FRANÇOIS Ier ET LA RENAISSANCE. 1515-1547

TOME TROISIÈME

CHAPITRE IV. — CONSÉQUENCES DU TRAITÉ DE MADRID. - CONFÉDÉRATION ITALIENNE. - VENGEANCE DE CHARLES-QUINT.

 

 

Projet de la duchesse d'Alençon. — Ses négociations à Paris. — Ses conseils. — Sommation d'exécuter le traité. — Conférences de Rayonne et de Cognac. — Réponse du roi. — États de Bourgogne. — Le parlement. — Diplomatie auprès du roi d'Angleterre et des États d'Italie. — Ligue contre Charles-Quint. — Actes et délibération pour ne point exécuter le traité. — Ressentiment de Charles-Quint. — Ordre de se venger en Italie. — Le connétable de Bourbon à Milan. — Marche sur Rome. — Sauvagerie des Luthériens. — Mort du connétable — Saccagement de la ville sainte. — Captivité du pape.

AVRIL 1526 À MARS 1527.

 

Lorsque François Ier sortait de sa triste captivité, la duchesse d'Alençon, cette sœur si aimante et si dévouée, mettait à exécution le projet qu'elle avait conçu durant ses longues heures passées avec le roi à Madrid : n'était-ce pas Marguerite qui avait inspiré à son frère la noble pensée d'une abdication au profit du Dauphin, afin de rendre impuissante la persécution de l’empereur ? et lorsque le traité de Madrid fut signé, elle voulut réaliser, de concert avec la duchesse d'Angoulême, un plan de résistance admirablement propre à rendre inutiles les conditions onéreuses du traité de Madrid. Tel était Je jeu des institutions en France, l'action politique des coutumes, qu'à côté de la volonté absolue du roi, il y avait encore des moyens de résistance qui rendaient inexécutables les stipulations consenties par la couronne. Ainsi, une province ne pouvait être cédée qu'avec l'assentiment des états, et ces états existaient en Bourgogne comme en Bretagne, en Provence comme en Languedoc. Si donc les trois ordres de Bourgogne ne voulaient pas reconnaître l'empereur pour suzerain, la clause souscrite à Madrid par le roi ne serait pas exécutée, et c'était un moyen de ne pas tenir les impitoyables engagements de la captivité.

Indépendamment de cette première résistance, le système parlementaire élevait alors la prétention de sanctionner ou de rejeter les actes de la royauté sur les subsides, ou l'inaliénabilité des domaines de la couronne. Les rois, simples usufruitiers, ne pouvaient céder ni territoires ni fiefs qu'avec l'assentiment des états ou, en leur absence, qu'avec le consentement parlementaire. Au moyen de ces principes, l'habile duchesse d'Alençon rendait inutiles les stipulations imposées par Charles-Quint au roi de France captif. Quant à la question morale du serment, les légistes, invoquant les préceptes du jus naturale, affirmaient qu'il n'y avoit pas de contrat là où il n'y avoit pas de liberté, et qu'en conséquence le roi de France étoit absous de tous reproches, en ne tenant pas les clauses du traité de Madrid. François Ier était-il absolument étranger à ces démarches ? elles précédèrent du moins son arrivée à Bayonne, où il était accouru si fringant, si joyeux[1], craintif encore d'avoir à ses trousses quelques arquebusiers espagnols, archers de la garde de Charles, Quint, espérant toujours, pour sauver son honneur et la sûreté des enfants de France, qu'une transaction amiable modifierait les clauses si impératives du traité de Madrid ; on croyait par exemple que Charles-Quint, besogneux d'argent pour ses grandes guerres, préférerait à la Bourgogne un ou deux millions d'écus, et qu'ainsi, sans manquer à la foi jurée, on obtiendrait de meilleures conditions pour la France.

Quand ces négociations se poursuivaient à Paris, Charles-Quint, fort inquiet de la tournure qu'elles pouvaient prendre, avait chargé les marquis de Lannoy et de Montcade, principaux négociateurs du traité, d'en demander enfin la ratification spontanée. Ils ne purent joindre le roi qu'à Cognac, où la cour était venue pour se distraire et attendre les événements. Les deux envoyés supplièrent François Ier de ratifier le traité de Madrid par un acte libre et scellé dans son royaume. Sans s'y refuser d'une manière absolue, le-roi fit naître des retards, des difficultés résultant de la sanction indispensable des états de Bourgogne et du parlement de Paris. Au reste, il combla de prévenances le marquis de Lannoy si poli, si chevaleresque avec lui. Le roi ne voulut pas rester en arrière avec un gentilhomme qui lui avait donné tant de preuves de loyauté, et Lannoy fut le héros de toutes les fêtes de Cognac. Mais chaque fois qu'il voulut invoquer le traité, le roi répondit qu'il falloit attendre : n'étant pas maître des états de Bourgogne, il offroit en compensation à Charles-Quint deux millions d'écus pour lui montrer que, fidèle à sa parole, il vouloit exécuter les conventions dans tout ce qui dépendoit de lui. Ces difficultés, ces distinctions un peu subtiles, étonnèrent le marquis de Lannoy, qui se hâta d'en faire part à son maître. Dès ce moment des ordres sévères furent donnés pour surveiller les enfants de France et les garder avec plus d'attention ; on les avait laissés dans la Biscaye, non loin de la Bidassoa, afin de les rendre à leur noble famille à la première exécution du traité.

