LA MANŒUVRE D'IÉNA

ÉTUDE SUR LA STRATÉGIE DE NAPOLÉON ET SA PSYCHOLOGIE MILITAIRE

Du 5 septembre au 14 octobre 1806

 

CHAPITRE V. — LA RÉUNION DE LA GRANDE ARMÉE.

 

 

§ 1er. - Transports de troupes par convois de voitures.

 

Napoléon donna l'ordre au général Dejean, le 18 septembre, à 11 heures du soir, de faire partir les 2 régiments de grenadiers et les 2 régiments de chasseurs à pied de la garde, le 19 et le 20, pour Meaux et Dammartin.

A partir de Meaux, les grenadiers durent être transportés sur des charrettes à 4 colliers, formées en 2 convois de 100 voitures, se relayant d'étape en étape, jusqu'à Worms, par Metz, en 14 étapes.

De Dammartin, les chasseurs devaient voyager également en deux convois relayés à toutes les étapes pour atteindre Bingen, en 13 étapes, par Soissons et Luxembourg.

L'effectif des grenadiers, comme des chasseurs, était de 2.000 hommes, ce qui fait 10 hommes par charrette et 1000 hommes par convoi.

Les troupes ainsi transportées durent parcourir trois étapes par jour et arriver à Worms et à Bingen, le 25 septembre.

Des ordres furent envoyés pour qu'en ces deux points des convois de bateaux fussent préparés en vue de transporter l'infanterie de la garde à Mayence.

Le 19, l'Empereur ordonna que les 3 régiments d'infanterie légère campés à Meudon, près de Paris, fussent transportés, comme la garde, à Mayence, en utilisant les mêmes convois de charrettes, à leur retour dans chaque relai d'origine.

Même disposition fut prise un peu plus tard à Metz pour le 14e de ligne et le 28e léger qui furent transportés ainsi à Mayence.

Ces dispositions n'ont plus guère aujourd'hui qu'un intérêt archéologique. Toutefois, il n'est pas inutile de les connaître, car telle circonstance de guerre peut se présenter où l'on sera heureux de s'en inspirer pour accélérer certains transports, quelle que soit leur nature.

 

§ 2. — Instructions au roi de Hollande.

 

Le 19 septembre, l'Empereur, encore à Saint-Cloud, annonça au roi Louis de Hollande son arrivée à Mayence pour le 1er octobre.

Les circonstances deviennent tous les jours plus urgentes, écrit-il à son frère.

Il lui prescrivait d'être le 1er ou le 2 octobre à Wesel avec une division de 10.000 à 12.000 hommes, dont il lui donnait la composition.

Comme mon intention n'est pas d'attaquer de votre côté, je désire que vous entriez en campagne le premier pour menacer l'ennemi ; les remparts de Wesel et le Rhin, à tout a événement, vous serviront de refuge.

Vous recevrez de nouvelles instructions plus tard..... Faites marcher toute votre cavalerie, afin de couvrir le duché de Berg et les terres de la Confédération de ce côté.

Le lendemain, 20 septembre, Napoléon développait son idée en ces termes, dans une nouvelle lettre à son frère :

Il est nécessaire que vous fassiez mettre dans vos gazettes qu'un nombre considérable de troupes arrive de tous les points de la France, qu'il y aura à Wesel 80.000 hommes commandés par le roi de Hollande.

Je désire que ces troupes soient en marche dans les premiers jours d'octobre, parce que c'est une contre-attaque (nous dirions aujourd'hui démonstration) que vous ferez pour attirer l'attention de l'ennemi pendant que je manœuvre pour le tourner. Toutes vos troupes doivent se porter sur le territoire de la Confédération et se répandre jusqu'à ses limites, sans les dépasser ni commettre aucun acte d'hostilité. Ce n'est pas le temps des jérémiades, c'est de l'énergie qu'il faut montrer.

Suivent des détails d'organisation, puis ces mots caractéristiques :

Tout doit être secret et mystère.

L'idée maîtresse, en ce qui concerne le rôle du corps aux ordres du roi de Hollande, est celle-ci :

Attirer l'attention des Prussiens du côté de Wesel et de Mayence, au moyen de démonstrations, qui devront se produire dès le 1er octobre, c'est-à-dire au moment où le rassemblement de la Grande Armée ne sera même pas complètement achevé.

C'est, dans l'ordre stratégique, l'opération si connue en tactique et qui consiste à fixer l'adversaire par un combat de front pour permettre à la masse chargée de l'attaque décisive de manœuvrer un ennemi déjà immobilisé.

Napoléon annonce à son frère l'intention de manœuvrer pour tourner l'ennemi, mais il ne peut entreprendre cette manœuvre que si les Prussiens sont maintenus, ou tout au moins attirés par les troupes du Rhin.

Remarquons aussi que la manœuvre enveloppante que projette l'Empereur, à la date du 20 septembre, ne vise pas des opérations en Saxe, mais bien, dans la région de Mayence, entre le Rhin, le Main et le Weser.

Cela est si vrai que, le 29 septembre, presque à la veille de prendre une Résolution définitive, Napoléon écrivait encore, à son frère Louis :

Faites beaucoup de bruit avec votre corps d'armée.

Répandez la croyance que votre armée sera de 80.000 hommes. Il est bien important que vous ayez un pont sur Wesel, pour que vous puissiez border le Rhin, si je parvenais à jeter un gros corps d'ennemis sur le Rhin.

L'ordre général pour le rassemblement de l'armée, en date du 19 septembre, que nous discuterons plus loin, n'indique pas davantage le plan d'invasion de la Saxe.

Il est tout de prévoyance suivant l'expression même de Napoléon, autrement dit, l'armée française est prête à parer à toutes les éventualités, même et surtout à une marche rapide des armées prussiennes vers le Main moyen ou sur Francfort.

Napoléon prescrit au roi de Hollande de faire marcher toute sa cavalerie.

Il s'agit, en effet, de produire une diversion, de faire beaucoup de bruit. et de poussière. Quelles troupes, sinon une nombreuse cavalerie, conviendraient mieux à remplir ce rôle ?

Des auteurs allemands ont prétendu que Napoléon, en 1806, craignait si fort la cavalerie prussienne qu'il ne voulut pas commettre la cavalerie française avec elle avant la décision de la première bataille et que, pour cette raison, il ne fit pas précéder la Grande Armée de ses six divisions de cavalerie lorsqu'il la transporta de la région de Bamberg dans celle de Géra.

Le général de Hohenlohe, dans ses Lettres sur là stratégie, ne craint pas d'opposer à l'emploi de la cavalerie de la Grande Armée, au début des opérations de 1806, l'exemple des divisions de cavalerie allemande en août 1870.

La critique est misérable et montre que le général écrivain n'a pas compris les conceptions géniales de Napoléon.

On verra plus loin que l'emploi spécial que fit l'Empereur de sa cavalerie dans les premiers jours d'octobre 1806 est un modèle d'adaptation des moyens au but, car il tient compte de toutes les circonstances.

Il est des cas où la cavalerie entière doit se montrer en avant de l'armée, mais il en est d'autres où il faut qu'elle soit ailleurs.

A la guerre, rien n'est absolu, et les clichés ou autres dérivés de l'esprit géométrique n'ont rien à voir aux mobiles appelés à guider les décisions du chef suprême.

Napoléon veut que tout, au moment où il écrit à son frère, soit secret et mystère.

Nous dirons oui et non.

Oui, il ne faut pas que les plans du généralissime puissent transpirer pour être colportés ensuite chez l'ennemi.

Mais, quelques hautes personnalités de l'armée et parmi elles le major général, ne doivent-elles pas être tenues au courant des idées du chef suprême ?

Poser la question c'est y répondre.

Le haut commandement ne doit pas tomber en quenouille par la maladie ou la disparition de celui qui le détient.

