LA LIGUE ET HENRI IV

 

CHAPITRE VII. — MOUVEMENT D'INQUIÉTUDE DES CALVINISTES. - CONVERSION ET AVÈNEMENT DE HENRI IV.

 

 

Plaintes des ministres calvinistes sur la conduite de Henri IV. — Lettres du ministre Spina. — De Duplessis-Mornay. — Requête des calvinistes. — Les pauvres Albigeois. — Préparatifs de la conversion. — Engagements envers les calvinistes. — Motifs de la conversion. — Procès-verbal à Saint-Denis. — Acte d'abjuration. — Profession de foi. — Lettre au pape. — Explication diplomatique sur l'abjuration adressée à Elisabeth ; sa réponse. — Protestation du légat. — Troisième époque des états. — Situation de Paris. — Triomphe de la loi salique par la majorité.

1593.

 

J'ai dit les actives démarches qui avaient été faites par Henri de Navarre pour s'attacher le parti catholique. Prince habile, il ne s'était pas seulement contenté d'une déclaration qui assurait à tout jamais le libre exercice de la foi romaine ; il avait encore manifesté le désir de s'instruire de ses dogmes, de ses miracles, de ses merveilleuses légendes ; il avait offert de se soumettre au concile général, comme à un arbitre suprême en matière de foi. Henri envoyait une ambassade spéciale à Rome, auprès du pape Grégoire ; puis auprès de Clément, afin de parfaitement convenir d'avance des résultats de son abjuration. Pourrait-il compter sur l'appui des pontifes au moyen de ces concessions ? M. d'Ossat et l'évêque de Paris, Gondi, esprits de tiers-parti, s'étaient chargés de cette mission, car Henri était hérétique, relaps ; et comment dès lors obtenir son absolution ? L'Espagne, qui avait repris son ascendant à Rome, devait traverser toutes les tentatives et empêcher les résultats politiques de ce retour du roi de Navarre aux lois générales de la vieille société, acte immense d'avenir. Il y avait longtemps que le parti calviniste s'inquiétait des démarches du noble chef qu'il avait choisi, et de ses rapports intimes avec les catholiques. Dès que la brave chevalerie huguenote l'avait vu se rapprocher des parlementaires et du tiers-parti, elle avait jugé que le roi de Navarre, sans conviction profonde, sans véritable conscience religieuse, adopterait cette foi romaine contre laquelle toute la réforme avait saisi les armes. Ce prince, tout de chair, adonné au vin, aux femmes, roi de débauche et de plaisir, nouveau Salomon, n'allait-il pas suivre l'impulsion de ses intérêts, le parti qui conviendrait le mieux à son repos et à sa plaisance ? Ingrat pour les siens, parjure envers cette brave et noble chevalerie qui seule avait servi ses premières aimes et salué son drapeau, Henri allait-il passer à cette église, fille de l'antéchrist, qui avait couvert de boue ses images, et flétri sa personne de l'excommunication ? Ainsi raisonnaient les ministres austères ; ils s'en exprimaient même sans aucun ménagement. Le sévère ministre Spina écrivait à Henri IV : Sire, c'est la meilleure et plus saine partie de vos pauvres subjects qui parle maintenant à vous et se plaint à vous de vous-mesme. Dieu a retiré partie de ses bénédictions de dessus vous, et il n'accompagne plus vos armées de ses faveurs : vostre changement est cause de ces changements, car qui s'esloigne de Dieu, Dieu s'esloigne de luy. Sire, ce sont des paroles que vous ne pouvez mespriser sans mespriser vostre âme et vostre estat. Ce sont les trophées de vostre victoire d'Ivry qui vous ont haussé le courage ; c'est environ ce temps-là que vostre fortune commença à ravaller. Auparavant vous recognoissiez Dieu pour auteur de vos victoires, et luy en rendiez sacrifices et louanges ; mais on a vu depuis qu'enflé de tant de succès et vous voyant devant la ville capitale de vostre royaume, accompagné de tous les princes du sang et de la plus belle noblesse, vous commençastes à vous appuyer sur les bras de la chair, et desdaigner vos anciens serviteurs, desquels vous avez tiré autrefois le sang et la substance ; vous vous mistes plus que jamais à rechercher les femmes, vous laissant emporter aux vanités et voluptés. Dieu qui vous aimoit ne vous laissa pas porter bien loin ce péché, car le honteux lèvement du siège de Paris en fût la punition. Vous promettez aux catholiques romains de conserver leur religion, et vous n’avez point soin de la vostre. Quel désir avez-vous monstré pour que la paix fust remise en l'église ? Mon encre est destrempée de mes pleurs, et mon papier est lavé de mes larmes et puis desséché du vent de mes soupirs auxquels, pour faire fin, j'adjouteray ce souhaict du plus profond de mes entrailles : que nostre Dieu veuille amender vos desfauts, accroistre vos vertus et vous remplir de toutes ses bénédictions tant spirituelles que temporelles au bien de cet estat, à la paix de vos subjects et à la ruine de vos ennemis. Ainsi soit-il[1].

Les ministres calvinistes avaient raison d'exhaler ainsi leurs plaintes : pour qui étaient désormais les grâces et les faveurs ? qui avait les amitiés du roi ? ces catholiques qui naguère poursuivaient les cornettes blanches et fleurdelisées de Henri de Navarre. On savait d'ailleurs que la volonté de Henri était de changer de croyance, de secouer la réforme en adoptant la foi romaine : on avait donc combattu pour un ingrat, un impie, un apostat ; tels étaient les murmures du camp. Partout arrivaient des plaintes et des requêtes. Où le roi voulait-il conduire ceux qui l'avaient élevé sur le pavois ? Non seulement les ministres du saint évangile faisaient entendre leurs douleurs austères, mais encore les amis, les confidents du Béarnais. Tous rappelaient à sa mémoire les assemblées belliqueuses qui se réunissaient pour la défense commune, aux époques de persécution, et par là les calvinistes semblaient menacer le roi de se choisir un autre protecteur. Sire, écrivait Mornay à Henri, roi de Navarre ; je vous supplie croire que rien ne se traicte en nostre assemblée contre vostre service. Le mal croist tous les jours : on ne nous tient en France que comme la lie du peuple ; nous y vivons sans crédit, intéressés en l'exercice de nostre religion, en la justice et en ce qui est de nostre sûreté. Aussi s'est-on résolu de subir plustost mille guerres et mille morts que de relascher un seul point de ce qui est absolument nécessaire à la conservation générale des Églises. Je crois que vous ne condamnerez point un si sainct désir, pour lequel effectuer vous avez souffert tant de peines autrefois et couru tant de hasards avec nous. Les calvinistes prenaient ainsi leurs précautions, se réunissant en assemblées pour se préparer à saisir les armes. Leur langage était jusqu'ici digne, modéré ; ils n'abdiquaient pas le protectorat du roi, leur vieil ami ; ils ne repoussaient pas cette bonne épée du Béarnais qui les avait guidés aux champs de la victoire ; mais, ils craignaient l'avenir ! Henri de Navarre allait cesser de leur appartenir. Sous quelle loi le calvinisme se placerait,il désormais ? Le roi comprenait tout le danger de ce mouvement du parti réformateur dans son armée ; là étaient ses serviteurs zélés, les bommes sur lesquels il pouvait compter. Le calvinisme était le principe de son pouvoir, le fondement des alliances, la force de ses batailles, le point autour duquel se ralliait un grand parti. Il venait d'en éprouver toute la puissance ; car par cela seul qu'il était huguenot, tous les pauvres Vaudois des vallées de Lucerne, Pérouse, Saint-Martin se reconnaissaient ses sujets ; et leur première épître reposait toute entière sur la ferveur de la foi réformée, dont Henri IV s'était posé le chef. Dès lors il fallut s'expliquer et se justifier. Sa majesté, advertie que quelques ministres parloient en leurs presches de sa conversion, fit appeler les seigneurs de ladicte religion et les ministres qui estaient en la cour, et furent assemblés par trois fois devant luy. M. le mareschal de Bouillon se trouva aux deux premières, et le roy leur ayant aimoncé la résolution qu'il avoit prise de se convertir, le ministre La Faye luy dict assez timidement : Sire, nous sommes grandement desplaisans de vous voir arracher avec violence du sein de nos églises ; ne permettez point, s'il vous plaist, qu’un tel scandale nous advienne. Le roy luy respondit : Si je suivois vostre advis, il n'y auroit plus ni roy ni royaume dans peu de temps en France ; je désire de donner la paix à tous mes subjects et le repos à mon âme ; advisez entre vous ce qui est de besoin pour vostre sûreté, et vous assurez cependant que je seray tonsjours prest à vous donner toutes sortes de contentement[2].