Lorsque l'empereur apprit les retards par les dépêches de ses envoyés, il ordonna que les jeunes princes fussent dirigés sur Valladolid, et delà même sur l'Andalousie, espérant que les ennuis et larmes de ces pauvres enfants inspireraient de meilleures résolutions à François Ier et à ses conseils.

Alors venait de s'accomplir dans la petite ville de Cognac une négociation de la plus haute importance. En Italie, l'esprit des gouvernements et des populations s'était considérablement modifié à l'égard de Charles-Quint. A l'origine de l'insurrection nationale contre les Français, l'empereur, chef de l'indépendance de l'Italie, avait trouvé le naturel appui de tous les princes et de tous les peuples. Depuis on s'était aperçu que ce n'était point au profit de l'Italie qu'on avait vaincu à Pavie : la conduite des troupes impériales après la bataille avait assez témoigné les desseins de l'empereur ; elles occupaient despotiquement les villes et les citadelles ; nulle cité n'était libre, nul prince arbitre de sa volonté. Les choses étant ainsi changées, la politique se modifia ; le pape et Venise donnèrent d'abord l'exemple d'un rapprochement avec la couronne de France ; puis dans un commun concert, les Sforza, les Médicis, le duc de Mantoue, tout ce qui avait au cœur la fierté nationale, s'adressèrent à la couronne de France pour former une ligue afin d'assurer la liberté de l'Italie et le salut de la chrétienté, deux idées qui se mêlaient incessamment ; car si, par leurs nombreuses armées de terre, les Turcs menaçaient la Hongrie et l'Allemagne, par leurs flottes, ils pouvaient saccager l'Italie, et déjà plusieurs débarquements avaient eu lieu en Sicile : puisque l'empereur Charles-Quint ne songeait qu'à satisfaire son ambition personnelle, il fallait bien que l'on se liguât sans lui pour sauver la chrétienté.

Dans le dessein d'accomplir ce but, les députés de la ligue s'étaient réunis à Cognac[2]. Les envoyés de Venise et du souverain pontife avaient développé devant le roi les forces dont on pouvait disposer : le pape se mettait ouvertement à la tête de la confédération et lui donnait par conséquent le titre de ligue sainte, de manière à lui attirer toutes les forces de l'Église. Les Vénitiens fournissaient des hommes, des vaisseaux, de l'argent ; les Génois, les Lombards, les habitants de Mantoue et de Naples même, entraient dans la confédération dont le but était national et si profondément chrétien. Et afin de donner un caractère entièrement européen, le pape, alors fort lié avec le roi d'Angleterre, Henri VIII, lui demandait de prendre parti comme protecteur et appui du saint-siège. Aucun prince n'était plus ménagé que Henri VIII ; à peine François V avait-il touché Bayonne, qu'il lui écrivait une lettre des plus reconnaissantes, comme au prince auquel il devait sa liberté : Henri VIII n'était-il pas le lien indispensable de la paix ou de la guerre ? il apportait une force d'argent et d'hommes à toutes les causes pour lesquelles il se prononçait ; et, en cette circonstance, il entrait loyalement dans la ligue contre Charles-Quint. Le cardinal d'York, tant aimé à Rome, espérait posséder le royaume de Naples en échange des lances et des écus d'or d'Angleterre.

Cette ligue de Cognac parut si décisive à François Ier qu'il n'hésita plus à se prononcer contre le traité de Madrid, devenu pour lui une convention oppressive. La duchesse d'Angoulême et madame d'Alençon avaient préparé tous les moyens de résistance pour justifier les refus du roi, et déjà les états de Bourgogne, réunis, avaient unanimement rejeté le traité qui cédait la province au roi des Castilles. On avait agi légalement en vertu des lois fondamentales du royaume ; le roi tenait sa parole autant qu'il le pouvait : était-ce sa faute si les légitimes représentants de la province ne voulaient pas accéder aux stipulations de Madrid, en vertu d'un acte de patriotisme consacré par les us et coutumes de Bourgogne ? Dès son arrivée à Paris, le roi crut nécessaire de consulter une sorte de représentation du pays, sur l'exécution du traité de Madrid ; quelques conseillers voulaient réunir les états généraux comme sous le roi Jean, afin d'opposer une résistance nationale. Mais la convocation des états par bailliages eût amené des troubles, des discussions interminables au moment de recommencer une guerre décisive ; et dans le but d'éviter tout retard, toute difficulté, le conseil se prononça pour une simple résistance parlementaire, grandie par la solennité d'une réunion de princes, de pairs, sorte de notables du royaume ; ce qu'on appelait déjà un lit de justice. Le roi dut y assister avec les cardinaux, archevêques et évêques, les princes, les gentilshommes de sa maison ; au milieu du parlement réuni on voyait les députés des cours de Toulouse, Bordeaux, Rouen, Dijon, Grenoble, Aix. Ce qui révélait encore le caractère particulier de cette solennité, c'est que messieurs les échevins et prévôts de la ville de Paris y assistèrent avec l'importance des gentilshommes eux-mêmes.

