptait-on pas, dès les premières années de l'ère chrétienne, dans ces vastes divisions de l'administration impériale ! Au midi, Arles avec ses arcs de triomphe, ses cirques, ses théâtres, où dix mille spectateurs s'asseyaient à l'aise, revêtus de la prétexte ou de la robe de pourpre ; Marseille, la ville grecque, avec ses maisons hautes sur la colline, Lyon, la capitale des Gaules, cité splendide où siégeaient le propréteur et le sénat des municipes ; Vienne, Autun, si célèbres dans les derniers jours de l'empire, et la Lutèce de Julien avec ses thermes, ses palais de la première et de la seconde race ; toutes ces cités avaient entre elles des communications par les grandes voies que les légions de Rome construisaient tout à côté des arcs de triomphe élevés à la gloire des dieux et des Césars, alors que les tribuns et les centurions jetaient leurs œuvres de victoire dans des contrées inconnues, sur les frontières mêmes de la Calédonie ! La plupart de ces magnifiques ouvrages de la grandeur romaine avaient disparu sous les invasions des Barbares ; le pied des chevaux des Huns avait foulé les colonies de Rome, les sœurs de la ville éternelle, comme le vent de l'orage qui brise les vieux chênes et éparpille en poussière les dunes de l'Océan. Le territoire des Gaules, au Xe siècle, était un peu comme ces terres de l'Orient où l'on découvre de temps à autre les ruines de vastes cités, des tronçons de colonnes épaisses, ces sphinx à l'œil froid et vide, ces pyramides immenses, ces débris de villes aux cent portes, Babylone et Thèbes, dont on cherche les traces sous le sable. Il n'y a pas d'instrument plus destructeur que la main de l'homme ; il y a dans sa nature un principe de démolition et de ruine ; il abîme pour reconstruire incessamment, jusqu'au jour solennel où arrivera le grand anéantissement de la matière.

Ainsi était le territoire de la Gaule au Xe siècle ; vous auriez cherché en vain des traces profondes de la civilisation romaine, elles se produisaient à peine. La désolation avait remplacé la culture du sol ; l'aspect de la terre avait quelque chose de Solitaire et d'abandonné[16] ; partout la forêt ou le désert, des villes fortifiées comme pour soutenir un siège ; des châteaux élancés sur la montagne, des tours crénelées pour se défendre contre les Barbares ; çà et là, des ermitages,des oratoires, des abbayes silencieuses ; la terre avait cette physionomie sombre qui accompagne les grandes désolations. Je n'ai jamais parcouru les Chartres, les diplômes, les cartulaires de celte époque sans éprouver un vif serrement de cœur ; ces monuments portent l'empreinte d'une profonde tristesse ; ils révèlent dans les esprits une pensée de mort, ils sont comme un grand obituaire où seigneurs, chevaliers et clercs inscrivent pour ainsi dire leur nom sur la pierre sépulcrale ; c'est toujours la pensée d'une immense destruction qui domine ; tous font des donations pieuses au monastère, comme s'ils voyaient déjà brûler la lampe funèbre sur leur tombeau, où ils devaient être bientôt couchés, leur épée au côté, le faucon sur le poing et le lévrier féodal sous les pieds en pierre blanche et froide. Il est des temps ainsi marqués, où les générations portent sur leur front assombri une empreinte de tristesse et de désespoir !

Sur ce territoire, d'un aspect si inculte, les races d'hommes étaient marquées de caractères distincts ; il n'y avait nulle trace d'une commune origine parmi ces peuples qui se partageaient les lambeaux de l'empire romain ; lorsque les grandes invasions du IIIe et du IVe siècle eurent arraché les Gaules à la domination des empereurs, les peuples conquérants s'en partagèrent les dépouilles. L'histoire de la première race n'est que la lutte des familles franque, bourguignonne et visigothe qui avaient chacune leur roi, leur code, leurs mœurs et leurs habitudes particulières ; le vaste empire de Charlemagne les réunit un moment sous une même loi, mais le caractère des populations ne se modifia pas ; les diverses familles des peuples restèrent avec leur trait fortement empreint[17].

La race franque s'était établie par la conquête dans le territoire qui s'étend de la Meuse à la Seine ; elle était reconnaissable à sa chevelure blonde et flottante, à ses traits belliqueux, à cet instinct des batailles que ses ancêtres lui avaient légué, quand ils passèrent le Rhin et la Meuse. Le Franc du Xe siècle portait la barbe longue et épaisse, son bras était toujours armé ; il dominait de toute la puissance de la conquête la race gauloise, dont les débris survivaient encore à la grande ruine, cultivant les terres comme des vilains et des serfs ; ou bien encore le Gaulois vaincu avait cherché dans les privilèges des clercs et des évêques à ressaisir la puissance que la conquête lui avait arrachée. Le Franc habitait le château sur la montagne ; il était le seigneur suzerain adonné à la vie des armes et des pilleries, le terrible homme des batailles, à la main dure, au front haut, au cœur altier, qui se précipitait sur les voyageurs, le pèlerin et le pauvre moine ; le Franc était libre, hautain ; il avait soumis la race gauloise à la servitude, et méprisait le serf cultivant la terre de ses mains ; c'étaient entre ces fiers hommes des dissensions continuelles ; le repos dans la tour où le château était proscrit, comme l'apanage du vilain ; les comtes, les seigneurs se taisaient une guerre acharnée[18] ; ici pour s'emparer d'une terre, là par des motifs de vengeance individuelle ; il eût été honteux pour le Franc de rester paisible à l'abri de ses foyers ; le son du cornet l'appelait aux batailles ; le repos était une marque de servitude.

