FRANÇOIS Ier ET LA RENAISSANCE. 1515-1547

TOME QUATRIÈME

CHAPITRE V. — LA GUERRE JUSQU'À LA TRÊVE DE DIX ANS.

 

 

Joie du peuple après la délivrance du territoire. — Actes du roi. — Ses projets de confiscation. — Intervention de la judicature. — Arrêt du parlement contre Charles-Quint. — Guerre de Picardie et de Flandre. — Négociation simultanée de la reine Éléonor et de Marie d'Autriche. — Trêve de dix mois. — Campagne de Piémont. — Départ du roi et du Dauphin. — Projets de Soliman II et de François Ier sur l'Italie. — Inquiétude du pape. — Il envoie des légats à Paris. — Nouvelle démarche de la reine. — Le pape, l'empereur et le roi à Nice. — Conférences. — Propositions réciproques. — Impuissance de rapprochement. — Idée d'une trêve décennale. — Pacte. — Nouvelle entrevue de François Ier et de Charles-Quint à Aigues-Mortes. — L'empereur à Marseille.

1537-1539.

 

Après la vive émotion que les Parisiens avaient éprouvée à l'approche de l'ennemi de la Somme sur l'Oise, il dut se manifester parmi eux une grande joie, lorsqu'ils apprirent que l'armée impériale, s'éloignant à marches forcées, rejoignait les frontières de Flandre, sur la simple nouvelle do la retraite de l'empereur dans le territoire piémontais. Les habitants de Paris apprirent également que le roi levait ses camps de Valence et d'Avignon pour se portera la tête d'une armée nombreuse dans la Picardie et la Flandre, de manière à rendre impossible toute nouvelle tentative des Flamands contre la cité. Il y eut à cette occasion des feux de joie, des fêtes splendides à l'hôtel de ville ; on fit couler des fontaines de vin sur tous les marchés, et plus la frayeur avait été grande, plus la joie fut vive ; les échevins des corps de métiers firent de longues harangues. Rien ne peut être comparé à la digne popularité du cardinal du Bellay, qui avait donné l'impulsion au mouvement patriotique des Parisiens.

Cet entraînement vers un joyeux festival se répandit du nord au midi de la France, et la pauvre Provence, même si déplorablement dépouillée, manifesta sa joie. Les chartes, les registres municipaux constatent que pendant six mois après la retraite des Espagnols elle ne fut qu'un désert ; les beaux châteaux sur les collines, depuis le Rhône à la Durance, à Gemenos, les Peynes et Peyrolles étaient dévastées ; les tourelles les plus antiques démantelées, comme si les Huns et les Barbares du Xe siècle étaient passés à travers ces contrées. Dans les villes le feu avait ravagé les édifices, chaque capitaine ennemi s'était vengé de sa déception ; le duc de Savoie, qui avait quelques griefs contre les comtes de Provence, ordonna lui-même de mettre le feu au vieux palais du parlement et de la cour des comptes en la bonne ville d'Aix. Oh ! quels sourds gémissements durent se faire entendre dans la tombe du bon roi René ; la ville de sa prédilection était saccagée par l'ennemi ! et il ne pouvait se lever sur son séant, lui le noble angevin, en remuant sa vieille épée pour le salut de la Provence ! Comme la population, gentilshommes et bourgeois, paysans et manants, avaient montré un dévouement exemplaire, le roi déchargea la Provence de tout impôt pendant deux ans ; et, de plus, il voulut que la plupart des édifices fussent relevés à ses frais ; il accabla de dons la noblesse qui s'était si loyalement conduite. On trouve dans les registres des comptes une concession à Antoine de Pontevès, sire du Pourières[1], pour le dédommager des grandes pertes éprouvées par son dévouement durant l'invasion de l'étranger. Or, le blé fut semé de nouveau, on laboura le champ de vigne ; le cep bourgeonna sous le pampre ; l'olivier noueux fut replanté (il le faut presque vieillard pour qu'il produise), et le pin siffla sous le mistral.

François Ier fut celui des rois de France qui employa le plus souvent les parlementaires à ses desseins. Au moment où l'autorité judiciaire prenait un puissant ascendant dans toute sa jeunesse et sa force, le roi s'en servait comme d'un instrument docile et fort à la fois. Naguère pour refuser l'exécution du traité de Madrid, il avait fait intervenir le parlement, et ce pouvoir parut encore dans une solennelle procédure contre l'empereur Charles-Quint. D'après le vieux droit féodal, le roi, légitime suzerain, devait recevoir l'hommage des vassaux, et, au cas de couardise ou félonie, le fief était confisqué au profit de la couronne par le jugement des pairs. Or, il était reconnu que parmi les grands vassaux, le comte de Flandre tenait le premier rang. Pour cette comté de Flandre Charles-Quint, à son avènement, n'avait-il pas rendu foi et hommage au roi de France comme vassal ? Il est vrai que dans le traité de Madrid le roi avait pleinement renoncé à ses vieux droits de suzeraineté sur le comté de Flandre et de l'Artois ; mais, je le répète, pour les jurisconsultes, le traité de Madrid n'était pas valable, parce qu'il était fait sine libertate, le roi étant captif.

La juridiction du parlement étant ainsi assurée avec la suzeraineté du roi, il n'y avait plus d'autre contestation que sur la question de savoir si le vassal, comte de Flandre, c'est-à-dire Charles-Quint, avait commis le cas de félonie de manière à autoriser la saisie du fief selon la coutume. Dans la position réciproque de l'empereur et du roi, lorsqu'il y avait guerre nécessaire et continue, est-ce qu'on pouvait considérer comme rébellion du vassal au suzerain un système de guerre légitime entre deux princes indépendants ? Telle fut pourtant la théorie du parlement de Paris, jugeant en vertu du droit féodal. Le 10 décembre 1537, le roi s'y rendit, accompagné des princes et des officiers de la couronne ; quarante-huit évêques assistaient au plaid royal, car tous les ordres de l'État devaient trouver là leur représentation, sorte de cour plénière appelée à prononcer sur le cas de félonie. Un avocat du roi, du nom de Cappel, vieux procureur, fit un long discours à l'assemblée, pour prouver que Charles V, empereur, comte de Flandre, d'Artois et de Charolois, et autres seigneuries dépendantes de la couronne, usurpateur, avoit commis cliver s, détestables et exécrables crimes, contre le roi, son prince naturel et son souverain seigneur, lesquels étant aussi manifestes à la chrétienté que funestes à la France, il demandoit qu'il fût déclaré rebelle, et comme tel, que tous ses biens fussent confisqués, aussi bien que toutes les seigneuries qu'il possédoit, et qui dépendoient de la couronne de France[2].

