FRANÇOIS Ier ET LA RENAISSANCE. 1515-1547

TOME TROISIÈME

CHAPITRE II. — LA CAPTIVITÉ DU ROI JUSQU'AU TRAITÉ DE MADRID.

 

 

Délibérations du conseil de Castille sur la rançon du roi de France. — Première note de François Ier. — Envoi des négociateurs à Madrid. — Ennui et tristesse du roi. — Sa maladie. — Arrivée de Marguerite de Navarre à Madrid. — La convalescence. — Correspondance secrète. — Négociations. — Départ de Marguerite. — Acte d'abdication de François Ier.— Enregistré au parlement.— Motifs qui hâtent le traité. — Discussion des articles. — Signature précipitée. — Méfiance de François Ier dans les derniers temps à Madrid. — Rechute de sa maladie. — Résolution de départ. — Dernière entrevue entre Charles-Quint et François Ier. — Actes secrets au parlement. — Échange des otages. — François Ier est libre.

AOÛT 1525 — AVRIL 1526.

 

Habitué aux heureux caprices de la fortune, l'empereur Charles-Quint n'espérait pas, cependant, un résultat aussi complet que l'immense capture du roi de France ; son plus puissant comme son plus hardi adversaire était en ses mains, et certes il faut une magnanimité et une grandeur d'âme peu communes pour ne pas se laisser entraîner vers une politique de victoire, quand l'ennemi est abattu. Charles-Quint vit donc ses efforts couronnés, et dès qu'il eut la confirmation de cette nouvelle, par la dépêche du roi de Naples, il réunit le conseil de Castille pour mettre en délibération le sort du prisonnier et le traité qu'on pourrait raisonnablement lui imposer. Cette délibération précieusement conservée, demeure encore aux archives espagnoles : plusieurs avis s'étaient élevés ; la majorité d'abord conduite par l'évêque d'Osma, confesseur de Charles-Quint, se prononça pour un système modéré, qui donnerait la liberté au roi dans les conditions d'une amitié loyale sans rien imposer qu'une rançon ; l'évêque invoquant les lois générales de la conscience, montrait à l'empereur tous les bienfaits qu'un tel système pouvait lui attirer. Mais du sein de la grandesse, s'éleva bientôt la dure voix du duc d'Albe, don Frédéric de Tolède, exprimant ici une inflexible opinion de soldat : Selon lui, on ne fondoit pas les royaumes avec des pensées religieuses et des questions chevaleresques, vertu bonne pour un simple gentilhomme, mauvaise pour un roi ; quand on vouloit faire durer une monarchie, il falloit l'appuyer sur des bases solides. Et cette opinion fermement soutenue, domina bientôt le conseil tout entier, et le duc d'Elbe put déclamer à l'aise contre l'esprit de la nation française, inconstante, légère et sans foi[1].

Quand on est le plus fort, les prétextes ne manquent pas, et l'histoire du passé est même une puissance qu'on invoque pour trouver des titres aux prétentions les plus extraordinaires. La monarchie française ne s'était-elle pas développée par la conquête, et par des réunions successives d'États acquis sur ses voisins ? En vertu des prétentions d'héritage ou du souvenir de possession, on pouvait demander contre cette monarchie, la rétrocession de plusieurs provinces, et le conseil de Castille n'y manqua pas. Charles-Quint héritier de la maison de Bourgogne, pouvait réclamer les droits de cette jeune Marie, l'héritière du duc, presque violemment dépouillée par Louis XI. Ce que la force ou la ruse avait arraché à l'aïeule de Charles-Quint, les malheurs de la guerre devaient l'enlever également à François Ier captif, c'était justice ; par le même motif on pouvait lui demander la renonciation à toute suzeraineté sur la Flandre. Les droits de François T'sur l'Italie n'étant pas mieux fondés, le conseil de Castille exigeait une renonciation formelle à toutes les prétentions sur Milan, Gênes, Naples. Le duc de Bourbon avait vu par un jugement inique, ses biens confisqués, son patrimoine réduit ; or, pour le mettre à l'abri contre les caprices d'une suzeraineté arbitraire, on devait créer à son profit une couronne indépendante désormais sans hommage, et son patrimoine serait agrandi du Dauphiné et de la Provence. Autrefois n'y avait-il pas eu des rois de Provence, féodaux de l'Empire ? Enfin comme rançon et pour compenser les frais de la guerre, la France paierait toutes les dettes contractées par Charles-Quint envers Henri d'Angleterre. Ainsi fut arrêtée la délibération du conseil de Castille. L'évêque en vain fit entendre quelques sentiments généreux, des paroles de douceur et de mansuétude, l'Espagne voulut profiter de la victoire dans toutes ses conséquences. Comme l'empereur craignait de se laisser influencer par l'action personnelle du roi de France, il soutint que tout devait s'accomplir par intermédiaire, parce qu'il n'était pas de la dignité des deux souverains de se voir autrement que pour se donner des marques de loyauté et d'amitié chevaleresque, c'est-à-dire après que les intérêt, auraient été arrangés. Ces conditions tristes et inflexibles excitèrent dans l'âme de François Ier le plus fatal chagrin ; il vit bien que trompé, entraîné par le marquis de Lannoy, il n'avait rien à espérer de la générosité de son adversaire. Le roi en écrivit à sa mère la duchesse d'Angoulême ; et comme Charles-Quint s'obstinait à ne point traiter en personne, le roi invita le parlement à désigner lui-même des négociateurs qui examineraient les clauses inflexibles qu'on imposait à son malheur. Ces députés immédiatement nommés furent Jean de Selve[2], premier président du parlement de Paris, l'évêque de Tarbes, Gabriel de Gramont[3], et l'archevêque d'Embrun, François de Tournon[4] ; tous trois hommes calmes, modérés et capables d'exercer une certaine influence sur l'esprit espagnol.

