RICHELIEU

 

CHAPITRE TROISIÈME.

 

 

Caractère de Louis XIII ; jeux et distractions. — Les favoris de la reine mère. — Assassinat de Concini, maréchal d’Ancre ; procès et mort de sa femme. — Louis XIII acclamé par la foule.

 

Nominalement, Louis XIII était roi. Mais il se souciait fort peu alors d’exercer ses prérogatives souveraines. Plus d’une fois encore, après avoir parlé en maître aux cinq cents députés du pays, il fut fouetté par sa gouvernante ou par la main potelée de la reine, sa mère.

A la direction du gouvernement, il préférait les jeux de son âge. On raconte qu’en rentrant au Louvre, après la séance des Etats généraux, il confectionna une omelette, puis joua à cligne-musette avec M. de La Rochefoucauld.

Il aimait aussi à s’occuper de couture, de jardinage, de pâtisserie, et n’était pas sans goût pour la musique et pour le dessin.

La chasse était sa distraction favorite. Fort marcheur, il faisait jusqu’à trois lieues à pied. Puis, montant à cheval, il courait le cerf ou le daim dans les épaisses forêts de Saint-Germain, de Compiègne ou de Fontainebleau. Quelle joie quand il voyait se déployer devant lui sa meute de lévriers bondissants ! Et, imitant Charles IX, il sonnait du cor à se briser les poumons.

Au Louvre, contre les linottes et les passereaux des jardins, il lâchait ses pie-grièches et ses éperviers éperonnés, dressés pour lui par Albert de Luynes, un de ses favoris dont la fortune devait être si stupéfiante.

Quand il s’occupait à des jeux un peu plus sérieux, il manœuvrait de petits canons attelés de lévriers dociles. Un jour, il construisit, dans une cour du Louvre, un petit fort où il faisait évoluer son enfantine artillerie. Un des animaux faisant quelques difficultés de passer sur une planche mal assujettie, rouge de colère il le battit rudement. Le chien passa sans difficulté.

Lors il dit froidement et de façon sérieuse, rapporte son médecin, le bon Hérouard : Voilà comment il faut traiter les opiniâtres ; puis, lui donnant du biscuit, et récompenser les bons, les hommes aussi bien que les chiens.

Un autre jour, il se mit fort en colère contre les filles de la reine qui lui avaient dérobé une linotte. Il roula un de ses canons devant leur porte et menaça de le tirer, si ce n’était la crainte d’offenser la reine sa mère.

D’ailleurs, son artillerie paraissait être son dernier argument. Quand de Luynes, son favori, s’éloignait contre son gré, il l’appelait :

— Albert, Albert ! Où est-il ?

Et si le fauconnier ne répondait pas assez vite, Louis XIII tirait le canon.

Ce n’était pas le seul ami du roi. Il en avait notamment un autre, un soldat, nommé Descluseaux avec lequel il s’amusait beaucoup à monter la garde.

Mais Albert de Luynes avait su prendre un réel ascendant sur l’esprit du jeune souverain. Bien que de petite noblesse, — son fief n’était pas si grand, dit Bassompierre, qu’un lièvre ne le pût sauter chaque jour, — il fut bientôt hanté des plus grandes ambitions.

Au milieu de ses amusements, il représenta à Louis XIII combien faible était son autorité. Peu à peu, il créa autour du jeune souverain un conseil privé qui entra bientôt en lutte contre celui de la reine mère, où, véritable maire du Palais, trônait le maréchal d’Ancre.

Celui-ci était devenu très impopulaire. De nombreux pamphlets circulaient sur son compte. Déjà, la multitude avait saccagé son hôtel et, passant au-dessus de sa tête, la colère de Paris allait jusqu’aux pieds du trône.

Grâce aux faveurs de Marie de Médicis, en effet, Concini avait élevé sa fortune jusqu’au scandale. Il avait été fait marquis d’Ancre, puis nommé maréchal. Il avait acquis plusieurs gouvernements importants. Sa femme, Léonora Galigaï, et lui, ne connurent pas de bornes à leur ambition. Si grand était l’orgueil du maréchal qu’il disait à ses familiers :

— Je veux savoir jusqu’où la fortune peut mener un homme !

Il n’allait pas tarder à l’apprendre. Luynes ne pouvait rien sans la disparition de ce couple. Aussi convainquit-il le roi du tort que faisaient à l’Etat ces étrangers qui dévoraient les impôts, les honneurs et les dignités.

Après quelques hésitations, le rusé fauconnier obtint de Louis XIII l’autorisation de supprimer le maréchal d’Ancre. Vitry, capitaine des gardes, reçut l’ordre d’exécution.

Vers dix heures du matin, le 24 avril 1617, Concini franchissait le pont du Louvre, quand Vitry s’approcha de lui :

— Au nom du roi, je vous arrête, dit-il.

