CHARLEMAGNE

TOME PREMIER. — PÉRIODE DE LA CONQUÊTE

 

CHAPITRE XIV. — L'ÉPOPÉE DE LA CONQUÊTE CARLOVINGIENNE.

 

 

Caractère des chansons de gestes. — Leur origine. — Leur époque. — Les branches ou lignages. — Primitives chansons de gestes. — Additions. — Développement des romans de chevalerie. — Les chansons des pairs ou barons de France. — Nationalité des chansons de gestes. — Tradition sur Guillaume au Court-Nez. — Les Enfances Vivien. — Les Loherains. — Les pairs de Charlemagne. — Dernière chanson de gestes. — Influence de l'épopée carlovingienne sur l'histoire.

VIIIe AU XIIIe SIÈCLE.

 

Les chansons de gestes de l'épopée carlovingienne se rattachent toutes aux victoires et aux conquêtes de Charlemagne ; elles le célèbrent et le glorifient ; nul des poètes n'avait souci d'écrire la marche des institutions, de s'occuper du progrès des lois, ou de la formation des empires. A cette époque de guerres et de batailles, un suzerain ne paraissait grand que par les vaillants coups d'épée qu'il savait donner ; les poèmes de chevalerie qui se rattachent à Charlemagne sont donc tout entiers consacrés à la vie active et belliqueuse de l'empereur, et c'est pourquoi il nous parait essentiel de les placer dans la partie de ce livre qui est consacrée à la période de la conquête[1].

Lorsque le goût de la poétique époque du moyen âge vous entraîne avec une irrésistible impulsion dans les longues galeries des manuscrits de la Bibliothèque du roi, sur ces larges rayons couronnés de riches peintures vous apercevez de vieux livres in-folios, presque tous couverts de textum ou reliures maroquiné rouge, où se voient les armes de France aux trois fleurs de lys d'or à côté des armoiries de Colbert, à la couleuvre entrelacée ; ou bien encore des manuscrits en velours noir sur bois, portant quelquefois de France aux fleurs de lys sans nombre, d'Angleterre aux trois léopards d'or, où bien de Lorraine à la bande de gueules, avec les trois alérions d'argent[2] ; ou bien encore la lune et le croissant au fond de sable de Diane de Poitiers. Si vous ouvrez ces riches volumes, vous trouvez souvent pêle-mêle des chansons de gestes, quelques légendes de saints, des chroniques en vers ou en prose, que la patience des érudits sépare et reconnaît par un travail laborieux[3] ; là, dans ces manuscrits et sur deux colonnes, se pressent des masses de quinze à vingt mille vers, tous de l'écriture du XIVe ou XVe siècle, assez bien tracés avec les abréviations et les signes de l'époque ; quelques-uns ont des lettres ornées avec un fini parfait, des entrelacements de branches d'arbres, des Heurs aux couleurs pourprées, sur lesquelles se voient des oiseaux : le faucon au long bec, l'épervier de la châtelaine, ou le timide oisel qui se cache dans la couvée[4]. Beaucoup de ces livres ont des miniatures, des représentations qui se rattachent au XIVe siècle ; ici des tournois aux fers émoulus, des pavillons armoriés où pendent les gonfanons.et enseignes des grandes maisons de France[5] : là, le varlet agenouillé qui présente un message au suzerain ; plus loin, une châtelaine sur sa haquenée revêtue d'une robe bleue et pendante, la tête ceinte d'un de ces hauts bonnets à la forme du pays de Normandie et de Caux ; sur le revers, un moine revêtu des habits de bure de Saint-Benoît, un pieux ermite dans sa cabane ; des sièges, des batailles où le sang vermillonné surnage dans le manuscrit comme s'il était versé d'hier[6]. Quelques-unes de ces miniatures sont sur or, d'autres sur carmin ; on y voit Charlemagne à la longue barbe, le sceptre à la main et la croix sur soit diadème ; les paladins et les pairs l'entourent, il tient sa cour plénière pour marcher contre les Sarrasins ou pour défendre notre saint père le pape : le voyez-vous ici, il fait son pèlerinage à Jérusalem ; là, il va conquérir l'Espagne sur le roi Marsille[7].

Ces riches manuscrits qui font l'orgueil des antiquaires contiennent les grandes épopées carlovingiennes ; presque toujours l'auteur s'y nomme ; c'est un trouvère, un chanteur de science gaie : Lambert le Court, Pierre de Saint-Flour, Jéhan Bodel, Guillaume de Bapaume ; ou bien un clerc de Troyes, un trouvère du Puy d'Amour, de Normandie ou d'Angleterre, Benoit de Saint-Maur, Robert Wace. Ces chansons de gestes portent presque tous des titres attachants : Le Roman de Lancelot, de Gyron le Courtois ; la chanson de Guiteclin de Sassoigne, les gestes de Guillaume au Court-Nez ; les Enfances Vivien, le Moniage Renouart, le poème de Rou, Flore et Blanchefleur, compositions poétiques qui toutes se rattachent plus ou moins à l'époque de chevalerie[8].

Quel est le siècle qui vit naître cette masse immense des monuments du vieil âge ? Vinrent-ils tous spontanément et d'un seul jet, ou bien ont-ils été le résultat d'une formation lente et successive comme tout ce que produit cette époque ? L'art byzantin et lombard se transforma au XIIe siècle dans les cathédrales dentelées ; les primitives chansons de gestes récitées par les Francs dans les vieilles forêts ne devinrent que lentement, et par la suite, les beaux poèmes de chevalerie qui faisaient les délassements des cours plénières sous les règnes de Saint Louis et de Philippe le Bel[9] ; c'est dire assez que ces peines n'appartiennent point en eux-mêmes à l'époque carlovingienne, pas plus que la cathédrale ogivique n'appartient à l'art lombard ou byzantin.

