ÉTUDE SUR LA VIE ET LES OUVRAGES DE M. T. VARRON

 

PAR GASTON BOISSIER

Professeur de Rhétorique au lycée Charlemagne

OUVRAGE AUQUEL L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES A DÉCERNÉ LE PRIX BORDIN AU CONCOURS DE 1859

PARIS - HACHETTE ET Cie - 1861.

 

 

INTRODUCTION.

CHAPITRE PREMIER. — VIE DE VARRON.

CHAPITRE II. — DES OUVRAGES DE VARRON.

CHAPITRE III. — VARRON SATIRIQUE ET POÈTE. - LES SATIRES MÉNIPPÉES.

CHAPITRE IV. — VARRON PHILOSOPHE. - LES LOGISTORICI - AUTRES OUVRAGES PHILOSOPHIQUES.

CHAPITRE V. — VARRON GRAMMAIRIEN. - LE DE LINGUA LATINA. - DIVERS OUVRAGES DE GRAMMAIRE, DE RHÉTORIQUE ET DE CRITIQUE.

CHAPITRE VI. — VARRON HISTORIEN. - LES ANTIQUITÉS HUMAINES. - PRINCIPAUX OUVRAGES HISTORIQUES.

CHAPITRE VII. — VARRON THÉOLOGIEN. - LES ANTIQUITÉS DIVINES.

CHAPITRE VIII. — OUVRAGES DIVERS D'ÉDUCATION.

CHAPITRE IX. — LE DE RE RUSTICA.

CONCLUSION.

 

INTRODUCTION.

Depuis quelques années Varron est plus étudié et mieux connu qu'autrefois. L'édition de ses fragments, publiée en 1601 par Ausonius Popma, avait suffi longtemps aux érudits, et l'on se contentait de la reproduire, sans y rien ajouter. Mais, de nos jours, les travaux de Spengel et d'Ottfried Müller sur le De lingua latina[1], d'Œhler et de Vahlen sur les Ménippées[2], de Krahner sur les Antiquités[3], ceux de Francken[4], de Merklin[5] et surtout de l'infatigable docteur Ritschl[6], ont fait voir combien l'édition de Popma était inexacte et incomplète. Grâce à leurs recherches patientes, on a découvert des fragments nouveaux, éclairci les anciens, trouvé sur l'auteur et ses ouvrages des documents qu'on ne soupçonnait pas, et, par des conjectures ingénieuses et hardies, éclairé des questions qu'on croyait insolubles. Le temps semble venu de mettre à profit ces travaux de détail, de rassembler toutes ces lumières éparses pour apprécier d'une façon plus complète l'ensemble des œuvres de Varron et connaître l'homme tout entier.

C'est ce que j'essaye de faire ici. En réunissant au texte de Popma les fragments nouveaux qu'une étude attentive fait découvrir ou soupçonner ailleurs, je tenterai de saisir le sujet et le caractère des ouvrages de Varron, d'en retrouver, s'il se peut, les divisions principales, et de distribuer, dans ce cadre ainsi rétabli, les plus importants débris du livre perdu[7]. Je n'ignore pas que le défaut ordinaire de ces sortes de travaux est de laisser une grande place aux suppositions personnelles et aux hypothèses. Quand un auteur n'est arrivé jusqu'à nous que par fragments dispersés, et qu'à l'aide de ces débris il faut reconstruire son œuvre, on ne le peut qu'avec beaucoup de conjectures. C'est la Condition même de cette entreprise, et, puisqu'elle est une nécessité, je n'ai pas à m'excuser de l'avoir subie. Cependant je ferai tous mes efforts pour diminuer, autant que possible, la part de l'arbitraire, et appuyer mes opinions sur l'autorité des écrivains anciens et des plus savants critiques modernes.