Ces négociateurs arrivèrent à Madrid au moment où le roi captif, profondément attristé, éprouvait les premières atteintes d'une cruelle maladie. Vivant presque isolé à Madrid avec les deux dignes chevaliers Chabot, comte de Brion ; et le maréchal de Montmorency, il éprouvait le mal du pays, loin des siens, de sa famille et de sa patrie. Ensuite, tout à fait déçu dans ses espérances, l'amertume dévorait son cœur ; Charles-Quint n'était qu'à douze lieues de Madrid, aux états de Tolède, et il ne daignait pas venir visiter un roi malheureux, qui accourait lui presser la main de chevalier à chevalier. Déjà dans sa captivité du château de Pizzighitone ou à Valence, entouré des souvenirs de la domination mauresque, François Ier s'était livré à son goût pour la poésie ; nourri de la lecture des romans, des grands poèmes du moyen âge et des chroniques, le roi trouvait une certaine consolation à se rappeler les souvenirs de la grande époque, il redisait ses malheurs en vers et en prose ; plusieurs des poésies qui nous restent ont été écrites pendant la captivité ; il s'y révèle du chagrin, de l'amertume, et comme c'était l'esprit du temps, le poète s'entretient des champs I de la campagne, des pastourels, des bergerettes, et de l'amour qui dominait tout dans l'existence d'un gentilhomme.

Cependant, à cette lutte morale contre sa mauvaise fortune, les forces du roi s'étaient épuisées ; au commencement de l'hiver il tomba sérieusement malade, sans autre cause première et révélée que la douleur intime et le chagrin qui creusent de longs sillons et des rides profondes. Cette nouvelle bientôt se répandit y elle vint jusqu'à la cour d'Amboise, et aussitôt la duchesse d'Alençon, cette sœur tendrement aimée, se décida à faire le voyage de Madrid. Nulle compagne n'avait l'âme plus douce, et cette faculté rieuse de guérir une plaie plus morale que physique. Jeune et spirituelle princesse, sa présence à Madrid opéra une révolution dans l'esprit du roi, et presque dans l'âme de Charles-Quint, qui l'accueillit avec les plus grands honneurs. Le soir, dans les ennuis de la solitude, Marguerite récitait des vers, en composait à l'honneur de la France ; éprise des poésies et des romans du moyen âge, elle aimait à rappeler au roi les histoires de la patrie ; et ce frère aimé l'écoutait, folâtrait avec elle d'une manière si gracieuse, qu'on eut tout espoir de guérison. A ce moment on apprit que Charles-Quint, qui avait refusé jusque alors de visiter François Ier, accourait de Tolède ; les paroles persuasives de Marguerite avaient, disait-on, opéré ce merveilleux changement. D'autres motifs plus graves déterminaient cette démarche.

Qu'aurait dit l'Europe, si le roi de France était mort à Madrid sans que l'empereur daignât le visiter ? Le pape, Henri VIII, toutes les têtes couronnées se seraient indignées de ce traitement sauvage ! Un motif même plus intéressé encore déterminait Charles-Quint à préserver les jours de François Ier ; captif, le roi de France, pour sa rançon, donnerait de l'argent, des provinces ; une fois mort, au contraire, la loi de l'hérédité appelait le Dauphin ; et ce prince, devenu roi, n'aurait plus à s'inquiéter des stipulations de Madrid ; alors tout le bénéfice de la victoire de Pavie était perdu. Ces calculs durent être faits par le conseil de Castille avant la résolution de l'entrevue : un matin, on annonça que l'empereur venait visiter le roi ; Charles-Quint entra sans cérémonial dans la chambre où se trouvaient le maréchal de Montmorency debout, la duchesse d'Alençon assise au chevet de son frère alité, et le comte de Brion près de la porte. L'empereur, seulement suivi de deux pages, relevait sa petite taille par le port de sa tête et la dignité de son maintien ; un peu boiteux, il s'appuyait sur le plus jeune de ses pages, gracieux enfant des Castilles. Il fut, pour François Ier, plein d'une douce amabilité, il lui répéta que la maladie n'étoit heureusement plus rien ; il dépendoit de lui de faire cesser une captivité qu'il déploroit lui-même ; comme son bon frère et ami. Le roi de France lui tendit la main, en déclarant qu'il n'attendoit pas moins de sa loyauté et de son honneur. Depuis ce moment la santé de François Ier, se rétablit à vue d'œil ; il reprit sa gaieté, son goût de chasse, ses dissipations, et, comme si la présence de sa sœur chérie avait réveillé ses goûts de poésie, le roi composa de concert avec elle des sonnets, des madrigaux, des vers, qu'ils aimaient tous deux à réciter le soir pour charmer la convalescence.

