FRANÇOIS Ier ET LA RENAISSANCE. 1515-1547

TOME TROISIÈME

CHAPITRE VII. — SITUATION DE LA FRANCE APRÈS LA PAIX DE CAMBRAI.

 

 

Rançon des enfants de France. — Lois féodales. — Impôts pour la rançon. — Vote du clergé. — De la noblesse. — Des villes. — Difficulté pour la rançon. — Monnaie de mauvais aloi. — Délivrance des enfants. — Célébration du mariage du roi avec Éléonor. — Tournoi de la rue Saint-Antoine. — Fêtes et pompes. — Mœurs de la cour. — François Ier. — Ses distractions. — Fontainebleau. — Amboise. — Chambord. — Actes et ordonnances. — Finances. — Mesures contre le désordre. — Armée. — Nouvelle organisation par légions. — Administration publique. — Ponts et chaussées. — Forêts. — Domaine. — Chasse. — Juridiction civile. — Criminelle. — Parlement. — Bailliage. — Sénéchaussée. — Système général de la monarchie.

1529-1532.

 

L'exécution la plus difficile pour le traité de Cambrai, c'était le payement de la rançon fixée à la somme exorbitante de deux millions d'écus d'or. En calculant le taux de ces écus sur le pied de quarante-trois sols six deniers, c'était plus de cinq millions de livres qu'il fallait recueillir pour obtenir la délivrance du Dauphin et du duc d'Orléans, pauvres enfants sacrifiés pour leur père. Ils avaient écrit des lettres lamentables, non point qu'on les traitât mal ; Charles-Quint était trop habile pour soulever contre lui encore des sentiments odieux ! Mais ces nobles captifs, tour à tour à Valladolid, à Tolède, un moment à Grenade, regrettaient leur joyeux Chambord ou Fontainebleau, sous les yeux de leur grand'mère, la duchesse d'Angoulême ; impatients de revenir, ils le demandaient chaque jour à Dieu et au roi. Cette circonstance avait contribué à presser le traité de Cambrai ; deux jeunes princes dans une prison sont un spectacle qui touche rois et peuples ; et si Charles-Quint, tête politique, pouvait fermer ses entrailles à la pitié, il n'en était pas ainsi des sujets du roi de France, qui tous souhaitaient la délivrance de monseigneur le Dauphin et de son frère, avec leur cortège de jeunes gentilshommes comme eux, qu'on leur avait donné pour consoler leur captivité.

D'après les lois féodales, l'aide aux quatre cas était due : 1° pour la captivité du roi ou de ses enfants ; 2° le mariage de ses fils ou de sa fille aînée ; 3° la première accolade de son fils chevalier ; 4° la guerre nationale. On était précisément dans une de ces hypothèses, et le suzerain pouvait requérir l'auxilium des vieilles chartes. Selon la coutume, le clergé, les nobles et les villes furent invités à contribuer à l'immense rançon des fils de France, et il ne fut pas besoin d'invoquer les lois féodales pour trouver le loyal concours de l'Église, des gentilshommes et du peuple. Avec beaucoup de désintéressement y ce qu'on ne donna point on le prêta au roi ; il existe encore manuscrit le rôle de ce que chaque ville paya pour la rançon des fils de France : Paris seul contribua pour quatre mille écus d'or au soleil[1]. Le parlement, l'hôtel de ville, les corps de métiers, tous se firent un devoir de hâter la délivrance des royaux enfants ; et, indépendamment de ces contributions, il se fit des prêts considérables en argenterie, des vases d'or et d'argent[2], qui furent plus tard exactement restitués par François Ier. On fondit partout les ouvrages d'orfèvrerie, vaisselle, aiguières, meubles, et l'on porta tout à la monnaie pour frapper des écus d'or destinés à la rançon. Telle fut la préoccupation du conseil pendant les trois mois qui suivirent le traité de Cambrai et les traces en restent partout aux archives, car le premier payement était énorme ; douze cent mille écus au soleil avant qu'on pût même voir les enfants de France ! L'impatience était si grande, qu'on essaya une véritable fraude, une altération de monnaies, mélange de cuivre et d'or : les commissaires espagnols, avisés presque aussitôt, les rendirent à l'hôtel, n'admettant désormais les écus que du taux et de l'aloi de bonne nature, ou bien en les prenant à leur valeur réelle, comme s'il s'était agi d'un payement de banque’ Ensuite ils firent eux-mêmes des caisses de tous ces écus empilés et les transportèrent sous bonne escorte jusqu'aux Pyrénées. Alors seulement commencèrent les formalités de délivrance pour les enfants de France, avec les précautions les plus minutieuses. On livra les écus[3], on les compta un à un ; puis les commissaires espagnols les mirent sous cachet, et, cela fait, les nobles enfants purent venir sur la frontière auprès du connétable de Montmorency ; le roi, pour les recevoir, était accouru jusqu'à Bordeaux, conservant au fond du cœur une vive haine contre Charles, Quint. La nécessité seule l'avait forcé à signer le traité de Cambrai, et on le voyait bien à sa figure pâle et contractée. A peine les enfants de France touchèrent-ils le sol du royaume, qu'il se manifesta une joie indicible[4] ; le peuple inonda les cathédrales ; on tira des feux d'artifice. Des gravures informes, mais contemporaines, redisent encore cette tendresse de la multitude ; le malheur, quand il vient sur de jeunes tètes royales, leur imprime quelque chose de sacré ; on aime les rois enfants, l'éclat, la puissance dans la faiblesse, symbole d'une certaine candeur dans l'autorité.

Sur les mêmes bords de la Bidassoa, le peuple salua bientôt une fille d'Espagne, déjà veuve et douairière, la sœur de Charles-Quint, Éléonor, promise pour femme à François Ier. Il y avait eu fiançailles à Madrid, et, d'après le traité de Cambrai, les noces  devaient être immédiatement célébrées[5]. Éléonor tenait de la maison de Bourgogne la fierté et l'éclat ; élevée en Espagne, sa vie était close et murée comme dans un monastère. Quelque temps reine en Portugal, elle y avait également adopté cette manière d'existence voilée qui tient un peu de la femme mauresque et des mœurs recluses du sérail : y avait-il dans cette princesse quelque chose qui pût correspondre aux formes distinguées de François Ier et de la cour de France, à cette jeunesse de sentiment et d'émotion qui dominait les châteaux de Fontainebleau, de Chenonceaux ou de Chambord ? Cependant on fit tout pour montrer la grandeur du roi de France à la sœur de Charles-Quint : après le mariage célébré à Bordeaux, François Ier et la reine prirent le chemin de Paris en pompe, sur des haquenées, suivis de toute la cour à cheval, comme dans une procession solennelle, ainsi chevauchant par monts et par vaux, on arriva dans la bonne ville de Paris, toute parée, et qui voulait par des fêtes montrer son dévouement et sa joie ; clergé, noblesse, peuple, tous ne s'étaient-ils pas, généreusement dépouillés pour leur seigneur ?

