GABRIELLE D'ESTRÉES

ET LA POLITIQUE DE HENRI IV

 

III. — Les Huguenots (1550 — 1580).

 

 

Les écrivains même à l'esprit sérieux qui, dans les temps actuels, ont recueilli ou commenté les annales du XVIe siècle, considèrent ces temps d'agitation et de troubles publics comme dominés par la question toute moderne de la liberté de conscience ; c'est là une erreur ! Dans ces temps de représailles sanglantes, il s'agissait moins d'intérêts vagues et philosophiques, que de passions spontanées et de réactions violentes et populaires; les édits de Henri II, de François II, eurent pour but plutôt de contenir la rébellion, que d'imposer des doctrines religieuses, et si, après le concordat de Léon X et les canons du concile de Trente, il fut pris quelques mesures contre le prêche, ces mesures, il faut l'avouer, durent être exécutées avec indifférence et mollesse, puisque la doctrine de Luther et de Calvin envahît au moins un cinquième de la population de la France : les universités, les écoles, plus de la moitié des féodaux, les agrestes populations des Alpes, des Cévennes, du Béarn et de la Gascogne, qui professèrent la doctrine du prêche et la haine de la messe.

Tous ces moines défroqués ou ces universitaires érudits, aux vêtements noirs, à la calotte crasseuse, à la figure vulgaire, Luther, Calvin, Mélanchton, n'auraient exercé aucune influence sur cette société élégante de la renaissance, si, derrière leurs enseignements, il n'y avait eu des passions féodales[1], des instincts grossiers, licencieux ; des rois, des princes, qui voulaient répudier leurs femmes, vivre en polygamie ; des barons avides des biens de l'Église ou des monastères! La réforme ne fut qu'un moyen de s'emparer du pouvoir, et, en France, cet esprit éclata par la conspiration d'Amboise, événement qu'il faut profondément étudier si l'on veut s'expliquer la plupart des édits et des actes politiques des Valois.

On était sous le règne de François II, le frêle jeune homme, le noble époux de Marie Stuart, lorsque un avocat craintif du nom d'Avenelle vint révéler au conseil du roi la vaste conjuration, qui devait substituer le gouvernement des féodaux calvinistes, Condé, le roi de Navarre, Coligny, Castelnau, à l'influence de Catherine de Médicis, de Marie Stuart et des Guises. La conjuration, dont le principe était à l'étranger, en Suisse, en Allemagne, en Angleterre, devait agir à main armée; et, au jour indiqué, l'insurrection des provinces devait éclater ; six cents gentilshommes, tous calvinistes, armés d'arquebuses, pertuisanes, feraient une invasion subite sur Blois, où alors s'abritaient François II, la reine Catherine de Médicis[2], Marie Stuart, le cardinal de Lorraine; on devait faire main basse sur les Guises et s'emparer des deux reines. Quant à François II, on devait le prendre, comme au jeu des échecs on prend le Roi, pour décider la partie : on devait le placer à la tête du parti huguenot qui gouvernerait en son nom. Jamais les Calvinistes n'aspirèrent philosophiquement au XVIe siècle à ce qu'on a depuis appelé la liberté de conscience; ils voulaient s'emparer du pouvoir, dernier but des partis en armes. Tout ce qu'ils disaient dans un autre sens n'était qu'un faux drapeau ou un prétexte.

