LA LIGUE ET HENRI IV

 

CHAPITRE IV. — DÉVELOPPEMENT DU TIERS-PARTI NÉGOCIATEUR À PARIS.

 

 

Le tiers-parti politique et négociateur à Paris. — Dans le camp de Henri IV. — Mort de Charles X. — Le duc de Mayenne. — Attaque contre le tiers-parti. — Sorbonne. — Parlements. — Siège de Paris. — Ménagements de Henri de Navarre. — Conférence de Noisy. — Marche du duc de Parme. — Levée du blocus de Paris. — Mouvement municipal ultra-démocratique. — Action du tiers-parti, et triomphe de la bourgeoisie.

1590 — 1591.

 

Dès la mort de Henri IH, il s'était formé à Paris et dans les villes soumises à l'union, un tiers-parti de négociateurs qui voulait préparer une heureuse fin aux troubles de la France ; tous admettaient la nécessité d'un roi catholique ; tous excluaient Henri de Navarre tant qu'il persisterait en une malheureuse hérésie. Un trône huguenot, élevé sur les ferventes cités, paraissait une impossibilité dans les idées sérieuses des hommes même les plus modérés. Mais si Henri de Navarre se laissait instruire et convertir, s'il adoptait la foi sainte, n'était-ce pas un moyen d'en finir avec les tristes débats et les guerres civiles ? Le droit successorial de Henri de Navarre était le moins contestable ; pour soutenir celui de l'Espagne, il fallait abolir la loi salique, principe fortement défendu par les parlementaires ; et pour faire triompher les prétentions des Guise, n'était-il pas également nécessaire de proclamer l'usurpation des Capet ? Avec Henri de Navarre, on n'invoquait plus que le droit politique, l'application des principes existants et reconnus. Ce parti de négociateurs trouvait une double expression, soit dans le camp de Henri de Navarre, soit dans les villes de l'union. En tête se trouvait Gonzagues, duc de Ne vers, modéré d'opinion, ardent ami de Catherine de Médicis, placé entre les partis pour profiter de toutes les chances. Biron était plus décidé ; mais chef des royalistes unis à Henri de Navarre, il cherchait à donner par les négociations le premier rang à ses compagnons de bataille, effacés sous la chevalerie calviniste. Villeroy, l'actif ministre, passait d'un camp à un autre, et gagnait la confiance du roi de Navarre par une dextérité de principes et de conduite qui le rendait utile à tous. Puis, au-dessus d'eux, Charles X, vieillard maladif, homme timide, gardait la couronne comme un bien acquis et dû, mais se réservait de la transmettre à Henri de Navarre son neveu, s'il se convertissait au catholicisme. Ce parti de transaction avait ses représentants dans les cours de justice, dans une minorité du parlement que conduisait le président Brisson. A tout prendre, le duc de Mayenne n'était pas éloigné de s'arranger avec ce parti, cherchant à tenir une position mixte entre les diverses opinions populaires. S'il ne pouvait assurer un trône à sa race, le duc de Mayenne aurait fait volontiers ses conditions au Béarnais, de manière à se donner au moins un grand gouvernement de province.

Le parti populaire voyait bien que c'en était fait de la sainte ligue, des libertés et franchises de la cité, si les négociateurs amenaient l'armée royale de Henri de Navarre dans les murs de Paris. Le but des ligueurs devait être d'attaquer vigoureusement les consciences timides qui parlaient de transiger, lors-,'il fallait mourir pour le service de Dieu et les franchises municipales. Le conseil des seize quarteniers et colonels se réunissait tous les jours ; on délibérait de prendre des mesures violentes, d'atteindre d'abord les doctrines, et d'arriver ensuite aux actes. Le parti populaire fit encore publier une suite de brochures et de pamphlets contre les politiques, et Henri l'hérétique, le Béarnais relaps, l'excommunié. On criait aux rues de Paris : Les impostures et calomnies des huguenots, politiques et athéistes, pour colorer le massacre commis es personnes de messeigneurs les cardinal et duc de Guise par Henry de Valois, avec la réfutation, et comme on se doibt comporter contre l'inhumanité des massacreurs et tyrans, et de la punition nécessaire d'iceux. — La vie, mœurs et déportemens de Henry Béarnois, soy-disant roy de Navarre, où les catholiques de ce royaume pourront descouvrir quelles sont les hypocrisies de celui qui les voudroit dominer et envahir la couronne très chrestienne à Charles, cardinal de Bourbon, roy de France. Le conseil des seize quarteniers ne se contentait pas de jeter le ridicule et la haine sur le parti négociateur ; maître du bureau de la ville, des échevins, du conseil de l'union, de tout ce qui commandait l'obéissance dans la cité, il appela une manifestation publique et légale des sentiments populaires contre tout arrangement avec Henri de Navarre.

Le moyen que le tiers-parti voulait employer était, ainsi qu'on l'a dit, la conversion de Henri IV ; les pamphlets de la ligue avaient répondu à cette théorie, en posant en fait qu'on ne pouvait absoudre un hérétique relaps, un homme qui avait déjà renoncé par deux fois à sa croyance. Ce principe, on le fit proclamer par tout ce qui était pouvoir dans la cité. La Sorbonne était fortement ligueuse, et d'ailleurs les quarteniers, à la tête du peuple, n'auraient pas souffert qu'une autre opinion fût exprimée. Il fut déclaré par la Faculté en assemblée solennelle : Qu'il estoit de droict divin inhibé et deffendu aux catholiques de recevoir pour roy un hérétique ou fauteur d'hérésie et ennemi notoire de l'église, et plus estroitement encore un relaps, et nommément excommunié du saint-siège. Et partant, puisque Henry de Bouillon est hérétique, les François sont tenus et obligés en conscience de l'empescher de tout leur pouvoir de parvenir au gouvernement du royaume très chrestien. C'était une mesure vigoureuse, dirigée contre le tiers-parti. Comment songer encore à une transaction avec un hérétique notoirement relaps ?

Tout ceci se passait après la bataille d'Ivry que les négociateurs avaient considérée comme un événement heureux pour arriver aux fins qu'ils se proposaient. Alors le peuple de Paris était plus que jamais décidé à se défendre ; l'union recevait l'espérance de puissants secours. Le légat du pape Sixte-Quint, §t le duc de Feria entraient dans la cité, avec ordre de soutenir et de développer le grand système de résistance, préparé par les villes catholiques, contre la gentilhommerie huguenote et montagnarde qui venait avec les étrangers pour attaquer ses murailles. Le duc de Feria était l'homme de confiance de Philippe II, l'ambassadeur officiel auprès de l'union sainte et municipale. À mesure que cette union prenait plus de consistance, le toi d'Espagne avait pensé qu'un envoyé spécial, porteur de -ses instructions intimes, répondrait mieux aux besoins des circonstances. Le duc de Feria, habile négociateur, tête de mouvement et d'énergie, précéda le légat de quelques jours seulement et dut se concerter avec lui sur les intérêts communs da la ligue. La papauté, cette immense institution, s'était alors personnifiée dans un pauvre moine, homme de modération et de tempérament Sixte-Quint négociait avec tous les partis, cherchant à les attirer à lui par des concessions. Quand les Guise avaient été frappés, c'était le cas de lancer la fatale ex, {Communication contre Henri ni, dont la main n'avait pas tremblé devant la pourpre du cardinalat ; Sixte-Quint reçut des justifications, se borna à des menaces ; et comme lui-même était aux prises avec les grandes familles de Rome, il oublia les intérêts du catholicisme pour applaudir à un exemple qui, reproduit dans sa capitale contre ses adversaires, pouvait raffermir son pouvoir temporel. Henri III joint son armée aux huguenots, attaque de front la ligue ; le consistoire des cardinaux veut l'excommunier ; Sixte-Quint se contente de quelques explications royales sur les impostures des ennemis de sa majesté[1]. Il reçoit l'ambassadeur, M. de Luxembourg, envoyé par les princes ligués aux huguenots[2] et qui se déclarent très dévots au saint-siège, en même temps qu'ils attaquent le principe catholique ; enfin, bercé par la pensée de la conversion de Henri IV, il abandonne la ligue en ses périls. Heureusement l'actif légat s'éloigna de ses instructions timorées pour adopter hautement les couleurs de l'union municipale. Ce légat, Henri Caïetano, appartenait aux opinions fortement catholiques ; expression de la grande papauté du moyen âge, il sentait que du triomphe de la ligue devait résulter la puissance et la durée de l'autorité pontificale. Caïetano et le duc de Feria étaient des hommes énergiques au milieu d'une population fervente et dévouée. On ne peut dire avec quel enthousiasme fut reçu le légat ; tous les meubles de la couronne furent portés à l'archevêché ; les rues étaient tapissées de broderies, représentant les persécutions des premiers chrétiens par les malheureux infidèles ; les bons bourgeois étaient tous sous les armes et formaient une double haie d'arquebuses : Vive notre sauveur ! vive le soutien des vrais catholiques ! criait-on de toutes parts, et l'artillerie se faisait entendre sur la place de Grève ; les bourgeois y répondaient par de nombreuses décharges d'arquebuse, tellement que le légat avoit grand'peur que quelques malintentionnés ne chargeassent à plomb ou ne tirassent maladroictement. C'est pourquoy il leur faisoit signe de cesser ; mais eux, croyant que ce fussent bénédictions, deschargeoient de plus belle. Caïetano et le duc de Feria se mirent immédiatement en communication avec les chefs des quarteniers, et concertèrent un système de défense, au cas où Henri le huguenot viendrait assiéger la ville de Paris.