Entre le mystère absolu et les inconséquences de plume ou de langage il y a place pour des confidences bien placées, pour des échanges de vues, qui peuvent exercer une très heureuse influence sur les événements.

Nous n'insisterons pas davantage sur les inconvénients de la tournure d'esprit mystérieuse.

Ce serait vouloir enfoncer une porte ouverte.

Reconnaissons, toutefois, que dans la circonstance, Napoléon avait bien raison d'exiger le secret le plus absolu vis-à-vis de l'entourage du roi de Hollande.

Il ne faut pas, en effet, que l'ennemi arrive à connaître les points de rassemblement de nos forces.

Tout le secret des premières opérations réside dans l'incertitude de l'ennemi au sujet du choix de la zone de réunion et de la répartition de nos armées sur cette zone.

C'est pour mieux assurer le secret des rassemblements que Napoléon procède à la réunion de la Grande Armée le plus tard possible, avec l'arrière-pensée d'entamer la campagne dès que ses moyens d'action seront prêts.

 

§ 3. — Dispositions générales pour la réunion de la Grande Armée.

 

Nous arrivons enfin à la lettre si importante du 19 septembre, dans laquelle Napoléon arrête les mouvements et dispositions générales de la Grande Armée pour sa réunion.

Cette lettre fut suivie de neuf autres dictées le même jour, toutes ayant pour objet la réunion de la Grande Armée.

Dans l'une d'elles, l'Empereur disait au maréchal Berthier :

J'ai dicté ce matin pendant deux heures à Clarke pour ordonner tous les mouvements de l'armée, mais il parait que ce ne sera que vers minuit qu'il aura mis son travail au net.

Cette phrase démontre absolument que l'Empereur fait tout, est tout, et ne laisse à son major général que le soin de transmettre ses ordres.

La même lettre contient la phrase suivante :

Je n'ai pas besoin de vous dire que le mystère et le secret doivent présider à ces opérations (de rassemblement).

Certes, la précaution est justifiée. Il n'y a pas dans le cours d'une guerre un seul moment où le secret soit plus nécessaire, vis-à-vis des troupes et de l'ennemi, que pendant la période des rassemblements.

C'est même, à notre avis, le sens qu'il faut attribuer aux paroles suivantes prononcées par Napoléon, à Varsovie, en 1807 :

Le secret de la guerre est dans le secret des communications.

Si, par communications on entend les routes — aujourd'hui les chemins de fer — qui conduisent des zones de l'intérieur (ou des pays alliés) au rassemblement de l'armée, on conviendra que, dans la pensée de l'Empereur, le secret des communications voulait dire le secret des rassemblements et des voies de communications ou de ravitaillement de l'armée pendant qu'elle se réunit.

Selon toute probabilité, Napoléon reçut, le 18 au soir, la nouvelle de l'entrée des Prussiens à Dresde (effectuée le 13) et, sans perdre une minute, il commença ses dispositions pour la campagne qu'il jugea dès lors inévitable.

L'Autriche paraissant renoncer à toute action militaire, au moins jusqu'à ce que les événements se fussent prononcés en faveur de l'un ou de l'autre des belligérants, l'Empereur ne conserva pas le maréchal. Soult sur l'Inn ; il le fit venir à Amberg, après avoir ordonné l'organisation d'une garnison de choix à Braunau, sous les ordres du général Merle, chef d'état-major du 4e corps.

L'Empereur au major général.

Saint-Cloud, le 19 septembre 1806.

Mouvements et dispositions générales de la Grande Armée.

1° J'ai donné directement des ordres au roi de Hollande pour qu'il se trouve, le 2 octobre, avec son corps d'armée à Wesel.

Nous avons exposé précédemment les idées de l'Empereur au sujet du rôle attribué au corps d'armée de Hollande ; nous n'y reviendrons pas.

2° Le maréchal Augereau (7e corps) se réunira à Francfort, le 2 octobre, ayant des postes de cavalerie et une petite avant-garde à Giessen.

A la date du 24 septembre, les quartiers du 7e corps et de la 1re division de dragons y rattachée avaient pour centres les villes suivantes : Quartier général du corps d'armée : Francfort.

Quartiers de la 1re division : Friedberg (quartier général), Guedern (16e léger), Homburg (44e de ligne), Aschaffenburg (105e ligne).

Quartiers de la 2e division : Dietz (quartier général), Ober-Hadamar (7e léger), Camberg (24e de ligne), Francfort (63e de ligne).

Quartiers de la brigade de cavalerie légère, à Francfort.

Quartiers de la 1re division de dragons : Siegen (quartier général), Attendorn (1er dragons), Altenkirchen (2e dragons), Dillenburg (14e dragons), Schwauzenraben (20e dragons), Biedenkopf (26e dragons).

Le rassemblement du corps d'armée pouvait être effectué 48 heures après la réception de l'ordre, mais il fallait trois ou quatre jours à la 1re division de dragons pour être réunie à Francfort.

L'envoi d'une avant-garde à Giessen, située 58 kilomètres au nord de Francfort, sur la frontière de Hesse-Cassel, indique, de la part de Napoléon, le désir d'attirer l'attention du corps prussien, signalé aux environs de Hameln, dans la direction de Cassel, voire même de l'inciter à envahir cet électorat.

3° Le maréchal Lefebvre (5e corps) se réunira à Kœnigshofen le 3 octobre. Ce mouvement s'exécutera plus tôt, si l'ennemi était en force à Halle.

Le 16 septembre, le 5e corps occupait les quartiers suivants :

Quartier général : Dinkelsbühl.

Quartiers de la 1re division : Dinkelsbühl (quartier général), Wassertruding (17e léger), Schwaning (34e de ligne), Rothemburg (40e de ligne), Feuchtwang (64e de ligne), Crailsheim (88e de ligne).

Quartiers de la 2e division : Schweinfurth (quartier général), Eibelstadt (100e de ligne), Schweinfurth (103e de ligne), le 21e léger était en route pour rejoindre, venant de Düsseldorf.

Division de cavalerie légère : Bischoffsheim (quartier général), Landa (9e hussards), Wertheim (10e hussards), Hassfurt (13e chasseurs), Neustadt (21e chasseurs).

Il y a 150 kilomètres de Dinkelsbühl à Kœnigshofen, ou cinq à six journées de marche.

La 1re division devait donc être rassemblée le 27 septembre, au plus tard, pour se mettre en marche, le 28, sur Kœnigshofen.

4° Le maréchal Davout sera réuni à Bamberg, avec tout son corps d'armée, au plus tard le 3 octobre.

A la date du 16 septembre, les quartiers du 3e corps étaient : Quartier général du corps d'armée : Œttingen.

Quartiers de la 1re division : Nördlingen (quartier général), Rolingen (13e léger), Dischingen (17e de ligne), Heidenheim (30e de ligne), Nördlingen (51e de ligne), Wallerstein (61e de ligne).

Quartiers de la 2e division : Hall (quartier général), Gaildorf (33e de ligne), Winenden (48e de ligne), Obersentheim (108e de ligne), Schmidelfeld (111e de ligne).

Quartiers de la 3e division : Œhringen (quartier général), Knittlingen (12e de ligne), Benigheim (21e de ligne), Wimpfen (25e de ligne), Jaagsthausen (85e de ligne).

Division de cavalerie légère : Mergentheim (quartier général), Calw (1er chasseurs), Weikersheim (2e chasseurs), Krantheim (12e chasseurs), Mosbach (7e hussards).

De Heidenheim, le quartier le plus éloigné jusqu'à Bamberg, il y a plus de 200 kilomètres.

Il fallait donc environ huit jours à la 1re division pour atteindre le point de rassemblement assigné au corps d'armée.

Napoléon, à qui nul détail n'échappait, envoya, le 19 septembre, au 3e corps, un ordre particulier pour qu'il se réunît d'abord vers Œttingen.

