RICHELIEU

 

CHAPITRE CINQUIÈME.

 

 

Richelieu obtient le chapeau de Cardinal. — Réceptions à la cour : les ballets. — Richelieu ministre. — Construction du Palais Cardinal. — Richelieu en fait don au Roi. — La garde du grand Ministre.

 

Comme récompense de son succès, Richelieu avait demandé le chapeau de cardinal. On le lui promit, en effet. Mais, de concert avec le roi, de Luynes, qui pressentait en l’évêque de Luçon un rival redoutable, empêcha sa nomination d’aboutir.

On écrivit donc à Rome, selon l’usage, pour presser l’affaire. Cependant, elle n’aboutissait pas. Plusieurs consistoires avaient été tenus et le nom de Richelieu ne se trouvait pas parmi ceux des nouveaux cardinaux.

Après chaque déception, le marquis de Cœuvres, chargé d’affaires à Rome, homme bizarre, fantasque et violent, croyant qu’on ne tenait aucun compte des sollicitations de sa cour, jetait feu et flammes. Afin d’arrêter son emportement, on le mit dans la confidence : il était dupe d’une manœuvre de Louis XIII.

Dans une audience qu’il lui accorda, le pape lui montra plusieurs lettres du roi, disant de n’avoir aucun égard aux démarches publiques faites dans le but d’élever à la pourpre cardinalice l’évêque de Luçon.

Cela traîna deux ans. Mais de Luynes étant mort au moment même où il venait de se faire nommer connétable, le roi s’étant de nouveau rapproché de Marie de Médicis, l’opposition cessa, et le 5 septembre 1622, la course trouvant à Lyon, Louis XIII remit la barrette au nouveau cardinal. C’était le trente-septième anniversaire de sa naissance.

Michelet raconte ainsi comment Richelieu apprit sa nomination : Un gentilhomme, qui l’avait désobligé et désirait se rapprocher de lui, apprend, le premier, la bonne nouvelle, saute à cheval, d’un trait court à Lyon, force l’hôtel de l’évêque, sa chambre, tombe à ses pieds :

— Votre Éminence est cardinal !

Cet homme si contenu ne tint pas à ce coup de foudre. Comme tous les mélancoliques, il avait, en ces occasions, des accès de joie folle, sauvage, furieuse. Le voilà qui se met à danser dans la chambre devant le gentilhomme épouvanté. Puis, cette folie donnée à la nature, le nouveau cardinal rassis, froid autant que jamais, lui fit promettre, sur sa tête, de ne rien dire de ce qu’il avait vu.

Voulant faire servir à ses ambitions politiques sa qualité de prince de l’Église, il se rendit auprès de Marie de Médicis et s’écria :

— Madame, cette pourpre, dont je suis redevable à la bienveillance de Votre Majesté, me fera toujours souvenir du vœu solennel que j’ai fait de répandre mon sang pour votre service.

La cérémonie de la remise de la barrette couronna dignement les fêtes qui se donnèrent à Lyon, à l’occasion du mariage de Gabrielle d’Estrées avec le marquis de La Valette.

D’une façon générale, la cour était sombre. Cependant, les courtisans s’efforçaient d’égayer le roi. Seuls, la danse et les ballets lui procuraient quelque plaisir.

On dansait dans la grande salle du Louvre Louis XIII, la reine et les plus grands seigneurs prenaient souvent part, comme acteurs, à ces somptueux divertissements.

Catherine de Médicis avait mis à la mode le grand ballet, solennel et majestueux, qui succéda aux tournois, devenus très rares depuis le fatal accident arrivé à Henri II, en 1559.

Bientôt, on mêla la bouffonnerie la plus grossière à la noblesse de la danse. C’est ainsi, que Louis XIII dansa un ballet intitulé :

Le ballet de maître Galimathias, pour le grand bal de la douairière de Billebahaut et de son fanfan Sotteville.

Plus tard, le duc de Nemours monta le ballet des Goutteux. Atteint de goutte à ne plus pouvoir remuer, le jour même de la représentation, il se fît apporter dans un fauteuil au milieu de la danse dont il marquait la mesure avec un bâton.

