FRANÇOIS Ier ET LA RENAISSANCE. 1515-1547

TOME TROISIÈME

CHAPITRE X. — NATIONALITÉ DU SYSTÈME DE FRANÇOIS Ier OPPOSÉE À L'UNIVERSALITÉ DE CHARLES-QUINT.

 

 

Réunion de la Bretagne. — Consolidation du fief de Bourgogne. — Alliance avec Henri VIII. — Question du divorce. — Appui prêté par François Ier. — Commencement des négociations avec les Turcs. — Bruits qui courent sur François Ier. — Alliances en Italie, — Système français à Gênes et dans le Milanais. — Négociations en Allemagne. — Alliance de François Ier avec les princes protestants. — Faveur qu'il accorde à la ligue de Smalcalde. — Caractère de sa diplomatie. — Habileté de ses agents. — Idée de morcellement opposée à la pensée d'unité. — Premières capitulations avec la Porte Ottomane.

1528-1535.

 

Si le caractère de Charles-Quint se développe dans les conditions d'une pensée générale, appelant de tous ses vœux, préparant de tons ses efforts, la monarchie universelle ; par contraire la vie entière de François Ier s'absorbe à briser les liens de cohésion que son rival veut établir partout. Charles-Quint réunit et groupe tous les faits autour de sa pensée, comme dans un faisceau ; François Ier les disperse pour les faire servir à une résistance contre la puissance immense de l'empereur. Toutefois il faut dire, pour la justification du roi de France, que ce système résulte moins de son caractère que de sa position : quel peut être le point faible, vulnérable de Charles-Quint ? évidemment la séparation, le morcellement de ces forces qui sont dans ses mains, et je dirai presque la guerre civile dans cette unité. C'est donc par instinct et nécessité que François Ier lutte avec l'empereur ; il l'attaque par tous les côtés sensibles : aux dépens de la monarchie universelle de Charles-Quint, François Ier veut grandir sa monarchie particulière ; il le travaille comme roi d'Espagne par la révolte des communeros ; il l'inquiète comme protecteur de l'Italie, en revendiquant les duchés de Milan et de Gênes ; comme empereur d'Allemagne, il l'environne de difficultés par sa ligue avec les protestants de la confession d'Augsbourg. Charles-Quint a des empires en Amérique, François Ier envoie des expéditions de boucaniers pour y former d'autres établissements ; enfin, comme le Turc a des armées immenses dont il dispose contre l'empereur, François Ier n'hésitera pas à se lier avec lui pour combattre son rival.

En prenant pour point de départ le traité de Madrid, le projet de Charles-Quint était de détacher de la monarchie de France plusieurs provinces anciennement à sa maison, telles que la Bourgogne, une fraction de la Flandre, et de réduire à des proportions infiniment étroites le patrimoine de François Ier ; dans le traité de Cambrai, tout cela fut changé en stipulation d'argent. Bientôt la splendide couronne de France s'agrandit par la réunion définitive de la Bretagne, vaste duché, longue lisière sur l'Océan, bordée de villes, avec la libre navigation de la Loire pour le développement du commerce. Dans les vieilles chroniques, on peut lire quelques descriptions de la Bretagne, depuis le VIe siècle jusqu'au XIIe passant du sombre système des druides aux souvenirs de la Table ronde et aux monastères du moyen âge. Nul pays n'avait mieux gardé son empreinte d'antiques mœurs, avec les Rohan et les Clisson qui justement prétendaient à la couronne fermée du duché. La Bretagne, gouvernée par des coutumes spéciales, n'admettait pas la loi salique ; la succession venait aux mâles ou aux filles indistinctement ; le pays des druidesses et des fées bienfaisantes ne pouvait exclure les femmes. Louis XI, ce grand envahisseur de souverainetés, après avoir réuni Bourgogne, Provence, pensa que la Bretagne pourrait augmenter son domaine, et déjà il espérait que la jeune Anne, héritière de ce duché, l'apporterait en dot à un fils de î, rance. Cette résolution s'accomplit, et Anne de Bretagne devint la femme de Louis XII ; puis elle mourut laissant deux filles, Claude et Renée.

Nulle héritière plus riche que Claude de Bretagne. Contrefaite de corps, bonne et douce créature, elle fut donnée par la politique comme femme à François Ier. Elle laissa plusieurs enfants dont l'aîné devenait de droit héritier du duché[1]. Les pompes et funérailles de madame Claude furent magnifiques ; l'hermine dut briller à côté des trois fleurs de lis de France ; mais dans les coutumes un article ne permettait pas la réunion de la Bretagne à une couronne étrangère ; et en tous les temps et sous tous les rois, il devait y avoir un duché de Bretagne, séparé et indépendant, de sorte que les descendants de là duchesse par lés femmes prétendaient avoir autant de droits que la France. Par exemple la maison de Rohan en revendiqua le privilège : un vicomte de cette illustre race avait épousé là fille cadette de François, l'un des derniers dues de Bretagne ; et pourquoi n'élèverait-on pas sa liguée, de préférence au roi de France qui allait absorber l'indépendance de la province ? Dans une telle affaire, la question de droit devait être subordonnée à une question de force ; et François Ier entreprit un voyage en Bretagne, suivi du chancelier Duprat, le légiste grand chicanier du droit civil, pour justifier les résolutions royales. L'opinion du chancelier était de prononcer cette réunion de plein droit et par le parlement ; les Bretons fort têtus ne voulurent pas consentir à ce mode de réunion par la seule volonté tandis que les états seuls pouvaient décider la difficulté. Or, par les états, on entendait le clergé des villes, la noblesse de Bretagne, possédant fiefs avec droit de vote personnel, et les magistrats des villes, élus sur chartes et convocation féodale.

