FRANÇOIS Ier ET LA RENAISSANCE. 1515-1547

TOME PREMIER

CHAPITRE VIII. — NÉGOCIATIONS EN ITALIE, LE CONCORDAT DE LÉON X.

 

 

Situation de François Ier après la bataille de Marignano. — Puissances diverses de l'Italie. — L'empereur. — Venise. — Le pape. — La maison d'Aragon. — Négociations avec Léon X. — Le chancelier Duprat. — Entrevue de Bologne. — Question diplomatique. — Le concordat. — Causes qui atténuent toute discussion. — La réforme. — Les élections. — La pragmatique. — Le concordat au parlement. — Esprit de dispute et de protestantisme.

NOVEMBRE 1515 — MARS 1518.

 

La magnificence de François Ier cet esprit chevaleresque qui allait au-devant du beau, du grandiose, devait ainsi se complaire à ces nouveautés qui lui rappelaient sa chère Italie ; il fallait attirer les savants, les artistes autour de lui, et le roi, avec sa largesse habituelle, jeta l'or à pleines mains. Ses universités, ses écoles, durent avoir le même éclat que les universités de Pise, de Florence, de Pavie et de Padoue. Les habiles ouvriers d'orfèvrerie, les ciseleurs de Florence, les poètes et les savants de Venise furent donc appelés à grands frais autour du roi, et bientôt avec leur aide s'accomplit cette époque de renaissance qui se mêla d'abord au moyen âge, puis domina entière le goût et la mode des générations nouvelles.

La bataille de Marignano, la défaite sanglante des Suisses, l'éclatant courage déployé par la chevalerie, avaient produit une influence notable sur les négociations diplomatiques ; depuis le revers de Novare et leurs retraites fréquentes de l'Italie, las Français avaient un peu perdu de cette grande renommée de combats qui partout les précédait comme un noble retentissement : naguère n'avaient-ils pas été vaincus par les Suisses et refoulés même par les Napolitains et les Aragonais ? La chevalerie allemande pouvait aussi se vanter de quelques succès de bataille contre nos lances ; mais la double et glorieuse journée de Marignano effaça ces déplorables souvenirs. Le jeune roi y avait donné ses nobles passes d’armes et grandi son avènement par des prouesses dignes des romans d'Amadis, de Roland ou des Quatre fils d'Aymon ; les Suisses, jusque-là invincibles, s'étaient dispersés sous le canon de M. de Genouillac. Si nul n'avait jamais douté du courage des Français, on mettait toujours en question leur patience dans les combats, leur discipline, leur fermeté, et ils avaient déployé toutes ces qualités militaires dans la plaine de Marignano.

Il résulta donc de ce beau succès des armées de France une admirable situation pour traiter avec les divers gouvernements de l'Italie. Il est dans les conditions des puissances faibles de toujours céder devant la fortune impérative, capricieuse, et quand il y a un vainqueur, elles baissent la tête ; aucune d'elles n'était désormais capable de lutter contre la France. A bien considérer la bataille de Marignano, elle n'avait été qu'un engagement militaire entre Suisses et Français ; nul Italien ne s'était mêlé aux orgueilleux montagnards, et le seul signe de la cause qu'ils défendaient, c'était les clefs de Saint-Pierre empreintes sur leurs vêtements grossiers ; aucun des gouvernements d'Italie n'ayant pris une part active à la guerre, tous étaient à même de traiter de la paix. Les troupes impériales de Maximilien assistaient aux événements, comme simples spectatrices ; il n'y avait pas de guerre déclarée entre l'Empire et la France. Si Maximilien protégeait les Sforza, expulsés par François Ier, cette protection n'allait pas jusqu'à courir les hasards d'une guerre ; il aurait fallu pour cela qu'il eût été menacé dans ses fiefs propres et dans son influence politique, et l'empereur ne se réveilla que plus tard. Venise avait prêté un loyal concours au roi dé France, et il était d'une habile politique de s'en souvenir en lui rendant aide. Le vieux général de la république l'Alviane venait de mourir, pour ainsi dire, au service du roi, quelques jours après la bataille de Marignano. L'influence de la France ne pouvait nuire aux Vénitiens, et la grandeur de la république était utile à la monarchie de François Ier ; l'étendard aux lis s'unissait aux riches broderies du lion de Saint-Marc, et les érudits rappelaient le symbole de l'Écriture : le miel des fleurs dans la gueule du lion. Le nom de François Ier était glorieux à Venise, et plus d'une dame portait ses couleurs dans les noires gondoles sillonnant les lagunes aux fêtes publiques.

Les Médicis de Florence étaient tout entiers sous l'influence du pape, de ce Laurent, noble artiste, qui voulait donner à l'Église la souveraineté intellectuelle. Le prédécesseur de Léon X était Jules II, ce pape si patriote qui, au nom de l'Italie, avait juré haine aux Barbares, et par ce mot il entendait tous ceux qui ne parlaient pas la douce langue italienne. Léon X adopta une politique moins rude. Tout en défendant le patrimoine de Saint-Pierre et la suprématie de la tiare, il fut disposé à plus de concessions ; son âme élevée, tout orgueilleuse de sa nationalité, n'aimait pas plus les Barbares que Jules II y le pontife héroïque ; mais il savait que quand l'orage gronde, la sagesse veut qu'on le laisse passer. Léon X espérait achever son œuvre d'artiste sans être troublé par les bruits de guerre. Le pape se posait incessamment comme médiateur, demandant aux hommes de bataille un peu de répit pour achever Saint-Pierre de Rome, les fouilles antiques, et les jardins de ses palais et de ses villas. Quant à la maison d'Aragon qui régnait sur Naples, c'était comme une race finie dont la chute allait entraîner de nouvelles guerres.