Ces paroles étaient bien dures pour de vieux et fidèles compagnons d'armes : que signifiaient ces menaces : Donner la paix à tous ses sujets ? Le roi ingrat ne se souvenait plus des services. N'allait-on concéder qu'un simple édit de tolérance, comme au temps des persécutions sous Charles IX et Henri III ? avait-on pris les armes pour un si misérable résultat ? Avait-on fait un roi pour le voir s'engloutir dans le papisme ? Et cette protection qu'on promettait, en quoi consisterait-elle ? Dans leurs nouvelles requêtes, les calvinistes conservaient les formes du plus profond respect : Sire, avez-vous effacé sitost de vostre mémoire ceux que le sentiment d'une mesme religion, la société de mesmes périls et persécutions, la joye commune de mesme deslivrance, et la longue expérience de tant de services fidèles y ont gravés avec un style de diamant : le souvenir de ces choses vous poursuit et vous accompagne partout ; il interrompt vos plus importantes affaires, vos plaisirs plus ardents, vostre dormir plus profond, pour vous représenter comme en un tableau vous-mesme à vous-mesme ; hé ! que nostre misère et nostre mort fust la borne de leurs mauvais desseins, nous nous exposerions encore au feu de leurs persécutions tyranniques et à la rage des Sainct-Barthélemi sanglantes. Mais quoy ! ils nous frappent pour blesser Jésus-Christ ; ils tentent de dissiper ses églises, de bannir son royaume de vostre royaume, de fermer la bouche à toux ceux qui l'invoquent en esprit et en vérité ! les laisserons-nous foire ? demeurerons-nous les bras croisés ? Nous leur ferons pratiquer la loi commune ; nous leur demanderons œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied. S'ils bannissent Jésus-Christ de vos villes où ils sont les plus forts, nous bannirons leurs idoles de celles où nous sommes en force ; s'ils nous proscrivent, nous les proscrirons ; nous leur rendrons en tout la pareille ; nous leur ferons ce qu'ils nous ferons ; tels moyens sont justes à ceux auxquels ils sont nécessaires, et légitimes à ceux qui n'ont pas d'autres ressources et d'autres desfenses humaines. En cela, ils ne se pourront plaindre que d'eux, car ils commencent le désordre. Nous opposerons au prétexte de vostre auctorité qu'ils allégueront contre nous, vostre bonne volonté envers nous. S'ils se vantent de vous avoir, pour s'estre emparés de vostre corps, nous nous vanterons d'avoir vostre esprit qui, estant libre, se lange tousjours de nostre côté et est tousjours avec nous. Les romanisques feront la guerre à l'Évangile, c'est-à-dire la coi-gnée s'eslevera contre celuy qui la lient ; les hommes s'armeront contre le Dieu des armées, contre le Tout-Puissant ; le tout contre le rien, les soldats de l'Antéchrist contre ceux de Jésus-Christ. Qu'ils n'espèrent plus de patience de nous. Si vous ne les retenez, si vous ne nous faictes justice d'eux, nous aurons recours à Dieu qui nous la fera immédiatement[3].

Les termes un peu déclamatoires de la requête des calvinistes cachaient à peine la ferme résolution de prendre les armes, de se chercher un chef au cas où Henri de Navarre, ce vieux fils des batailles calvinistes, ne protégerait plus les intérêts de la réforme. Ces menaces de révolte effrayaient le Béarnais, invariablement décidé alors à la conversion au catholicisme. Que voulait-on ? la tolérance ; on l'aurait la plus large, la plus absolue. Craignait-on les catholiques ? mais sous la tente du roi on avait vécu avec eux, on avait fraternisé sous la cornette blanche. Ce fut afin de rassurer les esprits que les princes et officiers catholiques, unis au roi de Navarre, signèrent la charte suivante : Nous, princes et officiers de la couronne et autres seigneurs du conseil du roy, voulant oster à ceux de la religion dicte resformée toute occasion de doubter ; promettons tous par la permission de sadicte majesté, qu'en attendant ladicte résolution, il ne sera rien faict et passé en la-dicte assemblée par les desputés de nostre part, au presjudice de la bonne union et amitié qui est entre lesdicts catholiques qui recognoissent sa majesté et ceux de ladicte religion. C'était là une simple déclaration de confraternité d'armes, une promesse de tolérance religieuse. Était-ce assez pour rassurer les ardents huguenots, quand ils voyaient surtout le roi si disposé à adopter la religion catholique ? Que deviendraient-ils avec un prince sur lequel ils ne pouvaient compter et qui s'agenouillait devant le pape ?

En face de ces plaintes, Henri IV, toujours entouré par le parti parlementaire et la bourgeoisie, pénétré de la nécessité de l'abjuration afin d'opérer la soumission de la ligue,écrivait à toutes les cours du royaume : Monsieur le président, ne voulant laisser aucun scrupule à mes bons subjects catholiques sur ce que j'ay de longtemps et plusieurs fois protesté en ce qui touche la religion ; par bons renseignements, j'ay résolu de m'instruire à la vraye piété et religion ; de quoy je vous ay bien voulu advertir. Et le même jour il écrivait également de Mantes à M. l'évêque de Chartres : J'ay advisé d'appeler un nombre de preslats et docteurs catholiques ; vous estes l'un de ceux .desquels j'ay ceste bonne opinon. A ceste cause, je vous prie de vous rendre en ceste ville près de moy dans le 15e jour de juillet où je mande aussi à aucuns autres de vostre profession se trouver en mesme temps, pour tous ensemble rendre à l'effect les offices despendant de vostre devoir et vocation. Vous assurant que vous me trouverez disposé el docile à tout ce que doibt un roy très-chrestien, qui n'a rien plus vivement gravé dans le cœur que le service de Dieu et la manutention de sa vraye église. Cette instruction religieuse, sollicitée par Henri IV, eut lieu tout à la fois à Chartres et à Mantes, tandis qu'une suspension d'armes mettait un terme aux opérations belliqueuses.

La cérémonie de l'abjuration s'annonça en toutes ses pompes à Saint-Denis : Le dimanche, entre huid et neuf heures du matin, lorsque le roy sortit pour aller en la vieille abbaye, les princes et officiers de la couronne formoient un nombre de mille et plus ; puis venoient les Suisses de la garde avec le tambour battant, à la teste desquels, suivant l'institution ancienne, marchoit le prevost de l'hostel, assisté d'un lieutenant de robe courte et de plus de cinquante archers revestus de leurs hocquetons. Les rues par lesquelles sa majesté devoit passer furent toutes tendues et tapissées et le chemin tout couvert d'herbes et de fleurs. Sa majesté estoit vestue d'un habit de satin blanc, chausses et pourpoint avec le long bas de soie blanche et souliers blancs, revestue d'un manteau noir et chapeau de mesme couleur. Arrivé qu'il fut au grand portail de ladicte église, estoit assis en une chaise le sieur archevesque de Bourgs, revestu de son habit d'archevesque, el demanda au roy : Qui estes ? lequel respondit : Je suis le roy. — Que demandez-vous ?Je demande à estre reçu en l'église catholique et romaine. Le sieur de Bourges ajouta : Le voulez-vous ?Oui, je le veux et le désire. Lors ledict sieur de Bourges luy présenta un livre, et à l'instant sa majesté se mit à genoux, et, teste nue avec beaucoup de tesmoignage d'un cœur contrit, fit sa profession. La desvotion fut remarquée très-grande en sa majesté, laquelle pendant la consécration et élévation de l'eucharistie eut perpétuellement les mains jointes, les yeux adorant l'eucharistie, ayant frappé sa poitrine trois fois tant à l'élévation de l'eucharistie que du cahce. La messe finie, fit faire sa majesté largesses au peuple de quatre cents escus en grands blancs, et après avoir esté reconduite par les mesoies gardes qui l'avoient menée, fit faire l'aumosne de trois mille pains et trois mille sols par la ville.

Henri de Navarre désirait imprimer une grande solennité à cette réconciliation avec l'église catholique. S'il ne se trouvait pas autour de lui de hauts prélats, des gentilshommes catholiques, des bourgeois dévoués, la ligue ne nierait-elle pas sa conversion ? Il fallait parler aux esprits et créer à la royauté nouvelle un parti dans le clergé ; opposer la foi orthodoxe à la foi orthodoxe, diviser ainsi complètement l'opposition religieuse et politique de la sainte-union. Voilà ce qui explique es grandes discussions de doctrines, les longues conférences de Mantes et de Saint-Denis sur la conversion. Il était à craindre que, si toutes les formalités légales n'étaient remplies, les membres ardents de la sainte-union n'attaquassent la régularité de la belle et grande cérémonie. Il faut se reporter à l'époque de la toute-puissance catholique : quand la société était pleine de croyances, un acte de foi était comme le symbole politique de la royauté, comme la constitution qui la rattachait aux formes sociales. Pour donner un incontestable caractère à l'abjuration royale, Henri écrivit de sa main à plusieurs des curés de Paris les plus modérés, afin qu'ils répandissent cette bonne nouvelle dans leurs paroisses et vinssent l'instruire des véritables dogmes.