Cet ordre, parvenu au quartier général du 3e corps, le 23 septembre, était exécuté le 27, en sorte que l'arrivée au rassemblement pût s'effectuer ensuite en quatre ou cinq jours.

5° Le maréchal Soult (4e corps) sera réuni à Amberg (hormis le 3e de ligne qui reste à Braunau), et sera prêt à partir le 4 octobre avec tout son corps.

Dans une lettre du 19 septembre au major général, où Napoléon annonce l'envoi des ordres de mouvement, douze heures plus tard, il est dit que tous les corps du maréchal Soult doivent recevoir l'ordre de se tenir prêts à partir, ainsi que le grand parc stationné à Augsbourg et le grand quartier général, alors à Munich.

Cette lettre dut arriver au major général le 23 septembre, et le maréchal Soult fut sans doute prévenu le 25.

 

En fait, les divisions du 4e corps commencèrent à se rassembler par division le 26, entamèrent la marche sur Ratisbonne le 27, et tout le corps fut réuni, le 30, auprès de cette ville.

Le 22 septembre, les quartiers du 4 e corps étaient les suivants :

Quartier général : Passau.

Quartiers de la 1re division : Braunau (quartier général), Burghausen (10e léger), Wart (36e de ligne), Thann (43e de ligne), Chostlam (55e de ligne).

Quartiers de la 2e division : Landshut (quartier général), Wasserburg (24e léger), Woluzach (4e de ligne), Geissenhausen (28e de ligne), Aw (46e de ligne), Aibach (57e de ligne).

Quartiers de la 3e division : Passau (quartier général), Obernzell (26e léger), Passau (tirailleurs corses), Waldkirchen (tirailleurs du Pô), Passau (3e de ligne), Nidraltar (18e de ligne), Vilshofen (75e de ligne).

Brigade de cavalerie légère : Neubaus (quartier général), Pfarkirchen (8e hussards), Zwizel (11e chasseurs), Wasserburg (16e chasseurs), Altdorf (22e chasseurs).

3e division de dragons : Amberg (quartier général), Nabburg (5e dragons), Neustadt (12e dragons), Kemnath (9e dragons), Soultzbach (16e dragons), Utzenhof (21e dragons).

2e division de grosse cavalerie : Cham (quartier général), Straubing (1er cuirassiers), Furth (5e cuirassiers), Neuburg (10e cuirassiers), Dekendorf (11e cuirassiers).

On compte 80 kilomètres de Ratisbonne à Amberg, par Schwandorf.

Le rassemblement du 4e corps à Amberg ne pouvait donc pas s'effectuer avant le 3 octobre.

6° Le prince de Ponte-Corvo (Bernadotte, 1er corps) sera réuni à Nuremberg[1] le 2 octobre. Il y sera réuni avant cette époque, si les dispositions des Prussiens paraissent être de faire des mouvements hostiles.

A la date du 10 septembre, le 1er corps était ainsi réparti :

Quartier général : Anspach.

1re division (Rivaud) : Anspach (quartier général), Heilbronn (8e de ligne), Anspach (43e de ligne), Schwarzenburg (54e de ligne).

2e division (Drouet) : Furth (quartier général), Nuremberg (27e léger), Furth (94e de ligne), Schwabach (95e de ligne).

Brigades légères : Seehof (quartier général), Lichtenfels (4e hussards), Stegaurach (5e hussards), Schesslitz (2e hussards), Hochstadt (5e chasseurs).

4e division de dragons : Œllingen (quartier général), Allesberg (15e), Hilpolstein (17e), Gunzenhausen (18e), Greding (19e), Ohrenbau (25e), Heydeck (27e).

1re division de grosse cavalerie : Kitzingen (quartier général), Ochsenfurt (1er carabiniers), Marckbreit (2e carabiniers), Kitzingen (2e cuirassiers), Gerolzhofen (3e cuirassiers), Wolkach (9e cuirassiers), Gorchsheim (12e cuirassiers).

Le 1er corps devait être réuni à Nuremberg en deux jours.

7° Le maréchal Ney (6e corps) sera réuni à Anspach le 2 octobre.

A la date du 22 septembre, les quartiers du 6e corps étaient :

Quartier général : Memmingen.

1re division (Dupont) : Cologne (quartier général), Crevelt (9e léger), Cologne (32e de ligne), Neuss (96e de ligne), Coblentz (1er hussards).

2e division (Marchand) : Memmingen (quartier général), Mattsics (6e léger), Oberingen—Gunzburg (38e de ligne), Lentkirch (69e de ligne), Memmingen (76e de ligne).

3e division (Gardanne) : Altdorf (quartier général), Schussenried (25e léger), Lindau (27e de ligne), Mosskirch (50e de ligne), Morsburg (59e de ligne).

Cavalerie légère : Altshausen (quartier général), Waldsec (3e hussards), Hirbelle (10e chasseurs).

2e division de dragons : Fryburg (quartier général), Donaueschingen (3e dragons), Doningen (6e dragons), Eitersheim (10e dragons), Fryburg (11e dragons), Emenclingen (13e dragons), Merdingen (22e dragons).

Il y a près de 200 kilomètres de Memmingen à Anspach, ou huit jours de marche.

Le 6e corps reçut à la vérité une dépêche particulière de l'Empereur, en date du 19 septembre, pour être réuni, le 28 septembre au plus tard, à Ulm.

En fait, le 6e corps eut sa tête, le 30 septembre, à Dinkelsbühl, à 40 kilomètres au sud d'Anspach, et le 1er octobre, il était échelonné entre Anspach et Feuchtwang, sur une profondeur de 25 kilomètres.

La division Dupont avait reçu du général Dejean, le 21 ou le 22, l'ordre d'être rendue à Mayence, le 28, pour se diriger de là sur Würzburg. Elle atteignit Mayence, le 27.

8° Les six divisions de cavalerie de la réserve se mettront en mouvement et seront arrivées en position le long du Main, depuis Kronach jusqu'à Würzburg, le 3 octobre. La grosse cavalerie du côté de Würzburg.

Plusieurs de ces divisions avaient des trajets considérables à effectuer pour se rendre sur le Main aux environs de Würzburg.

Par exemple, la 2e division de grosse cavalerie, dont le quartier général était à Cham, était séparée de Würzburg par une distance supérieure à 250 kilomètres.

En supposant que son ordre de mouvement lui parvînt le 26, il lui fallait au moins un jour pour rallier les détachements et elle ne pouvait partir de Cham que le 28. Dans ces conditions, elle avait à faire 50 kilomètres par jour pour arriver, le 3 octobre, aux environs de Würzburg.

9° Le 2 octobre, on prendra possession du château de Würzburg, qu'on armera et approvisionnera. On prendra possession de Kœnigshofen et du château de Kronach, et on le mettra en état de défense.

Les lettres antérieures prescrivaient de préparer l'occupation de ces places. Ici, c'est un ordre formel.

10° Le parc général se rendra à Würzburg, le petit quartier général à Bamberg, les gros bagages à Würzburg ; tout cela en position, le 3 octobre.

Le parc général, stationné à Augsbourg depuis huit mois, se divisait en grand parc fixe et grand parc mobile.

Le grand parc fixe était à la fois un réservoir à munitions et un centre de réparations. On l'installait dans les places de dépôt situées à l'origine de la ligne d'opérations, ou, ce qui revient au même, aux points terminus des lignes de communications.

Le grand parc mobile devait suivre l'armée à deux ou trois journées de marche.

Un grand parc du génie fut organisé à Augsbourg, en fin septembre 1806, par le général Chasseloup.

On compte près de 250 kilomètres depuis Augsbourg jusqu'à Würzburg. Cette distance exigeait huit ou dix jours de marche. Mais il semble résulter des rapports du général Songis, que le parc général était à Ulm à la fin de septembre. La 1re division (il y en avait quatre) du grand parc mobile quitta Ulm le 25 septembre et arriva à Würzburg, le 3 octobre. Les autres divisions du grand parc mobile se suivirent à un jour d'intervalle.