Le Franc Neustrien avait pris un caractère plus sédentaire et plus pacifique ; ces belles plaines de la Neustrie, ces champs mieux cultivés, les villes, les bourgs plus nombreux, avaient un peu amolli la trempe belliqueuse des premiers envahisseurs ; on voit déjà au Xe siècle les Francs Neustriens, adonnés à la culture des terres, résister à peine à l'invasion des Normands[19] ; ils sont surtout les hommes du sol et de l'église, ils habitent de vastes campagnes ensemencées, de verts herbages, des cités opulentes ; leur territoire est peuplé de nobles et antiques abbayes ; on trouve peu de ces durs chevaliers qui se montrent pillards de clercs et de pèlerins. On sent que ces peuples ne sont plus des conquérants toujours les armes à la main ; et c'est ce qui explique la facile domination de Roll ou de Rollon, ce chef belliqueux dans la Neustrie. L'avènement de Roll, le traité de Saint-Clair-sur-Epte, est l'époque où la Normandie commence à prendre part à la grande vie féodale ; la race neustrienne devint, par rapport aux Normands, ce que les Gaulois étaient devenus par rapport à la race franque : le serf cultivant la terre, le vaincu soumis aux grands devoirs à l'égard des vainqueurs, l'esclave attaché à la glèbe sous les lois de son seigneur féodal. Le Neustrien fut l'homme de pœste du Normand, quand il ne le domina pas comme clerc d'église.

Les Bourguignons habitaient la vaste province lyonnaise et le royaume moitié germanique qui s étendait jusqu'à Arles. Les chroniques de la première race ont conservé les traces des lois et des mœurs des Bourguignons, mélange des peuples du Nord et de la famille méridionale ; il y avait chez les Bourguignons une civilisation un peu plus avancée ; leurs coutumes se ressentaient surtout de leur contact avec le droit romain et avec les populations plus éclairées de la Gaule Lyonnaise[20]. Quand les peuples, même barbares, avaient sous les yeux les débris de la civilisation de Home, ses cirques et ses temples, ses écoles de sciences et d'arts à Lyon, Autun et Vienne, ils devaient s'empreindre des souvenirs de la ville éternelle et des codes du Bas-Empire ; ils ne pouvaient rester indifférents à cet aspect des arts, à ces débris d'une grande littérature. Le christianisme avait donné aux évêques une puissance éclatante ; ces évêques, presque tous Gaulois ou Romains, s'en servaient pour imprimer une haute impulsion aux études ; les Bourguignons restaient armés comme les Francs, mais les clercs prenaient sur eux un plus puissant ascendant. Les Chartres de donations pieuses sont très-nombreuses au Xe siècle parmi les seigneurs bourguignons ; l'influence des clercs s'y faisait sentir, ils accablaient l'Église de fondations attachées aux fiefs et à la terre ; ils imploraient leur pardon agenouillés devant lâchasse bénite, quand la vie s'en allait[21].

La race d'Aquitaine venait des Visigoths, sous ce merveilleux gouvernement d'évêques, de conciles et d'assemblées qui, votent les lois aussi librement que les vieilles républiques, gouvernaient la race méridionale[22]. Les Aquitains se distinguaient des Francs par des mœurs plus douces, ils avaient en partage la ruse, la finesse et un peu de déloyauté ; la chronique franque plaçait là le type de la trahison ; les méridionaux se séparaient de la famille germanique même par le costume ; les peuples d'Aquitaine portaient la barbe rasée, les vêtements courts, les cheveux bouclés et parfumés d'essences[23] ; les Aquitains aimaient le plaisir, les grandes distractions de la vie, sous l'influence du beau climat du Languedoc et de la Guienne jusqu'à la Loire ; leurs cités étaient florissantes, ils cultivaient les arts, les progrès de l'intelligence ; ils avaient aussi des seigneurs valeureux qui se plaisaient aux batailles, et les annales des Lupus de Gascogne et des Raymond de Toulouse, indiquent que les comtes et marquis du midi des Gaules menaient aussi la vie des forêts et la sauvage existence de la féodalité dans les chasses bruyantes et fastueuses du dixième siècle.

En avançant un peu plus vers les Pyrénées, vous trouviez les Gascons et les Basques ; c'étaient des populations d'origine perdue dans les temps ; les Gascons formaient une nation vaillante, se maintenant dans son indépendance au milieu des montagnes escarpées. Les chroniques parlaient des Gascons même sous la race carlovingienne, et les chants de Roncevaux disaient encore comment Roland, le puissant paladin, le brave et digne Olivier, le saint archevêque Turpin, de vaillante mémoire, avaient été brisés sur les rochers des Pyrénées par la population des Basques, des Navarrais et des Gascons[24], qui attaquèrent l'armée franque. En vain Roland avait fait entendre le son du cor, il avait expié son grand courage ; il était mort béni par le hou évêque Turpin, expirant lui-même à ses côtés. Les Basques et les Gascons parlaient une langue particulière, dont le Franc ne savait pas la première syllabe ; des mots durs, demi-sauvages, n'avaient aucune analogie avec les idiomes de France et même d'Aquitaine ; il semblait que cette population avait été jetée là avec les immenses rochers des Pyrénées, au moment de ce cataclysme qui, remuant les montagnes et secouant les grandes eaux, engloutit la première création.

Les Bretons avaient également l'indélébile caractère des nations primitives ; ils habitaient un territoire de bruyères, ou de grandes forêts, chevelure épaisse de ces terres druidiques[25]. Les Bretons formaient une famille à part, qui avait plus de rapport avec les Saxons des côtes de Dorchester et d'Exeter qu'avec les Neustriens et les Normands, mortels ennemis de la famille bretonne ; leur langue était aussi inconnue que celle des Basques ; bien que convertis au christianisme, ils conservaient encore dans la campagne les traditions des druides aux vêtements de lin, aux oracles sacrés ; et les superstitions que César avait décrites n'étaient pas complètement effacées dans ces forêts qui bruissaient aux vents. C'était en vain que les solitaires, les moines de Redon et de Saint-Florent, parcouraient les campagnes pour extirper les superstitions antiques ; ces usages survivaient dans les bois séculaires ; on voyait encore les grottes où retentissaient les voix solennelles, traditions vivantes des mystères de la Gaule ; il y avait une langue sacrée, et quand les pèlerins traversaient les bruyères, ils voyaient avec douleur les vestiges d'un culte proscrit par les saints canons. Au reste, la population bretonne[26] avait une physionomie à part : les cheveux flottants, l'œil vif et prompt ; sa stature n'était pas haute, son tempérament était sanguin et impératif ; ce peuple souffrait avec impatience toute contrainte, on le voyait enclin à la guerre civile ; fiefs, cités, terres abbatiales on féodales, étaient disputés les armes à la main par ces nobles hommes, dont les noms rappelaient des origines bretonnes, les Alains, les Morvent, les Curvaut, les Judicaël, si célèbres dans les chroniques de la seconde race, quand les Normands dévastaient les bords de la Loire[27].