Le clergé de Saint-Denis, l'archevêque de Bourges, cette portion de la hiérarchie ecclésiastique qui s'était attachée à la fortune de Henri IV, consigna dans une longue charte toutes les moindres démarches du roi pour son abjuration. On constata comment la conversion s'était faite, les miracles que la foi avait opérés dans le cœur du Béarnais, toutes choses qu'on voulait justifier à la cour de Rome. Le soir, estant sa majesté arrivée, les preslats se présentèrent en sa chambre, auxquels elle fit entendre vouloir, premièrement que parler à toute la compagnie, commencer à conférer avec trois ou quatre d'entre eux ; et commanda que l'archevesque de Bourges, les évesques de Nantes et du Mans, et Du Perron nommé à Évreux, se trouvassent le lendemain sur les dix heures à son lever. Le lendemain vingt-troisième, sur les trois heures après midi, tous les preslats s'assemblèrent, et monseigneur l'archevesque de Bourges fit rapport de ce qui s'estoit passé le matin au cabinet du roy entre sa majesté, luy et les autres évesques ; et estant entrée sur les sept ou huict heures, après avoir faict sortir toutes autres personnes, leur avoit dict que dès son avènement à la couronne, à ia prière de ses bons et loyaux subjects de tous ordres, il avoit résolu et promis recevoir instruction pour se réunir à l'église catholique, apostolique et romaine, et ne l'ayant pu faire sitost, pour les continuelles guerres et traverses que luy ont données ses ennemis ; touché de compassion de la misère et calamité de son peuple, cognoissant aussi que plusieurs excellens personnages en doctrine et piété contredisoient aux opinions qui le tenoient séparé de l'églisie, esclairé et inspiré de l'esprit de Dieu, il avoit désiré avec sûreté de sa conscience pouvoir contenter sesdicts subjects. Et pour ce, leur ordonna de dresser la profession de foy telle qu'ils estimeroient qu'il la faudroit faire, et luy apporter dès le soir pour la voir. Sur ce rapport, fut advisé entre lesdicts sieurs, deslibérer et résoudre entre eux touchant l'absolution de sa majesté ; si sans attendre mandement du sainct-siége, elle se pouvoit donner, de quelle façon on y procéderoit, ou bien si Ton renverroit le tout à sa saincteté. Et comme lesdicts sieurs deslibéroient, sa majesté envoya demander si ladicte profession de foy estoit faicte et dressée, laquelle ayant esté lue en pleine compagnie, fut approuvée et portée par lesdicts archevesques de Bourges et trois autres nommés à sa majesté ; lesquels de retour rapportèrent que sa majesté l'avoit lue tout du long. Et adjoutant qu'il avoit esté instruit et satisfaict des principaux doubtes auxquels il estoit ; partant vouloit vivre et mourir en l'union de l'église catholique, apostohque et romaine, assubjectir sa foy et créance en la doctrine qui est enseignée en icelle. Ce qu'entendu par lesdicts prélats et ecclésiastiques, ils en auroient rendu grâces à Dieu, loué et gratifié sa majesté de ceste bonne volonté. Soudain les prières et oraisons accoustumées estant faictes, auroit esté absous de ladicte excommunication par ledict sieur archevesque de Bourges, remis et réintégré à la participation des sacremens d'icelle église, et de là conduict au grand autel, monseigneur le cardinal de Bourbon l'accompagnant et les prélats et autres allant devant. Et s'estant sa majesté mise à genoux devant ledict grand autel, après avoir dict sa prière, auroit de nouveau réitéré sa profession de foy, et s'estant levée auroit baisé l'autel, et à l'instant auroient esté rendues grâces à Dieu et le cantique Te Deum chanté, pendant lequel ledict seigneur roy s'est retiré en un oratoire préparé derrière le grand autel, où il auroit esté reçu au sainct sacrement de pénitence.

Dans ce formulaire d'abjuration on avait cherché à éluder la plupart des difficultés sérieuses. Il y avait excommunication par le pape, et un simple archevêque prononçait l'absolution ! Henri de Navarre était hérétique, relaps, et il suffisait d'une contrition sans pénitence pontificale pour l'absoudre. C'était le renversement de toute la hiérarchie ecclésiastique. On prenait pour prétexte le danger de mort, par suite des chances de bataille ; mais ce danger n'existait-il pas depuis longtemps pour le Béarnais, sans qu'il manifestât le désir de se convertir ? Le véritable motif, c'était donc une transaction politique, mobile purement terrestre pour gagner une couronne ; et cela pouvait-il justifier la précipitation apportée à cet acte immense ? car alors le principe religieux étant le principe social, adopter une formule de croyance, c'était là se soumettre à une charte, à une constitution politique. Au reste, le texte de cette abjuration était une renonciation absolue à la foi calviniste, à ce drapeau qui avait armé une brave et noble gentilhommerie : Henri de Navarre reconnaissait et confessait tous et un chacun des articles contenus au symbole de la Foi, duquel use la sainte église romaine. Dans les idées du temps, c'était abdiquer les lois d’un parti pour passer à un autre.

A peine cette conversion était accomplie, que Henri IV se hâta d'en tirer les fruits : pourquoi avait-il reconnu et salué la foi romaine ? dans quel but abaissait-il sa tête devant la vieille société ? Pour consolider son ascendant, pour grouper autour de lui les villes de la ligue, pour jeter la confusion et le désordre parmi les puissances qui résistaient à sa couronne : il écrivit donc à toutes les cités, afin de leur annoncer cette grande nouvelle : quel obstacle pouvait-on s'opposer encore à son autorité royale ? Henri était roi de naissance et catholique. Nos amés et féaux, disait-il, suivant la promesse que nous fismes à nostre advènement à ceste couronne : et la convocation par nous faicte des prélats et docteurs de nostre royaume, pour entendre à nostre instruction par nous tant désirée et tant de fois interrompue par les artifices de nos ennemis ; enfin nous avons, Dieu mercy, conféré avec lesdicts prélats des points sur lesquels nous désirions estre esclaircis, et nous sommes en la religion catholique.

Et le roi écrivait au pape son acte de soumission et d'obédience : de Rome devait venir sa force, car toute la puissance de la ligue résultait de son union avec le pontife : Très Sainct-père, je me suis volontiers soumis le dimanche 25e juillet ; j'ai ouy la messe et joinct mes prières à celles des autres bons catholiques, comme incorporé en ladicte église, avec ferme intention de persévérer toute ma vie et de rendre l'obéissance et le respect dus à vostre saineteté et au saint-siège, ainsi qu'ont faict les roys très-chrestiens mes prédéceseurs. Il avait bien raison, le roi, d'envoyer une ambassade à Rome. Henri IV voulait obtenir la pacification du royaume par sa conversion, et il venait d'apprendre la publication qu'avait faite le cardinal légat contre la validité des actes de Saint-Denis. Le cardinal de Plaisance, avait aperçu la portée politique de l'abjuration royale ; s'il n'en atténuait le résultat moral, c'en était fait de la ligue. Henri de Navarre une fois catholique, que pouvait-on désormais lui opposer ? Alors, avec cette autorité populaire que possédait l'image vivante de la grande ligure papale, le légat éleva la voix dans un monitoire solennel, et le placard suivant fut affiché dans toutes les villes de l'union : Philippe, par la grâce de Dieu, prestre, cardinal de Plaisance, du titre de Sainct-Onuphre, légat latéral de nostre sainct-père le pape Clément VIII , et du sainct-siège apostolique au royaume de France ; à tous les catholiques du mesme royaume, salut en Nostre-Seigneur. Nous avons entendu que Henry de Bourbon, soy-disant roi de France et de Navarre, a faict assembler quelques prélats et autres ecclésiastiques de son party en la ville de Sainct-Denis, où il a encore invité quelques-uns du party catholique ; et ce, principalement sous le semblant et prétexte vouloir estre par eux absous de l'excommunication dont il a esté nommément lié par le sainct-siège apostolique. Et d'autant que ceux-là notamment qui ont le jugement plus imbécille pourroient, par ce moyen, estre induicts à quelque erreur, nous avons pensé estre du devoir de nostre charge d'admonester tous et chascun les catjioliques, afin que nul n'en puisse prétendre cause d'ignorance, que, puisque le pape, d'heureuse mémoire. Sixte V, a nommément desclaré ledict Henry de Bourbon hérétique, relaps et impénitent, chef, fauteur et défenseur manifeste des hérétiques, et comme tel avoit damnablement encouru les sentences, censures et peines ordonnées par les sacrés canons et constitutions apostoliques ; il appartient à nostre sainct-père, privativement à tous autres, de cognoistre et juger de ceste affaire. Exhortons le plus qu'il nous est possible tous vrais catholiques qui jusqu'à présent sont demeurés fermes en la desfense et manutention de la religion catholique, apostolique et romaine, de ne se laisser décevoir en chose principalement de si grande importance, et qui regarde non seulement l'intérest de ce royaume de France, mais aussi de toute la chrestienté.

Indépendamment de cette publication émanée de l'autorité puissante du légat, toutes les chaires de Paris retentirent de violentes déclamations contre l'abjuration de Henri de Navarre. Il y eut neuf sermons prononcés à Saint-Merry par maître Jean Boucher, le prédicateur si éloquent, si inventif, si fortement populaire, sur la simulée conversion et nullité de la prétendue absolution de Henry de Bourbon, prince de Béarn. Maître Jean Boucher avait pris pour texte l'Évangile du jour : Attendite à falsis prophetis, Séparez-vous des faux prophètes. Et chers frères, celte conversion n'estoit-elle pas en tout nulle ? L'excommunication n'a-t-elle pas atteint ce chien pourri de Béarnais ? Et quel pouvoir avoit M. l'archevesque de Bourges pour absoudre un relaps ? Voilà le faux prophète dont il faut s'éloigner. A quoi peut-on comparer la race des hypocrites ? cherchez-le : elle ne se trouvera que dans ce qui est immonde et abominable ! Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! vous n'estes que bastons de ronce qui croissez dans la boue, qui n'avez aucune racine ! Oh ! les meschants, les pervers hypocrites, animaux tachetés et mouchetés de diverses bigarrures ; autruches grossières et pesantes ; cygnes blancs par dehors, mais dont la chair est noire et dure ; vous estes des paons au beau plumage, mais avez pieds de larrons, teste de serpents et voix de diable. Vous estes les aspics qui se coulent et tuent sans faire douleur ; vous estes singes qui contrefaictes l'homme pour tout perdre et gaster, comme ce singe d'Antioche qui, dansant sur le théastre habillé en belle demoiselle, perdit toute sa contenance pour ramasser les noix qu'on lui jetoit ! Et combien ne sont pas damnés, archidamnés, les antéchrists hypocrites qui se sont tapis dessous l'abri d'une feincte dévotion ou abjuration, et ainsi ont servi d'instrument au diable ! Voyez Hérode, qui vouloit surprendre et faire mourir Jésus-Christ sous le prétexte de le venir adorer ; et Julien l'Apostat, qui contrefit le chrestien, voire se fit moine et raser la teste, jusqu'à ce que parvenu à l'empire, une fois bien assuré et en force, il osta les droits, honneurs et immunités aux gens d'église et confisqua leurs revenus : il y a plus de mille peintures de pareils hypocrites et favoris du diable : Hennerick, roy des Vandales, fit démonstration de catholique pour pacifier son royaume ; une fois paisible, usa de toute cruauté, jusqu'à fermer les églises et bannir les esvesques. Combien ne sont pas coupables ceux qui favorisent de pareilles transformations, qui heurtent leur leste contre la dureté du rocher, à ceux qui sont les auteurs d'un schisme. L'église de Rome est seule souveraine ; c'est là qu'est établi le siège de Dieu sur les nations et les royaumes, comme il est dict dans Jérémie ; seule, elle a l'auctorité pour juger de la conversion vraie ou fausse, et ne faict rien à ce propos, qu'on soit esvesque, archevesque, primat ou patriarche ! Ces vives, spirituelles et saintes paroles de maître Jean Boucher retentissaient parmi le peuple. Jamais puissance plus grande que cette prédication de paroisse où se pressait la multitude ardente, confondue aux pieds des autels, agenouillée devant la croix bénite ou le saint de la confrérie, orateur aux entrailles populaires qui soulevait les masses.

