LES GRANDS ILLUMINÉS - NOSTRADAMUS

 

XI.

 

 

Après la mort d'Henri II, les dissensions religieuses s'aigrirent fort en Provence. Les Guise y envoyèrent des hommes à eux ; d'autre part, Jean de Bary La Renaudie, gentilhomme périgourdin, mandé par Condé, Coligny et d'Andelot, y vint exciter les huguenots. Antoine de Mauvans, l'un de ceux-ci, qui avait pris les armes pour résister aux catholiques de Castellane et soutenu une sorte de siège dans son château, commit l'imprudence de se rendre à Draguignan et y fut assassiné aux cris de : Au luthérien ! Il avait des parents de son nom à Salon : notamment Amalric de Mauvans, syndic en 1531, et Barthalès de Mauvans, allié à la mère d'Adam de Craponne. Les huguenots de la ville n'étaient pas encore déclarés hautement ; c'étaient des sympathisants, comme nous dirions ; ils furent indignés par l'assassinat d'Antoine de Mauvans, dont, au contraire, les gens de bien — on dira de nos jours, dans un sens un peu différent, les bien pensants — s'empressèrent de faire paraître une joie délirante. Les choses se gâtaient de plus en plus. Les huguenots apprirent à leurs enfants une chanson luthérienne que ces innocents chantaient dans les rues. Plainte furieuse des catholiques au viguier qui, étant de cœur avec les protestants, n'en tint pas le moindre compte. Inde irae et tout commença d'aller fort mal.

Le 1er mai 1560, les paysans des environs — on les appelait Cabans à cause de leurs manteaux d'hiver à manches et capuchons, en cadis gris — s'assemblèrent sur le cours, entre la place du Bourgneuf et celle des Arbres, criant : Vive la religion ! A bas luthériens ! Vivent cabans ! La plupart avaient collé au bout de leurs gros bâtons des croix de papier blanc et fiché des plumes de coq à leurs barrettes et bonnets pour se rallier. Sous la conduite de leur meneur — un nommé Louis Villermin, dit Curnier, natif de Salon —, ils allèrent appréhender les gens qu'ils soupçonnaient d'hérésie et commencèrent de les conduire aux prisons du château à coups de bâton. Ce que voyant le viguier Pierre Roux, sieur de Beauvezet, s'en vint saisir un de leurs chefs au collet et il se mettait en devoir de l'emmener, lorsque cent Cabans, s'enhardissant l'un l'autre, lui coururent sus, criant : Fauteur d'hérétiques et de cette canaille de luthériens ! Luthérien toi-même ! Le sieur de Beauvezet se réfugie dans la boutique d'un revendeur proche de cette grand'place de la fontaine des Arbres où toute la ville se réunissait les dimanches et jours de fêtes. Il était environ six heures du soir. Aussitôt les émeutiers de s'assembler devant la maison, réclamant le viguier mort ou vif, et, malgré les prières du premier consul, Antoine de Cadenet, les voilà qui entassent des sarments, de la paille, du bois jusqu'à hauteur du premier étage. Beauvezet jette alors par la fenêtre le bâton, insigne de sa charge, pour marquer qu'il démissionne, et les Cabans satisfaits courent chez Antoine de Cordes, gentilhomme catholique, lequel leur prodigue de belles paroles calmantes, et se mettant à leur tête avec Palamède de Marck de Châteauneuf, s'en va avec eux arrêter les suspects, commençant par ses propres parents et amis, et les mène au château où il les laisse en sûreté sous la garde des soldats. C'est ainsi qu'ils furent sauvés.

L'émeute dura cinq jours. Durant deux nuits entières, les Cabans déambulèrent par les rues avec sarments et bouchons de paille flambant au bout de leurs bâtons, langues de bœuf et pertuisanes, criant : Au feu, au feu ! Vivent Cabans ! Meurent luthériens ! menant grand tapage de tambours et trompettes, et illuminés par les lampes et lumières veillantes dont les fenêtres des maisons se trouvaient prudemment garnies pour les éclairer. La boutique et le logis du second consul Louis Paul, fort suspect de donner dans les idées nouvelles, furent pillées ; celles de son frère aussi. Une pauvre vieille, dont le fils avait été arrêté, fut assommée près de la porte Saint-Lazare et traînée jusqu'à la léproserie où une brute lui coupa la tête à coups de cognée. Maître Michel Nostradamus ne devait pas être rassuré.