Quand cette harangue fut terminée, au grand contentement de tous, le parlement rendit une première sentence, ordonnant que l'empereur Charles V, comte de Flandre, d'Artois et de Charolois, seroit cité et sonné à son de trompe, sur les frontières de ses seigneuries et terres, à ce qu'il eût à comparoitre, sinon en sa propre personne, au moins par celle d'un ou de plusieurs ambassadeurs ou députés, tels qu'il jugeroit à propos, avec toute l'autorité et plein pouvoir nécessaire, et avec les instructions convenables pour se défendre sur tout ce qui avoit été représenté contre lui dans la cour du parlement de Paris ; et que pour mieux faciliter cette comparution, Sa Majesté donneroit tous les passeports et saufs-conduits nécessaires à ceux qui seroient nommés par l'empereur pour venir faire cette fonction, et répondre aux accusations intentées : avec la parole royale de plus, qu'après avoir fait les affaires, et défendu les intérêts de l'empereur leur maître, ils pourroient s'en retourner auprès de lui avec une pleine et entière liberté[3].

C'était une forme singulière et certainement en dehors de toutes les prévisions possibles que cet arrêt qui mandait Charles-Quint à la barre de la cour, comme le dernier des clients. Mais la coutume des parlementaires était d'empêcher les grandes choses parles petits moyens ; ce qui, plus d'une fois, servit merveilleusement les desseins de politique et d'ambition de François Ier. Le parlement suivit cette procédure jusqu'au bout ; des hérauts d'armes furent envoyés pour sommer ledit empereur Charles-Quint à comparaître devant la cour de judicature : voyez-vous un génie aussi immense, l'empereur, qui avait tenu le pape captif et commandait aux deux mondes, cet empereur, cité par maître Jacques Cappel, devant quelques parlementaires séant à Paris ! Ces formules étaient bonnes pour parler au populaire, si admirateur du parlement ; et, après deux sommations, comme l'empereur ne parut pas, un arrêt, le déclarant traître et félon, confisqua les comtés de Flandre, d'Artois et de Charolais[4], comme l'héritage des ducs de Bourgogne. Cette sentence fut proclamée à son de trompe dans les rues et carrefours de Paris ; la découverte du droit romain avait donné une grande puissance aux formules, et l'esprit parlementaire alors dominait.

Dans le fait il s'agissait moins de batailles et de procédures que de conquêtes. Tout devait se décider dans cette lice en champ clos, ouverte entre les armées de France et de Flandre, autour d'Hesdin, de Péronne, dans l'Artois et l'Amiénois. Après l'arrêt solennel, le roi de sa personne alla commander l'armée sur les frontières de la Flandre, afin de s'emparer du fief confisqué, et devant lui le connétable de Montmorency levait sa grande épée de commandement ; tandis que les troupes impériales attaquaient Thérouanne, le roi campait autour de Saint-Pol. Ce fut une longue suite de sièges, accomplis par les lansquenets et les légions provinciales, avec une artillerie nombreuse et foudroyante ; de petits combats devant Béthune et Arras marquèrent encore cette campagne, et le siège de Péronne fut ce qu'il y eut de plus important. Il ne se fit aucune action éclatante qui pût marquer la supériorité de l'une ou de l'autre armée ; tel était un peu le caractère fatigué de cette époque ; si François Ier avait été encore dans toute la verve de sa jeunesse et de ses témérités, il eût risqué plus d'une bataille, même en s'exposant à la perdre. Maintenant, de la hardiesse on était passé à la timidité extrême ; cette guerre, comme celle de Provence, se ressent de l'impulsion réfléchie que lui imprime surtout le grave caractère du connétable de Montmorency.

Dans la Flandre on put donc préparer les négociations d'une trêve ; rien ne fatigue plus les esprits que cette longue suite de petites guerres qui n'offrent aucun résultat ; elles épuisent les peuples sans leur donner ce rayon de gloire qui est une compensation. Déjà les femmes avaient eu une immense influence dans le traité de Cambrai ; lorsque des alliances de famille avaient si intimement rapproché les rois, les femmes devaient se placer au milieu des combattants et renouveler l'intervention des Sabines, pour apaiser la guerre entre frère, neveu, oncle et bons parents. Éléonor, reine de France, n'était-elle pas la sœur de Charles-Quint, et Marie, gouvernante des Pays-Bas, n'était-elle pas la sœur d'Éléonor[5] ? Les femmes ont toujours un côté liant, facile, qui atténue l'âpreté dans les affaires de la vie : pourquoi ces lices ouvertes incessamment ? Ne fallait-il pas enfin enlever des mains ces épées, qui versaient tant de sang ? On proposa des conférences, sinon pour la paix, au moins pour une trêve : un petit village à deux lieues de Thérouanne fut choisi pour recevoir les députés qui vinrent chargés des pleins pouvoirs de leur suzerain. Le sire de Lannoy, de la grande famille si dévouée à l'empereur ; le seigneur de Leidekerke, longtemps ambassadeur de Charles-Quint auprès de François Ier, et le propre secrétaire de Charles-Quint, Mathieu Strick, grand légiste dans le droit canon et civil, furent tous trois désignés pour les conférences. La reine Éléonor y envoya Jean d'Albon, sire de Saint-André, Guillaume Poyet, le chancelier, et Guillaume Bertereau, le secrétaire. Les prétentions étaient trop diverses, les droits trop contestés, pour arriver à une paix définitive ; les plénipotentiaires se bornèrent à signer une trêve[6], bien courte sans doute, puisqu'elle ne devait pas s'étendre au delà de dix mois, sorte de suspension d'armes qui ne pouvait comprendre que le nord de la monarchie, sans s'étendre en Italie ; car, dans la guerre poursuivie avec tant d'acharnement, il fallait distinguer plusieurs adversaires. Le roi et l'empereur en tête s'étaient réciproquement attaqués dans l'Artois et la Flandre ; la Provence était évacuée ; on signait une trêve de dix mois pour le nord, et il restait la guerre des Alpes et de l'Italie. Ici ce n'était plus l'empereur que François Ier trouvait pour adversaire, mais le duc de Savoie, la maison de Saluées. La guerre tout entière allait donc se porter sur le Piémont, et la trêve ne s'y appliquait pas.