Cependant les questions politiques n'allaient pas aussi vite que le rétablissement de la santé du roi| malgré toutes ses politesses empressées et ses témoignages d'amitié[5], Charles-Quint n'en conservait pas moins le désir et la volonté d'obtenir la meilleure rançon possible et les plus grands avantages de l'événement heureux qui avait mis le roi de France dans ses mains : s'il abandonnait quelques-unes des conditions imposées à l'égard du connétable, il insistait pour obtenir la Bourgogne, la Flandre, et surtout la renonciation formelle à tous les droits du roi sur l'Italie. Ses instances devinrent si vives qu'il naquit au cœur du roi une résolution très-noble, et dont les traces ont été récemment trouvées dans les registres du parlement de Paris. Auprès de sa sœur, fière et digne, François Ier ne devait puiser que de belles inspirations ; et il lui remit un acte authentique par lequel il renonçait, lui, au titre de roi de France, de manière qu'il n'était plus qu'un simple gentilhomme prisonnier à Madrid ; le gouvernement n'étant plus dans ses mains, il ne pouvait dès lors plus rien concéder, se sacrifiant ainsi personnellement à l'intégrité et à l'honneur de la France. Cet acte secret est conçu dans les termes d'une résignation admirable : Comme le roi éternel régnant par puissance invincible sur le ciel et la terre, nostre sauveur et rédempteur Jésus-Christ, chef de toutes les puissances célestes et terrestres, et au nom duquel chacun doit baisser et incliner la tête, et fléchir le genou, ait donné forme et exemple d'humilité à tous les rois, et princes chrétiens en soi humiliant devant Dieu son père, et par amour inestimable ait fait oblation et sacrifice tant de son corps que de sadite volonté... désirant de tout nostre pouvoir, en toutes choses, suivre nostre chef, seul guide, protecteur et patron de Nous et de nostre Royaume de France très-chrétien ; et reconnoissant les grandes grâces qu'il nous a généralement et particulièrement faites, en nous mettant en ce monde et appelant au titre de roi très-chrétien, pour conduire, régir et gouverner le très-noble, et en toutes vertus l'excellent peuple françois, pour la paix et tranquillité duquel avons voué et dédié à Dieu nostre personne, vie, force et volonté[6], étant tout à faict résolu, moyennant sa grâce et vertu, prendre en gré sa discipline paternelle ; puisqu'il lui a plu nous envoyer captif, après avoir perdu une bataille où nous avons mis nostre personne en grand danger de mort, pour vouloir chasser nos ennemis de nostre royaume, qui l'avoient iniquement envahi, et rejeter la guerre hors, pour après pouvoir parvenir à une bonne paix, au repos de la chrétienté, que pour intention seule de reconquérir les terres qui de droit nous appartiennent, et desquelles nous avons naguère esté injustement déchassés et dépossédés ; et après avoir été en icelle bataille, nostre cheval tué sous nous, et avoir plusieurs de nos ennemis en grand nombre convertis leurs armes sur nostre personne, les uns, pour nous tuer et occire, les autres, pour en faire proie et butin, et qu'il lui a, plu, par sa bonté et clémence, en tel et si extrême danger, nous sauver la vie et honneur, que nous estimons bénéfice commun à nous et à nos subjetz ; encore avons-nous depuis nostre prison et captivité, après avoir esté mené et conduit en divers lieux, par mer et par terre, esté mis et réduit es mains de l'élu empereur, roi de Castille, duquel comme de prince chrétien et catholique nous avions jusqu'à présent espéré humanité, clémence et honnesteté, attendu mesmement que sommes à lui prochain en consanguinité et lignage, et d'autant plus ladite humanité attendions-nous et espérions de lui, que nous avons porté dans la prison une griefve maladie, et telle que nostre santé et guérison étant à tout désespérée, Dieu, en continuant envers nous ses bénéfices, nous a remis sus et comme ressuscité de mort à vie, en laquelle extrémité de maladie n'avons toutefois en rien comme le cœur de l'empereur estre aucunement ému à notre délivrance et conséquemment au bien de paix et repos de la chrestienté qui s'en pou voit ensuir, encore que par les ambassadeurs à lui envoyés par nostre très-chère et très-amée dame et mère, régente de France. Après lui avoir suffisamment montré les querelles qu'il prétend avoir contre nous et la couronne et maison de France’, n'estre en aucune manière raisonnables et fondées en justice, lui ayant esté faites plusieurs grandes offres pour parvenir à notre délivrance et au bien de la paix, et depuis nostre très-chère et très-amée sœur unique, la duchesse d'Alençon et de Berry ayant pris la peine et travail de venir par mer et par terre vers ledit empereur, et lui avoir fait les plus honnestes et gracieuses remontrances dont elle s'est sçu adviser pour l'engager à faire acte d'honneur et d'humanité, requérant amitié et à lui alliance par mariage de nous et de nostre très-cher et très-amé fils le dauphin avec ses sœurs et nièce, et néanmoins, outre et par dessus les autres offres faites par les princes, ambassadeurs de nostre dite dame et mère y a offert de rechef plusieurs grandes choses, et plus que ne doit porter et mériter la rançon du plus grand prince du monde, avec alliance, paix et amitié. Néanmoins le dit empereur n'a voulu entendre nostre délivrance, Jusqu'à ce qu'il eust en ses mains la possession du duché de Bourgogne, comté de Maçon et d'Auxerre et Bar-sur-Seine, avec plusieurs autres aussi grandes et déraisonnables demandes, desquelles9 après estre en possession, estoit content de nous délivrer et de ce bailler otage et remettre la querelle qu'il prétend à la dite duché, à la connoissance et jugement des arbitres élus par le consentement des parties, lequel parti, comme déraisonnable et grandement dommageable à nostre royaume et bons et loyaulx subjets, n'avons voulu accepter, ains plutost délibéré et résolu porter et endurer telle et si longue prison qu'il plaira à Dieu que nous portions... Pour ces causes et autres bonnes et grandes considérations que Dieu le créateur fait et cognoist, le tout à son honneur, louange et gloire, à ce nous mouvans, voyans pour cette heure ne nous estre permis par honneste composition, sortir hors du lieu où nous sommes et reteurner en nostre royaume, où nous désirons toutefois l'administration de la justice estre cependant faicte et confirmée à nos subjets ; comme la raison veut et requiert, et que nous pourrions faire si nous y estions en personne ; sçavoir faisons à tous présens et advenir que par bonne et meure délibération du conseil, nous avons voulu, ordonnée et con, enty et par édict perpétuel et irrévocable, voulons ordonnons et consentons et tel est nostre plaisir, que nostre très-cher et très-ami fils, François Dauphins duc de Viennois, nostre vray et indubitable successeur par la grâce divine, nai et appelé après nous à la couronne de France, soit dès à présent déclaré, réclamé, tenu et réputé roy très chrétien de France, et comme roy, couronnez oingt, sacré avec et en gardant toutes les solennités requises et accoustumées et à lui seul, comme à vray roy et indubitable, tous nos autires très-chers et bien amés enfans masles, femelles, ses frères et sœurs nos très-chers et très-amés parens princes de nos-tre sang, les archevêques, évêques, chapitres, abbayes, prélats, nobles et peuples de France, ayant recours comme à leur roy et vray seigneur et prince, et comme roy, le tiennent, reçoivent et traictent, en luy obéissant entièrement et à ses commis, officiers et députés, comme ils ont faict par cy-devant à nostre personne estant à nostre royaume. Or par cet écrit si noblement rédigé la captivité du roi n'était plus qu'un fait ordinaire et presque sans importance. Sacrifice pur et grand qu'il faisait à la chose publique par l'abdication ! simple particulier, désormais il vivait à Madrid, et Charles-Quint n'aurait plus intérêt à le persécuter et à le détenir. La duchesse d'Alençon partit glorieuse du noble désintéressement de son frère, car elle était fière de lui, fière de la dignité de sa couronne.