Le 2 mai, il y eut dans la maison commune assemblée des officiers de la ville et d'environ trois cents notables. On y régularisa la nomination forcée d'Antoine de Cordes en qualité de viguier, élut quatre lieutenants au capitaine, noble Jean d'Isnard, parmi lesquels fut Adam de Craponne, prit diverses mesures contre les suspects, plus apparentes que réelles, pour satisfaire le populaire ; et l'on pria enfin le vicaire général de l'archevêque d'Arles — celui-ci était seigneur de Salon — de faire faire des informations.

Huit jours plus tard arriva le fameux baron de la Garde, lieutenant du roi en Provence, escorté du grand prévôt. Il demanda qu'on lui livrât les suspects d'hérésie, mais on lui répondit que l'enquête du vicaire général de l'archevêque était en bonne voie, et on lui fit don d'un tonneau de vin, moyennant quoi, et ses dépenses payées, ainsi que celles du prévôt, il s'en alla. Après quoi le conseil de ville acheva de noyer le poisson : presque toutes les familles nobles ou riches de la ville étaient alliées entre elles et l'on sait la puissance des liens de ce genre sous l'Ancien Régime. On s'occupa donc activement de blanchir les suspects. Et puis Antoine de Cordes fut remplacé comme viguier par noble Guillaume de Brunet qui ne passait pas pour trop bon catholique. Bref les gens de bien n'étaient pas trop contents, mais ils le furent moins encore quelque temps après.

Si le premier consul devait être gentilhomme, le second et tous les autres officiers pouvaient être roturiers : le meneur des Cabans, Villermin dit Curnier, fut élu second consul. La température froide de cette année-là avait retardé les récoltes ; mais, le 1er juillet, presque tous les paysans durent s'en retourner à leurs champs. Or dès le lendemain, entre sept et huit heures du soir, Curnier reçut un coup d'arquebuse qui lui fit entrer dans le corps plusieurs anneaux de la cotte de mailles qu'il portait, et mourut en une heure après avoir souffert un vrai martyre. Aussitôt le tocsin de sonner et les Cabans qui étaient encore présents dans la ville de galoper par les rues, hurlant : Les luthériens ont tué notre consul ! Zou ! Mort à cette canaille ! Mais ils étaient peu nombreux et le populaire ne suivit pas, tellement qu'à minuit, voyant les maisons fermées et toutes les lumières éteintes, ils regagnèrent leurs logis.

Le lendemain le conseil de ville décida officiellement de poursuivre les assassins, mais rien ne fut fait, et non seulement la veuve de la victime, Catherine Galine, requit vainement le premier consul et les officiers de la ville de suivre l'affaire, mais les héritiers de Curnier durent faire procès pour être payés des gages qui lui étaient dus pour son consulat. Puis Louis Paul, poursuivi pour hérésie, reçut des lettres de justification du baron de La Garde, et fut réintégré au conseil. Là-dessus le roi rendit son édit du 2 4 août 1560 accordant l'amnistie aux suspects de calvinisme. Les catholiques réagirent comme ils purent à Salon, en s'affiliant en masse à la confrérie des Battats — battus, flagellants —, presque tombée en désuétude, et en fondèrent même une autre. Au total personne ne fut content.

Nostradamus était assez mal vu des cabans ; sa réputation d'astrologue, ses prédictions les inquiétaient ; toutefois, catholique déclaré, il n'avait pas été molesté. Que d'inquiétudes, pourtant ! Et puis allez donc travailler au milieu de l'émeute ! D'ailleurs les gens d'étude ne sont pas des gens de guerre, n'est-ce pas ?... Aussi dut-il se féliciter lorsqu'il vit arriver les soldats du roi.

A la fin de 1561 des troubles autrement graves que ceux de Salon s'étaient déroulés à Aix, où Jean de Nostredame, son propre frère, s'était signalé de telle sorte qu'il alla en prison. Le comte de Tende, gouverneur de la province, prit le parti d'assembler les États à Salon, mieux fortifiée — ses remparts étaient tout neufs — et moins populeuse. Ordre fut donc donné aux consuls de lever cent vingt hommes pour sa garde et de préparer des logements pour les deux cents hommes de la compagnie du capitaine Antoine de Marck, sieur de Tripoly, lequel devait courir sus au sieur des Porcellets qui, à la tête de bandes se disant catholiques, avait battu la campagne de Saint-Chamas à Lançon, puis jusqu'à Salon, maltraitant les luthériens et pillant leurs boutiques et maisons. Là-dessus fut rendu l'édit de janvier 1561, qui autorisait les prêches. D'où nouveaux troubles à Aix, où le roi envoya le comte de Crussol, Antoine Fumée, membre du Grand Conseil, et Antoine Ponat, conseiller au parlement de Grenoble, lesquels vinrent d'abord prendre langue à Salon, auprès du comte de Tende. Et c'est alors que commencèrent les grandes guerres qu'on connaît, illustrées notamment par les gentillesses du baron des Adrets. Mais Salon resta calme et tranquille, maintenue en paix par la poigne solide du comte de Sommerive, fervent catholique et gouverneur général de la province. C'est à peine si, le 6 septembre 1562, le conseil de ville, avisé que des gens de la nouvelle religion voulaient passer la Durance, envoya quatre hommes à cheval le long de la rivière pour les surveiller, ou si, le 22 mars 1563, il manda trente hommes de renfort, dont douze à cheval, à Orgon pour la même raison.