Le roi et son chancelier, sur ce refus, devaient agir par deux moyens ; obtenir, sinon la renonciation, au moins le silence des grands féodaux de la Bretagne, tels que les Rohan, les Clisson, et ensuite promettre aux états de maintenir les garanties de liberté et de franchise. Durant un voyage à Nantes, à Rennes, François Ier en prit le formel engagement : La Bretagne seroit réunie à la monarchie comme une portion indépendante dans sa nationalité ; jamais on n'attenteroit aux privilèges des nobles bretons, du clergé et des villes. Dans le procès-verbal de ces états, se révèle ce sentiment d'indépendance et de liberté ; d'après le conseil et l'impulsion du chancelier Duprat, les états devaient demander eux-mêmes la réunion de la province à la couronne ; mais quelques-uns des plus courageux s'opposèrent à cet acte de soumission, et un député de Nantes parla même outrageusement des suzerains de la monarchie française. Le roi trouva un champion dans un de ses capitaines d'armes Montejan, qui vint prendre corps à corps le député de Nantes, et tous les gentilshommes se levèrent debout à la face du champion. On s'arrêta pour une transaction politique : une charte royale bientôt, conservant toutes les franchises de la province, réunit la Bretagne à la couronne ; le roi ne fut pas déclaré duc des Bretons y mais son fils issu de leur seule et légitime souveraine, la duchesse Anne[2] ; quant à François Ier, il n'eut que l'usufruit du duché. Et tant on craignait que de nouvelles guerres civiles ne vinssent agiter la province, que nul désormais ne dut porter les armes de Bretagne, pleines et entières, si ce n'est le Dauphin, fils du roi de France. Les bâtards s'ils avaient encore l'hermine bretonne dans leurs armoiries, devaient la briser par une barre.

Ainsi fut stipulée une des plus belles réunions provinciales qui donnait une nouvelle force à la monarchie française ; elle le fut par le consentement libre des états, mais à des conditions de privilège et de liberté, en vertu, pour ainsi dire, d'un traité ; et en cette occasion il se passa la même scène de judicature qui avait affranchi François Ier des stipulations du traité de Madrid. Le parlement de Paris, se posant toujours comme autorité souveraine, déclara qu'il n'admettait pas les conditions imposées par les états de Bretagne au roi de France, parc, que la réunion opérée de plein droit (ipso jure) par succession, n'était point le fait des états, mais le résultat de l'ordre légitime d'héritage. En cette circonstance, François Ier agit avec une haute prudence : s'il s'était servi du parlement pour secouer les stipulations du traité de Madrid, c'est qu'il avait alors un intérêt hautement politique à briller ce traité par une force en dehors de lui ; mais ici que lui importait que ce fût en vertu du droit d'héritage ou par suite d'une délibération des états que s'accomplît la réunion de la Bretagne à la couronne ? elle n'en était pas moins réelle, et s'il fallait se servir dans certaines circonstances décisives de l'autorité du parlement de Paris, devait-on lui accorder complètement le droit souverain de décider sur tous les traités conclus par le roi ? On s'en tint donc à la réunion de la province par le vote des états9 forme plus solennelle, plus nationale, et le Dauphin fut couronné duc de Bretagne avec toutes les solennités des vieilles coutumes[3] ; en cette qualité, il eut son scel particulier armorié comme celui des antiques souverains de la province. Malgré l'opposition du chancelier Duprat, le Dauphin désigna son chancelier spécial de Bretagne ; ce qui satisfit singulièrement la noblesse locale.

Depuis qu'il avait été question de restituer la Bourgogne à l'antique lignée de ses ducs représentée par Charles-Quint, le conseil du roi vit bien qu'on devait empêcher que jamais une telle pensée pût se réaliser, et pour cela on devait con, tenter clergé, noblesse et ville de Bourgogne par une bonne administration. Il fallait fondre cette province intimement dans la monarchie, et François Ier, en confia le gouvernement à un de ses meilleurs capitaines ; la noblesse fut appelée incessamment à servir dans les gardes du roi, on gagna tout, clergé, gentilshommes et villes. Depuis, il ne fut jamais question de séparer la Bourgogne de la France dans les négociations postérieures aux jours mêmes de la Ligue, lorsque la maison d'Espagne intervint d'une façon souveraine dans la monarchie. Si les prétentions de Philippe II allèrent jusqu'à se dire et à se proclamer roi de France, il ne revendiqua jamais le titre de duc de Bourgogne.

Cet esprit d'opposition à l'idée universelle brillant sur le diadème de Charles-Quint, détermina François Ier à se rapprocher plus intimement de Henri VIII[4], roi d'Angleterre, prince si mobile, si personnel, dont la politique se colorait plus par les passions, qu'elle n'agissait par une raison sévère. Les dépêches intimes des ambassadeurs en France, en Angleterre, révèlent les rapports changeants de François Ier, et de Henri VIII. A l'origine et sous l'influence du cardinal Wolsey, Henri s'était posé comme médiateur avec assez d'impartialité entre Charles-Quint et le roi de France ; caractère qu'il développe jusqu'à la question de divorce avec Catherine d'Aragon. En ce moment, Henri VIII éprouve pour Charles-Quint une vive répugnance, parce [qu'il le sait le seul obstacle à la rupture de son mariage. Au contraire, il s'ensuit un rapprochement avec François Ier, qui loin d'être opposé au divorce, le favorise de tout son pouvoir. Ce n'est pas au profit d'Anne de Boleyn que la cour de France suit cette ligue d'abord ; c'est pour préparer une alliance de famille, car la duchesse d'Alençon, la propre sœur de François Ier est destinée au roi d'Angleterre, le grand prometteur d'hyménée. Les liens entre les deux couronnes seront plus rapprochés.

Quand l'ambassadeur de France, Langey, s'aperçoit que ce n'est pas le mariage de la duchesse d'Alençon que le divorce fera triompher, mais l'amour violent de Henri VIII pour Anne de Boleyn, sa politique hésite. Néanmoins comme il faut ménager la puissance du roi d'Angleterre, François Ier ordonne à son ambassadeur de se poser en médiateur entre Henri VIII et Clément VII, afin de ne heurter ni la puissance de Rome, ni la volonté du roi. Comme il faut se prononcer et que Henri persiste, à se divorcer avec Catherine d'Aragon, François Ier n'hésite plus, séparant la question religieuse de la question politique, il prend directement le parti d'Henri VIII[5], son naturel auxiliaire. Alors la reconnaissance du roi des Anglais se manifeste sans bornes : le traité de Cambrai a stipulé que François Ier paiera au roi d'Angleterre les sommes que cette couronne a prêtées à Charles-Quint ; Henri VIII y renonce libéralement.