Nul ne peut douter pourtant que les fiers Austrasiens qui suivaient Charlemagne n'eussent des chants à eux, des cris de guerre, des souvenirs de victoires ou de défaites ; les vieilles chroniques nous ont conservé quelques vers informes d'une chanson que les soldats entonnaient aux champs de bataille sous Louis le Germanique ; Éginhard et le moine de Saint-Gall parlent de poèmes en langue barbare qui faisaient les délices de Charlemagne[10]. N'était-ce pas d'ailleurs la coutume des nations du Nord ? est-ce que la poésie des scaldes n'était pas venue jusqu'en  Germanie, où les vieux chants nationaux existent encore ? Au e siècle, on récitait la chanson de Roncevaux, la légende de Guillaume au Court-Nez, en langue vulgaire d'où ou d'oc[11]. Les grandes expéditions, les longues guerres enfantent toujours les poétiques chants.

Ainsi l'époque primitive de Charlemagne ne vit réellement que ces chansons de batailles : point de poèmes, ce ne sont encore que des traditions qui se perpétuent ; le grand nom du suzerain passe à travers les âges, et c'est quand les Carlovingiens sont tombés, lorsqu'une dynastie nouvelle s'établit, à peu près vers l'époque de Philippe-Auguste, que ces poèmes se composent par fragments ou branches. Les grands exploits sont revenus, Philippe-Auguste commence à débrouiller le chaos féodal, comme Henri II vient à son tour policer les cours plénières des Anglo-Normands[12] ; et c'est à ce moment que la génération des trouvères recueille les traditions, les chants primitifs ; elle les brode, les embellit, comme dans ses longues soirées du manoir la reine Mathilde tissait en mille couleurs les exploits de la conquête par Guillaume le Bâtard. Ces trois siècles, qui embrassent la période de Charlemagne à Philippe-Auguste, sont immenses ; l'époque qui a produit : pour la musique, l'orgue ; pour l'architecture, les cathédrales, et pour la poésie, les vastes chansons de gestes, n'était dépourvue ni de génie ni de puissance d'imagination.

Les grands poèmes sur Charlemagne, tels qu'ils existent aujourd'hui avec leurs branches, leurs lignages, ne furent écrits qu'après les croisades, qui avaient imprimé un si grand mouvement à la chrétienté, lorsque Godefroy de Bouillon plantait ses étendards au pied de Jérusalem. lieu d'étonnant à cette époque si prodigieuse elle-même qu'on revint aux prodiges de Charlemagne ; les chroniques ne retentissaient que de lui ; dans les cours plénières on ne voyait que son image ; il avait transmis cette longue traînée de gloire qu'une renommée retentissante laisse toujours après elle ; l'image du grand empereur était partout, et ces chansons de gestes, qui n'étaient récitées que par quelques chanteurs[13], devinrent de vastes livres qu'on lisait dans les cours plénières en présence des dames et des varlets.

Ces poèmes de chevalerie se divisent en plusieurs époques ; je n'emploierai pas pour le vieux temps la prétentieuse expression de cycles : que diraient les chanteurs de science gaie, si, se levant des tombeaux, ils voyaient leurs œuvres enchâssées dans les cadres inflexibles de l'école, eux qui récitaient les beaux faits et gestes la viole ou la harpine en mains, comme le Blondiau fidèle de Richard !... Que diraient-ils de ces proportions invariables dans lesquelles on veut resserrer leurs poésies naïves et longuement conteuses. Quand ils recevaient la pelisse de fine hermine de la main des barons, le court motel ou la toque de plumes de faucon, simples chanteurs de prouesses, ils ne croyaient pas qu'on les prendrait un jour pour autre chose que pour de dignes trouvères que le baron et chevalier appelaient à vieller en la salle du festin. Nos modestes devanciers dans la science érudite, les Lacurne Sainte-Palaye, nobles jumeaux qui passèrent leur vie à étudier les vieilles mœurs de la patrie, symboles de leur âme naïve et tendre ; le marquis de Paulmy, le grand collecteur de bibliothèques ; le marquis de La Vallière, qui avait remué toute la poussière des manuscrits ; le grand d'Aussy, La Réveillère, Fréret et Ginguené, à travers leur opinion philosophique, avaient jeté plus de lumières sur l'ancienne épopée française[14], déjà révélée par Pasquier et Fauchet, que tous ces nomenclateurs et de systèmes et de cycles, souvent même étrangers à la lecture de ces épopées, dont ils parlent en maitres : et vous immense Ducange, dans votre admirable Glossaire ; et vous patients Bénédictins, dans vos préfaces de l'Histoire littéraire de France ; vous modestes et jeunes hommes qui, dans la poussière de la Bibliothèque du roi, copiez un à un les vers des grandes épopées, vous n'aviez jamais imaginé de placer par cycles ces naïfs trouvères du moyen âge ; vos amis, vos confidents, qui vous suivent dans vos longues veillées de nuit[15] !

L'épopée carlovingienne n'appartient pas toute à la même époque ni aux mêmes idées ; trois sujets formaient le récit habituel des chants poétiques : les chansons des pairs ou barons de France, les romans de la Table Ronde, et comme il fallait toujours mêler l'antiquité, on récitait encore les histoires de Troie, de Rome et d'Alexandre le Grand[16]. Chacune des chansons de gestes avait son origine personnelle ; si les poèmes sur les barons de France se rattachaient tous à Charlemagne, ils étaient évidemment l'expression de nationalités diverses : Girars de Roussillon et Guillaume au Court-Nez sont des épopées provençales ; les Loherains appartiennent au Nord, les romans de la Table Ronde à l'Angleterre et à la Bretagne. Tous récitent les grandes aventures, les prouesses de chevalerie de Roland, de Renaud et d'Ogier le Danois qui fit tant de prodiges[17].

