LA LIGUE ET HENRI IV

 

CHAPITRE III. — DÉVELOPPEMENT DE L'UNION MUNICIPALE.

 

 

Nouvelle de la mort du duc de Guise à Paris. — Mesures municipales. — Circulaire aux villes. — Élections. — Conseil de l'union. — Magistrats. — Conseil des seize quarteniers. — Prédicateurs. — Déchéance de Henri III. — Gouvernement municipal. — Rapports extérieurs. — Mouvement provincial. — Alliance de Henri III et de Henri de Béarn. — Mort de Catherine de Médicis. — Situation de Paris. — Assassinat de Henri III. — Joie populaire. — Correspondance de la ligue avec l'Espagne. — Les deux rois de France, Henri de Navarre et Charles X. — Opérations militaires. — Arques. — Ivri.

1588-1590.

 

La nouvelle du coup d'état de Blois, de la cruelle exécution du duc et du cardinal de Guise, arriva au bureau municipal de Paris comme à vol d'oiseau par un nommé Verdureau, qui eschappa avant qu'on fermast les portes de la ville de Blois ; et depuis a tant couru qu'arriva ledict jour sur les sept à huit heures du soir[1]. Non seulement le noble chef de l'opinion catholique, le vainqueur des reîtres, et son frère le saint, le martyr, le cardinal avaient été lâchement dagués à coups de pertuisane, mais le bon prévôt de Paris, les échevins députés aux états étaient captifs, gardés ès prisons royales. Le messager porteur de cette triste nouvelle était vêtu de noir ; il allait parcourant les rues, criant d'une voix lugubre : Messers les bouurgeois et manants, nous n'avons plus nostre sainct et brave protecteur Henry de Guise et monseigneur le cardinal, son illustre frère. A minuit, les échevins assemblés au bureau de la ville se hâtèrent d'écrire à la famille de Guise, pour lui communiquer le funèbre message. Ils disaient au duc de Lorraine : Monseigneur, vous entendrez par la despesche de M. d'Aumale, le malheureux acte commis en la personne de monseigneur de Guise, ainsi que nous l'avons appris par deux courriers présentement arrivés. Cette nouvelle nous a resduits en telle perplexité et affliction que nous ne vous en pouvons rien représenter. Ce 24e décembre, à minuit, 1588.

Paris se hâtait également d'annoncer la fatale exécution à toutes les villes municipales : Messieurs, nous venons préalablement de recevoir des plus misérables nouvelles. Deux courriers, venant de Blois, nous ont assuré que traisteusement l'on tué monseigneur de Guise, et pris plusieurs autres prisonniers ; pensez là-dessus à la conséquence, et quel dessein l'on peut avoir sur nostre religion et sur tous les catholiques. Jamais nouvelle n'avait eu un retentissement plus soudain, plus universel ; le peuple des halles et des métiers, cette multitude qui s'était levée tout entière le jour des barricades se réunit tumultueusement en armes. C'était le 24 décembre, la veille de Noël, dans cette nuit de prières à la crèche des pastoureaux, devant la Vierge et l'enfant Jésus, pieuses traditions du moyen âge, temps où la voix des anges du ciel calmait les passions brutales, consolait les souffrances par les grandes promesses d'éternité. La ville, profondément émue, ordonna des services de deuil : Monsieur le président d'Assy, plaise vous trouver demain, sept heures du matin, en l'hostel de ceste ville pour nous accompagner à aller inviter messieurs de la cour du parlement et autres compagnies de cette ville, se trouver au service et prières publiques qui se feront en l'église Nostre-Dame de Paris, dimanche de relevée et lundi matin, pour le remède des âmes de feu MM. les cardinal et duc de Guise, vous priant de n'y vouloir faillir. Priez tous MM. les capitaines, lieutenants, enseignes, et deux notables bourgeois de vostre quartier de eux trouver avec vous en deuil, si faire se peut, sinon en habit noir, et n'y faictes faute. On se rendait en foule aux sermons en sa paroisse ; et là le docteur Lincestre, si puissant sur la multitude, déclara le premier que le vilain Hérode, c'est-à-dire Henry de Valois, n'estoît plus leur roy, eu égard aux parjures, desloyautés et tueries commises envers les catholiques. Ce fut le premier mot de la déchéance populaire prononcée par les halles contre Henri, car en sortant le peuple arracha de furie les armoiries du roy qui estoient au portail de l'église entre les festons de lierre, les brisa, jetta dans le ruisseau et foula aux pieds[2].

On n'entendait dans les rues que plaintes et douleurs sur l'horrible assassinat de MM. les duc et cardinal de Guise. Mille estampes représentant le martyre dès deux chefs de la maison de Lorraine étaient distribuées dans la foule ; on y voyait : Les effigies de feu M. de Guise et M. le cardinal son frère, massacrés pour soutenir l'église catholique et la loi de nostre sauveur J.-C. ; lombeau sur le trépas et assassinat commis aux personnes de messeigneurs de Guise qui sont morts pour J.-C. et le public, et vivront à jamais. Ensuite d'autres gravures représentaient les corps des grands princes de Guise estendus dans une salle du chasteau de Blois, percés et dagues de mille coups, ayant chacun un crucifix en la main ; et la démonstration comme Henry de Valois, ce perfide politique, masqué d'une vie saincte, ayant communié et disné avec lesdicts princes, les faict tost après tuer et massacrer. Des images, enluminées de rouge, démontraient comme Henry, le perfide, le détestable Valois, fait mettre en pièces les corps sanglants des deux princes martyrs ; puis les faict jetter au feu pour les consumer en cendres ; comme les deux princes estant morts sont mis tout nuds sur une table, meurtris de divers coups, et comme Henry de Valois repaissoit ses yeux de ce spectacle ; et le martyre cruel du révérendissime cardinal, sous l'inhumain tyran qui sautela d'allégresse et de plaisir en apprenant l'exécution, et crioit bien fort : Je suis seul roi de France ; je vais remettre sus l'athée, le libertin, le sorcier, le voleur, et tous les diables.

Il n'était pas un sermon, pas une de ces harangues qui parlaient aux masses, dans laquelle il ne fût question des princes de Lorraine. Madame de Nemours, la mère du duc de Guise, assistait aux sermons du petit feuillant ; le prédicateur, se tournant vers elle, s'écria dans son invocation : Ô sainct et glorieux martyr de Dieu, bénit est le ventre qui t'a porté et les mamelles qui t'ont allaité ! Et le docteur Lincestre, au milieu de l'église Saint-Barthélemy, exigea de tous les assistants le serment, en leur faisant lever la main, d'employer jusqu,à la dernière goutte de leur sang et jusqu'au dernier denier de leur bourse, pour venger la mort des deux princes lorrains, massacrés par le tyran dans le chasteau de Blois à la lace des estats. Il imposa un serment particulier au premier président de Harlay, qui, assis devant lui dans l'œuvre, avait écouté sa prédication, l'interpellant par deux fois en ces termes : Levez la main, monsieur le président, levez-la haut, encore plus haut, afin que le peuple le voie. Et ce peuple vivement ému continuait à briser tous les signes de la royauté, toutes les marques de son antique sujétion aux Valois, tandis que les crieurs des villes faisaient retentir les rues d'une multitude de lamentables histoires : Portrait et description du massacre proditoirement commis au cabinet et par l'autorité du roy, pendant les estats à Blois, en la personne de Henry de Lorraine, magnanime duc de Guise, protecteur et défenseur de l'église catholique et du royaume de France. — Les cruautés sanguinaires exercées envers feu monseigneur le cardinal. — La vie et innocence des deux frères, contenant un ample discours par lequel on pourra aisément rembarre ceux qui taschent d'esteindre leur renom. — Regrets et soupirs lamentables de la France sur le trépas de très haut et valeureux seigneur le duc de Guise. — Épitaphe des deux frères, martyrs, par un gentilhomme angevin, avec des vers adressés à madame de Montpensier.

Ces lamentations désordonnées n'amenaient aucune forme de gouvernement, ne prépaient pas l'avenir du mouvement populaire que les chefs cherchaient à régulariser. Pour bien comprendre la marche et la portée de la révolution municipale de Paris, il est essentiel de préciser les divers pouvoirs qui allaient s'y partager l'autorité. Dana l'ordre hiérarchique le conseil municipal, le bureau de la ville, c'est-à-dire la réunion du prévôt et des échevins de la cité, tenait l'administration publique, commandait aux compagnies bourgeoises, réglait les halles, réunissait les métiers. Tous les mandements pour la police et la bonne gestion émanaient du bureau de la Grève ; quelque soin qu'eût pris le peuple de choisir des magistrats dévoués aux idées catholiques, à la sainte ligue, comme ce conseil se composait de bons et notables bourgeois, il y avait dans son sein des hommes de propriété et de conservation, éléments d'un système régulier. A côté du gouvernement de la commune, il s'en était formé un autre dans un sens plus vif, plus prononcé. On a dit que Paris était distribué en seize quartiers, à la tête desquels sa trouvait placé un quartenier élu du peuple, l'homme des métiers et des compagnies bourgeoises, souvent même colonel de ces compagnies. Ces seize quarteniers formaient un conseil particulier, indépendant de l'hôtel-de-ville en la place de Grève, et dominant même ses résolutions, parce que derrière eux était le peuple en armes. Il y avait parmi ces seize quarteniers des orateurs énergiques. Le plus puissant d'entre eux était Renault, simple avocat de Paris ; il parlait avec facilité : sorte de tribun de la vieille Rome, quand, au conseil il se proposait quelque affaire qui ne lui plaisait pas, et qu'il voyait que d'un commun consentement elle était prête à passer, se levant, il disoit tout haut ; Messieurs, je l'empesche, et je m'y oppose pour 40 mille hommes ; à laquelle voix tous baissoient la tête comme cannes, et ne disoient plus mot. En seconde ligne de talents, et avec une influence moins grande, on comptait encore le commissaire Louchart et Esmonnot, procureur au parlement, favoris des halles capricieuses. L'homme d'action et d'épée parmi eux était Jean Leclerc, aussi procureur en la cour du parlement, qui, depuis son élection au titre de capitaine de son quartier, s'était adonné au tir de l'arquebuse et aux jeux de dague ; c'était Leclerc qu'on chargeait de toutes les opérations actives de la commune. À la tête de la bonne garde bourgeoise, il gouvernait la Bastille Saint-Antoine, faisait le guet de nuit, arrêtait les politiques tièdes ou traîtres, et messire Leclerc était plus connu aux halles de Paris que le roi de France même. Pour bien préciser la différence entre ces deux conseils, on pouvait dire que l'hôtel-de-ville représentait la bourgeoisie catholique ligueuse, mais amie de l'ordre et d'une administration régulière ; tandis que le conseil des seize représentait les métiers, les confréries, tout le peuple des rues[3].

C'étaient là les autorités municipales. Sous un titre plus général et se rapprochant davantage de la royauté, se trouvait le parlement avec ses grand'chambres et ses présidences. Ce parlement devait jouer un rôle actif, parce que son autorité était antique dans l'opinion des peuples, et qu'elle s'étendit au dehors des murs de Paris. La ligue, en l'état du parlement tel qu'il était composé et sans modifications, ne pouvait compter sur son appui ; on y avait trop de dévouement pour le roi ; ne savait-on pas qu'il y avait des présidents, des conseillers qui étaient en rapport avec Henri III, le tyran déchu, et qui trahissaient la ville et la sainte-union elle-même ? il fallait un coup de force : on verra que le peuple de Paris l'essaya. Les autres cours souveraines avaient moins d'importance, et la ligue mettait moins d'intérêt à les acquérir ; ces cours se montraient d'ailleurs dévouées. La Sorbonne, la grande autorité ecclésiastique, était pour les principes du gouvernement catholique ce que le parlement était pour les principes judiciaires et Faction administrative. On pouvait compter sur ce grand corps, car les curés de Paris s'étaient prononcés : en toutes les églises, aux paroisses, il existait des prédicateurs qui correspondaient avec elle, formulaient ses principes dans la chaire, en face du peuple. La Sorbonne était en plein rapport d'opinion avec le conseil des seize. Il y avait parité de sentiments et d'enthousiasme. Le caractère de tous ces pouvoirs était surtout municipal ; ils ne s'étendaient pas en dehors de la cité ; les autres villes avaient de la déférence pour Paris, mais elles ne reconnaissaient son conseil que comme un membre de la confédération. Il fallait une autorité supérieure, une forme de gouvernement provisoire, avec des pouvoirs sur l'ensemble de la ligue. Le conseil de l'union catholique, qui jusqu'alors n'avait existé que d'une manière occulte et instantanée, se déclara publiquement en permanence ; il prit la direction des affaires, car le peuple demandait à grands cris la déchéance de Henri m, et voulait qu'il ne fût plus question du tyran, ni dans les prières publiques, ni dans les formules parlementaires. L'union sainte créait donc ainsi une espèce d'administration politique, en attendant une mesure définitive, après la déchéance royale régulièrement prononcée. Du jeudi, 16e jour de février 1589. — En assemblée générale ledict jour, faite en la grande salle de l'hostel-de-ville de Paris, en laquelle assistoient messeigneurs les ducs de Mayenne, de Nemours, d'Aumale et comte de Chaligny, se sont réunis messieurs les eschevins, conseillers de ladicte ville, députés des cours souveraines, corps, collèges, chapitres, communautés, quarteniers et quatre nobles bourgeois eslus par le conseil de chascun quartier de la dicte ville, pour adviser à l'establissement d'un conseil général de l'union, destiné à la conservation de la religion catholique et de toutes les bonnes villes. Monseigneur le duc de Mayenne, président en ladicte assemblée, a remonstré qu'il avoit esté dressé un rôle contenant les noms de ceux que l'on desiroit et jugeoit estre plus propres pour tenir ledict conseil, lequel rôle lui avoit esté délivré. Au mesme instant il en a esté faict lecture à rassemblée ; après laquelle lecture a esté advisé que ledict rôle sera envoyé aux conseils establis en chacun des seize quartiers municipaux, pour voir et donner advis de ceux que l'on voudroit retenir dans ledict conseil. Cette liste fut arrêtée, en effet, le lendemain, et le peuple confirma officiellement le conseil secret, tel qu'il existait depuis deux ans ; il n'y eut aucun changement, car Paris avait foi en les délégués de l'église et de l'état.

Le premier acte administratif de ce gouvernement provisoire fut de déléguer le commandement de Paris, l'action militaire, à un des représentants de la maison de Guise ; M. d'Aumale reçut ce témoignage de confiance. Comme gage au parti populaire, il confia lui-même la Bastille à un des seize quarteniers, à Leclerc, l'homme des halles et des métiers. Successivement, le conseil de l'union prit des mesures d'ordre et d'organisation politique. De par le conseil général de l'union des catholiques establi en cette ville de Paris, attendant l'assemblée des estats généraux du royaume, — défenses sont faictes à toutes personnes, de quelque estat, qualité et condition qu'elles soient, d'entrer de leur auctorité en aucune maison des bourgeois ou autre, soit en cette ville ou dehors, pour y visiter, loger ou prendre meubles et autres prises, ni pareillement saisir aucun prisonnier du parti contraire à l'union, ni mettre garnison ès maisons sans mandement et ordonnance dudict conseil ou des eschevins de ladicte ville, signé de trois d'entre eux, sur peine de la vie, et tous ceux qui auront esté visités, auxquels on aura mis garnison, logé, pris meubles, pourront venir librement et seulement faire leurs plaintes, s'ils en ont, par devant ledict conseil, pour y estre pourvu ainsi que de raison, 25e février 1589[4].

En même temps des lettres circulaires exhortaient toutes les villes à demeurer dans de communs sentiments avec les bourgeois catholiques de la cité de Paris : Messieurs, nous sommes advertis que depuis les massacres et autres malheurs arrivés à Blois, plusieurs mal affectionnés à la religion et ne s'en servant que comme de masque pour tromper les catholiques, voQt de villes en autres, semant de faux bruits, déguisant la vérité de cette histoire tragique ; ils veulent persuada que le feu duc de Guise avoit quelque sinistre entreprise sur le roy. C'est un maigre prétexte pour colorer lesdicts assassinats, de dire que M. de Guise avoit une entreprise. Ses comportements ont assez descouvert son intention. Messieurs, c'est chose horrible à penser que la saincte communion ait servi de masque à l'entreprise de telles cruautés, et que les corps ainsi inhumainement meurtris aient esté escartelés et bruslés pour les priver de sépulture. Unissons-nous donc plus que jamais et nous gardons de surprise et de garnisons ; et, nous aidant l'un à l'autre, conservons nostre foy et nostre religion. Dieu nous y veuille tous bien résoudra, encourager et assister. Le bureau municipal de Paris ne resta point en arrière ; il s'associa hardiment à l'union. Et comment en eût-il été autrement, lorsque son ancien prévôt Versons, ayant entendu la nouvelle de la mort des deux princes de Guise, en fut si fort ému qu'il en mourut le lendemain de Noël ? Il étoit tellement ligueur et amateur du duc de Guise qu'il voulut embrasser son portraict avant que de mourir, rappelant bon prince ; et, ayant pris celui du roy, l'appela tyran, le rompit et mit en pièces. Les actes de la municipalité de Paris portaient tous à des mesures d'ordre et de bonne police urbaine : M. le président de Blanc-Mesnil, colonel ; nous vous prions faire et foire faire par les autres capitaines de vostre quartier bonne et exacte recherche présentement par toutes les maisons, hostelleries, chambres garnies et autres lieux de tous les soldats et autres personnes qui s'y trouveront sans adveu, et de ce nous faictes envoyer incontinent vostre procès-verbal. — Il est enjoinct à tous les bourgeois, manants et habitants de la ville, eux aller en personne aux guets, gardes des portes qui se font en icelle de jour et de nuict, et desfense à eux de désemparer la ville sur peine et confiscation de corps et de bien, auxquels bourgeois et habitants est aussi enjoinct de faire venir en ladicte ville, en toute diligence, le plus de grains, vivres et provisions qu'il leur sera possible, pour la fourniture et provision desdicts bourgeois, habitants et autres. — Monsieur le président d'Harneau, colonel ; faictes desfense à tous armuriers, quincailliers et autres qui font trafic d'armes en vostre quartier, d'en vendre aucune à quelle personne que ce soit sans exprès congé de monseigneur le duc d'Aumale ou de nous, sous peine de 200 escus d'amende et de confiscation desdictes armes. — En l'assemblée générale cejourd'hut faicte en la grande salle de l'hostel de ville, M. Rolland, nostre premier eschevin, a amplement fait entendre que pour éviter aux tumultes qui pourroient advenir par le menu peuple, lequel demeurant oiseux et en nécessité, pourroit s'esmouvoir et se mutiner ; il estoit fortement nécessaire de voter quelque médiocre somme de deniers pour subvenir aux plus nécessiteux tant que la misère durera ; partie sera distribuée au menu peuple et partie dans des ateliers et aux ouvriers pour fortification et réparation de la ville. Le fait mis en délibération a esté advisé ; attendu la nécessité présente, l'on doit faire une levée générale sur tous les bourgeois, manans et habitans de la ville, lesquels seront excités à contribuer gracieusement et sans contraincte pour une si juste et sainte cause, et les quêtes seront faictes par les curés et quatre bourgeois.