François Ier, impatient de déployer la puissance et la splendeur de sa cour, ordonna un grand tournoi en la rue Saint-Antoine, entre la Bastille si bien tourellée et le palais des Tournelles, plein de beaux treillis et de cerisaie sous les ombrages. La rivière de Seine ainsi à gauche, les murailles de Paris à droite dans un bel enclos, les maisons et hôtels tout tapissés de riches étoffes[6] aux fleurs de lis d'or ; les bannières des chevaliers pendant sur leurs armures reluisantes au soleil. La barrière de la lice était près de l'hôtel Saint-Pol, et les échafauds sur lesquels rayonnaient les nobles dames étaient appuyés sur les bâtiments nouvellement construits près l'arsenal. Oh ! que c'était beau à voir ! que de couleurs diverses ! que d'émaux variés ! Chevaliers et écuyers, comtes et barons, tous allaient apparaître devant leur dame et suzeraine, la sœur de Charles-Quint, qu'ils voulaient éblouir par la splendeur et la richesse de leurs lices d'armes. La renommée des tournois de Castille était si splendide que la chevalerie de France mit dé l'orgueil à la surpasser dans ses prouesses : à Séville, à Grenade, à Madrid, on ne parlait que de fêtes, joutes et coups de lances. Eh bien, il fut longtemps question des tournois de la rue Sainte Antoine, et les gravures du temps les reproduisent comme le souvenir : d'une gorgiale fête ainsi que cela fut récité par Clément Marot.

Ce goût incessant de plaisir et de distractions formait avec le bruit de la guerre le caractère dominant de François Y% avide de rappeler ces temps où la vie du châtelain se résumait dans les batailles et les cours plénières’ La lecture assidue des romans  de chevalerie traduits et développés en prose, avait répandu partout les habitudes de ces scènes féodales : on ne parlait que de Charlemagne, de ses preux, de ses pairs, dont les images étaient reproduites sur les tarots et les cartes, dans les palais, en belle peinture. La passion de François Ier était d'imiter ces héros des chansons de geste ; dans les veillées du soir on lisait les hauts faits d'armes de Lancelot du Lac, de Roland, d'Ogier le Danois, et ces poèmes imprimés en forts volumes in-folio tout fleurdelisés d'or, étaient placés sur les tablettes du roi pour la distraction des dames, des chevaliers, des varlets. On se modelait sur ces romans pour les mœurs, les habitudes, les sentiments, et ces fictions contribuaient à ennoblir les émotions du cœur et de l'esprit. Dans le beau tournoi de la rue Saint-Antoine, le roi prit part aux joutes comme un simple chevalier ; ses coups de lances ne furent ni les moins durs, ni les moins forts. Il existe encore un récit de ce tournoi ou nobles fêtes de chevalerie qui se prolongèrent, huit jours durant, au palais des Tournelles.

Le roi, sans passion d'amour pour sa nouvelle épousée, néanmoins la mena se distraire çà et là dans ses châteaux royaux qu'il faisait construire ou embellir[7] aux vastes forêts. Depuis son retour de Madrid, François Ier renonçant à conduire lui-même la guerre (il avait été si imprudent d'aventures !), s'absorbait dans son goût attentif pour les arts et pour les sciences. Il avait vu tout à la fois l'Italie et l'Espagne, contrées si en avant d'intelligence artistique. L'aspect de Milan, de Florence, avait laissé de profonds souvenirs dans l'âme du roi. Ces formes de palais italiens, ornés de statues antiques : l'Hercule musculaire, la Vénus pudique, le Mercure ailé ; ces pavillons gracieux, ces maisons aux vastes portiques, avaient plu à François Ier, qui se promit bien d'appliquer à ses manoirs royaux ces formes embellies. Depuis, à Madrid, à Tolède, à Burgos, il avait été vivement frappé des débris des monuments mauresques si capables d'impressionner une imagination ardente. L'architecture du moyen âge pour les châteaux (même royales demeures), consistait en des tours élevées, des murailles à créneaux, défendues par des meurtrières, des herses, des mangonneaux, des portes a longues ogives avec pont-levis sur fossé, de manière à ce que l'habitation seigneuriale fût plutôt un lieu de défense qu'un séjour de plaisir et dé distraction. Là, le vieil hibou s'abritait sous les crevasses ; l'orfraie faisait entendre son cri lamentable, et autour de ces châteaux forts, des forêts immenses, avec un ermitage sur la montagne boisée. A ce système François Ier substitua la construction italienne, florentine et milanaise surtout : des pa-’ tillons larges et carrés, de longues galeries garnies de statues jetées dans les niches à la manière antique. Comparez les vieilles représentations du Louvre, de l'hôtel Saint-Pol, tout tourelle et fossoyé sous Charles VII, avec les débris des châteaux d'Anet, Chenonceaux, Fontainebleau et Chambord. Rien ne se produit semblable ; la révolution est complète. Le premier type de ce changement se retrouve dans les places et monuments de Milan et de Florence. Tout, jusques aux statues et aux fontaines, paraît dessiné sur le même modèle.

La cour de François Ier après son mariage avec Éléonore de Castille, prit un aspect plus richement splendide. On aurait dit que la chevalerie voulait prouver à la sœur de Charles-Quint que la France était digne de sa renommée. Quelle noble lignée d'abord ! François, l'aîné des enfants de France, revenu de Madrid[8], alors à près de dix-huit ans, tout plein

de grâce et de naïveté j promettait un digne chevalier ; Henri, son puîné, aussi galant que brave, avait essayé sa petite lance dans le tournoi de la rue Saint-Antoine ; enfin le dernier, Charles duc d'Orléans était l'enfant bien-aimé. Son père disait de lui qu'il était son petit Guichardet, en souvenir du cadet des Quatre fils d'Aymon, le beau roman de chevalerie. Pour amuser les longues journées de la vie de château, le roi conduisait en personne de nobles chasses aux grandes forêts ; et là il enseignait aux darnes et aux varlets les dires des maîtres veneurs, les traditions antiques et les légendes. On voit encore dans les gravures contemporaines quelques dessins de la chasse du roi ; les femmes s'y parent des attributs de Diane, la divinité tant reproduite dans les devises de François Ier à Henri III.