Néanmoins l'effet de la conversion était produit. Il n'y avait plus d'obstacle sérieux dans le sein du parti catholique contre Henri IV. L'abjuration faisait arriver le roi dans le système social ; et dès lors toutes les opinions ardentes qui s'agitaient en dehors n'étaient plus qu'une difficulté à vaincre par le temps et l'habileté. Si sous ce rapport la position de Henri de Navarre était singulièrement améliorée, elle l'engageait dans un autre mouvement politique qui brisait ses vieilles alliances, et compromettait ses anciens intérêts, à l'extérieur surtout ; car ses traités étaient tous particulièrement fondés sur une communauté de principes religieux. Qu'allaient devenir ses alliances avec les Suisses, l'Allemagne, le Danemark, la Suède et l'Angleterre qui l'avait si puissamment secondé ? Quelques jours après son abjuration, Henri IV envoya auprès d'Elisabeth, sa vieille allié, le sieur de Morlans, chargé de représenter : l'estat misérable du royaume lorsque sa majesté étoit parvenue à la couronne ; les forces que l'Espagnol avoit en France et les intrigues qu'il conduisoit pour l'eslection d'un roi à sa desvotion et de sa propre famille. Il avoit fallu chercher des remèdes à un danger si imminent. Brief, sa majesté s'étoit vue obligée de faire sa conversion. Elle supplioit ladicte dame royne d'Angleterre de prendre en bonne part ce qui a esté tenu jusqu'à présent ; et croire que sa majesté ne fera jamais rien où elle n'ait tout le regard qui se peut à la sûreté, repos et contentement de ceux de la religion. Suppliant semblablement ladicte royne de conserver sa majesté en ses bonnes grâces, la favoriser tousjours de son amitié, et d'autant que les ennemis de sa majesté dressent plus grands efforts contre elle, luy vouloir estre d'autant plus favorable et continuer son bon service[4].

Quand Elisabeth eut connaissance des projets de Henri IV, noble protectrice des huguenots, elle ne se tint plus de dépit et de colère. Ah ! quelles douleurs ! et quels regrets et quels gémissemens j'ay sentis en mon âme par le son de telles nouvelles que Morlans m'a contées ! Mon Dieu ! est-il possible qu'aucun mondain respect dust effacer la terreur que la crainte divine menace ! Pouvons-nous, par raison même, attendre bonne séquelle d'actes si iniques ?Celui qui vous a maintenu et conservé par sa merci, pouvez-vous imaginer qu'il vous permist aller seul au plus grand besoin ? Or, cela est dangereux de mal faire pour en espérer du bien. Vostre très-assurée sœur, sire, à la vieille mode, avec la nouvelle je n'ay que faire. Elizabeth[5]. La reine exagérait l'expression religieuse de sa douleur, parce qu'elle sentait la portée de l'abjuration de Henri de Navarre, acte politique qui dénaturait les principes de l'alliance, et bouleversait l'équilibre des relations d'état à état en Europe. Plus tard, Elisabeth se calma par l'assurance qu'elle reçut du Béarnais, qu'au fond de sa conscience la réforme avait encore tout son pouvoir. Indifférent d'ailleurs sur les croyances, Henri dé Navarre se moquait et se gaussait de sa propre abjuration. J'arrivai hier soir de bonheur, écrivait-il à sa belle maîtresse, et fus importuné de Dieu garde jusqu'à mon coucher. Nous croyons la trêve, et qu'elle se doit conclure aujourd'hui ; pour moi, je suis à l'endroict des ligueurs, de l'ordre de Sainct-Thomas. Je commence ce matin à parler aux esvesques, outre ceux que je vous mandois hier. Pour escorté je vous envoie soixante arquebusiers, qui valent bien des cuirasses. L'espérance que j'ai de vous voir demain, retient ma main de vous faire plus long discours. Ce sera demain que je ferai le saut périlleux. A l'heure que je vous escris, j'ai cent importuns sur les espaules qui me feront haïr Sainct-Denis comme vous faictes. Mantes. Bon jour, mon cœur ; venez demain de bonne heure, car il me semble qu'il y a desjà un an que je ne vous ai vue. Je baise un million de fois les belles mains de mon ange et la bouche de ma chère maistresse[6]. Ce fut donc moins l'inspiration de Dieu, la parole des évoques et des prêtres qui amenèrent l'abjuration de Henri, le railleur de croyances, que de sérieuses réflexions sur sa position politique. Quand l'assemblée catholique de Surène eut dénombré ses forces, il fallut vite aller à elle. Le Béarnais craignait une défection des seigneurs qui s'étaient unis à lui depuis la mort de Henri III ; il s'était maintenu par eux ; il les avait ménagés ; il devait leur donner aujourd'hui le pouvoir, car ils étaient la force ; les huguenots ne devenaient plus que des auxiliaires. Dès lors Henri de Navarre se résolut à sa conversion ; il ne s'agissait que de choisir un moment opportun pour ne pas trop profondément blesser les huguenots ; et surtout il fallait les préparer à ce brusque changement dans la croyance de leur chef. Henri accomplit tout avec une grande habileté politique ; sans briser ses alliances à l'extérieur, il fit une immense concession à la vieille société catholique. Il se posa roi de France avec des conditions de durée et de force.

Au milieu de ces tendances diverses des états-généraux, de ces délais interminables dont chaque intrigue était accompagnée, l'opinion catholique et ligueuse de Paris s'appauvrissait. De braves chefs avaient été pendus à Montfaucon ; d'autres s'exilaient volontairement. La majorité des seize quarteniers était encore dévouée aux halles et aux confréries, aux immunités municipales ; mais son action se trouvait complètement neutralisée par la grande influence bourgeoise et parlementaire. Les trêves qui venaient d'être conclues ou prolongées avaient atténué quelques-unes des préventions que les partis conservaient les uns envers les autres. Bien des gentilshommes du camp de Henri de Navarre venaient jusqu'aux portes de Paris, y entraient librement au moyen de passeports ; et à leur tour les bourgeois allaient à Saint-Denis visiter les tentes de Henri, qui multipliait les témoignages d'amitié et de familiarité royales envers ces habitants de Paris, grande cité qu'il convoitait déjà comme sa bonne ville. Les visites devinrent si fréquentes, qu'on fut à la fin obligé de les défendre, à moins d'autorisation spéciale. Le duc de Mayenne ne voulait pas se livrer pieds et poings liés au Béarnais. La capitale de la ligue n'en était pas réduite à se rendre sans conditions ; ne savait-on pas la finesse de Henri de Navarre, les alertes de guerre, toutes les ruses qu'il avait employées pour surprendre Paris durant le siège ? Aussi les chefs ne négligeaient-ils aucun moyen de garde et de sûreté. On publia au son de la trompe, sur toutes les places et carrefours, un ordre sévère de police militaire : Voici les lieux où seront trouvés les princes et seigneurs aux alarmes et occasions qui se présenteront : Monseigneur le duc de Guise se tiendra et promènera dans la ville ayant M. Langlois, eschevin, avec luy, et donnera l'ordre par toute la ville par-delà l'eau. Monseigneur le duc d'Aumale prendra la charge du rempart depuis la porte Sainct-Antoine jusqu'à celle gainct-Denis ; M. le maréchal de Rosne, le rempart depuis la porte Saint-Denis jusqu'à la porte Neuve ; M. le mareschal de Sainct-Paul se rendra au bastion de l'Arsenal, à la teste de la rivière jusqu'en Grève, avec M. Devaux, eschevin. M. de La Bourdaisière se tiendra dans l'Arsenal. — Deçà l'eau : M. de Mayenne se promènera par toute la ville, comme il verra nécessaire, ayant le sieur Pichonnat, eschevin, avec luy ; M. le mareschal de La Chastre pourvoiera au Palais en cité et aux deux Chastelets ; M. de Ghazeul se rendra en la Tournelle et prendra charge de la muraille jusqu'à la porte Sainct-Marceau ; M. de Toire se reodm depuis la porte Saint-Marceau jusques à celle de Sainct-Michel ; le prévost des marchands se trouvera en rhostel-de-ville ; le gouverneur où il advisera estre nécessaire ; M. le procureur de ville assistera M. le gouvemeur, s'il est besoin. Juillet 1993[7]. Après ces précautions toutes militaires pour que la ville ne fût point surprise par Henri IV, on publia également un nouvel ordre pour la police de la cité. Desfenses sont faictes à toute personne, de quelque parti et qualité qu'elle soit, de tenir aucun propos scandaleux au désavantage de l'union des catholiques, ny user de paroles insolentes qui puissent esmouvoir à sédition, sur peine d'amende arbitraire et punition corporelle. Les hosteliers seront tenus porter chascun jour à l'eschevin du quartier, les noms, surnoms et qualités de leurs hostes, et pareillement les bourgeois qui retireront en leurs maisons leurs amis ou autres, feront le semblable, sur peine de forte amende. Avant d'entrer, on visitera les chariots, ebarreites aux barrières, afin d'obvier aux surprises.