Une grande question a été soulevée : les troubadours du Midi précédèrent-ils les trouvères du Nord dans le récit épique des événements de la patrie ? Y eut-il une influence de la littérature orientale, par les croisades, sur les romans de chevalerie qui touchent à Charlemagne ? Disputes de mots qui me paraissent au moins oiseuses, car elles sont insolubles ; dans ces sortes de guerres d'érudition, chacun conserve son système, ses préventions d'étude : l'un, né sur le sol de la Provence, soutient avec passion que tout vient des troubadours[18] ; rien n'a été fait que par eux, leur imagination vive et colorée s'est empreinte partout ; eux seuls allaient de château en château, la harpe en main ; eux seuls possédaient la science gaie. Un autre, né dans la vieille Normandie, à l'ombre de la cathédrale antique de Caen ou de Rouen la métropole, soutiendra que tout est dû à la littérature Anglo-Normande[19] ; c'est la cour polie de Henri Il qui a donné l'impulsion ; c'est sous les brumes de la Tamise que sont nées les plus riantes inspirations des trouvères et des troubadours.

Et pourquoi ces disputes sur des prééminences ? pourquoi chaque peuple n'aurait-il pas conservé son caractère, et chaque poésie sa nationalité ? qu'est-il besoin de l'influence d'une imagination sur l'autre ? quelle ressemblance existe-t-il entre les trouvères de Picardie, les Anglo-Normands, les Saxons et les troubadours de la langue d'oc et de la Provence ? Chaque nation n'a-t-elle pas ses traditions poétiques ; les scaldes chantaient l'Edda et l'olympe mythologique d'Odin ; les Saxons et les Allemands récitaient leurs chants nationaux, les Niebelungs de la patrie ; les Provençaux avaient leurs poètes comme les Normands leurs trouvères. Quant à l'influence orientale, où trouver aux Xe et XIe siècles, dans la Syrie, en Espagne même, ces fleurs d'imagination, ces contes arabes où apparaissent dans les palais de cristaux le visir Yafar et Aroun-al-Raschild, conceptions poétiques nées à des époques plus avancées[20] ? Si on lit les chroniques arabes de l'époque du Xe siècle, les récits orientaux même sur les croisades, on n'y trouve qu'une certaine sécheresse de formes, un récit aussi laconique, aussi décharné que dans les plus pauvres chroniques des monastères en France[21]. Qu'auraient pu emprunter les trouvères et les troubadours à ces monuments ? où est cette prétendue création orientale ? Cette filiation d'intelligence d'un peuple sur un autre n'a jamais rien d'exact, de précis, de constaté. Il y a dans toutes les œuvres de l'art des formes semblables, un rapprochement qui part de plus haut, un type commun ; mais conclure de là que la littérature sanscrite, arabe, a influé sur les poèmes de chevalerie, créer une généalogie à l'imagination, parce que les mêmes pensées se produisent dans les œuvres de l'homme, c'est commettre une grave erreur.

Et pourquoi l'esprit français n'aurait-il pas produit seul, par l'impulsion du génie national[22], ces grands poèmes qui sont restés comme des témoignages des coutumes d'une époque ? Sommes-nous une nation qui vive d'emprunt ? nos magnifiques cathédrales ne sont-elles pas à nous ? ces légendes de pierre, expression des légendes écrites, ne supposent-elles pas une imagination vive, profonde, qui a pu produire spontanément les œuvres de la poésie carlovingienne ? Au milieu des confréries de maçons pour élever ces chefs- d'œuvre de pierre, pourquoi n'y aurait-il pas eu des confréries de poètes pour célébrer les hauts faits de la patrie ? Tout se met en harmonie dans une civilisation : quand l'orgue bruissait dans les cathédrales, quand le plain-chant faisait retentir les solennels hymnes de mort, pourquoi n'y aurait il pas eu des poètes assez riches de leur imagination propre pour célébrer les prouesses de Charlemagne ?

Une des plus vieilles productions de l'école romanesque appartient évidemment au Midi, c'est le poème ou chanson de gestes de Guillaume au Court-Nez[23]. Guillaume au Court-Nez ou d'Orange est un des héros que les poètes de la science gaie ont célébré le plus solennellement, comme le méritait une telle vie. Guillaume était contemporain de Charlemagne ou peut-être même s'agit-il de ce Guillaume d'Aquitaine qui, sous Charles Martel, attaqua vigoureusement l'armée des Sarrasins ; la chanson le présente en effet comme le fléau des mécréants : il est tout à la fois saint et paladin vigoureux ; il existe de lui une langue légende, car la piété au temps de la chevalerie avait aussi ses épopées. A côté de l'histoire romanesque venait la sainte légende, qui narrait les merveilles religieuses, les miracles des héros épiques. L'homme célèbre était toujours entre deux grandeurs : le ciel et la terre. Il existe diverses branches de ce roman de Guillaume au Court-Nez, qui mènent depuis Charles Martel jusqu'à Louis le Débonnaire, créé roi d'Aquitaine ; la génération des trouvères ne quittait pas ainsi un pieux paladin sans mêler sa vie à tous les événements un peu considérables qui avaient vivement frappé l'imagination. On se familiarisait avec l'histoire de chacun de ces nobles hommes : les dames, les chevaliers, qui écoulaient ces chansons voulaient d'abord connaître l'enfance de celui qui avait laissé grande renommée ; il y avait les enfances de Charlemagne, de Roland, d'Ogier le Danois. Après venait l'époque plus active de la vie, les combats, les exploits de pourfendeur, les pèlerinages armés ; enfin, le repentir après la vie fougueuse, le moinage, comme on le disait alors[24].