Dans cet intervalle si rempli d'événements, le vieux Charles X avait succombé aux douleurs de la pierre ; captif de Henri de Béarn, son neveu, il avait été traité avec dureté, comme si on eût voulu lui faire expier la couronne l'or qui pesait 6ur ses cheveux blancs. La mort de Charles était prévue, mais elle soulevait la plus grave question de succession. Philippe II allait-il subir un nouveau roi ou réveillerait-il les droits de l'infante, que déjà son ambassadeur avait secrètement invoqués ?

Une dépêche de don Bernardino Mendoça donna à San-Lorenzo Fa vis de la mort de Charles X. Une lettre escrite par le capitaine Lagueule, qui estoit de service auprès du roy (cardinal de Bourbon), annonce au prince de Béarn la mort du cardinal, laquelle a eu lieu le 9 mai à neuf heures du matin. Bien que l'âge du cardinal de Bourbon fust de soixante-huit ans, encore peut-on soupçonner que les tracasseries suscitées parle prince de Béarn ont hasté le moment de ceste mort, pendant laquelle le cardinal s'est montré sans doute, comme pendant sa vie, inviolablement attaché à la desfense et à la gloire de Dieu, et plus envieux de la couronne du ciel que des grandeurs de la terre[3]. L'ambassadeur ajoutait : J'expédie donc un courrier exprès, pour donner nouvelle à yostre majesté de cet heureux événement, si toutefois on peut appeler de ce nom la mort du cardinal-roy. Il n'est pas probable qu'elle donne au prince de Béarn des ressources et des forces pins grandes que celles qu'il avoit précédemment.

Henri de Navarre s'était rapidement porté sur Paris de ce champ de bataille d'Ivry, si glorieux pour ses armes ; il y était servi par les intelligences du tiers-parti qui voulait, en réduisant le peuple à une extrémité déplorable, seconder la première voix de paix et de repos qui se faisait entendre parmi la bourgeoisie. Cette armée du Béarnais, composée de reîtres, d'Anglais, de sa chevalerie calviniste, et d'un débris du parti royaliste, marcha pour investir Paris, se saisissant de tous les points qui protégeaient l'arrivée des subsistances. Ces dispositions tendaient à effrayer le peuple par l'appareil formidable d'un siège meurtrier. On connaissait mal la multitude belliqueuse des halles et des confréries, son dévouement à sa religion et à la cité. Tandis que le tiers-parti voulait ouvrir des conférences à Noisy, le peuple s'organisait en armes, et l'activité puissante du légat et du duc de Feria réveillait les sentiments d'énergie et de patriotisme municipal. Dès le 15 mars, le serment de l'union catholique avait été renouvelé par tous les habitants. M. d'Aubray, colonel, disait le bureau de la ville, nous vous prions et au besoin mandons que ayez à assembler tous les capitaines qui sont sous vostre charge, et leur enjoindre, de par nous, de bien faire sçavoir à tous les bourgeois qui sont sous leurs enseignes, et qui ont accoutumé de porter mousquet et arquebuse, de se garnir de bonne heure et en la plus grande diligence qu'ils pourront, de la plus grande quantité de balles, mesches et poudre à canon, et de tenir leurs armes en bon estat, pour s'en servir quand la nécessité s'en présentera, et qu'ils aient à conserver lest dictes munitions sans tirer inutilement ni les dissiper[4].

Et comment n'auraient ils pas été confortés, les bons bourgeois, dans la résolution d'une belle défense, quand ils recevaient la lettre suivante de M. de Mayenne ? Messieurs, je fais toute la plus grande diligence qu'il m'est possible, afin de vous pouvoir aller secourir avec toutes les commodités que je vous pourrai mener. Or, le jeudy 5e de may, en assemblée générale faicte en la grande salle de l'hostel-de-ville, M. le prevost des marchands a amplement faict entendre comme il estoit très nécessaire adviser sur la nécessité urgente qui se présentoit de fortifier, garder et défendre la ville contre les entreprises des ennemis qui approchoient, et si les forces des bourgeois et habitans d'icelle estoient suffisantes pour empescher l'ennemi d'entreprendre aucune chose, ou bien, si en cas d'extresme nécessité et estant assiégés, l'on jeroit entrer et loger des forces estrangères. Le tout mis en délibération, a esté advisé et conclu que l'on doit se remettre à la prudence et sage conduicte de M. le duc de Nemours, et le supplier ne nous abandonner, et sera prescrit toute obéissance audict seigneur ; et parce qu'il faut avoir quelques moyens pour donner du pain aux Suisses, lansquenets et autres, semblera bon de lever encore l'impost sur les riches pendant un mois.

Le 10 mai, règlement pour les guets et gardes, et le 18, mesures pour la conservation des chaînes. MM. les colonels sont priés de faire assembler tous les capitaines de leur colonelle, pour en desputer par leur quartier tel sombre qu'ils admiseront, et rechercher parmi les bourgeois ceux qui voudront monter à cheval ou aller à pied, avec quelles armes et équipages, dont ils feront un rôle, contenant les noms et armes qu'ils se voudront servir, pour marcher toutes les fois qu'il leur sera ordonné, sous la charge de sages capitaines, nobles, gentilshommes ou autres que monseigneur le duc de Nemours ou nous nommerons. 26e may. Et Paris s'était garni de sa bonne artillerie bourgeoise : Au boulevard de la porte Sainct-Antoine y a deux pièces auxquelles seront commis : Pierre Guérin, menuisier, demeurant rue Sainct-Antoine, à l'enseigne de la Coupe, et Sébastien Seveilier, aussi menuisier, demeurant de mesme audict logis. A la platte-forme du moulin d'Ardoise, y a trois pièces sous Guillaume de Grerge, tailleur d'habit, demeurant rue Pastourelle, et Jean Aubert, menuisier. Au boulevard de la porte du Temple y a trois pièces et sont en nombre treize canonniers. A la grande platte-forme d'entre la porte du Temple et la porte Sainct-Martin, y a deux pièces. Joignant la porte Sainct-Martin, y a un peu plus loin trois pièces ; en sera transportée une delà les ponts ; et pour la garde des deux autres seront commis : Rolland Puiguières, menuisier, demeurant rue Beaubourg, et H. Antoine Lescuyer, demeurant naguère à Melun. Sur la porte Sainct-Denis, où y a une pièce, sera commis : Pierre Coulonge, bourgeois de Paris, demeurant rue Vieille-Monnoie. Vers la porte Montmartre y a une pièce, à laquelle sera commis : Jehan Billeheu, clerc des arquebusiers. Au moulin des Petits-Champs y a deux pièces où seront commis : Nicolas Simon, tailleur d'habit, Jean Richardière, laboureur. A la Porte-Neuve y a une pièce, à laquelle seront commis : Mathieu Ruelle et Pierre Desmoneaux, bourgeois de Paris, demeurant rue des Mesnestriers. Faict au bureau, le 7e jour de juin 1590.