Le bureau municipal de Paris, moins avancé dans la sédition que les seize, les orateurs populaires et les halles ne voulait pas rompre absolument avec le roi, auquel il avait écrit dans des termes de soumission, pour réclamer son prévôt et ses échevins retenus à Blois : Sire, les habitans de vostre ville de Paris s'estant assemblés en très grande et notable compagnie, tant du corps de ladicte ville, des principaux de vostre parlement, chambre des comptes et autres bons bourgeois d'icelle, ont desputé le sieur président Lemaistre[5] pour représenter à vostre majesté les très humbles requestes et supplications dont ils ont esté chçu,és de ladicte assemblée. Et pour l'assurance qu'ils ont qu'il plaira à vostre majesté les entendre bénignement et favorablement, ne ferons la présente plus longue, sinon pour supplier notre Créateur, Sire, vous donner longue et heureuse vie. 28 décembre 1588.

Le parlement partageait en majorité ces opinions d'arrangement et de modération ; il apercevait les périls d'une rébellion ouverte ; il y avait mille chances de revers ; et alors que deviendrait Paris dans la révolte ? Le conseil des seize quarteniers, colonels, prédicateurs de paroisses, n'était pas aussi calme ; le peuple avait déclaré à haute voix la déchéance de Henri de Valois ; cette voix puissante devait être entendue ; plus d'arrangement avec Henri, le persécuteur des martyrs ; mais pour cela, il fallait être maître du parlement , autorité civile et judiciaire, et de la Sorbonne, pour la question théologique et morale, laquelle consistait à savoir si le serment de fidélité à Henri de Valois serait brisé, parce qu'il était hérétique et assassin. Et comment couper court à toutes les négociations, à toutes les intrigues, à ces menées des catholiques à double opinion et à double conscience ? Dans le parlement, tel qu'il était composé, la violence était difficile : ne fallait-il pas purger ce parlement de ces hommes qui sous main trahissaient la ville ? Le conseil populaire prit un parti décisif. Le lundy 16 janvier 1589, Jean Leclerc, naguères procureur en la cour de parlement, lors capitaine de son quartier et gouverneur de la Bastille de Paris, accompagné de vingt-cinq ou trente autres, armés de cuirasses, ayant le pistolet à la main, estant les chambres assemblées, dit haut et clair : Vous tels et tels, qu'il nomma, suivez-moi, venez en l'hostel de ville, où l'on a quelque chose à vous dire. Lors le premier président et les présidens Potier et De Thou s'acheminèrent pour le suivre ; et après eux marchoient volontairement cinquante ou soixante conseillers de toutes les chambres du parlement, mesme des requestes du Palais qui ne se trouvèrent point sur la liste, disant qu'ils ne pouvoient moins faire que de suivre leurs capitaines. Marchant le premier, il les mena sur les dix heures du matin par le Pont-au-Change, comme en triomphe, jusqu'en la place de Grève, où, voulant s'arrester pour entrer en l'hostel de ville, suivant la proposition de M' Jehan Leclerc, en furent empeschés, et par luy contraincts de marcher outre et menés à la Bastille Sainct-Antoine, tout au travers des rues pleines de peuple, qui espandu par icelles, les armes au poing, et les boutiques fermées pour les voir, les lardoit de mille brocards et villenies. Il en alla encore ce jour prendre quelques-uns en leurs maisons qui ne s'estoient point trouvés à la cour, et mesme de la cour des aydes, chambres des comptes et autres compagnies, dont il y en eut quelques-uns serrés en la Conciergerie et aux autres prisons de la ville ; mais les uns furent eslargis dès l'après-disnée, d'autres les jours ensuivans, parce qu'ils n'estoient pas sur la liste de Jehan Leclerc, ou estoient estimés estre des zélés catholiques. Il y avait, dans celte mesure prise contre les magistrats, une nécessité impérieuse ; toute transaction étant alors impossible, n'était-il pas naturel qu'on débarrassât les grands corps judiciaires et politiques de l'état des hommes de transactions ? ne fallait-il pas leur imprimer une forte et nouvelle impulsion catholique, afin de les jeter corps et biens dans la ligue ? Le parlement, épuré par ce coup d'état populaire tout entier dans les mains des seize quarteniers, se réunit sous la présidence du sieur Brisson, alors lié à la bourgeoisie, tête sans courage politique, vivant de concessions et de protestations, qui, bien qu'il fust des plus suspects, par quelque poictevine ruse et promesse aux Seize, qui disoient tout haut qu'il leur avoit promis d'estre homme de bien, se garantit de la prison, et de faict exerçant l’estat de premier président, demeura toujours depuis en la cour. Le jeudy 19, la cotir assemblée ordonna par arrest qu'elle se joindroit au corps de la ville de Paris, pour luy adhérer et assister en toute chose, mesme contribuer aux frais de la guerre, résolue pour le bien public. Le samedy 21, fut nommé par la cour et par Senault, greffier en icelle, M. Molé, conseiller en la cour, pour exercer l’estat de procureur général qu'il accepta enfin, à son grand regret et à son corps desfendant, estant vaincu de la voix et multitude du peuple eschauffé qui crioit : Molé ! Molé ! et aussi de la crainte de mort ou de prison, où il s'asseuroit bien de rentrer au cas qu'il refusast.

Le parlement ainsi organisé dans les intérêts du mouvement municipal, put sanctionner la question de déchéance qui était alors agitée à la Sorbonne, par suite d'une requête du prévôt des marchands et échevins de la ville. Vous remonstrent humblement les bons bourgeois, manants et habitants de la ville de Paris, que plusieurs desdicts habitants et autres de ce royaume sont en peine et scrupule de conscience pour prendre résolution sur les préparatifs qui se font pour la conservation de la religion catholique, apostolique et romaine de ceste ville de Paris, et tout l’estat de ce royaume, à l'encontre des desseins cruellement exécutés à Blois et infraction de la foy publique, au préjudice de ladicte religion, de l'esdict d'union et de la naturelle liberté de la convocation des estats ; sur quoi lesdicts suppliants désireroient avoir une saincte et véritable résolution. Ce considéré, il vous plaise promouvoir que MM. de la faculté de théologie soient assemblés pour délibérer sur ces poincts, circonstances et dépendances, et s'il est permis de s'assembler, s'unir et contribuer contre le roy ; et si nous sommes encore liés du serment que nous lui avons juré, pour sur ce, donner leur advis et résolution. Les articles qui furent posés par la Sorbonne étaient ainsi conçus : Si le peuple du royaume de France peut estre deslié du serment de fidélité et obéissance presté à Henry III ; si en assurée conscience le mesme peuple peut estre armé et s'unir, lever argent et contribuer à la desfense de la religion catholique, apostolique et romaine en ce royaume, contre les conseils pleins de toute meschanceté et efforts dudict roy. La savante agrégation catholique ne fit pas longtemps attendre sa réponse ; elle se prononça sur toutes les questions conformément aux opinions de la ville : Le peuple de ce royaume est deslivré et deslié du serment de fidélité et obéissance presté au susdict roy Henry. Le mesme peuple peut licitement et en assurée conscience estre armé et uni, recueillir deniers et contribuer pour la desfense et conservation de l'église apostolique et romaine contre les conseils pleins de meschanceté dudict roy.

Jamais rien de plus populaire que cette résolution de déchéance. La multitude avait effacé partout, comme pour témoigner de son affranchissement et de son émancipation politique, les armoiries royales ; la Sorbonne et l'évêque de Paris ordonnèrent que les formules de la messe ne contiendraient plus aucune prière pour le tyran déchu et exécrable qui avait violé la foi publique au notoire préjudice de la saincte foy catholique romaine et de l'assemblée des estats du royaume. les formules nouvelles remplacèrent la vieille et sublime prière de l'offertoire, et l'on fit plusieurs oraisons pour les princes catholiques : le peuple prosterné demandait à grands pris leur conservation au Dieu de miséricorde et de bonté. Ainsi tout se mettait en rapport avec la constitution catholique, et à la suite de ces délibérations, la ville fit rédiger une instruction spéciale adressée aux prédicateurs, organes si puissants sur la multitude, pour advertir et exhorter le peuple continuellement en leurs prédications et à toutes occasions, afin de le contenir en l'obéissance de leurs magistrats et supérieurs en ceste ville de Paris, pour la gloire de Dieu et conservation de ladicte ville, le bien de la saincte union des catholiques. Plusieurs espions et mauvais garnemens se coulent finement parmi les troupes oiseuses du peuple assemblé devant l'hostel de la ville et y sèment certaines calomnies, faux bruicts et mauvaises nouvelles pour diviser le peuple : à quoi il n'y a meilleur ni plus gracieux moyen de remédier que par les prédicateurs et ministres de la parole de Dieu, lesquels sont priés de la part desdicts magistrats de remontrer au peuple en leurs prédications le crime exécrable et dangereux qu'il commet, en usant de calomnies et propos insolens contre ceux qu'il doit respecter. Que ceste mauvaise façon de faire n'est pas le moyen de remédier aux affaires, mais plustost de les ruiner, et par nos désordres, fortifier nos ennemis et leur ouvrir le chemin à nostre servitude pour nous réduire sous leur puissance, beaucoup plus dure et insupportable que celle qui est à présent, laquelle est douce et gracieuse. Que dès le mois de janvier dernier, le roy s'est vanté que nous ne vivrions pas deux mois dans Paris sans nous couper la gorge les uns aux autres. C'est pourquoy il faut que chascun se contienne en obéissance. Dieu respandra ses bénédictions sur nous et nous deslivrera de l'hérésie et tyrannie qui nous menacent[6].

Et comment les prédicateurs n'auraient-ils pas multiplié ces larmoyantes histoires, lorsqu'on savait que madame de Guise, la veuve du martyr, écrivait au duc de Nevers une bien pitoyable épître ? J'espère que Dieu aura pitié de moy et qu'il ne me deslaissera jamais en une si juste querelle ; mais qu'il suscitera tant de gens de bien pour se joindre à ceste cause, que bientost je verray une bonne justice de l'assassinat meschant et malheureux commis sur celuy qui n'eut jamais dans l'âme que le service de Dieu et celuy de ce malheureux, cruel, tyran, inhumain, qui, pour me priver de mon mary, a perdu son àme, son honneur et renommée. Pardonnez-moy si je continue à vous importuner de mes plainctes ; je ne puis m'empescher de cela, car estant privée de ce que j'avois de plus cher, il ne me reste que la vengeance que j'ay si empreinte dans le cœur que je ne parle ni ne resve autre chose ; à quoy je vous invite, conjure et supplie de m'assister, et en rescompense je vous offire et présente ma vie, mes pauvres enfants et tout ce qui est en nos puissances pour sacrifier à l'observance de vos commandements, que je tiendrai à jamais chers comme venant de vous, monsieur, que j'aime et honore autant que je recognois y estre redevable. Continuez-moy donc, s'il vous plaist, vostre bonne grâce, et croyez ce porteur qui vous parlera plus particulièrement de ma part. Je me remets donc sur luy pour finir ma lettre, en vous baisant très humblement les mains. Vostre très obéissante sœur, Catherine de Clèves[7].

Ainsi, pour bien résumer la situation de ce mouvement de la ligue, il y a d'abord manifestation d'opinion publique, puissante, énergique contre Henri de Valois, opinion prononçant la déchéance de fait contre la royauté, et effaçant ses armoiries. Puis, elle trouve une expression régulière dans le conseil municipal de Paris ; elle se fait violente et désordonnée parmi les quarteniers et dans la chaire. La déchéance est prononcée par la Sorbonne, autorité légitime dans l'organisation catholique. Les crimes imputés au roi, au tyran, sont la violation de la foi romaine (la constitution d'alors), le mépris des états-généraux (la représentation du pays). On efface les formules de la messe, comme aux époques politiques on modifie les formules royales ; puis enfin s'établit un conseil d'union, une espèce de gouvernement provisoire et populaire, en attendant un système régulier et définitif, une élection de roi.

Si à Paris la triste nouvelle du martyre de MM. de Guise, reproduit partout en belles images, avait fait une sensation si vive, si profonde, combien dut-elle être plus puissante encore dans ces cités sans cesse exposée aux attaques et aux insultes des huguenots ? On a vu que le conseil d'union avait écrit maintes circulaires aux échevins, prévôts, maires, majeurs, jurats, pour leur annoncer l'organisation entière de la sainte ligue, et les inviter à se joindre à lui contre le tyran Henri de Valois. La plupart des cités n'avait pas attendu cette invitation pour éclater ; en armes déjà, elles avaient déclaré leur liberté et leur entière adhésion à la foi catholique, au parti municipal qui en proclamait la grande suprématie. Partout le mouvement est marqué de ce double caractère : appel aux vieilles franchises de la cité, aux anciennes formes d'échevinage, élection, maison commune, beffroi, bannière des confréries et métiers ; et puis, esprit catholique, prédication libre et politique ; en un mot, gouvernement de la cité par la cité. Ce retour à la liberté municipale, à ces fédérations de ville à ville, sa fit avec un ordre, un ensemble qui peut même étonner les perfectionnements de la civilisation moderne.

A Lyon, la nouvelle de Blois advint trois jours après, et le conseil municipal se réunit sur-le-champ en une belle et grande assemblée ; il y fut exposé par le doyen des conseillers que les bons et vrays catholiques de la ville avoient eu grande occasion de prendre les armes pour se garantir des entreprises malheureuses qui faisoient sur eux les hérétiques assistés des politiques et machiavélistes, lesquels avoient si souvent faict desmonstrion de mauvaise volonté. Trouvant moyen d'empescher nos desvotions accoutumées, qui est de mettre le sainct-sacrement par les églises où le peuple va en desvotion et procession, sous prétexte qu'ils disoient que le roy en auroit jalousie et diroit que nous faisons prières pour les âmes de ces pauvres princes massacrés ; ils firent clorre la bouche aux presdicateurs, empeschant qu'ils ne disant la vérité, et les vouloient forcer de soutenir que les massacres, cet acte si meschant et détestable, avoient esté bien et légitimement faiçt. Ce qui fut l'occasion que la nuict le peuple se doutant de quelque surprise, se mit en armes de soy-mesme et sans estre commandé. Et l'on descouvrit des arquebusiers de la ville s'alloient jetter dans les maisons des politiques pour leur faire assistance et main-forte. Il y avoit en la ville et dehors des personnes qui disoient tout haut qu'avant qu'il fust peu de jours l'on pendroit tant de ces eschevins mutins, qu'il n'y auroit pas du chanvre à demi pour faire des cordes. Brief, le party catholique est demeuré le supérieur. Les desseins de ces factionnaires conspirateurs se sont esvanouis comme la poussière au vent, et nos politiques sont demeurés saisis et mis en un lieu où l'on est assuré qu'ils ne nous peuvent plus nuire.

Quand donc cet exposé eût été bien fait et parachevé, tout d'une voix on délibéra l'union jurée et promise par les consuls, échevins, manants et habitants catholiques de tous les ordres et états de Lyon ; tous s'écrièrent : Nous promettons à Dieu, sa glorieuse mère, anges, saincts et sainctes du Paradis , de vivre et mourir en la religion catholique, apostolique et romaine ; jurons de donner tout notre pouvoir et puissance à la conservation de ceste ville de Lyon, establissement d'un bon et asseuré repos à la descharge du pauvre peuple. Nous voulons entretenir de poinct en poinct l'esdict d'union publié ès-cours de parlement de ce royaume, juré solennellement par le roy en l'assemblée générale des estats, et depuis par lesdicts estats, et n'assister de nos personnes ni moyens ceux qui ont violé et faussé la foy promise auxdicts estats. Ces résolutions, qui se passèrent en conseil de ville, il fallait les publier au dehors, et c'étoit là véritablement la sanction populaire ; le conseil n'hésita pas : A esté ordonné ! que les articles qui ont esté dressés de l'union, seront imprimés et publiés, ensemble la forme du serment que doivent faire tous les habitants de la ville de Lyon, et par ce, est enjoinct à Jehan Pillehotte, imprimeur de ladicte ville, de les imprimer. Faict au conseil tenu en l'hostel-de-ville, le lundi 2e mars 1589, par ordre dudict conseil : Janthonas.

La grande ville de Lyon, qui commandait au passage du Rhône, cette puissante cité, se prononçait donc pour la défense de ses libertés municipales et du catholicisme ! Plus au midi, Toulouse se jetait dans la ligue avec cette violence qui avait signalé ses excès lors de la Saint-Barthélemy. À Lyon, il n'y avait pas eu second massacre ; la formation de l'union municipale s'était accomplie d'elle-même et par un mouvement naturel. A Toulouse, le sang méridional fermentait ; le parlement n'avait pas voulu seconder l'impatience catholique ; il était dominé par Duranti, homme du tiers-parti. Il y eut donc un mouvement populaire contre le parlement, à l'imitation de ce qui s'était passé à Paris. Lors des massacres de la Saint-Barthélemy, on avait déjà pendu cinq ou six conseillers au grand orme de la place du Capitole ; le contrat d'union fut encore scellé d'une nouvelle exécution populaire. Le 25 janvier , le peuple se rassembla à l'hôtel-de-ville, et d'un commun accord il renversa les armoiries royales, brisa les portraits de Henri de Valois, le tyran, le nouveau Néron. Le président Etienne Duranti et l'avocat-général d'Assis cherchaient atout pacifier ; dans ces moments d'effervescence et de soulèvements , la voix des hommes modérés, est impuissante. Duranti et d'Assis furent traînés en prison, et quelques jours après assommés par la populace ; leurs corps furent ensuite pendus avec l'effigie du roi Henri III que l'on avait percée de plusieurs coups de poignards. Aussi la bonne ville de Toulouse et son parlement épuré reçurent-ils les grandes félicitations de leurs alliés de Paris ; le conseil municipal de la Grève leur écrivait : Messieurs les capitoux de Toulouse, nous ne pouvons assez vous exprimer le plaisir et consolation que nous avons tous ressenti d'avoir appris, par vos lettres, le devoir qu'avez faict pour vostre conservation et vous sauvez des dangers qui vous menaçoient. Il ne reste plus que d'establir partout un bon ordre, à quoy nous travaillons par deçà pour l'establissement du conseil général de l'union auquel s'expédient toutes affaires et dispositions, 17e mars 1589. — Messieurs du parlement de Toulouse, ajoutaient-ils, nous avons estably un conseil général de l'union, composé d'un grand nombre de grands et honnestes personnes des trois ordres, auquel s'expédient et ordonnent toutes les affaires de notre union avec messieurs les princes catholiques, lesquels ont les premiers juré d'obéir audict conseil. Les grâces et remissions, provisions d'offices et toutes autres, telles affaires y sont despeschées de toutes les parties du royaume sous un sceau nouveau aux armes de France, en la lesgende duquel sont escrits ces mots : Sigillum regni Franciæ[8]. Le parlement de Paris a approuvé et autorisé ledict conseil et ledict sceau, avec lequel aussi se font toutes expéditions de justice. Toutes les capitales, villes de provinces ralliées, ne laissent pas d'avoir un conseil provincial pour les affaires de la province qui recognoist et se réfère au général du conseil de nostre ville ; et de cet ordre nous espérons beaucoup de bien en attendant l'assemblée des estats-généraux qui sont ordonnés par ledict conseil et par nostre parlement, 17e mars 1589[9].