Dans chaque négociation, on ne parle désormais que d'armements simultanés pour la protection des intérêts communs. François Ier n'approuve point le schisme que prépare la colère brutale de Henri d'Angleterre, mais ce schisme n'est point un motif pour rompre l'intimité de ses rapports, Au moyen âge, tin prince excommunié, exclu de la société générale, qui eût osé lui tendre la main ? En France on en avait des exemples, et parmi les plus remarquables, celui du roi Robert et du solennel interdit jeté sur le royaume. Aujourd'hui il ne s'agit pas seulement d'abriter le prince proscrit par les bulles du souverain pontife, on se proclame librement son allié ; c'est que le moyen âge est fort loin ; une politique nouvelle se développe, celle du balancement des intérêts et des forces matérielles. On peut donc reporter au règne de François Ier' le principe de cette diplomatie moderne, laquelle procède par l'étude des passions, des idées, des intérêts, et qui fait tout servir au développement de la force nationale. Il y eut à ce temps une école diplomatique prise presque tout entière dans le parlement, et cette école, sans se séparer de l'idée purement catholique et universelle, imprima soit à l'Église, soit à l'État, un caractère spécial d'égoïsme, en dehors du moyen âge.

Cette politique entièrement basée sur les intérêts se révèle plus complète, plus en dehors encore du principe religieux dans les rapports de François Ier avec les princes protestants d'Allemagne. Dès qu, il se manifeste une agitation sourde parmi les électeurs opposés à la suprématie impériale, on voit apparaître aux diètes les négociateurs, secrets du roi de France, s'inquiétant à peine de la question religieuse, pour s'adresser immédiatement aux intérêts politiques. Jusqu'alors les rois de France n'avaient traité avec les électeurs que pour recruter les reîtres et les lansquenets, ou s'assurer les suffrages dans l'élection impériale. Quelquefois des aventuriers d'Allemagne, au nom glorieux des La Marck ou Sickinghen, s'étaient mis au service du roi, pour guerroyer dans les terres plantureuses où le pillage était facile. Après la réforme, la politique de François Ier prend un caractère plus prononcé ; il ne s'agit plus d'une question privée, mais de frapper au cœur la puissance de Charles-Quint.

Quand la diète d'Augsbourg fit sa confession, et qu'elle s'arma dans la ligue de Smalcalde, les électeurs séparés de l'Empire s'adressèrent au roi de France, leur ancien protecteur, d'abord secrètement, puis à la face de tous ; François Ier n'hésita pas à traiter arec l'électeur de Saxe, le duc de Wurtemberg, ou le grand maître de Tordre Teutonique, signataires de la ligue de Smalcalde. Des subsides furent envoyés, des promesses faites, et, enfin, le roi de France adhéra à cette ligue comme à un acte qui proclamait la liberté de l'empire germanique. Comme pour la question du divorce de Henri VIII, François Ier sépara complètement la pensée religieuse d'avec le mouvement politique. Partant de cette idée qu'il était le protecteur des libertés de l'empire germanique tout à fait en dehors du luthéranisme, le roi soutenait qu'il pouvait se lier avec les princes allemands, lion point dans la doctrine de Luther, mais dans une pensée d'indépendance pour la Germanie. Cette position si hardiment prise, le roi dut l'expliquer au pape comme une sorte de médiation, inhérente à la dignité de sa couronne. Dans les diètes ses ambassadeurs paraissaient pour promettre appui ou donner des conseils ; si François Ier détestait le luthéranisme[6] comme principe d'un mouvement déplorable contre la royauté, il y voyait en Allemagne, en Suisse, un instrument pour lutter contre la suprématie universelle de Charles-Quint, et il s'en servait comme d'un grand levier ; ses dépêches aux ambassadeurs se multiplient : ici, on signe des traités ; là, on s'engage à soutenir la liberté des électeurs, et, au milieu de tous ces embarras, le roi des Romains, Ferdinand oppose une sagesse immense, une modération de principes qui arrête la plupart des intrigues de François Ier.

Ces négociations prennent en Italie un caractère presque de duplicité ; par les traités de Madrid et de Cambrai, le roi de France s'engageait à n'intervenir ni directement ni indirectement dans les intérêts de l'Italie, renonçant ainsi aux droits de Charles VIII et de Louis XII[7]. Presque immédiatement François Ier foule aux pieds ses promesses, on le voit à la fois négocier à Venise, à Rome, à Milan et à Gènes ; il sait que la suprématie de l'empereur en Italie doit blesser bien des souverainetés et il veut s'en servir pour renouveler des conquêtes. L'Italie est pour lui comme un de ces grands prestiges qu'il n'abandonne jamais absolument ; les traités ne. sont que des points d'arrêt pour arriver à des temps meilleurs et à des circonstances qui lui permettront de repasser les Alpes j il n'est plus absolument jeune, et cependant l'Italie le réchauffe de ses feux, et franchir les montagnes est pour lui le poétique rêve.

À Venise, d'abord, le roi sait que la domination de Charles-Quint pèse et l'antique rivalité n'a pas cessé d'exister entre les empereurs et la sérénissime république. On a signé la paix, et le sénat a refusé d'adhérer à la ligue de Bologne, concertée entre le pape et Charles-Quint pour la délivrance de l'Italie. Venise a trop perdu pour ne pas désirer une meilleure situation ; et ses conquêtes comment pourra-t-elle les recouvrer si ce n'est par une nouvelle alliance avec la France ? On trouve dans les pièces diplomatiques de François Ier une multitude de documents sous le titre de Nouvelles d'Italie que des agents envoient à la cour de France, et ces nouvelles indiquent la situation réelle du sénat vénitien. Une vive jalousie s'est manifestée entre Venise et Gênes ; Gênes spécialement protégée par l'empereur, qui a choisi Doria comme chef d'escadre, et dont le commerce va s'étendre sur toute la mer ; Gènes, splendide comme ses palais de marbre, absorbera Venise, monotone comme ses lagunes. Le sénat viendra donc à l'alliance de la France[8] pourvu qu'on sache attendre et que les circonstances soient favorables. A Milan, Sforza le rusé paraît fatigué des exigences de Charles-Quint, et si on lui démontre que ses intérêts seront pleinement satisfaits par le triomphe du roi, il arrivera tout naturellement à François Ier. On conseille donc au roi d'envoyer un agent à Milan pour pressentir Sforza sans jamais s'abandonner à lui, parce qu'il sacrifiera tout à son intérêt. On appelle l'attention la plus spéciale du roi sur Turin, où les intrigues de Charles-Quint se multiplient pour détacher la maison de Savoie de son alliance avec la France. Si l'empereur reste maître des conseils à Turin, et, s'il peut dominer en Suisse, la Bourgogne, le Dauphiné, la Provence sont également menacés ; l'agent secret veut qu'on surveille le marquis de Saluées, l'acteur principal de toutes ces intrigues. Gênes, c'est en réveillant l'ancien parti de Frégose que François Ier veut reconquérir la domination que tient alors André Doria. Le roi soutient une théorie curieusement fallacieuse : comme il n'a pas spécialement renoncé à ses droits sur la seigneurie de Gênes, ni dans le traité de Madrid, ni dans celui de Cambrai, cette seigneurie lui appartient parce qu'elle ne peut être comprise dans le mot générique d'Italie.