Pour cette terre d'Italie, François Ier avait des engagements d'une nature spéciale qui tenaient à son honneur de prince et à la satisfaction de ses intérêts. Tandis que Soliman faisait envahir la Hongrie par son grand vizir, et dévaster l'Italie par Barberousse, François Ier devait, lui, passer les Alpes, et comme auxiliaire, attaquer les possessions de l'empereur par une autre extrémité. Soliman ainsi tenait sa promesse ; l'innombrable armée des Turcs venait de défaire d'une manière fatale les Allemands dans la Hongrie ; Barberousse s'emparait de Brindes et d'une grande partie du royaume de Tarente, et à ce moment François Ier devait attaquer par les Alpes cette Italie, que les infidèles prenaient par la Sicile et Naples. Aussi voit-on le roi prendre lui-même la direction de la campagne des Alpes : comme si cette expédition devait être longue et produire des résultats lointains, à son départ il organise encore une espèce de régence ou de lieutenance générale qu'il confie à son dernier fils, devenu duc d'Orléans. Avec lui il mène le Dauphin ; il part de Lyon pour Turin[7], toujours avec Anne de Montmorency suivi du maréchal d'Humières. Par les préparatifs, on peut juger que le roi ne se propose pas une courte campagne, car il a dépeuplé l'Auvergne, le Forez, le Beaujolais, de tous les bœufs, chevaux et bêtes de somme. Le Pas-de-Suse est forcé et Pignerol secouru ; le Dauphin y montre un courage précoce et persévérant, tandis que le roi, déjà maladif, laisse au connétable tous les soins de cette guerre, au reste sans nul avantage décisif ; c'est le marquis de Guast qui commande l'armée italienne ; le duc de Savoie s'est retiré à Nice. Autrefois il y avait trop de chevalerie dans toutes ces têtes, maintenant il y a trop de tactique, et presque aussitôt l'idée de trêve[8] et de paix retentit dans les camps d'Italie.

Cette pensée vient encore de Rome : tous les princes chrétiens ont eu des revers et des succès ; si Charles-Quint a été forcé d'évacuer la Provence, François Ier écoute mille voix gémissantes, expression de ce grand épuisement du royaume où l'on ne trouve plus un seul denier à lever.

Dans cette misère générale, il n'y a plus qu'une puissance qui grandit, celle des Turcs ; ils s'avancent avec des myriades d'hommes par la Hongrie et l'Italie, Les princes chrétiens insensibles à tant de douleurs hésiteront-ils à prendre les armes dans une noble croisade contre les musulmans ? Cette cause du peuple, le pape Paul III la fait partout entendre ; par sa correspondance pathétique, il a invité Charles-Quint et François Ier à se réunir, en oubliant leurs trop longues querelles : n'ont-ils pas assez visité de champs de bataille et la chrétienté ne serait-elle plus qu'une lice couverte de morts où chacun viendrait assouvir sa vengeance ?

Paul III, pontife à concession, ne résiste plus devant la pensée de convoquer un concile, selon le désir de l'empereur et contre son opinion personnelle. Maintenant il députe vers les deux souverains ses cardinaux légats pour les apaiser ; le pape propose une entrevue : le temps et le lieu seront à la disposition des souverains ; lui-même s'y rendra comme un intermédiaire bienveillant, un loyal et sincère partisan de la paix ; vieillard, il quittera Rome, un bâton blanc à la main, pour concilier deux princes colères, et qui ont, pour ainsi dire, toujours l'épée au poing. Déjà il s'était tenu une espèce de congrès dans la petite ville de Leucate[9], sur les frontières du Languedoc et du Roussillon : là s'étaient réunis le chancelier Granvelle, l'homme de confiance de Charles-Quint, don Francisco de Los Cobos, commandeur de Léon, et pour qu'il y eût égalité dans les rangs et dans les capacités politiques, le roi confia ses pouvoirs au cardinal de Lorraine et au connétable de Montmorency ; le duc de Savoie y eut également ses députés ; la guerre s'était concentrée dans ses domaines et les questions se rattachaient à son héritage. Le cardinal de Lorraine exposa les vieilles conditions de François Ier ; et la plus impérative, l'investiture du Milanais. Les difficultés qu'avait opposées Charles-Quint n'existaient plus ; Henri, l'époux de Catherine de Médicis, était devenu Dauphin ; le nouveau prince pour lequel l'investiture était demandée n'était plus lié à l'Italie ; c'était le duc d'Angoulême, alors duc d'Orléans, jeune homme encore sans épousailles.

Les conditions posées par le chancelier Granvelle au nom de Charles-Quint furent non moins impératives : confirmation définitive sans arrière-pensée des traités de Madrid et de Cambrai ; convocation de concile ; guerre immédiatement déclarée contre le Turc ; renonciation à toutes les ligues faites avec les princes d'Allemagne ; restitution au duc de Savoie de son héritage. A ces conditions l'empereur s'engageait à donner l'investiture du Milanais au duc d'Orléans, à la condition expresse que le jeune prince élevé auprès de l'empereur épouserait une de ses filles, et alors seulement l'investiture aurait lieu par la majesté impériale. Le cardinal de Lorraine répliqua : Que déjà les traités de Madrid et de Cambrai étaient modifiés sur plusieurs points et qu'on pourrait les changer encore en vertu de la médiation du pape. Quant au concile, le roi en sentait la nécessité aussi bien que l'empereur, pourquoi dès lors en faire une condition du traité ? Nulle explication sur la guerre avec les Turcs ; le roi s'en rapportait encore au pape et aux Vénitiens. Point de réponse non plus en ce qui touchait les ligues avec les princes protestants, car la paix embrasserait nécessairement les intérêts de tous ces princes dans un commun traité. Au fond, dans le congrès, nul n'avait le désir sincère de terminer les hostilités par un traité définitif.

