FRANÇOIS Ier ET LA RENAISSANCE. 1515-1547

TOME TROISIÈME

CHAPITRE VI. — SITUATION DES SOUVERAINETÉS EN EUROPE JUSQU'À LA PAIX DE CAMBRAI.

 

 

Le pape dément VII. — Difficulté de sa position vis-à-vis l'empereur, Henri VIII et François Ier. — Gouvernement de Charles-Quint en Espagne et en Allemagne. — Effervescence de la réforme. — Possessions de l'empereur. — Les Indes. — Troupes de terre. — Marine. — Le Turc, la Hongrie, siège de Vienne. — Henri VIII. — Ses passions. — Ses caprices et ses exigences. — Modération de la papauté. — Intervention pacifique. — Derniers événements de la campagne d'Italie. — Situation des Médicis et de Sforza. — Rapprochement de François Ier et de Charles-Quint par les femmes. — La reine Éléonore. — Marguerite de Flandre. — La duchesse d'Angoulême. — Préparatifs du traité de Cambrai. — Signature des préliminaires. — Texte du traité.

1528 — 1529.

 

La plus grande douleur de Clément VII n'était pas cette captivité que la force victorieuse lui imposait dans le château Saint-Ange, ou bien encore ce traité impératif que le vice-roi Montcade lui avait arraché dans sa prison ; c'était surtout la situation difficile du pontificat dans ses rapports avec Charles-Quint, Henri VIII et François Ier. Au moyen âge la papauté était une puissance si au-dessus de toutes les autres qu'il n'y avait à sa face aucune résistance morale ou matérielle. Quand une bulle de pape avait prononcé l'excommunication et l'interdit contre un prince ou un État, cet acte trouvait l'obéissance la plus absolue, et un long frémissement de la multitude agenouillée annonçait que l'arbitre des couronnes avait prononcé. Mais dans l'ébranlement général des idées ; dans cette agitation que la réforme avait partout imprimée, combien la papauté n'avait-elle pas de ménagements à garder envers les souverains et les peuples ! A chaque caprice des passions, à chaque acte d'inconstance et de légèreté, il y avait danger pour la souveraineté pontificale, puissance morale sans force militaire et que la prédication de Luther ébranlait si fatalement.

Lorsque le pape considérait sa position même au milieu de Rome, combien n'était-elle pas fragile ! Clément VII n'appartenait point au patriciat romain, à ces familles d'aristocratie qui prétendaient dominer la papauté même, et lui imposer les conditions de leur puissance. Les Médicis, les protecteurs des arts, n'étaient point aimés par les Colonna qui dominaient Rome par leurs souvenirs et leur orgueil ; cette lutte intime donnait à la papauté un caractère d'inconsistance qui affaiblissait le dogme catholique. Au moment où ce dogme si saint était attaqué avec une violence audacieuse par quelques moines augustins affranchis de tout joug, c'était un triste spectacle que de voir ces dissensions, ces heurtements militaires dans la capitale même de la chrétienté. C'était donc moins le triste sac de Rome par les hérétiques, ce pillage et ce massacre exécutés par les reîtres et les lansquenets qui arrachaient des larmes au pontife que les dissensions des cardinaux eux-mêmes. L'Église avait tant souffert de persécutions ! Le malheur de ce temps voulut que les papes fussent toujours pris dans les familles souveraines de l'Italie, apportant sous la tiare les intérêts de leur maison. Les Médicis étaient trop italiens pour concevoir des idées d'universalité ; le catholicisme pour être gouverné voulait au pontificat un pape sans autre souveraineté territoriale que les États de Rome, et n'ayant aucun lien terrestre avec les races nobles du sol, afin de ne plus s'occuper que de la grande famille morale des chrétiens.

La situation particulière de Clément VII (un Médicis) rendait donc bien difficiles ses relations avec l'empereur Charles-Quint, les rois de France et d'Angleterre ; ces princes avaient également leurs intérêts séparés de la religion et de la catholicité ; et quand ces intérêts ou ces passions éclataient trop vivement, est-ce que la force morale de la papauté pouvait arrêter l'irrésistible volonté des princes se heurtant par les idées et par les armes ? Si Rome concédait trop à l'un, elle blessait l'autre ; à chaque question de souveraineté, de famille, de mariage ou de divorce, il y avait des cas de conscience à résoudre, des intérêts à concilier ; Charles-Quint, hostile à François Ier, n'aurait jamais permis que Clément VII lui concédât des privilèges ou des alliances, et François, à son tour, aurait attaqué les traités accordés à l'empereur. Qu'on s'imagine donc Clément VII à peine délivré, et autour de lui des cardinaux français, espagnols et allemands ; sur son moindre refus on lui infligeait des violences matérielles, et les derniers événements de Rome constataient que désormais les papes devaient obéissance à l'empereur, sous peine de voir leurs villes saccagées et leur liberté en péril, Dans ce heurtement de choses, la réforme de Luther venait dire aux souverains : Qu'avez-vous besoin de ce frein moral de Rome ? Quel pouvoir désormais peut vous faire obstacle, à vous les maîtres ? Il suffit de vouloir pour oser, et d'oser poursuivre capricieusement vos volontés, c'est-à-dire briser les liens du mariage, vous souiller de l'adultère, livrer au bourreau une jeune fille, avoir plusieurs femmes ou des concubines. Qu'est-il besoin de la sanction d'un pontife étranger ? L'Église est dans chaque nationalité, et les évêques ne sont que les hommes du roi.