Tous ces récits s'ajoutaient successivement ; le caprice du chanteur les modifiait avec une incessante mobilité : que de poèmes n'existèrent pas sur Guillaume au Court-Nez, depuis Girars de Roussillon jusqu'aux enfances Vivien[25], une des plus gracieuses chansons de gestes : Faudrait-il vous les redire, ces enfances d'un héros, à vous génération préoccupée d'intérêts matériels, et si étrangère aux naïves impressions de ce temps ? Il s'agit encore de la triste et fatale défaite de Roncevaux, qui pesa si longtemps au cœur des Français : Guérin, fait prisonnier, est menacé de périr dans les tourments s'il ne donne son fils en otage ; il écrit chantre à sa cour de barons ; on délibère si on enverra l'enfant Vivien, le fils de Guérin en captivité ; Guillaume au Court-Nez est d'avis que Vivien se sacrifie pour sauver son père[26], car il n'est pas d'arbre planté dans un verger qui ne doive prêter son ombre à son seigneur ; le voilà donc l'enfant ; il va trouver sa mère tout en larmes : touchante entrevue ! Vivien, lui dit sa mère, pars, je prendrai de tes cheveux, de la chair de tes ongles et de tes doigts, plus blanche que l'hermine, je les lierai à mon corps comme souvenirs. Cette noble mère ne détourne pas Vivien de son pieux devoir ; il lui faut la délivrance d'un époux chéri[27]. Vivien armé chevalier par Guillaume au Court-Nez, le meilleur homme qui fût né d'une femme ; Vivien jure de ne jamais fuir devant les Sarrasins, comme un biche et mauséant de chevalerie. Vœu terrible ! lui dit Guillaume, et pourtant ce Guillaume n'est-il pas le plus impétueux des chevaliers[28] ? Quelquefois, ajoute-t-il, la fuite est bonne lorsqu'il faut conserver son corps. Il part, Vivien, après avoir répété son vœu de chevalerie, et il l'accomplit bravement, car il envoie à Guillaume au Court-Nez, une barque où plus de cinq cents Sarrasins ont les bras, les jambes, les nez coupés du tranchant de sa puissante épée[29]. Les Sarrasins veulent se venger, ils viennent innombrables devant la ville d'Arleschans ou Arles[30], ils assiègent le lieu où reposent les tombes chrétiennes ; Vivien fond sur eux. Mais que peut un seul contre cent, contre mille ? Il va succomber ; prêt à mourir. Vivien invoque les souvenirs de sa jeunesse, et son bel oncle Guillaume, et la comtesse Guibor, sa noble dame, qui le nourrit sous son aisselle[31]. La mêlée devient si épaisse que nul ne se reconnaît ; Vivien est aux prises avec Ordouan, un roi des Sarrasins. Un miracle le sauve ; retiré dans le vieux château qui domine la ville, il a le temps de prévenir Guillaume d'Orange.

Voici donc le message qui entre dans la vieille cité des comtes d'Orange, où se voient mille métiers ; les uns fout des écus ou mailles d'acier ; les autres des selles, des étriers[32]. Le message trouve Guillaume jouant aux échecs et le comte promet du secours. Hélas ! Vivien en n'ait bien besoin ; le bruit de son cor retentissait au loin[33] ; il perd tout son sang, la bataille se continue, et il meurt, le noble chevalier. Au milieu de ces funérailles du jeune homme, les Sarrasins poursuivent Guillaume d'Orange ; le vaillant comte fuit aussi sur son bon cheval Baucent avec le corps de l'enfant Vivien, mort raide étendu ; obligé d'abandonner son précieux fardeau, il court, il court ! Guillaume, jusque dans Orange, et le voilà bientôt assiégé dans sa propre ville. Une autre branche du grand poème suit Guillaume jusqu'au tombeau ; car, je le répète, l'épopée n'était complète que lorsque la race était épuisée.

Ainsi les chantres et les trouvères se rattachaient à une seule vie ; ils la présentaient sur toutes ses faces, depuis l'enfance jusqu'à la mort ; les chevaliers, les châtelaines s'habituaient à tous ces souvenirs, à ces noms propres de héros. C'était la chronique des grandes races, le patrimoine d'orgueil pour le manoir : on savait comment était né Roland, Renaud, Ogier le Danois ; on suivait leurs dignes fils, leurs neveux, leurs beaux cousins ; on vivait de leur existence, on se familiarisait avec leurs exploits, chacun y cherchait sa généalogie, son origine, sa filiation et ses exemples. Tel preux châtelain du mie siècle aurait narré comme s'il les avait vues les armoiries des paladins du grand Charles et les besants d'or sur fond de gueules du duc Naymes ou du traître Ganelon de Mayence.

Guillaume au Court-Nez est une tradition méridionale, comme le roman ou la légende de Philoméla et la chronique de Turpin, dont l'origine est surtout espagnole. Turpin da écrit au fond qu'une légende, son récit n'est que le développement d'un simple pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle[34] ; ce n'est pas un de ces grands tableaux des prouesses de chevalerie : par rapport aux vastes chansons de gestes, il est ce que la légende de Guillaume au Court-Nez peut être aux romans qui furent écrits sur le preux comte d'Orange. Les pèlerinages avaient alors une vive puissance sur l'imagination contemporaine ; des niasses entières de peuple s'ébranlaient pour courir à un tombeau : souvent le sépulcre réveille les vivants, et l'enthousiasme entoure le souvenir de tous ceux qui laissent un grand nom dans la tombe.