Quant au grand parc fixe, il fut réparti entre Würzburg, Kronach et Forchheim.

11° Tous les commandants d'armes de la Souabe et de la Bavière seront rappelés, excepté celui d'Augsbourg et d'Ingolstadt, et dirigés sur la nouvelle ligne d'opérations jusqu'à Würzburg et Bamberg.

Le général qui commande en Souabe commandera à Francfort ; un autre commandera tout le pays de Würzburg.

On entendait par commandants d'armes les officiers pourvus de fonctions analogues à celles de nos commandants d'étapes actuels.

Le général appelé au commandement de la région de Francfort devait exercer l'autorité dévolue aux généraux placés à la tête des commandements territoriaux particuliers que prévoit notre règlement actuel sur le service des étapes.

Il en était de même du général chargé de commander le pays de Würzburg.

Napoléon n'indique pas encore quelle sera la nouvelle ligne d'opérations[2], mais le texte semble indiquer que cette ligne ira de Mayence à Bamberg par Würzburg.

12° La gendarmerie des divers corps sera affaiblie, afin d'établir, à une journée de marche en arrière, sur chaque grande route qu'on prendra, un détachement commandé par un officier supérieur pour arrêter les traînards et maraudeurs et empêcher le désordre.

La prescription qui précède montre que la discipline n'était pas parfaite à la Grande Armée.

Déjà en 1805, la maraude avait été la plaie de l'armée.

Nous en avons signalé les causes à la fin de notre étude de la manœuvre d'Ulm ; il est donc inutile d'y revenir à propos de 1806.

Tout autre a été la discipline de nos ennemis en 1870, parce que le commandement, à tous les degrés, a pris une part active, dans l'armée allemande, à la recherche et à la distribution des subsistances.

Une armée qui marche ne peut pas compter sur l'intendance pour la nourrir.

Les troupes doivent alors exploiter le pays, elles-mêmes, mais, par troupes, il faut entendre les chefs d'unités, depuis le capitaine jusqu'au général en chef.

Alors, on évite le désordre, la maraude, l'indiscipline, et l'on vit bien.

Napoléon semble avoir professé une méfiance, peut-être justifiée, à l'égard des officiers de troupe, en ce qui concerne les réquisitions :

Recommandez qu'on ne fasse pas de vilenies, écrivait-il en octobre 1806 au sujet de marmites et de bidons à se procurer chez les habitants, à prix d'argent.

C'est que beaucoup d'officiers de la Grande Armée étaient des soudards.

Les mémoires du temps foisonnent d'exemples d'indélicatesses commises en Allemagne, même chez nos alliés, par des officiers à la conscience trop élastique.

Cette époque est passée. Aujourd'hui, l'officier français possède une éducation qui le met au-dessus du soupçon quand il s'agit d'opérations administratives n'ayant pour tout contrôle que l'honneur.

13° On mettra à l'ordre que les généraux aient les aides de camp et les officiers d'état-major (au complet) sans en prendre dans la Grande Armée, excepté dans les dépôts.

Cette prescription résume les ordres contenus dans la lettre du 17 septembre et semble bien tardive.

14° Le major général expédiera tous les ordres sans délai et m'enverra l'itinéraire de la route de chaque colonne.

On peut être surpris que, sur les neuf lettres dictées par Napoléon le 19 au matin, la plus importante, celle que nous étudions en ce moment, n'ait été envoyée que le lendemain.

Quoi qu'il en fût, la lettre ayant pour titre mouvements et dispositions générales de la Grande Armée revêt bien la forme d'une directive, suivant l'expression aujourd'hui consacrée.

Si Napoléon avait donné tous ses ordres de cette manière, son système de commandement ne soulèverait aucune critique et nous n'aurions rien eu à demander aux Allemands, sous le rapport de la préparation, de la rédaction, et de la transmission des ordres.

Malheureusement, les ordres généraux de l'Empereur sont l'exception et, même quand ils existent, leur caractère général est aussitôt dénaturé par les bureaux du major général qui les découpent en tranches pour envoyer à chaque corps, ou service, les prescriptions qui le concernent sans lui indiquer le rôle des autres grandes unités.

L'ordre du 19 pour les mouvements et dispositions générales de la Grande Armée, expédié de Saint-Cloud, le 20, à six heures du matin, parvint au major général, à Munich, dans la matinée du 24.

Le major général commença l'expédition des ordres particuliers, le jour même, ainsi qu'il ressort de la lecture de son registre, mais il faisait du zèle quand il écrivait, le 24 septembre :

Je viens de faire partir tous les ordres de mouvements.

Il ne suffisait pas, en effet, de copier les ordres de l'Empereur ; l'état-major général avait à étudier le réseau routier, à tracer les lignes de marche, marquer les étapes, éviter les croisements de colonnes, etc.

A vrai dire, une partie des mouvements avaient été étudiés et préparés, au reçu de la lettre impériale du 13, reçue le 19 au matin. Néanmoins, le major général put adresser le jour même (le 24) à l'Empereur, les itinéraires des colonnes.

Ainsi que Votre Majesté me le demande, je lui envoie l'itinéraire des différents corps de l'armée ; mais il y aura nécessairement quelques changements qu'y porteront MM. les maréchaux par la latitude que j'ai dû leur donner ; il y a des marches très courtes ; ils pourront les doubler suivant les circonstances.

La précaution de laisser une certaine latitude aux maréchaux, sous le rapport des marches de rassemblement, était excellente, car, à un tel moment, il ne s'agit pas de marcher en guerre, suivant l'expression du temps, c'est-à-dire d'exécuter des marches tactiques, mais uniquement de souder les corps de troupe les uns aux autres en les amenant rapidement et sans privations sur la zone de cantonnements serrés qui a été choisie pour le rassemblement.

15° Chaque corps d'armée, en arrivant au rassemblement, aura quatre jours de pain. Il faudra ordonner qu'on y prépare (au rassemblement) du pain pour dix jours, afin qu'il y en ait toujours pour quatre jours au moment où l'on voudrait partir en campagne.

Ce dernier membre de phrase n'est pas clair, mais les ordres ultérieurs de Napoléon au major général et aux commandants de corps d'armée montrent que, dans l'esprit de l'Empereur, chaque corps devait arriver au rassemblement avec quatre jours de pain afin d'avoir le temps de préparer la fabrication, sur place, des dix jours de pain.

En supposant que la durée du rassemblement fût de cinq ou six jours, les quatorze jours de pain ; apportés ou fabriqués sur place, se décomposaient ainsi :

Vivres de station 6.

4 jours de pain apportés et consommés au rassemblement.

1 ou 2 jours de pain fabriqués et consommés au rassemblement.

Vivres de marche 8.

4 jours de pain à distribuer aux hommes au moment du départ du rassemblement.

4 jours de pain à charger sur les fourgons (2 jours) et sur les parcs éventuels de voitures requises (2 jours).

Le nombre considérable, et tout à fait anormal, de rations de pain (8) à emporter, lors de la rupture des rassemblements, était commandé par la nature montagneuse et très pauvre du pays que les corps auraient à traverser si l'idée première de transporter la guerre en Saxe recevait son exécution.

16° Les troupes de Bade se réuniront à Mergentheim, les troupes de Wurtemberg à Ellwangen. Les troupes de Bavière prendront la position qui a été indiquée dans le temps, entre l'Isar et l'Inn, et occuperont les forteresses de Passau et de Küfstein. Une division de 6.000 hommes sera sous les ordres du prince de Ponte-Corvo (Bernadotte) et devra être rendue, prête à partir avec le corps d'armée (1er), le 2 octobre. Les troupes de Darmstadt, au nombre de 7.000 hommes, se réuniront sous les ordres du maréchal Augereau.