A Paris la ville était toute inquiète de savoir des nouvelles du roi ; de temps à autre venaient quelques messagers, porteurs de lettres, et il en arriva une du sieur Babou[7] qui annonçait la convalescence de notre sire et l'espérance qu'il serait délivré dans peu de temps. La régente s'empressa de donner avis au parlement de cette bonne nouvelle. La cour toujours pieuse, toujours dévouée aux choses chrétiennes, ordonna qu'une procession générale serait faite à la Sainte-Chapelle, vers laquelle on porterait les reliques de la vraie croix : pour rendre grâce du recouvrement de la santé de notre sire.

Néanmoins les alarmes ne cessaient d'être grandes ; aux registres du parlement on trouve une curieuse anecdote sous la date du 18 octobre 1525 ; il vint à la grande cour du palais quatre personnes à cheval, contrefaisant les courriers avec vêtements de deuil, et ils crièrent et publièrent des vers contenant en substance que le roi était mort, et ajoutèrent plusieurs choses inconvenantes pour l'honneur de la couronne, sorte de conjuration favorable, on le croit, au parti féodal du connétable de Bourbon et de Charles-Quint. On voulait, en supposant la mort du roi, s'emparer du gouvernement de l'État contre madame la régente. La cour fut bientôt rassurée, car son premier président, M. de Selves, un des envoyés à Madrid, écrivit lui-même que le roi était en pleine convalescence ; et quelques instants après une autre lettre du premier président à la régente lui annonça que les négociations allaient à bien et qu'on aurait un résultat favorable à la couronne.

Le président de Selves, en effet, le chef des députés à Madrid, arrivait enfin à un traité, et voici dans quelles circonstances : pour éviter la trop grande influence de François Ier sur la paix, et se réserver surtout la liberté de dicter les conditions, Charles-Quint avait fixé le lieu des conférences à Tolède y la ville du vieux palais des rois, et où l'empereur venait de réunir les cortès. Là s'étaient rendus le premier président de Selves, l'archevêque d'Embrun, députés de la reine mère, auxquels s'était joint le maréchal de Montmorency, envoyé par le roi captif. Avant de commencer les conférences, les députés s'étaient spécialement adressés à la générosité, à la grandeur d'âme de Charles-Quint ; les archives de la maison d'Autriche possèdent encore cette humble supplication pour appeler mansuétude et miséricorde de l'empereur, dans cette crise que la fortune faisait subir à François P, Le président de Selves surtout rappelait les beaux traits de l'antiquité ; c'était tour à tour l'histoire sainte et profane, Rome et la Fable, les romans de chevalerie et les chroniques. Cette tête du parlement toute farcie de l'érudition de l'époque, devenait l'expression de ce chaos qui marquait la renaissance. C'était mal connaître Charles-Quint ; de pareilles prières n'allaient ni à son cœur, ni à sa tête plus froide encore que son cœur. Dès qu'il tint François Ier en son pouvoir, sa résolution fut prise, et il ne s'en démentit pas un seul moment. En politique il est toujours des raisons même pour justifier la violence, et l'empereur s'était fait une certaine logique qui expliquait parfaitement ses rigueurs et son inflexibilité à l'égard du roi de France. Ces motifs se révèlent dans les procès-verbaux des conférences rédigés entre les députés de la régente pour arrêter les conditions de la paix de concert avec les délégués de Charles-Quint, le comte de Nassau, le chancelier Guatimara, le seigneur de Baurin, et un peu plus tard le vice-roi de Naples, marquis de Lannoy. Les raisons que développent les députés de l'empereur, et surtout le chancelier, sont tout à la fois historiques et politiques ; ils se défendent contre cette idée que Charles-Quint commet une injustice en demandant la cession de divers territoires au roi captif ; le chancelier développe au contraire cette pensée que son maître auroit bien autre chose à réclamer par droit d'héritage et de justice : s'il alloit à la rigueur, est-ce que le Languedoc et la Provence n'appartenoient pas à Charles-Quint, comme héritier des empereurs et suzerain de leur fief ? Rien de plus incontestable que ses droits sur la Bourgogne, que Louis XI avoit réunie à la couronne par une usurpation manifeste. A tout cela le premier, président de Selves répond par la prescription, selon le jus civile et romanum, et surtout en invoquant les traditions chevaleresques des romans et des vieux preux, la lecture favorite de François Ier. Le président de Selves puise des arguments même dans les récits de la bataille de Roncevaux, et les malheurs arrivés à Charlemagne.