C'était dans cet état des esprits, dans cette effervescence de la population que les parlementaires rêvaient encore un arrangement. Le duc de Mayenne, que Ton considérait comme disposé à ces négociations, écrivait à don Bernardino Mendoça : Le sieur de Villeroy m'a dict avoir conféré de luy-mesme avec le sieur du Plessis à Noisy (c'est un des plus confidens serviteurs et des plus advisés qu'ait le roy de Navarre) sur les moyens qu'il y auroit de revenir à la paix, luy re-monstrant qu'elle ne se pouvoit espérer, sinon que le roy de Navarre se fist catholique et fust approuvé par l'église. A quoy ledict sieur du Plessis lui auroit respondu qu'il vouloit premièrement estre recognu pour roy de tous ses subjects, et après qu'il se feroit instruire et donneroit tout contentement aux catholiques.

Comment croire que la multitude catholique, qui comptait sur les secours effectifs du duc de Parme et des bandes espagnoles, se laisserait aller aux belles promesses du Navarrais. Tout était destiné à Paris pour réveiller son énergie : les sermons ardents préparaient les halles à la défense de la foi et de la cité, comme dans le forum de Rome les orateurs remuaient les entrailles du peuple-roi. MM. les prévôt et échevins faisaient vœu de belles offrandes à Notre-Dame-de-Lorette, au cas où la ville serait délivrée du maudit Béarnais et de sa forte chevalerie : Nous, Michel Marteau, sieur de la Chapelle, prévost des marchands, les eschevins, conseillers et officiers de la ville de Paris, pour et au nom de tous et chascun des bourgeois et habitants de la ville, avons voué et vouons à sa divine majesté, que s'il luy plaist nous deslivrer de la calamité où nous sommes réduicts et des mains de ceux qui ont conjuré la ruine de son église, au plustost qu'il nous sera possible et qu'il nous en donnera les moyens, nous envoyerons aucunes notables personnes qui seront exprès desputées, en l'église Nostre-Dame-de-Lorette en Italie, lieu où sont les marques et vestiges du haut mystère de son incarnation, pour luy faire des humbles prières et présenter nos offrandes. Et le dimanche premier jour de juillet, lesdicts prevost, eschevins et autres se sont transportés en l'église Nostre-Dame à Paris, où la messe du jour a esté célébrée par monseigneur le cardinal de Gondy, évesque de Paris. Après lequel vœu, fut faicte la prédication publique sur le mesme subject par M. Jean Boucher, docteur en la faculté de théologie, curé de Sainct-Benoist. Après une communion générale, en face des autels couverts de cierges et de beaux luminaires, il y eut enrôlement complet de bourgeois. De par le duc de Genevois et de Nemours et les prevost des marchands et eschevins de la ville de Paris : nous vous prions et ordonnons de faire monstre générale de tous les bourgeois et habitans des dixaines de vos colonelles, de quelque qualité et condition qu'ils soient, depuis l'âge de dix-sept ans jusqu'à soixante, capables de porter armes, aux lieu et place que vous jugerez le plus commode en vostre quartier. On était perpétuellement dans la place publique afin de délibérer sur la défense municipale de Paris. On renouvelait toutes les cérémonies qui pouvaient émouvoir la multitude : les processions surtout, les revues d'armes, d'étudiants, le dénombrement des forces catholiques. Il y eut un de ces grands dénombrements que les pamphlets du tiers-parti ont rendu ridicule en le désignant sous le nom de procession de la ligue ; et qu'est-ce qu'il peut y avoir de ridicule dans un peuple faisant le vœu de se défendre contre une armée qui presse ses murailles, et dans cette cité qui soutient un siège meurtrier avec une persévérance héroïque ? Une autre nation, aux temps modernes, eut encore ses processions, ses curés armés d'arquebuses, ses étudiants le casque en tête, et ses femmes le poignard à la main. Dans les bulletins du vainqueur, on qualifia ces héros du nom de fanatiques ; on appela ces armées des ramassis de moines et de brigands ; on les caricatura sur des estampes couvertes de l'aigle ; eh bien ! qui oserait aujourd'hui parler de ridicule, en racontant ces grandes scènes des guerres de l'indépendance ? Quant à moi, je me suis toujours incliné respectueusement devant les murailles de Sarragosse ! Il y eut donc procession religieuse et municipale à Paris, immense réunion de toutes les confréries el métiers, des halles, des écoliers de l'Université et de divers ordres religieux. Tous, le casque en tête, la cuirassine sur le dos, étaient armés de dagues et de pistolets, même monseigneur Guillaume Rose, évêque de Senlis, et le prieur des chartreux, qui chacun portaient arquebuse en main. Le légat fermait la marche, donnant à tous la bénédiction pontificale, et le bruit du canon venait encore augmenter l'exaltation des masses.

Dans tous les quartiers, on entendait force coups d'arquebuse ; un bourgeois maladroit venait de tuer un des domestiques du légat à la suite de son maître, et ce légat, objet de la vénération publique, était entouré ; chacun voulait toucher sa robe sainte et recevoir sa bénédiction. A la suite de ce grand dénombrement des forces municipales et catholiques, de nouvelles mesures de police et de défense étaient arrêtées : Il est prohibé à toutes personnes, de quelle qualité qu'elles soient, d'envoyer aucunes lettres, missives, marchandises, ny autre chose ès villes de Sainct-Denis, Poissy, Senlis, Mantes, Meulan et autres, tenant le parti des hérétiques, sous peine de confiscation, amendes arbitraires et autres plus grandes punitions, selon que le cas escherra[5]. — Monsieur Costeblanche, colonel, nous vous prions de présentement fournir au sieur de Forest ou autres porteurs de la présente ordonnance, trente tonneaux pour estre employés à réparer la bresche qui est entre la porte Sainct-Honoré et Montmartre. — Messieurs les curés et paroissiens de Sainct-Jacques-de-la-Boucherie sont priés, de la part de monseigneur le duc de Mayenne et de messieurs les prevost des marchands et eschevins de la ville de Paris, de donner une partie de leurs cloches qui sont superflues, pour estre employées à la fonte des balles. — Pareil mandement à Saint-Germain-des-Prés, abbaye, à Saint-Sauveur, à Saint-Martin-des-Champs, à Saint,Victor, à Saint-Nicolas, à Saint-Jean, à Saint-Gervais et à Saint-Paul. Cette mesure rappelle les jours terribles de la convention nationale. Les habitants avaient bien besoin de ces démonstrations qui frappaient si vivement les yeux, car Henri de Navarre avait coupé toutes les communications, et menaçait Paris par lettres et bravades : Manans et habitans de nostre ville de Paris, si la raison, le devoir naturel et les anciennes lois et constitutions du royaume n'ont pu fléchir vos cœurs, la nécessité eu laquelle ils vous ont réduict vous devroit au moins faire tourner les yeux à autre voye de salut, que vous ne devez douter de trouver en nostre grâce et bonté quand vous voudrez y avoir recours ; à quoy vous ouvrirez les yeux et y pourvoyerez si bon vous semble, selon que le faict vous touche. Dieu vous fasse la grâce de bien faire vostre profit de nostre paternelle admonition !