Un deuil fatal vint porter le trouble et la désolation dans le cœur du roi de France[9] ; nul être n'avait exercé une plus grande puissance sur son esprit et sa volonté que sa mère, Louise de Savoie, duchesse d'Angoulême. Cette influence n'était pas le résultat d'un caprice irréfléchi, ou d'un amour filial aveugle ; depuis l'enfance de son fils, Louise de Savoie lui avait rendu les plus nobles services. François Ier lui devait la couronne ; Louise avait grandi la puissance morale du roi ; deux fois régente, elle exerça le pouvoir avec énergie et habileté ; tout récemment encore n'était-ce pas Louise de Savoie qui, de concert avec Marguerite d'Autriche, avait signé le traité de Cambrai pour terminer les longs débats entre François Ier et Charles-Quint ? Femme supérieure, elle avait gardé la puissance qui appartient à toute capacité comme son légitime héritage ; quand on veut s'expliquer les causes de fortune pour une intelligence qui gouverne malgré les oppositions, il faut la chercher dans l'habileté ou la nécessité. Il est rare que ce qui est incapable ne tombe pas tout de suite ; et ce qui n'est pas nécessaire a son terme. Ce ne fut donc pas seulement l'amour filial qui créa la toute-puissance de la duchesse d'Angoulême, mais les immenses services qu'en toute occasion elle rendit au roi ; supérieure dans l'administration et le gouvernement, elle te releva forte pendant les crises les plus difficiles, et ces crises se reproduisirent souvent. Louise de Savoie s'alita dans le château de Fontainebleau d'une fièvre assez vive ; elle y fit peu d'attention d'abord ; femme d'activité, la fièvre la reprit brûlante, et la mort vint impitoyable. François Ier lui commanda des funérailles magnifiques comme à la mère des rois. Son corps, transporté à Paris, reçut la sépulture à Saint-Denis, en France, dans le caveau destiné à son fils, l'objet de son ineffable amour.

A la mort de Louise de Savoie tout le gouvernement passa dans les mains de François Ier ; administration active, féconde, surveillante pour les finances, la législation militaire, civile et l'ordre de judicature. Le procès de Samblançay est le point de départ pour suivre la législation financière de François Ier ; sanglante leçon donnée à ceux qui manient l'impôt ! Cette nécessité des finances se fait plus vivement sentir depuis que le traité de Cambrai a stipulé des conditions si dures, si onéreuses, pour obtenir la délivrance des fils de France.

On se demande comment, François Ier ne convoqua pas les états généraux, qui, en d'autres temps, avaient voté des dons volontaires. Déjà les rois avaient peur des tumultueuses assemblées qui, loin de sauver le royaume, l'avaient jeté dans les désordres et les troubles : ainsi, pour l'aide de rançon, clergé, noblesse votèrent séparément des subsides, sans se réunir pour délibérer ou faire remontrance ; selon les vieilles coutumes féodales, l'aide n'était-elle pas due au roi captif ? Les finances furent donc réglées par ordonnance, et le système de pénalité prend une rigueur inaccoutumée depuis le procès de Samblançay ; un édit du roi[10] porte peine de mort pour crime de péculat et malversations des agents du trésor, et pour arriver à cette pénalité sévère, le roi commande une enquête. Comme nous ayons été advertis de plusieurs larcins, pilleries, faussetés et abus commis en nos finances par aucuns nos officiers en icelles et par autres leurs commis, clercs et entremetteurs de leurs affaires, à ceste cause, avons députés et ordonnés, certain nombre de bons personnages, savants, lettrés et expérimentés, diligents, loyaux et de bonne conscience, nos présidents et conseillers en nos cours souveraines, pour enquérir des dits crimes et délits et procéder contre les coupables à telles punitions corporelles et pécuniaires qu'ils verront être à faire pour raison. Cependant le roi veut être indulgent ; cette peine ne sera prononcée qu'après un mois de la publication de l'édit : S'ils nous viennent révéler, à la vérité et par serment ce qu'ils ont de nous, et que justement en leurs consciences ne le pourroient retenir par devers eux ; et le nous rendent et payent comptant, nous leur remettons toute peine, soit corporelle, pécuniaire ou civile, intérêts, quadruple et autres peines lesquelles pourroient être encourues envers nous. Aussi au défaut de ce faire et le dit mois passé, à commencer comme dessus, nous avons ordonné et ordonnons par loi, édit et ordonnance que tous ceux qui se trouveront avoir commis, en nos finances, crime de péculats, larcins, pilleries et malversations ; attendu le gros mal et inconvénient qui est advenu en nostre royaume, par leurs fautes, sans aucun port ni dissimulation, soient pendus et étranglés, et des autres qui auroient malversé, hors larcins, pilleries et faussetés, soient condamnés à telles peines que les juges, à ce commis, verront être à faire, par raison, avec tous intérêts et dommages que i, cause de leurs déloyautés avons soufferts ; et si nos dits juges qui jugeront les procès des dessus dits, foisoient quelques difficultés sur l'interprétation de notre présente ordonnance comme à faute d'usage, ou par faute de preuve pleine, ou autrement, ils pourront avoir recours à nous qui leur déclarerons et ferons entendre, sur ce, notre vouloir et intention.

Le texte de cet édit révèle la pressante nécessité de trouver de l'argent ; la pénalité est grande et toute indulgence accordée à ceux qui viendront révéler le péculat ; il faut des écus d'or, la rançon est si lourde ! Un second édit[11] défend aux officiers comptables l'usage des contre-lettres, à cause de plusieurs larcins, malversations et déguisements. Un autre[12] prohibe également pour les financiers, gens d'affaires et comptables de porter aucuns draps de soie, et de constituer à leur fille des dots excédant la dixième partie de leurs biens, car les malversations des gens de finances sont venues à leur comble ; plusieurs arrêts ont condamnez les principaux de nos finances, les uns a estre pendus et estranglez, les autres à privation de leurs offices et condamnations en grosses amendes, et d'estre mitrez, et d'autres à faire amende honorable, et estre bannis de nostre royaume, avec confiscation de biens ; moyennant lesquelles punitions, noua pensions que les autres, qui ne sont encore punis, ains demeurez en l'administration de leurs offices, y prinssent exemple, se corrigeassent et deussent autrement vivre. Ce néantmoins nous entendons par les plaintes et doléances qui de tous costez chacun jour viennent à nostre cognoissance, qu'ils font pis que paravant, aveuglez d'avarice et cupidité et desjà invetérez en leurs malversations, en manière qu'ils ne s'en peuvent abstenir : lesquelles choses adviennent à cause des dits estats, qu'eux, leurs femmes, enfans et serviteurs portent, tant en habillements, fourreures, chaines, bagues, multitude de chevaux et serviteurs, que pour leur mangeaille, bastimens, dons qu'ils donnent à leurs filles, et acquisitions de trop plus que leur patrimoine, et les gages et bienfaits qu'ils ont de nous, ne le peuvent supporter, et pour l'entretenir, sont contraints de malverser. D'avantage, plusieurs mal fondez en bien achètent à grosses sommes de deniers leurs offices, la pluspart desquels empruntent la finance à gros intérest, et se remboursent sur les dites pilleries, exactions et malversations ; tellement que ne voyons pour le présent d'autre remède, pour mettre fin es dites pilleries, si n'est d'aggraver la peine de ceux qui delinqueront et aussi de leur défendre la superfluité des dépens qu'ils font, et que nous d'oresnavent baillons les offices de noz finances à gens fondez en patrimoine, de bonne conscience et bien renommez, sans prendre d'eux aucune récompense ; à l'occasion dequoy nous avons fait et statué les ordonnances qui s'ensuyvent. Enfin on défend aux comptables de risquer l'argent du roi en quelque sorte de jeux que ce soit, et ce, sur perte de leur état et d'être fustigés et bannis à perpétuité[13].