S'il est une physionomie imposante qui se révèle dans cette fin du moyen âge, c'est évidemment Charles-Quint à la seconde période de sa vie ; François Ier ou Henri VIII n'ont dans leur pensée qu'une seule préoccupation, celle de gouverner leurs États ou peut-être d'accomplir, comme le roi de France, de rapides conquêtes en Italie. Mais Charles-Quint exprime à lui seul l'universalité, telle que Charlemagne l'a conçue au IXe siècle ; l'un commence cette étrange et poétique période, l'autre la finit ; pour Charles-Quint, la guerre d'Italie n'est qu'un accident ; il a les yeux sur tout et partout ; roi d'Espagne et portant sur son blason les pièces d'honneur de Castille, il doit réprimer l'esprit démocratique des communeros et en même temps organiser les ricoshombres et les façonner autour de la couronne en créant cette hiérarchie de grandesse avec ses privilèges splendides. A l'Espagne, de récentes découvertes viennent d'ajouter un nouveau monde, un empire des deux Indes qu'il faut régir et gouverner, et de là son système des vice-rois. Quand on veut se faire une idée de cette vaste intelligence de Charles-Quint par rapport au système colonial, il faut parcourir à Séville les nombreuses correspondances des archives de l'Inde ; on peut y voir les inquiétudes, les soucis que donne à Charles-Quint l'esprit de ces colonies, à peine créées et qui visent à l'indépendance. Ce ne fut pas un caprice, ou une froide ingratitude qui brisa l'épée de commandement aux mains de Fernand Cortez ; Fernand avait conçu la pensée d'un empire indépendant sous sa propre souveraineté, et pour empêcher cette trahison, Charles-Quint établit les évêchés et les grandes juridictions ou audiences qui liaient l'Amérique à la métropole, et comme tribunal l'inquisition, admirable moyen de police qui, pénétrant tous les secrets, empêchait ces conjurations de chefs, de soldats, désireux déjà de secouer la suzeraineté de l'Espagne. Dans la pensée de Charles-Quint comme chez tous les esprits supérieurs, tout devait être soumis à son pouvoir, et les services n'exemptaient pas de l'obéissance.

Comme héritier de la maison de Bourgogne, Charles-Quint possédait la Franche-Comté, la Flandre et les Pays-Bas dont il avait confié le gouvernement à Marguerite, sa tante : ici de nouvelles inquiétudes venaient l'agiter sous son diadème. Il ne craignait rien pour la Franche-Comté, pays d'obéissance catholique et glorieux d'appartenir à l'héritier de la maison de Bourgogne ; mais aux Pays-Bas se révélait un esprit d'indépendance lié au principe communal tel que le moyen âge l'avait fondé. Ce n'était pas chose nouvelle que la révolte des villes de Gand, d'Anvers, de Liège, et depuis Louis XI on avait vu plus d'un roi de France prêter la main à ces insurrections de peuple, à ces tumultes de place publique. Il fallait donc une surveillance attentive en Flandre, dans le Brabant, et c'est sous ce point de vue que la correspondance de Charles-Quint avec le cardinal de Granvelle offre un puissant intérêt. Ces lettres sont déposées dans les archives de Besançon comme la correspondance de l'Inde sommeille dans la poussière des archives de Séville.

En Italie, quelle lutte encore ! L'empereur défend d'incontestables droits sur le Milanais et Naples, droits acquis, car en ce moment un vice-roi gouverne en son nom la Sicile comme Naples. Puis Charles-Quint ajoute à tout cela la pensée de dominer souverainement le pontificat de Rome et d'avoir un vassal sous la tiare, à l'imitation de Charlemagne. Enfin, comme pour compléter la souveraineté italienne, Charles-Quint veut arracher à Venise toutes les villes de terre ferme : puisque son aïeul Maximilien dort au tombeau d'Insprück, nom loin de Vérone et de Padoue, pourquoi n'achèverait-il pas son œuvre en ne faisant de Venise qu'une île dans les lagunes, réduite à une simple puissance commerciale, ainsi que Gênes sous les Frégose et les Doria ?

Ce n'est point assez de soucis et de tourment encore ! l'empereur Charles-Quint a réalisé la pensée ambitieuse de sa vie, et le voilà revêtu de la pourpre des Césars qui pèse et brûle alors ; car souverain et protecteur naturel de l'Allemagne, il s'élève deux grands dangers : la réforme éclatant comme une opposition immense dans l'Empire à la voix de Luther lui impose la convocation des diètes, des innovations qui ébranlent les liens de la société allemande, et puis cette volonté d'indépendance et de souveraineté qui agit sur tous les électeurs y menace le sceptre et la boule d'or des empereurs. C'est le sujet de cette correspondance si active dont les fragments existent à Augsbourg et à Vienne ; Charles-Quint est surtout éminent dans sa lutte contre le progrès de la réforme ; car livrer un combat contre un ennemi matériellement armé, ce n’est rien quand on le voit et qu'on le touche ; mais lorsqu'il faut lutter contre les idées, se faire persécuteur, s'engager dans une série de mesures qui blessent souvent votre modération, c'est là qu'est le rôle difficile, et la réforme est une des grandes sueurs de Charles-Quint, parce qu'elle est un des grands empêchements à l'unité de sa pensée.

