RICHELIEU

 

CHAPITRE DEUXIÈME.

 

 

Assassinat du roi Henri IV. — Proclamation de Marie de Médicis comme régente. — Richelieu part pour Paris. — Les États Généraux de 1614. — Richelieu élu député du clergé ; son discours.

 

Cette occasion sera la mort de Henri IV. D’un coup d’œil, l’évêque de Luçon comprend tout le parti qu’il peut tirer du trouble dans lequel le meurtre de Ravaillac plonge la France et le gouvernement.

Avisé, dès le premier moment, de la mort du roi, Richelieu accourt à Paris pour revivre dans ses détails la journée du 14 mai 1610.

Depuis plusieurs jours, Henri IV avait de noirs pressentiments. Contrairement à son habitude, il était inquiet et troublé, parlant de sa mort.

— Ah ! maudit sacre, disait-il à Sully, en parlant du sacre de Marie de Médicis qui avait eu lieu la veille en grande pompe à Saint-Denis, maudit sacre, tu seras cause de ma mort !

Or, le vendredi 14 mai, après déjeuner, il quitta le Louvre pour se rendre à l’Arsenal, où résidait Sully.

Le temps était beau, le carrosse était ouvert... Arrivé d’Angoulême à Paris depuis un mois, portant toujours sous son manteau un couteau dérobé dans une auberge, un visionnaire d’humeur sombre et de physionomie sinistre, à la fois moine, maître d’école et recors, François Ravaillac guettait le cortège royal aux portes du Louvre. Il le suivit. Rue de la Ferronnerie, l’assassin profita de ce qu’un embarras de voitures forçait le carrosse à raser les boutiques adossées au cimetière des Innocents, pour monter sur une borne et frapper le roi.

— Je suis blessé ! dit Henri IV.

Comme il levait le bras, l’assassin lança un second coup qui perça le cœur. Au moment même, il mourut. On tira les mantelets du carrosse ; les seigneurs dirent au peuple, accouru en foule, que le roi n’était que blessé et reprirent le chemin du Louvre.

En entrant dans la cour, on cria, comme c’était l’habitude en cas d’accident :

Au vin et au chirurgien. Mais l’un et l’autre étaient inutiles.

A ce propos, rappelons qu’un seul souverain, le petit roi Jean le Posthume, mourut au Louvre, en 1316. De même, une seule reine, Anne d’Autriche, s’éteignit, en 1666, dans le palais des rois.

Avertie par son favori Concini, la reine mère descendit à la hâte dans la pièce où l’on avait déposé le royal cadavre.

— Hélas ! s’écria Marie de Médicis en rencontrant le chancelier de Sillery dans l’escalier, le roi est mort !

— Madame, répondit celui-ci, en France le roi ne meurt pas !

Ce tragique événement jeta le désarroi à la cour et la consternation dans le peuple.

Au Louvre, on prit toutes les précautions pour sauvegarder la vie du Dauphin qu’on pouvait croire menacée. Il fallait sur-le-champ pourvoir à la régence. D’Épernon se rendit au Parlement et, dans un langage menaçant, exigea qu’il proclamât la reine mère régente du royaume.

Les princes du sang étaient absents de Paris. Le Parlement ne put résister aux menaces des gens de la reine et rendit aussitôt l’arrêt demandé. Henri IV avait été assassiné à quatre heures. A six heures et demie, Marie de Médicis, petite-nièce de Charles-Quint et cousine de Philippe II, gouvernait au Louvre. Italienne, parlant à peine le français, sous la dépendance étrange de sa sœur de lait, Léonora Galigaï et du mari de cette dernière, Concini, plus tard maréchal d’Ancre, elle allait régner pendant la minorité de Louis XIII, alors âgé de neuf ans. Quelque hâte qu’il mît avenir à Paris, Richelieu y arriva trop tard : on avait songé à confier à son éloquence l’oraison funèbre du roi défunt ; mais, en son absence, force fut de se pourvoir ailleurs.

Pendant les journées troublées qui suivirent cette catastrophe, Richelieu raffermit les sympathies qu'il comptait déjà et s’en ménagea d’autres.

Son heure n’était pas encore venue. Non sans espoir, mais le cœur cependant ulcéré par la déconvenue de son impatiente ambition, il regagna son diocèse, d’où il suivit d’un œil attentif la marche des événements.

En 1614, à la majorité légale du roi, Marie de r Médicis ayant décidé de réunir les Etats généraux, Richelieu se fait élire député du clergé par le Poitou.

Convoquée pour ruiner la popularité des princes du sang, hostiles à la régente et donner plus d’autorité aux débuts du règne de Louis XIII, cette assemblée devait marquer le premier triomphe de la carrière politique de l’évêque de Luçon, lui mettre, selon une expression du temps, le pied à l’étrier.

Les États se réunirent dans la grande salle du Petit-Bourbon, entre le Louvre et Saint-Germain-l’Auxerrois. La séance royale eut lieu le 27 octobre Dans le fond de la nef, sous un dais fleurdelysé, vêtu de blanc, avait pris place le jeune roi, ayant à ses côtés sa mère, son frère, ses sœurs et la première femme de son père, Marguerite de Valois ; le grand maître de la cour ; les massiers à genoux ; le chancelier de Sillery, etc.

A droite, siégeaient les cardinaux ; à gauche, les princes du sang et les ministres ; puis les ducs et pairs, au premier rang desquels, Sully et d’Épernon ; les chevaliers du Saint-Esprit, les secrétaires d’Etat. Enfin venaient les députés du clergé, de la noblesse et du tiers état.

Bien que le plus jeune des représentants du clergé, l’évêque de Luçon s’imposa à ses collègues par la sûreté de son jugement, son éloquence calme et mesurée, l’habileté avec laquelle il mena des négociations délicates entamées avec les représentants des autres ordres.

C’est lui qu’on désigna pour présenter au roi les cahiers du clergé dans la séance solennelle de clôture, qui se tint le 23 février 1615. L’éclatante harangue qu’il prononça à cette occasion fut la révélation de son génie.

Il y posa plusieurs des principes qui devaient faire la règle de sa conduite au cours de son long et glorieux ministère.

Comme résultats, cette réunion des représentants de la France couvrait de son approbation l’administration de Marie de Médicis depuis la mort de Henri IV et clôturait légalement, non de fait, la régence. En outre, on y vit poindre les premiers indices de l’orage qui marquera la fin du siècle suivant.

Le tiers s’émut de son rôle inférieur et des différences parfois humiliantes du cérémonial à son égard ; il s’irrita de l’insolence des nobles et fit entendre des paroles de menace.

Craignez, disait au roi Robert Miron, prévôt des marchands de Paris, que, d’enclume qu’il est, le peuple ne devienne marteau.