GABRIELLE D'ESTRÉES

ET LA POLITIQUE DE HENRI IV

 

II. — Les Valois.

 

 

A côté de cette famille agreste et un peu turbulente des Albret-Bourbon confinée aux Pyrénées, brave dans les batailles civiles à la tête des Huguenots, l'histoire aime à contempler la brillante cour des Valois dans les royales résidences de Fontainebleau, d'Amboise, d'Anet et du Louvre ; les arts de l'Italie respiraient dans ces œuvres de la renaissance : les châteaux, les jardins se peuplaient de statues ; François Ier, entouré des artistes les plus parfaits, aimait les belles choses, les jeux, les fêtes, les batailles, les conquêtes lointaines ; il avait vu les cités d'Italie : Milan, Venise, Gênes, et ces splendeurs, ces goûts, ces caprices, le roi les rapportait de l'autre côté des monts ; ils furent pour ainsi dire incrustés dans les habitudes des Valois par l'arrivée de Catherine de Médicis à la cour de France[1].

Il fut dans la fatalité de cette belle race des Valois d'être jugée par deux partis en armes ; les catholiques et les huguenots, qui ne purent jamais lui pardonner de les avoir contenus et réprimés. Ce que ne peuvent souffrir les opinions ardentes, c'est qu'un pouvoir reste indifférent au milieu d'elles, sans se dessiner passionnément pour leur triomphe. Les Valois eurent le malheur plus grand encore de finir comme dynastie ; les Bourbons, qui leur succédèrent, n'eurent ni intérêt, ni désir de défendre leur règne contre les calomnies des partis.

Henri II fut comme le dernier reflet de l'esprit chevaleresque du moyen-âge : roi à 28 ans[2], brave, généreux, galant, il se jeta sans hésiter dans la guerre contre les Anglais, qui venaient de prendre Boulogne : le roi chassa l'ennemi ; et après la paix signée, il n'hésita pas à porter ses armes contre Charles-Quint, en Allemagne, en Italie ; Henri déclaré protecteur des libertés germaniques, conquit à la lance et à l'épée, Metz, Toul, Verdun; et alors se forma cette alliance des Valois avec l'illustre famille de Lorraine composée de héros : François de Guise qui reçut le titre de lieutenant général du roi, chef de l'infanterie française, accomplit d'héroïques campagnes, tandis que les Huguenots et les tièdes catholiques, conduits en Picardie par l'amiral Coligny et le connétable de Montmorency, subissaient la honteuse défaite de Saint-Quentin[3]. Le roi dut, pour défendre la France, rappeler le duc de Guise de l'Italie : le héros chassa les Anglais, les Espagnols encore une fois ; et cette belle campagne amena la paix de Câteau-Cambresis.

A l'occasion des fêtes de la paix et pour célébrer le mariage arrêté entre Elisabeth de France et Philippe II d'Espagne, un splendide tournois fut préparé dans la rue Saint-Antoine : de beaux échafauds parés de mille étoffes, soie, velours et or, s'élevèrent autour du palais des Tournelles, et les dames y prirent place[4]. Henri II, en noble et galant chevalier, voulut jouter à la lance ; il fournit une belle course contre Jean de Montgommery, capitaine de la garde écossaise, chevalier brutal et peut-être félon qui, du tronçon de sa lance brisée, atteignit l'œil droit du roi ; la blessure fut profonde, et Henri II mourut quelques jours après. Montgomery, inquiet des haines qu'il soulevait, s'expatria. Le bruit courut qu'il avait blessé le roi à dessein[5] : à la cour il fut passé en proverbe, coup de huguenot, pour dire coup de traîtrise, et, Montgommery, criminellement poursuivi sous le règne suivant, n'échappa pas à la vengeance de Catherine de Médicis.

Henri II laissa quatre fils presqu'enfants qui formèrent la dernière et brillante lignée des Valois : François, Charles, Henri, Edouard (qui prit ensuite le nom de François duc d'Alençon), François II, ce jeune roi de seize ans à peine, fut le gracieux époux de Marie Stuart. Aimables cours que celle de France et d'Ecosse ! Poésie, galanterie, joutes et carrousels. Les Guises, populaires, vainqueurs des Anglais, prirent la direction de l'Etat, ce fut leur règne pour ainsi dire à Fontainebleau, ce palais artistique, création de François Ier, avec ses jardins et ses délices. La grande famille des Guises protégeait l'unité et l'ordre dans la monarchie agitée. François II l'ami du chancelier de L'Hôpital mourut à 18 ans à peine[6] : aussitôt après la forte répression de la conjuration d'Amboise, il avait régné dix-sept mois; il passait sur le trône sans y laisser d'empreintes ; sa veuve, Marie Stuart, se voua au deuil toute sa vie. Après les funérailles de Saint-Denis, elle ne souhaita plus ni plaisirs, ni distractions ; ce qu'elle exprime avec une si douce mélancolie.

Qui en mon doux printems

Et fleur de ma jeunesse.

Toutes les peines sont

D'une extrême tristesse.

Et en rien n'ay plaisir

Qu'en regret et désir.

Ce qui m'estait plaisant

Or m'est peine dure,

Le jour le plus luisant

M'est amer et obscur.

Et n'est rien si exquis

Qui de moi soit resquis.

J'ai au cœur et à l'œil

Un portrait et image,

Qui figure mon deuil

En mon pâle visage.

De violettes taint

Qui est l'amoureux teinct.

Ce portrait, ce visage était celui de François II.

