LA FIN DU PAGANISME

 

LIVRE CINQUIÈME — La société païenne à la fin du IVe siècle

CHAPITRE I — LES GRANDS SEIGNEURS ROMAINS D’APRÈS LES LETTRES DE SYMMAQUE.

 

 

— I —

Les lettres de Symmaque. - Leur caractère. - Pourquoi elles sont si courtes et si insignifiantes. - Raisons que Symmaque en donne. - Le genre épistolaire et ses lois à cette époque. - A quoi servaient les lettres dans cette société.

Ces gens du monde, ces lettrés, que les poètes chrétiens voulaient attirer à leur doctrine, il faut croire qu’ils devaient être encore nombreux et qu’ils ne manquaient pas d’importance ; sans cela, on n’aurait pas pris tant de peine et fait tant de concessions pour les gagner. Il serait donc intéressant de bien connaître ce qui restait de cette vieille société qui résista la dernière au christianisme, et dont on peut dire qu’elle ne fut pas tout à fait vaincue, car elle a laissé beaucoup d’elle-même dans la religion victorieuse. Cherchons s’il est possible de savoir ce qu’elle était, ce qu’elle pensait, comment elle vivait, dans les dernières années du IVe siècle, au moment même où elle allait quitter ses vieilles croyances pour adopter les nouvelles.

Nous avons précisément, pour pénétrer dans la société de ce temps, des facilités particulières ; il nous reste toute la correspondance d’un grand personnage, qui a passé sa vie presque entière à Rome, et qui en a fréquenté tous les hommes importants. Q. Aurelius Symmachus avait occupé les plus hautes fonctions de l’empire ; il avait été questeur, préteur, pontife, gouverneur de plusieurs grandes provinces, préfet de la ville et consul ordinaire. Mais, avant tout, c’était un lettré fort distingué, un orateur célèbre, qu’on mettait à côté et quelquefois au-dessus de Cicéron[1]. On le comparait aussi très souvent à Pline le jeune, et lui-même semble l’avoir pris pour modèle. Comme lui, il avait composé des panégyriques, qui passaient pour des chefs-d’œuvre ; comme lui, il écrivit des lettres gui faisaient la joie des connaisseurs ; on les copiait, on les gardait avec soin, on en faisait des recueil,, on les enfermait, comme, des objets précieux, dans des coffres de tilleul ou de citronnier[2] ; il y eut même des fanatiques qui disposaient des gens sur la route pour les prendre aux esclaves qui les portaient et les lire avant tout le monde[3], ce qui est vraiment pousser l’admiration bien loin. Aussitôt après la mort de Symmaque, son fils Memmius Symmachus les recueillit, les divisa en dix livres, comme celles de Pline, et, pour que la ressemblance fût complète, forma le dixième livre des rapports officiels adressés par son père aux empereurs[4].

C’est avec la curiosité la plus vive que nous ouvrons cette correspondance ; nous nous rappelons quelles clartés les lettres de Cicéron et de Pline jettent sur la société de leur époque, et nous attendons de celles de Symmaque un service semblable. Quand on songe à la situation qu’occupait l’auteur, aux gens qu’il a intimement connus, aux grandes affaires auxquelles il était mêlé, il semble qu’il va nous révéler beaucoup de choses nouvelles ; nous espérons qu’il nous donnera la pleine connaissance d’une époque obscure et nous fera vivre dans un monde qui est souvent pour nous une énigme. Vais notre attente est cruellement trompée ; ces dix livres de lettres sont d’une pauvreté incroyable ; jamais on n’a tant écrit pour dire si peu de chose. Comme nous n’y trouvons pas ce que nous cherchions, nous avons peine à les lire jusqu’au bout ; aussi en voulons-nous à l’auteur de notre mécompte ; pour avoir trop attendu de lui, nous arrivons à lui être trop rigoureux.

Ce qui devrait un peu tempérer notre sévérité, c’est que Symmaque lui-même, malgré les éloges dont on comblait ses lettres, semble s’être aperçu de ce qui leur manquait pour les rendre tout à fait intéressantes. D’abord il ne les a pas publiées lui-même, comme il a fait pour ses autres ouvrages, ce qui semble indiquer qu’il n’en espérait pas autant de gloire ; on voit de plus qu’il prie ceux auxquels il les envoie de les garder pour eux ; et, lorsqu’il apprend qu’ils les font lire à leurs amis, il manifeste une inquiétude qui parait sincère[5]. Il semble donc que, malgré la bonne opinion qu’il avait de son talent, il n’ait pu se dissimuler que ses lettres étaient fort inférieures à celles des maîtres auxquels, malgré lui, on les comparait. Il y avait d’abord entre elles une différence matérielle qui devait, du premier coup, frapper les yeux les plus prévenus. Tandis que celles de Cicéron, par exemple, sont larges, amples, pleines de développements qui, d’ordinaire, remplissent plusieurs pages, celles de Symmaque, courtes, sèches, tiennent presque toujours en quelques lignes[6]. Le contraste est si grand que Symmaque a senti le besoin de l’expliquer : il nous dit souvent que les sujets lui font défaut, et qu’il ne convient pas de parler longuement, lorsqu’on n’a rien à dire ; il se plaint que les affaires publiques soient nulles ou de petite importance[7]. Quant aux événements, écrit-il à son fils, je n’en ai pas à vous raconter, à moins qu’il ne vous plaise d’apprendre qu’une maison s’est écroulée sur le forum de Trajan et qu’elle a écrasé tous ceux qui l’habitaient.

Devons-nous croire Symmaque sur parole ? Est-il bien vrai qu’à ce moment la matière manquât à ceux qui voulaient entretenir leurs amis des affaires publiques ? Si nous lisons les historiens du temps, nous voyons, au contraire, qu’il se passait alors des événements graves et dramatiques, dont l’importance était grande pour l’empire ; seulement Rome n’en était plus le théâtre. Jusqu’à la fin du IIIe siècle, toute l’activité politique du monde semblait s’y être concentrée. Quand l’empereur siégeait au Palatin, non seulement on y ressentait davantage le contrecoup des affaires lointaines, mais les moindres incidents du palais, les intrigues de la cour, les délibérations du sénat occupaient et passionnaient l’attention publique ; on les racontait, on les commentait, on les embellissait dans les repas et dans les cercles, in conviviis et circulis ; on était toujours tenté de leur accorder plus d’importance qu’ils n’en avaient réellement, et nous pouvons être sûrs que les correspondances de cette époque leur faisaient une grande place. Tout était changé du moment que Rome avait cessé d’être la résidence du prince. Les événements, grands ou petits, qui forment la vie des régimes absolus, se passaient loin d’elle, et, comme il ne lui en arrivait qu’un bruit fort affaibli, elle n’y pouvait plus prendre le même intérêt qu’autrefois ; elle n’en apercevait plus l’importance et il devait lui sembler qu’ils ne méritaient pas la peine d’être rapportés.

C’est ce qui explique la façon dont Symmaque les a traités et la place qu’il leur donne dans sa correspondance. Tandis que, chez Cicéron, le récit des événements publics occupe les lettres entières et qu’il en est le principal intérêt, Symmaque l’exclut systématiquement des siennes ; il se contente d’en faire un résumé, qu’il appelle breviarium ou indiculus, et qui est envoyé à part[8]. Il semble qu’il prenait la peine de le rédiger lui-même, et que, pour le composer, il choisissait, soit dans la collection des actes officiels, soit dans ces gazettes à la main, qui existaient déjà du temps de Cicéron et dont l’usage ne s’était pas perdu, les nouvelles qui lui semblaient les plus curieuses. C’est un grand malheur que ces résumés, que Symmaque traitait avec tant de dédain et qu’il plaçait hors de ses lettres, soient perdus ; ils auraient vraisemblablement pour nous, si nous les avions conservés, beaucoup plus d’intérêt que les lettres mêmes.