Devant cette forme des trois états, le roi eut à s'expliquer sur le traité de Madrid. Il le fit avec un sentiment de haute dignité, en rappelant les malheurs de la guerre ; le but qu'il s'était proposé, ce qu'il avait souffert en captivité et lès motifs surtout qui l'avaient obligé à signer le fatal traité. Maintenant fallait-il l'exécuter : Quant à lui, il offroit d'aller se remettre aux mains de l'empereur, si la cour souveraine jugeoit que cela fût nécessaire pour l'honneur et la dignité du roi de France ; qu'autrement il requéroit aide et secours pour sa rançon ; si l'injustice de l'empereur refusoit cette rançon, le roi demandoit loyalement l'appui de ses sujets pour continuer la guerre. Sur ce discours vivement applaudi, le clergé répondit avec un sentiment tout national, sans s'engager néanmoins sur la question de la sainteté du serment : pour les hommes de Dieu, il était trop grave de déclarer qu'un serment prêté sur la croix pouvait être impunément violé. Les évêques offrirent des subsides à François Ier et quatorze cent mille livres furent mises à sa disposition. Les gentilshommes ne s'expliquant pas non plus sur le semant si sacré pour eux-mêmes, offrirent au roi leurs corps et leurs biens. Quant aux jurisconsultes, ils furent plus explicites, comme plus avancés dans les exceptions et chicanes ; et l'arrêt fut porté dans la forme suivante[3] : Vu par la cour, toutes les chambres assemblées et aussy par les présidents et conseillers des cours des parlements de Thoulouze, de Bordeaux, Rouen, Dijon, Grenoble et Aix en Provence, mandez et ordonnez assister en la dite cour ; les remontrances faittes par le dit sieur, le lundi seizième jour de ce moys, à l'assemblée qui fut faitte en icelle cour, ensemble l'écrit du dit sieur estant en Espagne, donné à Madrid, au royaume de Castille, au moys de novembre mil cinq cent vingt-cinq ; et tout considéré, la cour, du consentement, vouloir et opinion des dits présidents et conseillers des autres cours et parlements, et d'un commun accord, a ordonné et ordonne que response sera faitte au dit sieur sur les dites remontrances, par messire Jean de Selve, premier président en la dite cour, et luy sera dit qu'il n'est aucunement obligé de retourner en Espagne, prisonnier ès-mains de l'eslu empereur, par suite de la foy et serment qu'il bailla lui estant au dit pays d'Espagne, détenu par le dit eslu empereur ; et que le dit serment est nul ; ni aussy d'entretenir ni accomplir le contenu du traitté fait en la dite ville de Madrid, comme fait en prison, par indiction, et extorqué par force du dit sieur par le dit empereur ou ses gens ; et ne doit pareillement bailler la duché de Bourgogne suivant le dit traitté,  et peut le dit sieur justement et sainctement lever, sur ses subjects, sçavoir, en l'Église, la noblesse, les villes franches et le peuple du royaume de France, des dauphins et comte de Provence et autres, ses terres et seigneuries exempts et non exempts, la somme de deux millions d'or, pour icelle employer à la délivrance de messieurs les dauphins de Viennois et duc d'Orléans, ses enfants, hostages pour le dit sieur en Espagne, et pour parvenir à la paix, laquelle somme sera mise en un coffre à part. La somme de douze cent mil escus, à laquelle ne sera touché aucunement, mais sera réservée pour employer à la dite délivrance et délibération de mes dits sieurs les dauphins et duc d'Orléans, et du reste de ladite somme de deux millions d'or, montant à huit cent mil escus, le dit sieur s'en pourra ayder, si bon luy semble, pour l'effet de ses guerres à l'encontre du dit empereur, au cas où il ne voudroit par conditions honnestes venir à la paix et entendre à la délivrance de mes dits sieurs les dauphins et duc d'Orléans ; et que, pour faire le département et assiette de la dite somme de deux millions d'or sur l'Église, la noblesse, etc., le dit sieur pourra, si bon luy semble, commettre cinq ou six prélats dé l'Église et autant de princes et nobles et de ceux des dites cours souveraines, tels qu'il luy plaira ou autrement en ordonner en son plaisir.

Dans cet arrêt, se révèlent et se développent les principes parlementaires dans toute leur netteté ; si le clergé ne pouvait délier le roi d'un serment religieusement prêté, si les gentilshommes ne voulaient s'expliquer en aucune manière qu'en offrant leur vie au roi — car pour eux le serment était une chose sainte et sacrée à la face de Dieu et des hommes —, les parlementaires moins scrupuleux et si enclins aux exceptions et aux chicanes, trouvaient des moyens pour rompre un contrat, et ils le faisaient dans un esprit national, honorable et patriotique. Au reste, la conduite de François Ier fut bien sévèrement jugée en Espagne, le conseil de Castille put le traiter de parjure à sa foi, et Charles-Quint exprima désormais le regret de ne point l'avoir retenu dans une captivité plus longue et plus dure puisque le roi manquait à sa parole de chevalier.

