RICHELIEU

 

CHAPITRE PREMIER.

 

 

Naissance de Richelieu. — Pauvreté de sa famille ; son entrée au collège de Navarre. — Il est placé à la tête du diocèse de Luçon. — Son ordination à Rome. — Son existence à Luçon.

 

Armand-Jean du Plessis de Richelieu naquit à Paris, rue du Bouloi, le 15 septembre 1585. Originaire de la Marche du Poitou, sa famille était ancienne, bien vue à la cour, mais sans fortune.

Son père, François du Plessis, était grand prévôt de France et favori de Henri IV. Aux côtés du Béarnais, dans ses luttes pour la conquête du royaume, il combattit à Arques et à Ivry ; assista aux sièges de Vendôme, du Mans et de Falaise ; suivit le roi au grand siège de Paris. François de Richelieu se trouvait dans le camp royal, à Gonesse, quand il fut subitement emporté, le 10 juin 1590, par une fièvre violente.

Il laissait une veuve, Suzanne de La Porte, et cinq enfants : trois garçons, Henri, Alphonse, Armand-Jean, et deux filles, Françoise et Nicole.

Des spéculations hasardées avaient ruiné le grand prévôt. Si grande était sa détresse, que la famille dut engager son collier de chevalier du Saint-Esprit pour subvenir aux frais de ses funérailles.

Suzanne de La Porte regagna le château de Richelieu, où elle se consacra, avec un réel dévouement, à la reconstitution de sa fortune et à l’éducation de ses enfants.

Quelle que fût sa bonne volonté, la veuve du Plessis dut bientôt remettre à de plus experts le soin d’instruire son plus jeune fils, Armand. Elle le confia d’abord à Hardy Guillot, prieur de l’abbaye de Saint-Florent, près de Saumur. Puis, vers 1594, Amador de La Porte, emmena son neveu à Paris et le fit entrer au collège de Navarre.

Vint l’heure où il fallut aiguiller le jeune collégien vers une carrière. Richelieu était doublement cadet, dans une famille où, en dehors du mince héritage transmis d’aîné en aîné, il n’y avait d’autre fortune que la succession assurée à l’évêché de Luçon, don consenti à son grand prévôt par Henri III, en 1584. Armand du Plessis ne pouvait même pas prétendre à ce maigre bénéfice. Ayant deux frères plus âgés, l’un devait prendre le fief et l’autre l’évêché.

Ardent au travail, avisé à l’étude, supportant mal la rude discipline du collège, on ne savait pas encore ce qu’il ferait ; mais, selon un de ses panégyristes, on pouvait déjà prédire qu’il le ferait bien. On jugea que son tempérament le portait vers les choses de la guerre, et un conseil de famille décida que, comme son frère aîné Henri, il serait d’épée.

En quittant le collège de Navarre, il prit le nom de marquis du Chillou, ceignit l’épée et se fit inscrire à l’Académie. C’était une haute école de maintien, d’élégance et d’honneur.

On sortait de l’Académie, non seulement brave et exercé, mais encore homme du monde accompli et parfait courtisan. Son directeur, M. de Pluvinel, grand écuyer du roi, avait une opinion arrêtée sur le langage et l’allure des gentilshommes, sur la hauteur du chapeau, la frisure des plumes, la longueur du manteau, l’empesé des fraises et du collet, et il l’imposait à ses élèves par d’aimables leçons et de beaux exemples.

Le marquis du Chillou suivait avec un beau zèle les enseignements de M. de Pluvinel et se préparait vaillamment à être, comme il le dira plus tard, de ces gens de main qui, ayant de la naissance mais pas de fortune, doivent, par leur seul mérite, assurer leur avenir. Il acquit ainsi une tournure d’esprit hardie dont il ne se départit jamais.

Une circonstance imprévue renversa ses projets. Alphonse, le second des fils de François du Plessis, étant d’église, devait, naturellement, devenir évêque de Luçon. Mais, se sentant pris d’une belle passion pour le métier de moinerie, il se fit chartreux. Pour que la famille ne perdît pas ce bénéfice, il était urgent qu’un Richelieu fût placé à la tête du diocèse de Luçon. Armand se dévoua. Le cavalier prit la soutane. Richelieu avait alors dix-sept ans.

Il remit son épée à M. de Pluvinel, rentra au collège de Navarre, fit sa philosophie et commença ses études théologiques, qu’il mena rondement.