Le canon de Marignane retentissait encore que Léon X songeait déjà à se rapprocher de la France[1]. Ce jeune homme couronné, ce Caro figlio qui avait dormi sur un affût de coulevrine, la nuit du combat, lui paraissait bien redoutable. Maître du Milanais, François Ier songeait à revendiquer le royaume de Naples tant de fois traversé par les Français, et pour conquérir chevaleresquement ce pays à la façon de Charles VIII ou de Louis XII, il devait passer sur les terres pontificales. Or, c'était de terribles visiteurs que ces chevaliers de France ! Léon X avait envoyé, depuis la victoire de Marignano, auprès, de François Ier un homme fort habile, l'évêque de Tricarico, du nom de Louis de Canosse. Le pape ne lui avait donné pouvoir que pour traiter des questions de territoire, et particulièrement de la restitution de Parme et de Plaisance, que dans sa volonté énergique d'unité et de nationalité italiennes, Jules II avait réunies au patrimoine de Saint-Pierre.

Pour hâter le traité et arrêter les Français victorieux, après la bataille de Marignano, Léon X écrivit à François Ier, lui laissant entrevoir qu'une conférence intime pourrait mieux terminer les questions que de simples pourparlers par des ambassadeurs. Le nonce eut également l'ordre d'offrir la pourpre romaine au chancelier Duprat, si par son ascendant de science et d'éminentes vertus, il pouvait mettre un terme aux tristes différends qui séparaient l'Église de Rome du roi très-chrétien. Léon X accorda d'abord toutes les questions temporelles : Parme et Plaisance furent cédées à la France ; car, pour lui, son plus vif intérêt c'étoit de voir son cher fils, de conférer sur cette sorte de schisme que la pragmatique sanction avoit jeté sur l'Église de France. En face de ces intérêts les questions temporelles ne lui paroissoient que médiocres et secondaires.

François Ier qui venait de prendre sous la protection de son sceptre la maison de Médicis, accepta les offres du pape[2]. La tiare resplendissait de tout son éclat, et le roi très-chrétien espérait obtenir la pacification de ses Églises et une suprématie sur son clergé. D'ailleurs, au caractère chevaleresque du roi, les pompes solennelles, les cérémonies somptueuses, convenaient parfaitement. Lui qui lisait si souvent les vieux livres de chevalerie, il se souvenait que Charlemagne, le roi des Paladins, était venu à Rome pour se faire couronner des mains d'un autre Léon sous la chape d'or. Il écrivit au pape pour solliciter cette entrevue personnelle : il y viendroit avec ses clercs, et ses plus braves, ses plus dignes chevaliers tous empressés de rendre hommage au pape. Plusieurs surtout avaient grandement besoin d'indulgences après une vie si agitée.

Léon X, qui ne s'attendait pas à cette acceptation si prompte, si rapide, fut très-embarrassé de désigner le lieu de la royale visite. S'il avait suivi son penchant pour le luxe et la magnificence des arts et des cérémonies, il eût choisi Rome ; il eût aimé conduire lui-même le roi très-chrétien dans la basilique des saints apôtres Pierre et Paul, afin de voir tous ces chevaliers, baisant de leurs lèvres, noires encore de la poudre de Marignano, le tombeau des saints apôtres : à Rome, la visite de François Ier eût été un hommage. Mais Léon X craignait l'influence que l'aspect d'une cité splendide pourrait exercer sur les imaginations des hommes d'armes : pourquoi l'épée victorieuse ne serait-elle pas maîtresse de ces marbres, de cet or, de ces riches basiliques ? et le pape ne se souciait pas d'accueillir d'aussi rudes visiteurs. Choisirait-on Florence ? Moins encore, peut-être, car il n'y aurait pas même le respect des chevaliers pour Saint-Pierre et la basilique des martyres. Florence, si belle et si fiche, avec son commerce, ses monuments de marbre, n'avait-elle pas été déjà un objet de convoitise pour Charles VIII et Louis XII ? Fort embarrassé du choix, Léon X se décida pour Bologne, récemment cédée à Rome par François Ier ; là les Français viendraient jusque sur les terres papales et l'hommage serait accompli sans danger, le pape ne sortirait pas de son domaine, et l'honneur de la tiare demeurerait préservé.

On vit partir de Milan un longue colonne de lances, que François Ier et le connétable de Bourbon conduisaient en personne ; il n'était chevalier qui ne voulût aller à l'entrevue ; car tous, mécréants, sacrilèges, excommuniés, avaient de grands péchés à se faire absoudre, et le saint-père ne devait avoir garde de refuser cette absolution. Traversant avec rapidité le Milanais, cette troupe de lances vint à Bologne, où le pape les attendait dans toutes les pompes du pontificat. Léon X s'était placé sur une sorte de trône fort élevé ; tout incrusté de pierreries, à la forme byzantine, chef-d'œuvre d'art et de ciselure. Le roi s'approcha la tête inclinée, voulut baiser les pieds, la main et la bouche du pape en signe de respect ; le pape accueillit le roi la bonté dans les yeux, le sourire sur les lèvres, et lui répéta deux fois ces mots : Caro figlio, et François, si plein de courtoisie, lui dit : Mon père très-saint, je suis heureux de voir à la face de moi le souverain pontife, le vicaire de Jésus-Christ. Je suis le fils et le serviteur de votre sainteté ; me voilà prêt d'exécuter ses ordres. Alors, avec un admirable à propos, une heureuse modestie y le pape répliqua : Mio figlio ben amate, ce que vous dites là s'adresse à Dieu, et non à moi, qui en suis le serviteur indigne.