Dans ces temps de force où tout se décidait par des batailles, la violation plus ou moins complète des stipulations de Madrid n'était pas l'objet important de la situation. François Ier suivait surtout les développements de la ligue d'Italie. Pour montrer tout Bon désintéressement dans cette ligue, le roi renonçait aux prétentions de sa race et reconnaissait les Sforza comme ducs légitimes de Milan, moyennant une indemnité pécuniaire. Désormais son but en Italie était d'aider la confédération en véritable auxiliaire, cédant même le titre de protecteur à Henri VIII[4], afin de le lier plus intimement à ses intérêts ; il négociait auprès des Suisses pour les jeter une fois encore dans le parti du pape, et tout cela, afin d'enlever l'Italie à Charles-Quint. Pour lui c'était beaucoup de se placer à côté du pape et de Henri VIII, des Vénitiens, des Génois et des Lombards contre son implacable adversaire.

Après la bataille de Pavie, l'armée victorieuse de Charles-Quint avait usé de son succès avec violence ; le Milanais envahi fut soumis à un régime de conquête et de domination absolue ; le vice-roi de Naples, marquis de Lannoy, ayant suivi François Ier en Espagne pour veiller à sa captivité, et le marquis de Peschiere ne survivant pas à la victoire, tout pouvoir était tombé aux mains du connétable de Bourbon, un peu négligé pendant que l'empereur traitait avec François Ier, et depuis maître de toute faveur. Comme il s'agissait d'une nouvelle guerre contre le roi, le connétable s'était trouvé l'homme nécessaire ; et profondément haineux, on pouvait se fier à lui pour le développement d'une ferme campagne. La renommée du connétable était grandie ; c'était à ses manœuvres habiles, à ses conceptions militaires qu'on devait le succès de la bataille de Pavie ; ardemment aimé des soudards, il exerçait sur les reîtres et les lansquenets un ascendant immense ; on le savait pauvre, proscrit, sans patrimoine, railleur et mécréant, et cela plaisait aux aventureux ; il aimait à dire : je n'ai ni sou ni maille comme vous, ensemble nous faut mourir ou faire notre fortune, et alors en avant. Et ses saillies, ses jeux de mots étaient répétés avec des gros rires et des accents de gaîté indicible ; le connétable était sans foi ni loi, mais nul ne lui refusait de courir à l'aventure devant les balles d'arquebusades et les boulets des coulevrines avec une intrépidité qui bravait la mort.

Les troupes du connétable se composaient principalement alors de luthériens, reîtres d'Allemagne que les rescrits de la diète avaient proscrits ; bannis, au cœur bouillant, la colère à l'âme, ils voulaient se venger sur les églises et les populations catholiques de ce qu'ils avaient souffert en Allemagne. Tous marchaient (ils le disaient haut) avec ridée d'étrangler le pape, de fouetter au sang les cardinaux et de piller les basiliques ; et ces vengeances, ils les mettaient à exécution dans le Milanais même : nul sanctuaire n'avait échappé à ces pillages. Les mécréants dispersaient les hosties, fondaient les statues ciselées d'argent à la manière des Barbares, sans respect pour les arts ; ils arrachaient l'or partout où il se trouvait ; ils auraient fondu les chefs-d'œuvre de Phidias, de Praxitèle ; s'ils avaient été d'or ou d'argent, ou même de cuivre. Tel était l'esprit abrutissant du luthéranisme : ces soudards venaient de chasser du palais de Milan Sforza lui-même, vieux soldat naguère protégé par l'empereur, et ils mettaient à contribution cette ville à peine sauvée de la peste ; Guichardin nous a fait le plus lamentable récit de ces violences. Témoin oculaire, l'historien pousse des gémissements sur les malheurs de sa patrie, et la fatalité de sa destinée[5].

En effet, partout la guerre civile se mêlait à la guerre étrangère : à Rome, l'antique famille des Colone prenait parti contre Clément VII ; le patriciat s'élevait contre la papauté, les cardinaux se livraient des luttes, des combats dans la voie Appienne ; et le Campo Vaccino était agité comme au temps des comices et des tribuns. La ligue elle-même n'était point unie ; ce qui perdit l'Italie ce furent toujours ses divisions ; elle était forte, puissante, cette terre, et ses robustes enfants avaient encore au cœur de nobles choses ; mais qui pouvait unir tant d'intérêts, tant de passions, tant de familles rivales ; les Sforza, les Médicis, les Colone, les Orsini. Les souvenirs des Guelphes et des Gibelins se réveillaient dans toute leur puissance.

Indépendamment de ce caractère de morcellement et de guerre civile bouillonnant au sein de la ligue italienne, il s'y mêlait des intérêts étrangers et des passions rivales. Les Vénitiens orgueilleux et si vains d'eux-mêmes s'étaient presque toujours placés en dehors de l'esprit italien ; la sérénissime république avec ses colonies, son sénat, ses richesses, sa force commerciale se croyait plus encore souveraine qu'égale et alliée. A l'abri de ses lagunes, elle se déterminait par des motifs particuliers, et jamais peut-être on n'avait vu les Vénitiens persister dans une unité de vue par rapport aux alliances et aux guerres purement italiennes.