Toutes ces races franque, bretonne, visigothe, neustrienne, étaient sédentaires dans les domaines que la conquête leur avait départis ; elles se confondent avec les nations primitives qu'elles avaient soumises au servage. Mais dans les deux siècles qui venaient de finir, les terres furent fortement secouées par les invasions d'autres races plus belliqueuses et conquérantes. Pendant les IXe et Xe siècles, toutes les chroniques, les cartulaires des monastères, sont remplis des cris d'une douleur sombre et fatale ; de toutes parts les Barbares parcourant le soi des Gaules, foulaient aux pieds les reliquaires, pillaient les églises, dispersaient les populations des cités et des bourgs ; une terreur étrange se montre dans tous les récits des chroniqueurs ; les mots communs de païens, d'infidèles, signalent la présence des hordes envahissantes[28] ; quels étaient leur origine et leur caractère ? d'où venaient ces Barbares qui brisaient les dalles des églises et abreuvaient leurs chevaux aux baptistères ? Là règne une grande confusion, comme à toutes les époques où des crises fatales s'emparent de la société et la préoccupent douloureusement. Trois peuples envahissants viennent fondre sur la génération attristée : 1° les Sarrasins ; 2° les Normands ; 3° les Hongres ou Hongrois, plus cruels encore et plus sauvages.

Les Sarrasins, maîtres de l'Espagne, avaient vu leurs batailles de lances dispersées dans les plaines de Poitiers ; de blancs ossements amoncelés attestaient encore leur irréparable défaite sous Charles Martel ; les Sarrasins, en possession de la Sicile, d'une partie de la Pouille, avaient jeté des colonies en Italie, en Provence ; ils paraissaient çà et là en troupes nombreuses et armées, ils couraient sur les cités, pillaient les monastères. Mais un des caractères de leurs excursions était un besoin de coloniser : les Sarrasins alors étaient plus avancés dans les arts et la civilisation que les peuples occidentaux de l'Europe, et c'est peut-être ce qui faisait leur faiblesse relative. Quand les enfants du prophète quittaient les sables de l'Afrique, les jardins de Cordoue ou de Grenade, pour envahir une province, une ville, ils cherchaient à s'y maintenir ; ils avaient plus d'une tour fortifiée sur les collines du Rhône ; ils s'étaient précipités sur le Dauphiné, où les églises étaient transformées en mosquées, et une colonie même de Sarrasins s'était posée sur le sommet des Alpes[29] pour rançonner les voyageurs. Quand une sainte troupe de pèlerins s'acheminait vers l'Italie pour visiter pieusement le tombeau des apôtres, ou la vieille basilique de Latran avec son Christ d'or de l'école byzantine, qui jette ses yeux de feu sur le pécheur agenouillé, ils avaient à craindre les terribles Sarrasins qui les pillaient ou les retenaient au milieu des Alpes ; plus d'une légende de saint a conservé le récit de ces courses lointaines à travers les montagnes de glaces, si redoutées des chrétiens.

Les Normands, implacables envahisseurs, avaient atteint le but d'une colonisation plus sûre et plus régulière. Toutes les chroniques de l'époque carlovingienne étaient remplies de gémissements sur les tristes invasions des Scandinaves, de ces Nortmans qui remontaient la Seine, la Loire sur des barques n'agites, et dévastaient les terres de Neustrie et de Bretagne[30] ; les Nortmans avaient assiégé Paris, et sans la bravoure du comte Eudes et de l'évêque Gozlin, sans l'attitude martiale des moines de Saint-Germain dans leur abbaye fortifiée, Paris serait tombé aux mains des Barbares du Nord. De toutes parts les populations agenouillées suppliaient le ciel de les délivrer des Nortmans ; c'était la prière publique des pèlerins, des moines au milieu des églises en cendres. Quand les litanies étaient récitées dans le plain-chant des monastères, une voix lamentable se faisait entendre : Libéra nos a Normanis, s'écriaient les tristes religieux à matines ; et les souterrains creusés au-dessous des églises, ces grottes profondes éparses dans les campagnes étaient destinés à recevoir les trésors des abbayes et des populations de la campagne. On reconnaissait au loin ces hommes terribles à la blonde chevelure, qui maniaient le fer et le feu ; le seul moyen de sauver sa vie était de traiter avec les Nortmans, ils rançonnaient les monastères, pillaient les reliquaires d'or, dispersaient les ossements des saints ; et il faut entendre les douleurs de ces pauvres moines quand les Barbares dévastaient les chasses, le trésor, des églises et qui leur attiraient une si sainte dévotion ! A la fin du IXe siècle la race normande obtint de Charles le Simple la possession de la Neustrie, et Rollon, leur chef, baptisé par les évoques, épousa Giselle, fille du roi de France[31]. Ce sang normand, jeté dans la Neustrie, fut une régénération de l'antique race ; le vieux peuple était abâtardi ; les Scandinaves vinrent là mêler leur mâle courage, leur martiale origine, et c'est ce qui explique ces hardies conquêtes de la famille normande, impatiente de butin, en Angleterre et en Italie.