Ce fut Louis XIII qui établit des maîtrises pour les maîtres de ballet et les joueurs de violon. Richelieu, qui affectionnait la pompe et l’emphase, ne dédaignait pas de s’occuper de ces représentations. Il en organisa plusieurs, notamment ceux intitulés le Monde et la Prospérité des armes de France. Il eut à sa solde plusieurs maîtres de ballets, en autres Boccane, qui donna son nom à un pas de danse ; Durand, courtisan sans grands talents ; le poète Benserade, parent du cardinal, composa plusieurs livrets.

Les rois et les princes profitaient des ballets pour faire des cadeaux aux gens de leur cour. La galanterie consistait à ménager si bien la délicatesse de ceux qui les recevaient que les dons parussent faire partie de l’action théâtrale elle- même.

C’est après un ballet que Louis XIII imposa la barrette au cardinal de Richelieu. Désormais, il pouvait prétendre aux plus hauts emplois et réaliser le rêve de domination qu’il avait formé dès sa jeunesse.

Rentrée au conseil après la mort du duc de Luynes, Marie de Médicis s’employa avec persévérance à favoriser la fortune du cardinal. Pour réussir, elle devait ruiner le crédit des ennemis de son confident et faire taire les préventions du roi. Quand elle prononçait son nom pour un portefeuille, le roi lui répondait :

— Ne me parlez pas de cet homme-là, ma mère ; c’est un ambitieux qui mangerait mon royaume.

Et on allait répétant à Louis XIII que le ministère de Richelieu serait celui de Concini sous la robe cardinalice.

En femme avisée, Marie de Médicis changea ses batteries. Afin donc pas demander directement un ministère pour le cardinal, elle en fit faire la proposition par le conseil lui-même.

— Mais c’est ma démission que vous me demandez là, avait dit La Vieuville, quand la reine mère lui fit les premières ouvertures.

Toutes ces intrigues aboutirent. Le 26 avril 1624, au retour d’une chasse à Compiègne, dans le salon de la reine, sa mère, Louis XIII annonça le fouet à la main, au milieu de sa meute, que l’évêque de Luçon, cardinal de Richelieu, était admis en son conseil comme secrétaire d’État.

Cette nomination fut favorablement accueillie. En l’apprenant dans son austère retraite, le vieux Sully s’écria que le roi avait été comme inspiré de Dieu en choisissant l’évêque de Luçon comme ministre.

Ainsi commence le grand ministère. Richelieu, alors, a trente-neuf ans. Bien que sa santé laisse toujours à désirer, il est dans la pleine force de son génie. Après sept ans d’absence, il revient au pouvoir avec un programme grandiose dont la réalisation augmentera la puissance de la France en assurant l’équilibre de l’Europe.

Mais il ne peut accomplir les grandes choses qu’il rêvait sans susciter la haine des envieux et sans encourir l’impopularité des foules. Ses dépenses personnelles soulevaient des protestations nombreuses, à une époque où les impôts étaient déjà très lourds.

Il avait un train de maison plus que princier et ce qu’on peut appeler sa liste civile s’élevait à quatre millions de livres, ce qui fait vingt millions de notre monnaie.

Richelieu sacrifia aussi au goût toujours dispendieux de bâtir. Il agrandit le château de Richelieu, berceau de sa famille et construisit alentour une véritable ville.

Paris lui doit de sérieux embellissements. Il étendit son enceinte, provoqua l’ouverture de nouvelles voies et l’édification de nouveaux quartiers.

En souvenir de ses débuts et de son passage à la Sorbonne, il fit restaurer le vieil édifice où s’épanouit la gloire immortelle des lettres françaises. Le cardinal songea aussi à lui-même en faisant construire à grands frais, par l’architecte Lemercier, un vaste palais, près du Louvre. Pour cela, il acquit, de gré ou de force, les terrains nécessaires et fit démolir le vieux rempart commencé par Charles V, terminé par le prévôt des marchands, Etienne Marcel. Ainsi disparaissait la porte Saint-Honoré contre laquelle eut lieu, le 3 septembre 1429, l’attaque de Jeanne d’Arc contre Paris, alors au pouvoir des Anglais.