Les Suisses qui avaient pris part à la ligue n'étaient que des auxiliaires d'argent ; s'ils avaient quelque prédilection pour les papes et la France, elles cédaient toujours devant des considérations intéressées, payement d'écus d'or, territoire cédé du côté des Grisons : les cantons porteraient-ils dans cette lutte un esprit de dévouement que jamais ils n'avaient manifesté ? Tant que la ligue italienne serait riche et victorieuse, elle pouvait compter sur les Suisses, sinon elle devait y renoncer. Le roi Henri VIII s'était engagé, il est vrai, à fournir des hommes et des subsides ; mais était-il rien de plus capricieux que ce prince ; sans motifs, au premier obstacle à ses passions ou à ses intérêts égoïstes, il pourrait se séparer de la ligue. François Ier seul était trop intéressé dans la lutte pour ne point seconder la ligue de tous ses efforts ; c'était sa cause personnelle contre l'empereur ; il se jetterait donc corps et âme dans une campagne d'Italie où il aimait à briser lance contre lance ; s'il n'avait pas été heureux, il le serait dans l'avenir. Puis, il brûlait du désir de se venger du connétable de Bourbon, son vainqueur à Pavie, et, devant ce combat à outrance, François Ier ne reculait jamais.

Parmi les princes, purement italiens, brillaient surtout les Médicis, et le chef de la race, le pape Clément VI. L'influence de cette lignée sur l'Italie était immense, et déjà la politique de la France, vaincue aux batailles, voulait se réveiller par les mariages ; les Médicis vont devenir les fiancées de la royale famille des Valois, et les Sforza eux-mêmes ont des promesses d'épousailles : qu'importe l'origine populaire du commerce ou de condottieri ? il faut garder l'Italie. Les Médicis règnent sur l'État romain par la papauté, et gouvernent Florence ; Ferrare, Bologne, Modène, entrent dans la ligue sous François Ier ; mais quelles forces apportent ces petites républiques municipales ? rivalité partout, non-seulement entre provinces, mais encore entre les cités elles-mêmes : Pise est l'ennemie de Florence, Florence de Bologne ; à Rome même les sept collines voient pour ainsi dire sept opinions, sept familles se diviser comme au temps des patriciens et des tribuns. Il n'y a plus d'unité nationale, plus de force, plus de principe ; et cette ligue divisée prétend disputer la victoire à Charles-Quint, la véritable expression de l'unité royale. Alors on s'explique facilement les rapides exploits du connétable de Bourbon.

C'était le chef naturel de ces bandes de reîtres et de lansquenets qui pullulaient en Allemagne, et dont on voit encore les images incrustées sur les bas-reliefs des tombeaux de Louis XII à Saint-Denis, et de Maximilien, à Insprück, bacinet en tête, cuirasse sur la poitrine, culotte fraisée, lance au poings mousquet sur l'épaule ; farouches bandes toutes luthériennes que Frundsberg et le comte de Nassau conduisaient au connétable de Bourbon. Frundsberg[6], le luthérien acharné, chassé de l'Empire, tout rouge, tout aviné, aussi furieux que Luther contre Rome ; le prince d'Orange[7], railleur de toute croyance, qui ne songeait qu'à se venger du pape ; ce pape, que Luther avait dénoncé dans ses écrits, dans ses prédications, le petit pape, le maudit pape qui crachoit des diables dans l'impie Babylone ; tous accouraient autour du connétable et sur sa réputation de mécréant. Bourbon avait un attrait pour ces aventuriers sans passé, sans avenir, gens de sac et de corde : qui sait l'élément nouveau de fortune qui sortirait pour eux d'une course d'Italie, pays si merveilleux ? Il en surgirait peut-être des rois de Naples, des ducs de Milan, des seigneurs suzerains de cité ! Dans les guerres civiles, il y a toujours place pour celui qui est fort et hardi ; les caractères d'énergie aiment les temps d'orage autant que les cœurs mous en ont peur. L'amour que ces luthériens portaient au connétable passait toute expression ; banni, proscrit, sans sou ni maille ; chef tout trouvé, ils le saluaient parce qu'il était fait à leur image. Où allaient-ils marcher ? où les conduirait-il, le digne chef ? sur Florence d'abord, si pleine de richesses, d'orfèvrerie, sur Ferrare, et Bologne la grasse ; le connétable avait trop d'instinct des haines luthériennes pour ne pas indiquer Rome de la pointe de son épée ; Rome la prostituée des sermons de Luther. Le choral des hérétiques le disait : On y feroit danser la sarabande au pape et aux cardinaux.

La ville antique et sainte elle-même était déjà en guerre civile. Au milieu de ces familles patriciennes qui se croyaient appelées à gouverner le monde romain, comme leurs ancêtres, les Colone se distinguaient par la longue suite de leurs images dont ils étalaient orgueilleusement la chaîne d'or jusqu'aux temps de Remus et Romulus. Aussi, portaient-ils les prénoms les plus illustres d'As’ cagne, Pompée, Énée, et jusqu'à ce Prosper (Prosperus), nom d'une divinité antique. Habitués à gouverner à Rome, les Colone voulaient conserver dans leur race la papauté, et comme ils se considéraient beaucoup plus haut que les Florentins Médicis, ils refusaient obéissance au nouveau pape. Cette haine qu'ils avaient commencé à vouer à Léon X, ils la reportaient à Clément VII, pontife doux et plein de mansuétude. Les Colone s'étaient donc prononcés pour l'empereur Charles-Quint, et Prosper avait commandé ses armées ; à peine l'élection pontificale était-elle accomplie, que Colone prit les armes, agita la révolte, rapide comme la foudre, et Clément VII fut forcé de se réfugier dans le château Saint-Ange, l'œuvre d'Adrien, la citadelle du Vatican que protège le saint Michel, l'épée au poing, sur le sommet de l'édifice !