Toutes ces précautions étaient prises, tandis que las états-généraux continuaient avec une lenteur réfléchie leurs délibérations politiques. Dès l'origine de ces états, on a vu que la question qui avait préoccupé tous les esprits était celle de la succession à la couronne. C'était là le triomphe et le profit matériel de toutes les intrigues. La souveraineté de la France, ce vieux et noble trône, valait bien la peine que d'activés ambitions s'agitassent pour l'obtenir. Je répète que deux partis existaient bien distincts sur cette question de la succession à la couronne : 1° le parti français, mais ligueur, qui repoussait tout accommodement avec Henri de Navarre ; celui-là se portait tout à la fois sur le duc de Mayenne et l'héritier de Guise ; avec eux on ne sortait d'aucune loi fondamentale ; ils étaient Français, mâles et catholiques ; 2° le parti de la sainte,union, tellement pénétré de l'alliance intime avec l'Espagne, qu'il eût tout sacrifié au prince dont les doublons étaient jetés, d'ailleurs, à pleines mains pour arriver à sa grande pensée, qui éprouva plusieurs transformations. Dans l'origine, le roi d'Espagne, se tenant au principe pur de l'élection, aurait voulu porter toutes les voix des états sur le prince Ernest d'Autriche, auquel il aurait donné l'infante ; et par là sa politique restreignait le centre de l'unité européenne dans sa famille. Cette combinaison n'ayant pu réussir, Philippe II avait un moment songé à l'électif du duc de Savoie, qui, époux d'une infante, prépa, rait à l'Espagne la même sécurité ; enfin, échouant encore dans ce double projet, il se contentait de l'élection de l'infante, sous la condition d'épouser un prince français, et par condition secrète, le duc de Guise.

Le duc de Mayenne montrait de l'hésitation. Croyez-vous, dit-il un jour aux envoyés d'Espagne, que les François presteront volontiers l'oreille à l'abolition de la loy salique ? Il vous faudroit une armée nombreuse, des monceaux d'or ; sans cela le seul soupçon de vos desseins rangera la plupart des desputés du côté du roy de Navarre. — Nous sçavons, reprit don Bernardino de Mendoça, que les estats non seulement accepteront l'infante ; mais encore que c'est eux qui la demanderont au roy son père ; vous seul, M. de Mayenne, vous y opposez. — Je ne vous redoute pas, répliqua le duc de Mayenne ; sans mon concours, jamais personne ne réussirait. — Vous vous trompez, s'écria le duc de Feria, nous n'avons qu'à vous oster le commandement de l'armée, le donner au duc de Guise, et vous jestez un personnage sans pouvoir aucun. — Mais avec un seul mot, répliqua vivement le duc de Mayenne, je vais vous faire expulser du royaume ; je puis faire soulever la France contre vous. Je ne suis point icy soumis à vos caprices ; je n'ai aucune loy à recevoir de vous ; votre manière d'agir est pour moy un moyen de m'esloigner de vous. Les choses en vinrent à ce point que le duc de Mayenne jeta son gant de défi aux ambassadeurs espagnols. Ces différends étaient connus des bourgeois de Paris, qui commençaient à se fatiguer des violences de la guerre ; les états ne résolvaient rien de positif, laissaient tout en suspens : où allait-on avec ces interminables disputes ? La chevalerie royaliste dévastait la province ; l'Espagne ne fournissait pas les forces suffisantes pour délivrer le territoire. Le tiers-parti grandissait de toutes ces hésitations, de ce besoin de pais publique qui animait toutes les classes. Le cri de trêve et de paix se faisait entendre parmi la bourgeoisie ; Mayenne la protégeait hautement. Le duc de Feria écrivait à Philippe II : Mayenne nous a représenté, à D. Diego et à moi, qu'il convenoit de prolonger la trêve de trois mois, en ajoutant une foule de prétextes à ses raisons. Il estoit forcé, disoit-il, d'envoyer à Rome et en Espagne pour savoir positivement la volonté de sa majesté et de sa saincteté quant à l'élection d'un roy et au mariage royal proposé ; enfin, quant à sa gratification particulière, il m'a dict qu'il ne pouvoit se contenter de moins que ce qui est mentionné sur sa note[8]. Dans un temps si court, a-t-il ajouté, que feront les forces que vous annoncez, en supposant qu'elles arrivent ?Un temps si court !... ai-je interrompu ; mais ignorez-vous le temps depuis lequel vous leurrez sa majesté catholique de l'assurance d'eslire un roy ? Oubliez-vous les despenses effrayantes que luy coustent et cette guerre et vos gratifications qui vous arrivent régulièrement de Flandre ?

Ce fut dans ces circonstances que les parlementaires crurent indispensable de prendre position et de relever la grande cour, dominée jusqu'alors par l'esprit de la ligue. Cette cour avait jalousie des états- généraux ; pourquoi ne se prononcerait-on pas à rencontre de leurs incertitudes ? n'était-ce pas au parlement à proclamer les principes ? On n'y avait pas songé plus tôt, parce que la force municipale dominait toutes les résistances ; mais cette force étant alors affaiblie, rien n'empêchait la magistrature de suivre désormais sa ligne avec assurance. L'acte qui proclama la loi salique ne fut point une de ces mesures réfléchies que les corps politiques préparent d'avance ; elle arriva spontanément, comme elles se manifestent presque toujours dans les crises, lorsque l'opinion pousse les esprits à un parti décisif. Alors il suffît à un homme de prendre la parole pour entraîner une majorité qui ne se fait pas, mais que les événements ont fait toute seule. C'est ainsi qu'un corps politique le plus faible, le plus incertain, peut être conduit aux mesures les plus violentes et les plus prononcées. Le 23e jour de juin 1593, M. de Marillac, lors conseiller en la cour de parlement, représenta que l'on proposoit d'eslire un roy, et que le parlement s'y devoit opposer. Ce discours estonna la plus grande part de ceux de la compagnie, non qu'ils ne l'approuvassent grandement tous, mais une partie par crainte qui estoit grande, d'autant que le danger n'estoit pas moindre que de la vie, et partie par opinion que cela ne serviroit de rien. Le vendredy 23 juin, lendemain de la Sainct-Jean, les chambres furent assemblées ; et comme l'on commençoit à deslibérer, arriva en la cour M. le président Vêtus, envoyé par M. de Mayenne, qui pria de remettre l'assemblée à lundy, car le dimanche prochain il concluroit la trêve. Et le lundy 28, le parlement s'assembla, et au lieu de parler de la trêve, de laquelle seulement M. de Mayenne pen-soit que l'on dust traiter, on s'arresta principalement sur la nomination d'un roy dont on parloit aux estats. La cour manda les gens du roy qui, ayant entendu le subject de l'assemblée, prirent, par la bouche de M. Mole, faisant lors la charge de procureur-général, leurs conclusions fort généreuses et convenables au subject : Voyez les principes ! magistrats très ornés, s'écria Edouard Mole ; je ne disputerai pas si le royaume de France appartient à Isabelle, à Claudia ou bien à Marguerite ; mais je vous exhorterai , conserver intègre la loi salique, corroborée par la vétusté et par tant de siècles ! Vous, hommes, choisissez un homme ; saluez un roy et non une royne, et sauvez par vostre courage la France, depuis si longtemps affectée de tant de maladies. Et sur icelles la cour deslibérant, s'en ensuivit l'arrest qui fut rendu. Les opinions se portèrent non à remontrer, mais à casser tout ce qui se faisait aux états contre la loy salique et les lois fondamentales du royaume ; et à l'instant on envoya vers M. de Mayenne, qui donna l'heure entre onze et douze pour ceste audience. Ainsi la deslibération fut parachevée et l'arrest conclu tel qu'il est publié, et M. le président Le Maistre, desputé pour l'aller faire entendre à M. de Mayenne avec quelques conseillers. Ils le trouvèrent accompagné de peu de personnes (entre lesquelles estaient M. l'archevesque de Lyon et M. de Rosne). Monsieur, la cour m'a donné charge de vous dire qu'elle a cassé et casse tout ce qui se faict et se fera cy-après en rassemblée des estats, contre la loi salique et les lois fondamentales du royaume. M. de Mayenne se montra estonné de ce langage et de ceste manière de parler ; il repondit peu de paroles, disant : Vous vous fussiez bien passés de donner un arrest de si grande importance sans m'en communiquer. Et aussitost la compagnie se retira. Et depuis, M. de Mayenne prit occasion de conférer avec le président Le Maistre et quelques conseillers ; mais il ne put trouver ny accommodement, ny les fléchir. Ledict sieur de Mayenne se résolut de casser cet arrest ; il n'osa l'entreprendre, le voyant appuyé par tant de gens de qualité, et sçachant la compagnie tellement affermie qu’ils avoient tous faict serment de perdre plustost la vie, que de se despartir de leur arrest.