Il résulte de la correspondance des légats avec le saint-père qu'il n'y avait que l'intervention personnelle du souverain pontife, médiateur nécessaire, qui pût aboutir à l'œuvre de la paix. Jamais simples plénipotentiaires n'arriveraient au dessein absolu d'un traité pacifique ; il fallait pour cela que les rois se vissent de leur personne, et que le pape lui-même leur tendît les mains pour les presser les unes dans les autres ; car avec tous ces chanceliers, ces hommes de lois ou ces hommes de batailles, il n'y avait pas moyen d'arriver à un grand dessein de paix ; on se perdait en chicane, en retards indéfinis. Ce fut sur l'avis de ses légats que le pape se décida à solliciter lui-même une entrevue personnelle de Charles-Quint avec François Ier[10]. Dans quels lieux s'accompliraient ces grandes conférences, en Italie, en France, en Espagne ou à Rome même ? De son propre chef, le pape désigna Villefranche ou Nice, seules villes qui restaient encore aux mains du duc de Savoie, C'était presque un lieu neutre ; l'empereur pouvait s'y rendre aisément de Barcelone, le roi aussi facilement de Marseille que le souverain pontife de Gênes. Paul III ne dissimula pas l'objet de ce petit congrès : il ne quittait Rome que dans un but purement chrétien, la convocation du concile et l'union des deux princes dans une guerre sainte contre le Turc, résolution assez importante pour motiver son absence de la ville éternelle. Le pape partit donc accompagné du sacré collège sur une galère qui côtoya la Méditerranée jusqu'à Gênes ; et là, il prit la route des montagnes pour se rendre jusqu'à Nice.

Avec le souverain pontife, deux princesses, toujours mêlées aux questions de paix, Éléonor, la sœur de l'empereur, la femme de François Ier, et Marie, reine de Hongrie, gouvernante des Pays-Bas, furent les intermédiaires encore pour amener ce que les vieilles chroniques appellent l'embouchement de notre saint-père le pape, l'empereur et le roi[11]. Le sixième jour de mai, le pape bénit Nice, et se logea hors la ville, au couvent des frères mineurs ; deux journées avant, Charles-Quint était arrivé à Villefranche avec vingt-huit galères et trois fortes nefs ; il alla visiter presque immédiatement le pape dans une petite maison située sur la mer, couverte d'oliviers. François Ier aussi vint faire son obédience au saint-père dans une autre petite ville qu'il avait fait couvrir de fleurs à l'antique et de tapisseries belles et riches. Au-devant du roi marchoient en ordonnance les six mille lansquenets du comte Guillaume, et se rangèrent en bataille derrière ladicte maison. Sur la montaigne estaient mille légionnaires provenceaulx ; puis marchoient en trouppe les deux cents gentilshommes de la maison du roy ; puis les princes et seigneurs, ducs, comtes et barons, et finablement le roy avec la garde de son corps. Messeigneurs les cardinaulx qui estaient en la susdicte maison avec le pape, advertiz que le roi s'approchoit, vindrent au devant de luy, montez sur leurs mules et encappéz. Lesquels tous le roy embrassa, et deux de messieurs les révérendissimes, c'est assavoir Cibo et Cesarin, le conduirent dans ladicte maison, où il fist l'obédience au pape, lequel ne permist qu'il luy baisast les pieds, mais l'accolla honorifiquement. Et après les cérémonies, présenta messeigneurs ses enfans au pape, et le pape pareillement luy fist présenter ses deux nepveux, petitz cardinaulx. Cependant l'on buvoit frais, tant aux dépens du pape que des cardinaulx de France, qui tenoient maison ouverte à tous venantz. On rivalisait ainsi de munificence et de générosité.

Il fut remarqué cependant que ni le roi ni l'empereur n'allèrent se visiter ; tout se faisait par l'intermédiaire des cardinaux et du pape : craignaient-ils encore de se voir avant de s'être entendus sur les conditions expresses de la paix ? Le vieux récit dit qu'on ne voyait que ambassade aller vers le pape vers l'empereur, puis au roy ; galères troter, artillerie sonner, se accoller, festoyer, carrosser l'ung l'autre, l'Espaignol, le François, l'Italien. L'empereur parlementa de rechef avec le pape ; aussi fist le roy, en une maison qui estait plus près de Sainct-Laurens que la susdicte. Les habitante de la ville de Nice faisaient gros guet, tant par la ville que aux portes et sur les murailles, et n'y avoit que deux portes ouvertes, l'une pour entrer, l'autre pour sortir. Les fêtes furent magnifiques, la splendeur immense. La royne et mesdames visitèrent le pape au couvent des frères mineurs, puis visitèrent l'empereur, excepté la royne de Navarre, où furent très bien recueillies. Ledict empereur avoit fait faire ung pont dans la mer, pour descendre des galères sans entrer en esquif ; mais, pour la multitude du monde qui estoit dessus, il rompit, et tombèrent en l'eau, non seulement les dames, mais aussi l'empereur, le duc de Savoie et le duc de Mantoue, et les seigneurs espagnols qui estoient allez pour les recevoir. Là eussiez veu les gentilshommes, qui avoient plus grand désir de servir aux dames, se jecter en mer, les porter en l'air, et tirer hors de l'eau ; à la vérité il y en eut de bien baignées, je dis jusques au dessus de la ceincture. Après que les dames furent au logis de l'empereur, soubdainement eurent chemises chaulses et austres vestements à changer de sorte qu'il n'y paressoit rien que ung refreschissement, allégresse et contentement des gentilshommes. Bien vray est que celles qui n'avoient baigné que le petit orteil se mocquoient de celles qui estaient plus baignées. Ainsi partout où noblesse se trouvait, il y avait jeu, rires, ébastement.