Paris était alors dans un bien triste état, exténué par sa défense héroïque. Les gens riches et aisés qui vivent à leur plaisir, au lieu des viandes délicates qu'ils avoient accoutumé de manger, n'usoient plus que de pain d'avoine et de chair d'asne, mulets et chevaux, encore s'en trouvoit-il peu et bien cher ; les autres, pauvres petites gens qui vivent au jour la journée, ne gagnoient pas un liard, et n'avoient pas de quoi acheter des bouillies faites de son, d'avoine, qui estoit tout ce que mangeoient les pauvres. La chair estoit fort chère, à cause de la grande quantité de chevaux et mulets que l'on y avoit mangés, et les pauvres mangeoient des chiens, des chats, des rats, des feuilles de vigne et autres herbes qu'ils trouvaient, encore estoient-elles fort chères. La musique qu'on entendoit, estoient les cris des pauvres, des vieilles gens, pauvres femmes et petits enfants qui demandoient du pain sans que personne leur en pust donner ny les secourir. La médecine qu'ils y faisoient estoit la patience, et ne laissoit-on de faire infinies processions, avec les indulgences que le légat leur donnoit, qui se gagnoient en la plupart des églises, avec les sermons qu'ils oyoient, qui leur faisoient prendre tant de courage, que les sermons leur tenoient lieu de pain. Quand un prédicateur les avoit assurés qu'ils seroient secourus dans huict jours, ils s'en retournoient contens. Ainsi, à une autre époque, un représentant du peuple promettait la victoire à ceux qui lui demandaient des vivres.

Au milieu de ces souffrances de toute une population, les passions politiques s'agitaient ; on publiait des pamphlets de toute nature ; un des plus curieux, œuvre des parlementaires, est dirigé contre le gouvernement des Seize : Dire que nous n'ayons plus que la face et l'extérieur d'hommes, que nous soyons plus abrutis que les bestes mesmes, plus couards, mois et efféminés que femmes, pour endurer qu'une douzaine ou deux de coquins désespérés gouvernent et commandent à leur volonté à Rome française ! Paris, jadis appelé sans pair, comme estant la plus belle ville du monde et la plus fameuse cité de l'univers, gourmandée par un petit tas de coquins et bellistres affamés ! Tu tournes le Cousteau sur toi-mesme, sans connaître celui qui le cause tant de mal. Ah ! pauvre peuple ! tii mérites bien de souffrir, puisque tu fais si peu d'estat de ton aise et de ta liberté. Gens sans religion, qui trouvent une religion à mourir de faim pour trente ou quarante mille âmes languissantes, et la leur n'est qu'à faire boime chère. Ah ! petits commandereaux, cadets lorrains, masles et femelles, Olivier, Senault, Loucliart, Bussy, et vous, prescheurs, à qui pensez-vous avoir affaire ? Vous, messieurs les bons bourgeois et citoyens de Paris, je parle à vous comme à gens hébestés ; quelle grande obligation avez-vous à ceux quiyous procurent aujourd'hui tant de malheurs ? Qui sont-ils ? d'où sont-ils venus ? Ce sont des estrangers sortis d'une estrangère race. Et puis l'on voit nos curés et nos moines se mesler de traiter en leurs chaires nos affaires d'estat ; un Perinet avec son importun habile. Et Boucher ! vraiment tel, car tu despèces, tu tailles, tu descoupes, tu assommes. Il faut, dis-tu, mourir de faim ? Hé ! mon gros et gras Boucher, que le mot te coule doux de la bouche ! demeure donc six jours seulement (je ne te donne pas plus longtemps) sans pain, viande et breuvage ; si tu ne vas pas faire un voyage a nos pères trespassés, si tu continues d'une voix effroyable à dire et prescher que mourir de la faim est un soulagement, je me rendrai à ta créance !

L'héroïque défense de Paris était soutenue par l'espoir que le duc de Parme arrivait au secours de ses braves habitants, avec sa belle et bonne armée d'Espagnols formée aux Pays-Bas. On recevait au bureau municipal une lettre du duc de Mayenne ainsi conçue : Messieurs, nostre armée s'approche de Paris ; il y pourra aller beaucoup de gentilshommes et soldats, qui se desbanderont, et par ce moyen ceste armée se pourroit beaucoup diminuer. Je vous prie de ne laisser entrer aucun qui n'ait passeport de M. le duc de Parme ou de moy. Le duc de Feria envoyait courrier sur courrier, pour prévenir le duc de Parme qu'il eût à marcher en toute hâte, si l'on ne voulait que Paris, la tête de l'union, n'ouvrit ses portes aux huguenots. Philippe II s'était enfin décidé à porter secours efficace et actif à l'union menacée ; il levait dans cet objet une dîme sur le clergé d'Espagne ; mesure qu'il annonçait au grand chancelier Gaspard de Quiroga. Philippe II répondait ensuite aux plaintes des catholiques de France, qui prétendaient n'avoir pas reçu des secours suffisants dans les périls qui les menaçaient. Le roi d'Espagne les avait entraînés à un soulèvement contre l'hérétique ; les abandonnerait-il dans leur détresse ? En réponse, Philippe rappelait, dans une dépêche à son ambassadeur, les preuves de zèle et de bonne foi qu'il avait multipliées. Au nord, disait-il, le duc de Parme a pénétré dans le royaume ; au midi, le comte Hiéromyque de Lodron a renforcé avec ses Allemands le duc de Joyeuse et les catholiques du Languedoc ; en Bretagne, le duc de Mercœur a reçu de ma munificence des secours, pour qu'il eust à purger cette province des hérétiques. Si donc les catholiques s'aident eux-mesmes autant que je les ai aidés, il n'est aucun doute que la religion ne triomphe[6]. Enfin, des lettres précises mandèrent au duc de Parme de s'avancer au secours de Paris, Le prudent général, à la tête des vieilles bandes espagnoles, quitta la Flandre pour opérer sa jonction avec le duc de Mayenne. L'armée des Pays-Bas était nombreuse, bien pourvue d'artillerie, de vivres et de munitions ; la discipline la plu s sévère y était observée. Cette armée était précédée par un corps de dix mille hommes, sous les ordres du duc de Mayenne, qui lui servait d'avant-garde. Après une marche longue, pénible, au milieu des chaleurs de l'été, ces deux armées firent leur jonction à Meaux le 22 août, et passèrent le ruisseau qui coule au village de Glaye et au château de Fresne.

Henri de Navarre se trouvait dans un grand embarras ; sa vaillante chevalerie ne pouvait lutter contre les régiments espagnols réunis aux troupes de la sainte-union. Il fallait pourtant prendre un parti, risquer une bataille générale, ou se décider à lever le blocus de Paris. Henri rassembla donc son armée au-dessus du village de Chelles, dans une position avantageuse et en face de l'ennemi. Il chercha par tous les moyens à faire accepter le combat : il harcelait l'Espagnol à chaque instant ; mais telle n'était pas la tactique du duc de Parme. Par une manœuvre d'une active habileté, il replia son armée sur elle-même, la dérobe à la vue de l'ennemi, s'empare d'un point important qu'il se hâte de faire fortifier, et avec toute son artillerie, le générai espagnol se porte rapidement sur Lagny. Au-dessus de cette ville, située sur la Marne, la ligue avait fait établir des magasios de vivres et des provisions considérables destinés à secourir Paris, dès que la rivière serait libre. Le duc de Parme devait donc réunir toutes ses forces sur ce point de la plus baute importance, puisqu'une ibis les subsistances au pouvoir des catholiques, Paris était délivré. Cette manœuvre, exécutée avec promptitude, lui réussit complètement ; Lagny, vigoureusement attaquée, céda au nombre ; la ville est emportée sous les yeux de l'armée huguenote, arrivée trop tard à son secours.