— Moi ! fit le maréchal en faisant mine de se défendre.

Trois coups de feu lui répondirent. Il tomba à terre raide mort.

— C’est par ordre du roi, dit Vitry aux gentilshommes qui formaient la garde ordinaire de Concini et s’apprêtaient à le secourir ou à le venger.

Sur ces mots, tous s’enfuirent.

Après l'exécution, le cadavre avait été traîné dans le petit jeu de paume et couvert d’un vieux manteau. Sur la poitrine, on avait placé cet écriteau : Traître au roi !

Dans la nuit on l’enterra à Saint-Germain-l’Auxerrois.

Ce meurtre mit la populace en délire. Elle pénétra dans l’église avec le dessein de mutiler les restes du brillant maréchal. Avisant un fossoyeur, des hommes lui dirent :

— Bonhomme, toi qui enterres chrétiens en terre sainte au cimetière des Innocents, dis-nous donc où est le corps du Florentin, traître et occis !

— La chose n’est pas difficile, répondit le fossoyeur, videz cette tombe et vous le verrez manger la terre.

Et la multitude se mit à gratter la tombe. On trouva la bière vide et, au-dessous, le corps du maréchal, la tête en bas. Ce fut alors un horrible carnage. Ils traînèrent le cadavre jusqu’au bout du Pont-Neuf, le pendirent quelques instants à un gibet que Concini avait dressé comme menace contre ses calomniateurs, puis le déchirèrent en morceaux qui furent consumés sur des bûchers allumés en divers points de la ville.

Le lendemain, on vendait ses cendres un quart d’écu l’once. Quelque temps après, on fit le procès du maréchal. Sa femme Léonora Galigaï y fut impliquée, accusée de sorcellerie, condamnée et mise à mort.

Au Louvre, l’exécution de Concini avait provoqué la plus vive émotion. Louis XIII attendait dans son cabinet des armes l’issue de l’aventure. Il tressaillit en entendant la détonation des armes à feu. Un instant après, le colonel des Corses, Ornano, pénétra auprès de lui :

— Sire, dit-il, à cette heure vous êtes roi ! Le maréchal d’Ancre est mort.

— Ça, mon épée ! ma carabine ! s’écria Louis. Et il courut aux fenêtres. Ornano le prit à bras- le-corps et le souleva pour le montrer aux gentilshommes, aux archers, aux gardes qui étaient dans la basse-cour avec Vitry.

— Grand merci ! Grand merci à vous, dit-il, à cette heure, je suis roi !

Comme le bruit avait couru en dehors du Louvre que c’était non le maréchal, mais Louis XIII lui-même qui était mort, il alla à d’autres fenêtres, se fit acclamer par la foule, à qui il cria :

— Aux armes, aux armes, compagnons ! Loué soit Dieu, me voilà roi !

Puis il envoya des lieutenants, des enseignes et des exempts des gardes dans les rues de Paris pour empêcher le désordre. On cria par toute la ville :

— Vive le roi ! le roi est roi !

De son côté, M. de Liancourt, gouverneur de Paris, monta à cheval, se rendit à l’hôtel de la Grève et, bientôt après, les échevins et quarteniers, disaient à chacun :

— Tranquillisez-vous, bons bourgeois, le maréchal d’Ancre est tué et non notre sire le roi ! Enfin, M. d’Ornano, à la tête d’une dizaine d’archers, alla prévenir le Parlement. Cette troupe étant entrée dans la cour qui précède la salle des séances le pistolet levé et criant : Vive le roi ! les gens qui y étaient s’enfuirent éperdus, s’écrasant les uns les autres.

Après s’être montré au peuple, Louis XIII se rendit dans la salle de billard. On le monta sur un pavois et il reçut les hommages des courtisans.

Lui aussi, Richelieu vint faire sa cour au souverain, qui lui dit :

— Monsieur de Luçon, nous sommes aujourd’hui, Dieu merci, délivrés de votre tyrannie !

C’est que l’orateur du clergé aux États généraux avait rapidement avancé sa carrière. Son retentissant discours des Etats généraux datait de deux ans à peine, et il était devenu successivement aumônier de la jeune reine Anne d’Autriche, conseiller d’État, secrétaire des commandements de la reine mère : il avait été chargé d’importantes missions ; on lui avait attribué six mille livres de pension. Il venait d’être nommé ambassadeur en Espagne, quand on l’appela au gouvernement en qualité de secrétaire d’État, le 30 novembre 1610. En raison de son caractère épiscopal, on lui attribua même au sein du conseil le droit de préséance sur ses collègues.

Néanmoins son avancement devait subir une éclipse. En effet, élevé au pouvoir par la protection de la reine mère et l’appui du maréchal d’Ancre, il allait en être écarté par la révolution de palais qui suivit l’assassinat de Concini.