Cependant la négociation sérieuse n'avançait pas ; chacun des acteurs principaux de la grande scène diplomatique restait avec ses prétentions, ses volontés d'obtenir les clauses principales écrites dans les notes communiquées par le chancelier Granvelle et le cardinal de Lorraine. Comme tout cela se changeait en discussions indéfinies, le pape, si préoccupé d'amener au moins une suspension dans cette sanglante lutte, proposa, comme dernier parti, une trêve de dix ans[12]. Cette période de dix ans déjà considérable, n'était pour ainsi dire que la continuation des suspensions d'armes conclues en Flandre et en Piémont. Pour rendre ce système complet, on y fit adhérer le duc de Savoie, avec d'autant plus de peine que c'est sur lui que le résultat de la trêve allait tomber, car, par la stipulation, toutes les choses restaient en leur état ; et comme la Savoie était occupée par les troupes de François Ier, le duc consentait, pendant dix ans, à être ainsi privé de ses beaux domaines.

Le vieux chroniqueur ajoute qu'après que les articles de la trêve furent accordés : la royne et dames retournèrent visiter l'empereur, la veille de la feste du corps de Dieu, et y demeurèrent ung jour entier, où elles furent festoyées excellemment, tant de l'empereur que des gentilzhommes, lesquelz se travailloient à qui mieux les entretiendroit. Je laisse aux poètes de ce temps, qui n'ont aultre chose à faire, à descripre les festins, les banquetz et les présentz qui furent faitz là. Tous les gentilzhommes françoys furent bien recueilliz de la part de l'empereur, et surtout ils beuvoient fraiz à belle glace et neige, qui ne coutoit que six escuz la charge de mulet. Autant en faisoit-on aux gentilzhommes espaignolz, en la maison du roi à Villeneufve, et n'estoit refusée la porte à personne. Le jour du corps de Dieu, au soir, le pape monta en la galère du comte de Tande pour s'en retourner en Italie, et avoit grand mondé à le veoir partir, mesmement des femmes qui ne se estoient encore monstrées. Et ce bon vieillard de pape faisoit souvent mettre à terre sa chaire, afin que chacun puisse baiser sa pantoufle, et ne cessoit de bailler bénédictions, tant en allant à la mer que dans l'esquif et dans la galère estant en pouppe, regardant tout le monde, dont chacun s'esbahissoit de la peine qu'il prenoit à lever si souvent le bras. Les haultzboys sonnoient, les trompettes, les cornetz, et d'autre costé l'artillerie des galères, de la ville de Nice et du chasteau, tellement qu'eussiez dit que c'étoit enfer et paradiz ensemble. En passant par devint Villefranche, l'empereur sortit avec ses galères et l'accompagné pour lui faire honneur. Ainsi s'en retourna ; adieu, nostre sainct père.

On remarqua que pendant ces conférences Charles-Quint et François Ier ne s'étaient point personnellement visités ; et lorsque la trêve eut été signée, on continua un système de méfiance, à ce point, que des voiles blanches ayant paru lointainement, les serviteurs de Charles-Quint s'imaginèrent que c'étaient les galères de Barberousse, qui, prévenues par François Ier, arrivaient pour s'emparer de l'empereur. C'était sans doute une fausse crainte, mais elle témoignait de quels soupçons l'un et l'autre étaient préoccupés ! Tout se fit par la reine Éléonor[13], et les communications eurent lieu par des gentilshommes.

Cependant le hasard plus fort que les volontés de l'homme, amena cette entrevue royale devant laquelle les deux princes avaient tant hésité. A peine Charles-Quint était-il en mer, qu'une tempête furieuse éclata sur sa route d'Espagne ; quoiqu'il fût escorté par André Doria, intrépide marin, l'empereur fut obligé de prendre terre dans l'île Sainte-Marguerite sur les côtes de Provence. François Ier alors à Marseille, qu'il allait visiter pour la remercier de sa belle défense, députa un de ses plus fidèles serviteurs auprès de Charles-Quint pour l'inviter à chercher un lieu plus commode que l'île Sainte-Marguerite : le port de Marseille si bien abrité lui était offert, son pavillon serait respecté comme celui du roi même. Charles-Quint n'accepta qu'à demi avec une politesse exquise[14], invoquant le temps qui le pressait de se rendre en Espagne, et il se remit en mer. Mais le terrible mistral souffle encore, l'empereur est obligé de chercher refuge à Aigues-Mortes, le port où Saint Louis s'embarqua pour la croisade.

A cette nouvelle, François Ier prend une petite barque, et sans s'arrêter devant le péril, il se rend à Aigues-Mortes, monte en toute hâte sur les galères de l'empereur, et lui dit ces paroles : Vous le voyez, je suis encore votre prisonnier. Charles-Quint toujours d'une courtoisie extrême, l'embrassa avec tendresse. Sur cette étrange entrevue d'Aigues-Mortes, il existe une lettre justificative de François Ier, adressée au seigneur Pomponio qui commandait à Lyon : Seigneur Pomponio, vous sçavez la trefve et abstinence de guerre qui a puis naguère esté faicte, conclue et arrestée entre l'empereur et moy et noz royaulmes, païs, terres, seigneuries et subjectz pour dix ans. Et depuis, estans party de Nice, nostre sainct père le pape, pour s'en retourner à Romme, et le dict seigneur empereur avec luy, pour raccompagner jusqu'à Gennes, icelluy empereur me fist sçavoir, par la bouche de son ambassadeur résident auprès de moy, qu'il désiroit singulièrement me veoir à son tour, chose qui a sorty en effect ; car je vous advertis que le dit seigneur empereur avec ses gallères, accompaigné de vingt et une des miennes, arriva dimenche dernier, environ trois heures après midy, auprès de ma ville d'Aigues-Mortes, où j'estais lors ; et le jour mesmee je l'allay veoir de dans sa gallère, et le lendemain le dit seigneur s'eu vint distier avec moy au dict Aigues-Mortes, duquel lieu il ne bougea ledit jour avec sa compagnie, ne semblablement le mardy jusques à cinq heures après midy qu'il partit pour s'en aller embarquer en sa dicte gallère, où je l'accompagné avec mes enfans. Vous advisant que, durant que nous avons esté ensemble, il n'a jamais esté question que de faire bonne chère et de tenir entre nous les plus meilleurs et honnestes propos d'amitié qu'il a esté possible de tenir, de sorte que nous nous sommes départis ensemble avec tout aide et contentement. Et vous puis dire et affirmer que oncques princes ne furent plus contens l'ung de l'autre que nous sommes. Et fait bien mon compté que, par les effects qu'il s'en suyvront si après de ceste nostre entrevue, l'on pourra dire et l'on devra estimer que les affaires du dict seigneur empereur et les miennes ne seront plus qu'une mesme chose. Et pourtant est convenable et raisonnable que de ces tant bonnes et heureuses nouvelles, et dont l'on doit espérer tant de bien et repos, et establissement en la chrestienté, soient renduez louanges à Dieu, nostre créateur, qui de sa plus ample grâce a voulu et daigné opérer la conclusion de la dicte trefve pour dix ans ; et pour plus grande assurance, probation et confirmation d'icelle, conduire ung tel œuvre que cesluy-ci. A ceste cause, je vous prie que pour ce faict veuillez donner ordre en ma ville de Lyon, et soient faictes processions généralles et particulières, et feu de joie. Et que le peuple se mette en bon estat, après avoir faict prières et oraisons à nostre dist créateur, offrir qu'il luy plaise continuer envers nous et noz royaulmes et subjects, et générallement envers la diste chrestienté, grâces et bienfaictz. En quoy faisant vous me ferez service très-agréable[15].