Cependant, ce Nostradamus suspect au populaire ignare de Salon l'était si peu aux princes de l'Église, que, de l'argenterie ayant été volée à Orange, l'évêque même lui écrivait pour le prier d'aider à la retrouver. La réponse qu'il fit existe encore. Elle commence par un horoscope formidable, auquel pourtant le texte ne fait aucune allusion — ô prudence ! — ; puis l'astrologue prédit que, si le voleur ne restitue pas sur-le-champ les objets dérobés, il sera frappé de la peste et trépassera d'une manière horrible ; enfin il engage vivement le prélat à publier cette prophétie, l'assurant qu'ensuite l'argenterie sera rendue. On ne sait malheureusement quelle suite eut cette affaire.

Le 19 mars 1563 le roi Charles IX signa à Amboise son édit de pacification et, un an plus tard, il entreprit avec la reine-mère et la Cour ce grand tour de France qui dura près de deux ans, de province en province, de bonne ville en bonne ville, de château en château. C'est durant ce voyage, en juillet 1564, que le roi accorda à la cité de Salon des armoiries nouvelles et le droit d'avoir un troisième consul. Le 24 septembre, il entrait en Avignon où il séjourna trois semaines. Puis la caravane royale reprit la route, franchit la Durance sur un pont de bateaux, dîna à Château-Renard et s'en vint coucher à Saint-Rémy le 16 octobre.

Depuis un mois les consuls de Salon faisaient arranger les appartements du château, réparer les chemins et sabler les rues, où l'on jetait du romarin pour l'odeur. Mais tous les riches bourgeois avaient quitté la ville en raison d'une peste qui venait de faire périr quatre cents personnes en quelques mois. Aussi, lorsque les fourriers royaux arrivèrent, la cité était en grande partie déserte. En toute hâte des courriers furent envoyés pour inviter les habitants à revenir, sous peine de châtiments sévères, afin de préparer les logements des gens du roi. Charles IX, pendant ce temps-là, attendait au Touret, une maison de campagne des environs, où on l'avait fait arrêter pour dîner. Enfin, l'après-midi, il entra dans la ville par le portail Saint-Lazare.

Durant son voyage, c'était partout à peu près le même cérémonial. Les rues étaient ornées et tapissées, le corps de ville en robe de velours présentait les clés d'argent à l'entrée des portes, le roi à cheval avançait sous un dais par les rues sablées, les cloches sonnaient... Charles IX n'avait pas tout à fait seize ans. Il était couvert, le jour de son entrée à Salon, d'un manteau de velours violet cousu d'argent, coiffé d'un béret violet entouré d'une rivière de diamants et surmonté d'un panache blanc ; et deux gros diamants encore, suspendus à ses oreilles par des chaînettes d'or, effleuraient la collerette de dentelle du jeune roi. Il fut reçu sous le dais de damas violet et blanc par noble Antoine de Cordes et par Jaume Paul, consuls, accompagnés des autres officiers de la ville ; sire Jaume Paul devait être anobli l'année suivante et devenir co-seigneur de Lamanon. M. de Cordes avait prié Nostradamus, dont il était grand ami, de se joindre au corps de ville, mais celui-ci s'en était excusé et s'était mêlé au commun. Toutefois, le premier consul l'ayant désigné au roi, Charles IX lui fit un signe de la main et un sourire, à quoi il répondit par une grande révérence en prononçant, comme saisi d'enthousiasme : Vir magnus bello, nulli pietate secundus ! Après quoi, tourné vers la foule, où se voyaient beaucoup de ces cabans qui le traitaient naguère de visionnaire, il s'écria éloquemment : O ingrata patria, veluti Abdera Democrito ! comme pour dire : Ô terre ingrate à qui je donne quelque nom, vois l'état que mon roi daigne faire de moi !