Enfant de onze ans, le second fils de Henri II prit la couronne sous le nom de Charles IX, roi, poète, artiste, peintre, musicien, grand chasseur surtout ; rien de plus aimable que cet enfant si fortement constitué qu'on eut dit le fils d'un géant des épopées chevaleresques, protecteur des lettres, l'ami, l'élève d'Amyot le traducteur de Plutarque, le plus charmant jeune homme qui fut oncque. Charles IX faisait de fort jolis vers : admirateur de Ronsard, avec une grâce parfaite, le roi l'invitait à le suivre.

Il faut suivre ton roi qui t'aime par sur tous[7].

Charles IX lui-même, avec une modestie spirituelle, exprimait la supériorité des poètes sur les rois.

L'art de faire des vers, dût-on s'en indigner,

Doit être à plus haut prix que celui de régner ;

Tous deux également nous portons des couronnes,

Mais roi, je la reçois, poète tu les donnes ;

Ta lyre, qui ravit par de si doux accords,

T'asservit les esprits dont je n'ai que les corps ;

Elle t'en rend le maître et te sait introduire

Où le plus fier tyran ne peut avoir d'empire[8].

Charles IX, ce roi que les pamphlets ont présenté comme épileptique et sanglant, fut le plus gracieux roi de l'histoire, au milieu de cette cour d'artistes à laquelle Marie Stuart donnait l'impulsion et la vie. Partout les beaux arts exerçaient leur empire : il en reste des témoignages dans de précieuses collections de livres, coffrets, armures damasquinées, vêtements de velours, de satin, tentures, tableaux, vases, sculptures et orfèvrerie les plus admirables : Florence était au Louvre, à Anet, à Amboise, à Fontainebleau[9], et Benevenuto Cellini en était le vrai roi. Charles IX transformait le Louvre, tandis que Catherine de Médicis posait la première assise des Tuileries.

Vrai prince de la chasse, Charles IX donnait du cor à pleins poumons; nul ne régalait à l'arquebuse, pour le tir du cerf et du sanglier; il ne redoutait ni course, ni fatigue, le premier debout, le dernier couché ; il éreintait chevaux et chiens lévriers. Et cet art de la vénerie, il le poussait si loin qu'il écrivit un beau livre pour en décrire les déduits et les incidences[10], car Charles IX était si lettré qu'il donnait une partie de ses journées à l'art de penser en vers et en prose; il excellait aux jeux d'adresse, à la paume, au ballon, à la sarbacane, le jeu le plus actif, aussi le plus provocateur et le plus insolent ; ces balles que se renvoyaient de fous gentilshommes, étaient l'occasion de rencontre à l'épée, où l'on croisait étroitement le fer. A la cour de Charles IX, fut introduit le jeu du bilboquet d'une oisive et charmante adresse; ces gentilshommes, si fiers en guerre, portaient un pacifique bilboquet d'ivoire à la main[11], exercice qui n'empêchait pas les beaux discours et les courageuses actions. Un autre jeu était devenu fort â la mode à la cour des Valois : on faisait rouler des billes noires ou rouges sur un tapis : ce jeu venu de Florence fut depuis nommé billard à cause des billes roulantes; la paume ne s'introduisit que sous Henri III.

Charles IX avait grand goût pour la réformation de Calvin, et moins que François II il était pour les Guises. Catherine de Médicis entraînait son gouvernement dans les voies de la modération et du milieu ; elle accordait successivement aux Calvinistes les états-généraux, les synodes ; Charles IX se plaisait fort au prêche, le roi ne demandait, au reste, que du loisir pour son unique et bruyante distraction la chasse au courre, et avec la chasse la musique, la poésie, laissant à Catherine de Médicis le soin de calmer la guerre civile. Le roi aimait par-dessus tout sa charmante sœur[12], Marguerite ou Margot, comme il la nommait familièrement. Cette jeune fille de Henri II, littéraire comme son frère, fort instruite en grec, en latin[13], liée avec tous les savants, et au milieu de ces études restée un peu folle pour ses plaisirs. C'était une invincible tendance chez cette charmante race des Valois, que l'esprit, l'élégance et l'amour des arts, côté brillant et florentin que semblait lui imprimer Catherine de Médicis. On vivait alternativement dans les fêtes et les armes : la reine-mère voulait apaiser les factions sanglantes à l'aide de la joie et des plaisirs ; elle voyait autour d'elle les plus nobles familles, les plus braves gentilshommes en guerre. Tâche immense que d'apaiser les factions de son pays[14], toujours implacables ; Catherine espéra mettre un terme à la guerre civile, par le mariage de Marguerite de Valois, sa fille, avec le prince de Béarn, le chef des plus braves Huguenots, alors parti audacieux et en armes.

 

 

 



[1] Voir mon travail sur Catherine de Médicis.

[2] Né le 31 mars 1519 ; roi le 31 mars 1547.

[3] En 1555 ; il ne resta plus que 800 hommes de l'infanterie française après la bataille de Saint-Quentin.

[4] Le 20 juin 1559.

[5] Brantôme parle d'un horoscope qui aurait annoncé la mort de Henri II en duel. Vie des hommes illustres, 27, p. 57.

[6] Le 5 décembre 1560.

[7] Dans les œuvres de Ronsard : c'est la manière du poète qui fut très-aimé à la cour des Valois.

[8] Dans les œuvres de Ronsard à la fin ; Charles IX voulait que Ronsard fut toujours autour de lui à sa Cour.

[9] Les armures de Charles IX conservées au Louvre, sont d'un fini inimitable tréfilées d'or et d'argent.

[10] Chasse royale composée par Charles IX. In-8° publié par Villeroy, 1625, livre rare.

[11] Sous Henri III, le bilboquet devint un ornement.

[12] Charles IX avait épousé Elisabeth, fille de l'empereur Maximilien II d'Allemagne.

[13] Marguerite était l'élève de l'helléniste Amyot ; elle parlait le grec et haranguait l'Université en latin.

[14] Voyez ma Catherine de Médicis.