Avec le pape les rapports de François Ier deviennent d'une délicatesse extrême ; intimement uni avec Charles-Quint dans les conférences de Bologne, Clément VII néanmoins, pour garder ce caractère impérial qui convient seul au père commun des fidèles, se montra très-empressé de répondre à toutes les ouvertures de François Ier ; non-seulement il le considère comme le roi très-chrétien et le médiateur des différends entre le saint-siège et Henri VIII, mais encore il craint que si Rome se laisse aller à quelques mesures contre la France, il ne s'ensuive un schisme aussi déplorable que la réforme. Déjà il existe un parti mitoyen et parlementaire qui en appelle incessamment au futur concile, et le roi seul est assez fort pour empêcher le mouvement d'opinion qui entraîne les légistes au protestantisme. Dans la question du divorce de Henri VIII, le pape a perdu l'Angleterre ; il se garde de pousser les choses à l'extrême pour ne pas s'exposer à un nouveau schisme. Clément VII ménage donc François Ier, assez habile d'ailleurs pour se rattacher les Médicis au moyen d'une alliance de famille : dans Clément VII il y a toujours deux hommes, le souverain pontife, et l'aîné de la race des Médicis, avec ses intérêts de Florence et la suprématie d'artiste en Italie. François Ier lui offre d'unir le second de ses fils avec une de ses nièces, Catherine, de la race des Médicis : quel honneur pour la famille florentine qu'un mariage avec une si haute lignée, François Ier a, lui, ses desseins aussi. Une seconde fois il remet le pied en Italie ; de Florence il pourra essayer de nouveau la conquête du Milanais et la souveraineté de Gènes[9]. Cette ligué balancera la confédération de Bologne au profit de l'empereur ; il a confiance dans les armes françaises ; ces légions à la manière romaine qu'il organise sont destinées à repasser les Alpes et à reconquérir les provinces perdues.

Telle est la diplomatie de François Ier partout rivale de celle de Charles-Quint. Mais le point qui s'écarte le plus complètement de l'esprit du moyen âge, la pensée politique peut-être la plus hardie, c'est la réalisation, incontestable déjà,d'une alliance intime du roi avec la puissance ottomane. Il faut se reporter à l'idée que la chrétienté se faisait des infidèles et de l'effroi universel que jetaient ces terribles irruptions sur le monde chrétien pour mesurer l'immense portée de cet acte. Depuis un siècle et demi on ne parlait que des ravages des musulmans. La Syrie, la Grèce étaient en leur pouvoir ; Rhodes venait de succomber après l'héroïque défense des chevaliers ; la Sicile et Naples demeuraient incessamment menacées par les corsaires ; les jeunes filles et les enfants étaient destinés aux sérails. On comptait plus de cent mille esclaves à Tunis, à Alger, chargés de chaînes, obligés de blasphémer le nom du Christ. Toutes les prédications de la chaire, toutes les lettres des pontifes, les actes des conciles, comme les bulles des papes, ne signalaient qu'un seul ennemi, le Turc ; on proposait des levées en masse, la chevalerie était partie en arme. Le repos même devenait odieux quand la grande famille chrétienne était si visiblement menacée.

Dans ces circonstances néanmoins, quand les esprits étaient si universellement soulevés contre les barbares, le bruit se répandit que François Ier avait traité avec Soliman II. À ses instigations, l'armée musulmane s'étoit portée en Hongrie, les flottes au pavillon ottoman étoient apparues dans la Méditerranée pour lutter avec André Doria. Ces bruits n'étaient pas de pures calomnies et semées par Charles-Quint afin de soulever d'odieuses haines contre François Ier. Les documents qui restent sur toute cette partie importante de la diplomate du roi de France ne laissent pas de doute sur son alliance avec le Turc. Depuis plusieurs années, déjà Clément VII avait invité François Ier à prendre parti dans la grande croisade contre les infidèles. En acceptant cette idée, pour ne pas trop heurter l'opinion générale, le roi témoigne le désir de s'entendre avec Henri VIII sur un point m il s'agissait de marcher de concert contre un ennemi redoutable. Ils se virent dans une succession de conférences à Bologne, puis à Calais, et bientôt dans un traité d'alliance entre ces deux souverains, il fut stipulé une ligue contre les Turcs[10]. Ce traité pris dans son texte assure, un concours réel à l'expédition de la chrétienté ! Mais bientôt on dut discuter la nécessité de fixer le but et la marche de l'armée ; et ici s'éleva la question réelle : par quelle route prendraient les armées combinées ? Si François Ier avait été d'entière bonne foi, la route était fort simple : passer le Rhin, se joindre sur le Danube aux armées fédérales des Allemands pour délivrer la Hongrie. Mais sous prétexte que l'Italie était aussi fortement menacée par les musulmans que l'Allemagne, François Ier voulut qu'on lui laissât passage à travers les Alpes, de Milan jusqu'à Naples, et au moyen de cinquante mille hommes d'armes, Allemands, Français et Anglais, il s'engageait à garantir l’Italie contre toute invasion des Barbares.