Et à Marseille, la ligue avait aussi retenti ; elle s'était facilement formée là : ancienne république, Marseille pouvait-elle repousser un système qui la faisait revenir à ses mille franchises de municipes, au gouvernement de ses consuls, à ses statuts et règlements, à sa maison de ville, à son vieil hôtel de la place Vivaux, à ses maire et échevins ?

Déjà une première tentative avait été faite pour rendre Marseille à sa liberté et à la ligue ; elle avait été déjouée par la force des hommes d'armes. Depuis, la ville avait été plus heureuse ; et quand la lettre des MM. les  échevins de Paris arriva pour annoncer la triste nouvelle de Blois et la déchéance de Henri de Valois, l'hérétique, le tyran, la grande cité n'hésita pas. On se souvient que la révolution municipale et catholique avait été tentée par le brave consul Darius ; la partie victorieuse du conseil de ville s'était hâtée de flétrir dans un tableau qui décorait l'hôtel-de-ville, la mort de l'intrépide champion des libertés de la cité et de la sainte-union. Plus d'une fois ce peuple de matelots, de bourgeois et de métiers avait gémi de cette humiliation qui tournait au profit des huguenots. A peine avait-on publié l'édit d'union à Blois, que le peuple marseillais prit les armes contre La Yvette, gouverneur de Provence. C'était le 26 août ; le sieur de Vins, organe de la ligue, venait d'être élu par le parlement et les bourgeois, gouverneur de Provence à l'encontre du mignon de Henri III. Linche, deuxième consul, ami de La Valette, expression du tiers-parti politique, voulut tenter la contre-révolution au profit de la royauté ; il se revêt du beau chaperon du consulat, s'arme de sa cuirasse, et pénètre, un pistolet à la main, dans l'hôtel-de-ville. Cette folle entreprise indispose le peuple. A la seule invitation de Cepède, premier consul, il se porte à l'hôtel-de-ville ; le tocsin sonne ; le drapeau de Marseille, libre et catholique, est arboré à la Mayor et à la Vierge-de-la-Garde, protectrice des braves mariniers. Que voulait donc ce traître Linche ? livrer la ville aux huguenots. Il fut poursuivi, proscrit, et quoiqu'il eût cherché un asile dans un des tombeaux de l'Observance, sous la statue roide et froide d'un pieux abbé aux sandales de marbre, à la mitre d'or, à la crosse d'ébène, Linche fut dagué à coup d'épée, criblé de coups d'arquebuse, et expira. Quand la nouvelle de l'adhésion de Lyon à la sainte-ligue fut connue, l'enthousiasme n'eut plus de bornes ; l'union fut signée à l'hôtel-de-ville ; le petit nombre de ceux qui n'avaient pas voulu y souscrire fut contraint de quitter la ville. Le peuple les désigna sous le nom de Bigarrés, politiques du tiers-parti sans couleur et sans conscience. Et comment le brave peuple marseillais n'eût-il pas adopté la ligue avec enthousiasme, lorsqu'il était récompensé par une bonne bulle du pape ? Très chers fils, nous cognoissons toute vostre fidélité pour l'église romaine ; nous vous louons de toute la sollicitude que vous avez apportée à maintenir intègres et fortes vos libertés et la religion. Nous Vous envoyons nostre légat Henri Caietano ; croyez-le comme nous-mesme sur tout ce qu'il vous dira. Bientôt la sainte-union eut son parlement à Aix, et son premier acte fut de proclamer le triomphe de la religion catholique et l'allégement des subsides[10].

Que dirai-je de Rouen, à la population ardente, et qui la première suivit le mouvement de Paris ? Le parlement s'unit à toutes les résolutions du peuple, et avec Rouen, Amiens, Abbeville, Orléans et cinquante-cinq autres grandes villes, environnées et couronnées de belles tours à créneaux. Les provinces prirent ainsi parti pour la révolution municipale de Paris. Le centre de ce mouvement était bien aux tours de Notre-Dame, à l'hôtel de la Grève ; mais l'organisation de la France était telle alors que chaque grande ville était le centre de sa propre administration, Aix, Marseille, Lyon, Toulouse, Rouen, Abbeville, Caen, Orléans, et tant d'autres cités liguées commandaient à toutes les sénéchaussées, bailliages de leur ressort. C'était une véritable fédération provinciale pour la défense des vieux privilèges et des libertés. Quelques-unes même de ces cités jouèrent dans la ligue un rôle armé aussi puissant, aussi décisif que Paris : Lyon surtout, pieuse et fervente, devint le foyer de l'union catholique t c'est dans ses murs que s'impriment les pamphlets, que s,agitent les confréries, que se préparent les armes et les mouvements militaires ; elle était la métropole de la ligue méridionale, le point de communication entre la Savoie, le Languedoc et la Provence.

Alors s'organisait la France en système provincial de large liberté qui éclatait sur Henri III. Le coup d'état contre la maison de Lorraine et ceux des princes et députés qui secondaient ses tentatives n'était point destiné à briser l'unité catholique. Dans la pensée du roi, il ne s'agissait que d'un seul résultat à atteindre : se substituer à la puissance des Guise dans la ligue, replacer enfin sur la tête royale cette couronne du grand parti qui était la société presque entière. Ce but n'avait point été accompli et ne pouvait l'être. Loin de là, l'opinion catholique, violemment séparée de la royauté des Valois, avait proclamé la déchéance. Henri III, ne comprenant pas la portée de ce mouvement, renouvelait devant les états mutilés et sous une impression de terreur, le serment solennel de respect et de bon vouloir envers la sainte-union catholique, comme si rien n'était changé autour de lui. La reine Catherine de Médicis avait une plus haute intelligence de la triste et fatale situation de son fils : dès qu'elle eut appris l'exécution des Guise, elle vit la couronne brisée. L'œuvre de ses ménagements périssait, et la mort s'avança pour elle. Elle estoit desjà malade lorsque les deux frères lorrains furent occys, et l'allant voir le roy et lui disant : Madame, je suis maintenant seul roy ; je n'ai plus de compagnon. Que pensez-vous avoir faict, luy respondit-elle ! Dieu veuille que vous vous en trouviez bien ; mais au moins, mon fils, avez-vous donné ordre à l'asseurance des villes, principalement d'Orléans ? Si ne l'avez faict, faictes-le au plustost, sinon il vous en prendra mal, et ne taillez d'en advertir le légat du pape par M. le cardinal de Gondi. Elle se fit porter ensuite toute malade qu'elle estoit, au cardinal de Bourbon qui estoit malade et prisonnier, qui, dès qu'il la vit : Ah ! madame, dict-il la larme à l'œil, ce sont de vos faicts, ce sont de vos tours ; Madame, vous nous faictes tous mourir. Desquelles paroles elle se mut fort, et luy ayant respondu qu'elle prioit Dieu de la damner si elle y avoit jamais donné ni sa pensée, ni son ad vis, sortit incontinent, disant : ie n'en puis plus ; il faut que je me mette au lict ; comme de ce pas elle fit, n'en releva, et décéda au chasteau de Blois, âgée de soixante-onze ans, et portoit bien l'âge pour une femme pleine et grasse comme elle estoit ; elle mangeoit et se nourrissoit bien, et n'appréhendoit pas les affaires.

Toute l'histoire dont j'ai recueilli les débris est dominée par la grande figure de Catherine de Médicis, et ceux qui ont suivi avec quelque attention l'immense série des événements de cette époque, l'influence de transaction et de paix publique que la reine exerça, ont dû la placer haut. Tout se heurte, la société est comme un vaste duel de sang, et la voilà, cette femme patiente, active, intelligente, courant d'un camp à un autre, adoucissant les haines, apaisant les ressentiments. C'est la première négociatrice de ces temps de troubles : jeune, elle se sert de ses charmes pour la paix ; vieille à cheveux blancs sur son front large et ridé, elle parcourt en litière les tentes des hommes d*armes, calme les passions, fait tous ses efforts pour empêcher les déplorables batailles ; quand elle ne peut éviter ces batailles, elle les dirige au profit de la modération ; qu'importe qu'elle fit tout marcher vers la grandeur de son pouvoir, qu'elle aimât ce pouvoir, avec idolâtrie souvent ? qu'est-elle cette passion dans les âmes fortes ? la conscience de ce qu'elles valent, le sentiment éprouvé qu'on peut le bien et qu'on veut le faire ; qu'importent encore des faiblesses de femme, des superstitions, des talismans magiques ? la superstition se mêle toujours aux grandes émotions de la vie ; ceux qui voient un peu loin se laissent entraîner à cette terreur de l'immense nature, et petit qu'on est en face de l'univers, on s'agenouille devant ses phénomènes. La vieille chronique nous a conservé quelques-unes des faiblesses de Catherine de Médicis lorsqu'elle se rendait le soir chez Ruggieri, en son oratoire de la place aux Chats ; elle le consultait sur la destinée future de sa race. Un jour ledit Ruggieri l'entoura d'un cercle magique, et tandis que mille têtes fantastiques paraissaient autour d'elle et se reflétaient dans des miroirs noircis, trois petites figures royales parurent sur une table préparée, et l'alchimiste annonça que c'étaient les trois fils de Catherine, tous trois couronnés d'un pesant diadème. Le sieur Régnier, mathématicien, et qui passait pour magicien, était l'inventeur d'un certain talisman que Catherine portait toujours sur elle. On prétend que la vertu de ce talisman estoit pour gouverner souverainement et cognoistre l'avenir, et qu'il estoit composé de sang humain, de sang de bouc et de plusieurs sortes de métaux fondus ensemble, sous quelques constellations particulières qui avoient rapport à la nativité de cette princesse. Elle mourut, Catherine de Médicis ; et cette femme, qui avait réuni tant de grandeurs, fut délaissée à son agonie solitaire. Après sa mort, de laquelle fut parlé diversement, on ne parla non plus d'elle que d'une chèvre morte. Et si quelqu'un s'en souvînt, ce fui plutost pour en détester la mémoire que pour en publier les louanges. Et combien les partis s'attachèrent encore à cette mémoire ! combien de pamphlets sur ses débordements ! les huguenots en avaient déjà tant publié ! Les catholiques ne l'épargnèrent pas ; mais ils en parlaient avec modération, parce qu'ils savaient qu'elle avait gémi de Patientât de Henri Hî sur les Guise. Dans un de ces sermons si ardents qui se répétaient alors aux chaires de Paris. Lincestre fit entendre au peuple la mort de la royne-mère, laquelle, dit-il, a faict beaucoup de bien et de mal, et crois qu'il y a encore plus de mal que de bien. Aujourd'hui se présente une difficulté, savoir si l'église catholique doit prier pour elle, qui a vescu si mal et souvent soutenu l'hérésie, encore que sur la fin elle ait tenu, dict-on, pour nostre droicte union, et n'ait consenti à la mort de nos bons princes : sur quoy je vous dirai que si vous voulez lui donner à l'aventure, par charité, un Pater et un Ave, il lui servira de ce qu'il pourra.

Henri III pleura sa mère ; il était alors tout occupé des états-généraux qui poursuivaient mollement leurs délibérations à Blois. La violence exercée contre les Guise avait effrayé cette bonne réunion de nobles, de clercs et de bourgeois ; on ne discuta plus que des questions sans importance ; on fit de la rhétorique, des protestations et peu d'actes. Henri III paraissait encore officiellement à la tête du parti catholique, signait les actes d'union, prenait en main le commandement des armées ; au fond il n'inspirait plus de confiance ; les députés ne songeant qu'à se séparer, ne prêtaient plus aucune force à la royauté des Valois ; et comment les catholiques se seraient-ils associés à un tyran déchu, lorsque les braves ligues de Paris et des bonnes villes bourgeoises tenaient la campagne et menaçaient le roi lui-même ? Dans cette situation, Henri III devait chercher des garanties et des ressources en d'autres forces. Les états-généraux se dissolvaient d'eux-mêmes ; le jour de la clôture il y eut pourtant des harangues. Leurs remontrances, Sire, ne seront pas fardées ni déguisées ; nous sommes à cela invités et contraincts par la franchise des états, par la liberté donnée, la sûreté promise. Nous recognoissons, et publions haut et clair, que le ciel et la nature vous ont libéralement enrichi de ce qui est bien nécessaire pour nous régir et gouverner. Mais le mal a esté que la lumière de vos vertus a esté empeschée et n'a pu jetter ses rayons, ni les faire pénétrer sur la misère et affliction de son pauvre peuple et désolé royaume, par l'artifice et pratique de quelques mauvais conseillers.

Les états devenaient chose insignifiante. Les deux forces actives, vivaces en présence, n'étaient, à vrai dire, que les armées catholique et huguenote ; l'une sous la conduite des ducs de Mayenne et d'Aumale ; l'autre sous la cornette blanche du roi de Navarre. En renvoyant les états de Blois, Henri III s'était hâté de convoquer le ban et l'arrière-ban de la chevalerie, parmi laquelle figuraient les brayes de la Guiche, d'O, d'Humières, La Châtre, d'Aumont, Noailles, Mortemart, Mirepoix, Givry et Firmacon. Le maréchal d'Aumont s'était emparé de la citadelle d'Orléans, et Tours était choisi pour le siège du gouvernement royal. D'Épernon cherchait à maintenir la Provence ; La Valette, le Dauphiné, tandis que le duc de Mayenne soulevait le Lyonnais pour la sainte-ligue, et que la Bretagne proclamait l'union sous le duc de Mercœur. Sur ces entrefaites, Henri de Navarre passa la Loire, sorte de Rubicon qui ne lui laissait plus que la nécessité de vaincre, car si au midi les huguenots avaient une force dans l'esprit des montagnes , dans cette chevalerie de castels qui s'étendaient des Cévennes aux Pyrénées, au-delà de la Loire les communes étaient toutes catholiques. A la première défaite des huguenots, villes et bourgs auraient sonné le tocsin au clocher de la paroisse, pour courir sus à cette maudite engeance. Henri de Navarre venait de s'assurer l'appui de toutes les églises réformées en tenant un synode à La Rochelle ; on avait cherché à décorer cette assemblée modeste et pieuse, qui avait délibéré sur le dogme et les besoins du calvinisme, du titre d'états-généraux, pour l'opposer aux grands états de Blois. Mais quelques braves et dignes paladins, couverts de fer, des ministres de science et de piété ne pouvaient se comparer à la noblesse, au clergé, à la bonne bourgeoisie, qui avaient tenu naguère leurs séances à Blois. Il fallait la victoire au roi de Navarre ; il la cherchait avec toute la vaillance de la fière et dure chevalerie des montagnes.

Au milieu de deux partis seuls en force, et qui seuls par conséquent pouvaient en prêter, que devait faire Henri III ? Depuis la dissolution des états-généraux de Blois, le tiers-parti avait repris toute faveur auprès de lui ; Henri avait rappelé plusieurs de ses favoris, de ses jeunes hommes dévoués ; d'Épernon surtout était parmi cette téméraire jeunesse que les partis extrêmes appelaient mignons. C'était un lien facile de rapprochement avec le roi de Navarre. D'Epernon essaya dès ce moment de cimenter l'alliance du roi avec le chef de la gentilhommerie béarnaise. Henri de Navarre était trop habile pour ne pas comprendre toute la force que donnerait à son parti l'union avec le roi de France. Non seulement cette alliance lui assurait la nombreuse chevalerie qui s'armait pour le roi, mais encore la puissance morale de cette royauté qui parlait si vivement encore à l'imagination des peuples. Dans la vue de cette alliance, Henri de Navarre publia un manifeste de tempéraments et de concessions. C'était la constante politique du Béarnais rusé, comme l'appelaient les catholiques du conseil : Messieurs, quand il me ressouvient que depuis quatre ans j'ai esté l'argument des tragédies de France, quand de ces yeux que Dieu m'a principalement donnés pour les avoir tousjours ouverts au bien de ma patrie, tousjours tendres à ses maux, je suis contrainct de la voir en feu, ses principaux piliers desjà bruslés, ses meilleures villes en cendre, et qu'encore, au lieu d'apporter de l'eau, d'estoufler les flammes, on me force à brusler moy-mesme, ou je serois de tous les insensibles le plus insensible qui fust jamais, ou bien il faut que mon ame reçoive mille fois le jour des peines et afflictions que rien ne sçauroit égaler. Messieurs, jamais mon pays n'ira après moy ; son utilité précédera tousjours la mienne, et tousjours on verra mon mal, mes dommages, mes afflictions courir devant ceux de ma patrie. Aujourd'huy, je suis prest de demander au roi mon seigneur la paix, le repos de son royaume et le mien que j'ai faict jamais. Les guerres n'ont rien diminué de cela. Que diroient ceux qui m'ont vu courageux, si, honteusement, je quittois par la peur la façon de laquelle j'ai servi Dieu dès le jour de ma naissance ? Et puis quelle conscience ? Avoir été nourry, instruit et eslevé en une profession de foy, et sans ouyr, sans parler, se jetter de l'autre costé ? Non, Messieurs, ce ne sera jamais le roy de Navarre, y eust-il trente couronnes à gagner. Instruisez-moy, je ne suis point opiniastre ; prenez le chemin d'instruire, vous y profiterez infiniment ; car si vous me montrez une autre vérité que celle que je crois, je m'y rendray ; et feray plus, je ne laisseray nul de mon party qui ne s'y rende avec moy. Messieurs, nous sommes dans une maison qui va fondre, un bateau qui se perd, et n'y a nul autre remède que la paix : je la demande au nom de tous, au roy mon seigneur ; je la demande pour moy, pour tous les François, pour la France. L'alliance qu'appelait le roi de Navarre avec ce langage de fierté et de noblesse n'était pas une nouveauté ; on l'avait vu s'accomplir par le duc d'Alençon, quand la royauté s'était entièrement confondue avec la ligue catholique ; alors l'héritier présomptif de la couronne avait pris hautement les couleurs du calvinisme. Les affections de Henri III n'étaient pour les huguenots ; aussi le voit-on hésiter longtemps et se tourner vers le duc de Mayenne, négocier avec lui et les catholiques. Il y avait là autre chose que des sentiments personnels : Henri III connaissait le peuple ; il savait que les huguenots ne formaient qu'une gentilhommerie peu nombreuse, active et turbulente ; les masses, c'est-à-dire la force sociale, n'étaient pas là. Cette alliance d'ailleurs constituait pour maître Henri de Navarre. On s'était violemment débarrassé des Guise ; était-ce pour tomber sous un autre dominateur ? D'Épernon se chargea d'atténuer les répugnances du roi pour le traité ; mille soumissions furent faites au nom du Béarnais. Que voulait-on ? servir le roi, joindre ses armes aux siennes pour comprimer la rébellion. Henri de Navarre ne se reconnaissait-il pas le plus fidèle sujet ? Le traité qui fut conclu était tout à fait dans les formes d'une concession royale : Accordons au roy de Navarre, pour luy et tous ceux de son party, trêve et surséance d'armes et de toute hostilité. Si durant cette guerre luy ou les siens prennent quelque ville, chasteaux ou autres places, il les remettra incontinent en nostre libre disposition suivant la promesse qu'il nous en a faicte. En conséquence de ce que dessus, ledict roy de Navarre et ceux de son party auront main-levée de leurs biens pour en jouir tant que ladicte trêve durera, comme ils laisseront jouir les catholiques, tant ecclésiastiques que autres, des bons serviteurs, de leurs biens et revenus ès lieux par eux tenus[11].