Quelle terrible irruption dans ce lugubre Xe siècle, que colle des Hongres ; peuple barbare qui se répandit comme un torrent jusqu'au fond de l'Aquitaine. Les cartulaires des abbayes nous font une triste description de ces farouches envahisseurs ; ils étaient petits de taille, les épaules hautes, la figure plate, le nez épaté, les yeux ronds et terribles ; ils montaient des chevaux sauvages sans selle ni étriers[32] ; ils portaient de longues lances et des carquois pleins de flèches aiguës qui perçaient d'outre en outre les seigneurs et le menu peuple ; ils ne marchaient pas régulièrement au combat, ils se précipitaient confusément, fuyaient, se ralliaient tout à coup pour surprendre les chevaliers éperdus de tant d'impétuosité. A tous ces traits on reconnaît l'origine tartare des Hongres ; ils appartenaient à ces familles d'hommes des Palus-Méotides, origine première de toutes les grandes invasions. Les Hongres, peuple de passage sur les terres de la Gaule, portaient partout la désolation ; comme ils n'avaient pas un but de colonie, ils apparaissaient semblables à ces terribles fléaux de Dieu, dont parle l'Écriture. Il faut lire les vieilles chroniques du midi de la France pour se faire une juste idée de ces ravages des Hongres, plus formidables encore que les Sarrasins et les Normands[33]. La terreur était partout, les populations fuyaient à leur présence, on cachait les trésors de la contrée ; et le grand pouvoir des hommes d'armes, la suprématie des forts sur les faibles, vint précisément de la protection qu'ils accordèrent alors aux serfs lâches et aux couards qui fuyaient ; quand Robert ou Hugues, braves comtes de Paris, quand un duc d'Aquitaine marchaient à la face des envahisseurs et leur faisaient mordre la poussière, est-ce qu'ils n'étaient pas dignes de commander aux peuples ? Les faibles se soumettaient au joug, parce qu'ils n'avaient pas eu le cœur assez haut pour manier l'épée et défendre le territoire envahi ! La terre devait appartenir à l'homme fort, le fief était le prix du succès ; l'homme lâche et couard était voué à la servitude, il en est toujours ainsi aux époques d'invasion : quand il faut offrir sa poitrine à l'ennemi ce sont les plus braves qui commandent. Cette pensée explique la féodalité et le servage !

La hiérarchie féodale, les droits et les devoirs qui constituaient le régime des fiefs, n'existaient point encore au milieu de ce Xe siècle, époque confuse, désordonnée. On ne trouvait point établi ce système de vasselage et de suzeraineté, de protection et d'obéissance, qui domina la forte et grande féodalité des XIIe et XIIIe siècles ; c'était tout l'individualisme de la force : il n'y avait ni liens, ni devoirs, ni pairs, ni barons, ni plaids de justice, ni intervention de clercs ; quand un seigneur possédait une terre, il levait ses hommes, les convoquait sous sa bannière, et s'il s'en trouvait un assez fort parmi eux pour se proclamer indépendant, il s'affranchissait de l'obéissance envers son supérieur ; son droit résultait de sa puissance. De là cette multitude de petits seigneurs qui possédaient des tours élancées au milieu même des grands fiefs, nids d'aigles dans les montagnes, tels que les sires du Puiset et de Montmorency, de Montfort ou de Corbeil ; ils ne reconnaissaient aucun supérieur dans l'ordre des fiefs ; ils ne se soumettaient qu'à la violence victorieuse ; c'était l'absence de tout droit public : le roi n'était que le chef militaire, comme aux vieilles forêts germaniques[34].

Au centre de ce système désordonné se trouvaient le duché de France et le comté de Paris au pouvoir d'une famille d'hommes forts, dont j'aurai plus tard à suivre la généalogie. Le duché de France embrassait toutes les terres qu'arrosent la Seine, l'Oise et la Marne, depuis Corbeil jusqu'à Pontoise, Vernon et Chartres, pays essentiellement féodaux, avec leurs châteaux de comtes et d'évêques. Le duché de France comprenait la vieille cité de Paris, flanquée de Saint-Germain-des-Prés et de Saint-Germain-l'Auxerrois, largement fortifiée de grosses murailles jusqu'à Sainte-Geneviève, sur la hauteur ; et à quelques lieues sur la Seine, Saint-Denis, antique abbaye, noblement privilégiée déjà même sous le roi Dagobert, au temps du digne argentier et orfèvre saint Éloi, si renommé pour ses incrustations de perles ou escarboucles sur les missels enluminés de miniatures et ornés de beaux fermoirs. Le duc de France, le comte de Paris, commandaient à une multitude d'hommes d'armes insubordonnés souvent dans les batailles. Qui ne connaissait les sires de Corbeil, les comtes Robert de Brie ou les Thibault de Chartres, éclatants de fer sous leurs bannières et gonfanons ? Ces féodaux ne suivaient la race de Robert le Fort que parce qu'ils en reconnaissaient la supériorité de courage et d'énergie. Il y avait aussi une sorte de respect pour les races, vieux souvenirs de la Germanie : quand une famille s'était illustrée pendant plusieurs générations, elle réunissait autour d'elle de braves et dignes suivants d'armes, les fils courageux de ces fidèles des forêts germaniques dont parle Tacite[35].

Le duché de Bourgogne, qu'il ne faut pas confondre avec le royaume du même nom, était aux mains de la famille de Hugues le Grand, comte de Paris ; il comprenait la province de Bourgogne telle qu'elle fut possédée plus tard. Hugues le Grand en avait reçu l'investiture de Louis d'Outre-Mer, l'un des fils des Carlovingiens. Le comté de Bourgogne était resté dans la race germanique ; Hugues le Noir, fils de Richard le Justicier, duc de Bourgogne, qui gît couché aux marbres de Ratisbonne avec son faucon au poing et sa tête couronnée de fer, possédait le comté de Bourgogne, et puis Létalde, comte de Mâcon et de Besançon, le vaillant homme d'armes lui succéda[36]. Grand épouseur de femmes, les liens du mariage ne le retenaient en rien : le voilà donc qui prend pour noble dame Ermengarde ; il brise ces noces, il se fait l'époux dur et barbare de Richilde aux beaux cheveux, comme le disent les chroniques ; ils étaient si longs que ses blondes tresses lui servaient à essuyer ses pieds, plus blancs que la neige qui couvrait le donjon des châteaux au temps d'hiver. Richilde ne suffit pas à l'impétueux comte de Bourgogne, et il prit pour troisième femme Berthe, doux nom du moyen âge ; car combien ne fut pas célèbre dans les chansons de Geste la Berthe aux grands pieds, la digne mère de Charlemagne ! ne la voyez-vous pas, la reine Pédauque, aux parvis des cathédrales[37] ?