Avec le simple instinct de la position il était facile de voir où François Ier voulait en venir ; tout récemment il avait perdu l'Italie, il ne pouvais prétendre la conquérir de force ; eh bien, par le seul effet de son projet, il s'en trouvait le maître à la tête d'une armée de cinquante mille hommes, et cette remarque n'échappa point à l’empereur Charles-Quint, si intéressé à suivre et à parfaitement deviner les desseins réels du roi de France. Dans sa correspondance avec le pape, l’empereur témoigne un grand étonnement que pour porter secours à la Hongrie, François Ier choisisse la route d'Italie. La correspondance des agents de l'empereur en Grèce, en Turquie, lui annonce que le roi de France était déjà lié par un traité avec les infidèles, et que cette invasion de l'Europe se développe de concert avec lui. Ici se révèle le constant sujet des plaintes vives, ardentes de Charles-Quint contre François Ier. S'il veut prouver qu'il est de bonne foi, qu'il nous envoie ses subsides, qu'il nous prête sa gendarmerie et sa flotte. Et à cela François Ier répond : Je ne prête pas ma gendarmerie, je ne donne pas mon argent, et ma flotte m'est nécessaire pour garantir le Languedoc et la Provence : les Turcs nous menacent, partageons la besogne ; que lui Charles-Quint aille défendre la Hongrie, pour moi, je me réserve l'Italie, et je la garantirai.

Au fond du cœur, François Ier n'avait aucune envie d'attaquer le Turc, son auxiliaire actif, efficace dans la lutte engagée entre lui et Charles-Quint. Trois années déjà avant l'invasion de la Hongrie par Soliman, sous prétexte d'assurer ses intérêts commerciaux, le roi de France entretenait un envoyé à Constantinople : se bornait-il à stipuler les franchises et les libertés pour les sujets qui habitaient l'Égypte, la Syrie et Constantinople, ou bien y avait-il des articles secrets pour s'assurer le concours du Turc ? L'accusation fut formulée en plein consistoire par le cardinal Dosme, et François Ier, de son côté, dans les instructions données à son ambassadeur auprès du saint-père, déclare que ledit cardinal en a menti par la gorge. Cependant en 1532, année de la nouvelle invasion des Turcs en Hongrie, il arriva à la cour de Fontainebleau un Arménien du nom de Jérôme de Lasco, député du vayvode de Transylvanie, allié de Soliman II. Lasco demandait à la fois de l'argent et une princesse de France pour le vayvode, en retour de l'hommage ; on lui destina un moment Isabelle d’Albret, sœur du roi de Navarre ; et Lasco reçut deux mille écus d'or. Ce fait constaté par les documents, les contemporains cherchent à l'atténuer, en disant qu'on voulait séparer le vayvode de la cause des Turcs. Il est plus sûr de croire que celui-ci ne fut que l'intermédiaire d'un traité secret entre Soliman II et François Ier ; comment arriva-t-il qu'au moment où l'Allemagne entière était levée pour combattre le Turc, il n'y eut pas un seul chevalier de France qui lui vint en auxiliaire la lame haute ? François Ier ne prend aucune part à la croisade ; tout s'accomplit sur mer par André Doria, qui porte la bannière impériale, et en Allemagne par les chevaliers de Souabe, de Hongrie, de Bohème, qui marchent avec valeur contre les janissaires, tandis que François Ier s'occupe de petits griefs, de vengeances personnelles, pour diviser, séparer l'Allemagne, comme s'il était l'agent de Soliman II, chargé d'amortir les coups de la ligue de chevalerie.

Dans cette appréciation historique, on ne doit point omettre qu'après quelques années, ce qui n’était qu'un projet incertain, devint un fait public ; François Ier s'avoua l'allié intime de Soliman II, et accomplit ainsi le triomphe des idées purement diplomatiques, sur la politique de croyances et d'enthousiasme naïf. Dès qu'il fut reconnu que les rois pouvaient, sans distinction de culte et d'opinion, se lier en vertu d'intérêts personnels ou d'avantages commerciaux ; traiter, en un mot, sans examiner le principe religieux, la société catholique fut menacée dans son unité. En soutenant les protestants en Allemagne et l'invasion des Turcs en Europe, François Ier devint le pivot de toute une nouvelle diplomatie développée dans sa plus haute expression sous le cardinal Richelieu. Et l'on remarquera quelque chose curieusement significatif dans cette situation respective de Charles-Quint et de François Ier : c'est que si l'empereur a moins de caractères chevaleresques dans sa personne que François Ier ; si, plus politique que brillant, il marche à ses desseins, sans forfanterie d'honneur et sans s'abreuver aux grands romans du moyen âge ; néanmoins, sa politique reste moyen âge avec le double type de Charlemagne et des croisades ; de Charlemagne comme unité ; des croisades, comme élément de grandeur et de popularité religieuse. Le contraire se rencontre dans François Ier ; c'est le roi chevalier dans ses formes, il ne rêve que tournois, que lices ouvertes, que vieilles choses du moyen âge. Et cependant, dans sa politique, il est tout l'opposé du vieux temps ; cet esprit des croisades que Charles-Quint invoque pour sauver l'Europe, François Ier le tue par son alliance avec les infidèles ; l'unité, il la brise, il la morcelle partout où elle se trouve, même en Allemagne, par son adhésion à la ligue de Smalcalde, véritable abdication du principe religieux, pour arriver à l'indifférence des rapports diplomatiques. Cela tient moins à François Ier qu'à l'influence des parlementaires, maîtres des négociations ; or, les parlementaires aux idées générales de l'Église substituaient alors les opinions d'une trop exclusive nationalité.

C'est de l'alliance de François Ier et de Soliman II que datent les premiers rapports réguliers et consulaires entre la France et les échelles du Levant, Le consulat n'est pas une idée qui appartienne exclusivement à la chancellerie royale ; elle vint d'abord des républiques commerciales de l'Italie ; elles eurent partout des comptoirs sur le littoral de l'Egypte et de la Syrie, et des traités assurèrent à Pise, à Venise, à Gênes, puis à Marseille, des établissements consulaires ; telle fut l'origine de ce beau système de protection régularisé par les traités. Tandis que dans les croisades, l'esprit chevaleresque ne songeait qu'aux grandes prouesses pour la délivrance du saint tombeau, les républiques marchandes pensaient à s'assurer des débouchés et des vastes dépôts pour leur commerce : l'esprit qui préside aux nouveaux rapports de François Ier avec les sultans n'est pas commercial sans doute, mais il prépare le triomphe des établissements consulaires, parce qu'il est l'origine des capitulations signées entre la Porte et la France. Il est rare que des traités politiques n'entraînent pas avec eux-mêmes des applications commerciales ; depuis François Ier jusqu'à la révolution de 1789, les relations entré la Porte Ottomane et la France ne furent jamais sensiblement altérées, et c'est ce qui avait créé notre grandeur et notre suprématie dans les échelles du Levant.