En ce qui concerne les troupes de Bavière, leur force, évaluée d'abord à 20.000 hommes par Napoléon (lettre du 13 septembre), puis à 24.000 hommes (lettre du 15 septembre) n'est plus que de 15.000 hommes dans la note impériale du 19 septembre sur la défense de l'Inn et l'occupation de Braunau.

La division de 6.000 Bavarois, à mettre à la suite du 1er corps vers Nuremberg, avait dû, aux termes d'une lettre impériale du 15 septembre, se réunir à Ingolstadt, prête à se ranger sous les ordres du maréchal Bernadotte.

Déjà, dans sa lettre du 13 septembre, Napoléon avait écrit :

La Bavière fournira 6.000 hommes pour renforcer le corps du maréchal Bernadotte.

Dès qu'il reçut communication de la disposition contenue dans la lettre impériale du 13 septembre, le maréchal Bernadotte écrivit au major général (19 septembre) pour le prier d'obtenir de l'Empereur qu'il ne commandât plus dé Bavarois.

Les motifs que donne le maréchal Bernadotte à l'appui de sa requête ne sont pas flatteurs pour les ancêtres des combattants de Wissembourg, de Wœrth, de Sedan et de Coulmiers.

D'après nos propres observations, soit au feu, soit au bivouac d'Iges (3 au 8 septembre 1870), l'état-major de la 3e armée allemande n'a pas dû se féliciter beaucoup plus que le maréchal Bernadotte de la valeur des troupes bavaroises.

Voici quelques-unes des appréciations du prince de Ponte-Corvo sur les troupes de Bavière :

J'ai encore présents (à l'esprit) les chagrins, les anxiétés que le commandement de l'armée bavaroise m'a causés pendant la dernière campagne (de 1805). Je ne vous ai pas parlé des dégoûts que me donnaient l'irrégularité dans la marche, l'inexactitude dans l'exécution des ordres, enfin mille motifs du mécontentement le plus vrai et le plus amer.

La division bavaroise qui vint à Dresde vers la fin d'octobre 1806 se livra partout au pillage le plus effronté, ainsi qu'en témoignent les rapports du chef d'escadron de Thiard, chambellan de l'Empereur, envoyé dans cette ville comme commandant de place.

Les troupes de Bade (environ 3.000 hommes), à Mergentheim, se trouvaient à portée de la division Dupont pour la soutenir, puisque cette division devait être en position le 2 octobre à Würzburg.

En plaçant la réunion du contingent de Wurtemberg (environ 6.000 hommes) à Ellwangen, Napoléon se proposait probablement de mettre les Wurtembergeois sous les ordres du maréchal Ney (6e corps), dont le point de réunion était Anspach.

Il est bon d'ajouter que, ni les Bavarois, ni les Wurtembergeois, ni les Badois, ni les Hessois de Darmstadt ne furent prêts à l'époque désignée.

 

L'Empereur, dans les mouvements et dispositions générales du 19 septembre, ne faisait pas mention de la division Dupont (6e corps), le général Dejean lui ayant donné, par son ordre, rendez-vous, le 28 septembre à Mayence, et le 2 octobre à Würzburg.

Le major général, en accusant réception, le 24 septembre, des ordres relatifs à la réunion de l'armée, fit observer cette omission et ajouta :

En conséquence, je ne lui ai point donné d'ordre, présumant que vous aviez l'intention de la laisser encore quelques moments et jusqu'à nouvel ordre à Cologne.

Encore une fois, le maréchal Berthier ne brillait pas par l'initiative.

Quelques jours avant, le 20 septembre, il écrivait à l'Empereur, en réponse à sa lettre du 15, pour se disculper en quelque sorte d'avoir eu l'intention de mettre en mouvement les divisions d'Hautpoul et Becker, ainsi que le 6e corps (Ney), afin de les rapprocher de Bamberg.

Son scrupule avait pour origine cette phrase de la lettre impériale du 15 :

Ne faites aucun mouvement que Laforest n'ait quitté Berlin.

La lettre du major général, en date du 20, porte ces mots :

Comme je crois à la guerre et qu'il n'y a que Votre Majesté qui puisse commander sa Grande Armée, je pense qu'il est important qu'elle y arrive et que les maréchaux soient à leur poste.

En effet, il était temps que Napoléon vint se placer à la tête de son armée.

Les mouvements et dispositions générales de la Grande Armée ne fixaient pas d'emplacements aux six divisions de la cavalerie de réserve ; ils se bornaient à prescrire que ces divisions fussent en position le long du Main, depuis Kronach jusqu'à Würzburg, le 3 octobre.

Le major général envoya, le 24 septembre, des ordres de mouvement aux six divisions de cavalerie pour que, le 3 octobre, elles fussent en position aux points suivants :

1re division de dragons (Klein) à Aschaffenburg, venant de Siegen ;

2e division de dragons (Becker) à Mergentheim, venant de Fribourg ;

3e division de dragons (Beaumont) à Nuremberg, venant d'Amberg ;

4e division de dragons (Sahuc) à Schweinfurth, venant d'Œllingen ;

1re division de grosse cavalerie (Nansouty) à Kintzingen (près Würzburg) ;

2e division de grosse cavalerie (d'Hautpoul), à Windsheim, venant de Cham.

 

§ 4. — Commentaires du plan de réunion des forces.

 

Nous possédons maintenant tous les éléments de la discussion du plan de réunion de la Grande Armée.

Ce plan a-t-il précédé ou suivi le plan d'opérations ?

Pour nous, le plan de réunion n'a pu être que le corollaire du plan d'opérations, car avant d'exécuter les rassemblements il faut savoir dans quel but.

Or, la disposition des quartiers de la Grande Armée, à partir du mois de mars 1806, montre jusqu'à l'évidence que l'Empereur s'est mis en garde, dès cette époque, contre la Prusse.

Aurait-il exigé, au commencement de l'année 1806, la cession du marquisat d'Anspach à la Bavière, son alliée, s'il n'avait songé à réunir le gros de ses forces sur Bamberg en cas de rupture avec la Prusse ?

Napoléon a réfléchi, dès la fin de 1805, à l'éventualité d'une guerre contre cette puissance, et son premier plan d'opérations a dû se former dans son esprit au mois de février 1806.

Aussi, au premier bruit de guerre, le 5 septembre, l'Empereur indique-t-il Bamberg comme le point de réunion de son armée.

Assurément, les détails de répartition ne surgirent qu'au dernier moment, le 19 septembre, quand la guerre parut inévitable.

Si l'esprit du temps eût été plus scientifique et que Napoléon eût été moins porté aux détails, le plan d'opérations et le plan de réunion de la Grande Armée eussent été élaborés de la façon la plus complète, puis classés dans les cartons du major général afin qu'au premier signal toute l'armée pût se mettre en mouvement sans heurt ni difficulté.

De même, les approvisionnements de places fortes, de rassemblement et de marche eussent été réunis longtemps à l'avance dans quelques magasins convenablement situés, et les mouvements de matériel, prévus et ordonnés éventuellement, se fussent exécutés sans ordres nouveaux, à la seule indication : réunion de la Grande Armée.

Voilà ce qui manquait à l'organisation de la Grande Armée, voilà ce que les Prussiens ont accompli et ce que nous leur avons emprunté.

Mais, si l'on fait la part des fluctuations qu'entraîne toujours une improvisation, on constate, dans les opérations du rassemblement de la Grande Armée, plus de prévoyance que n'en ont apporté à la réunion de leurs armées les Allemands de 1870, ainsi que nous le montrerons plus tard.

Il est très important de remarquer que Napoléon, encore à Saint-Cloud, dicta les dispositions de réunion de la Grande Armée dans un moment où ses derniers renseignements sur les mouvements de l'ennemi remontaient au 13 septembre.