A défaut des affaires publiques, dont on voit qu’il ne s’occupe guère, s’est-il au moins étendu sur les incidents de sa vie privée, sur sa famille, sur ses amis et ses proches ? C’est un des plus grands attraits des lettres intimes que de nous entretenir de ces détails familiers, et l’on trouve presque autant de plaisir à y découvrir l’existence cachée d’un homme que l’histoire secrète d’un peuple. Symmaque ne l’ignorait pas. Il remercie un jour avec effusion son ami Flavien qui lui a raconté quelques courses qu’il vient de faire, et lui dit qu’en lisant le récit de son voyage, il lui semblait voyager avec lui[9]. A un autre de ses correspondants, qui se plaignait que ses lettres fussent trop courtes, il répond : Pour vous écrire un peu plus longuement, je vais vous dire où je suis et ce que j’ai fait ; car je sais bien que l’amitié est très friande de récits de ce genre[10]. Pourquoi, s’il le sait, en est-il ordinairement si avare ? Puisqu’il a éprouvé le charme de voyager en imagination avec un ami qui vous raconte ses voyages, ne devrait-il pas fournir à ceux auxquels il écrit l’occasion d’un plaisir semblable ? Il demande aux autres des lettres qui sortent du cœur et ne coulent pas seulement du bout des lèvres[11] : pourquoi leur en adresse-t-il qui sont aussi courtes et aussi froides qu’une affiche officielle, instar edicti ?[12]

Symmaque se rend fort bien compte de cette contradiction, et il essaye de l’expliquer. Pour se faire pardonner lé silence qu’il garde sur les affaires de Rome, il dit à ses enfants qu’elles sont trop tristes à raconter[13]. Ils se sont retirés à la campagne pour être tranquilles : convient-il de leur mettre sous les yeux des événements dont ils n’ont pas voulu être témoins ?[14] Cette excuse, à la rigueur, peut se comprendre, quoique, à force de s’en servir, Symmaque montre bien que ce n’est qu’un prétexte. Ce qui fait voir d’ailleurs qu’elle ne lui semble pas suffisante, c’est qu’il en cherche une autre, et celle-là, au moins, est dépourvue de tout artifice. Vous souhaitez, dit-il à Ausone, que je vous écrive des lettres un peu moins courtes ; c’est un désir qui prouve combien vous m’aimez. Mais moi, qui me connais, et qui sais ce dont je suis capable, j’aime mieux avoir l’air d’imiter systématiquement la concision des Lacédémoniens que de montrer, en vous envoyant des lettres plus longues, l’indigence et la maigreur de mon talent[15]. Nous voilà bien avertis ; se sentant un peu court d’invention, pauper loquendi[16], il a fait un système de ce qui était un vice de nature.

On peut ajouter qu’en écrivant comme il faisait il se conformait à la manière dont ses contemporains comprenaient le genre épistolaire. C’est probablement le plaisir qu’on trouvait à lire la correspondance de Cicéron qui, vers le premier siècle de l’empire, mit les lettres à la mode. Mais le succès même qu’elles obtinrent en changea peu à peu le caractère : ce qui n’est chez Cicéron qu’un moyen de communiquer avec des amis, pour leur raconter ce qui arrive et leur faire savoir ce qu’on pense, devient un genre comme un autre. La forme des lettres parait propre à piquer la curiosité ; on s’en sert pour donner un tour plus vif aux idées qu’on exprime et aux récits qu’on fait ; on écrit aux gens, non pas parce qu’on a quelque chose à leur dire, mais pour entretenir avec eux un commerce d’esprit, et, s’ils prennent goût à ce qu’on leur envoie, on songe bientôt à mettre le public dans la confidence. C’est alors que commencent les épistoliers de profession, comme les appelle Balzac[17]. Un homme d’esprit de l’époque de Trajan, Pompeius Saturninus, orateur et poète à ses heures, lisait à ses amis des lettres qu’il prétendait être de sa femme. On les admirait beaucoup : C’était, disait-on, du Plaute ou du Térence en prose. Quelques-uns même les trouvaient si parfaites qu’ils soupçonnaient que le mari y avait mis la main[18].

Du moment que les lettres deviennent un genre littéraire, elles ont leurs règles et leurs lois, comme tous les genres. Ces lois, Pline les a résumées en deux mots. Un de ses jeunes amis lui ayant demandé ce qu’il lui fallait faire pour apprendre a bien écrire, il lui conseille, entre autres exercices, de composer des lettres : elles rendront, lui dit-il, son style plus pur et plus serré, pressus sermo purusgue ex epistulis petitur[19]. Il est à remarquer que ces qualités ne sont pas celles qui frappent le plus dans les lettres de Cicéron, et en général dans celles qu’on écrit à une personne uniquement pour lui dire ce qu’on pense. Ce qui caractérise d’ordinaire ces commerces intimes et secrets, c’est qu’on croit avoir moins besoin de se surveiller, de se contraindre, et qu’on se permet d’employer des tours moins élégants et des mots plus familiers. En même temps, comme on écrit des choses auxquelles on tient beaucoup, et qu’on suppose qu’elles intéresseront les amis à qui on les raconte, on se laisse aller à en omettre aucun détail. Les lettres de cette sorte sont donc ordinairement négligées et abondantes, ce qui est justement le contraire des qualités que Pline assigne au genre épistolaire.

Symmaque est un disciple de Pline ; il s’est fidèlement conformé aux règles données par son maître : le style de ses lettres est pur et concis, pures pressusque. Quand je dis qu’il est pur, il faut s’entendre. Symmaque n’est pas un écrivain irréprochable, tant s’en faut ; cependant il écrit mieux que beaucoup d’auteurs de son temps, Ammien Marcellin, par exemple. Surtout, il fait effort pour bien écrire, et cet effort s’aperçoit ; son élégance manque en général de naturel. Il prend beaucoup de peine pour réunir et rapprocher des façons de parler d’époques différentes : c’est d’ordinaire un tour vieilli, une expression de Plaute ou de Térence, qu’il jette au milieu de phrases imitées d’auteurs plus récents. Il s’y mêle, sans qu’il le veuille, des locutions nouvelles et vicieuses, qui lui viennent de ses contemporains, car il est très difficile, quelque mal qu’on se donne, d’échapper tout à fait à son temps. Il n’arrive donc pas toujours à bien écrire, mais il y travaille et y réussit quelquefois. Voilà pour l’une des qualités que Pline exige des faiseurs de lettres. Quant à l’autre, on peut dire que Symmaque la possède plus que personne. Je ne crois pas qu’il y ait de correspondance qui se compose de billets plus courts que les siens, et, comme en peu de mots il est difficile de mettre beaucoup d’idées, il n’y en a pas non plus qui soit plus insignifiante.

On se demandera sans doute quel intérêt pouvaient avoir des lettres de quelques lignes, d’où les affaires publiques étaient exclues, où les affaires privées tenaient si peu de place, et pourquoi on se donnait la peine de les écrire. Quel besoin éprouvait-on d’échanger des correspondances laborieuses et vides, qui coûtaient tant de travail et apprenaient si peu de chose ? Voici, je crois, quelle est la réponse à cette question : on s’écrivait, parce que c’était un devoir de politesse, et que, dans la société où vivait Symmaque, la politesse était regardée comme une des obligations les plus impérieuses de la vie ; un homme d’un certain rang n’y devait pas plus manquer qu’aux règles de la probité et de l’honneur[20]. Ces lettres qu’on adressait aux gens de sa connaissance ressemblaient aux visites qu’on se fait à des jours réguliers, par habitude, par convenance, et où l’on échange cérémonieusement des banalités. Il arrivait quelquefois que, lorsqu’un grand personnage était absent de Rome, un de ses courriers, un de ses hommes, comme on disait déjà[21], avant de partir pour lui apporter les nouvelles de sa famille et de ses affaires, faisait le tour des maisons amies, demandant à chacun un mot pour son maître[22]. Ce mot, il eût été de mauvais goût de le refuser ; on écrivait donc, quoiqu’en général on n’eût rien à dire, et, au retour du courrier, chacun de ceux qui avaient écrit recevait quelques lignes en échange de celles qu’il avait envoyées : c’étaient comme des cartes de visite qu’on s’adressait l’un à l’autre, et où l’on n’était tenu de mettre que quelques vagues formules de compliments[23].