A bien considérer les guerres longues, violentes de l'empereur contre François Ier, elles ne sont et ne peuvent être même militairement que des épisodes accidentels à la face de la lutte immense des Turcs contre la chrétienté. Ce ne sont pas ici des armées de quelque mille lances garnies de reîtres, de lansquenets et de Suisses ; mais des myriades de janissaires et jusqu'à trois cent mille cavaliers qui assiègent Bude[1]. Les Turcs sont à leur apogée de puissance ; l'empire ottoman, élevé à ce haut degré de force et de politique, engage fièrement la lutte ; les armées de Soliman II entourent Vienne[2] : maîtresses du Danube, elles rêvent déjà les rives de l'Elbe et du Rhin. Oh ! si l'esprit des croisades vivait encore, s'il y avait dans le système religieux cet enthousiasme qui, sous l'étendard du pape, allait affronter les périls en combattant sous la croix, alors l'Europe chrétienne pourrait reconquérir Constantinople et refouler les Turcs en Asie ! mais la réforme de Luther vient d'affaiblir l'esprit religieux ; qu'importe à quelques prédicants les succès des Turcs qui menacent la civilisation, pourvu qu'ils argumentent sur la Bible -et qu'ils écrivent des pamphlets contré le pape ; sans les hérésies, la question de l'indépendance de la Grèce eût été résolue au XVIe siècle. Il faut dire à l'éloge de Charles-Quint que cette invasion des Ottomans le préoccupe et l'absorbe, soit qu'il y cherche des arguments contre l'esprit remuant de François Ier soit qu'il ait la conviction profonde que la ruine ou le salut de l'Europe dépend de la faiblesse ou de la force qu'on va opposer à Soliman II ; l'empereur dans sa correspondance ne parle que de la nécessité de lever haut l'étendard de la croix pour lutter contre les vainqueurs de Rhodes et les sanglants envahisseurs de la Hongrie.

L'Europe restera-t-elle sourde à ses appels ? Lui, l'empereur, veut se placer à la tête d'une expédition qui préservera la chrétienté : Ici se révèle son double génie d'organisation politique et de force militaire. Charles-Quint dispose dépopulations considérables ; les Espagnols, braves soldats, forment des bandes disciplinées à l'abri des intempérances habituelles aux soudards allemands. Avec sa large divination de l'avenir, Charles-Quint s'occupe moins de la partie chevaleresque des batailles que des progrès de la poudre et du canon. Si les bandes espagnoles conservent encore la pique, pour se garer comme dans un camp environné d'un mur aigu, elles savent mieux l'art de tirer l'arquebusade et de diriger l'artillerie. Charles-Quint comprend que la chevalerie demeurera impuissante devant les coulevrines ; il ne se préoccupe que des progrès de ces armes qui acquerront une supériorité incontestée, de ses arquebusiers et de ses pointeurs de canon. Les Flamands forment son infanterie active ; les Francs-comtois, ses soldats légers ; l'Allemagne lui donne les reîtres et les lansquenets ; enfin, comme il a besoin de garder une force capable de lutter glorieusement à coups de lance et d'épée, tradition des temps qui ne sont plus, Charles-Quint maintient un corps de quelque mille gendarmes, couverts de fer tels qu'on les voit encore en images de bronze aux cathédrales de Munich et d'Augsbourg. Ce XVIe siècle est marqué par tous les côtés d'un caractère d'extraordinaire grandeur : tout se révèle ou pour mieux dire, tout apparaît. Charles-Quint, qui a bien compris cette époque, s'est aperçu que, pour marcher vers le grandiose et l'inconnu, il faut une vaste marine ; et ici sa puissance se montre encore. Indépendamment de ses navires à découvertes, de ses galères capitanes, de ses caravelles et tartanes que l'Espagne fait construire à Barcelone, à Cadix, à Saint-Sébastien, l'empereur attire à lui les Génois ; et tout récemment il vient d'arracher André Doria à François Ier. Son but n'est pas seulement de faire des découvertes en des terres inconnues ; mais, appelé à lutter contrôles Turcs, il doit leur opposer des forces au moins égales. Comment se fait-il que peuple conquérant, essentiellement nomade, cavalerie presque tartare, les Turcs aient pris cette grande force navale qui les fait apparaître tout à coup devant Rhodes et les côtes d'Afrique avec une supériorité incontestable sur les puissances chrétiennes ? c'est que, maîtres de Constantinople, les Turcs ont étudié l'art grec pour la construction des navires, l'agilité et la science des manœuvres ; ils ont même dérobé le secret du feu grégeois qui flamboie dans les eaux. De là cette supériorité de leurs caïques, galères, felouques, corsaires, naviguant sur toutes les mers ; et c'est pour lutter contre cette puissance maritime des mécréants que Charles-Quint mit tant de sollicitude à grandir ses équipages et à multiplier ses constructions navales.