Désormais Henri de Valois entrait en la pleine puissance des huguenots ; roi nominal, il avait pour maître et successeur le Béarnais et sa chevalerie aventureuse qu'il conduisait aux batailles. On garda toutes les formes de respect dans la première entrevue des deux monarques alliés : le Navarrais semblait abandonner toutes ses méfiances, le roi de France cachait tous ses dépits. M. le mareschal d'Aumont vint trouver le roy de Navarre de la part de sa majesté pour le prier de vouloir passer et aller au Plessis-lès-Tours où sa majesté et toute la cour l'attendoit, ce que il se résolut de faire tout incontinent ; il y avoit si grande presse tant de ceux de la cour que ceux de la ville qui estoient accourus, que leurs majestés demeurèrent l'espace de demi-quart d'heure à quatre pas l'un de l'autre, se tenant les bras sans se pouvoir toucher, tant la foule estoit grande. Leurs embrassements et salutations furent réitérés plusieurs fois d'une part et d'autre, avec une mutuelle démonstration d'une grande joie et contentement ; l'allégresse et applaudissement de toute la cour et de tout le peuple fut incroyable, criant tous par l'espace de demi-heure ; vive le roy ! Le lendemain, le roy de Navarre entra dedans la ville pour aller donner le bonjour au roy, et depuis visita plusieurs fois sadicte majesté, prenant ensemble, pour le bien commun du royaume, plusieurs résolutions. Avec ces formes extérieures de soumission, le Béarnais n'en était pas moins le maître ; il avait posé de dures conditions dans le traité, la cession d'une place importante, Saumur, qui lui ouvrait la Loire ; et ce qui était plus encore, il se donnait la belle et grande couronne de France ; car bon allié de Henri III, il lui est facile de se faire saluer pour son successeur par ses nouveaux compagnons de bataille.

L'alliance impie, aux yeux des catholiques, d'Henri III avec le roi de Navarre éloignait de pins en plus le roi de France des saintes et municipales unions de Pans. Une série d'actes de la royauté témoignait asses qu'elle voulait désormais établir son gouvernement en dehors de cette turbulence populaire, une première déclaration sur l'attentat, félonie et rébellion du duc de Mayenne, duc et chevalier d'Aumale, les frappa dans leur personne et leurs biens ; Paris, Orléans, Amiens et Abbeville furent comprises dans la même proscription ; elles devaient être deschues de tous estats, offfices, honneurs, pouvoirs, gouvernements, charges, dignités, privilèges, presrogatives, dons, octroys et concessions quelconques à elles concédés, sauf si dans le quatorzième jour du mois de mars prochain, elles recognoissent leur faute et se remettent en l'obéissance que justement elles nous doivent par le commandement et l'expresse parole de Dieu, sans laquelle elles ne se peuvent dire chrestiennes.

Ces actes étaient dirigés contre l'union établie dans les villes municipales ; et ne fallait-il pas que la royauté proclamât son propre gouvernement à rencontre de la ligue ? Un édit de Henri ni intervint, par lequel la cour de parlement qui siégeait à Paris était transférée à Tours avec la chambre des comptes. Quelques fidèles magistrats obéirent à cette injonction royale, et Pasquier fut parmi eux. Le pauvre avocat-général avait laissé sa femme et ses enfants à Paris, au milieu des réactions de la ligue ; cette majesté désolée de son ancienne et brillante compagnie, jetait de la tristesse dans son esprit, du désordre dans ses idées. Quand la chambre des comptes s'ouvrit solennellement, Pasquier pleura sur les malheurs de la France : Je ne voulois pas dire que nos compagnons de Paris ne fussent en leur cœur bons subjets et serviteurs du roy, comme nous qui estions à Tours ; m'assurant que des six parts, les cinq estoient vouées à son service, mais que la police ou pour mieux dire le désordre nouveau que l'on avoit introduict dans Paris, ne leur permettoit de se manifester. Je vous puis dire qu'à cette parole les grosses larmes me tombèrent des yeux. Ce que j'avois du commencement proposé estoit par une hypocrisie d'orateur ; mais ce que je fis en ce progrès de ma harangue, fut comme bon citoyen, ne pouvant plus, dissimuler la juste douleur que je porlois de la misère de ce temps. Je ne me trouvay jamais si empesché, car pas mesme moyen, la parole, dont j'avois lors le plus affaire, me mourut en la bouche. Et qu'importaient les doléances de Pasquier à la bonne ville de Paris, à son conseil de l'union, à son brave peuple des halles qui prenait les armes et établissait son gouvernement ? et qu'avait-elle à craindre de quelques menaces royales, quand tous ses métiers brandissaient leurs arquebuses et pertuisanes pour la défense de ses murailles et de ses franchises municipales ; Paris s'était prononcé avec enthousiasme pour l'union catholique : tout ce qui portait un vieux sentiment municipal avait pris les armes pour défendre les privilèges de la cité et le gouvernement de l'union, autorité purement élective exerçant le pouvoir le plus étendu. Le parlement épuré secondait ce mouvement populaire. Si quelque magistrat protestait silencieusement, la majorité du parlement marchait avec la ligue ; les uns par crainte, les autres par opinion et par sentiment religieux.

Toutefois, quelques magistrats, traîtres à la cité, cherchaient à ménager l'avenir et à préparer leur accommodement avec la royauté exilée ; et parmi eux le président Brisson, dans un acte signé de sa main, faisait la déclaration suivante : Ayant tenté tous les moyens à moy possibles pour sortir de cette ville afin de m'exempter de faire ou dire chose qui pust offenser mon roy souverain seigneur, lequel je veux servir, obéir et respecter toute ma vie et persévérer en la fidélité que Je dois, détectant toute rébellion contre lui, il m'a esté impossible de me pouvoir retirer et sauver, pour estre mes pas observés de toutes personnes, guettés et gardés, à raison de quoy estant contrainct de demeurer en ceste ville et adhérer ès délibérations auxquelles le peuple nous force d'entrer, je proteste devant Dieu que tout ce que j'ay faict, dict et deslibéré en la cour de parlement, et ce que je feray, diray et deslibéreray cy-après, a esté et sera contre ma volonté et par force et contraincte, y estant violenté par la terreur des armes et licence populaire.

Ces magistrats pusillanimes étaient des exceptions dans le parlement ; la majorité était pour l'union catholique et municipale, et ne désavouait point en secret ce qu'elle faisait hautement et publiquement. Le premier acte de la ligue, après la déchéance de Henri III, avait été de créer un chef militaire, un homme de guerre et de vaillance, pour conduire les braver bourgeois sous les bannières de la cité ; le duc d'Aumale gouvernait Paris, tandis que le duc de Mayenne conduisait les armées. L'union voulait avoir un chef de modération tout à fait dévoué à sa pensée ; déjà en froideur avec le conseil des seize trop bruyant d, popularité, il était important qu'elle eût dans ses intérêts le lieutenant-général des forces catholiques.

Pour bien saisir le caractère de la révolution municipale de Paris, il est essentiel de rappeler que la population de la grande cité ne se formait pas d'une seule classe, ayant ainsi une unique représentation. Les parlementaires, la haute bourgeoisie, se trouvaient plus particulièrement en rapport avec le conseil de l'union ; la petite bourgeoisie avec le bureau municipal ; tandis que les balles, les métiers avaient leurs organes ardents dans les seize quarteniers élus par le choix même de la multitude. Le duc de Mayenne, l'expression modérée de la maison de Guise, offrait toutes les conditions que la bourgeoisie et les parlementaires pouvaient désirer. Il avait de grands talents militaires, de la prudence ; fervent catholique, il ne repoussait pas les idées de transactions et de ménagements. C'était un caractère à opposer à Bussy-Leclerc et aux chefs démocratiques de la cité. Pouvait-il d'ailleurs n'être point agréable an peuple, le brave duc de Mayenne, le frère da Guise et l'oncle du pauvre petit captif, alors sous la main du tyran ? La triste veuve du balafré donna le jour à un héritier des armes et du nom de Lorraine ; le corps de ville de Paris suspendit tout, pour tenir le petit Tristan (car on appela ainsi l'enfant orphelin) sur les fonts de baptême ; toutes les compagnies bourgeoises furent sur pied et faisaient voir combien elles étaient joyeuses de saluer le rejeton[12] de la grande et noble  famille. Quelque système de modération que voulût suivre le conseil d'union, il était poussé par le bureau municipal, surtout par les seize quarteniers ; et des mesures implacables furent prises contre les habitants qui ne signaient pas la sainte ligue, conservant l'espérance de transiger avec Henri de Valois. Les rigueurs étaient bien plus sévères encore envers ceux qui avaient quitté la cité pour se joindre aux huguenots, soit qu'ils siégeassent dans le parlement à Tours, en la chambre des comptes, soit qu'ils combattissent avec Henri sous sa tente. Ces mesures étaient nécessaires sous plusieurs rapports : ne fallait-il pas jeter une grande terreur dans ce parti de transactions et de ménagements, toujours prêt à pactiser avec Henri de Valois, le tyran déchu ? Et puis, on avait besoin d'argent pour la guerre, pour organiser les compagnies bourgeoises : à qui mieux s'adresser qu'aux politiques, qu'on imposait au profit des halles et du bon peuple catholique ? De nombreuses mesures de précautions et de police municipale se succédaient d’autant plus rigoureuses que, par l'alliance de Henri de Valois et du Béarnais, Paris allait être menacé d'une puissante chevalerie. Les conseils de l'union et de la ligue restaient en permanence. De par les prevost et eschevins. M. le président Du Blanc-Mesnil, colonel ; nous vous prions de faire faire présentement, par MM. les autres capitaines de vostre quartier, de bons et forts corps de garde de tous les bourgeois et habitants de vostre dict quartier, chascun en sa dixaine. — Il est enjoinct à tous boulangers, pastissiers et autres de cuire présentement du pain pour subvenir à la nécessité. — Il est ordonné que les habitants des villages d'Issy, Vaugirard, Montrouge, Gentilly, Arcueil, Bagneux, Fontenay, Clamart, Chastillon et Meudon prendront les armes, pour mettre en pièces les compagnies des ennemis qui se présenteront. — Il est enjoinct à tons capitaines et soldats, tant de cheval que de pied, de eux retirer dedans cejourd'huy, heure de midy pour tout deslay, sous les resgiments et enseignes en l'armée de monseigneur le duc de Mayenne, sur peine de la vie. — Ne faictes faute présentement et sans aucun. deslay d'assembler tous les mauans et habitans de chascune dixaine de vostre quartier, pour leur taire entendre qu'il est nécessaire d'ouvrir quelques ateliers, pour faire travailler un bon et grand nombre des pauvres valides qui sont en ceste ville, afin que par ce moyen trois choses grandement utiles fussent faictes et accomplies, dont la première est la charité, par la nourriture des pauvres ; la seconde, la fortification et réparation de ceste ville ès lieux et endroicts nécessaires, et la troisième, l'empeschement de l'oisiveté, mère nourrice de tous maux. — Il est enjoinct au premier des sergents ou archers de la ville, avec tel nombre d'autres archers qu'il appartiendra, se transporter en toute diligence ès maisons de tous les hostelliers, cabaretiers et marchands de vins esquelles ils sauront y avoir quantité de futailles, desquelles vous arresterez jusques à la quantité de deux mille pièces pour servir aux barricades nécessaires à la conservation des tranchées et advenues desdicts faubourgs, dont sera cy-après faict paiement. — Desfenses sévères sont faictes à tous espiciers, apothicaires et autres de vendre aucune poix, résine sèche ou grasse, thérébentine, soufre et autres matières servant à faire artifice et feu sans notre exprès congé, sur peine de cent escus d'amende, et plus grande selon le cas. — Il est ordonné m capitaine Périchon de se saisir des personnes des sieurs présidents et maistre des comptes Amelot et de les mener à la Bastille pour les causes desduictes par ce qui a esté ordonné par MM. du conseil. — Le duc de Mayenne, lieutenant-général de l’estat et couronne de France, désirant oster tous moyens aux ennemis d'entreprendre sur ceste ville et empescher l'effect des mauvais desseins qu'ils ont sur icelle, ainsi que nous en avons esté très bien advertis, a advisé au conseil tenu près de nous que toutes les clefs des portes de ceste dicte ville seront mises entre les mains du prevost des marchands. — M. le président du Blanc-Mesnil, colonel ; pour promptement pourvoir à la sûreté de la ville de Paris et la rendre partout en estat de desfense à rencontre des ennemis publics, nous vous prions mander tous les capitaines qui sont sous vostre charge et leur enjoindre de par nous que eux, leurs lieutenants ou enseignes ayent à se tiunsporter par toutes les maisons des riches, les prier d'envoyer aux tranchées et fortifications de ladicte ville, chascun un homme garni d'oustils propres pour travailler durant ceste semaine[13].

Il régnait au milieu du peuple un sentiment de tristesse religieuse, une atmosphère de pénitence et de miséricorde ; il n'était point permis de se livrer aux fêtes, à ces folies, vieux souvenirs de la cour de Henri III. Le 14 février, jour de mardy gras, se firent de dévostes processions, au lieu des dissolutions et mascarades ; entre autres s'en fit une de six mille escoliers pris dans tous les collèges, dont la pluspart avoient au plus douze ans, qui marchoient nuds en chemise, portant un cierge de cire blanche et chantant bien dévostement. Et chaque jour ces immenses processions pour la liberté municipale sillonnaient Paris, de toutes les paroisses, de tous âges, sexe et qualité, la pluspart en chemise et nuds pieds, quoyquue fist bien froid. Le peuple de la cité demandait la prédication dans les chaires publiques, comme à Athènes et à Rome il courait au Forum, pour entendre ses archontes ou ses tribuns. Le peuple estoit si enragé, s'il faut parler ainsi, qu'après ces dévotions processionnaires, il se levoit souvent de nuict et faisoit lever les curés et prestres de la paroisse pour les mener en procession, comme ils firent à René Benoist, curé de saint Eus-tache, lequel pensant leur faire quelque remonstrance, fut appelé politique et hérétique, et enfin contrainct de les mener processionner.

Et ces armes puissantes de la parole, contre qui étaient-elles dirigées ? quel était le but de ces ardentes prédications ? le roi Henri III, le tyran, le Néron qui s'alliait avec les huguenots contre le chef et la tête des villes catholiques de France, la grande et belle cité de Paris. Il n'est sorte de calomnies populaires qu'on ne contât sur Henri III : il se criait mille pamphlets dans les rues comme il arrive toujours contre les pouvoirs renversés. Les Sorcelleries de Henry de Valois, et les oblations qu'il faisoit au diable, dans le bois de Vincennes, avec la figure des desmons d'argent doré, auxquels il adressoit des offrandes, et lesquels se voyent encore en ceste ville. — La vie et faicts notables de Henry de Valois, tout au long, sans rien requérir, où sont contenus toutes les trahisons, perfidies, sacrilèges, exactions, cruautés et hontes de cet hypocrite ennemi de la religion catholique ; esdition seconde, revue et augmentée de plusieurs autres desportemens et apostasies de ce dernier des Valois, lequel néanmoins, par ses abominables faicts, ne peut en rien obscurcir le lustre des prédécesseurs très chrestiens.

Les prédicateurs en leurs sermons, exhalaient l'injure contre le roi : Ce teigneux, s'écriait Boucher, est coiffé tousjours à la turque, d'un turban, lequel on ne lui a jamais vu oster, mesme en communiant, pour faire honneur à Jésus-Christ, et quand ce malheureux hypocrite faisoit semblant d'aller contre les reistres, il avoit un habit d'Allemand fourré et des crochets d'argent, qui signifoient la bonne intelligence et accord qui estoient entre lui et ces diables noirs empistolés. Bref, c'est un Turc par la teste, un Allemand par le corps, une harpie par les mains, un Anglais par la jarretière, un Polonais par les pieds et un vray diable en l'âme. Lincestre, en son sermon du mercredi des cendres, avait dit au peuple : Je ne vous prescherai point l'évangile ? c'est chose commune, mais je prescherai la vie, gestes et faicts abominables de ce perfide tyran, Henry de Valois, qui invoque le diable. Et le prédicateur ayant tiré de sa manche un des chandeliers du dit roi, sur lequel il y avait des satyres gravés : Ce sont démons du roy, répétait-il ; ce misérable tyran les adore, il s'en sert en ses incantations ! Faut-il le dire encore ? les cordeliers ôtèrent la tête à la figure de Henri III qui était peint à genoux, priant Dieu auprès de sa femme, au-dessus du maître-autel, et les jacobin, barbouillèrent tout le visage d'une pareille figure du roi qui se trouvait dans leur cloître.

Pendant ce temps les années réunies de Henri de Navarre et du roi de France manœuvraient de concert. Le duc de Mayenne, à la tête de ses fidèles catholiques, s'était présenté devant Tours subitement ; il était parvenu à se rendre maître d'un des faubourgs de la ville ; mais Henri III, retrouvant son ardeur des batailles, le força à la retraite. Depuis, les royalistes avaient fait de grands progrès : M. de Montpensier remporta une notable victoire sur les Gottiers, paysans de Normandie, qui avaient pris les armes pour la ligue, D*un autre côté, le duc de Longueville, secondé par La Noue, avait battu M. d'Aumale sous les murs de Senlis et l'avait forcé d'en lever le siège, tandis que M. de Châtillon, par une manœuvre habile, dispersait les troupes liguées venues de Picardie sous les ordres du sieur de Saveuse. C'est en poursuivant ces importants succès que Henri de Valois et Henri de Navarre arrivèrent à Saint-Cloud. Leurs bataillons nombreux avaient été renforcés par un corps de dix mille Suisses et Allemands, conduits par M. de Sancy, qui les avait levés à ses frais. L'armée royaliste et huguenote, qu'on évaluait à quarante mille hommes, était bien disciplinée, composée de braves soldats, de chefs intrépides, munie de bonne artillerie et d'abondantes provisions, Henri de Valois et Henri de Navarre étaient donc en face de Paris, dans le bourg de Saint-Cloud ; tous deux pouvaient contempler ces feux nombreux, ces murailles bien bâties, derrière lesquelles on apercevait les Tuileries, le Louvre, Saint-Pol, et autres maisons de plaisance qu'Henri m aimait tant à habiter. Le roi se mourait de dépit de n'être plus maître d'une si belle ville avec ses quatre cent mille habitants, autrefois si ardents, si empressés de saluer leur prince. Vindicatif et colère, Henri III roulait dans sa tête de sinistres projets ; les idées réformatrices d'un morcellement territorial lui étaient devenues familières ; il protestait contre cette centralisation immense de Paris, cité qui n'avait cessé d'être le mobile et le but de toutes les ligues ; on l'avait entendu s'écrier : Paris, chef du royaume, mais chef trop gros et trop capricieux, tu as besoin d'une saignée pour le guérir ainsi que toute la France, de la frénésie que tu lui communiques ! Encore quelques jours, et on ne verra ni tes maisons, ni tes murailles, mais seulement le lieu où tu auras été. Cette idée est venue à bien des pouvoirs fous ou menacés.