La marche des Espagnols avait été admirable ; la prudence de Farnèse avait obtenu, sans compromettre son armée, le résultat qu'il désirait. Pourquoi aurait-il cherché à se commettre à la lance et à l'arquebuse avec la brave et dure chevalerie huguenote ? Le duc de Parme faisait une pointe militaire pour débarrasser une ville, pour ravitailler une population. La cité était délivrée ; l'abondance régnait dans Paris ; la multitude sentait renaître son courage, parce que ses espérances n'avaient pas été déçues, parce que les auxiliaires arrivaient à jour fixe, et qu'on pourrait les invoquer encore. Que de témoignages de reconnaissance pour ces braves seize quarteniers et les colonels qui seuls n'avaient pas désespéré de sauver la tonne ville de Paris ! Le lendemain on vit arriver abondance de blé sur les porta et la Grève ; le conseil municipal s'y rendit pour procéder à la distribution régulière de ce secours, qui ramenait le bien-être dans la bonne ville. Ce ne fut pas Henri IV qui approvisionna Paris, ce qui eût été une sentimentalité absurde, mais la pointe habile et militaire du duc de Parme. Que de remerciements ne devait-on pas voter aux braves troupes qui avaient délivré la cité municipale, et au chef qui les avait conduites ! Monseigneur, écrivaient les prévôt des marchands et échevins au duc de Parme, ceux qui n'ont vu le misérable estat auquel, par un long siège, a esté réduicte la ville capitale, autrefois la plus florissante de ce royaume, ne peuvent juger de la grandeur de nostre obligation envers sa majesté catholique, réservée du ciel en terre pour la conservation des bons et terreur des méchants. Puis, on accueillait en frères les braves Espagnols qui avaient délivré la cité : Il est expressèment enjoinct aux maistres et gouverneurs des hospitaux de ceste ville de recevoir et loger les soldats espagnols blessés et navrés ; leur administrer les commodités qu'il est accoutumé de fournir aux malades ; et outre est mandé aux principaux boursiers et procureurs des collèges, èsquels il n'y a exercice ny escoliers, recevoir pareillement iceux malades, à la charge toutefois qu'ils ne seront tenus leur fournir aucune chose que le logis et couvert seulement. Et l'on jetait des fleurs sur ces braves soldats qui traversaient la ville armés de leur bonne arquebuse et de leurs piques de bataille !

Durant le blocus de Paris par Henri de Navarre, les chefs populaires des halles et des métiers n'avaient ignoré aucune des menées du parti négociateur auprès du roi des huguenots. Ce parti avait inondé la ville de pamphlets laudatifs saluant l'hérétique du nom de Henri IV, l'avait béni quand tout souffrait par ses armes, l'avait exalté pour quelques sacs de blé que le Béarnais montrait, par ruse, pour surprendre Paris, quand la population, broutait l'herbe des rues ; n'était-ce pas réveil donné à la garde bourgeoise qui avait seul sauvé la glande ville de la trahison infâme ? n'y avait-il pas des traîtres, et ces traîtres, quels étaient-ils ? si ce n'est ces négociateurs tremblants, ces hommes de tous les partis, et qui sollicitaient de tous des salaires et des récompenses ! Ainsi raisonnaient le peuple de Paris, les prédicateurs, les quarteniers et colonels de la garde bourgeoise ; et quand la ville eut été délivrée, après d'immenses efforts, ne dut-il pas y avoir une réaction naturelle contre ce tiers-parti qu'on accusait d'avoir vendu les liberté municipales, et avec elles l'image de la Vierge, la croix du Christ et le saint révéré des confréries ? Senault, Bussy, Leclerc, Louchard, Ameline, Esmonnot, Auroux, Gochery, tous ces noms populaires des patriotes influents étaient dans ces convictions ardentes. Ne fallait-il pas épurer les traîtres qui voulaient livrer la ville, si l'on se décidait à donner une nouvelle énergie à l'union catholique ? Le duc de Parme avait vu la situation de ses propres yeux ; vainqueur, il avait naturellement usé de son influence ; et comme il savait que ce qu'il y avait de plus dangereux, c'était la réunion des politiques et des royalistes avec Henri IV, il poussait les magistrats populaires à certaines mesures de répression et de terreur pour en empêcher le retour. A ce moment, d'ailleurs, arrivait à Paris le fils de Guise, nouvellement arraché de sa prison de Tours. C'était toute une légende que cette miraculeuse délivrance du pauvre captif, sautant d'une haute tour, bravant soudards et gardiens. Il arrivait à Paris sous la conduite d'un bon ligueur, et déjà l'on chantait dans les rues la chanson de la délivrance du duc de Guise, sur l'air des Fariniers. C'estoit un jour de jeudi, environ sur le midi, qu'il s'estoit sauvé, le brave enfant, tout le monde en avoit été joyeux, criant : Sus, sus, gens d'armes, que chacun prenne les armes ! Et quand le Béarnais avait appris cette nouvelle, il en avait été si surpris qu'il en avait perdu courage. L'arrivée du jeune de Guise donnait une grande énergie au parti municipal contre le tiers-parti bourgeois du duc de Mayenne. Le duc de Feria s'était plaint aussi de la faiblesse du conseil général de l'union : cette assemblée lui paraissait trop nombreuse, mollement composée ; ne serait-il pas nécessaire de concentrer le pouvoir dans les mains d'an petit nombre d'hommes du peuple, qui seraient mieux en rapport avec les circonstances ? Dès le 16 septembre 1591, le prévôt des marchands et les échevins de Paris s'étaient mis directement en rapport avec l'Espagne pour solliciter l'appui de Philippe II : Sire, vostre majesté s'acquiert vers la postérité le plus illustre titre et marque d'honneur que jamais monarque se soit acquis, celui de protecteur et desfenseur de la religion, et d'estre l'Hercule chrestien qui deschassera l'hérésie de ce royaume. Nous avons pris une belle confiance que ses paroles ne seront vaines, et qu'en ressentirons en bref les effects plus grands que les promesses de sa royale libéralité, pour donner force à ceste ville naguère très florissante. Et les seize quarteniers de Paris, sorte de comité de salut public, joignaient à cette dépêche un mémoire particulier adressé à Philippe II. Au roy catholique nostre protecteur : après la mort du duc d'Anjou, celuy que nous recognoissions roy, tenta d'introduire l'hérétique à la succession de ceste couronne, les princes catholiques du royaume résolurent de s'y opposer ; ce que, dès lors nous déclara le bon et valeureux duc de Guyse. Quant à nos larmes, deux maux nous les font espandre ; le premier l'affliction générale de la maison de Dieu, la longue continuation d'icelle, la pollution des saincts temples, la ruyne des sacrés autels, la discontinuation en beaucoup de lieux du sainct sacrifice et de toute la liturgie des chrestiens, les cruelles et inhumaines persécutions contre les prestres, les sainctes vierges à Dieu sacrées, corrompues et violées par ce puant bouc (Henry IV) et les siens, la perte de tant d'âmes qui périssent par l'hérésie, nostre ville comme déserte, nos beaux collèges vuidés, notre université despeuplée, n'y restant en bon nombre que la faculté de théologie, laquelle par ses divines admonitions estreint toujours plus estroitement la saincte union entre les princes, seigneurs et peuple catholiques. Le second, c'est la misère particulière de ceste ville tant excellente et renommée par tout le monde, laquelle misère est telle que nos pères n'en ont ouy parler en ce royaume de plus estrange. Vostre bonne protection nous arrive durant le mois d'aqust, lequel depuis quelques années Dieu nous a rendu prospère en ceste mesme cause. Car l'an 1572, les conspirations de Chastillon (la Saint Barthélemy) recognues, il fut ignominieusement traicté selon ses démérites. Assez longtemps après, une ligue très dangereuse, poursuivie et advancée pour le Béarnois, par aucun des premiers du parlement et autres cours souveraines, fut en ce mesme mois descouverte et le cours d'icelle arrêté du tout. Il y a deux ans que ceste cité assiégée fut miraculeusement deslivrée par la mort estrange et inopinée de celui que nous avions recognu pour roy, mais rejeté pour ses perfidies envers Dieu et les hommes ; l'année dernière passée 1590, que notre ennemy nous tenoit par l'espace de quatre mois fort estroitement assiégés, nous fusmes garantis en ce mois de plusieurs grands périls que les traistres demeurés en ceste cité nous avoient préparés, et finalement nous fusmes sauvés de ce long et cruel siège par les armées de vostre catholique majesté, sous la prudente et généreuse conduicte du duc de Parme, lequel y vint tant à propos que trois ou quatre jours de remise nous contraignoient d'ouvrir les portes à nostre ennemy sous conditions iniques, cruelles et misérables. Paris a longtemps porté tout le faix de la guerre, frayé plus de cinq millions d'or, pour lever l'armée générale ; n'ayant aussi, depuis trois années, rien recueilli de ses terres et héritages, rien perçu de ses rentes, les officiers rien reçu de leurs gages, ni les marchands faict aucun trafic, qui sont les quatre moyens qui pouvoient luy apporter splendeur, il est impossible qu'elle ne soit fort desnuée et le peuple réduict en grande nécessité. Nous pouvons certainement assurer vostre majesté que les vœux et souhaits de tous les catholiques sont de vous voir, sire, tenir le sceptre de ceste couronne de France. Car nous espérons tant de la bénédiction de Dieu sur ceste alliance, que ce que jadis nous avons reçu de ceste grande et très chestienne princesse Blanche de Castille, mère de nostre très chrestien et religieux roy sainct Louis ; nous le recevrons, voire au double de ceste grande et vertueuse princesse fille de vostre majesté, laquelle par ses rares vertus arreste tous nos yeux à son objet, y resplendissant l'union du sang de France et d'Espagne pour, en alliance perpétuelle, faire fraterniser ces deux grandes monarchies sous leurs roys, à l'advancement de la gloire de Nostre Seigneur Jésus-Christ, splendeur de son église, et union de tous les habitans de la terre sous les enseignes du christianisme[7].