Comme c'est un parti pris d'imposer à François Ier la cession préalable de la Bourgogne, ces conférences n'aboutissent qu'à faiblement diminuer quelques-unes des prescriptions impératives résolues par le conseil de l'empereur. Le traité fut spécialement achevé par l'intervention du marquis de Lannoy et du connétable de Montmorency ; le premier président de Selves et le chancelier de l'empereur se fussent perdus dans des subtilités indéfinies comme gens de palais, si le connétable et le vice-roi de Naples n'eussent mis un terme à ce débat. Il y a souvent bien des motifs de rapprochement entre deux loyales épées, entre deux nobles et franches convictions. Le vice-roi de Naples exerçait une grande influence sur Charles-Quint ; et le maréchal de Montmorency était le plus écouté des serviteurs de François Ier. Tout le monde désirait voir finir une royale captivité pesante et difficile même pour l'empereur, et qui jetait sur sa personne quelque chose d'odieux et de profondément déplorable. Le traité signé à Madrid était dur ; mais enfin François Ier obtenait la liberté, le premier de ses vœux y la plus ardente de ses prières. Cette liberté il l'achetait par la cession de tous ses droits ; de toutes ses prétentions sur l'Italie, sur Gênes, sur Milan, sur Naples même : belles terres que les chevaliers de France avaient tant rêvées. Par le second article, le roi de France cédait également la Bourgogne, ce duché acquis par la haute politique de Louis XI, comme un lien commun entre les provinces de Flandre et de Franche-Comté’ Le gonfanon espagnol s'élèverait encore une fois sur Dijon, la belle cité. En même temps renonciation de la part du roi à la suzeraineté de Flandre et de l'Artois, et aux protections politiques accordées à la Navarre, au duc de Gueldre, au duc de Wurtemberg et même au brave et digne Guillaume de La Marck, le fier seigneur qui avait commencé la guerre. En Italie, le roi de France devait renoncer à ses alliances ; et désormais l'empereur, maître d'agir partout, pourrait réprimer la révolte, dompter les populations, amener enfin pour lui-même la domination universelle.

Charles-Quint suivit la méthode habile de se rattacher d'intimes alliés en n'abandonnant aucun de ceux qui avaient suivi ses drapeaux : tels étaient le connétable de Bourbon et le prince d'Orange. Sans doute il ne pouvait pas imposer les dures et inflexibles conditions que dans l'origine il avait demandées à François Ier pour le duc de Bourbon rebelle. Les choses ayant changé de face, il ne s'agissait plus de créer une royauté indépendante pour le connétable ; mais le traité imposait la restauration absolue du prince rebelle dans tous ses domaines, et même un agrandissement de puissance en sa faveur ; et avec lui tous ceux qui avaient suivi son drapeau, arboré son étendard, devaient également rentrer dans leurs biens, dignités et pouvoirs. Le prince d'Orange, dépouillé par arrêt du parlement, possesseur de grands fiefs sur les confins de la Provence, fut également rétabli ; et le traité de Madrid déclara qu'il serait rendu à sa pleine suzeraineté[8]. Ensuite étaient stipulées les rançons d'argent ; et ici l'habileté de Charles-Quint fut de mettre en hostilité, par une stipulation curieusement étudiée, Henri VIII et le roi de France. Dans les guerres actives, plus d'une fois l'empereur avait eu recours pour ses besoins à Henri VIII, le prince le plus riche en sterlings et en écus d'or ; et sa dette envers les Anglais s'élevait à six cent mille écus. Eh bien ! cette dette, n'était-il pas d'une grande habileté de la mettre sur le compte du roi de France, de telle sorte que ce contrat d'intérêts ne pût jamais permettre aux deux princes de se rapprocher dans une paix sincère, chose tant redoutée par l'empereur ? Enfin, pour donner à ce traité une empreinte de fraternelle amitié, François Ier à peine veuf de Claude de France, promettait d'épouser la reine douairière de Portugal, la sœur de Charles-Quint : comment l'empereur serait-il soupçonné d'imposer des conditions impératives et forcées à un prince qui se rapprochait si intimement de sa famille ?

Tel fut le dur traité qui rendait la liberté au roi de France. C'était à Tolède qu'il avait été préparé sous la volonté impérative de Charles-Quint, alors renfermé dans un royal monastère, et dictant ses conditions et ses lois à son prisonnier. Il y eut cela de particulier dans cette grave affaire, que ni le roi de France ni l'empereur n'étaient convaincus de l'efficacité et de la sincérité de ce traité. Charles-Quint semblait avoir le sentiment intime que ces conditions inflexiblement imposées à un prince captif ne l'obligeaient pas en conscience ; il revenait donc toujours à cette question : Ce traité sera-t-il fidèlement exécuté ? Et de son côté, François Ier, au moment où il apposait son scel à la triste convention, faisait parvenir au parlement de Paris une protestation secrète[9] contre le manque de liberté et l'abus qu'on en avait fait pour contraindre sa volonté à Madrid. Dans les idées de jurisprudence dominant au XVIe siècle, il serait facile aux légistes de trouver des motifs pour expliquer la rupture d'une convention où la liberté n'existait pas entière de part et d'autre. Le Corpus juris, les Pandectes invoquées par le parlement offraient des textes pour justifier la cassation de ces articles odieusement impératifs peur la nationalité française et la grandeur du roi. En supposant même le monarque en toute indépendance, il n'était jamais que simple usufruitier de ses domaines, et, sous ce point de vue, il ne pouvait en dépouiller ses enfants sans l'autorisation des états généraux ou au moins du parlement de Paris. Or, de ces principes du vieux droit on ferait résulter mille causes pour briser le traité de Madrid. En étudiant les retards que Charles-Quint semblait mettre à la liberté de François Ier, on peut croire qu'il se faisait de justes idées sur les difficultés et les embarras que préparait l'exécution du traité de Madrid. Plus de vingt jours s'étaient écoulés, et on ne parlait pas encore du voyage du roi de France vers son royaume ; il demeurait toujours prisonnier et plus attentivement surveillé. Le chancelier Guatimara avait fait des remontrances très-vives à Charles-Quint sur la nécessité de prendre des garanties autres que celles de la parole du roi ; et l'empereur exigea que les enfants de France, le Dauphin et le duc d'Orléans, fussent remis en otage ; ou, en échange des enfants du roi, douze seigneurs de la cour au choix de l’empereur ; et certes ce choix eût été fait parmi les plus riches, les plus forts, les meilleurs chefs de guerre, de manière à désorganiser complètement le système militaire de la France. Et malgré ces précautions, Charles ne se hâtait pas de rendre la liberté à son captif, impatient et inquiet de ces retards. Enfin le vice-roi de Naples vint annoncer de nouveau que François Ier s'alitait sous cette influence déplorable d'ennui et de langueur qui, déjà une première fois, avait menacé ses jours. Alors l'empereur, tout à coup changeant de ton et de langage, vint lui-même annoncer à son prisonnier qu'il était complètement libre, et il le fit avec sa grâce accoutumée, et des paroles de loyauté, bien capables de saisir l'âme chevaleresque de François Ier. Charles préparait les fêtes des fiançailles du roi de France avec la reine de Portugal, lui prodigua les plus vifs témoignages de loyale satisfaction ; les rites de Madrid, de Tolède, jusque alors si tristes, prirent un aspect de fête et de réjouissance. Le vice-roi, le principal auteur du traité, se chargea d'accompagner François Ier jusqu'à la frontière, et pendant cinq lieues, l'empereur caracola à ses côtés, sur un bel andalous, en lui donnant la droite, comme si le malheur imprimait une plus grande dignité à la couronne. On racontait que, dans son voyage, Charles-Quint, toujours fort inquiet sur l'exécution du traité de Madrid, demanda au roi, son ami, si c'était bien librement qu'il avait signé la convention. Ce n'est pas seulement comme roi dominé par la politique, dit-il, que je vous demande votre parole, mais comme gentilhomme. Or, tant le roi était heureux de quitter la terre d'Espagne, d'être libre ; qu'il promit cette foi avec un accent de sincérité remarquable ; alors Charles-Quint lui serra la main en gage de foi mutuelle. Cette conversation est-elle vraie ou une simple supposition des chroniques espagnoles pour jeter de l'odieux sur la violation des traités de Madrid ? Tant il y a que François Ier avait scellé de son sceau la convention politique, et que cela valait parole de gentilhomme, puisqu'on prenait Dieu à témoin. La cause de rupture vint de plus loin et de plus haut.