Paris n'ignorait pas ces intentions du roi ; on les exagérait même pour animer le peuple et soulever ses haines. On. ne peut se faire une idée de l'état d'irritation où étaient alors arrivés les esprits. Qui donnait en effet la supériorité aux huguenots ? qui conduisait leurs années jusque sous les murs de Paris ? n'était-ce pas Henri de Valois ? Ce maudit tyran était le lien d'union entre une partie des catholiques et des hérétiques ; en se débarrassant de lui, ne brisait-on pas ce parti impie ? ne faisait-on pas rentrer dans le giron de la sainte ligue ceux que le concours du vilain Hérode en avait détachés ? Et ce tyran continuait ses menaces, rapportées au conseil municipal et au peuple. On racontait que Henri de Valois se mettait parfois à la fenêtre de son hôtel de Gondi, à Saint-Cloud, et que là, jetant les yeux sur Paris, il s'écriait : Ce serait grand dommage de ruyner une si bonne et belle cité ; toutefois ne faut-il pas que j'aye raison des rebelles qui sont dedans et m'en ont ignominieusement chassé. Ces menaces s'adressaient aux noms les plus populaires de la ville, et particulièrement à cette noble dame de Montpensier, aussi vénérée par la multitude que la Vierge et sainte Geneviève. Le jeudy 27 juillet, un gentilhomme envoyé du roy dict à madame de Montpensier qu'il avoit charge de sa majesté de lui dire qu'il étoit bien adverti que c'étoit elle qui entretenoit le peuple dans sa rébellion ; mais que s'il y pouvoit jamais entrer, il la feroit brûler toute vive. A quoi elle répondit sans autrement s'étonner : Le feu est pour les sodomistes comme luy, et non pas pour moy. Noble et héroïque réponse de la dame du peuple et des halles ! Depuis la mort du duc de Guise et du cardinal, il s'était formé à Paris une compagnie de jeunes hommes dont le vœu était de se débarrasser de Henri de Valois par le couteau, comme lui-même avait frappé le Lorrain du poignard. Quand une forte idée de patriotisme religieux ou politique fermente dans certaines têtes unies en associations mystérieuses, il est rare qu'elle n'éclate pas par l'assassinat. L'assassinat, horrible pensée, s'ennoblit au cœur d'un fanatique de liberté ou de religion, par la conviction d'un grand service Brutus fut placé par le vieux patriotisme de Rome ; dans le panthéon de la république ; Jacques Clément fut lait saint et élevé dans le sanctuaire des confréries, comme un jeune martyr qui avait délivré la monarchie catholique de son oppresseur. D'après la légende qui fut publiée à Paris, Jacques Clément, religieux jacobin, âgé de vingt-deux à vingt-trois ans, natif de Sorbonne près Sens, se minoit et consommoit ordinairement, cognoissant la tyrannie de laquelle usoit envers son peuple Henry de Valois. Une nuict, comme il estoit en son lict, Dieu lui envoie son ange en vision, lequel avec une grande lumière se présente à ce religieux et lui monstrant un glaive nud, lui dict ces mots : Frère Jacques, je suis messager du Dieu tout-puissant, qui te viens acertener que par toy le tyran de France doit estre mis à mort ; pense donc à toi et te prépare, comme la couronne de martyre t'est aussi préparée. Cela dit, l'ange se disparut et le laissa resver à telles paroles véritables. Le matin venu, frère Jacques se remet devant les yeux l'apparition, et douteux de ce qu'il devoit faire, s'adresse à un sien ami, religieux aussi, homme fort scientifique et versé en la saincte escriture, auquel il demande si c'estoit chose désagréable à Dieu de tuer un roy qui n'a ni foy ni religion, altéré du sang innocent et regorgeant en vice autant qu'il est possible. A quoi l'honneste homme fit response qu'il estoit défendu de Dieu d'estre homicide ; mais d'autant que le roy estoit un homme distrait et séparé de l'église, qui bouffoit de tyrannies exécrables, il estimoit que celuy qui le mettroit à mort, comme fit jadis Judith à Holopherpe, feroit chose saincte et très recommandable, attendu qu'il deslivreroit un grand peuple de l'oppression tyrannique d'iceluy ; que mesme au cas où celuy qui exécuteroit un si bon œuvre fust mis à mort, il seroit bien heureux, desquelles paroles furent si agréables à frère Jacques, que dès lors il se décida ; estant donc résolu, il faict par plusieurs jours jeusnes et abstinence au pain et à l'eau, se confesse, se faict communier et après avoir mis ordre à nettoyer et purger son âme, il regarde comment et par quel moyen il viendroit à bout de son dessein. Il arresta d'aller par devers un seigneur qui luy remit des lettres signées et cachetées, auquel il promet de les faire tenir sûrement et sans aucune communication ; et fit provision d'un couteau long, bien tranchant et fort pointu, lequel il met en sa manche, et ayant pris congé de qui bon luy sembla, s'en alla à Saint-Cloud où pour lors estoit le roy. Le mardy 1er jour d'aoust, environ huict heures du matin, le roy fut adverti qu'un moine de Paris vouloit luy parler, et estoit sur sa chaise percée ayant une robe de chambre sur ses épaules, lorsqu'il entendit que ses gardes faisoient difficulté de le laisser entrer, dont il se courrouça et dict qu'on le fist entrer, et que si on le rebutoit, on diroit qu'il chassoit les moines et ne les vouloit voir. Incontinent le jacobin entra, et ayant faict une profonde révérence au roy qui venoit de se lever et n'avoit encore les chausses attachées, lui présenta des lettres de la part du comte de Brienne ; le roy commença alors de lire la lettre que le moine luy avait apportée, lequel moyne voyant le roy attentif à lire, tira de sa manche son cousteau et luy en donna droit dans le petit ventre au dessous du nombril, si avant qu'il laissa le cousteau dans le trou, lequel le roy ayant retiré à grande force en donna un coup de la pointe sur le sourcil gauche du moine et s'écria : Ha ! le méchant moine ! il m'a tué, qu'on le tue ! Auquel cry estant vistement accourus les gardes et autres, ledict religieux fut à l'instant tué de divers coups ; puis ce pauvre religieux est dépouillé et mis à nud à la vue de tout le peuple pour sçavoir si personne ne le pouvoit cognoistre, car plusieurs estipèrent que c'estoit quelque soldat desguisé, paroissant cet acte trop hardi pour un moine. Henri III était donc frappé ; ce fils des Valois tombait sous le couteau d'un jeune homme qui croyait délivrer la cité municipale de Paris et préparer le triomphe de la liberté. On espérait d'abord que Henri III survivrait à sa blessure ; le malheureux prince le pensait lui-même, car deux heures après le méchant coup de couteau, il écrivait à sa femme : Ce matin, estant à mes affaires, et le sieur de Bellegarde seul estant en ma chambre, mon procureur général m'a amené, par mon commandement, un jeune jacobin ; lors ce méchant et malheureux m'a donné un coup de couteau pensant me tuer ; mais Dieu, qui est protecteur des roys et qui n'a pas voul u que son très humble serviteur perdist la vie, a tellement destourné le coup que, grâces à Dieu, ce n'est rien, et que j'espère dans peu de jours recouvrer ma santé, tant par le sentiment que j'en ay en moy-mesme que par l'asseurance que m'en put donnée les médecins et chirurgiens qui m'ont puisé et recognu n'y avoir aucun danger, dont j'ay bien voulu vous adversir, afin que vous ne soyez point en peine par les bruits que l'on pourrît faire courir. Au pont de Sainct-Cloud, le 1er jour d'aoust 1589, (De la main du roi ;) Ma mie, j'espère que je me porterai très bien ; priez Dieu pour moy, et ne bougez de là[14].

Henri adressait de son lit de douleur une lettre au comte de Montbelliart : Mon cousin, mes ennemis s'aidant du zèle que je porte à ma religion et du libre accès et audience que je donne à tous religieux, pauvres gens qui veulent parlera moy, et violant sous ce manteau les lois divines et la foy qui doit estre sous l'habit ecclésiastique, ce malin, un jeune jacobin fut amené par mon procureur-général, pour me bailler, disoit-il, des lettres du sieur de Harlay, premier président en ma cour de parlement. Après m'avoir salué et feignant à me dire quelque chose de secret, j'ai faict retirer les personnes présentes, et lors ce malheureux m'a donné un coup de cousteau, pensant bien me tuer ; mais Dieu qui a soin des siens, n'a voulu que je perdisse la vie, et me l'a conservée par sa grâce et empesché ce damnable dessein, faisant glisser le cousteau, de façon que ce ne sera rien, s'il plaist à Dieu , espérant que dans peu de jours il me donnera ma première santé. Quelques heures après, toutes ces espérances de rétablissement s'évanouirent. Le roy, ayant esté porté en son lict bien soigné et médicamenté par plusieurs médecins et chirurgiens, donnait idée de guérison ; mais sur le soir, la blessure s'aggrava de telle sorte, que les chirurgiens n'espérèrent plus le sauver. Quelle tristesse dès lors parmi les braves compagnons de Henri III ! Le parti royaliste crut nécessaire de constater formellement qu'Henri de Valois, le roi très chrétien de France, allait mourir dans les sentiments catholiques ; il ne voulait point, tout en combattant sous les mêmes cornettes, être confondu avec les huguenots qui suivaient Henri de Navarre. Les royalistes catholiques craignaient l'excommunication du pape, et les fulminations contre la mémoire de leur roi ; ils se hâtèrent de dresser et sceller un procès-verbal particulier sur les circonstances de la mort de Henri III, leur maître et seigneur. Qu'on sçache donc que lorsque nostre roy se sentit blessé, il se recommanda tout aussitost à Dieu comme au souverain médecin ; il demanda à son premier chirurgien quel jugement il faisait de sa plaie, afin qu'il ne fust prévenu de la mort sans avoir recours aux remèdes de l'âme, qui sont les sacrements de l'église catholique, apostolique et romaine, à savoir : la saincte communion du corps et sang de Jésus-Christ et extresme-onction, etc. Sur les deux heures après minuict son mal rengrégea si fort, que luy-mesme commanda au chapelain d'aller prendre le précieux corps de Jésus-Christ, afin qu'estant confessé, dit-il, je le puisse adorer et recevoir pour viatique ; il adjouta : Je veux mourir en la religion catholique, apostolique et romaine ; mon Dieu, ayez pitié de moy et me pardonnez mes péchés, disant : In manus tuas, etc., et ce psaume : Miserere mei, Deus, lequel il ne put achever pour estre interrompu par l'un de nous qui lui dit : Sire, puisque vous désirez que Dieu vous pardonne, il faut premièrement pardonner à vos ennemis ; sur quoi il répondit : Oui, je leur pardonne de bon cœur. — Mais, sire, pardonnez-vous à ceux qui vous ont pourchassé vostre blessure ?Je leur pardonne aussi, et prie Dieu leur vouloir pardonner leurs fautes comme, je désire qu'il pardonne les miennes. Et Henri III expira en disant ces paroles.

Un roi de France mourait encore au milieu des secousses de guerre civile. Henri de Valois n'avait pas encore trente-huit ans ; sa jeune vie avait été grandement remplie, car à dix-huit ans il avait vaincu à Montcontour et à Jarnac ; à vingt-deux il régnait en Pologne, à vingt-quatre en France. Il avait été la véritable personnification de la gentilhommerie de cour, de cette jeunesse folle, dissipée, passant sa vie au jeu, à la paume, au bilboquet, à la chasse, aux mascarades et processions ; muguetant filles et femmes ; puis, courant aux grandes batailles et s'exposant à la mort, comme s'il se fût encore agi de plaisirs. Avec une plus haute capacité militaire qu'Henri de Navarre et le prince de Condé, les ayant toujours vaincus en batailles rangées, il n'avait pas, comme le Béarnais, cette activité des gentilshommes montagnards, celte force de rudesse qui le faisait coucher sur la dure en plein air. Les ministres huguenots, toujours pleins des souvenirs de l'Écriture, aimaient à comparer ses armées à celles de Darius ; et pourtant cette chevalerie efféminée que conduisait Henri, alors duc d'Anjou, avait fracassé les dures cuirasses, les brassards épais des Béarnais et des Allemands. Insouciant, prodigue, Henri pressurait le peuple au profit de la jeunesse dévouée qui mourait pour lui ; comme sa mère, il aimait l'éclat et les fêtes, les jeux, les ris, tout ce qui jette quelque distraction dans une vie agitée. Il était rhéteur, maniait la parole souvent avec noblesse et facilité. Sa figure n'était pas parfaite ; mais il avait cette grâce des bonnes manières, ces formes séduisantes qui le distinguaient même au milieu d'un cortège de brillants jeunes hommes. Indiscret pour les femmes, conteur d'aventures scandaleuses, il passait sa vie à écouter ce petit caquetage, ces causeries de mignon, qui babillaient de leurs bonnes fortunes. Il y avait en lui des charmes, car, entouré de méfiances dans le royaume de Pologne, il était parvenu à s'y faire adorer. En France, les haines étaient trop vivaces, et peut-être cette indolence qu'on lui reproche tenait-elle à la nécessité de ne pas prendre de parti tranché. Les affections de Henri étaient catholiques ; il avait là commencé sa vie et l'on en garde souvenir ; il s'était jeté dans les mesures violentes de la Saint-Barthélemy, s'associant pleinement alors aux Guise. Devenu roi, il s'en sépara, et cela s'explique : il se formait à côté de la couronne une ligue, c'est-à-dire un gouvernement avec ses chefs, ses lois, ses habitudes politiques, ses conditions d'avenir, Ce gouvernement proclamait le duc de Guise ; Henri ne pouvait plus être qu'une figure de roi, s'il n'engageait une guerre avec un concurrent si puissant ; esprit borné, il s'imagina qu'un coup d'état sanglant, qu'un assassinat privant la ligue de sa tête chérie, il n'avait qu'à se substituer au duc de Guise, et que le parti catholique l'adopterait : il se trompa. La ligue brisa sa couronne, et après sa couronne elle chercha son cœur pour le frapper, car Henri de Valois l'excommunié, le persécuteur des martyrs de Lorraine, était désormais en haine au parti catholique. Il y avait eu dans cette vie royale je ne sais quoi de triste et de débauché. Cette amertume du cœur, cette lie au fond de la coupe d'or, ce mélange des idées de dissipation, et de tombeaux se rencontrent dans les âmes épuisées de plaisir. Henri III aimait les images sombres ; des têtes de mort parsemaient ses vêtements ; les ossements des cimetières étaient ses aiguillettes et se mêlaient à ses ordres de chevalerie, comme si la pensée de l'inévitable fin de toutes choses rendait plus vives les émotions, si péniblement réveillées dans les sens émoussés !

Les deux grands faits qui avaient dominé tous les rapports à l'extérieur, pendant les huit mois d'émotions populaires et de dramatiques mouvements de la place publique, étaient l'assassinat des Guise et de Henri III, les deux chefs d'opinions armés et alors en lutte. Les relations de Philippe II avec la maison de Lorraine, ses ambassades officielles auprès du roi de France, tout dut se ressentir de ces scènes tragiques, dernier coup que les partis Se portaient dans leurs excès. Le duc de Guise n'avait cessé d'être jusqu'à sa mort l'expression des intérêts catholiques en France comme auprès du roi d'Espagne. Tandis que l'enfant du Lorrain, le pauvre captif, restait en otage dans les mains du conseil de Henri III, le duc de Mayenne était naturellement appelé à remplacer son frère, ce martyr de la cause religieuse. Depuis longtemps il s'était mis en rapport avec l'Espagnol, et sous le nom de Jacobus, il entretenait une correspondance active avec Philippe H et son ambassadeur à Paris. Quand le duc et le cardinal de Guise tombaient à Blois, le duc de Mayenne écrivait au roi d'Espagne : Sire, si nous avions failli au devoir envers nostre roy, je supplie très humblement votre majesté vouloir embrasser nostre conservation, nous ayder de son auctorité et de ses moyens, en la poursuicte d'une juste vengeance, et considérer, s'il luy plaist, qu'on cherche en nostre ruyne celle de la religion catholique et l'establissement de l'hérésie, au préjudice de la resputation de tous les princes et potentats catholiques, et principalement de vostre majesté. Sire, Dieu à mortslré avoir tel soin des siens, que, au lieu de frayeur et d'estonnement dont on peUsoit que les catholiques dussent estre saisis par le sang et la mort de nos princes, ils ont pris courage et se sont, avec une merveilleuse constance, résolus de s'opposer à tous Iq, desseins, violence et tyrannie du roy, et de ne poser jamais les armes qu'ils n'ayent achevé sa ruine, sans laquelle ils ne peuvent plus espérer de sûreté pour eux ny pour la religion, ayant desjà donné un si grand commencement et progrès à leur juste entreprise que plus des deux tiers du royaume y sont entrés, non seulement du peuple et des grandes et meilleures villes, mais de la noblesse et des principaux seigneurs, et de toutes sortes de personnes d'honneur et de qualité de ceux qui sont les plus zélés à la religion. Défendez donc, s'il vous plaist, sire, ceste cause, non plus comme la cause d'autruy, mais comme la vostre, et le royaume vous en aura perpétuelle obligation. J'ay donné au seigneur don Bernardino, vostre ambassadeur, un mémoire qui contient sommairement l'estat auquel sont les affaires en ce royaume et la très humble supplication que nous faisons à vostre majesté de nous secourir. Elle entendra aussi que le conseil général de l'union des catholiques de ce royaume m'a eslu avec le titre de lieutenant-général de l’estat et couronne de France, ce que, depuis, les autres princes et parlement ont confirmé. J'ay accepté ce qui est du péril, qui est de prendre la charge des armées et de pourvoir aux places où le besoin le requerroit. Philippe, à San-Lorenzo, avait été profondément affecté de la mort du duc de Guise, car il sentait toute la portée de ce coup d'état, capable d'effrayer l'opinion catholique : la sainte union allait-elle se dissoudre ? les états-généraux allaient-ils s'assouplir sous la main qui s'était ensanglantée par une résolution si épouvantable ? Philippe II se hâta de répondre à son ambassadeur à Paris : Don Bernardino, par vostre dépesche du 25 décembre passé et les détails qui y estoient joincts, j'ay appris ce qui est arrivé au duc de Guise et au cardinal son frère, ce que j'ay ressenti profondé : ment, sous tous les rapports, et plus particuhèrement pour la grande perte que faict la religion catholique dans ces hommes qui combattoient pour elle avec tant de valeur, bien quq leur faute ait esté très grande : après tant de raisons qu'ils avoient de se mesfier, pourquoy se livrer et se mettre à la mercy ? Les uns et les autres n'avoient qu'à s'excuser en se rejettant sur leurs occupations, surtout après les advis que vous leur aviez donnés de ma part qui les préservoient tousjours de ce danger. Pauvres princes ! prions pour eux. Pour le moment il est impossible d'arrester une résolution et de fonder un jugement sur les affaires de la France jusqu'à ce qu'on puisse voir la tournure que vont suivre les choses ; tenez-moy au courant de tout et advisez-moy promptement des résolutions que Ton prendra et de ce que vous aurez faict. Il est inutile de parler au roy très chrestien, mon frère, de ma part, il faut attendre ce qu'il me fera dire par Longlée, et ce n'est pas un mal de le laisser parler le premier[15]. J'ay des raisons pour soupçonner que le secrétaire du duc de Guise, à qui on a accordé la vie, ne descouvre les alliés des princes morts ; cependant par vostre manière de vous conduire en toutes choses, vous ne devez craindre aucun danger en vostre personne. Pour ne donner l'idée d'une altération dans vostre crédit, il n'est pas temps encore que vous quittiez l'ambassade ; mais dans quelques jours, selon la tournure que prendront les choses, je vous enverray vostre licence et nommeray vostre successeur. Quant aux papiers et diverses choses que vous avez à Paris, le plus sûr pour le présent doit estre de les laisser dans le mesme endroict, jusqu'à ce que vous trouviez un moment favorable pour les enlever ; dans le cas où vous verriez la chose impossible, il faut vous entendre avec un domestique de confiance pour les sauver : et de toute manière, si vous le croyez plus sûr, faictes-les emporter en Flandres où ils resteront jusqu'à ce qu'on puisse les placer ailleurs. Vous m'advertirez du party que vous aurez pris. — Le roi ajoute de sa main : Si cela vous paroist plus convenable, vous pouvez les faire passer en Italie. Cette dépêche, qui révèle les craintes et les méfiances de Philippe II sur les résultats de la mort des Guise, fut suivie quelques jours après d'autres ordres. Si vous voyez les catholiques hors de crise et en bon chemin de succès, ne dictes rien au roy très chrestien, sans en avoir reçu de moy un nouvel ordre. — J'ay vu le danger auquel vous avez échappé, lorsqu'en sortant de Sainct-Pié vous avez esté esgaré par des guides probablement vendus, et conduict dans deux villages douteux. Je ne crois pas cependant que la meschanceté du roy soit arrivée à ce point de se desclarer si ouvertement contre vous surtout, qui estiez si loin de vous mesfier d'aucun piége. Il sera convenable de vous tenir très soigneusement sur vos gardes, et cela dans l'intérest de vostre sureté. Quand vous aurez demeuré quelques jours à Blois, revenez-vous-en par le Havre-de-Grâce avec les couleurs du bastiment que vous monterez ; si vous aviez au contraire l'occasion de passer à Paris, vous sçavez ce que je vous ay escrit et ce que vous avez à faire des papiers en question ; voyez au surplus le duc de Parme et entendez-vous avec luy pour tout ce qui peut nous estre advantageux[16]. Toujours plus rassuré par les dépêches de son ambassadeur sur l'attitude que prenaient les catholiques, Philippe II ajoutait : Je juge, d'après vos lettres, de l'estat où se trouvent les affaires du roy de France. Il faut faire en sorte de réchauffer sans cesse le zèle et le courage au cœur des catholiques, afin qu'ils ne se laissent point tromper et séduire ; mais il faut faire cela avec toute la finesse et la dissimulation possibles, de telle sorte que ny le roy, ny son entourage ne se doutent le moins du monde de vos menées. Il faut, autant que vous le pourrez, ne pas quitter la personne du roy, afin que l'on ne cherché point des motifs à votre absence ; car, autant qiié vostre sûreté personnelle vous le permettra, c'est là qu'il convient que l'on vous trouve tousjours. Voyez aussi le légat ; sondez-le sur la pensée qu'il conserve de l'union probable du roy très chrestien avec les hérétiques ; mais que tousjours vos paroles respirent le bien de la catholicité tout entière. Prévenez de tout ce que vous ferez le duc d'Ohvarès. Informez-vous aussi de la valeur d'un bruit répandu, celui d'une alliance entre les familles du duc de Montmorency et du mareschal de Joyeuse ; sçachez si les liens d'amitié se sont, comme on le dict, resserrés entre ce duc et le roy par rapport aux guerres du pays de France[17].