Ce qui fit la réputation des lettres de Symmaque, c’est qu’il savait mieux dire ces riens que les autres, et qu’il leur donnait un tour plus fin et plus piquant. Ce genre de mérite, qui consiste à tourner agréablement des bagatelles, est précisément celui que nos pères admiraient chez Voiture ; non pas que je veuille mettre sur la même ligne Voiture et Symmaque : l’infériorité de Symmaque est trop visible ; elle tient sans doute au talent dés deux auteurs, mais plus encore à ce que la société romaine du IVe siècle était moins agréable, moins vivante que celle de Paris et de la cour, au commencement du règne de Louis XIV. Il n’en est pas moins vrai qu’on rencontre, dans Symmaque, beaucoup de lettres où le vide du fond est dissimulé par les agréments de la forme. Elles contiennent des pensées ingénieuses délicatement exprimées. C’était assez pour ravir une société de gens du monde et de lettrés raffinés, qui étaient si touchés des charmes du beau langage. Quant aux défauts qui nous choquent, les gens de cette époque n’y étaient guère sensibles et on les regardait même quelquefois comme des qualités. Il est probable que certaines lettres qui nous semblent très contournées et presque ridicules[24] ont été fort admirées dans les cercles élégants de Rome, et que ce sont peut-être celles que les beaux esprits voulaient conserver dans des coffrets de cèdre et du tilleul.

— II —

Ce que les lettres de Symmaque nous apprennent de la vie publique au IVe siècle. - Le sénat. - Les fonctionnaires. - Les jeux publics. - Opinion de Symmaque sur les jeux. - Comment il a célébré ceux de la préture de son fils. - Dépense et préparatifs. - Symmaque et les gladiateurs.

Il faut donc que nous en prenions notre parti : nous ne trouverons pas, dans la correspondance de Symmaque, tout ce que nous y cherchons. Pour notre curiosité, il est trop discret. Au lieu de nous faire pénétrer avec lui dans la société romaine, il semble travailler consciencieusement à rendre ses lettres insignifiantes et vagues. Même quand il écrit à de grands personnages mêlés aux affaires de l’État, il affecte de ne leur en rien dire, et se tient, autant qu’il peut, dans des phrases de politesse générale[25]. Heureusement pour nous, il n’y réussit pas toujours, et de temps en temps des indiscrétions lui échappent. Il lui arrive, sans qu’il le cherche, de nous fournir des renseignements dont nous pouvons faire notre profit ; et, si nous réunissons tous ces détails isolés, il se trouve qu’il nous a révélé un certain nombre de choses curieuses qu’il n’avait pas l’intention de nous faire savoir.

Ce qui rend ici notre tâche plus aisée et nous permet de le comprendre à demi-mot, c’est que la société dans laquelle il nous introduit ne nous est pas inconnue. Quand on a lu les lettres de Pline, on se retrouve aisément dans celles de Symmaque : entre le monde que Pline nous dépeint et celui que Symmaque nous fait entrevoir, il y a quelques différences, mais pas d’opposition. On sent que de l’un à l’autre le temps a marché, mais qu’il a marché dans les mêmes voies. Rien ne démontre mieux qu’il n’y a pas eu, sous l’empire, de ces grandes secousses qui jettent un peuple dans des routes nouvelles ; des empereurs très différents se sont succédé, sans que la politique impériale ait au fond beaucoup changé. Les modifications qu’elle a subies sont sorties régulièrement les unes des autres, et, en comparant entre elles les lettres de Pline et celles de Symmaque, il serait facile de démontrer que le germe de tout ce qui se produit au ive siècle se retrouve déjà deux cents ans plus tôt. Rien ne montré mieux comment une grande aristocratie, attachée à ses traditions et s’appuyant sur un passé glorieux, parvient à se conserver pendant des siècles.

Symmaque est sénateur ; c’est peut-être le titre dont il est le plus fier. Cependant le sénat a beaucoup perdu de sa puissance depuis un siècle[26]. Dioclétien vient de donner une organisation nouvelle à l’empire, dans laquelle il n’a pas de place. Désormais les affaires se font dans les ministères et les bureaux, en dehors de lui. Mais ce qui lui porta le coup le plus rude ce fat le départ de l’empereur du Palatin. Du moment que les princes résident à Milan, à Trèves, à Constantinople, il est réduit à n’être plus guère qu’une sorte de conseil municipal de Rome. Cependant à l’extérieur, et dans la façon dont il tient ses séances, rien n’est changé ; tout se passe à peu près comme da temps de Pline. Les grandes journées du sénat sont celles où il reçoit quelque notification de l’empereur. Dès qu’on sait qu’un message impérial est arrivé, les sénateurs se précipitent dans la curie. Si la lettre est venue la nuit, on n’attend pas l’aurore, et l’on se rassemble aux flambeaux. Les courtisans ingénieux ne manquent pas de dire qu’avec le message du prince, c’est vraiment le jour qui s’est levé, lucem, quam adhuc opperiebamur, accpimus[27]. Celui auquel échoit l’honneur de le lire s’en félicite comme d’un triomphe[28] ; les autres ne se lassent pas d’applaudir ; les noms de Nerva, de Trajan, de Marc-Aurèle sont dans toutes les bouches pour être immolés à celui de l’empereur régnant, et l’on a grand soin de faire inscrire toutes ces flatteries dans les acta senatus, afin que le souvenir s’en conserve[29]. Ces scènes nous semblent choquantes, mais elles n’étaient pas une nouveauté. Le sénat en avait depuis longtemps l’habitude. En réalité, sous Gratien et sous Théodose, nous le retrouvons comme il était deux siècles auparavant ; il flattait déjà Domitien et même Trajan avec les mêmes effusions, presque dans les mêmes termes[30]. Symmaque, pas plus que Pline, n’apercevait le ridicule de ces exagérations ; au sortir de ces scènes d’adulation effrontée, dont il aurait dû un peu rougir, il se trouvait, au contraire, très fier d’être membre du sénat, et il lui arrivait de dire que c’était encore ce qu’il y avait de mieux dans le genre humain, pars melior generis humani[31].