Dans le payement de cette fatale rançon, il est impossible d'exactement fixer le cours des monnaies, et c'est le sujet d'une curieuse ordonnance qui donne l'idée exacte de tout le système monétaire. On avait transporté en France des ducats à la mirandole, des écus à l'aigle, des liards de Notre-Dame-de-Lausanne, et cette profusion de mauvaises monnaies nécessite un règlement spécial[14]. Avons permis et toléré, permettons et tolérons, le cours tant de nos monnoyes que d'autres, en la manière que s'ensuit. C'est à sçavoir : Aux escus soleil faits à noz coings et armes, quarante-cinq sols tournois pièce ; aux grands blancs, douzains et dizains, et autres noz menues monnoyes, pour leurs pris accoustumé ; escus à la couronne, quarante sols six deniers ; escus vieux, cinquante-un sols six deniers ; francs à pied et à cheval, quarante-huict sols six deniers ; royaux, quarante-sept sols trois deniers ; nobles à la rose, cent sols ; nobles de Henry, quatre livres douze sols ; angelots, soixante-six sols ; saluts, ducats de Venise, Gennes, Florence, Portugal, Hongrie, Secille et Castille, quarante-cinq sols six deniers ; doubles ducats, quatre livres onze sols ; riddes, quarante sols ; Lyons, cinquante-trois sols, florins, philippus, vingt-sept sols ; impériales de Flandres, soixante-neuf sols ; demies impériales, trente-quatre sols six deniers ; carolus de Flandres, vingt-deux sols six deniers ; Alphonsins, soixante-neuf sols ; scutins, quarante sols ; escus d'Angleterre, qui ont d'un costé une rose couronnée, et de l’autre costé un escu aux armes d'Angleterre, quarante-quatre sols ; autres escus d'Angleterre ayant une rose, quarante-un sols ; oboles de Lorraine, trente-deux sols ; florins au traict, vingt-huit sols ; gros testons faits à nos coings et armes, dix sols six deniers ; testons de Suisse, Berne, Fribourg, Sion, Ferrare, Gennes et Milan, dix sols six deniers ; testons de Portugal, dix sols quatre deniers ; testons Lorraines, neuf sols huict deniers. Avec quel intérêt le roi ne s'occupe-t-, il pas de l'administration financière, la seule véritablement importante, au moment où il faut tant payera Charles-Quint ! En général, un pouvoir ne multiplie les peines sévères, les ordonnances précautionneuses, que lorsqu'il est sous le coup de la nécessité pour sauver la chose publique.

Après avoir réformé les finances, le roi réorganise l'armée sur une large base, et pour la première fois peut-être, la pensée d'un corps exclusivement territorial se révèle au royaume de France. Depuis le XIVe siècle, il n'y avait de national que les corps de chevalerie, lances, gens d'armes, levés en masses pour le service du prince, et tous composés de gentilshommes. L'infanterie, formée en majorité d'étrangers, se recrutait parmi les reîtres et les lansquenets : en Allemagne, en Suisse, sous le titre de bande noire, bande blanche. On avait vu l'inconvénient de ces corps de mercenaires qui, sous prétexte de leur manque de solde, se dispersaient de droite ou de gauche, passant au service de l'un ou de l'autre, sans affection ni nationalité.

Au moment où il y avait renaissance d'études partout, alors qu'on lisait les exploits des phalanges dans Quinte-Curce et des légions domaines dans Tacite, il fut proposé au roi une réorganisation complète de l'armée en rapport avec l'antique Rome. L'édit curieux[15] délibéré par le conseil de François Ier organise sept légions d'infanterie, arquebusiers, hallebardiers ; chacune de ces légions comptera six mille hommes, qui seront levées, à savoir : au pays et duché de Normandie se fera et dressera une légion, au pays et duché de Bretagne, une autre légion ; au pays de Picardie, une autre ; au pays et duché de Bourgogne, comté de Champagne et Nivernois, une autre ; es pays de Dauphiné, Provence, Lyonnois et Auvergne, une autre légion ; au pays de Languedoc, une autre ; au pays et duché de Guyenne, une autre, qui seront en tout quarante-deux mille hommes de pied. Duquel nombre il y en aura douze mille harquebuziers, et tout le demeurant picquiers et hallebardiers. L'édit entre ensuite dans un grand nombre de détails pour fixer le nombre des arquebusiers dans chaque légion et il s'y montre l'influence du nouvel art militaire que l'invention de la poudre vient d'introduire. Autrefois les lances avaient la supériorité, les chevaliers, les gens d'armes étaient en plus grand nombre que les arquebusiers, jetés ça et là dans les rangs pressés de l'infanterie armée de piques. Et maintenant il est dit dans l'ordonnance : En la légion de Bretagne y aura cent arquebusiers, pour mille hommes, qui seront six cens hommes pour la dite légion ; en celle de Normandie, y aura deux cens arquebuziers, pour mille qui seront douze cens ; en la légion de Picardie, y aura semblablement deux cens arquebuziers, pour mille, qui seront douze cens ; en celle de Bourgogne, Champagne, et Nivernois, y aura mille arquebuziers ; en celle de Dauphiné, Provence, Lyonnois et Auvergne, deux mille ; en celle de Guyenne, trois mille harquebuziers ; en la légion de Languedoc autant, qui seront en tout douze mille harquebuziers. On remarquera que la nationalité domine partout ; les officiers jusqu'au grade de sergent doivent appartenir à la province dont la légion est formée ; chacune de ces légions a six capitaines, conduisant chacun une compagnie de mille hommes. Chacun capitaine de mille hommes aura deux lieutenants qui auront charge chacun de cinq cens hommes ; lesquels lieutenants auront aussi d'estat par mois vingt-cinq livres tournois. En chacune bande de mille hommes il y aura deux port-enseignes, qui auront semblablement aussi, de gages par mois, quinze livres. En une bande de mille hommes, il y aura dix centeniers, qui auront chacun douze livres par mois. Semblablement y aura en chacune bande de mille hommes, quarante caps d'escadre qui auront chacun dix livres par mois. Il aura quatre fourriers, qui auront pareillement chacun dix livres par mois. Plus y aura six sergents de bataille, qui auront chacun dix livres aussi par mois. En une bande de mille hommes, y aura quatre tabourins et deux fiffres avec chacun par mois sept livres dix sols. Tous lesquels lieutenans, port-enseignes, centeniers, caps d'escadre, fourriers, sergens de bataille, tabourins et fiffres cy-dessus nommé, le dit seigneur entend qu ils aient les gages et estats dessus dits, outre leurs places, tant en temps de paix qu'en temps de guerre. D'immenses privilèges sont accordés à ces légionnaires nouveaux prétoriens, selon ce qui se passait à Rome ; tant le goût de l'antique domine ! On a lu Polybe, et on applique les études aux choses militaires comme aux choses d'administration et de sciences ; le roi renouvelle la récompense de l'anneau d'or à tous ceux qui se distingueront dans ces troupes. Le dit seigneur veut et ordonne que s'il y a aucun compagnon de guerre qui face preuve de vertu de sa personne, soit en bataille, assaut de place, prise de ville, guet, et autre lieu ou endroit où il y ayt acquis honneurs, qu'en ce cas le colonnel ou capitaine sous lequel il sera, luy face présent d'un anneau d'or, lequel il portera à son doigt, pour mémoire de sa preuve, et selon qu'il s'exaltera de là en avant en vertu, il montera pareillement ès estats et offices qui seront en la légion, de degré en degré, jusques à estre lieutenant sous les dits colonnels et capitaines, ainsi que les places et lieux viendront à vacquer.