Le texte de cet arrêt nous a été conservé ; longtemps les vieux parlementaires le gardèrent dans les annales de leur famille, comme un titre d'honneur et de dévouement envers la royauté, qu'ils avaient pourtant contribué à proscrire. Dans les grandes crises, les individus s'attribuent toujours des résultats qui se sont faits tout seuls, par la marche naturelle des choses. L'arrêt fut le premier mouvement légal de l'opinion, et dans l'histoire des révolutions, même turbulentes, l'acte législatif qui les consacre est une force pour le présent et IV venir, car il régularise le cri désordonné des masses : La cour ordonne que remontrances seront faictes à M. de Mayenne, lieutenant de l'estat et couronne de France, en la présence des princes et grands officiers, estant de présent à Paris, à ce que aucun traité ne se fasse pour transférer la couronne en la main de princes ou princesses étrangers, que les lois fondamentales de ce royaume soient gardées, et les arrêts donnés par ladicte cour pour la déclaration d'un roi catholique et françois soient exécutées ; et qu'il ait à employer l'auctorité qui ]uy est commise, pour empescher que sous le prétexte de la religion, le throsne ne soit transféré eif mains étrangères contre les lois du royaume, et pour venir le plus promptement que faire se pourra au repos du peuple, dans l'extresme nécessité duquel il est rendu ; et néanmoins dès à présent a desclaré et desclare tous faicts accomplis et qui se feront cy-après pour l'establissement d'un prince ou princesse estrangère nul et de nul effect et valeur, comme faicts au préjudice de la loy salique et autres loys fondamentales du royaume de France[9]. Le parlement, qui avait si puissamment secondé la ligue à l'origine, se trouvait ainsi engagé dans une voie de transaction ; il s'était associé au mouvement religieux et bourgeois ; il s'en retirait avec cette bourgeoisie mécontente. Par son arrêt le parti de l'Espagne était complètement écarté, car l'infante se trouvait sous le coup de deux incapacités ; d'abord la loi salique, puis sa qualité d'étrangère. Toute la question allait s'agiter entre la maison de Lorraine et celle de Bourbon. C'est ainsi du moins que l'interprétaient les parlementaires, car ils ne voulaient point rompre avec le duc de Mayenne, dont ils reconnaissaient et saluaient le titre de lieutenant-général du royaume. Il y avait bien une fraction du parlement d'intelligence avec Henri IV ; mais les autres étaient aussi dessinées, la première pour le duc de Mayenne ; la seconde pour le cardinal de Bourbon, tête royale improvisée par le tiers-parti. L'arrêt laissait toutes les prétentions en suspens.

Cette décision subite du parlement avait surpris les états-généraux, s'avançant avec lenteur à leur but de temporiser avec les événements, pour tirer de la crise une élection nationale. Quand ils virent que le parlement s'était si nettement prononcé, la plupart des députés réclamèrent une suspension des états, afin de seconder, par l'absence du pouvoir électeur, le triomphe de l'hérédité, en faveur de Henri IV. Il y eut donc interruption de séances ; mais dans celle qui termina leurs travaux, voulant hautement rendre hommage à la puissance catholique, expression delà société, ils proclamèrent encore une fois le serment à la ligue, et la souveraineté du concile de Trente, manifeste du catholicisme contre la réforme. Pour remédier à toutes les misères et calamités introduictes en ce royaume par l'hérésie, nous ne trouvons remède plus présent et efficace qu'en l'observation du sainct concile universel de Trente, lequel a si sainctement desterminé ce que les vrais catholiques doivent fermement croire, et resfuté si vertueusement toutes les erreurs que ce misérable siècle avait produictes, qu'on y recognoist une manifeste assistance de la grâce du Sainct-Esprit. Prions toutes cours souveraines, et mandons à tous autres juges, tant ecclésiastiques que séculiers, de quelque condition et qualité qu'ils soient, de le faire publier et garder en tout son contenu, selon sa forme et teneur, et sans restrictions ni modifications quelconques[10]. La conduite des états-généraux, dont Faction était ainsi suspendue, ne doit pas être appréciée par le petit nombre d'actes émanés de cette assemblée des provinces. Les pouvoirs sont souvent utiles à une cause, moins par ce qu'ils font que par ce qu'ils empêchent de faire. On a jugé sévèrement les états de 1593, parce qu'ils ne conclurent rien ; mais n'est-ce point à eux qu'on doit toutes les résistances passives aux intrigues qui se croisaient pour l'élection d'un roi ? Ils ne suivirent pas l'engouement général des populations ligueuses, voulant proclamer Ernest d'Autriche, le duc de Savoie et l'infante. Aux exigences impérieuses, ils opposèrent un système qui, en concédant quelque chose, aboutissait néanmoins à refuser le concours nécessaire à l'élection immédiate d'un souverain étranger. S'ils avaient brusquement repoussé les prétentions de l'Espagne, s'ils avaient heurté la puissante intervention du roi catholique, ils auraient déterminé une crise ; en temporisant, ils l'évitèrent. Peut-on oublier qu'on leur doit les conférences de Surène, la trêve qui en fut la suite, le rapprochement des partis, l'utile fusion des opinions dans le besoin généralement senti de la paix publique ? Car la conversion de Henri IV avançait grandement la question politique. Les mouvements qui décident de la destinée des empires ne se prononcent avec énergie qu'alors qu'ils sont secondés par l'opinion publique. Dans la durée des temps, il arrive des situations où la ruine d'un système est dans l'air. Quand ces temps éclatent, les gouvernements ont beau redoubler d'habileté, chaque accident est un danger, chaque tête d'homme un obstacle ; l'heure a sonné ; tout marche à la destruction. Depuis que le duc de Mayenne, chef de la bourgeoisie, avait frappé son coup d'état contre les chefs populaires des quartiers de Paris, il s'était fait un revirement d'opinion publique, surtout dans la petite bourgeoisie, si ligueuse, il y avait seulement une année ! On appelait la fin delà crise. Les disputes entre les prétendants à la couronne, ces hésitations des états, tout jetait du ridicule sur la marche du conseil de l'union et des chefs, qui ne savaient pas s'entendre eux-mêmes dans les périls de la cause catholique.

Les parlementaires, gens d'esprit et d'études, avaient très bien saisi ce retour d'opinion publique. Le seizième siècle était l'époque de la caricature et des pamphlets : Luther, l'école allemande et genevoise, plus récemment l'école de Hollande et de Flandre, avaient popularisé ces jets d'une mordante colère qui allaient droit à l'intelligence des multitudes. On s'emparait des ridicules d'un homme ou d'une chose ; puis on les jetait en pâture à la foule moqueuse. Il y avait dans cette population du seizième siècle un besoin de farces, de folies, de mascarades burlesques, un mélange de religion et de débauche. On chantait les filles d'amour et les saintes confréries ; on retraçait des images vivantes pour inspirer les douleurs, la pitié ou le mépris. Jamais la caricature n'avait été plus spirituelle ; elle se manifeste dans toutes les émotions, les croyances de l'époque : c'est le diable qui souffle à d'Épernon les mauvais conseils contre les catholiques ; c'est le diable encore qui entraîne aux enfers huguenots et politiques. Les intentions, les rôles, les ridicules sont parfaite, ment reproduits, et prennent une couleur, une vie remarquables sous la main de l'artiste[11].

Les parlementaires s'emparèrent de cette arme puissante, dès qu'elle fut dans l'opinion et qu'elle leur fut favorable. Paris fut inondé de pamphlets, de caricatures et de saisissantes inspirations. On représentait le duc de Feria sous la forme d'une grosse poule, coiffée d'un énorme bonnet rouge avec plumet, portant sur le dos une longue escoubette (balais), et tenant entré ses pattes de devant une petite chouette (sans doute l'infante). Il est en conférence avec monseigneur le légat, beau coq à longues plumes, accoutré d'un camail rouge et armé d'une arbalète au bout de laquelle se trouve un petit poisson, pour représenter l'hameçon de saint Pierre, qui retirait beaux deniers plutôt que les âmes de l'abîme du purgatoire. Le 1er août 1591, contre la muraille de la porte Sainct-Innocent par laquelle on entre aux halles, on trouva peinte une droslerie en laquelle le duc de Mayenne estoit représenté avec de grands oiseaux qu'on appelle des forces, qui estoient au-dessus de luy ; après lesquels il suoit fort et travailloit pour les avoir ; mais il n'y pouvoit atteindre. Et y avoit un écrit au-dessus en grosses lettres : Je ne puis avoir mes forces. Au logis de Marc-Antoine, au faubourg Sainct-Germain-des-Prés, fut trouvée peinte contre une muraille une femme montrant sa nature descouverte, et un grand mulet auprès, qui avec son grand cas vouloit monter dessus. A la teste de la femme y avoit escrit : Madame de Montpensier, et au dessus du mulet : monseigneur le légat. Quand Henri IV eut pris Chartres, les parlementaires racontaient, pour atténuer le crédit populaire des ligueurs, que le jour de mercredi saint, le prédicateur de la Sainte-Chapelle, à Paris, engagea son âme au diable devant touts l'assistance au cas que le Béarnais entrât dans Chartres, pour ce, dict-il, qu'il a faict Dieu cocu et a couché avec notre mère l'Église, l'appela chien, hérétique, fils de putain, athée et tyran ; et pourtant le Béarnais était entré dans Chartres. Ensuite on avait trouvé un monstre marin et beste incognue, laquelle nul homme peut cognoistre, tuée et recouvrée par grand labeur et combat en une rivière d'eau douce de six pieds de profondeur, pesant cinq cents livres, neuf pieds de long ; et ce monstre quel était-il, si ce n'est la ligue ? puis, un hareng de couleur rouge comme un brasier, jetant comme des flammes de son corps, avec des caractères et certaines lettres marquées de l'un et l'autre costé du dos, fat pris à la pesohe du hareng en mer. Quel était-il encore, si ce n'est le symbole de cette association séditieuse soufflant le feu de la discorde dans tout le peuple ? Des vers et épigrammes, des huitains et dixains circulaient par les rues ; on affichait que les seize avoiont pris possession des piliers sis à Montfaucon ; mais il n'y en avoit que seize ; si par hasard ils estoient davantage ! ce seroit bien dommage et le subject d'un grand différend. Mais, ô merveille ! le gibet n'étoit-il pas faict à deux estages ? et entre le haut et le bas, il pourroit en porter trente-deux ! Et vous, messieurs les Espagnols, ils sont beaux et blonds vos doublons ; demi-Maures que vous êtes ; faites-en chercher encore dans vos jaunes sablons ; ou bien retournez-vous en basanés, car Paris vous renvoie avec cent pieds de nez. Ce n'est pas rembarras, vous nous promettez grandement, et vous tenez peu vos promesses : pour vous découvrir il faut être fièrement retord ; vous êtes des pipeurs ; prenez bien garde à vous : quand le ciel cessera de nous envoyer la grêle, il vous écrasera ; si vous nous avez faict entrecrever les yeux, nous vous balafrerons à vous tous le visage. Braves docteurs de la ligue, par votre union folle, du manteau de la religion vous faites une cape à l'espagnole. Et toi, prédicateur Boucher, flambeau de la guerre civile et porte enseigne des méchants, si tu n'es esvesque des villes, tu seras esvesque des diamps. Toi, avocat d'Orléans, si tu voulois te pendre, ce seroit bonne action : si tu veux sauver quelque chose de ton bien, jette-toi à l'eau ; tu gagneras ta corde. Et que signifie cette double croix que portent messieurs les ligueurs ? C'est qu'en la ligue on crucifie Jésus encore une fois. Dieu nous garde de vous, ligueurs ! Car, sans croire à Dieu et à son fils, vous mangez les reliques et avalez le crucifix. Vous avez rasé et uni la France, et voilà pourquoi on vous nomme l'union ; il faut que chacun trouve ce qui lui appartient : Paris a ses douze quarteniers ; il y a à Montfaucon seize piliers, chacun a ainsi son bénéfice. Il ne reste plus que douze des seize, car les quatre premiers ont été perchés comme ramiers. Vous faictes vœux, bons Parisiens, d'un navire d'argent à Nostre-Dame ; mais l'on ne s'acquitte d'un vœu que lorsqu'on est sur le rivage. Quel est l'insensé qui veut le payer estant au fort de la tempête ? Deux se disputent la couronne ; ils en perdent l'appétit : l'un pour avoir trop grosse tête, l'autre pour avoir nez trop petit[12].