Au milieu de ce conflit entre les Colone et le pape, Charles-Quint s'empressa d'intervenir comme protecteur de l'Italie. Le marquis de Montcade, envoyé impérial auprès de Clément VII, offrit la liberté au pontife si désormais il abandonnait la ligue avec la France[8]. Cette intervention de Charles-Quint créait sa suprématie sur Rome, et c'est ce que le pape comprit aussitôt ; d'après les insinuations de la France, il continua à prendre parti pour la ligue. Alors l'empereur ordonna au connétable d'aider le mouvement de l'armée luthérienne ; les soudards allemands ne resteraient point tranquilles tant qu'il y aurait des églises sur pied ! Cette troupe de bandits, le connétable de Bourbon avec Frundsberg et le prince d'Orange en tête, s'avança donc vers le territoire florentin ; et sans respecter les États neutres, les mécréants pénétrèrent jusqu'au territoire de Rome. Dans cette marche désordonnée, l'hérétique Frundsberg, la panse rebondie comme la grande tonne de Nuremberg, fut frappé subitement d'une foudroyante apoplexie ; il mourut ivre, en cuvant son vin ; et son âme s'en fut tout droit en enfer, où les diables étancheront sa soif avec du feu, comme on voit les damnés aux fresques de Giotto sur les murailles du Campo Santo de Pise. Le prince d'Orange, bouillant de colère, prit le commandement des bandes luthériennes qui s'avancèrent hardiment dans la mélancolique campagne de Rome.

Lorsque de la place d'Espagne on s'élève jusqu'à la villa Médicis, par la Trinité du Mont, on peut reconnaître au delà des pampres jaunis quelques vestiges de murailles, débris du moyen âge de Rome, entre la porta Pinciana et la porta Salara ; débris qui apparaissent également à Avignon, lorsque descendant le Rhône, on voit de loin la ville crénelée comme une Cybèle antique. Ces murailles entouraient Rome, et si elles avaient suffi pouf repousser les arbalètes, les arcs, les balistes, tiendraient-elles jamais devant le canon, et les arquebusiers habitués aux grands feux des batteries ? Il n'y avait que le château Saint-Ange, aux murailles romaines, qui pût faire une longue résistance. Rome donc n'était défendue que parle pieux respect qu'elle inspirait comme un symbole de la ville sainte. Mais aux yeux des luthériens, elle n'était plus qu'un lieu de prostitution, que Seckinghen ou Albert de Saxe aurait saccagé avec une joie indicible ! L'aspect de la ville éternelle laissait une impression de grandeur pour le catholique fervent et pour toutes les âmes que remuent les idées d'une puissance morte. Au cœur de ces soldats, il n'y avait d'antres émotions que celle du pillage et de la dévastation, et à la vue de Rome, ils n'éprouvèrent d'autre sentiment que celui de la vengeance, d'autre cri qu'un enthousiasme sauvage ![9]

Le connétable parcourut l'enceinte comme l'Achille grec les murailles de Troie ; et tant ses lansquenets étaient animée, que le lendemain presque sans canons, sans échelles, ils sonnèrent l'assaut, espérant surtout l'appui du parti Colone à l'intérieur. Rien de comparable à la vigueur martiale du connétable ; on l'avait vu à Marignano et à Pavie, où il avait soutenu sa haute renommée à la tête des reîtres et des lansquenets ; sa taille paraissait gigantesque avec son casque surmonté de plumes ; son armure noire lui imprimait le caractère fantastique d'un héros des ballades allemandes. Bourbon marchait toujours en avant et parvenu au milieu des nuages de poussière, un coup à arquebuse le touche à la poitrine et il tombe roide mort[10]. Qui a porté ce coup venu des environs de la villa Médicis ; est-ce un fauconneau ou une arquebuse dirigée par quelque fier et vieux soudard des montagnes ? non, c'est la main d'un artiste, au moins le raconte-t-il lui-même dans ses Mémoires ; c'est Benvenuto Cellini, l'orfèvre, le merveilleux ouvrier dont on paye quelque mille louis les coupes ciselées ; peintre, poète écrivain, il a décrit lui-même ce commencement du siège de Rome[11]. Toute la ville avoit pris les armes. Nous nous rendîmes au Campo Santo, et de là nous vîmes l'armée du connétable qui faisait ses efforts pour pénétrer dans la ville de ce côté-là. Il avait déjà perdu plusieurs de ses gens, et le combat y était terrible. Je me tournai alors vers Alexandre (c'était le nom de Delbène), et je lui dis : Allons-nous-en, car il n'y a pas de remède, vous voyez que les uns montent d'un côté et que ceux-ci fuient de l'autre. Alexandre effrayé me répondit : Plût à Dieu que nous ne fussions pas venus ici. — Cependant, repris-je, puisque vous m'y avez amené, je veux faire un coup de ma façon. Je tournai alors mon arquebuse vers l'endroit où le combat était le plus animé, et je visai un homme qui était plus élevé que les autres. J'ignore s'il était à pied ou à cheval, à cause de la fumée qui m'empêchait de distinguer les objets bien nettement. Je dis ensuite à Alexandre et aux deux autres d'apprêter leurs armes ; et je les postai de manière qu'on ne pouvait les atteindre du dehors, Après que nous eûmes fait notre feu je me haussai sur la muraille, et je vis parmi les ennemis un tumulte extraordinaire ; c’est que le connétable était tombé sous nos coups, comme nous l'apprîmes dans la suite.