A cette date, l'Empereur ne pouvait savoir que ceci : le prince de Hohenlohe est entré à Dresde avec deux divisions prussiennes ; l'armée du roi n'a pas dépassé Magdebourg, et le corps de Blücher est encore aux environs d'Hameln.

Napoléon a, depuis plusieurs mois, caressé le projet de marcher directement de Bamberg sur Berlin, en cas de guerre avec la Prusse, et son plan d'opérations, s'il n'est pas consigné dans un mémoire, n'existe pas moins dans son cerveau.

Les rassemblements ordonnés le 19 septembre comprennent :

1° La réunion de quatre corps d'armée dans la région de Bamberg ;

2° La constitution d'une couverture assurée par :

Le 5e corps, à Kœnigshofen ;

La division Dupont, à Würzburg ;

Le 7e corps, à Francfort.

Würzburg est située en arrière du centre du front formé par les postes de la couverture. C'est là que sont dirigés le grand quartier général, le grand parc, une grande partie des subsistances et des hôpitaux, etc.

Auprès de Würzburg et au Sud, sur une surface triangulaire d'environ 40 kilomètres de côté, sont réunies trois divisions de cavalerie, dont deux de cuirassiers.

La 4e division de dragons, à Schweinfurth, et la 1re division de dragons, à Aschaffenburg, serviront à relier entre eux les corps de couverture et à surveiller la frontière de Thuringe.

Le réseau de surveillance des corps de couverture s'étend depuis Giessen (petite avant-garde du 7e corps) jusque vers Neustadt, au pied du Franken-Wald.

En outre, le 3e corps (Davout) doit prendre possession de Kronach (lettre impériale du 24 septembre) au moyen de sa cavalerie et mettre cette place en état de défense, tandis que le 1er corps (Bernadotte) fera observer les confins de Baireuth.

Depuis Giessen jusque vers Baireuth, toutes les communications, sur les frontières équivoques, sont donc gardées par des postes et des piquets.

On compte à vol d'oiseau :

55 kilomètres de Giessen à Francfort.

35 kilomètres de Francfort à Aschaffenburg.

80 kilomètres d'Aschaffenburg à Schweinfurth.

35 kilomètres de Schweinfurth à Kœnigshofen.

60 kilomètres de Kœnigshofen à Kronach.

40 kilomètres de Kronach à Baireuth.

C'est donc une ligne d'environ 300 kilomètres que tiendront les avant-postes de la Grande Armée.

La couverture de la Grande Armée a toutes les apparences d'un déploiement stratégique dont le centre serait formé par Würzburg.

Cette ville marque donc le centre fictif de l'armée.

En réunissant quatre corps, sur six, à Bamberg et au sud, Napoléon, se ménage la possibilité d'opérer dans le bassin du Rhin, tout en amorçant son mouvement préféré vers la Saxe.

Le rassemblement principal est effectivement en arrière de la droite du réseau des postes fournie par la couverture, laquelle est orientée comme si l'ennemi pouvait se présenter, le 3 octobre, devant Giessen, Francfort, Hamelburg, Kœnigshofen, Kronach et Baireuth.

Si le gros des forces ennemies débouche de Fulda sur Würzburg, les 5e, 3e, 1er et 6e corps lui feront face, ayant le 4e corps en 2e ligne, et la Grande Armée marchera à sa rencontre pendant que le 7e corps, à l'aile gauche, manœuvrera.

Que l'offensive de l'ennemi ait lieu sur Francfort, le 7e corps défendra le terrain jusqu'à Mayence, et la Grande Armée, descendant la vallée du Main, viendra offrir la bataille dans des conditions telles que si l'ennemi se perd il sera jeté dans le Rhin.

Enfin, le dispositif de rassemblement place les 5e, 3e et 4e corps sur les seules bonnes routes conduisant respectivement à Saalfeld, Schleiz et Hof, sur la haute Saale, en Saxe.

Le dispositif de réunion de la Grande Armée est largement articulé. Les quatre corps d'armée qui composent le groupe central, au lieu d'être soudés les uns aux autres, présentent des intervalles correspondant à deux jours de marche environ.

Le front stratégique éventuel : Bamberg-Anspach, orienté sur Würzburg, mesure 85 kilomètres.

Le front stratégique éventuel : Bamberg-Amberg, orienté sur Baireuth, est de 100 kilomètres.

Si l'ennemi se présente devant Würzburg, ou bien, s'il débouche de Baireuth, la concentration de la Grande Armée pour la bataille s'effectuera en avançant, et le dispositif initial permettra de manœuvrer l'armée adverse avant la bataille, autrement dit, d'envelopper une de ses ailes, avant que le premier coup de canon n'ait été tiré.

 

§ 5. - Permanence du caractère défensif d'un plan de réunion des forces.

 

Il y a une différence considérable entre la réunion de la Grande Armée en 1806 et celle des armées modernes. A l'époque où nous vivons, les chemins de fer ont remplacé les routes de l'armée, ou lignes de communications, qui portaient les renforts et les ravitaillements de la mère-patrie, ou du pays allié, à la zone de réunion de l'armée.

En désignant les communications au dernier moment on laissait l'ennemi dans l'incertitude au sujet de la véritable zone de réunion, ainsi qu'il advint quand l'état-major prussien crut l'armée française déployée, la gauche au Rhin, la droite aux montagnes de Bohême.

Aujourd'hui, les lignes de chemin de fer étant fixes et connues de tout le monde, il est moins facile de tromper l'ennemi sur nos projets.

Cependant, le choix des zones de rassemblement des armées peut échapper dans une certaine mesure aux investigations de l'adversaire.

Dans tous les cas, le secret le plus absolu doit présider aux opérations relatives à la réunion des armées ; on ne saurait trop le répéter.

Si les zones probables de rassemblement sont indiquées par les quais militaires, il ne s'ensuit pas que la répartition des forces sur ces zones puisse être aussi facilement connue.

On peut dire toutefois qu'il est beaucoup plus difficile aujourd'hui qu'en 1806, d'induire l'ennemi en erreur sur les zones de rassemblement et sur la répartition correspondante des armées.

Du 5 au 19 septembre, Napoléon a changé à plusieurs reprises les points de rassemblement de ses corps d'armée, sans apporter de modifications essentielles au choix primitif de la zone de réunion de son armée.

Ses variations furent inspirées par les renseignements qu'il recevait sur l'ennemi.

En sera-t-il de même dans l'avenir ?

Si l'on se reporte à la réunion des forces allemandes en juillet 1870, on constate que, par ordre royal du 23 juillet, la 2e armée eut à se rassembler dans la région de Mayence, alors que ses débarquements devaient s'effectuer, en vertu du plan de transport, vers Pirmasens-Hombourg.

Il est donc permis de supposer que, lors d'une nouvelle guerre, les débarquements sur la zone de réunion des armées ne s'effectueront pas toujours aux points primitivement fixés.

Le haut commandement pourra se voir contraint de modifier, soit latéralement, soit en profondeur le dispositif des rassemblements.

Il atteindra ce résultat en utilisant la zone de manœuvre des transports que procurent les gares régulatrices.

Cette question des modifications éventuelles à faire aux transports stratégiques est aussi délicate qu'importante.

La préparation de chantiers de débarquement en des points ignorés de l'ennemi, l'utilisation habile de certaines régions fortifiées, pourront peut-être pallier les défauts qui résultent' de la fixité des chemins de fer et de l'existence connue des quais permanents, surtout si nos premières opérations affectent la forme défensive.

La défense stratégique qui n'exclut pas, tout au contraire, l'offensive tactique prise au moment favorable, se prête mieux que l'offensive stratégique à une manœuvre contenue en germe dans les rassemblements, à la condition que le secret le plus absolu ait présidé à la réunion des forces.

Cette manœuvre que sera-t-elle ?