L’aristocratie romaine du IVe siècle, telle que nous la montrent les lettres de Symmaque, fait encore une très grande figure. Si le sénat a perdu beaucoup de ses privilèges, en revanche, les sénateurs sont plus importants que jamais. Comme corps délibérant, ils n’ont plus part aux affaires de l’empire ; comme grands seigneurs, ils le gouvernent réellement. Dans cette royauté administrative, le pouvoir est aux fonctionnaires, et plus que jamais les principaux fonctionnaires sont pris parmi les sénateurs[32]. De ces dignités qu’on leur accorde, il y en a qui confèrent une autorité réelle, d’autres qui sont surtout une parure. Au nombre des premières il faut mettre ces grandes charges de cour, qui sont de véritables ministères, et toutes celles qui concernent l’administration des provinces. Ce sont les plus recherchées, celles qu’on souhaite avec ardeur, et qu’on exerce avec profit : le prince ne les donne qu’aux gens dont il croit être sûr. Quant aux vieilles magistratures de la république, on les a conservées, mais elles ne sont plus que des noms sans réalité. La plus grande de toutes, le consulat, a perdu toute son importance : Mamertin l’appelle honor sine labore, c’est-à-dire un vain honneur, qui ne donne rien à faire. Les gens qui sont épris des souvenirs du passée aiment à se parer de ces vieux titres ; ceux qui ne se piquent pas de ces superstitions y sont moins sensibles, et l’on en voit même qui, dans la liste des dignités dont ils ont été revêtus, oublient de les mentionner. Ici encore on peut remarquer que quelque chose de semblable se produisait déjà du temps de Pline : il raconte que lorsqu’il fut nommé tribun du peuple, i il prit sa charge au sérieux, ipse quum tribunus essem me aliquid putavi[33], ce qui prouve qu’il y en avait d’autres qui n’étaient pas dupes de ce grand nom ; et vraiment ils n’avaient pas tort : qu’était-ce en effet qu’un tribun du peuple, quand l’empereur avait pris pour lui la puissance tribunitienne ? Avec le temps les gens sérieux s’aperçurent que le consulat et la préture ne conféraient pas plus de puissance effective que le tribunat ; mais Symmaque était de l’opinion de Pline : quand il fut préteur et consul, il crut être quelque chose.

Ces magistrats avaient pourtant conservé certaines attributions qui ne manquaient pas d’importance et qui ont laissé beaucoup de traces dans les lettres de Symmaque : ils donnaient des jeux au peuple. C’était une nécessité pendant la république, à l’époque où les élections se faisaient dans les comices ; on comprend qu’alors l’élu tint à remercier ses électeurs et qu’en même temps il voulut préparer une candidature nouvelle. Mais depuis que les magistrats étaient nommés par le sénat et par le prince, ils ne devaient plus rien au peuple et pouvaient se dispenser de lui témoigner une reconnaissance si coûteuse. Il semble de plus que les empereurs avaient quelques raisons de n’être pas favorables à ces grandes exhibitions. S’ils étaient sages, il leur déplaisait de voir des fortunes considérables gaspillées par des libéralités insensées ; s’ils se sentaient mal affermis et redoutaient les compétiteurs, ils n’aimaient pas qu’un particulier attirât sur lui les yeux de la foule et se fit une popularité qui pouvait devenir dangereuse. Enfin, depuis Constantin, ils talent chrétiens, et le christianisme détestait les jeux publics, qui avaient tous une origine païenne et entretenaient le souvenir de l’ancien culte. On peut donc être certain que les empereurs les auraient volontiers supprimés, s’ils avaient été libres de le faire ; mais le peuple les réclamait, et ils furent forcés de les maintenir. Tout au plus essayèrent-ils de les réduire : ils fixèrent à la munificence des magistrats des limites qu’il leur était interdit de franchir ; ils établirent qu’on ne pourrait se permettre certains spectacles plus dispendieux et plus recherchés sans en avoir obtenu du prince une permission spéciale[34]. Mais en même temps ils éprouvaient le besoin de faire des protestations solennelles afin de rassurer la populace qui craignait toujours pour ses plaisirs, et d’affirmer qu’on ne porterait aucune atteinte aux jeux publics. Ils finirent même par infliger des peines aux magistrats qui manquaient à ce devoir et quittaient leur pays pour se soustraire à la dépense ; il fut décidé qu’ils ne gagneraient rien à s’enfuir, et que, pendant leur absence, des jeux seraient donnés en leur nom et à leurs frais.

Symmaque, qui, en toutes choses, tenait tant aux traditions anciennes, devait être très partisan des jeux publics. Le respect qu’il avait pour le passé lui en dissimulait les dangers ; à ceux qui leur reprochaient de compromettre les fortunes les plus solides, il répondait que les petites épargnes ne conviennent pas aux magistrats d’une grande cité, et il répétait le mot de Cicéron, qu’on peut être économe pour soi, mais qu’il faut être généreux pour l’État[35]. Aussi grondait-il ses amis lorsqu’ils permettaient aux magistrats placés sous leurs ordres de ne pas faire les dépenses qu’on attendait d’eux pour amuser leurs concitoyens. Lui, d’ordinaire si réservé, si respectueux pour les princes, et qui craint tant de les ficher, il insiste, il devient pressant, presque impérieux, quand il s’agit des jeux qu’ils ont annoncés et qu’ils tardent à donner. Le peuple romain, leur dit-il, est accoutumé d’attendre tout de votre divinité ; mais ce que vous lui avez promis, il le réclame comme une dette.... Il vous adresse donc ses prières, et demande à votre générosité qu’après les secours qu’elle lui accorde pour son alimentation, elle songe à fournir au cirque et au théâtre de Pompée des courses de chevaux et les plaisirs de la scène[36]. Ces spectacles font la joie de la ville, et vos promesses en entretiennent le désir. Tous les jours on espère voir venir des messagers qui nous annoncent que ces jeux auxquels vous vous êtes engagés vont s’accomplir. On tend l’oreille à tous les vents pour savoir si les cochers et les chevaux approchent ; on croit, à chaque voiture et à chaque bateau qui arrivent, voir débarquer les comédiens[37]. Devant cette sommation énergique, Théodose dut enfin s’exécuter ; il envoya des chevaux de course et des éléphants. Nous avons la lettré par laquelle Symmaque, alors préfet de la ville, remercie l’empereur au nom des Romains[38]. La générosité du prince y est l’objet des compliments les plus exagérés ; il déclare qu’il ne trouve pas de termes assez forts pour exprimer la reconnaissance du peuple. Les éléphants surtout avaient causé à Rome un délire d’enthousiasme. Ô ville amie des dieux ! s’écriait Symmaque, urbem cœlo et Sideribus acceptam ! Et il prend plaisir à nous dépeindre le jour fortuné où les éléphants firent leur entrée triomphale, précédés par une procession de grands personnages, entourés de chevaux et de chars qui leur faisaient cortège.

Ces effusions étranges de remerciements, ces descriptions emphatiques de la joie populaire ne sont pas, comme on pourrait le croire, de pures exagérations de rhéteur ; il y entre beaucoup de sincérité. Les jeux furent, on l’a déjà vu, la dernière passion de cet empire moribond ; aucune catastrophe ne pouvait arrêter cette frénésie. Saint Augustin nous dit que les fugitifs de Rome, qui s’étaient sauvés en Afrique pour échapper aux barbares, qui venaient de voir périr leur famille et leur fortune dans le sac de la ville, ne quittaient pas le cirque ou le théâtre de Carthage, et nous savons par Salvien que les survivants de Trèves, dont la patrie avait été pillée et détruite quatre fois de suite, avouaient qu’ils se consoleraient de tout, si on leur rendait leurs spectacles accoutumés. Les lettres de Symmaque montrent que les pères de l’Église n’ont rien exagéré.