Le voyage à la frontière fut gai ; les villes se montrèrent plus parées. Hélas ! lorsque la tristesse est au cœur, tout paraît monotone, les monuments revêtent quelque chose de triste, le soleil se voile, les campagnes sont moins riantes, les zéphyrs moins rafraîchissants. Le roi François Ier qui, captif, avait vu l'Espagne comme une terre maudite, salua d'admiration les sites et les beautés de la route, les monuments arabes, la cathédrale de Burgos, les noirs rochers de Pan Gorvo, la riante Biscaye. Enfin on arriva sur les bords si souvent, historiques de la Bidassoa, où devait se faire l'échange du roi contre les enfants de France. Les ordres de Charles-Quint sur ce point étant d'une rigueur extrême, tout se fit avec beaucoup de solennité, et malgré les paroles et les serments, on agit dans ce marché d'otages avec autant de rigueur que s'il avait été question d'un prêt d'argent de juif à juif. Le milieu de la Bidassoa ne fut franchi par le roi que lorsque les enfants de France eurent passé sur la rive opposée, avec une sévérité telle qu'il ne fut pas permis à François Ier d'embrasser ses enfants, parce que cela pouvait compromettre la sûreté des otages, et qu'un coup de main pouvait les enlever.

Les gentilshommes espagnols, sous prétexte de rendre honneur au roi, le gardaient à vue, avec ordre de faire feu sur toute embuscade de soldats postés par la reine mère. Combien fut grande la joie de François Ier lorsque enfin il put toucher le sol de la patrie ![10] Il en pleura de transport, et tant le sentiment de la liberté est égoïste qu'il jeta à peine quelque regret sur la destinée des enfants de France qui allaient, pauvres petits captifs, payer la liberté du père dans les prisons de Madrid. Il monta à cheval et courut à toute bride jusqu'à Saint-Jean-de-Luz, et, craignant quelque surprise, il courut encore à crever son coursier jusqu'à Bayonne où là seulement il trouva la reine mère tant aimée, sa cour, toute également pleine d'ivresse et de joyeux transports, de revoir et de saluer le roi, qu'on avait dit tant de fois malade et dont on avait même pleuré la mort.

Le traité de Madrid qui rendait la liberté à François Ier ne présentait aucun de ces grands caractères qui constituent la paix définitive entre les peuples. Abuser de la victoire et des malheurs d'un prince et d'une nation, ce n'est pas finir la guerre, c'est jeter des ferments de nouvelles batailles et créer des ressentiments profonds que chacun garde longtemps au cœur. Quand on veut qu'une convention dure, il faut la faire juste ; la victoire n'est pas un droit, elle est un fait, et pour l'ennoblir il faut l'élever jusqu'à la modération. On avait trop abusé de la captivité de François Ier, et, au lieu de tout absorber dans son ambition, l'empereur eût mieux fait de se montrer généreux, et de se créer par cette grandeur naturelle un protectorat en Allemagne ou en Italie. Homme habile comme il l'était, il devait voir que ce traité ne serait pas tenu, et qu'on avait mille moyens de le casser par l'intervention de la judicature ; s'il l'avait cru juste, aurait-il pris tant de précautions, imposé tant de serments, et s'il n'était pas réalisable, à quoi bon l'imposer ? Quand un prince est placé si haut, son éclat ne résulte pas de quelques provinces de plus, de quelques territoires réunis, mais de cette équité forte que crée un ascendant européen, et celui-là on ne le perd point par quelques revers de fortune ou quelques malheurs de batailles !

Au reste les enfants de France, jeunes varlets de si bonne race, furent traités d'abord avec une haute distinction par la cour de Charles-Quint. Il eût été odieux de détenir captifs de pauvres enfants qui se livraient pour la rançon de leur père ! On les envoya immédiatement à Vittoria, si près de la frontière, afin de les rendre sains et saufs à la première nouvelle de l'exécution du traité. Puis on leur désigna pour lieu de captivité la province d'Andalousie, au centre même de l'Espagne, parce qu'on était informé des protestations de François Ier et des résistances du parlement qui ne voulait point admettre qu'un roi pût céder une province et priver ainsi ses héritiers d'une portion brillante de son héritage, et cette théorie rendait tout à fait inutile les engagements de François Ier à Madrid.