 

 

 



[1] Don, cession et transport faict par la royne Claude au roi François son mary, des duché de Bretagne, comté de Nantes, et autres terres, sa vie durant. 22 avril 1515. — Bibl. du Roi, Mss. de Dupuy, vol. coté 7, et Mss. de Mesmes, vol. coté 8542-4, fol. 12.

[2] Union de la Bretagne à la couronne de France faite par le roy François Ier, usufructuaire, à la requeste des estatz du d. pays, avec permission néantmoins au Daulphin d'y faire son entrée à Rennes et s’y faire couronner comme vray duc et propriétaire, sans préjudice du d. usufruict, ensemble la confirmation des privilèges du pays et deffenses à toutes personnes de porter le nom de Bretaigne à cause de leurs mères et aux bastards d'en porter les armes sans barre. A Nantes 4 août et 18 novembre 1532. — Mss. de la biblioth. de M. de Fontanieu, Int. Bretagne, page 201.

[3] V. dans les Mss. de Béthune, cot. 8575, Bibl. Roy.

L'entrée et couronnement du duc François, troisiesme de ce nom, en la ville et cité de Rennes, capitalle du duché de Bretagne, en l'an mil cinq cent trente-deux.

Couronné fut l'an mil cinq cent trente-deux

Dessus mille, à Rennes prince heureux

Le duc François, troisiesme du nom

Daulphin de France et le premier fleuron.

[4] Dès ce moment la correspondance entre les deux princes révèle leur intimité et le besoin qu'ils ont mutuellement l'un de l'autre.

Lettre de Henri VIII à François Ier. — Mss. de Béthune, vol. cot. 8505, fol. 20, Bibl. Roy.

Très hault et très puissant prince notre très cher et très amé frère, cousin compère et perpétuel allyé, tant et si très affectueusement que faire pouvons a vous nous recommandons.

Très hault et très puissant prince, voulans tousjours faire ou penser chose qui peut estre au bien de vos affaires comme de noz propres, et voyant l'état présent du siège apostolique, mesmement la qualité des cardinaulx et les faveurs qu'ils pourroient porter a ung costé plus que aultre, nous a semblé très expédient et nécessaire pour vos d. affaires de avoir autant d'amys entre les d. cardinaulx que bonnement faire se pourra, et voyant que a présent, en contemplation de l'empereur sont esté faitz troys cardinaulx, et à votre faveur ung tant seullement, combien de notre part eussions fait recommandation pour deux. Sommes d'advis et oppinion pour plusieurs grandes raisons estre fort expédient que faites tant envers le pape que pour ces te création au moins, il face deux cardinaulx a vostre intercession et faveur.

Et combien, très hault et très puissant prince que a la nomination et élection de personnes plus convenables à ce propos votre grande prudence scauroit mieux y adviser, toutes foiz veu la sagesse, congnoissance expérience des affaires italiques, fidélité et autres excellentes qualitez du s. de Vaulx, votre ambassadeur a présent lez noue. Nonobstant que le trouvons aulcunemeht desyreux de tel chose, mais plustost aliéné et difficile à ce faire, et néantmoins n'avons voulu omettre vous advertir qu'il nous semble plusieurs grans et bon succès et occasions pouvoir ensuivir par sa promotion à la d. dignité de cardinal. A tout très hault et très puissant prince, etc. Escript à notre chasteau de Windesore le 16e jour de avril, l'an 1530. Votre bon frère, cousin, compère et allyé. Henry.

[5] Lettre de François Ier à son ambassadeur à Rome. — Bibl. du Roi, Mss. de Béthune, n° 8477, fol. 47.

Monsieur d'Auxerre, j'ay entendu comme incontinent après ces vaccations qui finiront le dernier jour de ce mois, notre saint père le pape a délibéré d'examiner à Rome la cause du roi d'Angleterre mon bon frère et perpétuel allié, de procéder à l'encontre de luy par contumace et de mettre fin à son affaire selon le désir de ses parties adverses que je ne scaurois croire, attendu la bonté de notre d. saint père, la raison équité dont il est coustumier et tenu user envers ung chacun ; et que en faisant cela il viendroit entièrement contre tous les droitz et l'oppinion de ceux qui se y entendent dont mons ; mon bon frère ses amis et allez qu'il a en très grand nombre auroient bonne et juste occasion d'eux ressentir comme de chose qui est de pernicieuse conséquence, et qui doibt déplaire à tous princes pour leur interest particulier et d'autre part je ne puis penser que notre d. saint père qui est home de très bon jugement voulut en ce temps qu'il voit l'obéissance de l'église tant diminuée et en merveilleux danger si Dieu ny maict la main de diminuer encore davantage, je ne diray faire ne octroyer mais seullement consentir ou permettre que telle et si évident injure soit faitte ou dicte au roy d'Angleterre mon bon frère, scachant sa grandeur la parfaicte et grande amitié qui est entre luy et moy. Escript à Chantilly le 26e jour de septembre 1531. Françoys.

François Ier écrit même directement au pape Clément VII.