A la face de cette physionomie si haute, si puissante de Charles-Quint, combien se rapetisse le caractère de Henri VIII, le roi capricieux, fantasque, passionné, qui ne sort pas de certaines habitudes, de certaines cruautés domestiques ; et cependant la fortune, le hasard l'ont placé dans une position tellement considérable que Charles-Quint et François Ier tour à tour le ménagent, le caressent et l'appellent incessamment très-cher et perpétuel allié[3]. Cette position exceptionnelle, Henri VIII la tient de sa neutralité au milieu de deux grandes rivalités qui se heurtent. L'empereur et le roi de France le courtisent, l'exaltent ; et lui se pose comme intermédiaire indispensable dans toutes les querelles. Il n'est pas une seule grande question dans laquelle il ne soit appelé : la papauté, l’Italie, l'Allemagne ; et partout il se pose en médiateur. Cette situation si admirable que le cardinal Wolsey lui a faite n'impose aucun sacrifice ; comme il n'a pas besoin de grandir son état militaire, Henri VIII thésaurise, prête à François Ier, à Charles-Quint ; et par ce moyen, il acquiert une incontestable prépondérance. Sa faiblesse vient de ses passions. Chargé de graisse, de sang, il monte difficilement à cheval ; toutes ses journées, il les passe dans son palais ; et cela lui donne jusqu'à l'excès le goût des femmes et de l'étude. Comme tous les corps sanguins qui sentent vivement y le moindre refus l'excite jusqu'à la plus épouvantable colère. Sur le champ de bataille, s'il avait eu du cœur, il aurait fracassé impitoyablement le crâne des chevaliers ; sous le toit domestique, il ne brise que le front de pauvres femmes. Écrivain dogmatique, parce qu'il lui fallait un aliment à sa paresse de corps, il déclama avec la fougue de son caractère contre Luther ; puis, par une autre fougue d'idées, il se prononça contre le pape. Nul peut-être ne présenta mieux l'image de ce sensualisme qui s'affranchit de toute espèce de limites pour se livrer aux passions capricieuses comme les tempêtes de son cœur et les impuissances de sa chair.

Déjà commence cette question de divorce avec Catherine d'Aragon, la sœur de Charles-Quint, et son mariage avec Anne de Boleyn[4], la maîtresse adorée. Pour arriver à ce résultat capricieux, Henri s'adresse partout : en France, à Rome. Sa correspondance avec François Ier montre l n'impétuosité de ses passions par les sacrifices qu'il s'impose pour venir à ses fins. Les réponses du roi témoignent les ménagements qu'il veut garder avec un prince aussi influent que Henri VIII sur les destinées de la paix ou de la guerre. François Ier s'entremet pour faire décider par la Sorbonne la question du divorce d'une manière favorable. A Rome, il presse le pape, il insiste afin qu'il ne s'oppose pas au désir d'un roi si puissant, au moment où la question de la réforme s'agite dans le monde : qui sait ce qui va résulter du refus obstiné de la cour de Rome ? Le pape, protecteur de la pauvre femme répudiée, persiste à défendre Catherine que le caprice de Henri VIII rejette de la couche nuptiale. C'est encore le principe moral aux prises avec la force matérielle, brute et passionnée[5].

Dans ces circonstances si agitées, la situation de Clément VII se révèle de plus en plus perplexe. A la cause du respect chrétien pour la sainteté du mariage vient se joindre un motif politique qui l'obligea ménager Catherine d'Aragon, la sœur de Charles-Quint. Si le pape servait les caprices de Henri VIII, n'appellerait-il pas sur sa tête toutes les colères de l'empereur ? Le cardinal Wolsey et Thomas Morus[6] en Angleterre sont dévoués à la papauté, mais Henri VIII peut s'en séparer pour se jeter ouvertement dans les bras de la réforme, d'autant plus que les hauts barons, les hommes violents de toute espèce ne désirent qu'une circonstance pour confisquer les fiefs des moines noirs et blancs des vieilles chroniques anglo-saxonnes. OhM quels larges banquets feront les barons anglais usurpateurs de terres, dans les dortoirs des disciples de saint Benoît et de Bède ; le cliquetis des verres remplacera le chant des psaumes dans les cloîtres !

Alors, afin de comprimer plus fortement les principes de la réforme, et surtout d'amener les princes chrétiens à une immense croisade contre Soliman, le pape manifesta tout haut le désir d'une paix durable entre François Ier et Charles-Quint. Est-ce que la haine profonde qui existait entre ces deux princes ne pourrait jamais être calmée ? Laisseraient-ils la chrétienté succomber sous la fatale invasion des Turcs ? Serait-il dit que l'Église du Christ était à sa fin ? La papauté se mettait donc une fois encore à la tète de l'idée patriotique et universelle de la résistance aux Barbares.

