RICHELIEU

 

CHAPITRE SIXIÈME.

 

 

Programme de Richelieu. — Démolition des forteresses. — Mariage d’Henriette de France avec Charles Ier, roi d’Angleterre. — Complot contre Richelieu ; exécution du comte de Chalais. — Édit contre les duels ; exécution de Boutteville et des Chapelles. — Guerre contre les protestants. — Siège de la Rochelle ; la digue ; attaque des Anglais. — Entrée du roi et de Richelieu dans la ville.

 

Richelieu n’avait pas seulement les attributs extérieurs du pouvoir, il en exerçait les prérogatives, et cela pour le plus grand bien de la France. En effet, l’œuvre de Henri IV avait été compromise par quinze ans de désordres et de faiblesse.

Il était grand temps d’y mettre bon ordre. Pour cela, il fallait trois choses : que la haute noblesse fût définitivement contrainte à l’obéissance au roi et à la loi ; que le protestantisme cessât d’être un parti armé dans l’Etat ; que la France pût choisir ses alliés librement dans son intérêt et dans celui de l’indépendance européenne. C’est à ce triple objet que le ministre dictateur employa sa puissance d’esprit, son infatigable activité, des passions ardentes et une force d’âme héroïque.

Pendant les dix-huit années de son pouvoir, il marcha droit au but, sans une heure de défaillance, brisant impitoyablement tous les obstacles, n’ayant d’autre guide que la raison d’État. C’est pour justifier sa politique qu’il prononça ces terribles paroles :

Je n’ose rien entreprendre sans y avoir bien pensé ; mais quand une fois j’ai pris ma résolution, je vais à mon but, je renverse tout, je fauche tout, et ensuite je couvre tout de ma soutane rouge.

Pour assurer l’unité nationale, reprenant l’œuvre de Charles V, de Louis XI et de Henri IV, il ordonna la démolition des forteresses et des châteaux inutiles à la défense du royaume, cantonnements de la noblesse factieuse et de la soldatesque des guerres civiles. Cette besogne ayant été confiée à la diligence des provinces et des municipalités, les masses plébéiennes se levèrent pour abattre, de leurs mains, les murs crénelés, repaires de tyrannie ou de brigandage, que, de génération en génération, les enfants apprenaient à maudire. Selon la vive expression de Henri Martin, les villes coururent aux citadelles, les campagnes aux châteaux, chacun à sa haine.

Au dehors, il importait de dégager la France de la puissante étreinte de la maison d’Autriche. Avant d’entamer la grande lutte qui devait aboutir à la paix de Westphalie, Richelieu suscita des guerres indirectes afin de couper en deux ce colosse à deux têtes.

C’est ainsi que le cardinal négocia le mariage de la sœur de Louis XIII, Henriette de France, avec Charles Ier d’Angleterre. Cette union avait le double avantage d’éloigner la cour de Londres de la cour de Madrid et d’empêcher les Anglais de fournir des subsides aux protestants.

Charles Ier envoya à Paris son favori, Georges Villiers, duc de Buckingham, pour négocier le mariage et conduire auprès de son époux la future reine d’Angleterre.

Buckingham était le cavalier le plus accompli de son temps. Il vint en France avec la volonté d’éblouir la cour, et il y réussit en déployant une pompe inouïe. Sa suite comprenait huit nobles titrés, six gentilshommes non titrés, six chevaliers ayant chacun six pages et six laquais. Quant à son service particulier, un personnel innombrable y était attaché.

La cour donna de grandes fêtes en son honneur. A l’une d’elles, Buckingham parut avec un costume qui ne valait pas moins de deux millions. Il était vêtu d’un pourpoint de satin rose broché d’or et portait sur ses épaules un manteau de velours gris clair, tout brodé de perles fines. Ces perles étaient retenues par un fil de soie si frêle qu’en marchant le fil se rompit : les perles roulèrent à terre. Il y en avait pour deux cent mille livres.

Croyant à un accident, les courtisans se baissèrent pour les ramasser, mais Buckingham refusa d’en reprendre une seule, laissant à chacun la part que le hasard lui avait faite.