Après cela, il accompagna Charles IX jusqu'au château, marchant à côté de son cheval, son bonnet d'une main et s'appuyant de l'autre sur un très beau jonc des Indes emmanché d'argent, car il était fort tourmenté de cette douleur pédestre que le vulgaire nomme goutte. Il allait ainsi au son des fanfares, pendant que le peuple criait de toutes ses forces : Viva lo rey ! Viva la sancta messa ! Et sachez que le roi le fit entrer dans sa propre chambre pour causer avec lui, et que le soir il présenta sa famille tout entière à Sa Majesté, y comprise une fille de lait qu'il avait, c'est-à-dire un poupon.

Le lendemain matin, la reine Catherine le fit venir pour prédire l'avenir de son fils Alexandre, duc d'Anjou, et, après avoir bien examiné l'enfant et avoir fait promettre aux personnes qui étaient là d'être discrètes, il annonça que le jeune prince succéderait à son frère. C'est du moins ce que rapporte une tradition ancienne. Mais deux dépêches de Don Francès de Alava, qui nous sont restées, parlent de la légèreté de Catherine et signalent avec dédain sa foi aux astrologues : en répétant ce que Nostradamus lui avait dit, écrit Don Francès, elle avait le même air de confiance que si elle eût cité saint Jean ou saint Luc. Le devin avait annoncé que Charles IX épouserait la reine Élisabeth d'Angleterre ; mais Élisabeth ne put avoir tous les maris qu'on lui avait prophétisés et la prédiction ne s'accomplit pas

Nostradamus fut plus heureux avec Henri de Navarre, le futur Henri IV, qui accompagnait le roi et la reine-mère. Un matin, à son lever, il voulut le voir nu ; cela se passait dans la maison d'un bourgeois de Salon, Tronc de Coudoulet, voisine du château. Le gouverneur y consentit et Nostradamus fut introduit au lever du jeune prince, qui n'avait pas onze ans, dans le temps qu'on lui donnait la chemise. L'enfant ne voulait d'abord se laisser examiner, intimidé par la grosse barbe du devin et craignant aussi qu'on ne lui voulût donner le fouet ; mais, rassuré, il se laissa faire et, l'ayant contemplé fort longtemps, Nostradamus annonça qu'il aurait l'héritage. Si Dieu, déclara-t-il au gouverneur, vous fait grâce de vivre jusque-là, vous aurez pour maître un roi de France et de Navarre. Henri IV plus tard raconta plus d'une fois cette histoire à la reine sa femme, s'il en faut croire, du moins, Pierre de l'Estoile.

Charles IX quitta Salon le 18 octobre 1564 après-midi, et gagna Lambesc où il coucha ; puis il continua son voyage. Le débordement du Rhône le retint à Arles pendant huit jours. Il y manda Nostradamus qui fut à nouveau questionné par la reine. Enfin il lui donna deux cents écus d'or et Catherine cent, sans compter le titre de médecin et conseiller ordinaire du roi pour en jouir avec les gages, honneurs et prérogatives y attachées. Et l'astrologue fut ainsi bien vengé des dédains passés de ses concitoyens.

Malheureusement la maladie l'empêchait de jouir pleinement du respect que les Salonais avaient désormais pour l'homme si flatteusement distingué par le roi. Il continuait d'aider Adam de Craponne de ses deniers : le 30 août 1565, il lui faisait prêter cent écus pistolets par sa femme Anne Ponsard, par devant maître Joseph Roche, notaire royal et tabellion juré, sous la garantie d'Antoine Marck, dit le capitaine de Tripoly. Mais il était fort caduc et une arthritis et goutte le torturaient cruellement. Le 17 juin 1566, il manda le notaire pour faire son testament. Il légua à sa fille Magdeleine six cents écus d'or pistolets et à ses autres filles, Anne et Diane, cinq cents écus d'or. A sa chère épouse Anne Ponsard, quatre cents écus d'or, plus certains meubles à l'usage de son habitation. Aux frères de l'Observance de Saint-Pierre-de-Canon, un écu. A la chapelle Notre-Dame-des-Pénitents-blancs, un écu. Aux frères Mineurs conventuels, un écu. A treize pauvres, six sols. Et ses trois fils, César, Charles et André, devinrent ses héritiers universels ; celui qui profiterait le plus à l'étude devait recevoir tous les livres, manuscrits et lettres qu'on trouverait dans sa maison. Sa fortune en argent comptant se composait de trois mille quatre cent quarante-quatre écus et dix sols dont il montra les espèces ainsi spécifiées : trente-six nobles à la rose, ducats simples, cent un angelots, soixante-dix-neuf doubles ducats, vingt-six écus vieux, quatre lions d'or en forme d'écus vieux, un écu du roi Louis, une médaille d'or valant deux écus florins d'Allemagne, huit impériales, dix marionnettes, dix-sept et demi écus sols, huit écus sols encore, quatorze cent dix-neuf écus pistolets et douze cent trois pièces d'or dites portugaloises valant trente-six écus. Joignez qu'il déclara avoir prêté quinze cents écus moyennant billet.