Le plus mordant de ces pamphlets fut celui qui est parvenu jusqu'à nous sous le titre de : Satire Ménippée ou de la vertu du catholicon d'Espagne et de la tenue des estats de Paris ; collection, plutôt qu'unité d'ouvrage, préparée par les parlementaires, pamphlet railleur dicté par la passion, et qui a défiguré tous les jugements portés sur la ligue. Vous ne sçavez pas les vertus du catholicon d'Espagne, sans doute ? Servez d'espion au camp, aux tranchées, à la chambre du roy et en ses conseils, bien qu'on vous cognoisse pour tel, pourvu qu'ayez pris dès le matin un grain de higuiero, quiconque vous taxera sera estimé huguenot ; soyez recognu pour pensionnaire d'Espagne, trahissez, désunissez les princes ; pourvu qu'ayez un grain de catholicon en la bouche, on vous embrassera. N'ayez point de religion, mocquez-vous à gogo des prestres et mangez de la chair en caresme en despit du pape, il ne vous faudra autre absolution qu'un peu de catholicon. Voulez-vous bientost estre cardinal ? frottez une corne de vostre bonnet de higuiero, il deviendra rouge et serez faict cardinal, fussiez-vous le plus incestueux et ambitieux primat du monde. Voici maintenant les états de Paris tirés des Mémoires de mademoiselle de Lalande, des secrètes confabu-lations d'elle et du petit Commolet. Après la procession, où l'on vit maistre Pelletier, curé de Sainct-Jacques, habillé de violet, la couronne et la barbe faicte de frais, une briganline sur le dos, avec l'espée et le poignard, une hallebarde sur l'espaule gauche, qui suoit et haletoit pour mettre chascun en rang, marchoient trois petits moinetons et novices, cinquante ou soixante religieux et six capucins ayant un morion en teste et au-dessus une plume de coq. Entré dans la salle des estats, on admiroit l'arrangement et les peintures historiées des tapisseries ; l'une d'elles contenoit le portraict fort bien tiré de son long de M. le lieutenant-général (Mayenne), habillé en Hercule gallicus, tenant en sa main des brides sans nombre, auxquelles estoient enchevestrés des veaux, aussi sans nombre. Au-dessus de sa teste comme en une nue, y avoit une nymphe qui avoit un escriteau portant ces mots : Gardez-nous de faire le veau. Et par la bouche dudict sieur lieutenant, en sortoit un autre où estoient escrits ces mots : Je le ferai. Après que l'assemblée fut entrée bien avant dedans la grande salle, la place fut assignée à chascun. M. le lieutenant de l'estat et couronne de France, crioit un héraut, montez là-haut en ce throsne royal, en la place de vostre maistre ; M. le duc de Guise, mettez-vous tout le fin premier pour œ coup sans préjudice de vos droits avenirs : madame de Montpensier, mettez,vous sous vostre neveu ; M. le primat de Lyon, laissez là vostre sœur et venez ici prendre vostre rang. Alors plusieurs entonnèrent : ô crux, ave, spes unica, etc. Quelques-uns de rassemblée le trouvèrent mauvais. Toutefois chascun chanta. Le bransle fini, le sort tomba à M. le cardinal de Pellevé, lequel se levant sur ses pieds comme une oie, fit de très profondes révérences : Messieurs, s'écria-t-il, je suis à vostre commandement, pourvu que, comme bons catholiques, vous vous soumettiez aux archi-catholiques princes lorrains et super-catholiques espagnols qui aiment tant la France et désirent tant le salut de vos âmes qu'ils en perdent la leur, dont c'est grand'pitié, et vous prie y adviser de bonne heure. — Parlons des nécessités et oppressions du clergé, ajouta M. l'évesque de Lyon qui a grande réputation d'éloquence ; vous y adviserez, s'il vous plaist ; pour mon regard, je mettrai peine que ma marmite ne soit renversée. Chascun ad visera à se pourvoir si bon lui semble ; et de ma part je ne désire point la paix, que premièrement je ne sois cardinal, comme on m'a promis et comme je l'ai bien mérité. Courage, mes amis, exposez vos vies et ce qui vous reste de biens pour M. de Mayenne et pour ceux de sa maison ; ce sont bons princes et bons catholiques et qui vous aiment tout plein. Demandenez-vous un plus beau roy el plus gros et plus gras qu'il est ? c'est, par sainct Jacques, une belle pièce de chair, et n'en sçauriez trouver un qui le pèse.

Il y avait de l'esprit dans ce pamphlet, des applications ingénieuses, des personnalités vives contre les hommes qui avaient présidé aux états ; on se moquait de leurs lenteurs, des choix qu'ils avaient faits, de la politique qu'ils avaient suivie. Les parlementaires se gaussaient des ambassadeurs espagnols, du légat, de madame de Montpensier, si profondément ligueuse, de M. de Mayenne, grosse pièce de chair, de la maison de Lorraine avec ses ambitieuses temporisations ; toutefois ce pamphlet ne donne des états qu'une peinture fausse et ridicule. Gomme tout gouvernement qui ne pose pas des résultats saillants et prompts, la ligue s'était usée. Il n'y a rien qui tue un parti comme l'incertitude ; les états n'avaient rien décidé, négociaient pour tout et sur tout ; abandonnés de l'opinion extrême des catholiques, ils ne s'étaient pas complètement rattachés aux parlementaires, et c'est ce qui les perdit. Pourtant, je le répète, ils amenèrent le grand point de la réconciliation des opinions modérées ; ils avaient préparé la fusion des catholiques des deux camps dans les conférences de Surène ; ensuite la trêve qui précéda la paix. C'étaient des services ; une assemblée qui représente réellement un pays, tend toujours au triomphe des principes, à l'ordre et à l'intérêt de la société.

A mesure que les difficultés s,accroissaient pour la ligue, le tiers-parti devenait plus hardi ; c'est le mouvement des opinions ; et le 28 octobre 1595, il fit afficher par les rues de Paris une longue proclamation au profit de Henri IV qu'il appelait à la couronne : Depuis la mort de Henri III jusques à la conversion de vostre roy, disoit-il, les armes des catholiques semblent aucunement Justes ; mais à présent qu'il a pris la religion de ses prédécesseurs, sans laquelle il luy estoit difficile, voire impossible de régner, est-il très malaisé et plus impossible de l'en empescher, soit que le pape l'admette ou non. S'il le reçoit, qui le refusera ? s'il fait le contraire, qui peut s'opposer, persévérant en la religion catholique, à ce qu'il soit recognu et obéi et qu'il ne s'accroisse de jour en jour ? Vostre villa est la capitale et l'exemple du royaume ; unissez-vous tous ensemble, et qu'il n'y ait plus de divisions ; quittez vos inimitiés publiques et particulières ; ostez de vos cœurs tout désir de vengeance ; cessez de vous injurier et surnommer ; secouez le joug insupportable de tant de petits princes ; qu'en pouvez-vous espérer ? Recognoissez (comme je vous exhorte) celuy qui vous est donné de Dieu pour roy. Dieu vous en fasse la grâce[13]. On commençait à placarder en tous les carrefours les caricatures extravagantes de la ligue : une belle estampe coloriée représente sa pauvreté et ses lamentations. Une femme hideuse, toute déguenillée, est gisante au pied des murs de Paris ; derrière elle se trouve un diable tout vert, jouant sur le violon l'air : Vous reviendrez en nos enfers. Madame la Ligue s'écrie piteusement qu'elle avoit voulu joindre les fleurs >de lys à un sceptre estranger ; Dieu avoit abattu son dessein : qu'alloit-elle faire chétive ? où al,oit-elle se retirer ? étoit-ce sur l'espagnole rive ? elle n'avoit plus de palais ; son sceptre estoit le baston que portoient les gueux. Adieu, ô France, je t'ay trop affligée. Et l'on distribuait aussi le portrait de la ligue infernale, grande religieuse avec la teste couronnée de serpents, d'aspics et vipères, à double visage, deux griffes énormes au lieu de pieds : elle avait les yeux sanglants, la cervelle creuse, la bouche écumante ; elle avait le cœur d'acier, le corps d'une diablesse, la langue de sorcière et l'habit d'une abbesse. A-t-on besoin de dire l'impression profonde que faisaient de telles publications sur les esprits ? Les parlementaires les multipliaient dans leurs réunions secrètes. Il n'était pas de magistrat, de savant politique qui ne polît son épigramme latine, ou qui ne lançât son dizain, sa larmoyante satire en ce bon vieux français qui plaisait tant à Pasquier. Quand un pouvoir s'affaiblit, qu'il perd de son ascendant moral et de sa puissance sur les esprits, tous les coups portent pour bâter sa ruine. La caricature moqueuse, le pamphlet léger no peuvent atteindre une autorité d'énergie et de grandeur ; c'est une piqûre à un colosse ; mais dans les derniers jours d'un pouvoir débile, chaque coup est mortel.