On donna également un grand ballet dans lequel le duc parut avec un costume de velours glacé, orné des principaux diamants de la couronne d’Angleterre.

Le mariage de la reine eut lieu le 11 mai 1625. Charles Ier étant protestant et la princesse catholique, on adopta le même cérémonial que pour les noces de Henri IV et de Marguerite de Valois. Le grand aumônier de la cour célébra cette union sur un échafaud dressé devant le grand portail de Notre-Dame.

Accompagnée jusqu’à Amiens par la cour, la nouvelle reine partit pour l’Angleterre. Elle devait en revenir vingt ans après dans de tristes circonstances. C’est de cette malheureuse princesse que Bossuet devait célébrer les vertus d’une voix si éloquente.

Mais la grande politique de Richelieu ne fut pas comprise de tout le monde.

Une alliance de la France avec les cours protestantes d’Angleterre et de Hollande dérouta quelques esprits simples et fut pour les autres un prétexte à cabale. On appela le premier ministre cardinal d’Etat ou pape des huguenots.

On fomenta même contre lui ce qu’on appela la conspiration des dames ou des reines. Les grands ne pouvaient souffrir Richelieu, dont l’autorité et la puissance étaient un obstacle à leurs desseins. Ils n’aimaient pas davantage le roi, bègue, morose, maladif et, en somme, peu libéral.

Escomptant d’avance sa disparition, ils se rallièrent autour de son frère, Gaston, duc d’Anjou, dont ils firent un chef de parti.

Un mariage, projeté par Richelieu, de Monsieur avec Henriette de Montpensier fut le prétexte. Le jeune comte de Chalais, gentilhomme de la Chambre, héritier de la famille Talleyrand-Périgord prononça cette parole imprudente :

— Si on ne peut se battre avec un cardinal, du moins peut-on le supprimer.

Et il fut décidé qu’on attirerait Richelieu dans sa retraite de Fleury, près de Fontainebleau pour l’y assassiner.

Mais le projet ayant été éventé, tout le monde, à commencer par le duc d’Anjou, lit des excuses au premier ministre.

— Vous voyez à quels coups on en vient contre moi, dit celui-ci à Marie de Médicis et au roi.

— Quiconque vous attaquera, vous m’aurez pour second, répondit Louis XIII.

Et il tint toujours parole.

Fort de cet engagement royal, Richelieu, après avoir fait arrêter le maréchal d'Ornano, fit également enfermer les deux frères de Vendôme et n’hésita pas, un nouveau complot ayant été ourdi, à mettre la main sur le comte de Chalais.

C’était un élégant jeune homme, grand ami de la duchesse de Chevreuse, favorite d’Anne d’Autriche, beau, dit la chronique, comme un page de Henri III. Mis en jugement, il fut, le 19 août 1626, condamné à mort pour crime de lèse-majesté. La sentence fut mise à exécution le lendemain. Au dernier moment, les amis du comte de Chalais, à force de menaces et d’argent, ayant décidé le bourreau à se cacher, on tira de prison un cordonnier à qui on accorda sa grâce pour qu’il remplaçât le bourreau. Cet inhabile exécuteur donna à Chalais plus de trente coups de hache et d’épée avant de pouvoir le décapiter. On prétend qu’au vingtième coup, Chalais se plaignait encore.

Cet exemple fut salutaire. Il montra que Richelieu n’hésiterait pas à frapper, aux pieds du trône, ceux qui attentaient à l’autorité royale. Mais là ne se borna pas sa lutte contre l’arrogance et l’indiscipline des grands.

Depuis quelque temps la noblesse apportait une sorte de forfanterie à enfreindre les ordonnances de Henri IV et de Richelieu contre le duel. On assure que, de 1590 à 1610, plus de huit mille lettres de grâce avaient été délivrées contre des gentilshommes ayant tué leurs adversaires en champ clos. Sous Louis XIII, les duels étaient si communs, qu’on s’abordait ainsi le matin :

— Qui s’est battu hier ?

Et le soir :

— Qui s’est battu ce matin ?