Cette distinction antique d'un anneau d'or donné aux légionnaires pour les actes de vaillance ; cet appel de tous aux grades, aux honneurs, sans distinction de naissance, est une des innovations les plus remarquables dans l'organisation militaire de la monarchie. D'abord la noblesse n'est plus indispensable pour parvenir aux grades ; un vieux légionnaire peut prétendre à tout, même au commandement de la compagnie. Cet anneau d'or est le principe d'une décoration militaire qui viendra plus tard décorer la poitrine ; l'armée cesse d'être étrangère pour devenir nationale ; chaque grande province a sa légion. Jusque-là les compagnies n'étaient que de cent lances ; on les fait de mille hommes, et on les garnit d'arquebusiers autant que de hallebardiers. Ce plan, emprunté aux Romains, inconnu presque entièrement aux historiens, témoigne que plus d'une fois des tentatives furent faites pour organiser une armée régulière. Indépendamment de la nécessité des guerres, cela vint du violent dépit qu'avait éprouvé le roi de voir ses plans incessamment déjoués par la défection des Suisses et des reîtres.

D'autres actes d'une administration prévoyante dominent cette période. Un édit[16] accorde au prévôt des marchands et échevins de Paris, un octroi sur le vin, pour rendre la rivière de l'Ourcq navigable ; un autre[17] défend de vendre du blé en dehors des marchés publics, et le peuple sera toujours préféré aux marchands. Jusqu'alors un impôt était perçu sur le poisson de mer apporté à Paris ; le roi l'abolit[18]. La peine de mort est prononcée contre les faussaires et faux témoins[19] ; comme il y a grands abus aux hôtelleries pour les voyageurs, le roi veut[20] que gens tenans hostelleries, cabarets et tavernes, ne bailleront à leurs hostes que bœuf, mouton, lard, bouillon, œuf, heure, huile, fromage, merlus, harens, carpe et brochet ; et feront les juges des lieux où seront les dites hostelleries et cabarets, la taxe de ce que chacun hoste payera par repas, ayant regard à la valeur du pain et vin du pays, s'il y en a, ou en défaut de ce, du plus prochain ; bois, chandelles et autres choses dessus dites, en arbitrant par les dits juges ce qui sera baillé aux dits hostes, à chacun repas, ayant regard à la dite taxe ; sur lequel la bonne chère et le coucher sont compris. Mais si les dits passans et repassans veulent avoir autre chose que ce que dit est, le pourront acheter au marché. Nul subside ne pourra être imposé par les seigneurs aux habitants sans la volonté du roi[21]. Il ne pourra y avoir d'assemblées illicites. Nul ne pourra porter d'autres armes que le poignard et l'épée. On ne doit se faire justice à soi-même, mais toujours recourir au roi[22]. Défense est faite de chasser la grosse bête et le gibier[23] ; car, malgré les prohibitions, plusieurs laboureurs, artisans et exerçans arts méchaniques, délaissans et divertissans leurs labourages, agriculture et exercice de leurs mestiers, au moyen des pactes et conventions faites et passées au bail et inféodation des terres, se dédient et appliquent journellement à chasser et prendre bestes rousses et noires, lièvres, cornils, perdrix, phaisans et autres gibbiers, avec plusieurs engins réprouvez, mentionnez en nos dites ordonnances et autres nouveaux artifices tendans à proye, qu'icelui, laboureurs et gens de mestier controuvent et font journellement, comme nous a apparu en passant par nostre pays de Languedoc, en manière que nostre dit pays et autres nos terres et seigneuries sont totalement dépopulées des bestes rousses, noires et autres gibbiers, et tant nous qu'autres nobles de nostre dit royaume, à qui et non à autre appatient soy récréer et chasser pour éviter oysiveté, et soy excerçer aux dites chasses, ne trouvent aucun gibbier, le tout sous couleur des dits privilèges, pactes et conventions, et par ce moyen les dits laboureurs laissent à cultiver les terres, consumant leur temps aux dites chasses, vaguant par les citez et villes, ès quelles ne doivent converser, pour vendre le gibbier, gastant leurs biens aux tavernes et jeux, dont proviennent blasphèmes et grandes chertez de bleds, et autres maux et inconvéniens, et les gens de mestier laissent l'exercice d'iceluy au préjudice de nostre dit royaume et icelle chose publique, et plus pourroit estre, s'il n'y estoit par nous pourveu de remède convenable.