La ligue en était là. Le gouvernement municipal et catholique de Paris eut cinq ans de durée, et je viens d'en suivre l'histoire pleine d'émotions et de vie. Au moment où finit cette partie du grand drame populaire des confréries et des balles, la restauration de Henri IV se prépare. On pourrait dire qu'elle est faite ; car un mouvement politique est accompli, lorsqu'il est dans l'opinion et que tous les bons esprits le désirent. A la fin de 1595, après la conversion du roi de Navarre, la ligue, n'ayant plus de motif sérieux aux yeux des bourgeois, dut aller de décadence en décadence jusqu'à sa grande ruine. L'entrée de Henri IV à Paris fut un fait inévitable. La question n'était plus alors catholique, mais espagnole ; le mouvement vaste et tout religieux qui s'opposait au triomphe du Béarnais s'était transformé en une intrigue, et l'intrigue tomba devant les intérêts de la société. En examinant de près les différentes phases de la révolution populaire dont je viens de retracer tous les détails, on apercevra diverses nuances qui marquent sa durée. Après les barricades, toutes les classes de la population prennent part au mouvement. Un grand enthousiasme salue l'expulsion du roi, l'organisation d'un large système municipal. La bourgeoisie tout entière partage les sentiments des halles ; l'hôtel-de-ville agit, gouverne, arme ses citoyens, défend ses remparts ; les quarteniers convoquent le peuple qui remue les bonnes arquebuses, les longues couleuvrines au service de sa religion et de sa cité. Dans la seconde période, la bourgeoisie se fatigue ; cette énergie d'un moment se calme devant les intérêts. Les bourgeois avaient fait une émeute ; ils n'avaient pas voulu une révolution. Les parlementaires, associés d'abord au mouvement populaire, se placent en tête de cette opinion mixte. Ici commencent les démarches du tiers-parti, que les catholiques considèrent comme une trahison. De là, les mesures fortes et sanglantes des seize quarteniers, expression de la ferveur et du dévouement de la multitude : c'est la période démocratique de la ligue. Le peuple est maître de toute l'autorité ; il l'exerce avec ses violences. Il y a dès lors des résistances énergiques, une guerre de courage et de fanatisme. Le duc de Mayenne, qui s'était posé en tête du parti bourgeois et parlementaire, vient au secours de la classe moyenne ; il prépare, avec l'appui de ses hommes d'armes, une sorte de contre-révolution au profit des esprits modérés, des classes de transaction, contre le peuple ardent. Plusieurs des seize quarteniers sont livrés au bourreau. Le conseil municipal choisit d'autres chefs ; il passe lui-même sous l'empire des idées de modération. La ligue existe encore ; les villes restent unies par des liens puissants ; mais le peuple est hors de question ; il est gouverné et ne gouverne plus. Les états-généraux de 1595 viennent atténuer l'énergie du mouvement de la ligue. Les députés, fervents catholiques, arrivent avec le désir de mettre tin terme aux tourmentes du beau royaume de France ; s'ils n'ont aucune prédilection pour Henri de Navarre, ils n'ont pas de répugnances invincibles. Us ne lui demandent plus qu'une adhésion absolue aux lois générales et constitutives de la société, et Henri IV défère à ce vœu des députés par son abjuration. La réforme n'est point comprise par ces confréries municipales, habituées à la vie locale de la commune. C'est toujours l'action d'un principe philosophique trop avancé, tourmentant l'existence actuelle des populations, leur croyance de vierges dorées, de légendes pieuses, de saintes histoires qui se liaient à leur berceau, à la cathédrale de leur affection, à la cloche Ce leur hôtel-de-ville. Quand donc j'ai décrit avec quelque chaleur cette résistance de la société catholique, je n'ai point, vieux ligueur, saisi l'arquebuse pour la défendre contre la marche de la réforme, grand fait du seizième siècle ; j'ai seulement cherché à rendre, dans sa bruyante et douloureuse énergie, cette ligue des villes catholiques, protégeant leur liberté et leur croyance du moyen-âge.

La ligue, dans ses derniers jours, perdit de sa grandeur primitive ; les hommes qui la dominèrent firent de la petitesse avec la force populaire, et ce n'est point ainsi que voulaient la conduire ou la combattre les deux hautes têtes du système catholique et huguenot, Philippe n et Elisabeth. La ligue était pour le roi d'Espagne le principe de toute une politique universelle. La France s'abaissant sous la domination de Philippe et d'un sceptre de famille, les Pays-Bas et la Hollande se replaçaient d'eux-mêmes sous la couronne espagnole ; les flottes du grand roi ceignaient Londres de leurs myriades de voiles, et soulevaient les ferments catholiques en Angleterre et en Ecosse. Elisabeth connaissait toute la portée de cette vaste conception de Philippe II ; elle préparait partout des obstacles, et les alliances de la pauvre vieille, comme elle le répète dans ses dépêches, tendaient à opérer le morcellement de la monarchie espagnole par la triple ligue des Pyrénées, de la France et de l'Italie. A cette fin elle se servait du principe huguenot. Henri IV, l'expression de l'indifférentisme religieux, se posa comme une transaction entre ces deux systèmes ; il n'abandonna point, par son abjuration, l'alliance anglaise, pas plus que ses amitiés pour sa brave chevalerie huguenote. Dans la paix de Vervins, il ménagea tout à la fois l'Angleterre et l'Espagne. Henri est en politique ce qu'il fut en matière religieuse, indifférent pour les personnes, oublieux des services, se plaçant entre les systèmes pour s'en créer un à lui seul, dans ses intérêts personnels et dans ceux de la couronne qu'il posait sur sa tête.

L'activité de Philippe II fut déjouée dans toute cette affaire de la ligue, parce qu'il ne sut rien faire d'une manière décisive, parce que ses agents étaient plutôt hommes à petite habileté, à intrigues de personnes qu'à grand mouvement d'opinions et de choses. Ils agirent avec trop de turbulence, se croisant les uns les autres, mécontentant les princes, dépensant des monceaux de doublons que l'insatiable avidité des hauts vassaux de France dévorait sans résultats pour la question agitée entre, les deux croyances. Ce qui manque surtout dans cette révolution, comme dans la plupart des mouvements populaires, c'est un caractère d'homme fortement trempé qui s'empare de l'énergie des masses pour créer quelque grande chose.

Prenez un à un ces princes de Lorraine ; courageux de cœur, ils s'arrêtent au moment d'agir, quand il s'agit de poser la couronne sur leur front. Le duc de Mayenne, haut posé, est sans décision ; épais de corps et d'esprit, usant aux batailles toutes ses forces morales, il n'est plus rien qu'un esprit mitoyen au milieu de deux partis, mécontentant l'un et l'autre, sans se prononcer pour Henri IV, seule ressource qui restait à l'opinion bourgeoise et modérée. Le légat offre cette volonté de fer que rien n'arrête, parce qu'elle était le résultat d'une mission de conscience, conviction profonde et religieuse de la haute destinée du catholicisme. Qu'importaient les obstacles, les ma, heurs des batailles, le triomphe passager des huguenots devant la pensée éternelle ? Le Béarnais est l'homme supérieur, parce qu'il est véritablement dans son rôle ; il ménage tout, fait des concessions sur tout, et reste maître d'un terrain que personne ne sai, défendre. Il n'y avait plus qu'un dénouement possible, la reconnaissance haute et formelle de Henri IV ; elle s'opte par le mouvement naturel des choses ; elle était accomplie six mois avant l'entrée à Paris de la brave gentilhommerie, victorieuse sous la cornette blanche !

 

 

 



[1] Bibliothèque royale, mss. de Colbert, n° 11.

[2] Mss. de Colbert, vol. 14, fol. 89 vers.

[3] Requête au roi par ceux de la religion, 1593. — Mss. de Colbert, vol. XXXI, rég. en parchem.

[4] Fait à Saint-Denis, juillet 1593. Mss. de Colbert, in-fol. M. R. D. vol. XIX, p. 126 v°.

[5] Bibl. du roi, mss. de Colbert, in-fol. — M. R. D. vol. coté 16, fol. 329.

[6] 23e juillet 1593. — Henri IV à la marquise de Mousseaux ; Mémoires de M. de l'Estoile, mss, cot. P, n° 30. — Supplément franç., 1425/5.

[7] Registre de l'hôtel-de-ville, XIII, fol. 422.

[8] No pudiendo contentar se con menas de lo pedido en su papel.

[9] 28 Juin 1693. — Arrêt donné en la cour de parlement de Paris ; Bibliolh. royale, rec. de pièces in-8°, cot. 1491/26, pièce 7.

[10] Déclaration sur la publication du concile de Trente. — Collection des états-généraux, 1593.

[11] Voyez le curieux recueil intitulé : La Ligue, 1598. — Bibliothèque royale, salle des imprimés.

[12] Voyez le recueil de la Ligue, 1596.

[13] La Ligue, 1593, par L'Estoile, in-fol. Biblioth. royale (salle des imprimés).