Dans l’hôtel de Royaumont, le comte de Montmorency-Boutteville bravait audacieusement les défenses du roi. Chez lui, dans une salle basse, où l’on était toujours sûr de trouver du pain, du vin et des fleurets, se réunissaient les raffinés d’honneur : Bussy, des Chapelles, Louvigny, Thémines, de Valençay, le baron de Chantal, le comte de Chalais, le chevalier d’Andrieux, qui, à trente ans, se vantait d’avoir déjà tué soixante-douze hommes.

Boutteville avait coutume de répéter à ses amis :

Après la démangeaison que j’ai de me battre, vous êtes ce que j’aime le mieux.

Il suffisait de lui dire par hasard : Un tel est brave pour qu’il l’allât aussitôt trouver :

— Monsieur, lui faisait-il, j’ai appris que vous étiez un brave, il faut donc que nous nous battions ensemble.

Déjà, il avait dû quitter la France, à la suite d’un duel. L’archiduchesse gouvernante des Pays- Bas ayant demandé inutilement sa grâce, il dit :

— Puisque le roi ne veut pas que je rentre à Paris, j’irai m’y battre, en pleine place Royale et en plein jour.

Il le fit ainsi et se battit avec Beuvron, le 22 mai 1627, veille de l’Ascension, sous les fenêtres du baron de Chantal, celui qui fut le père de Mme de Sévigné.

Il avait pour seconds des Chapelles et La Berthe ; Beuvron était accompagné de son écuyer, Buquet, et de Bussy d’Amboise. Un combat terrible, à l’épée et au poignard, s’engagea, dans lequel Bussy fut tué par des Chapelles, La Berthe dangereusement blessé par Buquet.

Boutteville et Beuvron, au moment où ils levaient leurs poignards l’un sur l’autre, se demandèrent mutuellement la vie. Le combat était terminé. Tous s’enfuirent, abandonnant le cadavre de Bussy et laissant La Berthe aux soins du baron de Chantal ; mais Boutteville et des Chapelles, poursuivis de près, furent arrêtés à Vitry.

En apprenant cette équipée, Richelieu entra dans une violente colère.

— Il s’agit, dit-il à Louis XIII, de couper la gorge aux duels ou aux édits de Votre Majesté.

On fit donc le procès des audacieux duellistes.

Condamnés à être décapités, Boutteville et des Chapelles furent exécutés à la Grève, le 22 juin 1627. Boutteville fut frappé le premier et ne voulut pas que le bourreau lui bandât les yeux. Des Chapelles baisa la main encore chaude de son ami et dit ces derniers mots :

Prions pour lui !

Contre les protestants, Richelieu devait agir avec la même énergie. On exagérait généralement les idées du Cardinal, à l’égard des Huguenots.

On me condamne à Rome comme un hérétique, était-il amené à dire au nonce Spada ; bientôt on m’y canonisera comme un saint.

De ce qu’il ait été contraint de lutter contre certaines prétentions territoriales de la cour de Rome ; de ce qu’il ait jugé bon de soutenir de ses subsides les protestants d’Allemagne et de Hollande, il ne s’ensuivait nullement que le Cardinal fût disposé à laisser les réformés de France contrevenir aux lois du royaume et méconnaître l’autorité souveraine.

Non satisfaits de la paix de Montpellier (1622) qui confirmait l’édit de Nantes, les protestants avaient repris les armes au début du ministère de Richelieu. Occupé à d’autres besognes, celui-ci ne s’en occupa guère, tout d’abord.

Dans un accès de vanité froissée, Buckingham ayant rompu, en 1627, avec la France, envoya du secours aux protestants de La Rochelle. En août, une flotte anglaise arriva, avec mission de s’emparer des îles de Ré et d’Oléron.

Buckingham fit débarquer ses troupes dans la première de ces îles où le gouverneur, Toiras, l’attendait avec trois mille hommes d’élite. Louis XIII partit aussitôt pour le théâtre des hostilités ; mais étant tombé malade en route, il chargea Richelieu de pourvoir à tout.