Indépendamment de cette active piété, il y avait encore des mobiles qui rendaient plus fréquents et plus célèbres les pèlerinages. Dès qu'on exaltait les merveilles d'un saint tombeau, d'un pieux monument[35], on y accourait, comme si la terre lointaine pouvait seule répondre aux émotions du cœur ; les pèlerins y apportaient leurs offrandes d'or, d'argent et de saphirs ; Saint-Jacques de Compostelle était le plus riche tombeau ; nul ne le visitait sans ajouter à la richesse de ses offrandes. Ces pèlerinages de piété servaient de prétexte aux grandes entreprises militaires, quand Charlemagne méditait une expédition guerrière ; il faisait d'abord un pèlerinage à un tombeau sacré du pays. Couvert par les immunités des pèlerins, nul ne pouvait l'atteindre ; il examinait les lieux, les voies romaines encore intactes, les stations, les forces qu'on pourrait opposer à une invasion prochaine ; il espérait se faire des idées géographiques plus exactes sur chaque localité, afin de la rattacher à ses domaines ; les pèlerins étaient comme de grands voyageurs qui allaient à la découverte ; plusieurs avaient visité le mont Joux et le mont Cenis, avant de tenter le passage des guerres de Lombardie, et le pèlerinage de l'empereur à Saint-Jacques de Compostelle fut évidemment un prétexte pour étudier la cime des Pyrénées et s'assurer un passage à travers les sentiers et les précipices inconnus[36].

Si les chansons de gestes se composent d'un certain nombre de branches qui en font comme des arbres généalogiques, il faut aussi remarquer que lorsqu'elles célèbrent ce grand nom de Charles ou de Karll, elles ne les rattachent pas exclusivement à Charlemagne, mais à tous les carlovingiens en général. Les trouvères mêlent et confondent perpétuellement, Charles Martel, Charlemagne et Charles le Chauve ou le Simple, comme aussi ils confondent Louis le Débonnaire et Louis le Bègue ; il se fait un chaos de noms propres ; tous ces représentants de la race carlovingienne sont incessamment pris les uns pour les autres. Les grandeurs, les faiblesses, sont placées sur une même tête, dans un mime existence. C'est ce qui fait que Charlemagne est quelquefois si incertain, si abaissé en présence de ses hauts barons !

Ces traditions de chevalerie furent presque toutes écrites à l'époque des guerres féodales entre le suzerain et les vassaux ; l'empreinte hautaine de Charlemagne était effacée[37] ; la royauté était en lutte avec les hauts feudataires. Les romans de chevalerie représentent sans cesse les barons refusant le service ou bien les aides que les suzerains leur demandent. Les trouvères, qui allaient de château en château pour distraire les cours plénières et les sires hautains, devaient répondre à leur passion de résistance envers l'autorité royale. Quand donc ils parlaient de Charlemagne, ils ne le présentaient pas comme le suzerain puissant qui faisait fléchir toutes les volontés ; dans les chansons les barons lui résistent[38] ; il est obligé de faire la guerre contre ses vassaux : ici, ou le met en campagne contre les quatre fils d'Aymon et le château de Montauban ; là, on le jette à la poursuite de Doolin de Mayence ; on dirait Louis le Cros obligé de lutter contre les châtellenies qui entourent le Parisis[39] et forcé d'assiéger la tour des Montmorency ou de Montlhéry.

Dans les épopées qui se rattachent au Midi, d'autres motifs existent pour justifier cet abaissement de Charlemagne ; il y e évidemment haine contre la race du Nord. Si les provinces méridionales ont conservé quelques traces du passage de Charlemagne, elles ont plus encore gardé des haines, des ressentiments contre lui. Dans presque tous les romans de chevalerie on abaisse l'Austrasien vieilli, c'est le lion abattu : il est mari trompé, souverain imbécile ; Maugis le met dans un sac[40] : plein de faiblesses puériles pour ses bâtards et pour Charlot, son fils chéri, il n'a de volontés sur rien ; tous le jouent. Le Midi semblait se venger par la moquerie du passage conquérant de la race austrasienne ; autant l'Aquitaine s'était rattachée au gouvernement pacifique de Louis le Débonnaire, qui s'était fait tout méridional, autant elle conservait ses préventions contre les hommes du Nord, les comtes qui la gouvernaient ; elle s'en prenait à Charlemagne, l'empereur de race germanique.

A côté de ces branches méridionales des épopées carlovingiennes, on doit placer la chanson des Loherains, qui tient essentiellement à l'épopée du Nord. Le lignage en est nombreux, tout se rattache au tronc principal de Lorraine : d'abord les trouvères ont à conter les faits et gestes du comte Nervis de Metz[41], de Garin le Loherain, de Begon de Belin, ses fils ; de Gerbert, fils de Garin ; et sa longue lignée vient aboutir à l'épopée plus moderne de Guérin de Monglave. Cet ensemble de grande chanson sur les Loherains paraît au moins aussi antique que les chants de gestes groupés autour de Roland, de Guillaume d'Orange ou de Renaud de Montauban ; on peut même croire primitive la chanson des Loherains, car le trouvère ne fait allusion à rien d'antérieur ; il ne cite pas, selon la coutume des poètes, les vieilles chansons, les traditions ou les chroniques. C'est l'épopée de la France du Nord, translatée depuis en dialecte de Champagne, de Lorraine, de Picardie, de Normandie, épopée qui eut un grand retentissement, car son lignage est considérable pendant trois siècles ; la première branche est d'Hervis, comme dans le blason on dit que l'émail ou le support est de Rohan, Montmorency, Talleyrand ou Fezenzac. Le manuscrit remonte au XIIe siècle. Cette épopée est marquée d'un caractère à part ; la classe moyenne y prend son rôle ; Hervis n'est pas un nom de chevalerie, c'est le fils d'un simple bourgeois de Metz, du nom de Thierry ; enfant de métier, néanmoins il a épousé la fille du duc de Metz, et avec ce mariage il a pris les goûts de la noble chevalerie. Son père veut qu'il reste marchand, et il doit vendre des marchandises aux foires de Lagny, de Provins et de Saint-Denis. Au lieu de vendre ces marchandises, Hervis, généreux jeune homme, les donne aux barons, aux chevaliers, à la manière des seigneurs. Le but de cette chanson de gestes est évidemment de poser la différence qui existait alors entre la classe généreuse des chevaliers et la bourgeoisie essentiellement économe et étroite en sa huche. La chanson d'Hervis finit à l'époque où Charles Martel est attaqué par les Sarrasins, que le chanteur confond avec les Hongres ; elle ouvre donc le roman de Garin le Loherain, qui se rattache comme on l'a dit par son premier chant à l'époque de Charles Martel, finit à la mort de Begon de Belin, touchant épisode du roman. Cette masse immense de vers, qui s'élève à 60.000, est curieuse à consulter pour connaître les mœurs, les habitudes de la chevalerie, et surtout pour pénétrer et suivre les invasions des Goths, des Huns, des Sarrasins depuis le VIIe jusqu'au IXe siècle, événement lugubre qui avait laissé de profondes empreintes. C'est le récit épique de ces époques de conquêtes, racontées par les trouvères dans les manoirs aux temps de Philippe Auguste et de Saint Louis[42].