Peu nous importe !

L'homme de guerre qui conduira nos armées à la victoire aura su trouver la solution simple, originale et imprévue du problème le plus difficile qu'homme ait à résoudre.

Qui soupçonnait, au mois de septembre 1806, l'emploi que ferait Napoléon des places de Wesel, de Mayence, de Würzburg, de Kronach et de Forchheim pour assurer le secret de ses rassemblements et encourager l'offensive de l'ennemi dans la direction de Mayence ?

Napoléon choisit les trois places de Würzburg, Kœnigshofen et Kronach comme pivots de ses opérations, sans compter Mayence qui est le pivot principal.

Les trois premières de ces places couvrent le rassemblement principal du côté le plus dangereux qui fait face aux directions de Fulda et d'Erfurth.

En effet, une place située sur les derrières du rassemblement ne peut jouer tout au plus que le rôle de magasin fortifié, non celui de pivot des opérations, et c'est pour ce motif que Napoléon, dans sa lettre du 5 septembre, trouvait que Forchheim était de dix lieues trop au Sud.

Tout rassemblement est par nature défensif.

Pendant qu'il s'opère, l'armée est dans un état de crise qui lui interdit toute idée d'opération. Ce fut donc pour donner à la réunion de la Grande Armée la sécurité dont elle avait un besoin absolu que Napoléon lui affecta une zone dont le front était protégé par trois places fortes.

En ce qui concerne les corps d'armée de couverture, exposés plus que les autres à combattre inopinément, un ordre de l'Empereur à l'adresse du 5e corps (Würzburg, 2 octobre, 11 heures soir) porte qu'un tel corps d'armée ne baraque ni ne bivouaque, mais cantonne de manière à pouvoir être réuni en trois ou quatre heures sur la position choisie.

Au moment où les opérations vont commencer, le maréchal Berthier indique (Würzburg, 3 octobre) au maréchal Lefebvre (5e corps) les dimensions à donner aux cantonnements serrés, qui doivent occuper seulement deux lieues carrées, afin que dans deux heures vous puissiez vous mettre en marche dans la direction qui vous sera donnée.

L'année précédente, le 27 septembre, Napoléon avait fait donner l'ordre au maréchal Ney, couverture de l'armée à l'aile droite du côté du Danube, pendant le mouvement des autres corps sur le Neckar, qu'une fois à Stuttgard le 6e corps devait être disposé de manière à pouvoir se réunir en moins de deux heures en ligne.

Le principe est le même.

Un corps de couverture doit être concentré et non éparpillé sous le prétexte de garder étroitement toutes les routes dangereuses.

Ainsi le maréchal Lefebvre ayant dispersé la division Gazan en avant-postes, Napoléon écrivit de Mayence, le 30 septembre, au major général :

Que le maréchal Lefebvre réunisse son corps d'armée. Je n'aime pas voir la division du général Gazan (2e) éparpillée dans les montagnes ; c'est là l'affaire de quelques piquets ou, au plus, de quelques détachements.

Un corps d'armée en couverture doit donc être prêt à manœuvrer et à combattre ; il est grand'garde de l'armée pendant qu'elle se réunit et il peut devenir son avant-garde au moment où elle entame les opérations.

Le 5e corps, à Kœnigshofen, à portée des routes de Meiningen à Coburg et à Schweinfurth, et de Fulda à Würzburg par Hamelburg, se trouvait à environ 20 kilomètres de la frontière de Thuringe.

Le front des cantonnements de rassemblement du 3e corps d'armée, qui formait la tête des rassemblements principaux, au sud de Bamberg, était à 60 kilomètres au sud du 5e corps.

La zone de réunion de l'armée était donc gardée, du côté le plus dangereux, à 80 kilomètres.

En plaçant les 5e et 7e corps à des distances aussi grandes de la zone de réunion de la Grande Armée, Napoléon avait en vue de parer et de riposter à l'offensive des Prussiens sur Mayence.

C'est dans le même But que cinq divisions, sur six, de la réserve de cavalerie durent être disposées : non loin de Würzburg.

Si, dans le cas le plus défavorable, les armées ennemies, une fois, en marche sur Mayence, changeaient de direction du Nord au Sud pour venir de Fulda sur Würzburg, le 5e corps manœuvrerait et combattrait à la façon d'une arrière-garde, pour contraindre l'ennemi à déployer ses forces, le retarder, et procurer ainsi à Napoléon, le temps de combiner, puis d'entamer la manœuvre préparatoire à la première bataille.

 

§ 6. - Cantonnements de réunion et lignes de communications.

 

Il résulte de prescriptions contenues dans certains ordres des maréchaux, entre autres dans celui du 4e corps, le 30 septembre, que pendant la période de rassemblement, chaque division devait occuper des cantonnements serrés sur un rayon de une lieue et demie (6 kilomètres) au plus.

Les corps d'armée formaient ainsi deux ou trois cercles de cantonnements, suivant qu'ils étaient à, trois ou à deux divisions, plus un cercle restreint pour le parc de réserve.

Le cercle de cantonnements d'une division en rassemblement était, par suite, de 80 à 100 kilomètres carrés.

La surface totale occupée, dans ces conditions, par un corps d'armée à trois divisions mesurait environ kilomètres carrés, sans compter le cercle de la cavalerie-, toujours situé en dehors du corps d'armée. Cela revient à dire qu'un corps d'armée à trois divisions occupait, en cantonnements de rassemblement, un carré de 16 kilomètres environ de côté.

Les routes, ou communications, de la Grande Armée furent choisies, au nombre de quatre, se fusionnant deux par deux.

De Mayence à Bamberg, par Würzburg.

De Mannheim à Bamberg, par Würzburg.

De Ulm à Bamberg, par Nuremberg.

De Augsbourg à Bamberg, par Nuremberg.

Napoléon pouvait donc indifféremment faire venir ses ressources du Rhin ou du Danube.

Une cinquième communication avait même été prévue, de Mannheim à Forchheim, pour le cas où l'ennemi aurait coupé les premières à Würzburg. Les courriers et les renforts de France seraient venus par cette route, en attendant que les opérations de la Grande Armée eussent dégagé Würzburg.

Il fut même question un instant d'une sixième communication, de Strasbourg à Forchheim, par Fribourg et Ulm.

Quelques auteurs, à l'esprit géométrique, ont attribué une vertu magique à la base, dite en équerre, que formaient le Rhin et le Danube au début de la campagne de 1806.

On a fait également ressortir, à l'avantage des Allemands de 1870, la disposition en équerre des frontières de la Confédération du Nord embrassant la France, de Sarrelouis à Lauterbourg et de Lauterbourg à Bâle.

Pourtant, les frontières de la Hesse-Cassel, de la Thuringe et de la Saxe avaient, en 1806, par rapport aux frontières de la Confédération du Rhin, une forme enveloppante, au moins pour le début des opérations.

En 1870, les armées allemandes avaient tout intérêt à éviter la barrière du Rhin, si facile à défendre.

Forcer le passage d'un grand fleuve en présence d'une armée ennemie est, d'après Napoléon, l'opération la plus difficile qui soit.

Il était donc permis de croire que les armées de la Confédération du Nord, se réuniraient dans le Palatinat.

Que devient alors la base en équerre ?

Croit-on que Napoléon ait songé un seul instant à la disposition géométrique que présentent, l'un par rapport à l'autre, le Rhin et le Danube ?

Assurément non. Il a seulement calculé qu'en tirant une partie de ses ravitaillements de la Bavière, on pouvait pendant quelque temps se passer du concours de la mère-patrie. C'était de sa part une ruse habile, pour attirer l'ennemi sur le Rhin en lui offrant la tentation de couper ses lignes de communication supposées sur Mannheim et Mayence.

 

§ 7. - Le plan de réunion contient en germe le plan d'opérations.