Là fut tout l'hommage public. Le pape ne fut plus qu'un hôte aimable, spirituel, d'une familiarité si grande que le maître des cérémonies eut plusieurs fois l'occasion de lui remontrer qu'il manquait à sa dignité ; le pape voulait se découvrir perpétuellement devant François Ier toujours la tête nue, le maître des cérémonies s'y refusa ; le roi en sut gré au pontife, et dans la grand'messe de la basilique, noble et pieux roi de France, il ne dédaigna pas de tenir le pan de la grande chape d'or. Le moment de la communion fut solennel, car toute la chevalerie se pressait dans la basilique. La communion était le signe d'une réconciliation avec Dieu ; le pape l'offrit au roi comme à un chrétien préparé ; mais, avec une indicible modestie, François Ier déclara : qu'il n'étoit pas assez pur aux yeux de l'Église, et qu il laissoit à ceux de la cour qui étoient en état de grâce l'insigne honneur de communier de la main du pape. On accourait autour de la sainte table, et le roi désignait de ses doigts gantés ceux qui étaient assez nobles, assez valeureux pour communier de la main de Léon X. La foule s'accrut à tel point qu'un chevalier qui n'avait pu parvenir jusqu'au sanctuaire, s'écria de sa voix retentissante : Monseigneur et très saint-père, puisque je ne suis pas assez heureux pour communier de votre main, au moins je veux me confesser à vous ; parce qu'il ne m'est pas possible de vous dire mon péché à l'oreille, je vous déclare tout haut que j'ai combattu en ennemi, et autant qu'il m'a été possible, contre le pape Jules II, et que je ne me suis point mis en peine des censures fulminées à cette occasion. Ainsi s'exprima le preux et loyal chevalier, et la plupart des hommes d'armes qui entouraient le roi tinrent le même langage, car tous avaient servi dans les batailles de lances de Louis XI. Le pape leur donna l'absolution générale en souriant, et François Ier, toujours fier, lui dit : Saint-père, ne soyez pas surpris que tous ces gens-ci aient été ennemis du pape Jules ; car c'était bien aussi le plus grand de nos adversaires, et nous n'avons jamais connu d'homme plus terrible dans les combats. Il auroit été mieux à la tête d'une armée que sur le trône de Saint-Pierre. C'est qu'en effet nul papa n'avait défendu mieux que Jules II la liberté et la nationalité italiennes contre les envahisseurs, que dans la fierté d'un digne successeur des Césars, il appelait constamment des barbares.

Pendant cette entrevue de Bologne, de grandes affaires furent négociées ; le pape et le roi se donnèrent réciproquement parole de respecter leurs possessions mutuelles. Bologne demeura désormais dans le domaine du pape comme le patrimoine de Saint-Pierre ; Florence fut assurée aux Médicis avec la dictature souveraine, tandis que Parme et Plaisance restaient au roi comme des adhérents au Milanais. François Ier n'imposa qu'une chose au pontife, ce fut de retirer les troupes papales du service de l'empereur et de témoigner ainsi sa velouté de briser tout rapport avec les Allemands. Léon X mit une haute importance à détourner les Français de toute expédition contre Naples, pensée qui semblait dominer l'esprit du roi ; la rapidité avec laquelle le Milanais venait d'être conquis avait enflé le cœur de cette chevalerie. J'ai déjà dit les vives impressions que le ciel de Naples avait laissées parmi ces hommes de France ; ils en rêvaient comme de la plus belle époque de leur vie, car les vieux gens d'armes avaient servi sous Charles VIII et Louis XII. Il y eut donc pour le pontife une certaine habileté à gagner du temps ; il remontra confidentiellement au roi que des traités légitimes assuroient à Ferdinand d'Aragon le trône de Naples qui, à sa mort, devenoit vacant. Le pape ne se souciait pas de voir à Capoue ces terribles voisins les Français, déjà maîtres de Parme et de Plaisance ; le roi d'ailleurs se déclarait le protecteur des vassaux du pape, et Léon X redoutait cette intervention, bienveillante d'abord, mais qui pouvait se changer en une sorte de droit du glaive. Et quels étaient ces vassaux ? les ducs de Ferrare de la maison d'Este, tour à tour amis et persécuteurs du Tasse, et le duc d'Urbin que Léon X considérait comme un rebelle. En face de ces intérêts, la tendance de François Ier était donc de se poser en médiateur pour exercer une sorte de suzeraineté sur les petits princes d'Italie ; sous ce point de vue, le pape ne devait subir que forcément ce nouveau rôle des rois de France. L'Italie ne pouvait reconnaître pour suzerain qu'un homme de race italienne, et voilà pourquoi Léon cherchait à en investir sa famille, les Médicis.