La nouvelle campagne des Français en Italie n'encourageait pas l'esprit de conquête : l'armée affreusement décimée par les maladies, la disette, le désordre et l'indiscipline, était obligée de traverser rapidement les Abruzzes pour rejoindre le Milanais. Dans cette contrée où tant de fois les lances de France avaient paru, la chevalerie trouva un peu de réconfort et de repos ; les Vénitiens joints aux débris de la vieille armée du maréchal de Lautrec avaient pris quelques villes et le champ du combat était incessamment disputé autour de Lodi, Pavie et Milan même. Des Alpes venaient de descendre encore les bandes de lances conduites par le comte de Saint-Pol de la maison de Bourbon, un des hommes de guerre le plus intrépide, mais le plus imprudent. Ici nouvelle bataille : on attaque, on se défend ; les cités sont prises et abandonnées sans résultat décisif. La faute des plans de campagne tracés par François Ier, c'est d'embrasser trop de choses à la fois, de trop disséminer ses forces. Avec les nouvelles lances que conduit le comte de Saint-Pol, on a une supériorité numérique sur les Espagnols et les Allemands, dirigés par le marquis de Guast ; eh bien ! le comte aventureux éparpille ses troupes, il les jette sur Gènes et Savone ; le roi désire une fois encore la suzeraineté sur la ville de Gênes, qui par les efforts d'André Doria[7], recouvre sa liberté républicaine ; mouvement irrésistible qui fait revivre les anciens statuts de la cité marchande : le sénat est reconstitué ; le conseil du peuple fait entendre la grande voix de la reconnaissance autour d'André Doria, et le vieux marin garde la seule autorité que donnent les services rendus à la patrie. L'expédition du comte de Saint-Pol ; si malheureuse sur Gènes, fut empreinte de violence et de sauvagerie : témoin cet ordre donné par le comte de ravager la villa Doria, ses jardins d'orangers, de citronniers et ses espaliers de marbre, pour se venger de la défection du patriotique amiral[8], qui préférait Gênes, sa ville natale, au service de François Ier. Cette imprudente expédition du comte de Saint-Pol eut pour résultat de permettre la jonction du marquis de Guast avec les bandes luthériennes et allemandes que le duc de Brunswick amenait pour la défense de la Lombardie.

Les capricieux excès des Français avaient donné à réfléchir au pape et aux Vénitiens sur les conséquences d'une guerre si longtemps prolongée contre Charles-Quint. Ces chevaliers avaient montré une légèreté politique qui leur avait nui beaucoup dans l'esprit fin et rusé des Italiens ; le pape dès lors s'était tourné vers l'empereur, dans lequel il trouvait une force du sentiment chrétien plus vaste, plus énergique. Charles-Quint, bien aise d'effacer la mauvaise impression que le sac et le pillage de Rome avaient imprimée, désirait la consécration religieuse de son pouvoir par le couronnement pontifical, à l'imitation de Charlemagne, après l'anéantissement du royaume des Lombards. Ces rapprochements plaisaient à Charles-Quint pares que les intelligences supérieures aiment à retrouver dans les vieilles croyances de l'histoire les types et les modèles qu'elles veulent suivre. Charlemagne apparaissait à Charles-Quint presque comme la gigantesque image d'un ancêtre. Il y avait dans Clément VII deux hommes, le chef de l'Église, pontife supérieur ; puis le chef de branche des Médicis, souverains à Florence ; et en cette double condition, Charles-Quint satisfaisait pleinement Clément VII ; il consentait à réprimer le mouvement municipal de Florence se proclamant république indépendante des Médicis, et il rendait au pape tous les États de l'Église. L'esprit de morcellement était partout dans ces populations de l'Italie dont l'incessante tendance était toujours de se disperser province par province, cité par cité ; Sienne et Florence, Rimini et Ferrare, Pise et Massa, n'étaient-elles pas toujours en guerre, et le moyen âge des barons s'était là continué même au XVIe siècle ?

Cette lassitude des esprits ne se manifestait pas seulement en Italie, elle était partout, et le cri de paix se faisait entendre comme une voix populaire : à quoi servait cette effusion de sang ? Les maladies avaient épuisé la chevalerie de France, à ce point qu'il était difficile de trouver des chefs de guerre et de l'argent pour la solde des gens d'armes. On parlait surtout de la nécessité d'apaiser ces longues querelles entre les princes chrétiens pour les porter à une croisade défensive contre les Turcs. La prédication de Luther, cette terrible cause de troubles, était un principe d'affaiblissement continu pour Charles-Quint et l'empire germanique. Rois de France et d'Angleterre[9], républiques ou princes d'Italie, tous devaient désirer la paix, afin d'imprimer un peu d'ordre aux relations des gouvernements, et donner du repos à l'Europe fatiguée. Les Turcs s'avançaient sur Vienne à travers la Hongrie, et par mer ils menaçaient la Sicile. N'y avait-il donc aucun moyen d'arrangement pour permettre enfin une croisade contre les Barbares ?

Dans cette situation des esprits, il devait se révéler des tentatives de paix entre François Ier et Charles-Quint, résultat bien difficile à obtenir. Le roi pouvait-il pardonner la manière froidement égoïste dont Charles-Quint l'avait gardé dans sa captivité de Madrid ? et l'empereur, à son tour, accusait hautement de déloyauté, de parjure, le roi de France qui, signataire d'un traité, n'avait pas craint de le violer d'une manière outrageuse. Puis ce duel offert et refusé qu'on s'était jeté à la tête avec une si grande solennité de formes, en se traitant de lâches, de couards, n'avait-il pas laissé des ressentiments profonds au cœur ? Était-il encore possible à François Ier et à Charles-Quint de se voir et de se tendre la main ?

L'impérative nécessité prépara une intervention de famille plus douce et moins politique. Marguerite d'Autriche[10], gouvernante des Pays-Bas, et la duchesse d'Angoulême tentèrent de rapprocher les deux souverains irrités ; elles avaient un désir immense de comprimer les élans de la colère dans rame de Charles-Quint et de François Ier ; douées à un degré égal d'une grande sagacité de vue, elles dominèrent justement dans toutes les circonstances de leur vie l'empereur et le roi, avec cet instinct des événements qui échappe à l'irascibilité des passions humaines[11].

