LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

9 MARS-7 JUIN 1916

 

 

 

VERDUN : ces deux syllabes que l'histoire avait déjà marquées sonnent aujourd'hui comme les notes cuivrées d'un clairon. En France, nul ne les entend sans frissonner d'orgueil. En Angleterre, en Amérique, si quelque orateur les prononce, d'un mouvement spontané tous les assistants se lèvent...

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De la bataille, de la victoire de Verdun, voici un épisode : celui du fort de Vaux, assiégé pendant trois mois et perdu momentanément le 7 juin. Sa défense évoque, par delà nos siècles tout dorés de splendeur militaire, nos vieilles chansons de gestes, une chanson de Roland dont le premier personnage, invisible et toujours présent, est l'honneur français.

Comme Roland sonnant de l'olifant raconte de loin le drame de Roncevaux à Charlemagne qui repasse les monts, le fort, jusqu'au dernier moment, a tenu le commandement au courant de sa vie et de son agonie par le moyen de ses pigeons et de ses signaux.

J'ai pu toucher ses blessures et sa force de résistance au mois de mars, avant les combats suprêmes des premiers jours de juin. J'ai interrogé ses défenseurs presque à chaque relève. J'ai connu ses appels et ses dernières paroles. Ainsi ai-je désiré de transcrire les témoignages de sa gloire.

Ces témoignages, malgré mes efforts minutieux que le sort a favorisés, je n'ai pu les rassembler tous. Il leur manque d'ailleurs cette chose essentielle qui est le secret du commandement et sans laquelle on ne pourra jamais présenter qu'un reflet de l'histoire, non l'histoire elle-même. La guerre que nous vivons est comme la mer aux flots sans nombre : on en saisit le rythme, on n'en peut compter les vagues. Que tant de héros oubliés me pardonnent, si je n'ai su tirer leurs actions de l'ombre !

Les circonstances m'ont permis de suivre différentes phases de la bataille de Verdun. J'ai profité de tous mes instants de loisir — assez rares — pour réunir ces notes incomplètes que j'ai obtenu l'autorisation de publier. Comment résister au démon qui nous pousse à écrire quand un tel sujet s'offre de lui-même ? Dans le train ordinaire de la vie, j'aurais réclamé plus de temps pour le mener à bien. Mais le temps, aujourd'hui, est mesuré à chacun.

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Aucun épisode, au cours de cette guerre, ne peut, en réalité, s'isoler. Une étroite solidarité d'armes unit les combattants de Verdun à ceux de la Bukovine, de la Galicie, du Trentin, de la Somme. Ce qui s'est passé à Vaux ne fut indifférent à aucun des belligérants, ni même à aucun peuple de la terre.

On ne peut parler de la victoire de la Marne sans que la poitrine se soulève de joie et sans que monte aux lèvres un cantique de délivrance. Les départs de la Champagne et de la Somme ont toute l'allégresse des matins d'été. La beauté de Verdun est plus âpre et sévère. C'est la bataille de patience et de sacrifice où le mot d'ordre est : tenir et retenir. Il faut non seulement barrer la route à l'ennemi qui veut rompre notre ligne, mais encore le fixer sur place tandis que les Alliés élaborent leur plan d'offensive générale et l'exécutent. Et c'est pourquoi la résistance du fort de Vaux sert un dessein plus vaste que la défense d'un coin de sol. Elle se relie à une victoire, elle fait partie d'une victoire, si la victoire se mesure à l'échec du projet et de la volonté adverses.

Qu'un reflet de cette beauté de nécessité et d'endurance éclaire la geste du fort de Vaux...

 

H. B.

Juillet 1916.