 

En résumé, la réunion de la Grande Armée, telle que l'a ordonnée Napoléon par son instruction générale du 19 septembre, offrait les avantages suivants :

1° La zone des rassemblements est protégée par les montagnes boisées de la Thuringe et de la Franconie.

Nuremberg, centre de la zone de réunion, est à 100 kilomètres des frontières neutres ou ennemies.

Un corps d'armée, le 5e, couvre immédiatement la tête des rassemblements, à 60 kilomètres de distance, et se garde lui-même, à 20 kilomètres, du côté de Fulda et de Gotha.

2° La Grande Armée est libre de manœuvrer derrière le rideau tendu depuis Giessen jusqu'à Baireuth, rideau que soutiennent deux corps d'armée (5e et 7e) une division d'infanterie (Dupont, à Würzburg) et six divisions de cavalerie, ces dernières en position le long du Main, de Würzburg à Kronach.

La réunion de toute la Grande Armée dans la région de Bamberg, à l'exception du 7e corps dont le rôle est d'amorcer les armées prussiennes sur Mayence, donne à Napoléon la facilité de porter la guerre où il voudra, soit sur le Main inférieur, soit en Saxe, avec la certitude d'avoir la supériorité numérique sur le premier champ de bataille.

La manœuvre sur la Saxe, en refusant l'aile gauche et en marchant par la droite, ne découvrira pas les communications puisque la Grande Armée peut se passer pendant un certain temps des routes venant du Rhin.

Dans ces conditions, l'Empereur peut tromper l'ennemi, lui dérober un certain nombre de marches et le mettre dans le cas d'accepter la bataille, non plus pour vaincre, mais pour se tirer d'une situation dangereuse.

Pour le Napoléon de 1806, les six corps de 30.000 hommes destinés à combattre la Prusse ont été de petites armées qu'il a rassemblées, sur une zone bien choisie, en prévision d'une manœuvre conduisant à la première bataille destinée, dans son esprit, à produire un résultat foudroyant.

La caractéristique de la stratégie napoléonienne est, en effet, la mise en œuvre rapide et complète de tous les moyens d'action au début de la campagne.

A l'inverse de la tactique qui réserve les efforts décisifs pour la fin de la lutte, la stratégie frappe les grands coups dès que les troupes sont prêtes, afin de terminer la guerre le plus tôt possible.

La forme donnée par Napoléon à la réunion de son armée, en 1805 et en 1806, découle d'une idée préconçue, autrement dit, d'une hypothèse sur les premiers agissements de l'ennemi.

En 1805, les Autrichiens étant supposés à demeure derrière l'Inn, la réunion de la Grande Armée, prescrite le 17 septembre et modifiée le 20 septembre, présente la forme d'un dispositif de marche-manœuvre, l'aile gauche en avant, pour faire tomber les défenses de l'Inn en les débordant par la rive gauche du Danube jusqu'au delà de Passau.

En 1806, les dispositifs de réunion prévus le 5, le 9 et le 13 septembre auxquels a succédé l'ordre de réunion en date du 19 septembre, dérivent des projets les plus vraisemblables attribués à l'ennemi, soit que l'Autriche prenne fait et cause pour la Prusse, soit que la guerre se restreigne à la lutte contre les armées saxo-prussiennes.

Dans tous les cas, si les corps d'armée occupent des cantonnements de rassemblement tels que leur mise en mouvement puisse s'effectuer en 5 ou 6 heures, l'ensemble des rassemblements, ou réunion de l'armée, affecte la forme d'un dispositif largement articulé que couvrent, au loin sur les directions dangereuses, des corps d'armée de couverture très concentrés.

Au commencement de septembre 1806, Napoléon pense que les Prussiens resteront derrière l'Elbe et il projette de marcher droit de Bamberg sur Berlin.

Le 18 septembre, quand il apprend l'envahissement de la Saxe, il prévoit l'offensive stratégique des armées prussiennes et, pour y parer, il prescrit des rassemblements autour de Nuremberg qui indiquent de sa part l'idée d'une contre-offensive dans la vallée du Main.

Cependant, Napoléon n'abandonne pas pour cela son premier projet de marcher sur Berlin, et, pour satisfaire à ces deux éventualités, il rassemble ses corps d'armée en étoile autour de Nuremberg et leur assure une forte couverture sur le front Francfort-Cobourg qui fait face aux débouchés de Fulda et d'Erfurth.

La réunion de la Grande Armée sera dès lors un dispositif préparatoire de manœuvre stratégique à effectuer, soit sur Francfort, soit sur Meiningen, soit sur Géra.

Elle répondra tout d'abord à la défensive stratégique et ne donnera lieu à l'offensive que si les armées prussiennes montrent de la lenteur et de l'indécision dans leurs mouvements sur le Rhin.

Nous pouvons inférer, des modes de réunion adoptés par Napoléon en 1805 et en 1806, que la réunion d'une grande armée moderne est l'ensemble des rassemblements d'armée choisis de façon à répondre aux principales éventualités, parmi lesquelles il convient d'envisager en premier lieu celle de la défense stratégique.

La réunion des armées modernes ne saurait échapper à la grande loi de l'économie des forces qui a pour facteurs le temps et l'espace.

C'est-à-dire que cette réunion doit être couverte dans les directions dangereuses par des forces capables d'assurer au grand commandement le temps de prendre des décisions, de modifier s'il y a lieu les dispositions préexistantes, en un mot, de procurer à la réunion principale une zone de manœuvres stratégiques.

Là comme partout, le défaut d'espace se rachètera par un gain de temps, et ce gain s'obtiendra par les manœuvres et les combats des avant-gardes.

Un principe juste reçoit son application en toutes choses, aussi bien dans le commerce, l'industrie, l'agriculture, la politique que dans les affaires militaires.

Le principe de l'économie des forces est de ceux-là. De tous les principes nés des progrès de la civilisation moderne il est le plus élevé comme le plus important, car il tire souvent sa valeur pratique de l'exercice d'une qualité précieuse, apanage des hommes supérieurement doués : l'improvisation.

 

Par le peu que nous avons montré de Napoléon jusqu'à présent, nous pouvons dire qu'il a créé la méthode dont nos ennemis de 1870 se sont emparés.

Étudier Napoléon c'est remonter à la source des procédés de guerre adoptés aujourd'hui par les armées des grandes puissances européennes.

Pour ne parler que des Allemands qui ont, le plus tôt et le mieux, exploité l'esprit de la guerre napoléonienne, on constate de leur part un travail soutenu d'adaptation qui leur a permis de systématiser la guerre d'armées, en s'inspirant de l'étude de nos campagnes sous le Premier Empire.

 

Notre ignorance était telle, au lendemain de la campagne de 1870-1871, que nous avons dû apprendre les rudiments de la stratégie et de la tactique pratiques dans les livres de nos ennemis de la veille et à l'école de leurs actions.

Chaque peuple a son génie propre.

Même physiologiquement, le cerveau d'un allemand diffère du cerveau d'un français.

La méthode de Napoléon a donc subi une déformation appréciable en passant par la filière de l'esprit prussien.

Par suite, la doctrine issue du long travail d'adaptation auquel s'est livré le grand état-major prussien pour s'approprier, en tenant compte du progrès moderne, l'esprit de la guerre napoléonienne, ne saurait être acceptée par nous que sous bénéfice d'inventaire.

Serions-nous moins capables que les étrangers de comprendre et d'appliquer les idées du maître des maîtres, un Français qui a commandé à des Français pour des Français ?

 

 

 



[1] L'ordre de l'Empereur porte Bamberg par lapsus, ainsi qu'il ressort d'une lettre du 29 septembre. Napoléon voulait dire Nuremberg.

Pour la discussion stratégique, nous avons rétabli le point choisi par l'Empereur.

[2] Cette nouvelle ligne d'opérations est, à proprement parler, une ligne de communications.