A ces questions de politique intérieure vinrent bientôt se mêler des difficultés religieuses d'une haute importance. Depuis la pragmatique de Charles VII, la France était considérée par les papes comme frappée d'une sorte de schisme et d'interdit ; la pragmatique, œuvre parlementaire, consacrait le principe des élections, tour à tour défendu, modifié et prescrit dans les églises de France. Ce serait reprendre un point historique vingt fois discuté que d'examiner si le système électif (pour les bénéfices[3]) était plus dans l'esprit de l'Église que la désignation royale. Au temps du christianisme persécuté, les fidèles, réunis dans les catacombes, dans les cités tumultueuses de l'Égypte ou de la Judée, élisaient leurs pasteurs ; l'exemple en est dans l'Écriture ; plus tard on voit les évêques et les pontifes désignés par les empereurs ou les rois. En toute hypothèse historique, les évêques n'étaient définitivement consacrés que par l'envoi du pallium et de la crosse pontificale, signe infaillible de l'unité catholique. Le système électoral avait prévalu longtemps en France, dans les monastères surtout où les dignités restaient au choix des religieux, comme les officiers municipaux au choix du peuple dans les petites républiques du moyen âge. En Angleterre comme en France, ces élections, souvent causes de scandale, offraient le triste spectacle des brigues, et lorsque la réforme des mœurs était imposée aux monastères, ils se hâtaient de choisir parmi eux le plus indulgent des abbés, afin de conserver la mollesse et la douce vie. Les pontifes, gardiens de la discipline, cherchaient à corriger ces vices des élections ; et de là souvent les vifs débats entre les moines et les papes. Toute la chronique de Mathieu Paris[4] est une révélation de ces querelles avec Rome dont Luther dévient le symbole audacieux. Ce que veulent donc conserver les souverains pontifes, c'est la légitime faculté de repousser un candidat indigne par ses mœurs ou par son ignorance, c'est enfin le droit absolu du pallium et des annates, qui sont comme la redevance des Églises particulières envers l'Église Universelle, un hommage immense à l'unité. La préférence des rois, pour le choix des bénéfices, tenait plutôt à des questions de finances qu'à la bonne ou mauvaise application des doctrines. L'Église était puissante et riche ; chaque évêché avait ses revenus, chaque abbaye ses biens propres ; si les élections s'opéraient par les clercs, sans l'intervention royale, tous ces biens seraient régis et administrés en dehors de l'autorité royale : comment le prince serait-il donc appelé à disposer des bénéfices de l'Église ? Rien de plus simple, en face du scandale des élections, que de poser ce double principe : 1° le roi désignera les évêques, les abbés possesseurs des bénéfices ; 2° comme la première loi de l'Église est l'unité de Rome, le candidat désigné par le roi sollicitera le pallium et la crosse des mains du pape en payant les annates.

Ainsi, le chancelier Duprat avait envisagé la grande affaire de l'Église, dans un traité définitif avec le pape, convention d'autant plus urgente que la rébellion de Luther agitait déjà les écoles. Si l'on avait laissé les élections libres, insubordonnées, sans dictature, un schisme aurait pu surgir au sein des Églises de France ! En temps de crise, il faut une autorité souveraine, et le concordat la partageait autre le pape et le roi. Tous les pouvoirs forts n'avaient jamais compris le gouvernement de l'Église en d'autres proportions, et la première application de Louis XI n'avait-elle pas été de révoquer la pragmatique sanction, cet acte qui se liait aux tristes débats de ces conciles de Bâle et de Constance qui portèrent le désordre dans l'Église.

Léon X intéressait François Ier au maintien de la foi, en le plaçant à la tête des bénéfices, et le roi saluait la dictature sainte et protectrice dans les mains du pape. La bulle est une admirable exposition des doctrines catholiques ; Quand le Christ, dit-il, institua son l'Église, il vit bien qu'il devoit tout instituer par lui-même, et voilà pourquoi il créa les apôtres, et les apôtres fondèrent à leur tour les évêchés, les paroisses ; sur les évêques ils placèrent le métropolitain, et par dessus eux Rome ; ils voulurent qu'eux tous fussent comme des ruisseaux, dérivant de l'éternelle fontaine de l'Église romaine. C'étoit pourquoi les papes avoient mis tant de soins afin d'arracher toutes racines et espines. Léon X avait en conséquence mûrement réfléchi combien de traités avaient été conclus entre les palpes et les rois de France, et particulièrement avec Louis XI, pour l'abolition de la pragmatique[5]. Nonobstant ces traités les évêques et les clercs ne voulaient pas renoncer à l'élection, et néanmoins les élections qui se sont faictes depuis plusieurs ans en ça es cathédrales, métropolitaines et monastères du royaume de France à grans dangers des âmes provenoient, en tant que plusieurs se faisoient par abus de puissance séculière, et les autres par précédentes pactions, symoniacles, et illicites, les autres par particulière amour, affection de sang, et non sans crime de parjuremens. Car combien que les électeurs, avant l'élection qu'ils debvoient faire, eussent promis qu'ils debvoient eslire le plus idoyne et suffisant : non pas celuy qui, par prières, promesses ou dons, les avoit sollicitez, et ainsi avant que procéder à l'élection, le jurassent ; néammoins, sans observer leur dict serment, au détriment, au préjudice de leurs âmes, ainsi que notoirement nous est apparu, par plusieurs absolutions et réabilitations obtenues de nous et de noz prédécesseurs, à leur dict serment auroient contrevenu.

Et dans la vue de corriger de tels abus, le pape veut que désormais, dans le royaume, au Dauphiné et au comté de Valentinois, il n'y ait plus d'élections par chapitre ; seulement, quand il y aura vacance, le roi de France choisira un grave et scientifique maître, licencié en théologie ou docteur, et ayant vingt-sept ans au moins, et ce candidat capable sera présenté au pape dans les six mois de la vacance, et si le saint-siège ne le jugeait pas tel, le roi ferait un choix nouveau dans les trois mois de la première élection ; et quant à ce qui touche au monastère, le roi choisira également les abbés parmi les moines de vingt-cinq ans au moins, et le prieuré sera également conféré à la personne que le roi désignera, à moins que les monastères n'aient d'antiques privilèges d'élections émanés du saint-siège. Le pape renonçait de lui-même à toute réserve personnelle spéciale, et en aucune hypothèse le choix ne viendrait directement de lui. Au reste, les bénéfices dans chaque collégiale ne pouvaient être donnés qu'à gens à résidence et gradués, savoir : après dix ans d'études en théologie, ou sept ans docteur ou licencié en droit canon, et devront justifier desdits grades par lettres authentiques ; et, s'il y a concurrence, les docteurs seront préférés aux licenciés, et les licenciés aux bacheliers ; les causes ecclésiastiques pourront désormais être terminées dans ce royaume sans recourir en cour de Rome, et lesdites causes devront être jugées dans l'espace de deux années au plus, sous peine d'excommunication ; les possesseurs actuels de bénéfices, pourvu qu'ils soient paisibles, ne pourront pas être troublés.

