RICHELIEU

 

CHAPITRE SEPTIÈME.

 

 

Lutte contre la Maison d’Autriche. — Les Français assiégés dans la ville de Casai. — Richelieu force le pas de Suse. — Guerre contre le duc de Savoie, — Prise de Pignerol. — Bravoure de Mazarin. — Diète de Ratisbonne.

 

La Rochelle prise, le dernier rempart du protestantisme tombé, Richelieu, tournant son activité vers la politique extérieure, commença la lutte contre la maison d’Autriche.

Profitant des embarras intérieurs du pays, l’empereur et le roi d’Espagne contestaient à un Français, le duc de Nevers, la succession de Mantoue et du Montferrat. Une bande de héros étaient assiégés dans Casai par les Espagnols. Le cardinal résolut de les délivrer. Opération des plus importantes, ce petit pays formant le point de jonction des deux tronçons de la puissance autrichienne.

Accompagnant le roi, Richelieu partit pour l’Italie. Il demanda le passage des Alpes au duc de Savoie. Celui-ci ayant refusé, Louis XIII décida, malgré les difficultés de l’entreprise et les rigueurs de la saison, de forcer le pas de Suze.

C’est un étroit défilé, qui, sur un quart de lieue de long a quelquefois moins de vingt pas de large et qu’obstruent çà et là des roches éboulées. Il avait été coupé de trois fortes barricades, couvertes par des boulevards et des fossés : les rochers qui le commandent des deux côtés étaient couronnés de soldats et protégés par de petites redoutes ; enfin, le canon du fort Talasse, bâti sur une montagne voisine, balayait l’espace découvert entre Chaumont et l’entrée de la gorge. C’était une de ces positions dans lesquelles une poignée d’hommes peut aisément arrêter une armée. Et Charles-Emmanuel avait jugé suffisants à la défense les 2.700 Piémontais qui occupaient ces ouvrages.

Quand, le 6 mars 1629, le comte de Comminges, précédé d’un trompette demanda le passage au comte de Verrue, celui-ci répondit au nom de Charles-Emmanuel :

— Si les Français veulent le passage, qu’ils viennent le prendre.

L’attaque commença aussitôt. Les gardes françaises et suisses, la noblesse volontaire, les mousquetaires à cheval du roi se ruèrent de front sur les barricades.

Avec un réel courage, le roi, suivi de deux détachements de mousquetaires et des enfants perdus de l’armée, escaladèrent les rochers et parurent sur une position dominant les retranchements de l’ennemi.

Aux premières décharges qui éclatèrent au- dessus de leur tête, les Piémontais furent pris d’une terrible panique et abandonnèrent le défilé, poursuivis l’épée dans les reins jusqu’à Suze. Sur le champ de bataille même, le roi écrit de sa main à sa mère :

— Madame, voyant que le duc de Savoie ne nous voulait donner le passage, je me résolus de le forcer ; l’affaire a si bien réussi que nous avons exécuté tout notre dessein ainsi qu’on le pouvait désirer.

Ce hardi fait d’armes eut en France et en Europe un retentissement considérable. On vantait la valeur de Louis XIII et de sa, noblesse et les poètes comparaient l’affaire du pas de Suze au passage des Alpes par Annibal ou à la fabuleuse expédition des Argonautes.

Et cependant, ces premières opérations n’étaient que les escarmouches de la grande lutte que la France, en prenant part à la guerre de Trente ans, allait soutenir contre la maison d’Autriche.

Casal était libérée. Mais, pour complaire à l’Espagne, l’empereur Ferdinand détacha une partie de ses forces opérant dans le Nord et, dès la fin de mai 1629, les lança dans les plaines de Lombardie, en sommant les Français d’évacuer les fiefs impériaux d’Italie. Spinola assaillit le Montferrat pendant que Colalto envahissait le Mantouan.

Richelieu ne voulut pas laisser perdre les avantages de l’affaire de Suze. Ces positions éminemment stratégiques étant menacées par les Impériaux, le cardinal partit pour l’Italie, le 29 décembre 1629, avec pleins pouvoirs. Il s’était fait nommer lieutenant général représentant la personne du roi en son armée tant dedans que dehors du royaume.

A la tête de quinze mille hommes, Richelieu guerroya d’abord chez le duc de Savoie qui s’était déclaré pour l’Empire.

Il chevauchait, la cuirasse sur le dos, le chapeau à plumes sur la tête l’épée au côté et les pistolets à l’arçon.

Pignerol fut prise, ainsi que divers autres châteaux, dont la possession mettait dans les mains de la France, les clefs de l’Italie avec les débouchés des Alpes dauphinoises. Dès les premiers jours de juin, toute la Savoie était conquise.

Cependant il fallait secourir Casai, où Toiras et sa brave garnison étaient serrés de près par les Impériaux.

Louis XIII, qui était venu rejoindre son lieutenant général, envoya dans le Piémont une dizaine de mille hommes, placés sous les ordres du duc de Montmorency et du marquis d’Effiat.

Campé à Vegliana, avec dix-huit mille Italiens, Espagnols et Allemands, le duc de Savoie voulut leur barrer la route. Mais son armée fut culbutée. Elle comptait ces fameux soldats de Waldstein et de Gallas qui, sans connaître la défaite, avaient combattu de la Bohême jusqu’à la Baltique et qui s’étaient donné à eux-mêmes le nom d’invincibles. Montmorency et d’Effiat avaient fait des prodiges de valeur.

Pendant que la France remportait cette brillante victoire, Mantoue, défendue par les Vénitiens, était tombée aux mains des Impériaux et Toiras, contraint d’évacuer la ville, s’était enfermé dans la citadelle de Casai.

Ayant opéré leur jonction, les troupes du roi et celles de Richelieu volèrent au secours de cette dernière place. Déjà, les deux armées étaient ’en présence sous les murs de la ville. Elles n’étaient pas à cinq cents pas l’une de l’autre, et la canonnade avait commencé.

Tout à coup, bravant les balles de la mousqueterie et les boulets des couleuvrines, un jeune cavalier surgit au milieu des combattants. Courant à bride abattue vers les Français, il agitait un papier criant :

Pace ! Pace ! Treva !

C’était Mazarin, légat du pape, qui, servant d’intermédiaire entre les deux partis, avait réussi, par son habileté, à faire accepter par les chefs des armées les préliminaires de la paix de Ratisbonne.

Ce dénouement dramatique d’une grande guerre eut un profond retentissement, et l’action d’éclat du signor Giulio Mazarini commença sa réputation. Richelieu avait, en effet, pénétré la vive et souple intelligence du jeune diplomate. Il se l’attacha, se lia d’amitié avec lui et, plus tard, sentant la mort approcher, il le désigna comme son successeur.

Richelieu avait accueilli avec empressement la nouvelle de la conclusion de la paix, négociée à la diète de Ratisbonne par le père Joseph. Il avait hâte, en effet, d’être libéré des affaires d’Italie pour se consacrer à la situation intérieure et détourner de sa tête un orage qui grossissait à la cour.