Très sainct père, votre saincteté sçait assez de longtemps, qu'il y a que nostre très cher et très amé bon frère et perpétuel allié le roy d'Angleterre poursuit envers elle, que la congnoissance de la cause de son mariage soit renvoyée en son royaume, sans être autrement contraint de le faire débattre ne poursuir à Rome, tant pour la longueur et distance des lieux, que aussi pour plusieurs et bonnes considérations qu'il nous a toujours faict entendre avoir par ci devant faict remonstrer et alléguer à icelle votre saincteté, afin de la faire persuader de ce faire. Et combien, très sainct père, que par diverses fois, mesmement du pont Saint-Cloud près de Paris et depuis de Chantilly, nous vous ayons bien amplement escript de cette affaire en faveur de nostre bon frère, et davantage faict porter parole par nos ambassadeurs qui ont résidé auprès de vostre saincteté, à ce qu'elle voulust conduire et guider les choses à l'honneur de Dieu tout premièrement, et après au plus près de l'intention de nostre bon frère, tant pour la parfaicte et indissoluble amitié et affection qui est entre nous, que pour l'obéissance, amour filial que porton, à icelle vostre saincteté. D'autant qu'il pourroit estre que du costé du d. Angleterre vostre sainctetë n’auroit par ci aptes l'obéissance, telle qu'elle a eue par le passé, joint davantage qu'il a esté donné à entendre à nostre bon frère, que icelle vostre saincteté persistoit de le voulloir faire citter d'aller à Rome pour la décision de sa dite cause. Chose qu'il a trouvé et trouve merveilleusement éloignée de raison, et non sans bonne et juste occasion : attendu que les plus savants personnages, avec lesquels nous nous sommes bien voulu enquérir de cette affaire pour la singulière amour et affection que nous portons à nostre dit bon frère, nous ont dit cela estre totalement contraire à toute disposition de droit, et aux privilèges de sond, royaume. A ceste cause, très sainct père, avons bien voulu escrire de rechef de cette affaire à vostre dite saincteté, la suppliant tant et si affectueusement que faire pouvons, ne le vouloir trouver étrange et au surplus qu'elle veuille bien penser et considérer tous les points ci dessus touchés, et réduire à mémoire, ce que nous lui avons par ci devant escrit et souvent fait dire et remonstrer par nos ambassadeurs, en pourvoyant au reste promptement en l'affaire de nostre bon frère, en façon qu'il puisse cognoistre par effet que vostre saincteté estime et resente l'amitié d'entre nous éstre telle et si ferme et voye que pour ce qu'elle fera pour lui en cet endroit, soit en sa faveur ou défaveurs, nous le tiendrons faict à nous mêmes. Et à tant, très sainct père, nous supplions le benoist, fils de Dieu, que valle vostre dite saincteté, et veuille longuement maintenir préserver au bon régime et gouveriiement de nostre mère saincte église. Escript à Arques lé 10 janvier 1531 (1532). Françoys.

[6] François Ier, tout en défendant Henri VIII, met une grande importance à préserver son royaume de l'hérésie ; il écrit aux évêques. — Bibl. du Roi, Mss. de Béthune, n° 8570, fol. 3, Bibl. Roy.

Mon cousin vous avez pu cognoistre tant par la bulle qu'il a pieu à notre très saint père le pape me concedder et octroyer laquelle a été lue et publiée par tout mon royaume que aussy par les lettres que je vous ay devant escriptes l'affection que j'ay que mon d. royaume puisse demeurer exempt et nect de toutes ces mauvaises et malheureuses sectes hérésies qui pullulent aujourd'huy en plusieurs et divers pays de la chrestienté et combien j'ay continuellement désiré et désire encore de présent que vous et les autres prélats de mon royaume eussiez peine de scavoir et entendre s'ils se trouveroient aucuns personnaiges en vos diocèses maculez ou aucunement entachez des d. hérésies pour la faire prandre et procédés contre eux afin de les faire pugnir et châtier ainsy qu'il se trouveroit par bonnes et vrayes informations preallablement faittes qu'ils l'auroient mérité et desseroy et d'autant que j'ai plus que jamais ceste matière a cueur pour le lieu que je tiens et le nom très chrétien que je porte. Je vous ai bien de rechef voulu escripre la présente vous priant mon cousin que vous ayez en cest endroit a ensuyvre de point en point tout ce que je vous ay par cy devant escript et a vous conduire en sorte que je puisse congnoistre par l'effet que vous ayez fait votre vray et loyal devoir en l'affaire dessus d. et ne faillez à me faire réponse à la présente et vous me ferez plaisir et service très agréable. Priant Dieu mon cousin qui vous ait en sa très sainte garde. Escript de Tabbaye de Longpont, le deuxième jour de may mil cinq cens trente quatre. Françoys.

[7] François avait remis les actes qui établissaient ses droits sur l'Italie aux mains de l'empereur, en voici la preuve. — Ch. des compt., Mém. EE, f. 257. Bibl. des Célestins, collect. de M. de Menant, auditeur et doyen de la d. ch., t. 7, fol. 59.

François par la grâce de Dieu, roy de France, certifions à nos amis et féaux gens de nos comptes avoir cejourd'huy reçu par les mains de notre amé et féal conseiller et correcteur ordinaire de nos comptes M’ Jehan Cour tin les pièces qui s’enssuivent c'est assavoir la lettre de feu notre cousin l'archiduc d'Autriche Philippe comte de Flandres par laquelle il donne pouvoir a son ambassadeur de traiter paix avec notre très cher sgr et beau père que Dieu absoille, le roy Louis XII du 6e may 1498 la lettre du d. traité de paix etc. La lettre du feu empereur Maximilien par laquelle il investit notre d. feu sgr et beau père nous et la feue royne notre épouse du duché de Milan etc. lesquelles lettres et autres Chartres estans la pluspart en notre trésor des Chartres à Paris ; par le traité de paix par nous dernièrement fait avec notre très cher frère et cousin l'empereur noua étions tenus et obligés avant la délivrance de nos très chers et très amés enfans le Dauphin et le duc d'Orléans bailler et mettre ez mains du d. empereur ou de ses commis, etc.

Donné à Moulins, sous le scel de notre secret le 19e jour de février 1529-30. François.

D'autres pièces furent également remises à l'empereur ; en voici les titres. — Bibl. du Roi, Mss. de Béthune, n° 8468, f° 58.

Le testament du duc Charles d'Anjou par lequel il fait son héritier le feu roy Loys Unzième. Les bulles du pape Martin par lesquelles après le concile de Constance il investit le duc d'Anjou du royaulme de Naples, Les bulles des papes Grégoire, Clément Alexandre et Urbain par lesquelles appert et investiture d'icelluy royaume. La donation de Johanne, royne de Naples a Loys duc d'Anjou. La revocation par elle faitte de la donation a Alphonse roy d'Arragon et l'adoption et donation aussi faitte par elle au d. duc Loys d'Anjou tout par une mesme lettre. L'original de l'obligation des deux cent mil escuz en quoy le feu roy d'Espagne estoit obligé envers le roy Loys unzième pour Roussillon et Sardaigne dont les gens des comptes ont envoyé ung double collacionné à l'original signé Bude. Et s'ils se trouvoient quelques autres pièces et escriptures touchant le fait de Gennes pareillement les envoyer.