A ces prescriptions, le pape ajoute quelques dispositions disciplinaires pour corriger l'Église : S'il y a parmi les clercs un concubinaire public, incontinent il sera suspendu, et le supérieur devra l'admonester pour qu'il chasse sa concubine sous peine d'excommunication ; et le concubinaire sera celui qui entretient femme suspecte. Pour éviter les abus des excommunications, nul ne pourra y être astreint si la Censure n'est lancée par le jugé du lieu du domicile (on voit ici l'action du droit romain sur l'Église). On ne mettra plus l'interdit légèrement en certains lieux ; s'il y a personne coupable, elle devra être chassée ou expulsée, et immédiatement le service de Dieu sera repris. Et parce que nous considérons la singulière et très-entière dévotion de nostre dict fils le roy François, qu'il a monstre envers nous et ce dict siège apostolique, quand pour nous exhiber la filiale révérence, il a daigné venir en personne en nostre cité de Boulogne, désirant luy gratifier : consentons à l'accord faict par nous avecque luy, et désirons que perpétuellement, inviolablement il soit observé, voulant que le dict accord aye force et vertu de vray contract et obligation entre nous et ledict siège apostolique d'une part, et ledict roy et son royaume d'autre : sans ce que par nous, noz successeurs ou le siège susdict y puisse estre aucunement dérogé par quelconques lettres et grâces esmanées ou à esmaner. Le pape s'engageait en outre à faire confirmer le concordat par le concile de Latran, actuellement convoqué. L'an de l'Incarnation 1516, et le 14e jour des kalendes de janvier, cette grande bulle fut scellée[6].

Le sens du concordat de François Ier était facile à comprendre ; il se liait spécialement à la situation agitée de l'Église, par suite de la prédication de Luther, L'abus des élections avait rempli les monastères de troubles et de mauvaises mœurs ; il y avait esprit d'ignorance et de disputes, étrange abus des bénéfices. Dans cette agitation de l'Église, il fallait constituer une dictature forte pour assurer de bons choix, un contrôle pour les candidats, et telle fut la base fondamentale du concordat. Le roi dut choisir désormais parmi les docteurs, bacheliers ou clercs capables de recevoir la dignité de l'Église, et il les désignait au pape. Tout se fît donc avec ordre et mesure ; plus de disputes, le débat est entre les deux autorités ; l'Église se monarchise, elle invoque la dictature, car elle est menacée ; la royauté se lie au pape, le catholicisme attire à lui la royauté, le concordat commande la science aux clercs, ils ont trop oublié cette destination. Le pontife si éclairé, un Médicis, leur impose la nécessité de l'étude ; les mœurs sont relâchées, Luther et les réformateurs ne se font pas faute de vivre dans le concubinage ; Léon X veut que ceux-là soient chassés de parmi les clercs ; c'est par la pureté et la sainteté que l'Église doit échapper aux dangers qui la menacent.

Le concordat fut ainsi une loi d'ordre, de morale et de discipline ; et pour faire une grande concession au roi, pour lui laisser la pleine et entière souveraineté dans son royaume, le pape restreignit la faculté d'excommunication et d'interdit dont le moyen âge est tout agité encore : n'était-ce pas pour ces temps de jeunesse et de croyance l'arme immense des papes ? N'avait-on pas vu des royaumes, des provinces, tout entiers, privés des secours de l'Église, ou de ces émotions religieuses qui faisaient la douceur ou la crainte de la vie ? Léon X dirigeait mieux cette arme redoutable ; son esprit éclairé semblait deviner qu'il ne fallait pas menacer la puissance des rois en face des périls de la réforme. Pour faire consacrer la dictature des papes, il fallait la partager avec la souveraineté temporelle des rois.

Le concordat, acte de force et d'intelligence de Léon X et de François Ier, heurtait trop d'habitudes pour ne pas soulever d'immenses oppositions ; il s'adressait à deux puissances spécialement inquiètes : à l'Église nationale, qui invoquait ses franchises, et au parlement, toujours éveillé sur le maintien de ses prérogatives : Église, université, parlement, plus d'une fois avaient lutté avec Rome, Sans jamais se séparer absolument de la papauté, la majorité des évêques de France tenait à la pragmatique sanction et aux doctrines proclamées par le concile de Constance sur les élections et les libertés de l'Église gallicane, sorte de constitution séparée, protestantisme sans courage. L'Église se rétrécissait dans l'État en abdiquant ce principe d'universalité, caractère divin et social du catholicisme ; les parlementaires, gardiens des libertés de l'Église gallicane, soutenaient que tous les actes émanés de la puissance royale devaient être enregistrés au parlement.

Dans cette situation des esprits et afin de gagner l'appui de son parlement, le roi s'était empressé dé lui envoyer une charte parcheminée de tout ce que le pape : avoit octroyé au roi très-chrestien, notre souverain naturel, à Bologne, où ledict seigneur avoit été en personne faire l'obéissance filiale ; et premièrement le concordat qui est le plus grand et excellent privilège que sortit oncques du saint-siége apostolique ; qu'il luy donna cent quarante et deux mille livres tournois et privilège sa vie durant de pouvoir nommer à toutes églises et monastères du duché de Bretagne ; semblable privilège pour le comté de Provence, pareil privilège pour le duché de Milan, la révocation de l'évesché de Bourges, la révocation de l'évesché de Chambéry, une décime, la croisade ; privilège que ceux qui suivent la cour pour la réception de tous les sacrements seront réputés être des paroisses où seront situées les maisons esquelles seront logés ; la révocation de l'administration de l'évesché de Tournay, baillé à l'évesque d'York ; une légation de Laterœ pour deux ans en France ; absolution générale à tous les sujets du roy de tous les excommuniements laissés par pape Jules à l'encontre d'eux, tant durant le concile de Pise que les guerres qu'il eut contre le feu roy ; permission de construire deux églises de l'ordre des Célestins, l'une à Sainte-Brigitte, au duché de Milan, et l'autre en France, à Romorantin, indulgence plénière aux chevaliers de l'ordre qui seront à la messe le jour Sainte-Croix de septembre ; bulles par lesquelles annule les impétrations des bénéfices qui seront faits dedans l'an de la présente impétration après la vacation, sous la couleur que la vraye valeur n'a été exprimée ; provision par laquelle est enjoint à tous évêques, archevêques et curez de admonester les clercs de porter habit et tonsure, et vivre en la manière contenue en droit, etc., lesquelles monitions générales veut qu elles soient de tel effet que si estoient particulièrement faictes, et que post trinam monitionem generalem nisi, etc., non gaudeam privilegio clericali, qui est un beau et singulier privilège en ce royaume[7].