 

 

 



[1] Ceux qui entendent bien les affaires du gouvernement, ne fondent pas les royaumes, les États et les monarchies sur des bienséances et des honnêtetés qui ne sont autre chose que de l'eau bénite de cour, mais sur de bonnes maximes de politique. Les intérêts du prince doivent servir de loi, et l'emporter au-dessus de tout ce qu'on appelle générosité. La civilité, l'honnêteté et la générosité sont des vertus bonnes pour un simple gentilhomme et pour la société civile, mais ce ne sont pas les vertus d'un souverain. Pour faire durer les monarchies il faut regarder à l'avenir et à des choses plus réelles et plus solides. Ces apparences de générosité sont comme le soleil de Mars, qui disparoit au moment qu'il paroît plus lumineux. Des courtisans peuvent bien être d'avis de donner la liberté au roi, mais non pas ceux qui gouvernent les États et les empires. Nous devons considérer que les François sont une nation inconstante, légère et sans foi, de sorte que si nous ne prenons de bonnes mesures, ils se moqueront de nous, et appelleront lâcheté ce que nous nommerons générosité. (Les détails de ce conseil sont conservés aux archives espagnoles de Simancas, n° 367.)

[2] Jean de Selve, conseiller au parlement de Paris, fut nommé en 1507 par Louis XII, premier président de celui de Rouen, puis de Bordeaux. François Ier l'appela à Paris pour y remplir la même charge.

[3] Gabriel de Gramont, d'une maison illustre de Navarre, était fils de Roger de Gramont, ambassadeur à Rome sous Louis XII ; pourvu d'abord de l'évêché de Couserans, il passa à celui de Tarbes en 1522.

[4] François de Tournon, né en 1489 à Tournon, en Vivarais, prit l'habit de chanoine de Saint-Augustin en 1501, dans le monastère de Saint-Antoine en Dauphiné ; après avoir reçu l'abbaye de la Chaise-Dieu, il fut nommé, à peine âgé de vingt-huit ans, archevêque d'Embrun.

[5] L'empereur s'informe toujours avec une grande sollicitude de la santé de son royal prisonnier ; il lui écrit de sa main. — Bibl. du Roi, Mss. de Colbert, vol. 74-72, cot. Serilly, n° 453.

Monsieur mon frère, puisque je n’aye le loysir de vous veoir si souvent que je voudrois, j'envoye mon vice roy de Naples vous visiter et vous prier que par luy me faciez sçavoir de vostre bon portement, lequel désire et ne fais doubte, avant tout désir estre vray bon frère et amy. Charles.

[6] Au moment où cet acte de renonciation était rédigé, la gracieuse duchesse d'Alençon ne cessait de voir et de solliciter Charles-Quint. Il résulte de la correspondance manuscrite de cette princesse que l'empereur voulait toujours la voir seule et sans témoins ; ce que put obtenir Marguerite, c'est que sa dame d'honneur tiendrait le bouton de la porte drapée (manuscrit communiqué par M. Champollion).

[7] Lettre du sieur Babou, trésorier de l'épargne et receveur général des finances, à madame la régente. — Mss. de Colbert, vol. 71, t. 72, coté Serilly, n° 53.

Madame depuis le parlement de Commeraye le roi a tousiours continué en son amendement, lequel je ne vous sçaurois mieux certifier que par le parlement de madame vostre fille laquelle connoist et veoit le d. sieur estre si bien qu'elle l'abandonne demain pour s'en aller à Tolède pour suivre ses affaires desquelles ainsy que l'on peut juger par les conjectures, l'issue sera a vostre intention et désir. Le vice roy de Naples vint mercredy icy de par l'empereur pour veoir et visiter le roy et luy apporta une lettre du d. sieur empereur et une autre à ma dite dame vostre fille laquelle je vous envoyé pour veoir la gracieuseté dont il use qui est pour tousiours asseuré que les choses viendront au plaisir de Dieu à bonne fin. Le vice roy partit hier pour retourner devers le d. empereur et peu après luy partirent messieurs d'Embrun et premier président pour aller à Tolède préparer la vebue de ma dite dame vostre fille, laquelle est délibérée de tant presser et solliciter qu'elle espère plustost que vous ne pensez vous rendre fils et fille et se consoler avec vous, Madame de la grâce que nostre Seigneur vous a faicte de le vous avoir saulvé d'une sy extrême maladie que celle qu'il a eue qui a esté telle que vous dira ce porteur avec les autres choses commises à la créance. Madame, je prie nostre Seigneur qu'il vous donne très bonne et très longue Vie. Escrit à Madrid ce premier jour de octobre. Signé Babou.

Le parlement, dès que le roi est captif, exerce les actes du gouvernement politique. On peut en suivre l'histoire dans ses registres.

La cour a ordonné qu'elle vaquera demain pour aller en procession géneralle en forme de cour partant de la saincte chapelle à Nostre Dame de Paris, où sera portée la vraye croix pour aller rendre grâce à Dieu de la santé qu'il a donnée et restituée au roy et pour le supplier que son plaisir soit le remettre bientost en bonne santé et liberté en son royaume.

Extrait des registres du parlement, octobre 1525.

Ce jour de rellevé sont venus en la grand cour du palais de céans quatre personnes à cheval déguisez contrefaizans les postes, ayant des chappeaux verds en leurs testes que l’on dit estre montés à cheval à la porte Saint-Michel, et sont venus courans par les rues jusques au dit palais où ils ont crié et publié certaines rimes contenant en substance que le roy estoit mort et que madame régente en France en avoit grand déconfort ; que les sages le celoient et qu'il falloit que les fols le déclarassent et publiassent et plusieurs autres choses, contre l'honneur du d. seigneur et de mad. dame et de la maison de France et se sont après retirés courans par les rues jusques à Nostre-Dame-des-Champs où ils sont descendus, et on a mis gens après pour sçavoir qui ils sont depuis fut ordonné par la cour au bailly du palais d'informer du fait susdit.

Lettre du premier président Jean de Selve au parlement (Registre du parlement.)