[8] François Ier prend un grand soin à ménager Venise.

Lettre du roi au grand-maître de Montmorency. — Mss. de Béthune, vol. coté 8542, fol. 91, Bibl. Roy.

Mon cousin, j'ay ces jours passez escript à M. Dupuy Saint-Martin, lieutenant en Provence que si d'aventure il se trouvoit en la coste de Provence aucuns des navires, gallères et autres vaisseaux de mer appartenans à mes subjetz ayant fait aucune prinse et dépredacions sur les gallères gaillostes et autres vaisseaux appartenant aux subjets de la seigneurie de Venise, qu'il eust à faire prendre et arrester lesdits vaisseaux avec toutes leurs municions et équipages qui seroient en iceulx et les bailler en bonne et seure garde soulz ma main et ce faict m'en advertir pour après en ordonner ainssy que je verrois estre affaire par raison, et d'autant que l'ambassadeur de la dite seigneurie de Venize estant icy m'a adverti que les cappiteines des dittes gallères et vaisseaux qui ont faict les prinses et déprédations dessus dittes sont puis naguères arrivées aux ports et havre de Marseille, Toulon et autres ports de la coste de Provence ou ils ont amené la pluspart des dites prinses. J'escript presentement une seconde lettre au dit lieutenant de Provence de laquelle je vous envoyé le double, et pour ce que l’on dit que ces d. prinses y avoient aucung des vostres cappitaines des d. vaisseaux et que je désire les dittes prinses estre rendues et restituées ainssi qu'il se trouvera que faire le devra par raison ; a ceste cause je vous ai bien voullu escripre et vous prie que vous vueillez escripre et mander aux dits cappitaines des vostres que s'ils ont faicts aucunes des dittes prinses et depprédacions sur les dites gallères et autres vaisseaulx des dits Vénitiens qui sont mes confederez et alliées comme vous sçavez, qu'ils aient à les rendre et restituer à ceux qu’ils appartiendront ainsi que raison le veult, et aussi leur mandez que s'ils ont aucuns prisonniers subjets de la d. seigneurie de Venize qu'ils les délivrent et mectent en liberté et vous me ferez très agréable plaisir, priant Dieu, mon cousin, que vous ait en sa saincte garde. Escript à Angoulême, le 11e jour se may 1530. François.

[9] C'est dans ce but que François Ier stipule des alliances, même avec les plus petits princes de l'Italie.

Traité entre le roi de France et le seigneur de Monaco. — 17 février 1532-3. — Mss. de Béthune, vol. coté 8489, fol. 70.

Le roy sera content d'accorder de ceste heure au s. de Monegue (Monaco) au cas qu'il veuille prendre son party et entrer promptement en son service les poincts et articles qui s'ensuivent :

Icelluy seigneur prendra le d. s. de Monegue ensemble tous ses subgectz en sa protection et saulve garde et les portera, assistera et favorisera quant besoing sera, contre tous ceulx qui leur vouldroient courir sus etc. (C'est l'origine du protectorat.)

[10] Ce traité entre François Ier et Henri VIII est du 28 octobre 1532 ; le même jour les deux rois signèrent l'acte suivant :

Comme ainsi soit que ce jourd'hui nous Françoys, par la grâce de Dieu roi de France, très chrestien, et Henri par icelle même grâce roy d'Angleterre, défenseur de la foy et seigneur d’Irlande pour la défense et conservation de nostre religion chrestienne, et afin de resister aux efforta et dampnées machinations et entre prinses du Turc ancien ennemi commun et adversaire de nostre foy. Ayant par certain accord et traicté signé de mains et scellé de nos grands sceaux convenu, et accordé que le cas advenant que iceluy Turc se voulust par après efforcer ou son armée de retourner et courir sus en la dite chrestienté, nous dresserons et équiperons et mettrens sus une bonne grosse et puissante armée garnie et équipée de ce qu'il appartient, et pour cet effet assemblerons jusqu'au nombre de quatre vingt mille hommes dont y aura quinze mille chevaux avec telle bande et nombre d'artillerie, et suite d'icelle qui est requis et nécessaire pour l'armée dessus dite : toutefois pour ce que par icelui accord n'est aucunement spécifié ne déclaré quel nombre de gens chacun de nous payera par chacun mois tant que l'affaire durera, et qu'il est nécessaire d'en faire ample déclaration par accord affin que chacun de nous puisse entendre clerement ce qu'il devra fournir, à ceste cause il a été convenu et accordé entre nous par ce présent traicté, que nous très chrestien soudoyerons pour nostre part et portion des dits 80 mille hommes, le nombre de 53 mille hommes des quels y aura 11 mille chevaux et 3.000 pionniers et gens d'artillerye, et nous défenseur de la foy en soudoyerons le nombre de 27 mille, dont y aura 4.000 chevaux, et 3.000 pionniers de gens d'artillerie ; qui est en somme tout le d. nombre de 80 mille hommes ; et au regard de la dépense qu'il faudra faire pour la conduite et équipage de la dite artillerie et de sa suite, chacun de nous satisfera an payement de celle, qu'il fera conduire et mener de son royaume au dit voyage ; et quant à la dépense qu'il faudra faire pour le faict des vivres, pour la nourriture et fournissement de nostre dite armée, il a semblablament esté accordé que chacun de nous contribuera pour cet effet selon le nombre de gens qu'il souldoyera : toutes lesquelles choses ci dessus escriptes et chacune d'icelles nous promettons respectivement l'un à l'autre en bonne foy et parolles de roys et sur nos honneurs garder et inviolablement observer sans enfrindre. En tesmoing de quoy nous avons signé le présent accord de nos mains, et faict sceller de nos grands sceaux. Donné à Calai, le 28e jour d'octobre l'an de grâces 1532, et du règne de nous très chrestien le 18 et de nous defenseur de la foy, le 24. François, Henri.