Les bases de toute convention devaient être recherchées dans les articles du traité de Madrid. Ce n'était point une convention nouvelle qu'on devait signer : on modifiait quelques conditions anciennes pour les mieux mettre en rapport avec les intérêts de la monarchie. Toutes les difficultés se trouvaient dans la restitution de la Bourgogne promise à Charles-Quint et n'y aurait-il pas moyen d'une compensation ? La duchesse d'Angoulême fit valoir la résistance persévérante des états. Ce n'étoit pas le roi qui se refusoit sur ce point à l'exécution du traité y mais le peuple : noblesse, bourgeois, manant, clergé qu'on ne pouvoit dominer dans leur volonté si expresse ? Pourquoi ne point admettre le système des compensations en écus d'or qui serviroient de rançon aux jeunes princes captifs en Espagne ?[12]

Ces conférences se prolongèrent à Cambrai, ville curieusement destinée à voir les grandes transactions diplomatiques du XVIe siècle : là s'était négociée naguère une vaste ligue contre Venise ; maintenant il s'y signait la paix des couronnes. Singulière transaction accomplie presque exclusivement par deux femmes ! Marguerite de Flandre et Louise de Savoie[13]. Et il fut fort ingénieux que des questions d'honneur chevaleresque fussent terminées par les dames que le moyen âge appelait à décider les difficultés de tournois et de nobles susceptibilités. Par le traité de Cambrai confirmatif de la convention de Madrid, il est convenu : Que la paix perpétuelle demeurera entre le seigneur empereur et le roy, sans laisser trace et rancune en leur ame. La Bourgogne, l'Auxerrois ne seront plus cédés à l'empereur ; mais le roi très-chrétien s'engage, en retirant le Dauphin et le duc d'Orléans, de payer deux millions d'écus d'or au soleil ; et lors du payement des douze cent mille escus, lesdits princes seront mis en liberté ; les huit cent mille restants demeureront affectés aux dettes contractées envers le roi d'Angleterre, et l'excédant payé en rentes au denier vingt. Les troupes françaises en Italie seront retirées, le roi renonçant à tous ses droits sur ces terres j le comté d'Artois deviendra la propriété immuable de l'empereur jusqu'à Issoudun, sans hommage pour la Flandre et l'Artois. Abolition du droit d'aubaine ; madame l'archiduchesse aura le Charolais. Le mariage du roy avec Éléonor, douairière de Portugal, devra être immédiatement consommé[14]. Charles-Quint demeurant maître d'accomplir toutes conquêtes en Italie, le roy de France lui fournira même douze galères et mille lances pour l'aider à remettre le pape en possession des villes rébellionnées. Les héritiers du noble et glorieux connétable seront remis en possession de leurs biens ; tout arrêt porté contre leur chef de race et d'armée sera mis au néant, et Philibert de Châlons doit rentrer dans la suzeraineté de la principauté d'Orange avec dix mille ducats d'or comme indemnité : Lequel traitté de paix en tous et chascuns les points et articles ci-dessus déclarez, les dites dames archiduchesse et duchesse d'Angoulmois, procuralrices desdits seigneurs, empereur et roy très-chrestien, et chascune d'elles en droit soy respectivement, en vertu et en suyvant leurs dits pouvoirs ; et icelle dame archiduchesse se faisant forte de la dessus dite reine douairière de Portugal, en tant qu'il luy peut toucher, ont de bonne foy et par leurs serments, pour ce par chascune d'elles donné et touché corporellement aux saints évangiles de Dieu et canon de la messe, en présence du saint-sacrement de l'autel, promis et promettent qu'elles feront deuement ratifier le contenu en ce dit traitté de paix, et tous chascuns les dits points et articles ci-dessus déclarez, et que de ce seront baillées et délivrées lettres patentes en forme deûe et suffisante, d'une part et d'autre, et ce dedans deux mois et demy après la date d'iceluy présent traîtté.

En résultat, ce traité n'était qu'une conséquence, qu'une ratification de celui de Madrid ; sauf qu'en échange de territoire, il stipulait une rançon d'argent : les cessions de provinces ou de cités demeurent comme un triste témoignage de la défaite et de l'humiliation d'un peuple ; les stipulations d'argent passent comme une crise souvent difficile à subir, mais qui ne laisse après elle aucune trace, aucune marque de honte ou de faiblesse ; avec des impôts et des emprunts pendant l'espace de quelques années, les sacrifices d'argent s'effacent ; il n'en est pas ainsi d'une cité qui manque sur la carte d'un empire, ou d'une province qui en est détachée ; la honte en demeure longue et permanente. Ce traité de Cambrai fut le résultat des combinaisons de deux femmes supérieures qui voulaient imposer la paix à des princes fiers et haineux toujours en présence de leur ambition ; des hommes d'États, vieux parlementaires, n'auraient pas compris et résolu avec autant d'instinct les difficultés embarrassées de cette situation et les moyens d'apaiser des hommes aussi profondément irrités. Les faiseurs de mots ont appelé ce traité, la Paix des Dames ; il faut dire seulement qu’il y eut dans toutes ces négociations un sentiment de délicatesse, un instinct des choses qui n'appartient qu'aux femmes y et encore aux femmes avancées dans l’intelligence du cœur humain par l'expérience et l'habitude de la famille et du gouvernement.