Celui-ci déploya une prodigieuse activité. Avec un esprit merveilleux d’organisation, il élabora un plan général de combat et prépara lui-même, jusqu’au moindre détail, le moyen de le faire réussir. Secondé par l’évêque de Maillezais et l’abbé de Marcillac, qui partageaient sa confiance avec le père Joseph, il fit hâter la construction de la flotte, arma en guerre des bâtiments marchands, forgea quantité de canons, fabriqua de la poudre, fondit des balles, prépara des grenades et des pots à feu. Il fît graver sur les canons cette devise : Ratio ultima Régum. L’artillerie portait en outre les armes du roi et une ancre avec, en dessous, le nom du cardinal de Richelieu.

Après un combat où ils acquirent difficilement l’avantage du nombre, les Anglais mirent le blocus devant la citadelle de Saint-Martin. Toiras pouvant tenir, c’était assez pour laisser au secours le temps d’arriver.

Dans la nuit du 7 au 8 octobre, une escadrille de trente-cinq barques à voiles et à rames partit des Sables-d’Olonne au cri de : Passer ou mourir ! Avec une audace et un bonheur inouïs, elle traversa la flotte anglaise, força une estacade flottante faite avec des mâts et des câbles et apporta aux défenseurs de Saint-Martin quatre cents hommes de renfort et des vivres pour six semaines.

Quelque temps après, Richelieu et le roi étant arrivés au camp, devant La Rochelle, une armée de six mille Français, commandée par le maréchal Schomberg, débarqua dans l’île et, après avoir fait sa jonction avec Toiras, marcha contre Buckingham. A cette nouvelle, les Anglais abandonnèrent le siège et regagnèrent leurs navires. Schomberg les poursuivit. Quand il les atteignit, Buckingham et la tête de son armée avaient déjà gagné l'île d Oie. Un combat s’engagea avec l'arrière-garde. Quinze cents à deux mille Anglais furent tués, noyés ou pris ; les chevaux, les bagages et quatre canons tombèrent aux mains des Français.

Quarante-quatre enseignes anglaises furent envoyées par le roi à Paris et appendues aux voûtes de Notre-Dame.

Profitant du premier vent favorable, Buckingham mit à la voile, abandonnant les Rochelois aux forces du roi et à la volonté de Richelieu.

Celui-ci se trouvait donc seul en face de la métropole du protestantisme français. Ayant résolu de la réduire à l’obéissance, il fit, devant la Rochelle, les préparatifs d’un siège difficile et long. Il s’installa dans une petite maison et organisa tout par lui-même. Il n’avait pas seulement à vaincre La Rochelle, il lui fallait encore lutter contre trois rois.

Dans son testament, Richelieu compare à un couvent bien réglé le camp de La Rochelle. En effet, donnant même aux maréchaux des ordres qu’ils recevaient respectueusement, le général en chef était un cardinal qui tous les matins célébrait la messe sous les yeux des troupes.

Autour de lui, bourdonnait un état-major actif composé de prélats belliqueux, l’évêque de Maillezais, l’évêque de Mende, l’évêque de Nîmes, l’abbé de Marcillac. Accompagnant le père Joseph, une nuée de capucins et de récollets catéchisaient les soldats.

Et vraiment, c’était un singulier cortège que ce général en chapeau rouge, portant allègrement une armure sous sa soutane et entouré d’un état-major en mitre et en froc.

On entreprit des lignes de circonvallation de trois lieues de tour, flanquées de onze forts et de dix-huit redoutes, afin d’enserrer la ville du côté de la terre. Restait la mer, par laquelle les Rochelois pouvaient se ravitailler et recevoir du secours de l’étranger.

Un ingénieur italien avait conçu dès 1621, le projet de barrer le canal de La Rochelle ; mais les moyens qu’il imaginait, une chaîne de fer et une estacade flottante, avaient été reconnus insuffisants, lorsque Métézeau, architecte du roi, et Tiriot, maître maçon de Paris, proposèrent de jeter en travers du canal une digue de sept cent quarante toises, ouverte au milieu pour le passage des marées.

La digue, dit Henri Martin, devait être construite en pierres sèches et en talus, afin d’amortir la violence du Ilot, et assez éloignée des remparts de La Rochelle pour n’en pas craindre le canon.