Les seize quarteniers exprimaient ici l'opinion des halles, des confréries, des métiers de Paris, qui se tournaient tous alors vers l'Espagne comme vers le seul appui dans le mouvement catholique. Le mariage de l'infante et de l'enfant de Guise était ridée qui souriait le plus aux cités de la ligue ; n'était-ce pas réunir et concilier les affections de famille et la ferveur religieuse ? le fils du grand duc de Guise mort pour la cause du peuple, et là fille du roi catholique, le protecteur de l'union municipale ! Mais pour cela il fallait délivrer la cité des traîtres vendus au roi de Navarre, des politiques tièdes, des parlementaires négociateurs. Un des membres du conseil des seize quarteniers nous a laissé le procès-verbal des délibérations qui furent alors concertés pour se débarrasser des ennemis de la fédération catholique : Le samedi 2 du mois de novembre 1591, après disner, quelques bourgeois s'assemblèrent en la maison du sieur Boursier, rue de la Vieille-Monnoye ; le sieur de Launoy y présidoit, et proposa qu'il estoit besoin d'obvier aux taxes et imposts que l'on vouloit faire sut le peuple. Le curé de Sainct-Jacques, qui estoit présent, voyant qu'on ne vouloit rien résoudre, usa de ces mots : Messieurs, c'est assez connivé ; il ne faut pas jamais espérer ni justice ni raison de la cour de parlement ; c'est trop endurer, il faut jouer du cousteau. Auxquelles paroles les deux tiers de la compagnie se turent, et le patriotique curé se levant dict : Messieurs, je suis adverti qu'il y a des traistres en ceste compagnie ; il faut les chasser et jeter en la rivière ; dont toute la compagnie se trouva fort scandalisée et se despartit. C'était la première levée des boucliers contre les politiques. Le mardy, nouvelle assemblée fut faicte, et auroit sieur de Launoy proposé d'eslire dix bourgeois de la compagnie bien assurés et affidés pour le conseil secret ; l'autre point estoit de réitérer le serment de l'union plus estroit que jamais, attendu la nécessité des affaires et le nombre effréné des traistres qui estoient en la ville, desquels on faisoit si peu de cas de faire justice, témoin le gouverneur de Paris, auquel on devoit avoir toute fiance, et lequel néanmoins, à la dernière sortie qui fut vers Sainct-Denis, embrassa le sieur de Grillon en pleine compagnie, citoyen toutefois ennemi capital de ceste ville, témoin le jour des barricades. Touchant l'élection des dix pour le conseil secret, il fut décidé qu'on y procéderoit par ballottage, et qu'à ceste fin, le lendemain mercredy 9 du mois, la compagnie s'assembleroit pour y adviser, et chascun apporterait son billet dans lequel il nommerait dix de la compagnie pour estre du conseil secret. Les dix qui ensuivent eurent le plus de voix, et furent arrestés pour estre du conseil secret ; savoir : les sieurs de Sainct-Yon, Achari, Le Goys, Hameline, Louchart, Thivaut, Borderet-Rosny, Du Rideau, Ruissant et Besançon.

La commission des Dix, véritable comité dictatorial, dut prendre une série de mesures de sûreté en rapport avec ses opinions et les besoins d'une crise si menaçante : elle confisqua les biens de tous ceux qui suivaient le parti huguenot ; la peine de mort fut appliquée à quiconque songerait à traiter avec Henri de Navarre ; ceux des membres du bureau de la ville qui n'étaient pas corps et biens dans ce mouvement populaire, furent remplacés ; car pouvait-on compter sur eux ? ne fallait-il pas s'emparer de leurs fortunes comme gage ? De par les prévost des marchands et eschevins, il est ordonné que les meubles des sieurs de Harlay, premier président, et d'Harmam, absent, tenant le parti contraire des catholiques, seront saisis. — Il est enjoint au premier huissier ou sergent royal sur ce requis, se transporter en la maison de la veuve de feu M. le président Séguier, entre les mains de laquelle il saisira et arrestera tous et chascun des biens, meubles, or, argent monnoyé et non monnoyé, bagues, joyaux, titres et papiers qu'elle a en sa possession. — Il est également ordonné que l'huissier Radot se transportera en l'hostel de M. de Ghiverny, chancelier, absent, et tenant le parti contraire, pour saisir et faire inventaire des meubles estant en ladicte maison, pour icelui fait, estre apporté par devere nous, pour en ordonner ce que de raison. Le parlement fut également invité à punir les traîtres qui correspondaient avec le conseil huguenot. Bientôt les chefs des halles dénoncèrent la trahison de ce parlement. Brisson s'était jeté dans la ligue, mais par peur ; on a rapporté la protestation qu'il avait écrite pour se bien maintenir avec le parti royaliste. Le peuple avait eu vent de sa conduite incertaine, timorée ; car ce peuple, qui ne pardonne pas, avait suivi toutes les actions du parlement. Il se prouva une circonstance qui parut confirmer les indices de cette trahison : un nommé Brigard, procureur de la ville, avait été accusé d'intelligence avec le Béarnais ; renvoyé devant le parlement, on instruisit son procès, et au bout de quelque temps, les chambres prononcèrent l'acquittement de l'accusé. L'irritation populaire fut à son comble ; absoudre un traître à la cité, à la religion catholique, n'était-ce pas le plus grand des crimes aux yeux de cette population qui avait combattu naguère avec désespoir pour le maintien de sa liberté et de sa foi ? Le conseil des Dix présenta requête au duc de Mayenne, afin d'obtenir la punition exemplaire du coupable. Après quelques hésitations, M. de Mayenne promit de faire faire justice ; mais cette promesse ne s'exécutait pas ; n'était-il pas plus simple d'attaquer le parlement lui-même ? Pelletier, curé de Saint-Jacques-la-Boucherie, s'écria de nouveau : Bons bourgeois, c'est assez connivé ; il ne faut pas espérer jamais avoir raison de la cour de parlement en justice ; c'est trop endurer ; il faut jouer des cordes à cette heure ! dans œ parlement il y a des traistres, il faut les chasser et jeter dans la rivière !