Averti de ce vaste complot, le duc de Guise, le héros qui venait de délivrer la France de la double invasion des Anglais et des reîtres d'Allemagne, reçut le titre et les pleins pouvoirs de lieutenant-général du royaume[3]. Pour ne laisser aucun prétexte, aucun grief sérieux aux Calvinistes, le roi publia un édit qui donnait la liberté au prêche; et à la suite de cet édit, le duc de Guise conduisit François II au château d'Amboise, pour le mettre à l'abri d'un coup de main trop facile à Blois, ville ouverte. Les nouvelles de la marche insurrectionnelle des Huguenots arrivaient de tout côté. On apprit que le baron de la Renaudie, fier et zélé calviniste, s'avançait vers Blois à la tête de six cents gentilshommes puritains comme lui[4]. Castelnau levait en même temps l'étendard de la révolte à Noisay. De tous côtés, des bandes armées sillonnaient les provinces. Le moment d'agir était venu, et le duc de Guise ne manqua pas à son devoir. Sur tous les points, la conjuration échoua par l'énergie et l'habileté du duc ; il se fit partout une répression violente; les catholiques secondèrent, avec une puissante volonté, les intentions du duc de Guise ; les projets des Huguenots furent déjoués au milieu de l'enthousiasme populaire qui environnait les Lorrains, La conjuration d'Amboise, à côté des hardies et tristes victimes qu'elle fit parmi les Calvinistes armés, révéla bien des lâchetés ou des faiblesses dans leurs chefs. Le roi de Navarre et Coligny prirent la fuite ; le prince de Condé vint humblement désavouer le complot.

Le parti calviniste aurait éprouvé un échec profond, irréparable, à la suite de cette conjuration échouée, si la mort de François II n'eut amené l'avènement de Charles IX et la régence de Catherine de Médicis, l'esprit modéré de cette époque. Charles IX avait, on le répète, une véritable tendance pour le prêche calviniste, et Catherine de Médicis, qui craignait l'influence des Guises, espérait trouver, parmi les Huguenots, plus de calme et une résistance à l'esprit absolu de la maison de Lorraine : c'est dans ce but qu elle donna toute sa confiance au chancelier de l'Hôpital, son ami, l'auteur de tous les édits de tolérance qui marquèrent ce règne. Le premier de ces édits, appelé de Saint-Germain[5], assurait toute la liberté au prêche, sans que les Catholiques pussent la troubler, pourvu qu'il n'y eut plus de réunions séditieuses, et Catherine de Médicis accorda même le fameux colloque de Poissy[6] pour disputer des dogmes de la foi sur le pied de la plus absolue égalité entre Catholiques et Calvinistes. Charles IX se dessinait pour les opinions les plus modérées avec une tendance marquée vers la réformation. Le prince de Condé et l'amiral Coligny furent déclarés chefs du conseil, et, sous leur influence, parut l'édit du mois de janvier 1562 qui assura la pleine liberté aux Huguenots, édit qui fut l'œuvre du chancelier de l'Hôpital, si aimé de Charles IX. Le gouvernement placé dans les mains de Coligny et de Condé[7] fut très-intolérant à l'égard des Catholiques ; souvent ce que les partis appellent tolérance n'est que le droit pour eux de tout faire, et ce qu ils décorent du nom de liberté n'est que le triomphe absolu de leurs idées.

Les Huguenots en vinrent à ce point d'intolérance envers les Catholiques, qu'ils voulurent interdire l'usage des cloches et des chants d'église, les processions du Saint-Sacrement; les partis en minorité se montrent exigeants, impératifs, parce qu'ils sont relativement faibles. Alors les masses catholiques abandonnées par le roi, se choisirent un chef dans le duc de Guise qui, le visage ensanglanté d'un coup de pierre lancé par les Calvinistes à Vassy, ordonna la prise d'armes et marcha droit sur Paris, qui accueillit avec transport le héros populaire, car la cité était ardemment catholique[8]. Impuissants à Paris, les Huguenots placèrent le siège de leur gouvernement fédéral et féodal à Orléans ; et, en tous les lieux où ils étaient les plus forts, ils détruisaient les églises catholiques. A Valence, Grenoble, Lyon, il y eut des scènes de vandalisme dont les traces restent encore; comme à Anvers, Maline, Gand, sous prétexte que la Bible défendait les images, les Huguenots mutilaient les saints, descendaient avec des cordes du haut des cathédrales les vierges et le Christ même, objet de la vénération des peuples depuis des siècles; les gravures contemporaines ont conservé ces hideux tableaux. Ce n'était pas certes la liberté de conscience, il s'agissait du triomphe violent de la réformation austère sur le culte imagé et populaire des églises[9].