Ces grands poèmes ont-ils servi à la rédaction des chroniques ? ou bien, les chroniques au contraire ont-el les été la source où les chanteurs ont puisé ? Dans la marche des âges, les chants récités précédèrent les annales sérieuses des peuples ; Homère chantait ses sublimes rapsodies bien avant que les grands historiens de la Grèce eussent réuni les annales primitives ; il y a donc toute apparence que les chants de guerre récités par les peuplades germaniques, que les sagas, les Niebelungs des nations scandinaves ou saxonnes ont précédé toutes chroniques écrites[43]. Les faits et gestes sont récités avant qu'on les confie à l'écriture ; les primitives chansons des gestes doivent être antérieures aux chroniques monastiques.

Mais cette influence d'une littérature sur une autre n'est pas aussi puissante qu'on le croit et qu'on l'affirme. La chronique venait d'une source Ioule différente du poème épique ; les trouvères, chantres de grandes prouesses, appartenaient généralement à une classe ambulante et coureuse de champs de bataille ; ils n'avaient rien de l'esprit monastique, ils marchaient avec les armées[44], vivant en enfants joyeux dans les châteaux ; ils étaient pour ainsi dire l'expression de la partie active et belliqueuse de la société. Qu'avaient-ils de commun avec les pauvres chroniqueurs qui, au fond des monastères, écrivaient chaque jour les événements, les catastrophes, l'ouragan qui souffle, le tremblement de terre qui agitait les cités ? Les chroniques sont l'obituaire de l'abbaye ; les chansons de gestes, le récit de la brillante vie des chevaliers : le vieux chroniqueur raconte comment tel roi ou tel abbé est venu s'agenouiller sur la tombe du monastère ; si le loup a fait entendre sa glapissante voix au milieu de la neige, dans la forêt dépouillée ; si la nuit de Noël on a entendu les mille cris de joie des pasteurs pour célébrer la naissance de Jésus ; si à Pâques fleuries l'herbe partout verdoie, si l'épidémie, comme un cavalier de feu, s'est montrée dans la contrée ; si les reliques ont été insultées[45] ; le chroniqueur recueille précieusement tous ces bruits et les consigne dans ces annales. Voulez-vous savoir les événements politiques ? la voici : Charlemagne s'est abrité dans ce monastère, les Saxons ont pillé les oratoires ; tel comte a été frappé par la main de Dieu pour avoir insulté aux baptistaires ; c'étaient là les grandes nouvelles pour le monastère, pour l'abbaye et les pauvres chroniqueurs.

Il n'en est pas ainsi du trouvère : le seigneur tient-il sa cour plénière, il la décrit dans toutes ses pompes ; tout est merveilleux dans la naissance de l'enfant du baron, sa vie est entourée de je ne sais quelle auréole fantastique. Les batailles tiennent une grande part dans ces romans[46], et ce n'est pas, comme dans la chronique, deux ou trois lignes qui racontent un combat ; le trouvère en décrit tous les détails ; il en parcourt tous les accidents ; c'est légende dorée sur légende. Si quelquefois vous avez parcouru ces vieux manuscrits, vous avez dû remarquer ces miniatures de batailles, où les chevaliers, la lance haute, la visière baissée, se mêlent, s'entrelacent, se confondent. Le sang coule rouge comme le vermillon ; on aperçoit d'éclatantes prouesses ; un paladin en pourfend des centaines : eh bien, là se trouve reproduite l'épopée chevaleresque ; c'est le roman dessiné et peint, comme les mille figures de la cathédrale redisent la légende du saint ; ces scènes colorées passent dans les mille vers du romancier, avec une petitesse de détails qui fait naître souvent la monotonie.

Ainsi, quel que soit le jugement qu'on porte sur l'épopée carlovingienne, si elle n'appartient pas à l'époque qui vit le grand empereur, au moins elle se rattache toute à lui ; elle existe de son éclat, de son image ; elle est protégée par son nom ; elle constate surtout la grande popularité de Charlemagne. Et qu'on le remarque : voici une dynastie tombée, ses descendants ont été si petits, qu'il a suffi d'une volonté de barons francs pour briser leur sceptre ; eh bien, néanmoins, un ou deux siècles après, ce nom de Charlemagne brille partout ; on se rappelle dans toutes les veillées de chevalerie l'antique empereur à la longue barbe ; les premières épopées s'attachent à lui, et tandis que sa race tombe dans le mépris, le nom du fondateur grandit sans cesse ; ceci se voit quelquefois dans l'histoire : un nom brille immense, puis il s'éteint et s'efface par l'incapacité ou l'indignité de sa lignée.