La race de Roll ou de Rollon était fortement consolidée en Normandie ; le chef des Scandinaves avait d'abord fait sa mie de Pope, fille du comte Bélengier ; puis il épousa Giselle, la fille de Charles le Simple. A cette époque il n'y avait aucun caractère de sainteté pour le mariage, et ce fut la puissance catholique des papes qui rappela parmi ces Barbares les magnifiques lois d'égalité dans la mystérieuse union de l'homme et de la femme ; Roll reprit ensuite Pope, il en eut deux enfants ; l'un fut Guillaume Ier, dit Longue Épée, brave duc, qui pourfendit les Bretons de sa grande épée ; l'autre fut Héloïse, qui épousa Guillaume, comte de Poitou, surnommé Tête d'Étoupe, car il avait un esprit fort léger, et rieur avec les chanteurs, trouvères et troubadours. A Guillaume Longue Épée succéda Richard sans Peur ; quel noble titre dans ce temps de fierté et de prouesses chevaleresques ! Les ducs de Normandie étaient des plus vaillants et des mieux éprouvés aux batailles[38]

En quelles mains était alors la Bretagne ? Louis le Débonnaire avait établi un duc, du nom de Nominoë. A peine revêtu de la couronne ducale dans la ville de Nantes, Nominoë prend le titre de roi, car à cette époque ce titre n'avait qu'une valeur féodale ; des races le prenaient, le quittaient, puis le reprenaient encore. Érispoé lui succède ; il est sacré, et le voilà frappé de mort par un cousin du nom de Salomon ; c'est tout un drame ; Salomon a les yeux crevés, le sol breton est morcelé en seigneuries féodales, parmi lesquelles brillent surtout les comtés de Rennes et de Vannes ; les Normands se précipitent sur la Bretagne, et la rattachent à la suzeraineté de Rollon. Nouvelle révolution sous Guillaume Longue-Épée ; la race bretonne se réveille, la voilà tout entière levée en masse sous Alain à la barbe torse, car il avait une barbe longue et retroussée par des chaînons de fer jusque dehors de la visière de son casque. Ce fut à Nantes qu'Alain établit le siège de son pouvoir ; il y était campé pour repousser les Normands de toutes les marches de Bretagne[39].

Le comté d'Anjou, au delà de la Mayenne, obéissait à la race demi-barbare des Foulques ; contemplez en l'église d'Angers ce Foulques le Roux avec ses cheveux presque rouges qu'il bouclait sur ses épaules ; il eut pour fils Foulques, dit le Bon, qui dédaignait les arts de la guerre, l'exercice de la lance et de l'épée. N'oublions pas le brave Geoffroi Ier, surnommé Grisgonelle, à cause de sa cotte d'armes toute grise et de son sac de pénitent en toile grisonnante aussi ; il fut le père de Foulques le Noir, l'intrépide pèlerin de la terre sainte. Cette sauvage race des Foulques commandait à de belles et grandes cités au delà de la Mayenne ; elle prit une grande part à tous les événements du Xe siècle. Les, trouvères et les troubadours diront bientôt les aventures de Foulques le Noir, le pèlerin repentant de ses meurtres et pillages[40].

Au nord se déployait le comté de Flandre. Vous rapporterai-je l'histoire de ce brave et simple chevalier du nom de Baudouin, dit Bras de fer, qui enleva Judith, fille de Charles le Chauve ? Les deux amants parcoururent les terres de France et d'Angleterre ; puis ils obtinrent grâce de l'empereur, et ce fut à F intervention du pape Nicolas qu'ils durent leur retour en bienveillance auprès de Charles le Chauve. Baudouin eut en dot les terres plantureuses de la Flandre ; pauvre chevalier, il se vit maître de tout le beau pays sis entre la Somme et l'Escaut. Le fils de Baudouin et de Judith, né dans leurs courses lointaines, fut chauve dès l'enfance[41] ; quand il mit sur son chef la couronne de comte, ce Baudouin II, tout faible qu'il était, se montra inflexible, inexorable comme les dura barons, il fit assassiner Foulques, archevêque de Reims, et mourut dans l'impénitence finale. Voici la vie du comte Arnould II, le tricheur et traître : il tendit des embûches à Guillaume Longue Épée, duc de Normandie, et le fit frapper à travers sa cotte de mailles. Les comtés de Hainault et de Vermandois, enclaves dans la Flandre, dépendaient de Reynier Ier, au long col ; car les surnoms alors étaient la distinction et le litre de tous ces intrépides barons. Ils ne connaissaient d'autres mérites que les qualités physiques, la force, la faiblesse, la beauté ou la laideur. Qui aurait cherché une idée morale dans cette vie de combats et de grands chemins !

L'origine des comtes de Champagne et de Blois était noble. Il y avait en Vermandois un riche et puissant chevalier du nom de Robert ; il était fils cadet de comte, et comme il n'avait pas de patrimoine, il partit à la tête d'une forte bataille de lances ; bâtards et cadets de races, ne devaient-ils pas chercher état ? Le voilà qui arrive devant Troyes, au pouvoir de l'évêque ; il ne fut pas difficile au chevalier couvert d'acier d'expulser le faible clerc d'église ; Robert, maître de Troyes, fut admis à l'hommage comme comte de Champagne. Quant aux comtes de Blois, de la seconde liguée, ils reçurent les fiefs par mariage. Un pauvre sire, nommé Thibault, épousa Richilde, fille de Robert le Fort, et reçut pour dot le comté de Blois ; il advint donc ce fief à Thibault Ier, dit le Tricheur, prince aussi rusé que la race normande : il se fit octroyer les comtés de Tours et de Chartres en récompense de mille bons tours qu'il joua aux comtes de Champagne dans leurs différends avec la France[42].