Toujours le parti huguenot avait été lié avec l'étranger, il ne pouvait pas se soutenir sans l'appui des nations dévouées à la réforme : Angleterre, Allemagne, Suisse, Hollande, et les chefs de ce parti, Condé, Coligny, le roi de Navarre, livrèrent le Havre aux Anglais, tandis que le duc de Guise reconquérait sur eux Calais et Boulogne; François de Guise venait de reprendre le Havre, et portait le siège devant Orléans, forte place d'armes des Calvinistes, lorsqu'il fut arquebuse devant les murailles. Le plus acharné et le plus tenace des caractères, l'amiral Coligny, avait voué aux Guises une haine implacable ; le chef de la maison de Lorraine assiégeait Orléans, lorsqu'un familier féodal (ce qu'on appelait alors un domestique) de l'amiral Coligny, du nom de Poltrot, tira par traîtrise un coup de pistolet au duc de Guise, et afin que ce coup ne manqua pas de donner la mort, les deux balles étaient empoisonnées ; le héros, le Macchabée des Catholiques expira, en laissant un deuil profond[10] et populaire. Les familiers de la maison de Lorraine jurèrent de tirer une vengeance éclatante de ce meurtre ; la mort du duc de Guise aurait ses représailles ! et les membres de la famille en deuil le jurèrent hautement. Charles IX déclaré majeur se prononçait de plus en plus pour les Huguenots, malgré leurs prétentions exagérées; un édit du roi défendit même toutes poursuites sur le meurtre de François de Guise, afin d'éviter les réactions. Charles IX et sa mère, en parcourant les provinces, cherchaient à apaiser les partis[11], tous deux vinrent jusqu'aux Pyrénées pour y voir Catherine de Valois, la femme de Philippe II, leur fille, et leur sœur. Les Huguenots prirent ombrage de ce colloque : que s'était-il donc passé entre le roi catholique et Catherine de Médicis! Les chefs reprirent les armes, ils en vinrent à ce point de hardiesse de faire entourer la petite escorte du roi par les reîtres et les lansquenets, afin de l'enlever. Charles IX eut constamment l'épée à la main jusqu'au Louvre, où il convoqua les chefs des Huguenots : fallait-il continuer la guerre civile? N'y avait-il pas moyen de balancer les influences les unes par les autres? Fallait-il se condamner éternellement aux luttes publiques ? Alors fut proposé le mariage de Henri de Béarn avec Marguerite de Valois.

 

 

 



[1] Le connétable de Bourbon, le prince de Condé, le roi de Navarre, les Montmorency.

[2] Il existe une multitude de récits calvinistes ou catholiques sur la conjuration d'Amboise. On peut lire dans la Collection Colbert, Biblioth. Impér., vol. XXVII, l'Avertissement et complainte au peuple français ensemble le tumulte d'Amboise, 1560.

[3] Pouvoir obtenu, par le duc de Guise du roi François II, à Amboise, 1559.

[4] La marche des Huguenots a été reproduite par la gravure. Biblioth. Impér. Collection des estampes, 1559, 1560.

[5] Registre au parlement, 1er mars 1560.

[6] Discours sur les actes de Poissy, contenant l'issue du colloque, Paris, 1561.

[7] Lettres envoyées par la Royne à M. le prince de Condé, par lesquelles elle le prie d'avoir en recommandation l'État du Royaume, 1562.

[8] Registre de l'Hôtel-de-Ville, 7, f° 124.

[9] Voyez un Mss. de Tristibus galliœ carmen. Discours sur les Saccagemens des églises catholiques par les huguenots. (Collect. Fontanieu, vol. in-8°, cot. p. 393, A. Biblioth. Impér.)

[10] Regrets sur le décès du très-illustre, très-catholique François de Lorraine duc de Guise, pair et grand chambellan de France, 1563.

[11] Voyez Etienne Pasquier, esprit de tiers parti très-favorable à ce système de modération. Liv. IV, litt. 23 : il n'a que des éloges pour Catherine de Médicis.