 

 

 



[1] Ferdinand, frère de Charles-Quint, successeur de Louis au trône de Hongrie, avait repris Bude sur les armées ottomanes dans les premiers jours de 1529 ; elle retomba au pouvoir de Soliman quelques mois après.

[2] Le siège de Vienne commença le 26 septembre 1529. Nouvelles du Turc, Décembre 1529. — Mss. Fontanieu, portef. Bibl. Roy.

Le Turc a donné 23 asaulx à Vienne ou il a perdu 50.000 hommes. Il a quasy abattu toutes les murailles par mines, le jour que il devoit donner le 24e asault comme ceux de la ville attendoient, il s'est retiré deux lieues loin de la ville et ne scait à quelle occasion, il faict ses provisions pour yverner en Hongrye. Les Alemans ont mis grant nombre gens ensemble aussy le roy de Bohême pour aller secourir la ville, Federich de Bavière marchoit devant avec dix mil hommes pour essayer d'entrer en la ville, car ceulx de dedans avoient perdu baucoup de leurs gens et avoient mandé qui ne leur ay secour bientoust ils etoient contrains de se rendre. Le fils d’André Gry, duc de Venise est au camp du Turc, cappit. de dix mil hommes turcs. Le tabourin sonne en Poulongne en une mesme ville pour lever gens pour le Turc et pour le roy de Bohème. C'est l'œuvre d’un agent secret de François Ier.

[3] Lettre de François Ier à Henri VIII. — Mss. de Béthune, vol. 8530, Mss., Bibl. Roy.

Très haut et très puissant prince notre très cher et très amé frère cousin compère et perpétuel alliez tant et si très affectueusement que faire povons a vous nous recommandons. Nous avons receu les lettres que nous avez escriptes ensemble la requête que vous avez envoyée par le porteur de ceste que nous avons bien voulu retenir jusques icy, affin que sur icelle il fut baillé toutes les provisions qui y seroient requises et nécessaires lesquelles nous avons ordonné et commandé estre faictes en noire privé conseil en présence de vostre ambassadeur estant icy autour de nous qui sont telles que pourrez veoir et amplement entendre par aucuns de ceux auquel il touchoit qui y ont été pareillement présent ; vous advisant très cher et très amé frère cousin compère et perpétuel allyé que non seullement en cela mais en tous et chacuns les affaires que vos subjets auront par deçà, nous donnerons et ferons donner telle justice ordre et provision et les auront en aussi grande et singulière recommandation que les nôtres propres ne faisant double que en feriez le semblable en votre endroit très hault et très puissant prince, notre très cher et très amé frère, cousin, compère et perpétuel allyé. Nous prions notre Seigneur vous donner l'accomplissement de vos désirs ; escript de Saint-Germain-en-Laye le deuxième jour de mars mille cinq cent vingt huit. Votre bon frère, cousin, compère et perpétuel allyé, François.

[4] Née de sir Thomas Boleyn et d’une fille du duc de Norfolk, vers 1500, elle accompagna à Paris, en 1514, comme fille d’honneur, la princesse Marie, sœur de Henri VIII, qui venait épouser Louis XII ; Anne passa ensuite au service de la reine Claude, puis quitta la France vers 1525 ou 1527 pour retourner en Angleterre où elle devint fille d'honneur de la reine Catherine d'Aragon.

[5] J'ai traité le divorce de Henri VIII dans mon travail spécial sur la Réforme.

[6] Après la disgrâce du cardinal Wolsey, Thomas Morus lui succéda dans la dignité de grand chancelier ; plus malheureux encore que son protecteur, il eut la tête tranchée sur la plate-forme de la Tour de Londres, quelques années après, le 6 juillet 1535.

[7] André Doria refusa la dignité de doge, et fit élire Ubert Catanéo, le 12 décembre 1528 ; il se contenta de la charge de censeur à vie. La nouvelle constitution de Gênes portait d'agréger aux vingt-huit familles les plus illustres (à l'exclusion des Frégose et des Adorne) toutes les autres tant nobles que plébéiennes, admises jusqu'alors aux honneurs et aux magistratures, afin d'élire un doge tous les deux ans pour régir l'État, avec huit gouverneurs et un conseil de quatre cents personnes. Voyez Guicciard., lib. XIX.

[8] Guicciard., lib. XX. — Belcar, lib. XX, n° 18.

[9] Lettre du roi Henri VIII à l’empereur (pour la paix), 21 octobre 1528. — Mss. de Béthune, n° 8534, fol. 84, Bibl. Roy.