Messieurs, considérant le grand ennuy que pouvez avoir conseu sçachant la griefve maladye du roy, il m'a semblé vous devoir escrire la convalescence et guerisoit pour consoler la compagnie. Je l'ay creu par le jugement de deux de ses médecins et autres deux de l'empereur sans espérance et avec ce tous les signes de mort estoient, car demeura aucun temps sans parler, veoir, ne oyr, ne connoistre personne. Il y a aujourd'huy huict jours que madame la duchesse fit mectre en état tous les gentilshommes de la maison du roy et les siens ensemble ses dames pour prier Dieu, et tous receurent nostre Créateur, et après fit dire la messe en la chambre du roy et à l'heure de l'eslevation du Saint-Sacrement Mons. l'archevesque d'Ambrun exhorta le roy à regarder le Saint-Sacrement, et lors le d. sieur qui avoit esté sans veoir et sans ouir regarda le Saint-Sacrement, et leva les mains et après la messe mad. la duchesse luy fit présenter le d. Saint-Sacrement pour l'adorer et incontinent le roy dit : C'est mon Dieu qui me guérira l'âme et le corps ; je vous prie que je le reçoive, et à ce qu'on luy dit qu’il ne le pourroii avaller, il respondit que sy feroit, et lors mad. la duchesse fist départir une partie de la saincte hostie laquelle il receut avec la plus grande componction et d'onction qu'il n'y avoit cœur qui ne fondit en larmes ; mad. dame la duchesse receut le surplus du d. Saint-Sacrement et de cette heure-là, il est tousiours allé en amandant de la fièvre qui luy avoit duré vingt trois jours sans lascher, le laissa, tellement qu'il est hors de tout danger. Messieurs, après la convalescence du roy, mad. la duchesse partira demain de Madrid pour venir en ceste ville devers l'empereur, et espérons au plaisir de Dieu que la délivrance du roy et la paix universelle s'en ensuivra. Escrit à Tolède, le premier jour de novembre 4525. Votre très humble serviteur et frère, Jean de Selve.

[8] Voici le résumé des articles du traité de Madrid, signé le 14 février 1526.

Paix à perpétuité entre l'empereur et François Ier, leurs héritiers et successeurs. — Mariage du roi avec Éléonore, veuve du roi de Portugal, à laquelle l'empereur, son frère, constituait en dot, là somme de 200 mille écus. — François Ier, mis en liberté au plus tard le 10 mars, à la condition qu'en même temps qu'il passerait en France, on enverrait en Espagne le Dauphin et le duc d'Orléans, ses fils, ou à leur place douze des plus grands seigneurs de France, au choix de l'empereur, en qualité d'otages, jusqu'à ce que les articles du traité soient approuvés par les états du royaume. — Restitution avant le mois de mai du duché de Bourgogne à l'empereur, avec toutes ses appartenances et ce qui dépend de la Franche-Comté. — Renonciation du roi à la souveraineté tant du comté et duché, qu'à celle de Flandre et d'Artois, —

Renonciation aussi à tous ses droits et prétentions sur Milan, Naples, Gènes, Tournay, Ast, Lille, Douai et Hesdin. — Promesse de François Ier d'obliger le duc d'Albret de renoncer à ses droits et prétentions sur le duché de Navarre en faveur de l'empereur, et en cas de refus de joindre ses forces à celles do l'empereur pour l'y forcer. — Renonciation de l'empereur à ses droits sur les comtés de Ponthieu, Boulogne, Guyenne et sur les villes de Péronne, Montdidier et autres seigneuries de Picardie. — Amnistie générale pour tous ceux qui avaient suivi le parti du duc de Bourbon et engagement de les remettre en possession de tous leurs biens sans pouvoir être recherchés sur ce sujet. —Promesse de marier le Dauphin avec la fille de la reine Eléonore, quand ils seraient en âge, — Payement par le roi de France des dettes de l'empereur au roi d'Angleterre.

[9] Protestation faite par le roi contre le traité de Madrid. — Bibl. Roy., Mss., Colbert, vol. 71-72, cet. Serilly, n° 453.

Dimanche, treizième jour de janvier, Fan mil cinq cens vingt-cinq au chasteau de Madrid, le roi estant en la propre chambre en laquelle il a esté si longuement et grièvement malade, est survenu Jean de Selve, seigneur de Cronnières, premier président de Paris, lequel a dit au d. sire que les articles concernans la délivrance et liberté de sa personne en la paix et mariage du d. sire avec très haute et très puissante princesse madame Éléonor, reine douairière de Portugal, etc. Ce jourd'huy avoient esté arrestés et escrits par les ambassadeurs de l’empereur, le tout en ensuivant le vouloir et plaisir de l’empereur auxquels et à ses d. ambassadeurs avoit fallu nécessairement complaire quasi en toutes choses. Ce que n'eussent faict les ambassadeurs de France, n'ayt été l'exprès commandement à eux faict par le roy le 19e jour de décembre 1525, pour ce que les d. articles et traitté de paix contenoient plusieurs choses contre justice et contre raison, à sçavoir etc. Lesquelles choses ainsi par le roy ouyes et entendues, commanda an premier président de prendre et recevoir le serment de tous ceux qui lors estoient en sa chambre de tenir secret et ne révéler jamais à personne ce que par le d. sieur leur seroit dit cy après à autres qu'à ma dicte dame sa mère et à madame la duchesse d'Alençon sa sœur et à ceux que madame ordonneroit, lequel serment fut faict en la prezence du d. sieur par l'archevesque d'Ambrun, Mre Anne de Montmorency, chevalier de l'ordre, mareschal de France, le sieur de Brion, Mre Jean de la Sarre, Chevalier, bailly de Paris, Claude Gouffier sieur de Boisy, et nous notaires et secrétaires dessous signez et aussi fut fait semblable serment par le d. de Selve, premier président, après qu'il eut par commandement du roy faict jurer tous les dessus nommez, protestèrent, etc.

[10] Ce fut le 15 mars 1526 ; un an et vingt-deux jours après la bataille de Pavie.