Symmaque, qui, comme où vient de le voir, était un partisan déclaré des jeux publics, qui reprochait à ses amis et même au prince de les négliger, s’est bien gardé de commettre la même faute : il était trop honnête homme pour se soustraire à un devoir qu’il imposait aux autres. Aussi a-t-il fait les choses en conscience, quand l’occasion s’en est présentée. Un historien grec raconte qu’à propos de la préture de son fils il dépensa des sommes qui équivalent à deux millions de francs[39]. Cette dépense n’a rien qui nous surprenne, quand nous voyons, dans sa correspondance, les immenses préparatifs et les frais énormes qu’exigeaient les divertissements populaires. Un an à l’avance, Symmaque se met à l’œuvre ; il s’adresse à tous les amis qu’il a dans le monde, il leur demande leur appui d’un ton suppliant : il faut qu’ils l’aident à contenter le peuple romain, à lui fournir des plaisirs variés, des spectacles inconnus, à dépasser enfin tous ceux qui ont donné des jeux jusqu’à lui. Il envoie de tous côtés des serviteurs, des personnes de confiance, qui doivent se mettre à la recherche des artistes de mérite, des bêtes rares, des ornements étranges ou somptueux, et les acheter à tout prix. Ces gens doivent être munis de bonnes lettres de recommandation, pour vaincre tous les obstacles, et abondamment pourvus d’argent, pour suffire aux dépenses. Symmaque veut à tout prix éblouir ses concitoyens ; il lui faut des chevaux, des ours, des lions, des chiens d’Écosse (canes scotici), des crocodiles, et en même temps d’intrépides chasseurs d’animaux, des cochers habiles, des comédiens, des gladiateurs de premier choix. C’est un tracas effroyable de mener tant d’affaires à la fois, de découvrir des curiosités nouvelles, de faire venir de toutes les parties du monde ce qui il pourra un moment amuser ce peuple de dégoûtés[40]. Les chevaux lui arrivent surtout de l’Espagne : il y a li de grands éleveurs, qui sont connus dans le monde entier. Symmaque écrit à l’un d’eux, Euphrasius, qui a fourni des attelages pour les fêtes d’Antioche[41] ; il le prie de lui envoyer ce qu’il y a de mieux dans son écurie, et même de choisir au besoin dans les écuries des autres ; il veut, selon son expression, qu’on décime l’Espagne pour lui ; il demande des chevaux de sang, les meilleurs coureurs qu’on pourra se procurer[42]. Mais ce n’est pas tout de les choisir, il faut les faire arriver : de l’Espagne à Rome, la distance est longue ; des chevaux qui ont tant de chemin à parcourir sont exposés à mille accidents. Il les recommande à ses amis sur la route ; il écrit, à Bassus, qui possède à Arles des haras importants, de les retenir au passage, si le temps est devenu trop mauvais, jusqu’à ce qu’ils puissent continuer leur route, et de leur donner, s’il le faut, l’hospitalité dans ses terres pendant les mois d’hiver ; ils se remettront en chemin avec le printemps[43].

A mesure que l’époque des jeux approche, les inquiétudes de Symmaque augmentent ; il a beau avoir pris les précautions les plus minutieuses, tout ne lui réussit pas comme il le voudrait. Un de ses amis lui a fait cadeau de quatre quadriges ; mais sur les seize chevaux, cinq sont morts en route, et les autres paraissent malades[44]. Au dernier moment, des animaux et des vêtements précieux, qu’on s’était chargé d’expédier, manquent[45]. Les cochers et les comédiens qu’on attend ont débarqué, dit-on, sur les côtes de Campanie ; mais, depuis ce moment, ils ne donnent plus signe de vie, et l’on ne sait ce qu’ils sont devenus : il faut envoyer au plus vite des gens sur leurs traces[46]. A la veille presque de la fête, il n’est venu que quelques pauvres bêtes à demi mortes de fatigue et de faim ; les ours ne sont pas arrivés, et l’on n’a pas de nouvelles des lions[47]. Enfin, les crocodiles débarquent à la dernière heure. C’est un animal rare, dont Ammien prétend que les Romains étaient fort curieux. Malheureusement ceux qu’on a envoyés à Symmaque s’obstinent à ne pas vouloir manger ; on ne peut pas les garder, comme on le voulait, pour le dernier jour, et il faut les tuer tous à la fois, de peur qu’ils ne meurent de faim[48]. Restaient les gladiateurs ; c’étaient des prisonniers saxons, gens de race vaillante, sur lesquels Symmaque comptait beaucoup pour le succès de ses jeux. Mais ces hommes de cœur ne voulaient pas paraître dans l’arène, et le matin du jour où ils devaient servir aux plaisirs du peuple romain, vingt-neuf d’entre eux s’étranglèrent les uns les autres. Ce fut un coup cruel pour Symmaque, et il avoue qu’il eut besoin de toute sa philosophie pour le supporter. Comme c’était un savant homme, il se souvint à propos que Socrate avait coutume de dire qu’il faut prendre en bonne part tout ce qui contrarie nos désirs ou nos projets et croire que le hasard fait mieux nos affaires que nous-mêmes. Il s’appliqua donc cette belle morale et parvint ainsi à se consoler de ce fâcheux contretemps.

On voit par cet exemple que, jusqu’aux dernières années du IVe siècle, les combats de gladiateurs avaient gardé toute, leur vogue. Constantin, dans la ferveur de sa foi nouvelle, avait voulu les abolir. Ces spectacles où le sang coule, disait-il dans une de ses lois, ne me plaisent pas[49]. Mais ils plaisaient beaucoup au peuple, et sa loi ne fut pas respectée. Les empereurs eux-mêmes ne se firent pas scrupule de la violer. Nous les voyons, en 384, après une victoire, envoyer à Rome des prisonniers Sarmates réservés aux plaisirs du peuple de Mars. Symmaque, se faisant encore l’interprète de la reconnaissance publique, les en remercia solennellement. Sa lettre respire unes. joie barbare et se termine par le vœu de Noir les spectacles de ce genre se renouveler souvent[50]. Il est évident qu’il n’en voyait pas la cruauté. Le courage de ces Saxons qui se tuèrent plutôt que d’être traînés dans l’arène ne lui inspire que cette réflexion : Je ne veux plus entendre parler de ces misérables qui sont plus méchants que Spartacus ! C’était sans doute un esprit éclairé et une âme douce, mais il avait trop l’amour du passé pour condamner d’anciens usages. Quand on avait tué beaucoup de bêtes et d’hommes et que l’amphithéâtre Flavien ruisselait de sang, il lui semblait que les beaux jours de la république allaient recommencer. D’ailleurs ses croyances religieuses étaient ici d’accord avec son respect des traditions antiques : les jeux lui paraissaient la meilleure manière d1énorer les dieux. Quelques années plus tard, un chrétien, le poète Prudence, dans un ouvrage où il répondait précisément à Symmaque, exprimait le désir qu’on fit enfin cesser ces tueries et qu’il ne mourût plus personne dont la mort fût un spectacle et un plaisir public :

Nullus in orbe cadat cujus sit pœna voluptas.

Ce vœu fut exaucé, et, vers cette époque, les spectacles de gladiateurs cessèrent dans tout l’empire.

— III —

Ce que les lettres de Symmaque nous apprennent de la vie privée au IVe siècle. - Le grand monde de Rome. - Les devoirs de politesse. - L’amour des lettres. - A Rome. - Dans les provinces. - Chez les soldats et les barbares. - Existence somptueuse des grands seigneurs. - Les voyages. - Symmaque dans sa famille.

Les lettres de Symmaque, qui sont si discrètes à propos des affaires publiques, nous fournissent un peu plus de détails sur sa vie privée. Ce n’est pas qu’il prenne beaucoup de plaisir à nous les donner : quand il parle des autres ou de lui, il ne s attarde guère aux confidences ; il dit ordinairement les choses d’une manière vague et obscure, et tourne court le plus vite qu’il peut. Mais enfin on peut se servir de ce qui lui échappe pour prendre au moins quelque idée de la manière dont vivaient, chez eux et avec leurs amis, les grands seigneurs de ce temps.