Très haut très excellent et très puissant prince notre très cher et très amé bon frère et cousin et beau nepveu tout cordialement et affectueusement que faire povons a vous nous recommandons. Par les mains du prevost de Cassette, résident comme votre ambassadeur par deçà, avons en l'absence de don Yago Mendoza, n'estant encore arrivé, receu vos lettres datées a Grenade et tant par icelles que par autres lettres de notre très féal conseiller le docteur Lee, notre ambassadeur vers vous et par certayne responce par escript en francoys à luy baillée par votre conseil, volontiers ouy et entendu en quelle bonne part vous acceptez notre cordyal et amyable conseil et adviz que vous avons dernièrement donné concernant les affaires particulières d’entre vous et notre très cher et très amé bon frère et cousin, le roy Françoys de France que aussi le conduiement de paix universelle ensemble la bonne inclination en quoy demonstrez estre vous mêmes vers icelle pour le bien de laquelle offrez exposer non seulement votre propre estat mais votre personne et propre sang si besoing est et nous désirant nous employer a notre pouvoir a ce que l'effet de notre d. aviz et conseil s'ensuyvent au bien de la chrétienté, selon que vos d. lettres plus amplement le portent.

[10] Procuration donnée par Charles-Quint à Marguerite d'Autriche, sa tante, pour traiter de la paix entre lui et le roi de France, à Cambray.

Pièces trouvées dans le château de Gand. — Bibl. du Roi, Mss. de Colbert, vol. int. : Traités de paix, coté 43, p. 110.

[11] Henri VIII s'empressa d'envoyer des ambassadeurs aux conférences de Cambrai.

Lettre du cardinal d’York à madame Louise de Savoie. — Mss. de Béthune, vol. coté 8530, fol. 15.

Madame ma bonne mère tant et si très cordiallement que puis à votre grâce me recommande. La majesté du roy mon maistre, en suivant le bon désir et voolonté de la majesté du roy votre Gis, et pour l'avantage de mes affaires particulières avoit desliberé de me envoyer a votre assemblée et diète de Cambray, mais pour la brefveté du temps et accélération d'icelle pour maintenant avecques toute diligence y envoyé ses très chers et bien aimés conseillers l'Evesque de Londres, garde de son privé sceau et messire Thomas More, chevalier et chancelier de sa duché de l'Encastre ses ambassadeurs, avecques charge de première venue se retirer vers vous pour vous déclarer l'entier de leur charge et par votre bonne adresse faire tout ce que générallement sera expédient pour traicter et nourrir une bonne et ferme paix, amour et confédération en toute la chrétienté, que spéciallement faire tout ce qui sera conducible à l'avancement et bien de vos affaires particulières et comme de l'avancement desquels la majesté du roy mon maistre est singulièrement desyreulx, y portant autant parfait désir et cordiale affection que fait aux siens propres et principallement à la rédemption de messieurs vos enfans, etc.

De Londres le second jour de juillet l'an 1529.

[12] Lettre autographe de François Ier à madame d'Angoulême. — Bibl. du Roi, Mss. de Béthune, n° 8506, f° 1er. (L'orthographe en est barbare.)

Toute aseteure madame est arrivé Langes lequel m'a bien fet entendre la sorte de quoy l’on a euzé an sete dernyere réponse anvers vous, et peuys que vous mys Dyeu de neutre couté lequel seul set la synseryté de quoy vous et moy alyons an sete pes, je ne plains madame que votre pene laquele ne se peut dyre sans freuyt veu l'onnesteté qui avés gardé et peuys que l'anpereur estyme sy veu mon amytyé et a tant d'envye de me reuyner, je ay esprance aveques leyde de Dyeu que avant qu'yl soyt peu de leuy fere connoytre que je seuys otant digne d'estre desyré amy que desseperé annemy par quoy je vous seuplye ne vous donner poynt de pene et croyre que Dyeu fet tout pour le myeulx et vous anvenyr byentoust car james n'eut dant d'anvye de vous voyr qu'a a sete heure Votre très humble et très obeysant filz, François.

[13] Les deux princesses correspondent dans des termes d'une grande amitié. Voici une lettre de Mme Marguerite à Mme Louise de Savoie. — Mss. de Béthune, vol. coté 8530, fol. 5.

Madame, en suivant les demeslés que nous eûmes dernièrement a Cambray touchant l'estroite ligne et alliance de mariages que sçavez, j'en ay escript à l'empereur, lequel m'y a fait toutle bonne responce, et m'a envoyé son povoir pour y entendre ; me trouverez tousjours prête espérant puisque Dieu nous a donné si bon commencement que parferons encore ensemble ceste bonne œuvre qui sera le vray établissement et seurefaé de la paix à laquelle james ne sera lasse de s'amployer celle qui a james demourera votre plus que bonne sœur, Marguerite.

[14] Ce traité fut signé le 5 août 1529. Madame d'Angoulême se hâte d'en instruire François Ier elle lui écrit le même jour. — Bibl. du Roi ; Mss. de Béthune, n° 8174.

La seureté, monsieur, en laquelle je cognois votre personne par la paix qu'il a pieu à Dieu vous donner m'est de tel contentement que je l'extime plus que ma propre vie ; tout, ce que j'ai entendu par vos lettres et par mons. le grand maistre que ce que j'en ay faict vous a esté agréable, que je ne puis prendre à peine et labeur, mais à aise repos et plesire puisque c'est en chose qui vous touche, vous advisant, monsieur que vous avez escript à une dame qui ne pourroit estre plus à son aise de nulle autre chose, que de vous veoir satisfait. Nous arresterons demain le jour de la cérémonie de notre euvre pour tousiours habrèger l'actente de désir que ne fut oncques plus grant que celluy que j'ay de vous recevoir ; votre très humble bonne mère et subjecte, Loyse.