Peut-être Benvenuto Cellini un peu fanfaron et vaniteux, comme tous les artistes, a-t-il brodé ses gestes de gloire et ciselé les services qu'il rendait à Rome. Si le connétable de Bourbon tomba par la main d'un artiste, une sorte de providence dirigea la main de celui qui façonnant les reliquaires, les patènes, les paix si précieuses, brisa le crâne du chef de ces luthériens qui les ravageaient. L'artiste protesta ainsi d'une manière sanglante contre cette réforme qui détruisait les arts ; il tira son coup d'arquebusade contre ces luthériens qui fondaient les admirables statues, à la manière des barbares. Oh ! qu'ils furent affreux leurs ravages au milieu de Rome ! Rien ne peut se comparer à cette dévastation des églises, des sanctuaires, telle que Luther l'avait prêchée. Rome avait subi de longs sièges ; quatre fois prise par les Vandales, les Goths et les Lombards ; jamais un tel désastre n'avait affligé la ville éternelle. Il faut moins en accuser la mémoire du connétable de Bourbon, frappé d'arquebusade sur le rempart, que les commandements du prince d'Orange[12] et le fanatisme de ces soudards luthériens avinés. Si les statues furent brisées, si les chefs-d'œuvre de l'antiquité tombèrent sous la hache, si les palais livrés aux flammes n'offrirent plus que des monceaux de cendres, il faut s'en prendre aux enfants de Luther, ravageurs de tout ce que les arts ont produit, de tout ce que la pensée religieuse avait enfanté de grand et de merveilleux. On se moqua des mystères de l'Église, des dignités du sacerdoce, et dans des processions cyniques, les misérables s'affublèrent des robes de pourpre du cardinalat ; portant les saints ciboires, les hosties consacrées, ils parcoururent processionnellement le Colisée, la voie des Martyrs jusqu'aux portes des catacombes ; les prêtres furent souffletés, le pontife captif au château Saint-Ange ; et Rome fut désormais la veuve inconsolable.

Pendant trois mois ce désastre se continua ; quinze millions d'écus furent demandés aux habitants à titre de rançon, et ces chefs avides imposaient arbitrairement les cardinaux, les évêques ; tous payaient : les uns, pour racheter leur vie ; les autres, leurs dents, leurs pieds qu'on voulait leur arracher. Les reîtres d'Allemagne faisaient-ils autre chose que d'exécuter les préceptes de Luther, et le fougueux réformateur n'avait-il pas écrit que Rome devait être détruite ? or, pour être logique, il fallait la brûler ; n'avait-il pas dit que le pape était l'Antéchrist et l'Église des cardinaux une prostituée ; n'était-il pas naturel d'infliger la mort à l'Antéchrist et aux prostituées ? Ces hommes grossiers mettaient donc en pratique les préceptes de la réforme, et comme ils ne distinguaient pas la pensée de l'acte, en ravageant la ville éternelle, ils croyaient faire acte de sainteté.

 

 

 



[1] François Ier, dès son arrivée à Bayonne, manifesta son autorité royale par la nomination à plusieurs dignités laissées vacantes depuis la bataille de Pavie, où périrent ceux qui en étaient revêtus. Celle de grand maître, remplie par le bâtard de Savoye fut donnée au maréchal de Montmorency, qui obtint aussi le gouvernement de Languedoc ; Chabot de Brion succéda à Bonnivet dans la dignité d'amiral et à la Trémoille dans le gouvernement de Bourgogne ; Théodore Trivulce fut fait maréchal à la place de Chabannes, dont la compagnie de cent hommes d’armes fut partagée entre Lameilleraye et Montpezat ; Fleuranges obtint aussi un bâton de maréchal et remplaça Odet de Foix ; Pomperan, écuyer du duc de Bourbon à qui le roi avoit accordé sa grâce eut la compagnie de cinquante hommes d'armes de Saint-Mesme ; une partie de celle du duc d'Alençon fut donnée à la Roche Du Maine et celle de la Trémoille partagée entre son petit-fils et Jean d'Estampes. Le gouvernement de Dauphiné, vacant par la mort de Bonnivet, fut accordé au comte de Saint-Pol, et Louis de Brezé, sénéchal de Normandie, fut désigné pour commander dans cette province. (Martin du Bellay, liv. III.)