La conservation des forêts n'est-elle pas le plus beau privilège des rois, et le gibier s'en va de manière à ce qu'il n'en reste plus pour les grandes chasses ? Enfin, comme mesure de police, un édit[24] est rendu qui établit le supplice de la roue pour la répression des voleurs de grand chemin ; car il faut agir : à l'encontre de ceux qui, par mauvais esprit, damnée et misérable volonté, se sont mis et mettent bien souvent par insidiations et agressions conspirées et machinées, à piller et destrousser de nuit les allants et venants es villes j villages et lieux de notre royaume, pays, terres et seigneuries, eux mettant pour ce faire en embusche, pour les guetter et espier aux entrées et issues des villes, les destrousser et piller, dont les aucuns sont le plus souvent par eux tués et meurtris inhumainement, et aussi contre ceux qui font le semblable, en et au dedans les villes, guettant et espiant de nuict les passants, allants et venants par les rues d'icelles, et entrent au dedans des maisons, crochettent et forcent, prennent et emportent toutes les richesses précieuses qu'ils trouvent esdites maisons, dont par cy devant ont esté faites plusieurs punitions et exécutions de mort contre les délinquants, qui ont été condamnez à estre pendus et estranglez à potences et autres signes patibulaires, mis et affichez au plus près des lieux où ils avoient fait et commis lesdits délits et maléfices.

Ces dernières ordonnances tiennent au système de judicature qui reçoit un grand développement sous le chancelier Duprat. Le roi qui a naturelle répugnance pour la convocation des états généraux, agrandit d'autant plus la juridiction du parlement. Ces cours de justice l'ont si bien servi dans son refus d'exécuter le traité de Madrid ! N'est-ce pas le parlement de Paris qui a empêché le roi de tenir sa promesse, par cela seul qu'il n'avait pas sa liberté pleine et absolue, selon le texte du Corpus juris. Cette juridiction si étendue du parlement le constitue une puissante autorité. Sur l'avis du chancelier Duprat, une ordonnance est rendue pour la marche des procès au parlement de Paris[25] ; les évocations royales sont limitées, afin de laisser le cours libre à la justice[26] ; cependant toutes les causes qui touchent les offices royaux resteront dans la juridiction du grand conseil[27]. Un édit fixe le code et la procédure du Châtelet pour les exécutions mobilières, criées, et ventes d'après la coutume de Paris[28], écrite au règne de Charles VII. Le parlement est agrandi par vingt nouveaux offices établis dans son sein ; et le chancelier institue une nouvelle chambre de justice composée d'un président et de douze conseillers[29].

Mais l'acte le plus curieux émané du parlement de Paris, c'est la protestation secrète faite dans le conseil par le procureur général contre l'enregistrement des lettres de ratification des traités de Madrid et de Cambrai[30], confirmatifs l'un de l'autre. Le parlement saisit ici l'occasion de s'élever contre les conditions trop inflexibles d'un traité. Ce jour, maistre François Rogier, procureur général du roi en la cour de céans, après avoir vu les lettres patentes décernées par le roi, adressées à ladite cour, pour faire lire, publier et enregistrer en icelle les lettres de ratification faites par ledit seigneur des deux traitez de paix, le premier fait en la ville de Madrid, au diocèse de Toledo, le dimanche quatorzième jour du mois de janvier, l'an 1526 pris à la nativité de Nostre Seigneur, selon le style d'Espagne (1525 selon le style de France) ; entre les ambassadeurs et procureurs de madame Louise de Savoie, mère dudit seigneur, duchesse d'Angoumois et d'Anjou, lors régente en France, à une part ; et les commis et députez de l'élu empereur, comte de Flandre et d'Artois, d'autre’ Et l’autre traité fait en la ville de Cambray, le cinquième jour d'aoust dernier passé, entre madite dame, mère dudit seigneur, au nom et comme procuratrice spéciale et irrévocable, commise et députée par ledit seigneur, d'une part, et dame Marguerite d'Autriche, duchesse douairière de Savoie, tante dudit élu empereur, et gouvernante pour lui desdits comtez de Flandre et d'Artois, aussi pour et au nom, et comme procuratrice spéciale et irrévocable, commise et députée par ledit élu empereur, son neveu, d'autre ; lesdites lettres de ratification écrites en cahier de parchemin, faites et données en cette ville de Paris, datées du vingtième jour d'octobre aussi dernier passé, signées François, et par le roi, Robertet, et scellées du grand scel dudit seigneur, en cire verte, à lacs de soie. Le procureur général a pro’ testé et proteste que quelque lecture, publication, vérification, approbation, enregistrement, entérinement et expédition qui soit faite par ladite cour, sur lesdites lettres de ratification desdits traites de paix, et stipulation contre ledit seigneur, ne puisse nuire ni préjudicier au roi ni au royaume, et que ce soit sans déroger aucunement aux droits dudit seigneur et de sa couronne, et que nonobstant l'assistance que ledit Rogier, procureur général, fera à la lecture et publication desdites lettres de ratification, consentement et l'entérinement d'icelles et volontaire soumission, à ce que ledit seigneur soit condamné par arrest et jugement de ladite cour, à l'observance du contenu esdits traitez. Il entend ci-après, et en temps opportun, débatre iceux traitez d'incivilité et nullité, si métier est, et iceux, ensemble ce qui s'ensuivra, faire casser et annuller comme nuls, frauduleux, faits sans cause, par force, violence et contraintes faites par la vassal contre son souverain seigneur, et comme dérogeant entièrement à la loi salique et autres constitutions et droits de la couronne de France, et contenant plusieurs obligations, renonciations, promesses et autres faits et articles, que ledit seigneur n'eût jamais fait, passé ni accordé, si n'eust été lesdites force, violence et contrainte, et pour parvenir au recouvrement et délivrance de messeigneurs ses enfants, étant pour lui en ostage et détenus captifs et étroitement prisonniers ; et plus rigoureusement que à tels princes et personnes n'appartient es mains dudit élu empereur en ses pays d’Espagne, et pour autres causes et raisons qui seront plus amplement par lui déduites, quand le temps s'y offrira, pour le bien du roi et du royaume.