Vers la fin de 1607, avant l’obtention de ses grades, le jeune Armand du Plessis fut nommé évêque de Luçon. Henri IV écrivit au pape pour obtenir la dispense d’âge. Ses mérites et sa suffisance, mande le roi, peuvent aisément suppléer au défaut d’âge canonique. Il est du tout capable de servir en l’Eglise de Dieu, et je sais qu’il ne donne pas peu d’espérance d’y être grandement utile.

Impatient des lenteurs de la chancellerie pontificale, Richelieu partit pour Rome. Il fut présenté au pape par M. d’Halincourt, ambassadeur de France, et par le cardinal de Joyeuse, cousin du roi. Le Pontife s’intéressa au jeune prélat désigné et eut même avec lui, rapporte-t-on, de longs et graves entretiens sur les affaires religieuses du royaume.

A Rome, notre postulant, prenant part aux discussions littéraires et théologiques, y brilla par l’étendue de sa science, la sûreté de sa mémoire, la vivacité de son esprit et la modestie de son maintien.

Un jour, un des prédicateurs de la cour romaine ayant prononcé un long sermon, Richelieu le récita d’un bout à l’autre à la sortie de l’église. Ce fait ayant été rapporté au pape, celui-ci fit venir le jeune abbé et lui demanda de répéter le sermon. Il réussit, à la grande admiration de Paul V. Et pour montrer qu’il n’avait pas seulement la mémoire servile, mais encore l’esprit ouvert, il fit, le lendemain, un autre sermon de son cru sur le même sujet.

Convaincu des mérites exceptionnels du jeune abbé, le souverain pontife octroya les bulles de dispense. Richelieu fut sacré à Rome, à l’occasion des fêtes de Pâques, le 17 avril 1607.

On assure que Paul V s’exprima ainsi, à propos de cette nomination anticipée :

Il est juste que l’homme qui montre une sagesse au-dessus de son âge soit ordonné avant l’âge.

M. de Luçon rentra à Paris. Déjà, l’ambition politique le liante. Mais il craint de se déclarer prématurément. De haute lutte, il conquiert le grade- de docteur en théologie, et c’était un spectacle peu banal que de voir un évêque studieusement assis sur les bancs de l’école. Il sollicita et obtint son admission aù nombre des professeurs de la Sorbonne, prêcha dans les plus importantes églises de Paris, étendit ses relations dans le monde ecclésiastique, se fit des protecteurs à la cour, s’avança dans les bonnes grâces du roi qui l’appelle mon évêque et, enfin, dans les derniers jours de 1608, partit pour Luçon, où il résidera et, pour que le fait en passe la barrière du Louvre, exhibera à ses diocésains un parfait zèle épiscopal.

Cet exil était un calcul. Avec la clairvoyance de son génie, Richelieu avait jugé cette étape nécessaire. Mais il n’est pas enthousiaste de sa nouvelle position :

Je suis extrêmement mal logé, écrit-il, car je n’ai aucun lieu où je puisse faire du feu à cause de la fumée ; vous jugez bien que je n’ai, pas besoin de grand hiver ; mais il n’y a remède que la patience. Je vous puis assurer que j’ai le plus vilain évêché de France, le plus crotté et le plus désagréable ; mais je vous laisse à penser quel est l’évêque ! Il n’y a ici aucun lieu pour se promener, ni jardin, ni allée, ni quoi que ce soit, de façon que j’ai ma maison pour prison.

Et il ajoute :

Madame, je vous prie de me faire faire un manchon de la moitié des peaux de martre de M. le commandeur, couvert de velours noir, car il fait froid en ces quartiers.

Pauvre, aimant le luxe et le paraître, il fut obligé de vivre petitement et de se meubler d’occasion. Toutefois, au bout de quelque temps, son installation est honorable. Et on sent qu’il éprouve grand plaisir à en faire part.

On me prend, écrit-il encore, pour un grand seigneur dans le pays. Cependant, je suis gueux, comme vous savez. Je suis gueux ; mais cependant, quand j’aurai plat d’argent, ma noblesse en sera fort relevée.

Malgré tout, il ne laissait pas chômer les affaires de son diocèse et n’abandonnait pas ses projets d’avenir.

Il faut, comme les rameurs, disait-il, marcher au but, même en lui tournant le dos.

Pour lui, sa volonté était de conquérir le pouvoir, à la faveur d’un mérite qui s’impose. C’est à cette époque qu’il écrivit le fameux Mémoire sur les Instructions et maximes qu’il s’est données pour se conduire à la cour, parfait bréviaire de l’ambitieux et du courtisan.

Les efforts de l’évêque de Luçon ne restent pas stériles. Sa réputation grandit. On parle de lui, même chez le roi.

Pour paraître et se produire, il n’attend plus qu’une occasion, la guette non sans impatience.