Tandis que Philippe n hésitait à se dessiner en présence de faits qui n'avaient pas pris couleur encore, le conseiller du roi Henri III, de Fresne-Forget arrivait à San-Lorenzo avec des instructions secrètes. Son but officiel était de présenter des compliments de condoléance sur la mort de Catherine de Médicis ; mais encore pour donner des explications sur la ligue, pure rébellion à laquelle tous les souverains étaient grandement intéressés pour l'exemple et la conséquence qui en résultent. Pour procéder d'une manière précise dans cette affaire avec sa majesté catholique, le roi très chrétien la prie de lui donner son assistance en trois choses : 1° de lui envoyer un secours de trois ou quatre cent mille écus en numéraire pour l'assister dans ses besoins présens ; 2° il demandera aussi que le roi d'Espagne fasse une démonstration publique par laquelle il témoigne qu'il n'est porté, en aucune manière, à favoriser ceux de la ligue ; 3° sa majesté catholique est priée de faire entendre au pape qu'elle est elle-même bien informée que la ligue n'est autre chose qu'une révolte et une cause de division entre les bons catholiques. Le sieur de Fresne demandera le rappel de don Bernardino de Mendoça, pour les diverses raisons qui ont été rapportées à sa majesté catholique, en déclarant de la part du roi son maître que ce prince est déterminé à ne plus traiter avec lui, et de plus l'admettre ni autour de sa personne, ni à sa suite[18]. Tels étaient les doubles rapports de Philippe II avec les chefs de la ligue et Henri III avant sa mort. Rien n'était dessiné précisément. Le roi d'Espagne voulait voir venir les événements, pour se donner le loisir d'étudier la crise politique et de prendre un parti définitif. Ses penchants étaient pour la ligue ; mais avant de la seconder activement, n'était-il pas essentiel qu'elle s'organisât elle-même, qu'elle formât un ensemble et qu'elle témoignât de ses forces ? Sur ces entrefaites, une dépêche pressée de don Bernardino de Mendoça arriva par courrier à San-Lorenzo : Sire, par mes lettres du 30 du passé, j'ay escrit à votre majesté à quel danger et extrémité se trouvoit réduicte la ville de Paris et la cause catholique. Il a plu à Nostre-Seigneur de nous en deslivrer par un événement si heureux qu'on ne peut l'attribuer qu'à sa main toute-puissante, et qui faict espérer qu'on en a fini avec les hérétiques. Un moine de l'ordre de Sainct-Dominique de Paris partit de ceste ville avec la résolution de tuer le roy pour la plus grande gloire de Nostre-Seigneur, ce qu'il a exécuté le 1er aoust, à huict heures du matin ; il a frappé le roy de deux coups de cousteau au bas-ventre, dont il est mort à deux heures de la nuict suivante. Vostre majesté jugera donc si ce peuple a des actions de grâces à rendre à Nostre-Seigneur pour le bienfaict signalé qu'il vient d'accorder à la religion catholique non seulement en France, mais dans toute l'Europe. Ce qui rend cet événement plus heureux, c'est le descouragement où se trouvoient les bourgeois qui, n'ayant plus d'espérance de secours, refusoient de sortir pour monter la garde aux tranchées, et la disposition où estoient les soldats du duc de Mayenne de passer au roy dans le but de venir piller Paris ; les hommes qui faisoient le service estoient entretenus à force d'argent provenant des marchandises vendues et à force de promesses. Le peu de temps qui me reste ne me permet pas d'exprimer toutes mes pensées à votre majesté ; je le ferai lorsqu'on aura proclamé pour roy le cardinal de Bourbon par la voie des catholiques. Dieu leur fasse la grâce de sçavoir profiter du bienfaict qu'il leur a accordé à eux et à la cause de vostre majesté[19].

C'était pour l'Espagne une situation nouvelle. Le tiers-parti catholique allait s'effacer ; il n'y avait plus en face que deux opinions tranchées. L'organisation des villes municipales s'étendant sur tous les points, la ligue voyait s'agrandir ses forces et sa puissance. Y avait-il encore à hésiter pour Philippe II ? Fallait-il proclamer roi de France le Béarnais, le chef de la chevalerie huguenote, et le roi catholique pouvait-il saluer son implacable adversaire ?

La mort de Henri m soulevait tout entière la question de succession à la couronne. La déchéance avait été prononcée à Paris et dans toutes les villes soumises à l'union ; mais le prestige attaché au nom du loi vivait encore, et la ligue n'avait point osé saluer un monarque de son -choix. Henri IH expirait ; le trône était naturellement en vacance ; quelle résolution allait être prise ? choisirait-on Henri de Navarre, hérétique, relaps, excommunié par le saint père ? ou bien ne valait-il pas mieux couronner quelque noble et digne catholique, le descendant de Charlemagne, le rejeton du Balafré si chéri du peuple, vaillant défenseur de la couronne et de la foi en France ? Sous la tente, ces diversités d'opinions s'étaient produites, même parmi les royalistes qui suivaient la cornette de Henri DI, unie alors avec celle de Henri de Navarre.

Le Béarnais multipliant les témoignages de la plus vive tendresse pour le roi défunt, n'avait pas quitté le chevet de son lit, et les huguenots publiaient hautement et partout qu'avant d'expirer le roi de France avait désigné Henri de Navarre pour son successeur. Le Béarnais se hâta de donner avis de son avènement, de faire acte de royauté dans des lettres qu'il adressa de sa main aux villes et aux officiers qui pouvaient servir sa fortune ; il disait à M. de Montholon : M. le garde des sceaux, la mêsme loy et la mesme prud'hommie qui vous ont contenu en la fidélité que vous avez gardée au feu roy jusques à sa mort, me promettent de vous la mesme loyauté, à moy, votre roy légitime et naturel par les lois de la France, plein de vie, grâce à Dieu, et de volonté, non seulement de vous conserver en la religion catholique, apostolique et romaine, sans y changer aucune chose, mais aussi vous maintenir en tous vos droits et privilèges accoutumés, et vous gratifier en tout ce que je pourrai, selon le mérite de votre loyauté. — Chers et amés, (écrivait-il aux habitants de La Charité) ; puisqu'il a plu à Dieu nous appeler à la succession de ceste couronne, ayant bien délibéré aussi de donner tout le meilleur ordre que faire se pourra à ce qui sera du bien et conservation de l’estat, sans y rien innover, aufaict de la religion catholique, apostolique et romaine ; nous avons voulu escrire la présente pour vous assurer notre bonne intention, à ce que vous soyez d'autant plus confortés à persévérer en la fidélité que vous avez par ci-devant gardée à vostre roy. Les témoignages de sa vénération et de sa reconnaissance pour Henri III furent multipliés après sa mort ; Henri de Navarre voulut que de magnifiques funérailles vinssent attester la grandeur de la perte qu'il avait faite. Une gravure contemporaine reproduit ce convoi funèbre où assistent les huguenots en costume militaire, leur large chapeau sur la tête, leur manteau noué jeté sur les épaules ; tous suivent un cercueil drapé en larmes d'argent fleurdelisées ; ce cercueil se dirige lentement vers Saint-Cloud que l'on voit sur une hauteur comme couvert d'un crêpe. Ces pompes lugubres avaient pour objet de rattacher le parti royaliste à la fortune des vaillants montagnards du Béarn.

Quelques instants avant d'expirer, Henri III, en désignant son successeur, lui avait dit : Soyez certain, mon cher beau-frère, que jamais vous ne serez roy de France, si vous ne vous faictes catholique. Vérité profondément sentie ! la monarchie était catholique ; on n'aurait point souffert un roi huguenot ; mais Henri dq Navarre pouvait,il subitement abandonner sou parti, pour se faire encore une fois transfuge ? A la tête de la noblesse calviniste, devait-il trahir ses intérêts, pour apporter une parole incertaine dans un parti qui n'avait pas confiance en lui ? Ce fut dans l'objet de ménager toutes les opinions, et pour s'attirer les royalistes, que Henri de Navarre, tout en gardant sa croyance réformatrice, publia son grand édit de tolérance : Nous, Henry, par la grâce de Dieu roy de France et de Navarre, promettons et jurons en foy et parole de roy, à tous nos bons et fidèles subjects, de maintenir et conserver en nostre royaume la religion catholique, apostolique et romaine en son entier, sans y innover ni changer aucune chose, soit en la police et exercice d'icelle ; nous sommes tout prests et ne désirons rien tant davantage que d'estre instruits par un bon, légitime et libre concile général et national, pour suivre et observer ce qui y sera conclu et arresté ; et les estats-généraux d'iceluy royaume seront par nous convoqués et assemblés dedans le temps de six mois. Davantage, nous promettons conserver tous les princes, ducs, pairs, officiers de la couronne, seigneurs et tous nos bons et obéissants subjects indifféremment en leurs biens, charges, dignités, privilèges et prééminences ; finalement d'exposer, si besoin est, nostre vie et nos moyens avec l'assistance de tous nos bons subjects pour faire justice exemplaire de l'énorme meurtre , meschanceté, félonie et desloyauté, commises en la personne de feu le roy Henri III de bonne mémoire, nostre très honoré seigneur et frère.

Cette concession s'appliquait aux trois points pour lesquels la ligue était formée : liberté municipale, indépendance des états-généraux, maintien du catholicisme ; et cependant elle n'était point suffisante ! Le parti catholique était trop fort pour n'exister que par concessions ; il voulait dominer, et n'eût accordé qu'avec peine à la réforme cette tolérance que Henri concédait comme une grâce au peuple.

Si Henri IV fut salué roi de France par les calvinistes et ses braves compagnons d'armes du Béarn, la plupart des vassaux attachés à Henri III déclarèrent qu'ils refusaient de servir un roi huguenot ; plusieurs quittèrent l'armée, entre autres le duc d'Épernon qui se retira avec toutes ses troupes dans son gouvernement d'Angoulême. Un tel abandon inquiétait Henri de Navarre ; seul avec sa chevalerie du Béarn, avec sa gentilhommerie de montagne, il ne pouvait rien ; il fallait repasser la Loire, se retrancher dans le Midi. Pressé par les calvinistes, Henri fit contre mauvaise fortune bon cœur : au milieu de ses troupes et en présence des chefs de l'armée, il leur adressa une fière harangue : Messieurs, j'ai esté adverti qu'il y en a quelques-uns de la noblesse de ceste armée qui font courir le bruict qu'ils ne me peuvent faire service si je ne fais profession de la religion romaine, et qu'ils quitteront mon armée, voulant par là essayer si je serois assez pusillanime pour laisser ma religion et mon serment. Je vous ai à ceste occasion faict assembler, messieurs, pour déclarer en vos présences que je suis résolu de ne changer de religion et contrevenir à mes serments, avant d'estre instruit par un sainct concile auquel d'abondant je me soumets ; ne désirant rien tant que telles gens vuident mon armée, aimant mieux cent bons fidèles Français que deux cents tels enfarinés, parce que je m'assure que Dieu est du costé des gens de bien ; et davantage, messieurs, je vous laisse à penser combien il est insupportable à moi, qui suis vostre roy, et qui vous laisse en liberté de vostre religion, qu'il y en ait d'entre vous, voire des moindres, qui s'efforcent à me vouloir ranger inconsultement à leurs frivoles opinions. Cette harangue fit quelque impression sur les uns ; plusieurs persistèrent à ne point obéir à un roi hérétique ; il fallait quelque chose de plus que la vague promesse de la liberté religieuse ! La séparation de ces seigneurs était décisive. A quoi avaient tenu les succès du parti huguenot, cette marche rapide vers Paris, ce siège de la grande cité, ce campement à Saint-Cloud ? tout cela résultait de l'union des catholiques dévoués à Henri IH avec les huguenots du Béarnais. Maintenant, hélas ! ces royalistes s'en séparaient ; l'armée devant Paris perdait cette vaillante chevalerie. Henri de Navarre était compromis en face de l'armée du duc de Mayenne, plus forte, plus considérable. La retraite devenait pour lui une impérieuse nécessité : il divisa son armée en trois corps ; à la tôle du premier, Henri gagna la Normandie, afin de se réunir aux troupes qu'envoyait Elisabeth ; le duc de Longueville, chef du second corps, fut envoyé en Picardie pour résister aux Espagnols, et le duc d'Aumont, commandant la troisième bataille, dut se rendre en Champagne.

Ainsi le résultat que s'était proposé le conseil de l'union par l'assassinat de Henri III était accompli : cet attentat avait dénoué l'alliance impie des royalistes avec les hérétiques ; la mort du roi contraignait la noblesse montagnarde à se retirer dans les provinces ; Paris était libre ! Et ce Paris était tout plein de pompes et de fêtes pour célébrer sa délivrance ; une foule de pamphlets étaient destinés à reproduire les joies du peuple ainsi débarrassé de l'oppression. Le tyran meschant avait méprisé les seigneurs, desdaigné les princes haut titrés ; il avoit poussé aux honneur, dès coquinaux etbélistres ; c'étoit un hypocrite dissimulant son infamie. Voulez-vous sçavoir le testament de cet exécrable tyran ? à d'Épernon, il luy donne une fluste et une bougie ; à Ghastillon un fouet pour estre le postillon d'enfer, où gist l'amiral son père, et la mule de Pacolet, qui avoit été le varlet de madame sa mère. Il existe encore une multitude de gravures reproduisant la mort du roi hérétique sous mille formes diverses d'abord : L'hermitage préparé pour Henry de Valois ; un monstre effroyable, la gueule béante, entouré de nuages épais, est la peinture de l'enfer ; Henry de Valois est au milieu de deux diables desguisés en capucins, qui le conduisent dans le susdict hermitage. Ensuite : Le portrait des charmes et signes de sorcellerie de Henry de Valois, ni du nom, où se voyent une trentaine de cercles au milieu desquels sont gravés certains caractères hébreux, grecs et latins ; les uns estoient contre tous dangers, contre le tonnerre et la tempeste, pour surmonter les malins esprits, pour commander aux diables, ou contre les serpens ; les autres pour se faire aimer des hommes et des femmes, pour ne point estre trahi et ne point craindre les phantosmes. Puis, venait l'adjournement faict à Henry de Valois pour assister aux estats tenus aux enfers, où l'on voyoit un diable à longue queue, huissier infernal, louchant la main à Henri III. Que d'éloges pour le saint, pour le brave martyr qui armé d'un couteau avait tranché la vie à l'Hérode couronné ! Les théologiens et prédicateurs crioient au peuple dans leurs sermons que ce bon religieux ; qui avoit enduré la mort si constamment pour libérer la France de ce chien, Henry de Valois, estoit un vray martyr ; et furent faicts divers escrits et libelles à ce subject. On publiait et chantait par les rues plusieurs complaintes larmoyantes, chansons spirituelles et actions de grâces , Dieu : Ce jeune jacobin avoit vertueusement enfoncé un cousteau bien pointu dans la panse du tyran ; ç'estoit un envoyé du ciel pour sauver l'église du Seigneur et Je peuple catholique. On devait le mettre dans un riche temple, tout resplendissant d'or ; à l'entour de sa luisante effigie, on rappellerait que ci-gist le Clément heureux qui avoit deslivré la France du dernier des Valois, persécuteur du pauvre peuple. Voulez-vous avoir sa belle image le reproduisant trait pour trait ? elle ne coûte qu'un sol tournois : vous en verrez de quatre diverses natures. Il y en a une où se trouve la chanson nouvelle de la finesse du jacobin : Un homme illustre et sainct étoit sorti de Paris, portant une lettre à Henry le vaurien ; il tira de sa manche un couteau bien pointu, dont il frappa le tyran dans le petit ventre dedans son gras boudin ; Lucifer emporte Henry pour servir de compagnie à sa mère catin. On répétait en chœur ce refrain joyeux : Tu ne l'entends pas, le latin, la, la, la ![20]

Et que de bénédictions n'adressait pas le peuple h la sainte mémoire de Clément ! quelle joie ne portait pas au cœur des halles cette mort de Henri de Valois ! On n'avait plus affaire qu'aux huguenots ; plus de souverain tiède et politique ; on pouvait élever un roi véritablement municipal et catholique, un roi de la sainte-union !