La grandeur de ce dessein saisit le cardinal. Le roi et le conseil de guerre applaudirent, et l’on commença de travailler aux deux extrémités de la digue, au commencement de novembre. Plus d’une fois, l’Océan furieux défit en une heure l’ouvrage d’une semaine. Le travail de trois mois fut perdu par la faute du maréchal de camp, Marillac, qui avait fait faire la digue droite au lieu de la construire en talus. La patience de l’homme vainquit, enfin, la fougue de l’orageux élément.

Richelieu avait présidé à ce travail gigantesque, un Quinte-Curce à la main, lisant le second et le troisième chapitres du quatrième livre de cet historien, qui décrivent une entreprise semblable exécutée par Alexandre pour la prise de Tyr.

En avril, tout était terminé, et La Rochelle complètement investie. Le cardinal fit sommer inutilement la ville de se rendre. Elle avait élu comme maire un farouche marin, Guiton, qui, pour prise de possession de ses fonctions, avait jeté sur la table du Conseil un poignard destiné à percer le cœur du premier qui parlerait de capituler.

Il ne fallait pas songer à l’assaut. On compta donc sur la famine. Celle-ci se fit bientôt sentir. Un conseiller ayant parlé de reddition, Guiton, en pleine séance, le souffleta. Un autre ayant dit que tout le monde mourait de faim, le maire répondit héroïquement :

Pourvu qu’il en reste un pour fermer. les portes, c’est assez !

La Rochelle attendait des secours de l’Angleterre. Une première flotte parut le 11 mai ; mais après avoir constaté l’importance des travaux du siège, elle regagna le large. Une seconde, formidable, fut armée à Portsmouth, à la tête de laquelle devait être placé Buckingham. Mais il fut assassiné au moment de s’embarquer et remplacé par lord Lindsay.

Cette armada arriva devant La Rochelle, le 30 septembre 1628. On resta deux jours en présence. Le troisième jour, les Anglais s’avancèrent à la faveur du vent et de la marée. Ce fut un imposant spectacle. Toute l’armée française était sur la digue. De tous les points du territoire, la noblesse était accourue à l’annonce du danger, pour prendre part à la journée. Le roi était en personne aux batteries du chef de baie. Le cardinal, lui, attendait l’ennemi, debout sur sa digue enfin terminée, au centre de cette grande scène où se jouait l’avenir du pays.

Attaquée avec fureur d’un côté par les Anglais, avec rage de l’autre par les Rochelois, la digue se défendit merveilleusement. Le principal vaisseau- mine fut coulé à fond par l’amiral français ; les batteries de la côte démâtèrent une ramberge de cinquante canons et maltraitèrent fort plusieurs autres bâtiments.

Le lendemain, un second engagement ne fut pas plus heureux. Aussi, les Anglais abandonnèrent- ils la lutte, laissant La Rochelle à sa situation désespérée.

Elle fut obligée de se rendre. Seul contre tous, Guiton avait enfin cédé. Il n’avait plus que 136 hommes en état de tenir les armes. Le 30 octobre, la ville fut occupée par les gardes françaises et suisses. Les maisons, les rues, les places étaient encombrées de cadavres que personne n’avait le courage d’ensevelir. La moitié de la population était morte de faim ; une mère avait mangé sa fille ; un père avait nourri son fils de son sang. Richelieu fit son entrée le 30, à cheval. Il célébra la messe, puis alla porter au roi les clefs de la ville. Louis XIII y vint à son tour. Le cardinal marcha tout seul devant le roi, pour montrer à tout le monde qu’il était le second personnage de France.

Toujours fier, Guiton se présenta devant le ministre, qui lui demanda ce qu’il pensait.des rois de France et d’Angleterre.

— Je pense, répondit le vieux huguenot, qu’il vaut mieux avoir pour maître le roi qui a pris La Rochelle que le roi qui n’a pas su la défendre.

Après y être restés treize mois, Louis XIII et Richelieu quittèrent La Rochelle pour rentrera Paris. Le cardinal prépara une entrée triomphale. Les Ilots du peuple, avec ses échevins en tête, accueillirent le roi vêtu en Jupiter Stator, un foudre dore à la main, tandis que les poètes et les écrivains célébraient, en pompeuses déclamations, ses exploits pendant le siège.