La famille féodale du midi des Gaules comptait d'abord les ducs d'Aquitaine, comte de Poitiers et d'Auvergne. Sous la deuxième race, toute l'Aquitaine obéissait à un roi. Dans les troubles des faibles descendants des Carlovingiens, la race des comtes d'Auvergne reçut l'investiture de l'Aquitaine. Guillaume fut le premier duc. Pieux seigneur, il accabla l'Église de dons, et fonda la plupart des monastères qui abritaient les serfs aux déserts du Midi, dans les campagnes ravagées par les Sarrasins. Cette famille vint s'éteindre dans la race bâtarde d'Èbles, qui prit la couronne ducale en l'église de Poitiers. Le fils d'Èbles fut ce Guillaume III, surnommé Tête d'Étoupe, à cause de la légèreté extrême de son caractère. Ce fut toujours joie aux cours plénières d'Aquitaine quand les troubadours venaient dire les grandes prouesses, et la tête de Guillaume s'enflammait aux amours comme l'étoupe au flambeau. Le duc d'Aquitaine commandait à ces populations joyeuses et légères, antipathiques à la race des Francs[43].

Qui pourrait suivre l'obscure généalogie des ducs de Gascogne, si célèbres dans la seconde race ? Ils étaient d'une origine de peuple. Ce fut dans la montagne que Sanches, surnommé Mittara, reçut les acclamations solennelles des hommes d'armes et des bergers grossiers des Pyrénées : il fixa sa résidence à Bordeaux, cité tout épiscopale. Les comtes de Gascogne se divisèrent en deux lignées ; Tune reçut le comté de Fesenzac[44], et l'autre, sous le nom également de Garcie, comte d'Astarac, obtint le duché de Gascogne. Ce fut aussi la race visigothe qui devint l'origine des comtes de Toulouse, marquis de Septimanie. Ces deux grands fiefs, unis d'abord sous les Bernard et les Bérenger, se divisèrent pour former le comté de Toulouse, illustré par les Raymond, de la race méridionale, nobles chevaliers aux croisades ; tandis que le marquisat de Septimanie passait aux noms germaniques des Sunifred Aledran, car alors la race du Rhin possédait de grands domaines au midi des Gaules, et le royaume d'Arles même saluait les empereurs. Raymond Pons était comte de Toulouse ; bouillant envahisseur qui réunit à son comté l'Aquitaine et l'Auvergne, plantureux domaines qu'il divisa entre ses enfants ; il avait hérité également du marquisat de Septimanie, d'où naquit cette grande puissance des comtes de Toulouse, si retentissante dans les annales de la féodalité du Midi ; nobles comtes si nationaux qu'il fallut une cruelle invasion des barons francs pour les arracher à l'enthousiasme et au dévouement des peuples méridionaux[45].

La race germanique avait fondé les royaumes de Provence et de Bourgogne ; dans l'étrange confusion de toutes les monarchies, les comtes d'Arles furent un moment rois de Bourgogne et de Provence. Arles, ville romaine, remplit un grand rôle au moyen âge ; elle eut même ses rois, et les Chartres de Rodolphe portaient le titre de roi d'Arles et de la Bourgogne transjurane[46] ; la couronne de Provence brillait aussi à leur front. Rien ne fut plus mobile alors que tous ces titres dans la race méridionale, à l'imagination ardente ; on vit une confusion, un pêle-mêle de terres, de tenures et de fiefs. Il serait impossible de décrire l'histoire régulière dé toutes ces familles qui se confondaient sans cesse ; et encore, dans ces races bouleversées les unes sur les autres, il n'y avait pas une hiérarchie constante, une puissance souveraine incontestée. La féodalité régulière n'était point née encore ; il n'y avait ni devoirs ni obéissance ; chaque possesseur d'une terre, d'un château, d'une tour, exerçait le droit de la force ; il courait sur ses voisins plus faibles, sur les marchands, les juifs, et même sur le moutier, riche des dons et des manses abbatiales. Il n'y avait pas de système, mais une anarchie complète, absolue ; aucun lien de protection n'existait pour maintenir les terres et les personnes dans des devoirs respectifs ; c'était l'indépendance individuelle à son plus haut point d'égoïsme et d'isolement. L'aspect de la société n'offrait qu'une vaste solitude, troublée par les cris d'armes. Ce retentissement du cor sur la haute tour annonce que le seigneur de Corbeil, du Puiset ou de Montlhéry se met en marche ; il est suivi d'une centaine de lances serrées. Où va-t-il donc dans ce taillis épais qui mène au péage ou à la foire du voisinage[47] ? Ses yeux jettent le feu de la convoitise sur le riche convoi du marchand qui se rend au landit de Saint-Denis en France ; peut-être aussi le comte, au regard farouche, va-t-il venger une injure, ou arracher un fief du voisinage, une terre, un village qui n'est pas en sa foi, ici la flamme s'élève en longs tourbillons sur les moutiers et abbayes ? Là retentissent, sous le bruit des éperons, les dalles de l'église envahie jusqu'au baptistère ? Que faire contre le terrible seigneur ? quelle suzeraineté voudra-t-il reconnaître ? quel étendard saluera-t-il dans sa sauvage indépendance, alors que les comtes épuisent la coupe des festins et mènent leurs chevaux boire aux saintes eaux de l'abbaye ? Hélas ! il n'est aucun frein, aucun supérieur dans Tordre de suzeraineté ; la force seule peut se faire respecter, ou bien encore cette grande excommunication, salutaire loi d'ordre moral, qui comprimait la férocité du seigneur tenancier ! Le Xe siècle est l'époque de la plus profonde anarchie féodale ; il n'y a aucun lien, aucun ordre politique ; les rapports du vassal avec le suzerain ne sont pas régularisés encore. Autant de terres, autant de seigneurs ! autant de tours, autant de maîtres qui croisent l'épée ou se frappent de leurs masses d'armes !