Ces dons, émanés de la suprématie pontificale, étaient magnifiques, et si le parlement avait compris combien, dans les périls de l'Église attaquée par la réforme, il était essentiel de centraliser son pouvoir, il n'eût pas essayé une formidable opposition. Mais les parlementaires ne raisonnaient pas ainsi : les élections ecclésiastiques plaçaient, pour ainsi dire, les bénéfices entre leurs mains. Presque toujours les cadets de race parlementaire étaient possesseurs des dignités de l'Église, et par le nouveau concordat le roi en prenait, de concert avec le pape, l'absolue disposition. A peine François Ier avait-il revu sa cour de Paris[8], que cette grande affaire du concordat prit une importance de disputes et d'agitation. Devinant toute l'opposition parlementaire, François Ier vint en personne au palais, accompagné du connétable de Bourbon, du prince de la Roche-Guyon, du grand-maître de Boisy, du sire de la Trémoille y du chancelier Duprat, nobles chefs qui avaient pris part à la guerre d'Italie et aux négociations. A peine arrivé à son parlement dans son appareil de guerre, le roi fit appeler autour de lui la Tournelle et les Enquêtes ; le chancelier Duprat, véritable négociateur du concordat, leur en exposa les bases : n'étoit-il pas vrai que la pragmatique sanction étoit tombée en désuétude et les adhérents à ce concile proclamés schismatiques ? Le royaume alloit être jeté en interdit. Or, pour éviter ce grand ravage des âmes, notre sire avoit conféré avec le saint père à Bologne, et de cette entrevue étoit résulté un concordat, aussi utile aux universités qu'à l'Église du royaume. Les Enquêtes se retirèrent sans dire mot. L'avocat du roi Le Lièvre rendit compte à la cour de la teneur du concordat ; et il fut répondu qu'il serait nommé des commissaires pour examiner le danger d'anéantir les libertés de l'Église gallicane. Ces commissaires, messires André Verius, Nicole Le Maistre, François de Loynes et Pierre Prudhomme, conseillers, déclarèrent d'abord que la matière étoit trop importante pour être traitée dans une commission de quatre seulement, et il y fut adjoint six autres commissaires. L'avocat général Le Lièvre se rendit appelant du concordat, et Voulut que la cour donnât ses arrêts conformes à la pragmatique sanction sans tenir compte des bulles.

Voici donc la guerre qui s'engage entre la puissance royale et le parlement sur l'organisation ecclésiastique du royaume ; le roi soutient le concordat avec fermeté ; les parlementaires se Jettent dans la défense de la pragmatique sanction, système électoral désordonné en dehors du principe de l'unité. Il fallait en finir avec ces bavards de palais, et le connétable de Bourbon, symbole du parti militaire, apporta d'autorité le concordat de Bologne en demandant qu'il fût enregistré, les parlementaires répondirent par cette parole sacramentelle : La cour examinera. Alors le chancelier Duprat vient aux chambres avec tout l'appareil de l'autorité royale : dans ses mains il tient deux livres en beaux parchemins, l'un couvert de drap d'or (l'abolition de la pragmatique), l'autre de damas blanc (le concordat) ; tous deux portent le scel de plomb, aux armes du pape et du roi. Puis les huissiers annoncent le bâtard de Savoie y fier homme d'armes | il tient haut une charte royale, et il la lit à voix retentissante : Le roi, souverain seigneur ; s'étonne que le parlement se soit refusé à publier le concordat ; si voulons et vous mandons que escoutiez nostre oncle de ce qu'il vous en dira de par nous, tout ainsi que vous feriez nostre propre personne, et au surplus procédez à l'expédition dudit concordat[9], selon la forme et teneur, et affin que nous puissions sçavoir et bien entendre à la vérité, comme la matière aura esté despeschée et les difficultés qui scy seront, tant en général que en particulier, trouvées. Nous voulons et vous mandons que à la délibération de la matière nostre oncle soit présent et assiste avec vous tous, ainsy que nous pourrions faire si y étions en personne, et qu'il n'y ait point de faute, car tel est nostre plaisir. Donné à Amiens le 21e jour de juin. Signé Françoys, et plus bas, Robertet.