Après cet acte de courtoise confiance, Charles-Quint n'hésita plus, et la visite que François Ier lui avait faite à Aigues-Mortes, il la rendit lui-même au roi à Marseille. Les registres de la vieille cité des Phocéens ont raconté les fêtes que le peuple de Marseille donna aux deux princes réunis : et les citoyens et les dames mirent un grand prix à déployer tout le faste de repas municipaux et de régals splendides. Depuis la place de Linche jusqu'aux Moulins il y eut des illuminations, des feux de joie : les beaux poissons de la Madrague furent offerts à François Ier et à Charles-Quint ; des thons gros comme des dauphins, des merlans de soixante-dix livres furent apportés par les prud'hommes et les Catalans qui abritaient leurs barques dans l'anse du pharo ; et en tout cela les citoyens de Marseille, glorieux de leur splendeur, voulaient montrer qu'ils valaient bien Gênes et Barcelone. Il y avait longtemps que leur courage était connu ! Après M. le connétable de Bourbon, Charles-Quint lui-même se souvenait des boulets municipaux jetés de la Tourette ou de la Joliette jusque sous ses tentes ; ils étaient aises de voir l'empereur dans leurs murs, pour eux nouveau titre de gloire. Naguère ils avaient accueilli un pape, maintenant c'était un empereur ! Parmi toutes cep dames que Charles-Quint distinguait d'un sourire, se montraient plus d'une de ces vigoureuses filles de Marseille qui avaient réparé les brèches et porté de la terre aux compagnies municipales pur les remparts. Oh ! tirez noblement le canon de réjouissance, maire, échevins et prud'hommes, vous pouvez dignement porter sur le front votre bonnet de laine, signe de la liberté ; et quand les feux de joie de la Major se réfléchissaient sur les tourelles de Saint-Victor, Marseille pouvait dire : Je suis fière de mes murailles, et je porte avec orgueil ma croix municipale, vieille comme les croisades, plus vieille que les fleurs de lis de France et les armes de Castille !

 

 

 



[1] Février 1539. Le roy en considération des pertes intérêts et dommages soufferts, portez et soutenuz par Anthoine de Glaudesves, seigneur de Pourières, en Provence, à la descente et venue de l'empereur au dit pays, tant pour le gast qui luy fut faict de certaine quantité de bled, vins, foings et autres vivres que pour le bruslement de sa maizon et ravissement de ses meubles, luy a donné et octroyé tous et chascuns les lots et ventes, et autres droits et devoirs seigneuriaux pour le retraict, rachapt et première vantation qui sera faicte de la terre et seigneurie de Luc, assise au d. pays de Provence, cy devant vendue par le seigneur de Soullières. (Extrait des comptes de François Ier. — Archives du royaume.)

[2] Registre du parlement, ad ann. 1537.

[3] Registre du parlement, ad ann. 1536.

[4] Arrêt du 20 janvier 1536-7. (Reg. du parl.)

[5] Marie, troisième fille de Philippe le Beau et de Jeanne la Folle, née à Gand en 1505, avait épousé en 1524 Louis II, roi de Hongrie et de Bohème, tué à la bataille de Mohatz le 29 août 1526. Marguerite d'Autriche étant morte en 1530, Charles-Quint donna le gouvernement des Pays-Bas à Marie, sa sœur.

[6] Trêve de 10 mois entre le roi de France et l'empereur. 30 juillet 1537. — Mss. de Béthune, vol. cot. 8587, fol. 459, Bibl. Roy.

Le pénultième jour de juillet 1537 au lieu de Bomy tresve et abstinence de guerre et cessation d'armée a esté convenue et accordée entre le royaume de France, et les Pays d'en Bas de l'empereur, vassaulx, subgectz et habitants eniceulx, tant par terre que par mer et eaues doulces, pour le temps et termes de dix moys, à comancer du d. jour, pendant laquelle Iresve, toutes hostilités et exploits de guerre cesseront.

Sera le siège de Therouenne entièrement levé et osté, et se retireront dedans deux jours les armées d'une part et d'autre, sans que les d. soldats d'icelles puissent estre receus d'une armée en l'autre.

Le roy pendant la d. tresve et abstinence de guerre ne mettra aucunes gens de guerre, ne fera fortification au comté de St. Pol en quelque manière que ce soit, et néantmoins y sera la justice administrée comme il appartiendra.

Les subjectz d'une part et d'autre pourront aller et venir franchement et seurement, es lieu et villes de l'obéissance des d. srs. et y mettre ce que bon leur semblera ; pourveu que ce ne soit pas forme de guerre.

Baillera le d. seigneur roy sauf conduit a ung gentilhomme ou deux nommés par la reyne de Hongrie, pour aller par le royaume devers l'empereur pour le faict et traicté de la paix, dedans quatre jours ou plustot si faire se peult.

[7] Déjà les habitants de Turin se considèrent sous la légitime domination du roi de France :

Lettre des syndics et citoyens de Turin au roi. — Bibl. Roy., Mss. de Béthune, vol. cot. 8587, fol. 155.