[2] Le traité signé à Cognac le 22 mai 1526, portait que les confédérés lèveraient à frais communs une année de 30.000 hommes de pied, de 2.500 hommes d'armes et de 3.000 de cavalerie légère, avec une artillerie proportionnée ; que l'on armerait une flotte dont le roi fournirait douze galères, les Vénitiens treize, et le pape celles qu'il avait sous les ordres d'André Doria ; qu'on se servirait de ces forces contre Gènes, et ensuite contre Naples ; que Sforce épouserait une princesse du sang de France ; que le comté d'Asti serait rendu au roi ; que dès qu'on aurait pris Gènes ce prince rentrerait en possession de la souveraineté de cette ville ; que tous les confédérés demanderaient conjointement à l’empereur la liberté des enfants de France, et qu'ils ne poseraient point les armes que le roi ne fût satisfait sur cet article. Le roi d'Angleterre était déclaré protecteur de cette ligue ; et s'il accédait au traité, il devait avoir une principauté de 85.000 ducats dans le royaume de Naples, et le cardinal d'York une de 10.000 ducats. (Recueil des traités, t. II, p. 424.)

[3] Décembre 1527. — Regist. du parlement.

[4] Il y eut deux traités avec Henri VIII, le premier conclu à Hamptoncourt, le 8 août 1526, portait : qu'aucun des confédérés ne préteroit de secours contre l'autre à Charles V, et que le roi d'Angleterre tiendroit la main à ce que l'empereur rendit la liberté aux fils de François Ier. Le second signé à Westminster, le 27 mai 1527 stipulait : Alliance entre le roi de France et le roi d'Angleterre, et promesse des deux princes alliés d'entretenir en Italie une armée de 50.000 hommes de pied et de 4.000 hommes d'armes pour obliger Charles-Quint à faire la paix. (Rec. des traités, t. II, p. 428 et 436. )

[5] Guicciard, lib. XVI et XVII.

[6] Georges Frundsberg était né à Mundelheim, près de Memmigen dans la Souabe ; Brantôme rapporte qu'il avait fait faire une belle chaîne d’or exprès, disait-il, pour pendre et étrangler le pape de sa propre main, parce qu'à tous seigneurs, tous honneurs, et puisqu'il se disoit le premier de la chrétienté, il lui falloit bien déférer un peu plus qu'aux autres. (Brantôme, Capitaines étrangers.)

[7] Philibert de Challon, prince d'Orange, né en 1502, au château de Nozeroy, petite ville du comté de Bourgogne, perdit son père trois semaines après sa naissance, et fut élevé par sa mère, Philiberte de Luxembourg ; François Ier, ayant voulu réunir la principauté d'Orange à la couronne, ce jeune prince, après de vives réclamations, alla offrir ses services à l'empereur qui l'accueillit avec empressement et lui donna le comté de Saint-Pol avec d'autres terres considérables.

[8] Il y eut néanmoins une trêve de quatre mois stipulée entre le pape et le marquis de Montcade au nom de l'empereur, à laquelle les Colone accédèrent : elle portait que l'État de l'Église, le royaume de Naples, le duché de Milan, les Florentins, Gènes, les Siennois, le duc de Ferrare et tous les sujets de l'Église seraient compris dans la trêve ; que le pape ferait incessamment passer en deçà du Pô les troupes qu'il avait aux environs du duché de Milan, et rappellerait André Doria et ses galères. (Guicciard, lib. XVII).

[9]La prinse et assault de Romme avec la mort de messire Charles de Bourbon. — Bibl. du Roi, Rec. de pièces, in-8°, cot. L, 1331-1, pièce 3.

[10] Le duc de Bourbon expira le 5 mai 1527, âgé de trente-huit ans. Son corps fut transporté à Gaëte, et l'on peut voir aujourd'hui encore le tombeau qu'on lui éleva dans le château, avec cette inscription un peu vaniteuse : Aucto Imperio, Gallo vieto, superata Italia, Pontifice obsesso, Roma capta, Carolus Borbonius hic jacet.

[11] A l'aspect de ce désordre, j'appelai à mon aide quelques hommes, prenant ensuite une mèche à la main, je tournai la bouche de quelques pièces où il le fallait, et je mis à bas plusieurs soldats ennemis ; sans cela, une partie de ceux qui étaient entrés dans la ville au matin, se dirigeait vers le château, et il était possible qu'elle y eût pénétré. J'y faisais un feu continuel ; ce qui m'attirait les bénédictions de plusieurs cardinaux et seigneurs qui me regardaient. Enfin ce jour-là je sauvai le château et je vins à bout, par mon exemple, de remettre à l'ouvrage les bombardiers qui s'en éloignaient, cet exercice m'occupa tout le jour. Le pape ayant nommé le seigneur Santo Croce, chef de son artillerie, il entra dans le fort sur le soir, au moment où l'armée entrait dans Rome, par le quartier des Transtevérins. La première opération qu'il fit fut de venir à moi, de me faire beaucoup de caresses, et de me donner cinq bonnes pièces d'artillerie, qui furent placées sur le lieu le plus élevé qu'on appelait l'Ange. C'est une plate-forme qui fait le tour du château, d’où l’on voit Rome et les prés de revers. J'eus plusieurs bombardiers sous mes ordres. Il m'assigna une paye et des vivres, et me recommanda de continuer comme j'avais commencé. Je fis jouer mes pièces de canon sans relâche pendant un mois entier que nous fûmes assiégés, et il m'arriva des choses dignes d'être racontées, etc. (Vita di Benvenuto Cellini.)

[12] Le prince d'Orange, après la mort du duc de Bourbon, prit le commandement de l'armée ; il fut blessé lui-même d'un coup d’arquebuse à l'attaque du château Saint-Ange.