 

 

 



[1] J'ai surtout consulté, pour connaître l'aspect de la société aux Xe et XIe siècles, la grande collection des Bollandistes, et les Acta sanctor. ordin. sanct. benedit., par le P. Mabillon, sans lesquels il n'y a pas d'histoire. Au Xe siècle, presque toutes les légendes et les translations de reliques furent écrites, et rien ne donne une idée plus exacte de la civilisation. Les pieux cénobites disaient toutes leurs impressions et toutes leurs douleurs dans ces récits si vivement empreints des couleurs contemporaines. La collection des Chartres est moins précieuse, parce que les pièces de cette époque sont très-rares. Voyez le beau travail de Bréquigny : Diplomata, chartœ, etc. tom. I, ann. 950-1025.

[2] La plus curieuse de ces vies de saints, qui fait connaître l'état de la société, est le livre d'Aimoin, de Miraculis sanct. Germani. — Mabillon, Acta sanct., tom. I.

[3] Bien que la vie de Geneviève de Brabant ait été écrite postérieurement, elle est le plus exact reflet des mœurs du Xe siècle. C'est la légende de la femme souffrante.

[4] Voyez Ducange, v° Désert, et Orator. Ducange, cette merveille de la grande érudition, cite une multitude de Chartres et de passages de la vie des saints dans les déserts.

[5] Ducange, v° Eremita.

[6] Concil. Gallic., tom. I, p. 528. — Gallia Christiana, tom. IV, Appendix, p. 6 et 7.

[7] Cette image du barbare seigneur, qui abandonne sa vie de violence pour se faire ermite, a été personnifiée dans le moyen âge par le géant Roboastre des romans de chevalerie. Voyez Guérin de Monglave, mss. du roi. n° 7542.

[8] Voyez la Chronique : De Gest. Normanor. in Franc. Duchesne, tom. II, p. 526. Voyez aussi Translatio reliq. sanct. Vincent. martyr, et Translat. reliq. sanct. Faustæ, Duchesne, tom. II, p. 400.

[9] Consultez le recueil des Bollandistes, et Mabillon, Art. sanct. ordin. sanct. Benedict., tom. I à III.

[10] Il existe très-peu de débris de cette première époque architecturale à Paris, la tour de Saint-Germain-des-Prés ; à Marseille, l'abbaye de Saint-Victor ; le style ogivique est postérieur de deux siècles ; il ne faut pas le confondre.

[11] Le plus curieux monument qui indique les moyens de défense des monastères contre les Barbares est incontestablement le poème d'Abbon : Carmen de obsidion. Parisiens. Ducbesne, tom. IV. Mr Taranne l'a traduit avec des notes et des explications, Paris, ann. 1834.

[12] Aujourd'hui encore, quand on procède à des fouilles, c'est presque toujours sous les débris des monuments du moyen âge qu'on trouve les traces des édifices romains.

[13] Il n'existe pas de miniatures ou de manuscrits peints en France au Xe siècle ; le P. Montfaucon n'a dessiné que des tapisseries du XIe siècle ; son plus ancien monument ne va pas au delà de la première croisade. Montfaucon, Monuments de la monarchie française, tom. I.

[14] On donnait souvent la terre aux prêtres pour la cultiver : Charta qua Gunefredus donat Benedicto sacerdoti terram ad complantandam in pago Pictaro. Labbe, tom. II, p. 537.

[15] Voyez mon travail sur Philippe Auguste, tom. I.

[16] Sur l'aspect de la terre au Xe siècle, consultez Instrument. de transmission. Resbaco a Uticenses S. Ebrulfi reliquiis. — Mabillon, Act. sanct. ordin. sanct. Benedict. tom. V. p. 238. J'ai trouvé une multitude de lettres des papes pour empêcher que les monastères ne soient pillés. Epistol. Agapet. pap. qua rogat eos ut a monasterio Celsiniacensi arceant prœdones et invasores. — Mabillon, Annal. Benedict, tom. III, p. 514.

[17] Frédégaire et Grégoire de Tours sont les annalistes des guerres civiles entre les envahisseurs. Ces époques ont été livrées à l'esprit de système ; quand je les publierai, j'espère y apporter, à l'aide des Bollandistes et de Mabillon (Acta sanctor.), un peu plus de clarté et de couleurs.

[18] Chroniq. de Frodoard, ad ann. 950-970, et Vita Buchardi. Le tome X des historiens de France est tout entier consacré au recueil des actes et des pièces qui peuvent constater cet état social. Les Bénédictins ont ajouté une belle et longue préface, p. 1 à 105.

[19] Ce sont presque toujours les ducs de France, les comtes de Paris, qui viennent défendre les Neustriens abâtardis. Comparez, pour tout ce qui concerne l'histoire de la Neustrie, le roman du Rou (mss. Sainte-Palaye) ; il vient d'être publié. Dudon de Saint-Quentin, Guillaume de Jumièges sont les deux grands annalistes de la Neustrie. (Bénéd. tom. X et Préface.)

[20] Les lois des Bourguignons existent encore ; il s'y môle beaucoup de dispositions du code Théodosien ; Montesquieu a commenté ces lois avec un esprit systématique. (Esprit des Lois, liv. XXVI.)

[21] J'ai parcouru attentivement la collection Brequigny ; presqu'un tiers des Chartres appartient à la Bourgogne, tom. I.

[22] Montesquieu, se laissant aller au mauvais esprit du XVIIe siècle, n'a pas rendu assez de justice au gouvernement des Visigoths et à cette admirable organisation ecclésiastique. Il ira vu qu'un bigotisme là où il y avait un principe de droit romain.

[23] Il faut voir comme le moine franc Glaber attaque les mauvaises mœurs des Aquitains. Croniq. ad ann. 1010.

[24] Les chants de Roncevaux dominent tout le moyen âge.