Sire, nous avons escript par les autres du vingt cinq de ce moys des inconvénients que doubtions advenir en ceste cité par faulte d'aulcuns maulvais souldars, la nuyt passée quasi notre prophétie s'est accomplie. Toutteffois les ennemys qui desjà avoient gaigné ung b asti lion par spéciale gré de Dieu et vertu de monseigneur le gouverneur, ont été reppousez à leur grant dommaige. Et affin que tel inconvénient ou plus grant ne advienne une aultre foys vous supplions très humblement d'y fère pourveoir de bonne heure sur le tout, et mesmement sur la police des gens de guerre affin que les citoyens prennent cueur de demeurer en la ville. Et aussi à la réparation des forteresses tant de la d. ville comme du château. Touchant les affares des citoyens, votre majesté ne doubte point car nous avons délibéré de vivre et mourir à la subjection et service d'icelle pour laquelle prieront tousjours le benoist créateur, que par sa grâce vous doint en santé et prospérité très bonne vie et longue et victoire de ses ennemys. De Thurin, ce 28e jour de juillet 1537.

Vos très humbles et très obéissants subjets et serviteurs les syndics et citoyens de Thurin.

[8] La trêve de juillet 1537 fut étendue en Piémont et prolongée de trois mois. Lettre de Marie, reine de Hongrie, à M. de la Rochepot. — Bibl. Roy., Mss. de Béthune, n° 8643, fol. 32.

Monsieur de la Rochepot au mesme instant que j'ay receu votre lettre me sont venues les mesmes nouvelles de l'empereur mon frère, et copie de ses lettres patentes de l'accord pour la prolongation pour trois mois des tresves faites tant deçà que delà les mons ; ce que j'ay fait de rechef publier par toutes les frontières de par deçà du costé de la terre et de la mer afin qu'elle soit inviolablement observée et gardée de point en point et les transgresseurs puniz et corrigez, et combien que m'escripvez l'avoir fait publier sur la frontière de votre gouvernement de Picardie, je tiens que le semblable sera fait es aultres endrois du royaume de France affin qu'il n'en soit prétendu aucune ignorance et si d'adventure ainsi fait n'estoit, veuillez tenir main et vous employer qu'il se face, car de ce costé je vous puis bien dire et assurer que la feray étroitement gardée et entretenir par les subjetz du d. empereur de par deçà ; selon la forme et teneur de la précédente tresve comme verrez par ce billet de la publication que j'en ay fait faire cy enclos, vous priant me vouloir adviser par ce porteur, lequel j'envoye tout exprès vers vous de ce que fait et fera de delà. Sur ce monsieur de la Rochepot, etc. Escript à Bruxelles le 3e jour de juing 1538. Marie.

[9] Voyez Congrez pour la paix à Locatte. — Bibl. du Roi, Mss. de Béthune, vol. cot. 8535, fol. 67.

Lettre de François Ier au cardinal de Tournon et au grand maître. — Bibl. Roy., Mss. de Béthune, vol. cot. 8581, fol. 1.

Messieurs, j'ay entendu entièrement tout ce que m'avez mandé par Bochetet et par cela sceu le langaige que vous ont tenu les députés de l'empereur, à la dernière assemblée de vous et d'eulx, et au regard du temps et terme qu'ils demandent qui est de troys ans tant pour me rendre et restituer Testât de Millan, que pour faire la consommation du mariage que vous savez. C'est choses que je ne veulx aucunement accorder, ni pareillement l'ayde contre le Turcq (ni la cellebracion du concile durant le dit terme) ; et pour ce vous adviserez et essayerez par tous les moyens à vous possible d'arrester avec iceulx députez les points que je vous ay dernièrement mandez. Si faire se peut, et entre autres choses de venir à ceste conclusion, que nous puissions demourer icelui empereur et moy, comme nous sommes, et que chacun tiengne ce qu'il tient come vous leur avez déjà offert, et si vous ne pouvez venir à ce point là, entendez messieurs, que je suis contant de faire une tresve pour dix ans pour le moins, durant laquelle chacun joyra de ce qu'il tient, comme nous faisons de ceste heure, etc. Escript à Montpellier le 9e jour de décembre 1537.

[10] Lettre de François Ier et à M. de la Rochepot. — Bibl. Roy., Mss. de Béthune, vol. cot. 8560, fol. 42.

Mon cousin pour ce que je ne veoy pas encore bien clairement ce qu'il pourra à la fin résulter du faict de ceste entrevue qui se doict faire de nostre sainct père le pape, de l'empereur et de moy et que le mieulx que l'on puisse faire, cependant c'est de pourveoir et donner ordre aux choses plus requises et nécessaires, affin de rompre et divertir tous les desseings et entreprises que l'ennemy sçauroit faire à l'issue de la tresve, au cas qu'il n'y eust une paix, à ceste cause, je vous prie mon cousin que vous veuillez continuer à faire faire la plus grande et extrême dilligence qu'il sera possible au faict de la fortificacion et réparacion de Guyse et pareillement des autres villes et places de ma frontière de Picardie, sans en cela perdre une seulle heure de temps, et au surplus donnez aussi ordre de faire retirer dedans le plus grand nombre de vivres que vous pourrez et ne faillez surtout à me faire sçavoir Tordre et provision que vous aurez donné, à ce que je vous escript, et vous me ferez merveilleusement grant plaisir, priant Dieu, mon cousin, etc. Escript à Cremyeu le 9e jour d'avril 1537 (1538). Signé : François.

[11] Il existe une pièce imprimée, d'une extrême rareté, intitulée : l'Embouchement de nostre sainct père le pape, l'empereur et le roy, faict à Nice, etc., MDXXXVIII. On le vend à Paris, en la bouticque de Arnould et Charles les Angeliers, frères, devant la chapelle de messieurs les présidens, au Palays.

[12] Trêve de dix ans entre l'empereur et François Ier. — 18 juin 1538. — Bibl. du Roi, Mss. de Béthune, n° 8490, f° 42.