Ici encore, ce qui frappe d’abord, c’est que la société du IVe siècle ressemble d’une manière surprenante à celle de l’époque de Trajan. Au fond, c’est le même monde, qui a un peu vieilli, mais qui n’a pas beaucoup changé ; l’existence, à la regarder du dehors, y parait à peu près la même. C’est toujours une nécessité pour un grand seigneur, issu d’une noble race, et qui remplit des emplois publics, d’avoir autour de soi un cortège d’amis et de clients. Tous les matins, selon le vieil usage, ils viennent le saluer[51] ; ils l’accompagnent quand il sort[52]. A Rome, dit Symmaque, il n’y a pas de plus grand honneur que d’être entouré de beaucoup de monde[53]. Le client est donc tenu à fréquenter son patron et à lui rendre souvent hommage ; en échange, le patron s’occupe des affaires du client et le recommande à ses connaissances et à ses amis, quand il a besoin d’eux. Cicéron n’y manquait pas, et, nous voyons que les lettres de recommandation remplissent tout un livre, le plus long, de sa correspondance familière. On en rencontre aussi beaucoup, et de fort bien tournées, chez Symmaque ; il avoue même, dans un moment de franchise, qu’il les accorde trop aisément à ceux qui les lui demandent : quelques-uns les obtiennent par leur mérite, d’autres par leur importunité[54]. Ce qui l’empêche de s’en vouloir beaucoup de cette complaisance, c’est qu’après toit, c’est un devoir de politesse auquel un homme qui sait vivre peut difficilement se soustraire[55].

Voilà pour la façon extérieure de vivre : c’est tout à fait celle des siècles précédents. Si nous allons plus loin, si nous essayons de pénétrer, avec Symmaque, dans l’intérieur de cette société, les différences nous surprendront davantage. Il est probable que nous la trouverons bien moins agréable que celle dont Pline nous entretient. Les gens distingués n’y manquent pas, mais leurs relations semblent avoir quelque chose de moins aisé, de plus pédant qu’autrefois. Symmaque est un homme parfaitement bien élevé, un sénateur irréprochable, qui fait assaut d’égards et de prévenances avec tous ses collègues ; il est décidé à respecter scrupuleusement toutes les règles de la politesse, ce qui n’est pas très facile, car avec le temps ces règles sont devenues très compliquées et fort assujettissantes. Pline le jeune fait cette remarque très juste que, dans le cours de la vie mondaine, toutes les journées, sur le moment, paraissent très remplies, taudis qu’à distance elles semblent vides : Vous demandez à quelqu’un : Qu’avez-vous fait aujourd’hui ? Il vous répond : je suis allé dans une maison où un enfant prenait la robe virile ; j’ai assisté à des fiançailles ou à des noces ; un de mes amis m’a prié de venir signer son testament, un autre de prendre part à un conseil de famille. Ce sont des choses dont il semble qu’on ne peut pas se dispenser, le jour où on les fait ; mais lorsqu’on songe qu’on les fait tous les jours, on ne peut s’empêcher de les trouver bien inutiles, encore plus lorsqu’on s’en éloigne, et l’on se dit alors : Que de temps j’ai perdu à des occupations futiles ![56] Il est vraisemblable que ces jours perdus étaient plus fréquents encore à l’époque de Symmaque qu’à celle de Pline. C’est le propre d’une société désœuvrée que les petites choses y prennent de plus en plus d’importance ; l’habitude fait bientôt un devoir impérieux des obligations de politesse, et elles finissent par occuper le meilleur de la vie. On voit bien qu’elles tiennent beaucoup de place dans l’existence de Symmaque et de ses contemporains. Symmaque se croit obligé de demander pardon quand il manque d’assister à un contrat de fiançailles[57] ; lorsqu’un optimate meurt, il reste trois jours enfermé chez lui en signe de deuil, non pas qu’il veuille s’acquérir ainsi une bonne renommée, mais parce qu’il est raisonnable de faire pour un collègue ce qu’on voudrait qu’il fit pour vous[58]. Il se soumet de bonne grâce à ces conventions mondaines ; elles lui semblent fort respectables, presque sacrées, et il n’hésite pas à les appeler une religion.

Un des caractères les plus remarquables de cette société, et qui lui est commun avec celle du premier siècle, c’est qu’elle aime les lettres avec passion. Elles paraissent être le premier souci des plus grands personnages de ce temps. Ils font de petits vers et se les communiquent entre eux[59] ; ils se félicitent, avec effusion de leurs succès littéraires[60]. Rome, sous Théodose, accueille les littérateurs étrangers comme elle le faisait sous Trajan. On se presse à l’Athénée le jour où Palladius, un rhéteur de passage, veut bien déclamer en public, et Symmaque s’empresse d’écrire à Ausone pour lui faire part de sa joie d’avoir entendu un si habile homme. Il admire sans réserve chez lui la netteté des divisions, la richesse de l’invention, la gravité des pensées, l’éclat des expressions, et lui donne ce bel éloge que son discours est honnête comme sa vie[61]. C’est presque dans lés mêmes termes que Pline parle du rhéteur Isée, un déclamateur grec que tout le monde connaissait à Rome de réputation et qui fut trouvé supérieur à sa renommée[62]. Déjà les lettres de Pline nous montrent un grand nombre de grands seigneurs qui, non contents d’aimer et de protéger les lettres, les cultivent eux-mêmes et tirent vanité d’écrire. Ils ne sont pas rares non plus parmi les correspondants de Symmaque. Il n’y a presque pas de personnage, même quand ils remplissent les premières charges de l’État, qui ne soit aussi une sorte d’auteur de profession. Ausone, le poète le plus illustre de ce temps, fut un moment le premier ministre de l’empereur Gratien, le distributeur de ses grâces ; Messala, qui se vantait d’appartenir à la grande famille des Publicola, et que l’empereur fit préfet du prétoire, s’était recommandé au prince par des vers bien tournés et des discours éloquents[63] ; Flavien, qui aida l’usurpateur Eugène à disputer l’empire à Théodose, avait écrit des ouvrages d’histoire[64] ; Prætextat, le chef des païens de Rome, la lumière du sénat, s’était fait connaître comme philosophe, et avait traduit les Analytiques d’Aristote[65]. Macrobe n’invente rien, quand il nous représente ces grands personnages dans un banquet, chez Prætextat, pendant la fête des Saturnales, passant leurs soirées à discuter doctement des questions scientifiques ou littéraires ; les choses ont dû se passer plus d’une fois comme il les a décrites.

Il faut remarquer que ce n’était pas seulement la noblesse romaine qui se piquait de littérature ; on l’aimait et on la cultivait dans les provinces comme à Rome. La Gaule, pour ne parler que d’elle, possédait des orateurs qu’on admirait dans le monde entier. Elle avait autrefois initié la Bretagne à l’éloquence :

Gallia causidicos docuit facunda Britannos ;