Le conseil des Dix connaissait toute l'indignation du peuple contre tes magistrats. N'était-ce pas favoriser les traîtres que de proclamer l'impunité de Brigard ? Non, non, ne craignons point, nous avons de bons bras et de bonnes mains pour venger une injustice si esvidente, faiste à la vue d'un chascun. — Le mercredy 15 du mois, le conseil secret des Dix se tint le matin et soir chez de Launoy, où se trouvèrent aussi Bussy, le curé de Saint-Cosme et autres ; et, commee on dict, fut faict par Bussy le rapport de la response de la Sorbonne, et ne scait-on quelle elle pouvait être ; tant y a que l'après-disner l'assemblée ordinaire se tenant chez Boursier, Bussy y survint ; et là fut proposé généralement qu'il fallait réprima aux traistres et aux conspirations qui se faisoient contre la ville. Bussy Leclerc fut le chef de l'entreprise ; à la tête du conseil des Dix, il prononça l'arrêt de mort du président Brisson, du conseiller Larcher, et de Jean Tardif, conseiller au Châtelet, expressions de la faiblesse et de la couardise dans la judicature. Le 16 novembre, des députés de œ conseil envahissent la demeure du malheureux président, le saisissent et le conduisent prisonnier au Châtelet ; il n'y resta pas longtemps : après quelques heures d'attente, on lui signifie un jugement qui le condamne à être pendu et étranglé comme fauteur d'hérésie, ennemi et traître de la ville, et sur-le-champ la sentence est exécutée à une poutre du palais. Claude Larcher et Jean Tardif subirent incontinent le même supplice. Et le peuple applaudissait à ces sanglantes exécutions, car politiques maudits, ils avaient voulu livrer la cité à la fureur des huguenots ; ils avaient sacrifié les bons catholiques, les défenseurs de la foi et des libertés municipales ! On avait surpris des lettres, des journaux écrits à la main, qu'ils envoyaient à Henri l'excommunié, dans les villages, à Saint-Denis, sous l'étendard fleurdelisé.

Cette mesure contre le parlement était violente, énergique comme toutes celles qui émanent d'une autorité populaire ; l'exemple était sévère contre le parti négociateur ; les bourgeois eux-mêmes en furent effrayés, et c'est dans ce dessein de terreur qu'elle fut conçue. Le conseil des Dix s'apercevait que les opinions négociatrices et de tiers-parti faisaient des progrès ; il voulait les arrêter par un grand exemple. Et cet exemple fut donné ; l'effroi se mit dans les âmes modérées ; on ne parla plus de traiter. Toutes les autorités municipales, les quarteniers et colonels furent épurés, afin de correspondre aux sentiments du peuple ; le pouvoir tomba tout à fait de la classe bourgeoise aux halles. Là commence le gouvernement 4émocratique de la municipalité de Paris, sous la direction d'une commission populaire ; alors se développe une série de mesures de violences et de confiscations contre les timides, ce qui est le second acte des révolutions.

Tout cela s'était passé en l'absence du duc de Mayenne, l'homme de la bourgeoisie, du parlement, de la révolution modérée ; il était alors en Flandre, où il avait suivi le duc de Parme afin d'appeler de nouveaux secours pour l'union. Mesdames de Montpensier et de Nemours, les riches bourgeois, lui écrivirent le triomphe complet des halles, événement grave qui présageait la chute entière du pouvoir de la maison de Guise, car le peuple se plaignait de ce que cette maison avait perdu son illustre et beau dévouement pour la cause catholique. La lettre était pressante, et le duc de Mayenne se hâta de se rendre à Paris dans le but de ressaisir le pouvoir. Dès l'origine de cette révolution municipale, on voit le duc de Mayenne inquiet sur les intentions et les volontés des habitants de Paris ; il écrivait à l'évêque de Plaisance, vice-légat du pape, influence immense sur les halles : Monsieur, vous m'obligerez de me faire entendre les plainctes que les Parisiens pensent avoir de moy, et je vous supplierai aussi de recevoir mes excuses ; je ferai tousjours profession de ce qui est d'un prince d'honneur. J'ai assez recognu le zèle et piété de ce bon peuple et l'affection particulière qu'il porte aux miens et à moy ; aussi ne peut-il douter que sa conservation ne me soit plus chère que la mienne propre.

Le 20 juillet 1591, le duc de Mayenne s'expliquait d'une manière plus nette à l'égard de la révolution municipale : Je ferai. Dieu aidant, en sorte que Paris ne souffrira plus telles incommodités, et qu'on y pourra demeurer commodément en repos et sûreté ; et si toutes choses ne me sont directement contraires, vous en verrez bientost des effects. Je considère bien toutefois qu'il faut mettre un bon ordre à Paris, et que ma présence y est requise ; c'est pourquoy j'ay résolu de m'y rendre dans fort peu de jours, pour, avec vostre advis et des gens de bien, estcibiir et pourvoir à tout pour le mieux. Jusques-là je ne suis pas d'advis que Ton change rien aux affaires, et vous supplie d'y tenir la main et d'opposer vostre auctorité aux passions de ceux qui ne cherchent que la confusion. Dans cet intervalle, la ville s'était démocratiquement organisée ; le parloir des bourgeois s'emplissait incessamment d'un peuple d'ouvriers ; et là on délibérait en commun sur les affaires de la ville. Bussy Leclerc exerçait la plénitude de toute autorité ; nouveau tribun, il présidait à toutes les résolutions soudaines, instinctives, qui caractérisent le gouvernement de la multitude. On appelait chaque jour des mesures de proscription contre les traîtres. Rien de plus implacable que les acticles sur lesquels le peuple de Paris exigea qu'il lût hâtivement pourvu. Ils les présentèrent aux prévôt et échevins : Les catholiques demandent qu'il soit establi une chambre ardente de douze personnages qualifiés et gradués, d'un président et d'un substitut du procureur-général, et un greffier, qui soient notoirement de la sainte-ligue, pour faire le procès aux hérétiques, traistres, leurs fauteurs et adhérents, et qui seront nommés par le conseil des seize quarteniers de la ville[8]. Qu'il soit establi un conseil de guerre en ceste ville qui se tiendra pour le moins deux fois la semaine. Qu'aucune conférence ne soit faicte avec les ennemis par aucune personne, de quelque qualité qu'elle soit, sans l'advis dudit conseil de guerre. Qu'il soit eslu et choisi en chascun quartier de la-dicte ville un homme capable, pour tous ensemble ouyr les comptes des deniers qui ont esté levés extraordinairement en ceste ville, et ce par un bref estat ; à laquelle audition il soit procédé sans discontinuation. Que M. le gouverneur soit supplié se fier des bourgeois de ceste ville comme ils se fient de luy, et qu'à ceste fin il n'ait autre garde que la fidélité et amitié desdicts bourgeois.

Mais ce gouvernement, qui s'agitait dans des mesures extraordinaires, et demandait des proscriptions, des conseils de guerre, des tribunaux et des chambres ardentes, n'avait pas pour lui les forces militaires, ni le parti des riches, qui fournissait l'argent et les hommes de bataille. Aussi le duc de Mayenne, à peine arrivé, osa un coup hardi : il était appuyé par la classe bourgeoise ; une petite armée le suivait : sa première manœuvre fut de s'emparer de la Bastille. Bussy Leclerc, qui la commandait, la remit entre ses mains par surprise et par peur, à la condition de n'être nullement recherché pour la mort des infortunés parlementaires. Mayenne fait prendre les armes à tous les bourgeois, établit à chaque coin de rue de bons corps-de-garde, s'assure de tous les points importants, fait occuper les places et les principales hauteurs. Cinq jours se passent en préparatifs. Enfin, dans la nuit du 5 au 4 décembre, on se saisit de Louchard, Auroux, Esmonnot et Ameline, chefs populaires, et ils furent incontinent pendus dans une salle basse du Louvre ; Groné et Cochery prirent la fuite ; le greffier et le bourreau furent pris quelques temps après et également pendus et étranglés en place de Grève, au milieu d'une double haie de bourgeois armés qui applaudissaient à la chute du gouvernement démocratique.