Au nom de Dieu le créateur, soit notoire à tous comme notre st. père le pape, considérant depuys son advénement en. son siège en quel dangier estoit la crestienté à cause des différends et discussions étans entre les princes d'icelle, ayt par plusieurs fois escrit et envoyé ses nonces et légats par devers l'empereur et le roy très chrestien pour estre ceux dont dépend principalement le repos de la chrestienté, afin de faire une bonne paix entre eulx et voyant qu'elle n'avoit encores peu venir à exécution, il ayt prit la peine sans avoir esgard à son vieil âge ni au dangier que les changements de région peuvent causer, ni autres incommodités, de venir en ceste comté de Nice, et aussy ont faict en sa semonce et prière les d. empereur et roy, ou après plusieurs propos et assemblées eues sur le fait de la paix pour aucunes importances et difficultés n'a été possible conclurre la d. paix et que de là prolongée absence de sa saincteté de la cour de Rome et des d. princes de leurs pais s'en pourraient ensuyr plusieurs inconvénients et davantage, que ceste région de Nice, à cause qu'elle est estroite, sterille et lieu mal sain, pourraient advenir beaucoup de dangiers a sa d. sainteté, laquelle a conclud avec les deux princes retourner à Rome où ils envoleront vers sa béatitude, leurs ministres avec ample pouvoir pour continuer le traité de la paix, et afin que cependant il ne puisse entrevenir chose qui pust aliéner la volonté d'iceulx princes, de traicter de la d. paix, sa sainteté a moyenne entre les d. deux princes, la tresve dont la teneur s'ensuyt.

L'an de notre seigneur Jésus-Christ aucteur de toutes paix et concordes courant mil cinq cens trente huit le 18 e jour de juing, feste de Ste-Marine.

Premièrement que bonne, seure, vraye, ferme et loyale tresve, estat et abstinence de guerre et cessation d'armes est faicte conclue et arrestée et passée entre les d. empereur et roy par terre et par eaues, et ce pour le temps et terme de dix ans a commancer aujourd'huy, datte des présentes, etc.

Sitôt la trêve conclue François Ier écrit à M. de la Rochepot. — Bibl. du Roi, Mss. de Béthune, n° 8613, f° 49.

Mon cousin, je vous ay escript et faict entendre la conclusion de la tresve pour dix ans faicte et arrestée entre l'empereur et moy en nos royaumes, et depuis vous a esté envoyé par mon cousin le connestable, la substance d'icelle tresve pour la faire publier tant en mon pays de Picardye que pareillement en votre gouvernement de l'Isle de France.

Au demeurant, mon cousin je vous advertis que j'ay ces jours passés receu les lettres que vous m'avez escriptes touchant le faict des fortifications et réparations de mes villes et places de mond. pays de Picardye et depuis j'ay receu votre lettre par laquelle ay entendu de rechef ce que m'avez escrit faisant encores mention de cest affairé et de la peine en quoi vous avez esté et étiez lors au moyen de ce que la partie des 45.000 liv. que j'avais par cy devant ordonnez pour le faict des dittes fortifications et réparations n'a esté fournys, dont il me deplait, et d'aultant que je veulx et entends que les d. fortifications se continuent et parachèvent et principalement celles de Guise. Je y donnerai si bon ordre que vous n'en aurez point de faulte, car entandez mon cousin, que je ne suis pas délibéré de laisser la d. plafce de Guise quelle ne soit du tout parachevée de fortifier, car je scay de quelle importance tot conséquance elle est. Escript à Vauvert, près Aigues-Mortes le 8e jour de juillet 1538. François.

[13] Lettre autographe de l'empereur à François Ier. — Bibl. du Roi, Mss. de Béthune, vol. cot. 8487, f° 92.

Mons. mon bon frère vous povez croire que j'ay eu très grant plaisir de la venue en ce cousté de la reyne très chrestienne, madame ma très chère sœur et aussi de la compagnie sy bonne quelle y a amenée et eust bien désiré que la demeure fust esté plus longue, mais je ne l'ay peu obtenir de ma d. sœur pour le grant désir qu'elle a de vous retourner veoir. Et ne me samble besoin vous faire longue lettre pour mayntenant puisqu'elle vous pourra dire nos devysés et ay seullement baillés ces deux mos pour vous faire mes très afectueuses recommandations de celluy qui est et sera pour toujours.

Vostre bon frère, cousin et parfait amy. Charles.

[14] Lettres autographes de Charles-Quint à François Ier. — Bibl. Roy., Mss. de la Bibl. de l'abbé de Rothelin. — Cabinet de Gagnières, Ms. in-fol., p. 48.

Mons. mon bon frère, je ne vous sçauroys assez vous mercier l'affection que continuellement vous démonstrés à notre entreveue et les très honnestes propos que m'en ont dit de votre part le s. de Vely et mon ambassadeur, ensemble vos plus que fraternelles offres desquelles je useray selon que le chemin s'adonnera et la courtoysie le requiert, toutes lesquelles choses feront avancer d'aller au lieu ou j'espère aurons le contantement d'estre ensemble que tous deux desyrons, et me remetant alors de vous en bailler plus de témoignage. Il m'a samblé cependant convenyr de prestement renvoyer les dessus d. pour vous déclarer ce que j'ay advisé avec eulx touchant la d. entrevue et le temps que vraysemblablement je pouray tandre au chemyn et sçavoir quant y pourrez estre que sera jamays sytost que voudroys. Votre bon frère cousin et alyé. Charles.

Mon si mon bon frère, j'ay par le bailly Rebertet entendu ce que luy avez ordonné et aussy veu par les lettres que la reyne votre femme et ma meilleure sœur m'a monstre la diligence qui se faict de tenir ce qui est traicté de quoy vous asseure que de mon cousté ni aura faulte. Ce m'est peyne estre si près de vous et avoir tant tardé à vous veoir sans nulle faute, aydant Dieu, partiray lundy prochain et le mardy ensuivant vous verray et lors et tousjours congnoisterés que a jamés me trouvères votre bon frère et amy. Charles.

[15] A Nymes ce 18e de juillet 1538. — Reg. de l'hôtel de ville de Paris, 18 juillet 1538. — Bibl. du Roi, Mss. de Colbert, vol. 252, in-fol., p. 97. — Voyez aussi une lettre de François Ier à M. de la Rochepot sur l'entrevue d'Aigues-Mortes. Bibl. du Roi, Mss. de Béthune, n° 8643, fol. 56.