En envisageant cette question de succession royale, plusieurs noms devaient également y prétendre : si l'on eût suivi l'avis de messieurs les quarteniers et seize colonels, on aurait prolongé l'interrègne, parce qu'en l'absence de la royauté, le pouvoir municipal grandissait, et qu'en définitive l'autorité restait dans leurs mains ; mais le conseil régulier de l'union, les gros bourgeois, les parlementaires, ne voulaient pas de cet interrègne, et pour échapper à l'autorité arbitraire des quarteniers, ils désiraient un roi catholique, défenseur de leurs immunités. Oh ! si le bon duc de Guise, le brave et digne balafré, eût vécu encore, si le peuple des barricades avait pu saluer sa belle et grande figure, le roi eût été tout trouvé ; les halles, les métiers, les corporations eussent entouré le chef de guerre qui savait mourir pour elle ; mais ni lui ni le cardinal de Guise n'existaient plus ; son fils aîné, l'héritier de des titres, était captif des huguenots dans le château de Tours ; le duc de Mayenne ne pouvait être élu roi à sa place, et d'ailleurs, homme modéré, il n'inspirait pas assez de confiance aux halles ; Mayenne avait déjà la lieutenance générale du royaume ; il gardait une couronne et ne pouvait la poser sur son front ; jamais il n'eût pu se mettre en égales prétentions avec son neveu, l'illustre héritier du guerrier populaire, du martyr catholique.

La concurrence de l'Espagne n'existait point encore. Philippe II pouvait revendiquer la succession des Valois, par son troisième mariage avec Elisabeth de France, fille de Henri II et de Catherine de Médicis ; c'était, comme on le voit, l'abolition de la loi salique. Lorsque le peuple de Paris, au temps des Bourguignons, salua l'Anglais Henri V pour son roi, il n'avait tenu compte de cette loi surannée ; pourquoi n'en était-il pas autant aujourd'hui pour l'Espagnol ? Mais ce parti n'était pas très avoué ; les forces de Philippe II n'étaient pas assez considérables à Paris, quoique plein d'agents secrets de San-Lorenzo. Ce prince favorisait alors l'élection du cardinal de Bourbon, parce qu'en définitive elle ne pouvait être qu'une mesure provisoire qui laissait tous les droits en suspens. Commandeur Moreo, écrit-il à un de ses agents à Paris, la nouvelle de la mort du roy Henry III m'est parvenue ; mais si on doit s'en réjouir sous un point de vue, encore faut-il faire juger aux catholiques que le moment est devenu propice pour résister aux hérétiques que conduit la main du Béarnois. Ce qu'il y auroit de plus advantageux pour nostre saincte cause, seroit de nommer de suite un roy catholique et aussi intéressé à la conservation de la ligue que Test le cardinal de Bourbon : vous le sçavcz assez du reste. Autrement, il va en résulter une confusion dans les opinions, à la faveur de laquelle le Béarnois s'introduira dans Paris. Ce seroit là le pire des maux, auquel vous devez vous opposer par tous les moyens en vostre pouvoir[21].

Le choix du cardinal de Bourbon était donc une transaction et un moyen terme pour accorder toute chose ; ce fut une idée parlementaire qui laissait l'avenir libre de tout engagement. On pouvait, avec indépendance, se tourner à droite et à gauche ; le cardinal était sans lignée ; on reconnaissait les droits de la maison de Bourbon ; on en éloignait les membres hérétiques ; le duc de Mayenne restait lieutenant-général du royaume ; le duc de Guise, mineur, pouvait prétendre à la succession. Le cardinal de Bourbon n'était pas sans capacité ; tète à ménagements, il ne pouvait braver aucun parti ; il était doux de caractère et dévoué catholique.

Cependant Henri de Béarn lui faisait éprouver de durs traitements. Tandis qu'on le faisait roi, le pauvre cardinal écrivait aux princes de Condé et de Conti : Mes neveux, on nous a adverti de nous tenir prest à partir d'icy demain au matin pour aller en tel chasteau qui sera desclaré par les guides et escorte. Je suis prisonnier ; et le danger où je me vois me faict entrer en désespoir. Si vous ne vous employez à ce dessein, chacun pensera que je suis abandonné de tous les miens, desquels j'ay dû espérer consolation et support. Adieu, messieurs mes neveux. Dieu vous veuille conserver.

Le cardinal fut élevé à la dignité royale, ou, pour parler plus exactement, proclamé roi par la succession directe et naturelle : le parlement et le conseil d'union reconnurent ce principe, qu'à l'exclusion de Henri de Bourbon, rejeté par hérésie, son oncle arrivait à la couronne de plein droit ; tous les sujets devaient lui prêter serment de fidélité ; tous étaient tenus de lui donner aide d'argent et d'armes pour le délivrer de la captivité, comme autrefois tous les sujets du domaine de saint Louis avaient contribué à la rançon du roi aux mains des infidèles en Palestine. Le nouveau roi prit le nom de Charles X ; il fut reconnu par toutes les villes de l'union catholique et municipale ; il y eut fêtes et pompes pour son avènement. Personnification du catholicisme, le cardinal de Bourbon fut très populaire ; il fit tous les actes de la royauté, battit monnaies, rendit quelques ordonnances. Dans un scel royal, d'une dimension vaste, le cardinal de Bourbon est reproduit revêtu de ses habits royaux, sa couronne d'or sur la tète, tenant le sceptre et la main de justice ; sa figure est douce et grave ; il y a en lui tout à la fois du sacerdoce et de la dignité de roi : il semble que le graveur ait voulu reproduire cette dernière pensée de l'union catholique, à savoir, que le plus grand progrès de ses opinions était d'élever un prêtre, un cardinal, l'expression de l'église romaine, sur le trône. Pourtant, le conseil de l'union se maintint sous son règne, parce que le catholicisme et la cité voulaient conserver leurs garanties et que le roi était captif. Toutes les formes municipales furent soigneusement préservées ; les quarteniers et colonels gardaient leurs pouvoirs. Tandis que le duc de Mayenne, lieutenant-général du royaume, portait les armes en dehors de Paris, le conseil de l'union et le bureau de la ville prenaient des mesures de surveillance et de répression politique. En quittant Paris, le lieutenant-général publiait une déclaration pour exhorter les bons catholiques à se réunir : En attendant la liberté et présence du roy nostre souverain seigneur, admonestons, requérons, prions et exhortons tous princes, prélats, officiers de la couronne, seigneurs, gentilshommes de quelque état, qualité et condition qu'ils soient, de se joindre, réunir et rallier avec nous, soit pour porter les armes contre les hérétiques, ou se retirer en leurs maisons, esquelles nous leur permettons revenir et demeurer ; à cette fin nous les avons pris et prenons en nostre protection et sauvegarde. Il ne leur sera rien reproché du passé, et tous descrets, sentences et jugemens qui pourroient avoir esté donnés contre eux, sont et seront comme non avenus ; et, pour ce faire, accordons aux susdits le délai d'un mois.

Il y avait donc en France deux têtes couronnées ; l'une saluée par la brave et rude chevalerie de province, l'autre élue par les catholiques et les villes municipales ; l'une, royauté des gentilshommes ; l'autre du peuple : elles allaient se trouver en présence dans la lutte. Et cette royauté de Charles X, de ce prince captif des huguenots, était immédiatement reconnue par Philippe II, qui écrivait encore à son ambassadeur don Bernardino de Mendoça : Sa majesté se resjouit sincèrement de l'eslévation au throsne du cardinal de Bourbon ! elle félicite don Bernardino des secours qu'il luy a prestes en toute circonstance, et il ne doit rien négliger pour que Charles X puisse librement exercer ses fonctions royales. Il faut exhorter tous les gentilshommes et villes catholiques de France, de la part du roy, à demeurer unis et d*accord pour le bien commun. Le cardinal de Bourbon, en acceptant la couronne, doit maintenir et accomplir ponctuellement toutes les conditions de la ligue. Que tousjours on maintienne dans sa charge supresme de lieutenant-général du royaume, le duc de Mayenne ; c'est un dédommagement bien mérité par les peines qu'il a prises et les succès que luy doit la cause saincte. On doit honorer également la personne du duc de Guise présent, comme le méritent la mémoire et le sang de son père et de son oncle, martyrs tous deux de la religion. L'ambassadeur ne manquera pas d'insinuer adroictement les droicts de l'infante, droicts que luy ont acquis les alliances et mariages de familles royales ; il revendiquera les autres droicts qui ont esté ravis à la couronne d'Espagne. Mais tout cela doit estre dict sans importance, avec une bonne dissimulation[22], pour sonder le terrain et les esprits, et voir quel effect cela produira, sans toutefois indisposer personne.

Puis, est écrit en post-scriptum de sa main même de Philippe II : Le bruit court que le Béarnois auroit l'intention de se convertir..... ! ! mais que les catholiques se tiennent en garde contre ceste prétendue sincérité ; qu'ils n'admettent point la conversion, sans se consulter entre eux, sans demander au pape surtout s'il ne pense pas que c'est le loup qui veut se revestir de la peau de la brebis[23], pour faire ensuicte un carnage plus grand et plus sûr parmy les catholiques.

Dès que Henri de Bourbon s'était déterminé à passer la Loire pour entrer en campagne régulière contre la sainte-union Catholique, il avait dû s'assurer toutes les vieilles alliances calvinistes, afin de seconder le mouvement militaire. Jamais Elisabeth n'avait manqué au prince de Béarn ; elle avait stipulé des subsides d'hommes et d'argent, de braves archers, de vigoureux arquebusiers. Le vicomte de Turenne s'était rendu en Angleterre muni de pleins pouvoirs pour obtenir les secours de la reine, la protectrice de la réforme, appeler surtout l'intervention de cette puissante princesse auprès des électeurs luthériens de la Germanie, presser enfin l'envoi de quelques milliers de reîtres et de lansquenets. Les querelles religieuses n'avaient plus en Allemagne cette grandeur d'intérêt, cette puissance politique du commencement du seizième siècle. La plupart des petits princes d'Allemagne étaient pauvres, besogneux ; les électeurs et vassaux vendaient leurs reîtres ou lansquenets au plus offrant, et avec une sorte d'oubli et de dédain de leur propre croyance, On trouvait des lansquenets dans les deux camps, et sans tenir compte d'une nationalité politique ou d'une conformité de symboles, tout était traité au prix des subsides. C'était par l'intermédiaire de la reine Elisabeth que Henri de Béarn négociait en Allemagne ; pauvre cadet de Gascogne, quelle garantie eût-il pu offrir pour la solde des troupes ? Plein de reconnaissance, le Béarnais écrivait à sa vieille protectrice : Madame, nous avons une très grande obligation envers vous, comme principal motif du bien qui nous peut arriver, dont nous vous remercions très affectueusement ; nous désirons que tout soit conduict par vos bonnes instructions et commandements[24]. Dans de telles dispositions politiques, la reine Elisabeth s'était hâtée de reconnaître la royauté de Henri IV et sa légitime succession à la couronne. Un ambassadeur spécial fut accrédité auprès du roi des calvinistes en France.

Venise avait conservé de nobles et bons rapports avec Henri III ; elle tenait à cette alliance, auxiliaire essentiel contre l'Espagne, Rome, Naples et l'Autriche, ses naturels ennemis ; et puis, le sénat avait souvenir de cette magnifique et joyeuse réception du roi de Pologne au milieu des lagunes de Venise, de ces fêtes de gondoles et d'amour, où Henri III s'estoit esbattu d'une manière si agréable. A la mort du dernier des Valois, Henri, son successeur, écrivit son avènement à la république, sa fidèle alliée. Ce ne fut qu'après deux jours de délibération dans le sénat que les Vénitiens reconnurent enfin Henri IV, malgré les efforts des ambassadeurs du roi d'Espagne, du duc de Savoie, du nonce du pape. Quelques sénateurs étaient d'avis de ne pas trop se hâter, pour ne point offenser le pape qui avait excommunié Henri ; mais le grand nombre l'emporta. La politique de Venise lui faisait regarder le rétablissement de la puissance française comme l'équilibre sur lequel le repos de l'Europe était fondé. La république ordonna à Jean Moncenigo, son ambassadeur, de se rendre à Tours auprès de Henri, pour le complimenter sur son avènement à la couronne, et elle déclara en même temps au sieur de Maisse, ambassadeur de Henri ni à Venise, qu'il pouvait demeurer auprès d'elle jusqu'à ce que le nouveau roi eût fait connaître ses intentions. La résolution du sénat fut apprise par le peuple avec une grande joie ; elle détermina au même parti les ducs de Mantoue et de Ferrare, qui firent l'accueil le plus favorable au duc de Luxembourg, passant alors pour se rendre à Rome où il était envoyé auprès du pape par les catholiques royalistes.

A côte de l'alliance de Venise et de quelques petits princes d'Italie, il en survint une autre plus curieuse, mais qui était d'un grand poids alors dans le mouvement européen. L'empire musulman, cette haute tête que le moyen âge catholique n'avait pu abattre dans les croisades, s'était élevé à toutes ses splendeurs aux quinzième et seizième siècles ! Ennemi naturel du roi d'Espagne et de la maison d'Autriche, il avait cherché ses plus antiques alliés en France et les avait trouvés depuis François Ier. Le sultan ne pouvant reconnaître la ligue, qui aurait jeté la couronne de France dans le mouvement espagnol, Amurat se tourna vers Henri IV, et un firman en lettres d'or lui fut adressé : Amurat, par la grâce du grand Dieu, très grand empereur de Constantinople, de Syrie, Asie, Arabie, Jérusalem, Europe, seigneur de la maison des Ottomans, et de tous les princes d'Asie et d'Afrique, souverain dominateur de la mer ; à toy Henry de Navarre, issu de la race invincible des Bourbons ; je désire salut et heureuse lin pour ce que tu ès très clément et débonnaire et que tu as esté délaissé en bas âge ; la renommée a esté jusqu'à nous de la grandeur de ton courage, magnanimité, et que don Philippe de la maison d'Autriche, favorisant aucun de tes ennemis, tasche de te priver de la succession légitime qui t'appartient au royaume de France qui est de nostre alliance et confédération, en haine de ce que tu délestes les faux services dos idoles, très desplaisantes au grand Dieu, pour tenir purement ce que tu tiens qui est le meilleur du monde ; je te fais assavoir qu'ayant en horreur cette cause qui ne tend qu'au profit particulier de ceux qui se sont eslevés contre toy, je veux prendre la protection et tellement dompter la follie de tes ennemis et de l'Espagnol qui t'occupe injustement le royaume de Navarre dont tu portes le titre, qu'il en sera mémoire à jamais, et te rendant victorieux, je veux te restablir avec ma puissance redoutable par tout le monde, au grand espouvantement de tous les roys, ayant moyen de les réduire en telle extresmité qu'ils ne te feront jamais ennuy. Il m'importe de savoir si tu l'as pour agréable ; et pour assuré tesmoignage de ma bienveillance en ton endroict, je t'enverray deux ; cents voiles surgir au port de Aiguemortes aussi promptement que la nécessité le requerra[25]. La situation de Henri IV ne lui permettait pas de refuser des auxiliaires aussi puissants ; mais comment cette alliance avec les infidèles allait-elle être jugée par le parti catholique, par les ferventes âmes qui brûlaient du même esprit que les pieux pèlerins du douzième siècle marchant à la Palestine ? Henri s'occupait peu de l'impression qu'un secours de telles armes allait produire ; il appelait alors les batailles ! Ainsi que nous l'avons dit, une portion de l'armée royaliste et catholique s'étant séparée des huguenots, Henri de Navarre avait fait sa retraite en Normandie. Le Béarnais n'était pas en force avec sa gentilhommerie, ainsi réduite, pour lutter contre l'armée de la ligue et les villes municipales. Son plan était d'attendre, dans une position fortifiée, le débarquement des Anglais d'Elisabeth, qui arrivaient sur le continent. Les dépêches de Londres annonçaient le prochain départ de lord Willoughby, à la tête de quatre mille Anglais, bons arquebusiers qu'Elisabeth avait promis ainsi qu'un subside de vingt mille livres sterling. Avec ce secours Henri devait reprendre l'offensive et se porter rapidement sur la capitale.

Le duc de Mayenne était sorti de Paris avec son armée de communes et de gentilshommes catholiques et marchait à son tour vers la Normandie, dans le double dessein de battre les huguenots, et surtout d'empêcher la jonction des Anglais et de Henri de Navarre. S'il était vaincu, il devait, se jetant à droite, occuper la Picardie pour se joindre aux secours promis par le duc de Parme. Henri de Navarre, dans cette position difficile, s'empressa de rappeler ses deux armées de Picardie et de Champagne sous les ordres du duc de Longueville et du maréchal d'Aumont. Ses forces ainsi réunies, il se retrancha dans Arques, pendant que le duc de Mayenne poursuivait sa marche victorieuse dans la Normandie, s'emparant de Gournay, de Neufchâtel. Celui-ci fit mettre son armée en bataille, et, au milieu de la nuit, elle passa la petite rivière, afin de forcer les retranchements huguenots à la pointe du jour. Henri de Navarre, averti de tous ces mouvements, distribua les diverses troupes, et laissa le maréchal de Biron avec les compagnies de MM. de Chastillon et de Malligny au haut de la tranchée. La première attaque eut lieu sur ce point, laquelle fut très bien soutenue par ledict sieur de Biron de qui les yeux seuls valloient la force et les bras de deux mille autres. Les soldats du duc de Mayenne pénétrèrent cependant dans les retranchements. M. de Montpensier avec sa cornette de gens d'armes estant survenu, plus le sieur de Chastillon avec un rafraischissement de cinq cents bons arquebusiers anglais, lesdicts ennemis furent contraincts de se retirer ; aussitost M. de Montpensier fit advancer deux pièces de canon qui tirèrent sur l'ennemi pendant tout le temps de sa retraite. Dans cette action, la plus sérieuse du combat, les troupes catholiques avaient eu le dessous. A toutes les autres attaques, le duc de Mayenne ne fut pas plus heureux ; la brave gentilhommerie huguenote soutint sa réputation glorieuse. Henri de Navarre, bouillant de courage, brave compagnon de chevalerie, donnait partout l'exemple ! Et qu'avait-il à perdre ? devant lui était la couronne, un beau royaume à conquérir ! Quand ses soldats se sentaient faiblir, hardi cadet de race, il se précipitait au milieu d*eux et disait quelques-unes de ses héroïques et joyeuses gasconades. Ce vieux sang des montagnes, cette force, ce courage d'une vie active, triomphèrent de la tactique hésitante du duc de Mayenne, épais de taille, lent à se mouvoir en face de ces gentilshommes qui caracolaient autour de ses carrés de lances et d'arquebuses. La chevalerie provinciale était restée maîtresse de ses retranchements ; les communes se dégoûtaient ; la saison des pluies avait rendu les chemins impraticables. Les parisiens s'étaient vus forcés à la retraite, et la jonction des Anglais et de Henri de Navarre put s'effectuer sans difficultés : leurs cornettes parurent unies dans la plaine. La campagne commençait donc sous de bons auspices pour Henri ; il fallait mettre à profit l'ardeur toute guerrière des gentilshommes. On n'avait pas d'argent, aucune paye ; n'était-il pas simple de se saisir de quelque bonne ville, pour la livrer à la discrétion avide des camps ? Tous ces valeureux aventuriers du midi n'étaient pas riches ; les vingt mille livres sterling payés par Elisabeth ne pouvaient aller bien loin ; le pillage seul satisferait leurs besoins urgents, leurs dissipations martiales.