Le bâtard de Savoie, tirant son épée, ajouta : Messieurs, le roi est fort mécontent de vous. Et le premier président répliqua sans hésiter : Monseigneur, nous travaillons nuit et jour, sur le dict concordat ; au reste c'est une chose bien nouvelle que vostre présence en nos délibérations, et le bâtard, les yeux tout colères, se relira, tandis que le parlement désignait une députation pour aller vers le roi remontrer sur ses privilèges méconnus. Elle partit bientôt pour Amiens, cette députation en robe rouge, avec tout le cérémonial capable de frapper les yeux. Le vieux président Jehan de la Haye et Nicole d'Origny se présentèrent à Madame d'Angoulême, la mère du roi, qui leur dit que son fils était chassant au village de Nempont, à deux lieues de Montreuil, et les graves magistrats y coururent. Le roi était après son dîner ; il les accueillit d'un bon visage dans une embrasure de croisée ; puis, il leur parla fort durement, leur disant que en sa cour de parlement y avoit aucuns gens de bien, mais aussi il y en avoit qui, n'estoient que fous, et qu'il le savoit et les connoissoit, et qu'ils tenoient propos et caquets de lui et de la despense de sa maison, et qu'il estoit roy aussy bien que ses prédécesseurs pour se faire obéir ; que ceux de la cour flattoient le feu roy en l'appelant père de justice, et qu'il vouloit autant que justice fust faicte que nul de ses prédécesseurs, et que du temps du feu roy, il y avoit eu gens envoyés hors du royaume pour ce qu'ils n'avoient pas obéi ; c'est assavoir un delà cour pour l'abbaye Saint-Denis, et deux pour un évesché de Normandie dont un étoit d'icelle cour ; et si on ne luy obéyssoit, il en envoyeroit à Bourdeaux et à Toulouse, et qu'il en avoit de tout pretz plus gens de bien que ceux qui y estoient, qu'il mettroit en leur lieu, et qu'il vouloit que le bastard de Savoye son oncle assistast tout du long à la délibération de la matière des dicts concordats pour luy rapporter en général et en particulier les opinions ; et vouloit qu'ils feussent leuz, publies et enregistrez en ladicte cour, et que ils le seroient[10].

Les députés insistèrent pour obtenir que le bâtard de Savoie ne fût pas présent aux délibérations de la Compagnie, toujours secrètes, et le roi reprenant la parole dit à plusieurs reprises.... Il y sera, il y sera, et le dites à la cour. Les députés lui ayant ensuite demandé si dans le cas où le parlement aurait quelques remontrances à lui faire, il n'agréerait pas qu'il envoyât près de lui, le roi en se retirant leur dit : Je manderai mes volontés au bastard. Enfin les députés, avant leur départ, avaient encore demandé au roi s'il voulait écrire à la compagnie, ou les charger de quelques ordres pour elle, et le roi avait répondu Non d'une manière impérative[11].

François Ier s'était donc hautement exprimé sur le concordat ; il avait menacé son parlement et les gens de loi qui défendaient pied à pied la pragmatique sanction, la charte électorale de l'Église gallicane. La résistance se déploya quelque temps encore ; mais les hommes d'armes s'indignaient que les gens de justice fissent opposition et le bâtard de Savoie en était comme le représentant brutal dans le sein même de la cour souveraine. Le parlement se décida donc à enregistrer : mais d'exprès commandement de Sa Majesté, sorte de formule déjà consacrée, qui exprimait sa désapprobation. Ce concordat de François Ier et de Léon X devint ensuite la loi du royaume, réglant désormais les rapports des rois avec les papes. Ce fut une forte pensée à la face de la réforme que de créer cette double dictature ! On enlevait les idées catholiques au désordre de la pragmatique électorale pour les faire passer sous la loi de l'unité. Le concordat préserva peut-être la France d'un grand schisme qui aurait détruit sa nationalité.

 

 

 



[1] Le roi ne laisse pas une seule occasion d'instruire sa mère bien-aimée de sa situation en Italie.

Lettre de la main de François Ier à madame d'Angoulême. — Bib. des Célest., collect. de M. Menant, audit, et doyen de la chamb. des compt., tome VIII, fol. 84.

Madame, pour ce que je suys certayn que ne trouverés facheux l'apointement des Souysses comme je suis seur que des seteure le savés ne vous saroys dire autre chouse synon que j'ay espérance de bientoust vous rapporter an France, l'onneur, la victoyre, le pays et la terre, laquelle à l'aide de vous et de votre fis puisquel est si bien commensée se conservera. Noutre St.-Père fayt bon sanblant de vouloyr antretenyr le bien de pays. J'ay espérance bientoust de sa propre bouche d'en savoyr son intensyon et cela fait m'an retourneray en sète vyle pour vous aller le plustout quy me sera posyble trouver. Car je vous asseure, Madame, que la plus grant anvye que j'aye en ce monde celle qu'a de vous povoyr voyr et ouy parler.

Madame, vous avez donné une abaye au frère de Chandyon. J'ay seud l'on luy fayt empêchement, vous avés fayt le commasemant je vous suplye faire la fyn an sorte que sond. frère demeure paysyble.

Madame, je vous envoie Tranche Lyon, lyeutenant de ma garde qui m'a tousjours bien servyt pour se que il ne peut plus porter la poyne de me suivre. Je l'ay ordonné pour demeurer aveques ma fyle sy vous plest Madame, vous l'y mettrés.

Votre très humble et très obéissant fis. François.

Madame, toutes chousses sont faittes jusqUes à sabyfère aus Souysses et a contynues la despance commansée a quoy juques icy vous aves fayt plus que le possyble, je vous supplye parachever et que les estats qu'avez fays pour les moys de décembre et janvier sortet effet car sans sela je seroys demeure ce que je suys sens ne voudryez et croyés que de ceuste ysy s'est fait et fera ce qu'on pourra. À Madame.

[2] Henri VIII, alors grand protecteur de l'Église, avait écrit à François Ier, pour lui recommander le pape, 11 septembre 1515. — Mss. de Béthune, vol. coté 8582, fol. 185.