Cependant son arthrite, étant maintenant passée en hydropisie, le tourmentait, plus que jamais malgré cette recette précieuse qu'il avait publiée dans son Opuscule pour confire l'escorce de buglosse que les Espagnolz nomment lengua bovina, qui est une conditure cordiale, qui préserve le personnaige de venir hétique ou hydropicque, et tient le personnaige joieux et allègre, chasse toute mélancholie, resjeunit l'homme, retarde la vieillesse, fait bonne couleur au visaige, entretient l'homme en santé, préserve l'homme cholérique. Vers la fin de juin, il écrivit un jour sur un exemplaire des Éphémérides de Jean Stadius qui lui appartenait : Hic prope mors est, ici proche est la mort. Le 1er juillet, tard dans la nuit, il dit à son fidèle disciple Jean-Aimé de Chavigny : Vous ne me verrez pas en vie au soleil levant. Le lendemain, en effet, jour de la Visitation Notre-Dame, avant l'aube, M. maître Michel Nostredame, docteur en médecine, astrophile, conseiller, médecin ordinaire du roi, expira : l'hydropisie l'avait étouffé en huit jours.

Il fut enterré le même jour, avec regrets, pompe et suite honorable, à la vieille église des Frères Mineurs. Le deuil fut conduit par Palamède Marck, sieur de Châteauneuf, et par Jacques Suffren, écuyer, qu'il avait choisis pour gaigiers ou exécuteurs testamentaires. On le plaça solennellement dans le tombeau qu'il avait fait construire de l'épaisseur de la muraille, entre la grande porte et l'autel de Sainte-Marthe. Plus tard César de Nostradamus y fit poser un portrait qu'il avait peint d'après un original de 1561, car il était encore enfant lors de la mort du prophète : c'est un buste compris dans un ovale autour duquel on lit : Clariss. Mich. Nostradamus régi consiliari. medic annum agens LXIII Cœsaris Nostrad filii patricii opus (1)[1]. Aux deux angles supérieurs se voient les armoiries que le devin tenait, nous dit son fils, tant de ses ayeulx paternels que maternels — mais n'en croyez rien : elles étaient sûrement toutes neuves — et qui sont de gueules à une roue brisée à huit rayons, composée de deux croix potencées d'argent, écartelé d'or à une tête d'aigle de sable ; devise : Soli Deo. Enfin on inscrivit sur le monument cette épitaphe :

D. M.

CLARISSIMI OSSA

MICHAELIS NOSTRADAMI

UNIUS OMNIUM MORTALIUM JUDICIO DIGNI,

CUJUS PENE DIVINO CALAMO TOTIUS ORBIS

EX ASTRORUM INFLUXU FUTURI EVENTUS

CONSCRIBERENTUR.

VIXIT ANNOS LXII, MENSES VI, DIES XVII.

OBIIT SALLONE AN. M.D.LXVI.

QUI ETE M POSTE RI NE INVIDETE. ANNA PONTIA GEMELLA

CONJUGI OPT. V. FÉLICIT[2].

 

 

 



[1] Ce portrait est aujourd'hui à Aix, à la Méjanes. Bareste a fait un buste d'après cette peinture. La Liste des Portraits des Français illustres — au t. IV de la Bibliothèque historique de la France — mentionne huit autres portraits de Nostradamus. Le plus ancien, croyons-nous, est celui de la Chronologie collée, que nous reproduisons dans ce livre.

[2] Ici reposent les ossements du très illustre Michel Nostradamus, le seul au jugement de tous les mortels dont la plume quasi-divine fût digne d'écrire d'après le cours des astres les événements futurs de toute la terre. Il a vécu soixante-deux ans, six mois, dix-sept jours. Il est mort à Salon en l'an 1566. Anne Ponce Gemella souhaite à son époux excellent la vraie félicité.