â l’époque où nous sommes, elle enseignait la rhétorique même aux Romains. Symmaque avait été élevé par un enfant de la Garonne[66] ; il s’en était bien trouvé sans doute, puisqu’il fit venir un rhéteur gaulois pour l’éducation de son fils[67]. Il est sûr qu’il n’y a pas alors d’orateur qui l’emporte sur les panégyristes de l’école d’Autun, et que, jusqu’à la fin, les écrivains de la Gaule se sont fait remarquer par la façon élégante et pure dont ils parlent le latin. Ce goût pour les lettres se retrouve non seulement dans toutes les provinces, mais chez les gens de toute profession. Euphrasius, cet Espagnol dont j’ai parlé, qui possédait des écuries célèbres et louait ses chevaux de course dans le monde entier, avait aussi une grande passion pour l’éloquence, et quand Symmaque voulait obtenir de lui quelque faveur, pour le bien disposer, il lui envoyait ses discours avant qu’ils fussent publiés[68]. Il en était de même des gens de guerre, que leur métier semblait tenir fort éloignés des lettres. Les généraux de Théodose, qui eurent tant à faire avec les ennemis de l’intérieur et ceux du dehors, trouvaient le temps d’adresser des coquetteries à Symmaque. L’un d’eux, Promotus, lui demandait avec instance de lui écrire des lettres ou de lui envoyer ses ouvrages, à quoi Symmaque, un peu surpris, répondait : Comment peux-tu entendre le murmure de mes paroles au milieu du bruit étourdissant des trompettes ?[69] Ce qui est plus étonnant encore, c’est que les officiers barbares qui servaient l’empire ne semblent pas insensibles aux charmes de la littérature. Symmaque écrit à Ricomer, à Bauto[70], à Stilicon, comme il le fait aux Romains de vieille race. Il les remercie de l’agrément qu’il trouve dans leurs lettres[71], il leur dit qu’il compte le plaisir de les lire parmi les plus vifs qu’il ait goûtés[72] ; quant aux siennes, il ne paraît pas douter qu’ils n’en comprennent parfaitement toutes les finesses. Lors même que la correspondance de Symmaque ne servirait qu’à montrer avec quelle rapidité ces Goths et ces Vandales devinrent sensibles à la vie civilisée et comme ils firent vite leur éducation, elle ne nous serait pas inutile.

Dans cette grande société polie et lettrée, comme nous venons de la dépeindre, on menait d’ordinaire une existence somptueuse. Le même historien, qui nous dit que Symmaque dépensa deux millions de francs pour la préture de son fils, ajoute que, parmi les sénateurs, il était un des moins riches. Nous lui connaissons pourtant trois maisons à Rome, dont l’une sur le Cælius, qui paraît avoir été sa résidence habituelle[73], et quinze villas, dans les plus beaux pays de l’Italie. Il possédait de plus, à notre connaissance, des domaines dans le Samnium et l’Apulie, en Sicile, et même en Maurétanie[74]. Il lui était donc facile de quitter Rome, et il était sûr de trouver partout des terres et des maisons pour le recevoir. Dans ces dernières années de l’empire, le séjour à Rome ne semblait pas être toujours agréable aux grands seigneurs. Le peuple y était fort turbulent, et la question des subsistances amenait des troubles périodiques. La vie mondaine, avec ses devoirs minutieux et ses conventions rigoureuses, devait finir par paraître à la fois fort occupée et très vide. Pour s’y soustraire, on fuyait aux champs. Symmaque, que cette désertion désolait, passait son temps à rappeler tous ces fuyards[75]. Pour lui Rome est toujours la cité chérie, qu’il ne faut pas abandonner ; il s’obstine à l’appeler la ville éternelle, la patrie commune, et, quoique l’empereur n’y réside plus, il la regarde toujours comme la tête du monde. Il lui a cependant fait plus d’une infidélité. Son affection pour elle ne l’empêchait pas d’en sentir les inconvénients, et, de temps en temps, il éprouvait le besoin de la quitter pour quelques jours ou quelques semaines. S’il souhaite de ne pas trop s’éloigner d’elle, rien ne lui est plus aisé : il possède, comme tous les riches Romains, des jardins et des maisons dans les faubourgs, sur le Vatican, le long du Tibre et de la voie Appienne, où il peut s’établir. Il y est sur les confins de la ville et de la campagne, jouissant des avantages de toutes les deux, et peut dire : Ruri sum, nec tamen rusticor[76]. Quelquefois aussi il va plus loin : on n’est pas propriétaire de quinze belles villas, dans des lieux charmants, sans éprouver la tentation de les aller voir. Il quitte donc Rome après avoir invoqué les dieux, sœlestibus advocatis[77], præfata dei venia[78] : Symmaque est un dévot, et, comme les bonnes femmes de Naples, il ne monte jamais en voiture sans faire d’abord sa prière. Il voyage à petites journées, ainsi que le faisait déjà Horace, lorsqu’il se rendait à Brindes avec Mécène, et s’arrête en route pour n’être pas fatigué[79]. Quant au lieu où il se rend, il peut choisir. Ses villas sont situées dans les plus belles contrées de l’Italie : Il en a d’abord dans le Latium, à Ostie, à Laurente. Les forêts de Laurente lui plaisaient beaucoup, comme à Pline le jeune ; il semble pourtant qu’elles commençaient à être délaissées de la foule, et qu’on les trouvait un peu sévères, puisqu’il se croit obligé de rassurer son ami Attale, qui hésitait à quitter les charmes mondains de Tibur pour se plonger dans un désert. Ce n’est pas, lui dit-il, un lieu aussi sauvage qu’on vous l’a dépeint. Celui qui vient y chasser a la mer devant les yeux[80]. Une route très fréquentée longe la villa[81], en sorte qu’on arrive, sans peine et par des chemins aisés jusqu’au gîte de sangliers[82]. Du reste, il ne paraît pas avoir été beaucoup plus chasseur que Pline, qui, comme on sait, s’arrangeait de manière à composer ses ouvrages en surveillant ses filets, et se consolait de revenir les mains vides pourvu qu’il rapportât ses tablettes pleines. Même dans, les bois de Laurente, où la chasse est si facile et si agréable, il préférait de beaucoup une causerie littéraire : il mettait, nous dit-il, le plaisir de converser avec un homme d’esprit bien au-dessus de tous ceux que peuvent offrir les plus beaux paysages[83]. L’été, il va de préférence à Præneste ; car il n’est pas de l’opinion des gens qui, pendant les grandes chaleurs, aiment mieux les bords de la mer que la montagne[84]. Cependant le pays qu’il met au-dessus de tous les autres et où il séjourné le plus volontiers, c’est encore celui qui, depuis Auguste, attire toute la belle compagnie de Rome :

Nullus in orbe locus Baiis prælucet amænis.

Symmaque, jeune encore et tout livré aux charmes de ce séjour délicieux, avait pris plaisir à chanter les sommets du Gaurus couronnés de vigne, les sources d’eau chaude et la mer poissonneuse de Baies, dans une petite pièce adressée à son père, et qui se termine par ces jolis vers que son maître Ausone n’aurait pas désavoués :

Galet unda, friget æthra,

Simul innatat choreia

Amathusium renidens,

Salis arbitra et vaporis,

Flos siderum, Dione[85].

Plus tard, devenu un personnage, portant le poids des fonctions qu’il avait remplies et de la célébrité qu’il s’y était faite, il n’osait plus manifester aussi franchement son enthousiasme pour un pays dont la réputation n’était pas bonne, et où les gens sérieux n’aimaient pas à être rencontrés. Il se croyait obligé de faire un détour, quand il y allait, et s’arrêtait en route pour n’avoir pas l’air d’être pressé d’arriver[86]. Une fois rendu, il avait grand soin de ne pas se compromettre en se mêlant de trop près aux divertissements à la mode. On ne le voyait pas dans les festins ; il fuyait les bains chauds, et encore plus ces sérénades sur la mer de Naples que donnaient des musiciens dans des barques, et dont s’amusaient déjà, plus de trois siècles auparavant, Cælius et Clodia. Je mène partout, disait-il, une vie de consulaire, et jusque sur les bords du lac Lucrin, je trouve moyen d’être grave[87]. Quand la foule devenait trop nombreuse à Baïes, il allait faire un tour aux environs ; il visitait Naples, Bénévent, où il recevait un accueil empressé, et se montrait un peu surpris de trouver tant de gens d’esprit et de lettrés dans une noblesse de province[88]. Lorsqu’il rentrait chez lui, il s’occupait, à faire bâtir, car il avoue qu’il a la maladie de la pierre[89]. Il rend ses maisons plus commodes et plus belles, achète, pour les orner, des colonnes en marbre d’Afrique, fait couvrir les murs des escaliers et des chambres du haut, qu’on avait négligées, de plaques de marbres, de stucs, d’enduits si habilement appliqués qu’on ne peut pas s’apercevoir que le travail n’est qu’un revêtement léger qui n’atteint que la surface[90] ; il s’empresse d’essayer un nouveau genre de pavé, en mosaïque, qu’on vient d’inventer[91] ; il fit venir le peintre Lucillus, auquel il est si reconnaissant d’avoir embelli ses villas, qu’il le traite comme un ami et s’occupe avec ardeur de ses affaires[92].