Somptueux était ce monument, qui porta tout d’abord le nom de son auteur. Et le personnage du il lenteur qui s’exprimait ainsi à son sujet, disait, cette fois, la vérité :

Et l’Univers entier ne peut rien voir d’égal

Aux superbes dehors du Palais Cardinal ;

Toute une ville entière, avec pompe bâtie,

Semble, d’un vieux fossé, par miracle sortie.

En effet, suivant l’exemple du premier ministre, la noblesse avait fait construire de beaux hôtels. Lui, le cardinal-duc, n’avait rien épargné pour que son palais fût la plus riche habitation de la capitale.

Il le garnit de tapisseries précieuses, de meubles curieux et rares, tirés des pays étrangers ; d’objets d’art de haute valeur ; de tableaux de grand prix. On raconte qu’il offrit d’un tableau de fra Sébastien del Piombo, la somme quasi fabuleuse de quarante mille écus, ce qui équivaut à plus de cinq cent mille francs de notre monnaie.

Enfin, il forma un musée d’antiquités où, entre autres chefs-d’œuvre, on remarquait une statue de Bacchus qui porte encore aujourd’hui le nom de son possesseur, comme on dit l’Hercule de Farnèse et la Vénus de Médicis.

On admirait encore un buffet en argent ciselé, une chapelle de diamants, ainsi nommée parce que les objets d’orfèvrerie qui la composaient, destinés au service du culte, étaient tout incrustés de ces pierres précieuses ; et enfin, un très beau diamant solitaire dont l’imagination populaire exagérait la grosseur et le prix.

A l’extérieur, Richelieu avait prodigué les sculptures représentant les proues de vaisseau, en l’honneur de la charge de surintendant de la marine qu’il s’était fait octroyer à l’heure où il jetait les bases du premier empire colonial de la France.

Ce faste excita le mécontentement populaire. Pour y mettre un terme, le cardinal eut l’idée de prouver son désintéressement en faisant à Louis XIII donation de son hôtel et des trésors qu’il contenait. Le roi accepta cette offre et l’acte qui en fut dressé mérite d’être reproduit :

Le cardinal, y est-il dit, avait prié Sa Majesté d’ajouter aux immenses bienfaits dont il lui était redevable, la faveur d’agréer qu’il lui donnât quelque marque de son ressentiment qui — bien que très petite, en comparaison des obligations infinies qu’il a à un aussi bon maître — témoignerait au moins à la postérité que ce n’est pas manque d’affection, mais la disproportion si extrême qu’il y a d’un sujet à son souverain et au plus grand roi du monde, qui l’empêche de lui rendre de plus grandes preuves de sa reconnaissance.

Néanmoins, Richelieu conserva l’usufruit de son palais qui, à dater de cette donation, devint le Palais Royal. Il se trouvait plus à l’aise, dans cette demeure princière, que dans son ancien hôtel de la place Royale ou dans les appartements mis à sa disposition par la reine mère, au Petit Luxembourg.

D’ailleurs, le cardinal avait une véritable garde du corps qu’il fallait bien loger. En effet, à la suite de divers attentats préparés contre lui, le roi avait autorisé son premier ministre à lever une garde composée de mousquetaires dont l’institution était récente.

Par ordonnance rendue de concert avec la reine mère, il est spécifié que les douze capitaines qui sont au service de celle-ci résideront désormais auprès du cardinal de Richelieu, le suivront et l’accompagneront partout, pour s’opposer aux entreprises qui pourraient être faites contre lui.

Ces mousquetaires portaient une casaque semblable, comme forme, à celle des mousquetaires du roi, mais dont la couleur était rouge à croix d’argent, avec des galons rouges et argent, tandis que celle des mousquetaires royaux était bleue à croix d’argent fleurdelysée et flammée de rouge galonné d’argent.

Cette garde rendait à Richelieu des honneurs quasi souverains. Sur son passage, elle présentait les armes, conformément à l’habitude de l’époque, le mousquet abaissé à la hauteur de l’épaule et appuyé sur la fourquine.