Très hault et très puissant prince, notre très chier et très amé frère et cousin, a vous très affectueusement et de bon cueur nous recommandons. Votre ambassadeur, icy vers nous, a porté vos lettres dactées au camp le XXIIIe jour du mois d'aoust précèdent, le contenu desquelles nous avons bien au long entendu, et vous merchions très cordialement de l'advertissement que nous faictes de votre bonne prospérité en vos affaires de la les Montz, et en suysmes autant joyeulx que si la bonne fortune estoit venue à nous mesmes, pour la très singulière delection que vous portons, et nous avez fait grand plaisir de nous avoir adverty combien que nous entendons au dernier de votre lettre qu'il y a quelque différens qui sont envoye de soudre entre notre très sainct père le pappe et vous, de quoy serions très dolens et marris autant qu'il est comprins de votre part et de la notre, traictié de paix comme nôtre principal confédéré et allié, et toutes fois nous esperons que vous conduyrez envers sa saincteté comme vray et obéissat fils de l'église, et que ne ferez ne atemperez aucune chose allencontre d'icelle. Car au cas que vous le faictes vous pourrez procurer le mal vouloir et desplaisirs de tous autres princes chrétiens, lesquels sont tenuz et nous principalement obligez pour plusieurs considéracions de luy ayder et deffendre comme nous l'avons dit et déclairé en plus oultre à votre ambassadeur, lequel ne faisons aucune doubte, vous en advertir bien au long. Priant au surplus notre Seigneur qu'il vous ait, très hault et très puissant prince, notre très cher et très amé frère et cousin, en sa très saincte et digne garde. Escript en notre manoir de Olking, le XIe jour de septembre, l'an 1515.

Votre bon frère et cousin. Henri.

[3] Un décret porté dans la vingt-huitième session du concile de Bâle, défendait qu'il ne fût pris à la cour de Rome, et partout ailleurs, aucune chose pour les élections, confirmations d'icelles, présentations, collations, provisions, institutions, installations et investitures de toutes sortes de bénéfices, ni aussi pour les ordres sacrés, bénédiction et envoi du pallium.

[4] Voyez mon travail sur Philippe Auguste, t. II, in-8°.

[5] Pie II, en 1464, obtint de Louis XI, l'abolition de la pragmatique ; mais l'Université s'y opposa, et la déclaration du roi ne fut pas mise en exécution. Paul II, en 1467, revint à la charge ; Louis XI se laissa encore gagner ; sa déclaration passa au Châtelet sans opposition ; mais l'Université et le parlement ne voulurent pas se rendre. Charles VIII et Louis XII firent exactement observer la pragmatique. Jules II, dans le concile de Latran, lança les foudres de l'Église contre ceux qui la soutiendraient.

[6] Le concordat conclu à Bologne au mois de décembre 1515, et signé à Rome le. 16 août 1516, fut enregistré au parlement le 22 mars 1518, par ordonnance et commandement exprès du roi (de expressissimo mandato regis). Registre du parl., 1er vol. de François Ier, coté K, f° 253.

[7] Bibl. Royale, Mss. de M. A. Faur, coté 8470, 2.

[8] François Ier avait averti M. de Lafayette de son prochain retour à Paris.

Lettres de François Ier à M, de Lafayette, 23 janvier 1516. — Bib. du Roi, Mss. de Béthune, vol. coté 8582, f° 25.

Mons. de la Fayete, je vous advise que je suis de retour démon voiaige dltaiic, el avant mon parlement ay donné si bon ordre a mes affaires de delà que j'espère dorénavant avec l'ayde de Dieu y estre aussi bien roy que je suis en mon royaume, dont vous ay bien voulu advertir, a ce que faciez scavoir ma venue à mes bons et loyaulz subgectz et serviteurs en votre charge, vous advisant en demourant que je suis venu passer par ce beau et dévot lieu de la Baume et m'en voys par ce pays de Provence à Lyon pour tirer droit à Paris. Cependant je vous prie de donner tousjours bon ordre au fait de votre voiaige comme avez fait jusques icy, dont ay cause de me louer et contanter de vous, et de ce que vous surviendra de nouveau tant de vostre costé que d'ailleurs, je vous prie me advertir.

Je vous envoyé ung pacquet de lettres que j'escriptz au président Bapaumes, mon ambassadeur en Angleterre, lequel vous lui envoyerez en toute dilligence par homme exprez et vous me service très grand, en vous dizant à Dieu, Mons. de la Fayete que vous ait en sa garde. Escript à Marseille le XXIIIe jour de janvier. François.

[9] Voici les protestations que le parlement rédigea lors de l'enregistrement du concordat :

.... La cour, toutes chambres assemblées, voyant et considérant les grandes menaces dont on a usé à cet égard, ayant tout lieu d'appréhender sa propre dissolution qui entraîneroit celle du royaume, craignant que si aucunes peines étoient suscitées à l'occasion du délai de la publication du concordat, on ne lui impute les malheurs qui pourroient arriver ; craignant encore que les alliances faites ou à faire avec les autres princes chrétiens ne fussent rompues ou empêchées par le refus d'enregistrement, et après que la cour a fait tout ce qui étoit humainement possible pour obvier à cette publication et enregistrement, par-devant et en présence de sire Michel Blondel, évêque et duc de Langres, pair de France ; comme authentique personne elle a protesté et proteste tant en général qu'en, particulier, conjointement et divisément, qu'ils n'étoient et ne sont en leur liberté et franchise ; et si la publication a lieu ce n'étoit ni de l'ordonnance ni du consentement de la cour, mais par le commandement du roi, force et impressions ci-dessus déclarées, que ce n'étoit point leur intention déjuger les procès conformément au concordat, mais de garder, observer comme auparavant les saints décrets de la pragmatique sanction dont le procureur du roi auroit appelé, tant pour et au nom de la cour, que de tous les sujets du royaume, la cour adhérant à ce premier appel et y persistant, appelle de nouveau au pape mieux informé, au premier concile général, et à celui et à ceux auxquels il appartiendra.

[10] Procès-verbal des remontrances faictes en la cour de parlement, au mois de mars 1517 (1518) sur la publication des concordats d'entre le pape Léon X et le roy François Ier.  — Bibl. Royale, Mss. et in-12° imprimé, n° 4426.

[11] Consultez aussi pour tous ces faits, Ms. de M. A. Faur, cot. 8470-2, Bibl. Roy.