Je ne me dissimule pas toutes les difficultés du travail que j'entreprends. La première, la plus grande peut-être, consiste à limiter le sujet et à le bien circonscrire. Varron avait touché à tout, et il se faisait gloire d'être universel. Quintilien disait de lui : Quam multa, immo pœne omnia tradiditi ![8] Et aujourd'hui encore, quoique ses œuvres soient presque entièrement perdues, il est à. peu près question de tout dans les courts fragments qui en restent ; en sorte que pour les expliquer à fond et l'un après l'autre, on pourrait être tenté d'écrire une encyclopédie que plusieurs volumes auraient peine à contenir. Je n'ai pas voulu le faire, et m'en suis tenu à l'essentiel. On m'en fera peut-être un reproche ; et, quoiqu'il soit beaucoup plus à craindre qu'on ne trouve en général, l'ouvrage trop long, il peut arriver que quelques personnes se plaignent qu'il soit trop court. Ceux qui ont lu les longues monographies que les écrivains allemands ont consacrées à quelques ouvrages isolés de Varron, pourront regretter que je ne les aie pas suivis dans toutes leurs savantes recherches, et m'en vouloir de passer rapidement sur des questions qu'ils ont développées avec complaisance. Mais on comprendra sans peine, qu'embrassant ici l'ensemble du sujet, je n'aie pu donner à chaque partie les mêmes développements que leur accordaient ceux qui ne traitaient qu'elles. A tout prendre, cet inconvénient est compensé par un grand avantage. Il leur est souvent arrivé, dans leur prédilection pour l'ouvrage qu'ils étudiaient à part, d'en exagérer l'importance. Ils aiment à le mettre au premier rang, et, si par malheur on n'en a pas conservé grand'chose, ils vont jusqu'à dépouiller les autres, afin que le leur fasse meilleure figure. Ces étranges injustices seront, je l'espère, réparées ici. Dans cette étude d'ensemble que je me propose de faire, chaque ouvrage reprendra naturellement sa place. En les comparant entre eux, nous comprendrons mieux l'importance et le caractère de chacun, et, an lieu de chercher à se nuire, ils s'aideront et s'éclaireront l'un par l'autre.

Mais ce n'est pas à ce travail critique, à cette étude de texte que j'ai borné ma tâche, et il m'a semblé que Varron réclamait autre chose. On lui ferait outrage en le traitant comme un Festus on un Nonius. Ceux-là sont des compilateurs fort utiles sans doute ; ils nous ont laissé des renseignements curieux, et les érudits les lisent avec soin pour les lumières qu'ils en tirent ; mais qui songe à les étudier pour eux-mêmes ? Varron, «au contraire, a mis dans sa science quelque chose de lui ; son érudition a un tour qui lui appartient ; il mêle ses expériences personnelles, ses opinions, ses jugements aux faits qu'il a puisés chez les autres. Aussi a-t-il conservé, parmi toutes ses compilations, une certaine originalité, et comme une physionomie particulière. J'essayerai de la retrouver dans ses ouvrages. J'y chercherai l'empreinte de ses sentiments, le souvenir de sa vie publique et du rôle qu'il a voulu jouer, la trace de ses haines et de ses affections, en un mot tout ce qui, dans un écrit, garde la marque de l'auteur, et peut le faire revivre à l'esprit.

Ainsi, reconstruire, s'il se peut, les ouvrages de Varron, à l'aide des fragments qui nous restent, et, dans ses ouvrages ainsi restitués, essayer de le retrouver lui-même, tel est le double travail que j'entreprends.

 

 

 



[1] Voir surtout l'édition du De Lingua Latina publiée par Ott. Müller, Leips., 1833. M. Egger l'a reproduite dans une édition publiée à Paris en 1837.

[2] Satur. menipp. reliquiæ, ed. F. Œhler. Quedl., 1845. — Joannis Valdeni in M. Ter. Varronis satur. menipp. reliquias conjectanea, Leips., 1858.

[3] Specimen comment. de M. Ter. Varronis antiquit., Halæ, 1834. Depuis, M. Krahner a publié deux opuscules, l'un sur le Curion, l'autre sur la philosophie de Varron ; je n'ai pas pu me les procurer.

[4] Fragm. M. Ter. Varronis, quæ inveniuntur in libris St-August., Lugd. Bat., 1836.

[5] Questiones Varronianæ, Dorpat., 1852.

[6] Quæstiones Varronianæ. De discipt. libris, Bonn., 1845, et surtout l'important article du Musée du Rhin : Die Schriftstellerei des M. Ter. Varro. Rhein-mus., 1849. Je n'ai pu me procurer le mémoire de M. Ritschl sur les Logistorici.

[7] Par là, je me trouverai accomplir ce que demandait il y a longtemps M. Daunou, quand il disait : On pourrait former un recueil utile des opinions les plus remarquables de Varron en histoire, en philosophie et en matières religieuses. (Biograph. univers., art. Varron.)

[8] Institutions oratoires, XII, 11.