 

 

 



[1] On s'est, dans ces derniers temps, vivement occupé des épopées du moyen âge. Je ne sache rien de plus complet que les lettres adressées à M. de Montmerqué, dans la préface de Berte aux grans piés, et la gaie et spirituelle préface de Garin le Loherain ; Paris, 1833.

[2] Comme est, par exemple, le n° 6972, qui contient un abrégé de Guillaume de Tyr, impression vélin sur trois colonnes, vignettes et initiales. Sainte-Palaye en a donné une notice n° 673.

[3] Il faut consulter le livre de M. Paris : les manuscrits français de la Bibliothèque du roi : le tome III surtout me parait remarquable.

[4] Les plus belles miniatures des manuscrits de la Bibliothèque du roi se trouvent aux XIVe et XVe siècles. L'école grecque en a d'antérieures, et le Saint-Grégoire de Nazianze peut passer pour un chef-d'œuvre, mais l'art romain s'y montre trop. La complaisance de M. Champollion m'a mis à même de tout voir et de tout juger.

[5] Cependant, à cette époque du XIIIe siècle, rien n'est comparable encore aux belles miniatures postérieures des tournois du roi Réné, MSS. du XVIe siècle.

[6] C'est une merveille de conservation que les couleurs dans les miniatures du moyen âge ; elles semblent peintes d'hier.

[7] Selon la méthode des peintres et enlumineurs du XIIe siècle, il y a des anachronismes constants dans le costume et les habitudes carlovingiennes ; le MSS. qui pourrait donner l'idée la plus exacte des costumes de cette époque, c'est le MSS. ou Bible de Charles le Chauve, du IXe ou Xe siècle. Le travail de M. Bastard est sans doute richement remarquable, mais l'auteur se laisse trop entraîner par l'idée anti-byzantine.

[8] Voici quels furent les principaux romans dits de Charlemagne, qui parurent en France du XIe au XIIIe siècle : les Enfances d'Ogier le Danois, MSS. Bibliothèque royale, n° 2729, fonds de La Vallière ; Aimery de Narbonne, même fonds, n° 2735 ; Berthe et Pépin, n° 7188. L'auteur de ces différents romans est Adenez ou Adam, dit le roi, qui florissait au XIIIe siècle ; ce trouvère fut couronné dans un puy d'amour, et c'est à ce triomphe littéraire qu'il dut son surnom. Huon de Villeneuve, autre poète du même siècle, est auteur du roman de Regnault de Montauban, de Garnier de Nanteuil, des Quatre fils d'Aymon, de Maugis d'Aigremont, MSS., n° 7182, 7183, 7635.

[9] Voici presque toujours le début de ces chansons ; elles supposent de vieilles histoires :

Plet-vous oïr chançon de grant mesure

Des vieles gestes anciennes qui furent ?

Ele est moult bone, li vers sont par nature

Et bien taillie à droit et à mesure.

De Vivien d'Aleschans en est une

Et de son père Dan Garin d'Anséune

Qui maint bernage ot en lui par nature ;

Et de la geste Aymeri est issue.

(Les Enfances Vivien, I).

La chanson de Charlemagne et de Simon de Pouille commence par ces vers, qui supposent aussi d'antiques traditions :

Or escoutez seignor que Dex vos benoïe,

Li peres esperitables li fis sainte Marie,

S'ores bone chançon de moult grant soignorie,

Moult' a estez perdue peça ne fu oïe,

Uns clers l'a retrouvé cui Jhesus benoïe

Les vers en a escriz, toute l'a restablie.

[10] Ce chant a été publié par le bénédictin dom Bouquet : Collect. histor. Gallic., t. VI.

[11] L'Astronome, qui a écrit la vie de Louis le Débonnaire, a dit : Sed hanc fælicitatem transitus fædavit infidus incertusque fortunæ ac vertibilis successus. Dum enim quæ agi potuerunt in Hispania peracta essent et prospero itinere reditum esset, extremi quidam in eodem monte regii cæsi sunt agminis. Quorum, quia vulgata sunt nomina, dicere supersedi. Il est impossible de ne pas entendre ici les vassaux morts à Roncevaux, dont les noms étaient déjà, sous le règne de Louis le Débonnaire, vulgairement célébrés ; voir les vers du début pour le poème de Guillaume au Court-Nez. (Premiers vers de Le charroi de Nismes.)

[12] Il ne faut pas trop séparer le XIIe siècle du IXe ; ils se touchent par la grandeur. Voyez mon Philippe-Auguste, t. Ier.

[13] C'était de château en château que les jongleurs ménestrels et trouvères venaient réciter les chansons de gestes.

[14] Je ne cite pas ici les riches éditions de M. Crapelet et de M. de Montmerqué, qui passe ses loisirs de magistrat à fouiller incessamment dans notre vieille histoire.

[15] Je citerai parmi les modernes qui ont consacré leur vie aux études des poèmes du moyen te MM. Raynouard, l'abbé de La Rue, P. Paris ; et parmi les élèves des Chartres, MM. Lacabane, Leroux de Lincy, Quicherat, Borel, F. Michel et Thomassy. Leur esprit juste et sage s'est toujours préservé de ce système de niaiseries pompeuses.

[16] Guiteclin de Sassoigne.

Nes ont que trois matères à nul home entendant

De France et de Bretagne et de Rome la grant.

[17] Ogerius, dux Daniœ : de hoc canitur in cantilena, usque in Hodierum diem, quia innumerabilia fecit prodigia. (Cap. XII. Chronique de Turpin.)

[18] Il y avait dans M. Raynouard un sentiment de patriotisme dont il faut lui tenir compte ; ses recherches sur les troubadours après celles de Mil-lot se ressentent de cette préoccupation. Tout restait provençal chez M. Raynouard, même le vieil accent de la patrie qui lit tant de prodiges.