Il y avait dans cette protestation parlementaire du procureur général une évidente mauvaise foi, car si l'on pouvait soupçonner un manque de liberté lorsque François Ier était captif à Madrid, les mêmes raisons n'existaient pas pour le traité de Cambrai, résolu et signé volontairement par la duchesse d'Angoulême et Marguerite, gouvernante de Flandre. Que signifiait donc cette protestation et dans quel dessein le parlement intervenait-il ? François Ier voulait-il encore s'affranchir des clauses financières, un peu dures au reste, mais qui n'étaient enfin qu'une rançon ? Telle est la naturelle tendance de tous les pouvoirs qui se placent trop exclusivement dans Tordre judiciaire ; ils s'y forment un esprit de chicane, un système de distinctions légales qui ne permet plus l'extrême loyauté dans les rapports. Plus d'une fois on est engagé d'honneur contre ses propres intérêts, et en ce cas la probité veut qu'on exécute, alors même que la légalité ne le commande pas. Ainsi le parlement, tout en protégeant la grandeur, la puissance de la couronne de France, ne laissa plus à la royauté cette loyauté de formes, cette franchise de paroles qui fut son caractère au moyen âge. Il y eut dès lors un système légal séparé du droit privé et personnel. Le parlement dominant trop l'esprit monarchique, il en résulta une politique formaliste qui s'éloigna chaque jour davantage de la sincérité des gentilshommes. La plupart des ordonnances de François Ier qui touchent à l'ordre judiciaire sont l'œuvre du chancelier Duprat, un des hommes les plus instruits dans le droit romain et les coutumes ; toutes se ressentent de la découverte des Pandectes qui opèrent une révolution dans les enseignements du droit. On peut reporter à Louis XII et à François Ier la fortune et la grandeur des jurisconsultes ; ils deviennent les bras de la monarchie ; le chancelier est choisi parmi eux ; le chancelier, conseiller intime de la royauté, négociateur des grands actes de la diplomatie, a dans ses mains le scel du roi, si bien que pour un peu s'affranchir de cette tutelle, François Ier, dans ses fréquents voyages d'Italie, garde son scel privé, avec lequel il signe ses chartes et ordonnances, sans surveillance et avec plus de liberté pour ses actes et ses largesses.

 

 

 



[1] Bibl. Roy., Mss. de Colbert, t. 71-72, cot. Serilly, n° 53.

[2] Lettres patentes de François Ier. — Bibl. Roy., cabinet de Gagnières, Mss. coté 466.

Dans l'impossibilité de rassembler douze cent mille escus d’or au soleil au premier mars, François Ier avait obtenu de l'empereur de se contenter d'une partie d'argent en masse. Le roi pour en amasser eut recours à l'expédient d'emprunter la vaisselle d'argent de quelques sujets de bonne volonté qui la lui offrirent, à condition que m. le trésorier de l'épargne leur en fournirait les reconnaissances. C'est le contenu des lettres patentes ; ceux qui sont nommés dans ces lettres sont le roy de Navarre, le chancelier cardinal du Prat, Anne de Montmorency, grand maistre et mareschal de France, Philippe Chabot, sgr de Bryon amiral, l'archevêque de Bourges et le sgr de Verelz, Bailly prévost et gouverneur de Paris. Il est dit que plusieurs autres avaient suivi leur exemple.

[3] Bib. de Roy, Mss. de Béthune, n° 8536, fol. 83.

Le vendredy sixième jour de may l'an mil cinq cens trente a esté baillé par maistre Pierre d’Apesteguy, général de Bourgogne, pour mettre au poix ce qui s'ensuit.

Somme du d. jour sept vingt mil escus soleil.

Du samedi 7 huit vingt mil escus soleil.

Du dimanche 8 quatre vingt mil escus soleil. Somme totale, trois cent quatre vingt mil escus soleil fournis par le général de Bourgogne pour mettre au d. poix ; présent monseigneur le cardinal de Tournon.

Fait à Bayonne le VIIIe jour de may l'an mil cinq cens trente.

De Tournon, archev. de Bourges.

[4] Ce jour a l'entrée de la cour sur les six heures du matin, ont esté apportées nouvelles que lundy dernier sur les huit heures du soir, les douze cens mille escuz qui dévoient estre baillez par le traicté de paix dernièrement faict à Gambray, avoient esté dellivrés aux ambassadeurs et gens de Tesleu empereur, et que messieurs les Dauphins et duc d'Orléans, enfans du roy qui estoient en Espaigne ez mains du d. esleu empereur, et avoient, sté baillez en ostaiges pour le d. s. roy leur père ont esté mis en dellivrance et rendus ès mains du S. de Montmorency grand maistre de France estant de présent sur les marches d'Espagne près Bayonne, et pour ces bonnes nouvelles a esté ordonné que l’on festeroit ceste journée comme un jour de dimanche ou commandé par l'église. Et a esté fait commandement sur peine de soixante sols parisis d'amende à tous marchands et artisans de fermer leurs boutiques et foire les feux de joie, et l’on a fait sonner l'orloge du palais en carillon en signe de joye comme l'on a accoustume de faire à l'entrée des Rois, et sur les huict heures se sont toutes les chambres assemblées en la cour, allées en forme de cour à l'église Nostre-Dame de Paris rendre grâces à Dieu. (Regist. du parl., 19 juin 1530.)

[5] Lettres patentes de François Ier du 7 février 1529-30, touchant la dot de la reine Éléonor, douairière de Portugal, sa femme, suivant le traité de paix fait à Madrid, et confirmé depuis par celui de Cambrai. — Bibl. du Roi, cabinet de Gagnières, Mss. in-folio sans n°, fol. 63.

Ratification du roy François Ier et d'Éléonor, sœur de l'empereur Charles V, de leur mariage. 15 mars 1529-30. — Bibl. du Roi, Mss. de Béthune, n° 8546, fol. 428.

[6] Voici une pièce qui fait foi de ce grand luxe de fêtes :

En présence de moy Bourdin, notaire et secrétaire du roy notre seigneur Miolard et Mortaigne tapissiers, demeurant à Paris, ont confessé avoir eu et reçu comptant de Me Claude Haligre, trésorier des menus plaisirs et varlet de chambre du d. seigneur la somme de quatre cens dix livres tournois pour la valleur de deux cens écus d'or soleil à XL solz pièce a eulx ordonné par le d. seigneur et pour commencer l'achapts des estouffes et autres choses nécessaires pour besongner en une tapisserie de soyes que le d. seigneur leur ft ordonné faire suivant les patrons que le d. seigneur a fait bailler à cette fin. En laquelle tapisserie seront figurées une Leda avec certaines nymphes et satires et autres drappements et paysage, et laquelle somme de 410 liv. tournois les d. de Mortaigne se sont respectivement tenus contens et bien payés et en ont acquitté et acquitent le d. Haligre trésorier dessus d. et tous autres ; en tesmoing de ce j'ai a sa requeste signé les présentes de ma main le XXVIIIe jour de juing de l'an mil cinq cens vingt et neuf. Bourdin.

[7] Après les immenses sommes payées pour la délivrance des enfants de France, l'argent manquait, et François Ier écrit au grand maître de Montmorency. — Mss. de Béthune, vol. cot. 8564, fol. 1, Bibl. Roy.