Menbre-vos ore de la perte de Karlle

De Ronceveaux où fu la grant bataille

Mort fu Rollant et Turpin et li autre

Et Olivier le chevalier mirable

Plus de XX mi. i ot mort a glaive

Pris fu Garin d'Anseaume le large

Si l'en mena i. fel païen Marage.

[25] Le moine Glaber parle d'une manière fort sévère des Bretons et Angevins : Peuple léger, inconstant, sauvage et dur. Croniq. ad ann. 975.

[26] Les plus curieux documents sur les mœurs de la Bretagne aux IXe et Xe siècles se trouvent dans la vie de saint Philibert de Grand-Lieu. — Mabillon, Act. sanct. ordin. sanct. Benedict., part. I, p. 539.

[27] Ex cronic. monast. S. Sergii. — Cronic. Nannetens. — Cronic. Britann. — Dom Bouquet, Historiens de France, tom. VII, VIII et IX.

[28] Voyez Cronic. Mettens. — Annal. S. Bertin., ann. 880 à 910.

[29] Il existe mille vestiges du passage des Sarrasins dans les Alpes ; à l'église de Saint-Pierre, entre Martigni et Sion, se trouve une inscription latine qui constate le passage des Sarrasins dans les Alpes.

Ismaelita cobors rhodani eum spersa per agros

Ipie, famé et ferro sœvivet tempore longo.

Vertet in hanc vallem Pœninam mersio falsem,

Hugo praesul Genevæ, Christi productus amore.

Struxerat hoc templum, etc., etc.

M. Reinaud a fait un savant travail sur les invasions des Sarrasins en France : Paris, ann. 1836.

[30] La chronique la plus expressive sur ces ravages des Normands est écrite en langue du Poitou ou de l'Anjou ; elle est parmi les manuscrits du roi, 10307-5. En voici quelques extraits :

Per la paoar des Normans fit rebos en liglise de Nantes li tresorz au pie de l'outà.

En liglise S. Florens de Soumur furent seveliz li trésors di l'église josta, les sains martirs qui iesent en sepulchra.

[31] Voyez le Roman du Rou sur l'établissement des Normands dans la Neustrie, en le comparant toujours à Guillaume de Jumièges et à Dudon de Saint-Quentin, ad ann. 951.

[32] Voyez la Chronique de Frodoard, ann. 930-970.

[33] Dom Bouquet, Historiens de France, tom. X, a publié un grand nombre de chroniques dans lesquelles il est question des Hongres sauvages. Frodoard est le chroniqueur qui donne le plus de détails sur les Hongres. On s'écriait dans les litanies : Ab Ungarorum nos defendas jarulis ! En 937 ils ravagèrent l'Italie jusqu'à Bénévent et Capoue. Muratori, Ann. Italia. ann. 937.

[34] Ducange, v° Feuda. Voyez aussi l'œuvre immense de Vaissète, Histoire du Languedoc, tom. II, Appendix. Depuis Charles le Chauve, tout homme libre avait le droit de choisir son seigneur à son gré : Volumus ut unusquique homo liber in nostro regno, seniorem qualem voluerit in nobis et in nostris fidelibus recipiat. Cap. Carol. calv. A. D. 877. Baluze, tom. II.

[35] L'empereur Charles le Chauve me parait le grand organisateur de la féodalité ; il cherche à lui imposer des lois : Volumus ut cujuscumque regno sit, cum seniore suo in hostem vel aliis suis militatibus pergat. Capit. Charles le Chauve, A. D. 877. Voyez également, sur la géographie du comté de Paris et du duché de France, dom Félibien et Lobineau dans leur grande Histoire de Paris, si grossièrement exploitée par les modernes.

[36] Hugues le Noir mourut en 952 ; Létalde en 965. Art de vérifier les Dates, tom. II.

[37] La tradition de Berthe est une des plus douces légendes du moyen âge. Le vieux proverbe : Au temps où la reine Berthe filait est de toute antiquité ; on croit que la statue de la reine Pédauque, de nos cathédrales, est la représentation de la Berthe aux grands pieds. Il existe plusieurs manuscrits de la chanson de Berte aus grans pies, Bibliothèque du Roi : le plus complet est au fonds du roi, n° 7188. On lit à la fin du poème : Ci fine de Berte ans grant piés et commence de son fis Challemaine qui fu emperieres de Rome. Mr P. Paris l'a publié avec une préface, 1836.

[38] La Normandie forma pendant un siècle une véritable colonie danoise ; on parlait danois à Lisieux : Bajocassensis frequentius Dacisca eloquentia utitur. (Dudo S. Quentin, lib. III.) Vace dit la même chose : Les mœurs de Normandie étaient belliqueuses et conquérantes. Voyez le Roman du Rou, vers 3570.

[39] Cronic. Nannetens. Dom Bouquet, Historiens de France, tom. VII, p. 218.

[40] Les chroniques d'Anjou sont les plus curieux monuments du moyen âge ; elles forment comme une grande épopée. Voyez l'édition de 1580.

[41] Art de vérifier les Dates, par les Bénédictins, tom. III, in-4°.

[42] Tableau et succession chronologique des principaux fiefs immédiats qui ne tenaient plus à la couronne que par le service de Post et du plaid, par l'abbé de Camps, mss. de la Bibliothèque royale (règne de Hugues Capet), tom. II, de 950 à 987.

[43] Dom Vaissète est toujours la grande autorité qu'il faut consulter pour tout ce qui touche à l'histoire du midi de la France. Voyez sur les ducs d'Aquitaine, tom. I, aux preuves.

[44] Elle est, selon une généalogie contestée, l'origine des Montesquiou. Voyez Gazette de France, 14 novembre 1777.

[45] Voyez les croisades des Albigeois dans mon Philippe Auguste, et dom Vaissète, l'historien spécial des races du Midi, tom. I et II. Quels hommes que ces bénédictins !

[46] Dom Vaissète, Preuves, tom. I ; Art de vérifier les Dates, tom. III.

[47] Au règne même de Louis VII, on voit Suger assiéger le château de Montmorency, à deux lieues de Paris. Anonyme, Vita Suggeri. ad ann. 1142.