[19] M. l'abbé de la Rue, l'antagoniste de M. Raynouard, était un érudit fort savant qui avait passé sa vie en Angleterre à étudier les rapports considérables qui existent entre la famille normande et saxonne. L'archéologie lui doit plusieurs savantes dissertations ; mais son livre des Bardes armoricains n'a pas répondu à sa réputation : tant l'esprit de système égare.

[20] Pour se convaincre de la pauvre influence d'imagination exercée par les Arabes sur les grands poèmes français, on peut lire la Bataille de Porus et les merveilles de l'Inde. C'est une des branches des enfances d'Alexandre :

Ce fu el mois de may que furent combatu

Que li rois Alexandres ot Daire es champ vaincu.

[21] Consultez aussi les extraits des MSS. arabes que M. Reinaud a publiés sur l'histoire des croisades, ils sont très secs. Aujourd'hui le même savant est chargé de publier le texte avec traduction latine.

[22] On a fait même descendre les romans de chevalerie de l'Inde et de la Perse. Les temps sont ainsi faits et les esprits renfermés dans certaines formules. On enseigne le sanscrit, rien n'est beau comme le sanscrit, tout vient du sanscrit ! on enseigne le chinois, rien n'est beau comme le chinois ! Il n'y a que la France qui n'a rien produit avec son génie national, et c'est pourtant la France qui honore et gratifie les savants professeurs !

[23] Les Bollandistes ont imprimé la vie de saint Guillaume au 28 mai, et Mabillon, auparavant, l'avait insérée dans ses Acta SS. Ordin., S. Benedict. Mabillon, cet excellent critique, faisait le plus grand cas de la légende et de son auteur : Auctorem sane gravem, dit-il, quisque tandem ille sit constat fuisse, et libellum hunc cudisse ante sœculum XI, imo est verisimite est haud longe post Willelmi obitum cujus res gestas, quasi testis oculatus, commemorat.

[24] Le moinage doit s'entendre dans le sens de vie monacale. C'était toujours par cette sainte vie que finissaient les barons et chevaliers. (Voyez le Catalogue des MSS., Bibliothèque royale.)

[25] Le n° 6985 grand in-fol., Bibliothèque royale, est la plus riche des épopées chevaleresques.

[26] Les Enfances Vivien, n° 6885. Sainte-Palaye, n° 636. Biblioth. royale.

[27] Les Enfances Vivien.

[28] Les trouvères disent de lui :

Seigneur et dames pour Deu or escoutez

Bonne chançon. jamés meillor n'orrez

C'est de Guillaume le Marchis au Cort-Nez

Le meillor home qui de mère fu nez

Né qui des armes péust tant endurer,

Ce fu à Pasques que l'en dit en esté

Guillaumes ot Vivien adoubé.

(L'adoubement Vivien, n° 6985. Sainte-Palaye, n° 686 Bibl. roy.) Il ne faut pas les confondre avec les Enfances Vivien.

[29] L'adoubement Vivien.

[30] Il est impossible de méconnaitre dans ces noms ceux de la ville d'Arles et de ses fameux Eliscamps ou Champs-Élysées, que dans le moyen âge les tombeaux chrétiens, groupés autour de Sainte-Marie-Majeure, rendaient mille fois plus célèbres que les inscriptions funéraires des époques romaine et gauloise.

[31] L'adoubement Vivien.

[32] L'adoubement Vivien.

[33] L'adoubement Vivien.

[34] C'est l'opinion de M. P. Pâris, et je la crois très exacte. (Voyez la préface de Berte aux grans piés et de Garin le Loherain.)

[35] Ducange, v° Perigranatio. A la fin, ces pèlerinages furent armés, et telle fut l'origine des croisades.

[36] Dans la chronique de Turpin, c'est une étoile qui dirige pour ainsi dire Charlemagne vers le tombeau de saint Jacques de Compostelle. Voyez l'histoire de cette expédition, chap. XVII de ce livre.

[37] D'après l'opinion de Ducange et de M. Campi, le premier poème de Philoméla est du XIe siècle ; c'est le plus ancien. La chanson de Garin le Loherain parait aussi d'une haute antiquité.

[38] Dans certains romans de chevalerie, les barons disent les plus grandes injures à Charlemagne. Voyez Ogier le Danois et Doolin de Mayence, n° 6352.

[39] J'ai émis l'opinion dans mon Hugues Capet que la plupart des romans de chevalerie furent calqués sur l'espèce d'anarchie féodale qui existait depuis Robert jusqu'à Louis VII.

[40] Voyez les branches de Renaud de Montauban et des Quatre fils d'Aymon.

[41] Il forme la première partie de la grande épopée dont il a été publié une seule branche, celle de Garin le Loherain. Il y a douze MSS., le plus précieux est celui de l'Arsenal, n° 181 ; M. Paulmy l'avait acquis avec toute sa sollicitude pour la science.

[42] J'ai dit dans mon travail sur Philippe-Auguste comment étaient récités dans les castels les peines épiques de l'époque carlovingienne.

[43] Il est incontestable que les premiers poèmes de chevalerie étaient chantés.

[44] Comparez les deux livres de M. Raynouard sur les troubadours et les 2 vol. de M. l'abbé de La Rue sur les bardes armoricains ; Paris, 1834. Les deux savants ont donné des notices détaillées sur les trouvères et les troubadours.

[45] Les chroniques de l'époque carlovingienne ont été toutes réunies dans dom Bouquet, t. V. M. Pertz a corrigé plusieurs textes, et a publié quelques documents nouveaux sur les derniers Carlovingiens surtout, t. II.

[46] Les descriptions de batailles se multiplient à chaque page dans les poésies épiques du XIIe