Mon cousin, en ensuyvant le propos que je vous ay tenu avant votre partement, j'ay faict dépescher une commission pour faire des ventes de bois en mes forestz nommées en icelle jusques à somme de cent mil livres, pour subvenir au payement de mes bastiments et vous envoyé la d. commission, vous priant faire incontinent venir devers vous le s. de Warty affin de la luy bailler, et qu'il advise ds se retirer à Paris pour regarder avecques les autres commissaires nommez eu la d. commission de faire faire les d. ventes, et mectre à exécution le contenu en icelle, et le plustost que faire se pourra. Mais cependant pour ne perdre temps et aftn que mes bastimens ne demeurent, il faut que le d. s. de Warty, le prevost de Paris et autres qu’ils adviseront entre eulx regardent de trouver quelques marchans qui advance, en prenant les d. ventes ou partie d'icelles, quelques bonnes sommes de deniers pour mes d. bastimens. Priant Dieu, etc. Escript à Fontainebleau le 10e jour d'aoust 1534. François.

[8] Henri VIII, en apprenant la délivrance des enfants de France, écrit au grand maître de Montmorency. — Mss. de Béthune, vol. cot. 1522, fol. 12, Bibl. Roy.

Très cher et très amé bon cousin, les nouvelles venues de la délivrance de nos très chers et très amez cousins les enfants du roy votre maistre, nous ont esté aussy consolatoires et délectables que nulles autres que de longtemps ayons receu, et ce non seullement pour l'entière affection et désir singulier que avons à la conservation et entretenement de leur personne et bonne fortune, mais aussy pour l'honneur, pris et louenge que par la bonne dextérité prudence monstrée estre en vous pourchassant l'expédition de la d. délivrance \ et mérite à jamais perpétuellement avez acquis, dont avons voulu par ces présentes vous faire congratulation vous asseurant très cher et très amé bon cousin, que pour nos propres enfans ne saurions plus effusement nous estre resjouis ; considérant la joye que c'est à notre très cher et très amé frère et perpétuel allié le roy votre d. maistre et tout son royaulme, ensemble a toute la chrestienté, de laquelle par ce moyen espairons la paix et tranquillité et repos perpétuel à jamais. Et vous scavons aussy bon grey de la bonne dilligence et paine que avez prinse a mener la d. délivrance à fin, que pourrions faire si pour nos propres affaires vous estiez employé et pourtant s'il y a chose en notre obéissance en quoy vous sachons gratifier, la recouvrerez de très bon cueur, comme scait notre Seigneur, qui vous ait en sa très saincte et digne garde. Escript à notre manoir de Westmoutier le 13e jour de juillet l'an 1530. Votre bon cousin, Henry.

[9] Lettre de François Ier à l'empereur (sur la mort de sa mère). — Bibl. du Roi, Mss. de Béthune, n° 8477, fol. 20.

Très hault très excellent et très puissant prince, notre très cher et très amé bon frère, cousin et allié nous nous recommandons à vous très cordiallement pour ce que le plus grand soulagement que scache avoir un homme tombé en affliction est de descouvrir son deuil a ses principaux amis desquels il puisse avoir consolation ; à ceste cause n'avons point voulu différer de vous donner nouvelles du trépas de feue nostre très chère et très amée dame et mère, à qui Dieu pardoint combien que nous scachions certainement que a vous sera dure et desplaisante nouvelle, mais en toutes il se faut conformer à la volonté du créateur, lequel nous supplions très hault, très excellent et très puissant prince notre très cher et très amé bon frère, cousin et allié, vous avoir en sa très saincte et digne garde. Escript à Chantilly le 29e jour de septembre 1534.

Votre bon frère, cousin et allié, François.

Lettre de Français Ier à son ambassadeur à Rome. — Bibl. du Roi, Mss. de Béthune, n° 8477, fol, 46.

Monsieur d'Auxerre, j'ay ouy dire la très piteuse nouvelle delà mort de madame a qui Dieu pardoine et m'en iray de dans peu de jours en quelque lieu prochain de Paris pour faire donner ordre à ce que ses obsèques et funérailles soient honnorablement faottes ainsy que a telle dame pleine de la grande bonté et vertue appartient dont vous pourrez advertir notre saint père, combien que je sache que telle nouvelle luy sera fort desplaizante, mais c'est grand soulagement à gens affligez de descouvrir leur deuil à leurs amis affin d'en recouvrer quelque consolation, et sur ce faizant fin mons. d'Auxerre, je preiray Dieu vous avoir en sa garde. Escript à Chantilly le 25 septembre 1534. François.

[10] Paris, 3 avril 1530, enregistré à la chambre des compt., le 20 avril 1531 après Pâques. — Mém. de la ch. des compt., vol. 2, F, f° 296.

[11] Châtelleraut, 16 mai 1532 ; enregistré à la ch. des comptes le 23. — Mém. de la ch. des compt. GG, fol. 5.

[12] Châteaubriant, 8 juin 1532. — Fontanon, II, 621.

[13] Châteaubriant, 14 juin 1532. — Fontanon, II, 625.

[14] Nantouillet, 5 mars 1533. — Fontanon, I, 140.

[15] 24 juillet 1534. — Fontanon, III, 146.

[16] Paris, 15 juin 1534, enregistré à la cour des aides le 3 juillet. — Fontanon, IV, 1146.

[17] Compiègne, 28 octobre 1531, enregistré au Châtelet de Paris, le 8 novembre. — Fontanon, I, 956.

[18] Rouen, 2 février 1532, enregistré le 26 au parlement de Paris, vol. L, fol. 291. — Mém. de la ch. des compt., cot. FF, fol. 849.

[19] Argentan, mars 1532, enregistré au Châtelet de Paris le 23 avril. — Fontanon, I, 670.

[20] Édit du 1er juin 1532. — Fontanon, I, 930.

[21] Nantes, 24 août 1532. — Reg. de la chambre des comptes de Grenoble.

[22] Paris, dernier octobre 1532. — Fontanon, I, 644.

[23] Toulouse, 6 août 1533, enregist. au parlement de Toulouse le 23 novembre. — Fontanon, II, 278.

[24] Paris, janvier 1534-35, enregist. au parlement le 11. — Fontanon, I, 664.

[25] Saint-Germain-en-Laye, 13 janvier 1529, enregist. le 17 au parlement. — Vol. L, fol. 124.

[26] La Bordaisière, 18 mai 1529, enregist. au parlement de Bordeaux le 23 juin. — Fontanon, I, 584.

[27] Paris, 25 octobre 1529, enregist. le même jour au grand conseil. — Regist. du grand conseil, vol. X.

[28] Paris, novembre 1529, enregistré au parlement avec modification, le 21 mars 1529-30. — Vol. L, fol. 130.

[29] Fontainebleau, 9 août 1531, enregist. le 14. — Vol. L, fol. 280.

[30] Paris, 16 novembre 1529. — Rec. des traités, II, 181.