Par une pointe rapide et secrète, toute l'armée de Henri de Navarre se porta sur Paris ; les faubourgs furent pris et pillés : A l'aurore du premier jour de novembre, ils furent tellement attaqués, qu'en moins d'une heure ils furent tous emportes avec meurtre de sept ou huit cents hommes de ceux qui estoient venus à la desfense, perte de quatorze de leurs enseignes et prise de treize pièces de canon, tant grosses que petites. Ces malheureux faubourgs furent abandonnés à là fureur des soldats ; un affreux pillage suivit les scènes de sang. Henri de Navarre entra dans le faubourg Saint-Jacques sur les huit heures du matin, et s'avança jusqu'à la triste tour de Nesle baignée par les eaux de la Seine. Des ordres avaient été donnés pour qu'on épargnât les églises et les monastères ; on dut respecter les vases sacrés et les ornements ecclésiastiques.

Dans ce péril de leur cité, les bons habitants de Paris prirent unanimement les armes. Pourtant, que de mesures de précaution avaient été prises ! De par les prevost des marchands et eschevins de la ville de Paris, M. d'Aubray, colonel au quartier de Sainct-Severin ; nous vous prions et ordonnons que pour la garde et sûreté de cette ville, vous envoyiez par chascun jour, trois compagnies bien armées de bourgeois, aux remparts et tranchées qui sont depuis la porte neuve jusques à la porte de Montmartre, pour y faire bonne garde durant le temps que les ennemis seront ès environs de ladicte ville[26]. Il est enjoinct aux habitans de la Courtille de couper présentement toutes les bayes de leui's jardins à la hauteur de deux pieds ou environ ; et sur Tadvertisseraent certain que nous avons du retour de l'ennemi en intention d'assiéger ceste ville, vous ayez à mander, de par nous, tous les capitaines qui sont sous vostre charge, auxquels vous enjoindrez de faire cy-après bonne et sûre garde par chascune nuict. — A la fin du mois d'octobre, les prévôt des marchands et échevins prirent diverses mesures de sûreté. On assigna des places de bataille à chaque colonel à la tête de leurs nombreuses compagnies. MM. d'Aubray et Pigneron durent se tenir en la place Maubert ; les sieurs de Compans, Pacart et Boursier campèrent au bout du pont Saint-Michel ; le sieur Dufresnoy à la croix du Tiroir ; les présidents de Neuilly, Luil-lier et Feuillet en la grande place de Grève, en face de l'hôtel-de-ville ; les présidents Champrond, Dufour et Midorge au cimetière Saint-Jean ; le président Dublanc-Mesnil et de Grand-Rue au lieu des Tournelles, et les sieurs de Costeblanche et Trousson au cimetière des Saints-Innocens. Aucun bourgeois de la ville ne put sortir sans passeport bien et dûment signé par les membres du bureau. Quarteniers, transportez-vous présentement par toutes les églises de ceste ville et fauxbourgs pour advertir messieurs les curés, marguilliers et autres chefs des églises, qu'il ne soit aucunement sonné de cloches, sinon pour appeler le peuple au service. 31e octobre. — Il est enjoinct à tous les colonels et capitaines de ceste ville faire promptement abattre tous les auvens ; appeler tous leurs bourgeois en armes, et faire tenir des tonneaux pleins de terre le long des maisons pour les ranger, si besoin est ; avec desfense toutesfois de poser des barricades sans l'exprès commandement des prevost et eschevins. 31e octobre. — M. d'Aubray, colonel, nous vous prions incontinent, la présente reçue, commettre un bon bourgeois de cbascune des dixaines qui sont sous vostre colonnelle, pour aller tout présentement et en la plus grande diligence que faire se pourra, par devers tous les bons bourgeois desdictes dixaines, les prier de donner pour cejourd'huy telle quantité de gros ou petits pains qu'il en faut et qu'ils pourront commodément, pour la nourriture des gens de guerre arrivés en ceste ville pour la secourir. Sire Robert Daves, quartenier, enjoignez à tous les dixainiers de vostre quartier de eux transporter par toutes les maisons et chambres, pour prier tous bourgeois et habitans de cbascune dixaine de délivrer pots de fer, vieilles chaudières, pestards, marmites rompues et cassées et autres matières et métaux de fer, de fonte qu'ils auront, pour le tout faire porter en la maison d'un chascun dixainier pour aucune chose très nécessaire à la desfense de la ville. 14e novembre. — Pour empescher les dégâts et ruines des maisons estant aux fauxbourgs de ceste ville, lesquelles sont journellement desmolies par les Suisses y estant en garnison, et le bois d'icelle bruslé à cause de la froidure ès corps-de-garde desdicts Suisses, est ordonné que par les habitans de ceste ville sera fourni auxdits Suisses, par chascun jour, une voye de bois, seulement durant le temps de leur séjour ès dicts fauxbourgs, et pour cet effect les quartiers d'icelle ville fourniront l'un après l'autre une voye de gros bois, à raison de soixante busches par voye. Il est enjoinct à tous les bourgeois, manans et habitans de la ville et fauxbourgs de Paris, de se garnir et faire provision en toute diligence, d'une arbaleste, d'une pelle et d'une hotte pour employer aux fortifications de cestedicte ville, aux prochains jours et sitôt qu'il leur sera commandé. 18e novembre. — Messieurs les quarteniers, nous vous prions de vous transporter par toutes les maisons de vostre quartier, en présence de vos dixainiers, pour les prier de semondre, d'aider et secourir de leurs moyens, soit en argent comptant ou autrement, les pauvres soldats suisses ou autres estrangers, lesquels sont à présent malades ès fauxbourgs de ceste ville, sans aucune commodité de vivres, s'ils ne reçoivent quelques bienfaicts et charités des catholiques et affectionnés au parti de l'union, pour le service desquels ils ont quitté leurs biens, leur patrie, leurs femmes et enfants, ce qui doit esmouvoir un chascun à leur bien faite et ayder. 21e novembre.

Malgré ces précautions, les faubourgs furent pillés par les troupes royales unies aux Anglais ; le respect pour les églises, si impérieusement commandé par Henri de Navarre, tenait À la nécessité qu'avait ce prince de ménager le parti catholique. Quelques braves et dignes gentilshommes de cette opinion étaient restés sous sa tente ; il voulait se lès attirer, grouper autour de lui tout ce qui n'était pas ligueur inflexible. Henri de Navarre avait plus besoin alors que jamais de valeur et de politique ; le territoire sur lequel il combattait était tout dévoué à une foi religieuse qui n'était pas la sienne ; au moindre engagement, les communes prenaient les armes et tombaient sur les huguenots au son du tocsin. Ainsi, à cette valeur innée dans son âme éprouvée par tant de fatigues, Bourbon joignait cette conviction profonde de la nécessité de vaincre ; c'est ce qui explique souvent ces beaux désespoirs au milieu des batailles qui ont rendu célèbre le nom du Béarnais et lui assurèrent la victoire. D'ailleurs, Henri n'avait qu'à montrer à quelques gentilshommes ses cornettes blanches pour commander la guerre. M. de Mayenne, au contraire, devait concerter ses opérations militaires avec le conseil de l'union, les parlementaires, les bourgeois, les quarteniers ; et cela donnait à ses mesures militaires de l'hésitation et de l'embarras ; on avait des idées de trahison, des volontés téméraires ; à sa place, le général le plus consommé eût pu faire ainsi des fautes ; et puis, les communes parleuses et bourgeoises pouvaient-elles résister à la rude chevalerie des montagnes, si pleine de vigueur et d'énergie ? Ces circonstances expliquent la plupart des victoires de Henri de Navarre ; ce prince n'avait aucune tactique ; Biron et La Noue seuls dressaient les plans de campagne, arrêtaient les mesures de guerre. Henri, brave et hardi compagnon, se précipitait avec courage sur le champ de bataille ; il se mêlait à tous les dangers, mais sans prévoyance, sans combinaison. Tout pour lui résidait dans les combats corps à corps.

Si l'entreprise d'Arques n'avait point réussi, l'armée du duc de Mayenne n'en était pas moins restée forte ; c'était seulement pour elle un coup manqué, comme la pointe de Henri de Béarn sur Paris. La retraite de l'armée catholique en Picardie n'était destinée qu'à favoriser sa jonction avec quelques bandes espagnoles envoyées par Philippe II ; rien n'était décidé. Un corps de onze cents lances, sous les ordres du comte d'Egmont, marcha de la Flandre, pour se mettre à la disposition du duc de Mayenne ; Philippe II avait également promis des subsides, la solde de trois milles Suisses et de quelques lansquenets qui servaient sous la bannière de la sainte-union. L'hiver se passa en négociations des politiques, en rapprochements. Mais au mois de février, les cloches de la cathédrale de Paris annoncèrent le départ de l'armée catholique pour la Normandie.

L'argent manquait au duc de Mayenne, et comme son armée active comptait des mercenaires mécontents, cette circonstance jetait du désordre dails toutes ses opérations. Le 7 mars 1590, le duc de Mayenne écrivait au commandeur Moreo, l'agent du roi d'Espagne auprès de l'armée confédérée : Je vous conjure, au nom de Dieu, de vouloir venir en la plus grande diligence qu'il vous sera possible avec l'argent, et en attendant escrivez auxdicts estrangers pour les assurer du payement[27]. Et le 9 mars il ajoutait : Comme j'estois sur le poinct de marcher aux ennemis et lever le siège de Dreux, je viens de recevoir une nouvelle protestation de nos Suisses. Jugez, je vous supplie, la peine en quoy je suis, et combien ce m'est de désespoir de cognoistre le peu de secours que je reçois en ceste extresmité. Je vous en ay adverty et importuné mille fois, et ne vois pas que vous en preniez le soin que mérite l'importance de l'affaire. Ces peines, ces inquiétudes, le duc de Mayenne les exprimait quelques jours avant la bataille d'Ivry, qui décida la question militaire de la campagne et avança si puissamment la question politique de la succession à la couronne. L'armée du duc de Mayenne était supérieure en nombre, car il fut jugé qu'ils estoient plus de quatre mille chevaux et de dix à douze mille hommes de pied. Henri, aidé du maréchal de Biron, avait dressé son plan de bataille, et son armée, divisée en sept escadrons, présentait l'effectif suivant : Le premier escadron, sous les ordres du mareschal d'Aumont, pouvoit estre de trois cents bons chevaux flanqués de deux régiments d'infanterie ; le second, commandé par M. de Montpensier, avoit le mesme nombre de chevaux ; à sa gauche, quatre ou cinq cents lansquenets ; à sa droite, un régiment de Suisses ; la cavalerie légère, forte de quatre cents chevaux, estoit non loin de l'artillerie qui se composoit de quatre canons et deux couleuvrines ; le quatrième escadron, ayant pour chef le baron de Biron, comptoit deux cents cinquante chevaux ; le cinquième escadron estoit celuy du roy, fort de six cents chevaux rangés sur cinq rangs, et entouré de quatre bataillons de Suisses et des régiments de ses gardes ; le mareschal de Biron commandoit le sixième, fort de deux cent cinquante chevaux et de deux régiments d'infanterie ; le septième enfin estoit l'escadron des reistres, ayant aussi deux cent cinquante chevaux et entouré d'infanterie. Le prince de Conti arriva peu après avec sa troupe de cavalerie et quelque infanterie. Les deux armées se rencontrèrent à Ivry, près Dreux, quelques jours après les tristes lettres du duc de Mayenne ; et le 15 mars 1590, elles étaient en présence. Le combat s'engagea terrible : l'armée catholique s'était développée sur une hauteur ; les treize cents lances de Flandre formaient un escadron épais où brillaient les cornettes du duc de Nemours et du chevalier d'Aumale ; deux régiments suisses, couverts par de l'infanterie française, s'étendaient en corps de bataille. L'armée de la ligue, dit le récit officiel, estoit plus chargée de clinquants d'or et d'argent sur les casaques ; celle du roy l'estoit plus de fer, et ne se pou voit rien voir de plus formidable que deux mille gentilshommes armés à nud, depuis la teste jusques aux pieds.

L'affaire commença par une canonnade de M. de La Guiche, quelques escadrons de l'armée de la ligue s'étaient avancés sur le canon, le maréchal de Biron les reçut avec bonne contenance ; et alors s'ébranlèrent les lances wallonnes ; elles marchaient en corps, précédées de quatre cents arquebusiers à cheval, le morion en tête, croisant leur fer pour cribler de balles les cavaliers qui caracolaient autour des Espagnols. Henri s'était précipité le premier à la tête de son escadron dans le fort de la mêlée ; il frappait d'estoc, de taille. Quelle puissance de corps et de bras dans ces braves chevaliers des montagnes ! Leur épée était lourde, leur pistolet de gros calibre ; la canonnade de la Guiche foudroyait les plus épais carrés de lances, et en moins de rien on vit le dos de ceux qui venaient de présenter si furieusement leur visage : ils eurent recours à la vitesse de leurs jambes. Ce commencement de victoire ne pouvoit encore resjouir l'armée, ne voyant point nostre Henry IV. Mais aussitost on l'aperçut de loin, couvert du sang de ses ennemis, sans que Dieu mercy ils eussent vu une goutte du sien, encore qu'il fust assez remarquable par un grand panache blanc qu'il avait à son accoustrement de tête, et un autre que portoit son cheval. Arrivé qu'il fust, il se fit de toute l'armée, en signe d'actions de grâces à Dieu de ce qu'il estoit sain et sauf, un cri universel de vive le roy ! La bataille de lances wallonnes, une fois ébranlée, comment le reste de l'armée de la ligue, ramassas de forces municipales, aurait-il résisté aux Anglais réguliers de lord Willoughby, à la vieille et forte chevalerie du maréchal de Biron qui formaient le corps de réserve ? Le duc du Mayenne ne pouvait plus compter que sur les Suisses. Dès lu commencement du combat, privés de solde, ils n'avaient pas voulu donner pour secourir les gardes wallonnes. Ils s'étaient formés en bataillon carré, leurs arquebusiers aux quatre coins, leurs pièces d'artillerie au centre, attendant la fin de la charge. Quand la victoire se fut décidée pour Henri de Navarre, ils restèrent dans leur ordre, sans quitter leurs rangs. Henri parlementa avec eux ; il est même à présumer qu'avant la bataille des promesses leur avaient été faites, car ils passèrent tous, par une trahison inouïe, dans le camp huguenot, et se tournèrent contre la bourgeoisie qui pourtant les avait si bien accueillis dans Paris ; ingrats montagnards, toujours intéressés pour les bons écus d'or ! Ceci décida de l'affaire.

L'armée du Béarnais, victorieuse, poursuivit le duc de Mayenne et ses troupes en déroute jusqu'aux portes de la ville de Mantes qui servit de refuge aux vaincus. Les catholiques éprouvèrent des pertes immenses : la retraite, faite sans aucun ordre, leur fut surtout meurtrière ; rien ne put résister à cette ardeur de la victoire qui animait la gentilhommerie huguenote. Le résultat du combat était décisif ; il donnait une puissance morale à l'armée calviniste ; il effrayait Paris, en fortifiant le parti politique qui envisagea dès lors un terme au pouvoir municipal, par l'acceptation de la royauté de Henri de Navarre. La bataille d'Ivry livrait d'ailleurs la Normandie à Henri IV ; désormais maître d'un pays riche, abondant, il pouvait de là se précipiter sur Paris, sur le grand siège de la ligue. Les communications si essentielles avec l'Angleterre étaient désormais assurées ; chose capitale, car les rapports avec le midi étaient entièrement interrompus pour l'armée calviniste : le duc de Mercœur, indépendant dans la Bretagne, s'était emparé des passages ; la plupart des grandes cités se proclamaient pour la ligue. Henri n'avait que Tours, Blois, Caen, et encore au premier échec ces villes pouvaient lui échapper : c'était pour lui une nécessité de vaincre ; son armée était comme un corps d'aventuriers jetés dans les provinces centrales et entourés d'ennemis qui l'attaquaient et le pressaient dans tous les sens. La victoire pouvait seule le sauver ! Il l'obtint à Ivry.

 

 

 



[1] Journal des choses advenues à Paris depuis Je 23 décembre 1588, jusqu'au dernier avril 1589.

[2] Journal de Henri III, tom. II, p. 177.

[3] On peut comparer cette organisation à celle de la commune et du département à la première époque de la révolution française.

[4] Registre de l'hôtel-de-ville, tom. XII, fol. 296.

[5] On lit dans le Journal de la ligue : Messieurs de la ville déléguèrent vers ce maudit tyran de roy plusieurs personnes, entre autres M. Lemaistre, président en la cour, lequel se mit en bon estat, et fit son testament avant que partir, afin que si ce tyran le vouloit faire mourir, qu'il fust en bon estat. — Journal des choses advenues à Paris depuis le 23 décembre 1588, etc.

[6] Registre de l'hôtel-de-ville, XII, fol. 335 à 337.

[7] Bibliothèque royale : Mémoire du règne du roy Henri III pendant la ligue, coté 8866, fol. 207. Mss.

[8] C'est un curieux rapprochement à faire que l'adoption de ce scel d'un gouvernement provisoire avec celui qui fut adopté après la déchéance de Louis XVI en 1792.

[9] Registre de l'hôtel-de-ville, XII, fol. 303.

[10] Registre des états de Provence, mss. fol. 147-148.

[11] Tours, 26 avril 1589. — Registre du parlement, vol. XXXIX, fol. 10.

[12] Monsieur le Lièvre, plaise vous trouver demain midy précisément en l'hostel de ceste ville, pour nous accompagner à la cérémonie du baptesme du fils de feu monseigneur le duc de Guise, vous priant n'y vouloir faillir. 6e février 1589. (Pareil mandement aux quarteniers et conseillers.) Registre de l'hôtel-de-ville, XII, fol. 276.

[13] Registre de l'hôtel de ville, vol. XIII.

[14] Mss. de Béthune, vol. cot. 8966, fol. 66.

[15] Y sera bien entender primera esto.

[16] Archives de Simancas, cot, A 57. — 19 Janvier 1589.

[17] Archives de Simancas, cot. A 57. — 12 avril 1589.

[18] Archives de Simancas, cot. B 61.

[19] Archives de Simancas, cote B 62. — 2 août 1589.

[20] Volume des gravures de la ligue, (Bibliothèque royale.)

[21] Archives de Simancas, cot. A 57.

[22] Con bona dissimulacion.

[23] Que quere se vestir et lobo de piel de oveja.

[24] Mss. de Béthune, vol. cot. 8682, fol. 117.

[25] Archives de Simancas, cot. B. 64 ; et Mss. de Béthune, vol. cot. 9037, fol. 22. Philippe II avait eu copie de cette lettre.

[26] Registre de l'hôtel-de-ville, vol. XIII.

[27] Archives de Simancas, cot. B 67.