Cette exécution rapide, militaire, des chefs, brisa le mouvement populaire de la municipalité de Paris ; le duc de Mayenne, l'homme de la bourgeoisie, profita de cet événement pour ressaisir le pouvoir. La plupart des quarteniers reçurent des successeurs pris dans des hommes modérés, tous catholiques, sans énergie. Une semblable direction fut donnée à l'hôtel-de-ville, qui s'organisa en rapport avec les idées et les intérêts de la bourgeoisie. Le pouvoir du parlement fut reconstitué. La commission des Dix fut dissoute, pour laisser pleine liberté aux autorités régulières du parlement et de l'association catholique. On déclarait enfin que les membres d, l'union n'avaient qu'un pouvoir provisoire et de transition, en attendant la convocation des états-généraux. Le triomphe du duc de Mayenne fut le commencement de la contre-révolution qui prépara le retour d'Henri IV. Dans un mouvement populaire, quand le parti modéré s'empare du gouvernement, on peut dire que la fin approche et qu'une restauration n'est pas loin. La multitude est violente, désordonnée, mais elle est énergique ; elle a du cœur, du courage, et se bat. Quand la bourgeoisie touche le pouvoir, son idée est l'ordre, la paix ; une autorité paisible peut seule la lui donner ; elle y court comme à un refuge dans la tempête. Le duc de Mayenne et les bourgeois parlementaires, maîtres de la ville de Paris, en avaient expulsé les âmes courageuses et dévouées. Dès lors tout s'empreignit de ce caractère de mollesse et de transaction politique. Dans la crainte de voir se renouveler le gouvernement des Dix, le duc de Mayenne imposa des serments à l'hôtel-de-ville, des engagements sévères de respect et d'obéissance envers l'autorité légitime instituée par le parlement ; car il fallait l'entourer d'une puissance morale qu'elle avait perdue. La formule du serment imposé à la bourgeoisie tendait à reconstituer fortement une autorité centrale, à ramener l'obéissance dam le peuple, à réorganiser la hiérarchie violemment dé, truite : Nous, bourgeois et habitans de la dixaine, jurons et promettons à Dieu, sur les saincts Évangiles, de vivre et mourir en l'union des catholiques ; desfendre et conserver nœtre saincte religion catholique, apostolique et romaine, et ceste ville en sûreté et repos sous l'auctorité de monseigneur le duc de Mayenne, lieutenant-général de l'estat royal et couronne de France. p

Jamais mesure n'avait produit une si vive et si profonde impression : où voulait-on aller ? substituerait-on l'autorité d'un seul au vieil et bon pouvoir du peuple ? On conservait bien l'unité catholique ; mais à quelles mains confiait-on ses destinées ? aux traîtres du parlement, au duc de Mayenne, timide défenseur de la cause bourgeoise ! Allait-on prohiber les parloirs publics, peut-être même la prédication ? N'était-ce pas livrer la ville au Béarnais ! La majorité des habitants refusa de signer la nouvelle formule imposée, et le duc de Mayenne s'en plaignit : il écrivait aux prévôt des marchands et échevins de Paris : Messieurs ; ayant esté adverti qu'il y avait quelques capitaines qui n'ont faict le serment en la cour, à ceste occasion nous avons bien voulu advertir que nostre intention est qu'ils soient desmis et deschargés de leur charge, et qu'il soit pourvu présentement en leur lieu et place de personnes capables, gens de bien et affectionnés à ceste saincte cause et repos de la ville. Toutes ces démarches étaient si impopulaires, que le conseil des bourgeois fut obligé de prendre des pi'écautions militaires pour protéger le bureau de la ville, chaque jour insulté, parce qu'on le croyait vendu au duc de Mayenne. De par les prevost des marchands et eschevins de la ville de Paris, il est ordonné aux capitaines des trois compagnies des archers de ladicte ville, que du nombre d'archers qui entrent chaque jour en garde en l'hostel de la ville, il y en ait tousjours quatre qui accompagnent nous prevost des marchands, partout où nous irons, soit en nous retirant dudict hostel-de-ville, ou allant ailleurs, et tant que leur ordonnerons. Le conseil était donc perpétuellement menacé par le peuple ; et comment ne l'eût-il pas été, lorsqu'on savait la trahison des principaux membres du parlement et du conseil de ville, et leur alliance avec Henri de Navarre, le huguenot maudit ?

Afin de détruire ces fâcheuses impressions, et d'empêcher surtout la dissolution de la ligue des cités, le conseil municipal épuré adressa une circulaire aux maires et échevins d'Orléans, Bourges, Poitiers, Amiens, Abbeville, Beauvais, Meaux, Sens, Auxerre, Dijon, Troyes, Reims, Riom et Pontoise, villes très dévouées à l'union. Messieurs, comme ces jours passés, il nous est au contraire advenu un malheur des plus grands et fascheux qu'il nous eust sçu arriver, ayant esté entrepris par quelques particuliers de faire mourir cruellement et contre toute forme de justice, par les mains du bourreau, feu .M. le président Brisson, seul président resté parmi nous, depuis ces troubles, et des premiers et plus doctes hommes de ce royaume, et MM. Larcher, conseiller en la cour, et Tardif, conseiller au Chastelet, ayant recherché des prétextes ordinaires de trahison descouverte ; et estant monseigneur de Mayenne adverti de ce qui s'estoit exécuté, a jugé qu'il devoit promptement y pourvoir, en sorte qu'un tel accident ne pust cy,près survenir ; ce qui luy aurait faict quitter son armée pour quelques jours et venir en personne par deçà pour en prendre cognoissance, et chastier jusques au nombre de quatre seulement, usant de sa douceur et clémence naturelle envers tous les autres ; ce que nous espérons devoir cy-après apporter un repos et tranquillité en ceste ville, ce dont nous vous avons bien voulu advertir, afin qu'à nostre exemple vous puissiez prévenir de tels malheurs, et establir si bel ordre parmi vous en vostre ville qu'un semblable accident ne vous puisse arriver. Peu de cités répondirent à ces explications. Le parti de la bourgeoisie n'avait plus qu'un faible ascendant sur le peuple ; la démocratie municipale formait les bases de la ligue. Partout on savait les trahisons et les bassesses des parlementaires. A quoi aboutissait ce nouvel ordre administratif institué à Paris, cette proscription de tout ce qui avait le cœur haut et la main ferme ? à l'inévitable transaction avec Henri IV. La bourgeoisie se séparait du peuple ; elle voulait avoir son gouvernement, gouvernement sans force, qui, tôt ou tard, devait passer aux gentilshommes batailleurs, sous leur roi Henri de Navarre. C'est une des conditions de la bourgeoisie de ne pouvoir jamais longtemps seule établir son gouvernement politique. Elle doit, par la force des choses, ou s'unir au peuple, qui est son origine, ou se jeter aux bras des hautes classes, qui la couvrent de leur éclat. Quand elle n'a voulu ni de la multitude, ni des gentilshommes, elle a fondé je ne sais quoi de faible et de honteux qui a duré tout juste le temps de tomber aux acclamations méprisantes de la foule.

 

 

 



[1] Mss. Colbert, vol. 30, reg. en parchemin.

[2] Mss. Dupuy, vol. 245.

[3] 14 mai 1690. — Archives de Simancas, col. B, 64125.

[4] Registre de l'hôtel-de-ville, XII, fol. 589 vers.

[5] Registre de l'hôtel-de-ville, XIII, fol. 92.

[6] Philippe II ajoute de sa main : Pues yo he hecho mas que nadie pudiera pensar mi pedir.

[7] Archives de Simancas, cot. B 71124.

[8] Il y a ici une terrible ressemblance avec l'institution du tribunal révolutionnaire en 1793, et le comité de sûreté générale.