Peut-on dire que Symmaque, qui faisait des séjours si fréquents hors de Rome, fut un véritable ami des champs, qui aimait la campagne pour elle-même ? J’ai peine à le croire, quand je vois que, dans toute sa correspondance, on ne trouve, pas un seul mot où respire le sentiment de la nature. Il a voulu quelque part décrire les plaisirs de l’automne[93] : c’est une véritable composition d’écoliers où des centons de Virgile sont employés à revêtir des lieux communs. Pourquoi donc allait-il si volontiers à Laurente, à Præneste, à Baïes, à Puteoli ? Il nous le dit lui-même aussi clairement que possible : Ce qui me charme, c’est le repos des champs, j’y trouve un air sain, et je m’y nourris de bons livres[94]. La santé, la fuite des tracas de la ville, la liberté de travailler à son aise, sans être dérangé, voilà tout ce qu’il allait chercher dans ses riches maisons de campagne. C’étaient des biens auxquels il était très sensible. Cependant il savait y renoncer quand il croyait sa présence nécessaire à Rome ; car, disait-il, je mets ma patrie au-dessus de tous mes plaisirs[95].

Si la correspondance de Symmaque contient assez de détails sur ses voyages et nous permet ale le suivre d’un peu loin dans cas belles villas où il se repose des fatigues de Rome, eu revanche elle ne nous entretient guère de sa vie intérieure. Sur ses rapports avec les siens, elle est très réservée. Nous avons les lettres qu’il écrit à sa fille et à son gendre : elles sont d’ordinaire courtes et sèches. Quoiqu’il les aimât tendrement, il y conserve ce ton de gravité solennelle qu’il emploie avec tout le monde ; les termes de politesse officielle, sanctitas vestra, unanimitas tua, etc., y sont fréquents. Cependant, malgré cette froideur apparente, on devine qu’au fond l’affection devait être plus vive qu’elle ne voulait le paraître. A certains moments de l’année, cette glace semble se fondre : quand vient l’anniversaire de la naissance de ses enfants, le père envoie de petits cadeaux, avec des lettres caressantes ; à son tour il reçoit pour sa fête un ouvrage de laine que sa fille a travaillé de ses mains. Cette attention le transporte ; tous les souvenirs de l’antiquité se réveillent dans sa mémoire : voilà bien la vie que menaient les femmes chastes d’autrefois ! Mais sa fille, qui vit dans un siècle plus corrompu et qui habite tout près de Baïes, ayant de moins bons exemples sous les yeux, a bien plus de mérite qu’elles[96]. Ce sont là de petites scènes de famille, plutôt esquissées que décrites, qui ne laissent pas d’être touchantes. Les lettres à son fils sont plus tendres encore, et le cœur s’y échappe avec moins de retenue. Nous y voyons que, pour le bien élever, il s’est remis lui-même à l’école. Il reprend le grec, dont il ne s’est plus occupé depuis ses premières années, et y trouve un grand plaisir. L’affection que nous avons pour nos enfants, dit-il, nous fait redevenir jeunes, pour leur rendre l’étude plus aisée en la partageant avec eux[97]. Il surveille le style de son fils, il lui donne les meilleurs conseils sur la façon d’écrire, et les lettres qu’il reçoit de lui le ravissent quand elles sont bien tournées[98]. Au milieu de ces travaux, l’enfant est saisi par une brusque maladie qui met le père au désespoir. Lorsque enfin le danger paraît écarté, Symmaque s’empresse d’écrire ces mots touchants à l’un de ses amis pour lui faire part de ses espérances : Fasse la divine miséricorde, qui prête une oreille attendrie aux prières d’un père, que, tout à fait délivré de mes inquiétudes, le vous annonce bientôt des nouvelles qui réjouissent votre cœur ![99]

— IV —

La société au IVe siècle était-elle aussi corrompue qu’on le prétend ? - Témoignages d’Ammien Marcellin et de saint Jérôme. - Impression que laissent les lettres de Symmaque. - Avait-on alors le sentiment des malheurs qui menaçaient ?

Ces lettres, on le voit, malgré leur laconisme et leur obscurité, nous donnent, sur Symmaque et ceux qui l’entourent, quelques renseignements précieux qu’il était bon de recueillir. Elles vont nous aider k répondre à quelques questions qu’on s’est posées sur cette évoque et qui ne manquent pas d’importance.

On s’est souvent demandé ce qu’il !’allait penser de la moralité publique au w siècle, surtout dans les hautes. classes de l’empire. En général on est tenté de la juger sévèrement. Quand nous songeons que cette société était à son déclin, et qu’elle n’avait plus que quelques années à vivre, nous sommes tentés d’expliquer ses malheurs par ses fautes et de croire qu’elle avait mérité le sort qu’elle allait subir. C’est ce qui fait que nous ajoutons foi si facilement à ceux qui nous disent du mal d’elle. Il y a surtout deux contemporains, Ammien Marcellin et saint Jérôme, qui ont pris plaisir à la maltraiter ; et, comme ils appartiennent à deux partis contraires, il nous paraît naturel de penser que, puisqu’ils s’accordent, ils ont dit la vérité. J’avoue pourtant que leur témoignage m’est suspect. Ammien a consacré aux sénateurs de Rome deux longs chapitres de son histoire[100] ; mais ces chapitres ont, dans son œuvre, un caractère particulier : on s’aperçoit, lorsqu’on les lit avec soin, qu’il a voulu composer des morceaux à effet, dont le lecteur fût frappé, et que, dans ces passages, qui ne ressemblent pas tout à fait au reste, il est plus satirique et rhéteur qu’historien. Comme ces causeurs brillants qui se sentent écoutés, il s’anime et s’excite lui-même par l’espoir des applaudissements ; il aiguise une épigramme en ajoutant une malice, et n’hésite pas à exagérer sa pensée pour rendre sa phrase plus frappante. Que nous dit-il d’ailleurs que nous ne sachions d’avance ? Il nous apprend, ce qui ne nous étonne guère, qu’il y a dans ce grand monde beaucoup de très petits esprits : des sots qui se croient des grands hommes parce que leurs flatteurs leur ont élevé des statues ; des vaniteux, qui se promènent sur des chars magnifiques, avec des vêtements de soie dont le vent agite les mille couleurs ; des glorieux, qui parlent sans cesse de leur fortune ; des efféminés, que la moindre chaleur accable, qui, lorsqu’une mouche se pose sur leur robe d’or ou qu’un petit rayon de soleil se glisse par quelque fissure de leur parasol, se désolent de n’être pas nés dans le Bosphore Cimmérien ; des athées, qui ne sortent de chez eux qu’après avoir consulté leurs astrologues ; des prodigues, caressants et bas quand ils veulent emprunter de l’argent, insolents lorsqu’il faut le rendre, et d’autres personnages de cette sorte, qui se retrouvent partout. A côté de ces travers, qui nous paraissent en somme assez légers, il signale des vices plus graves. Quelques-uns d’entre eux appartiennent plus particulièrement à la race romaine, et les moralistes des siècles passés les ont déjà révélés ; d’autres sont de tous les pays et de tous les temps, et puisque malheureusement aucune société humaine n’y échappe, il est naturel qu’on les rencontre aussi, chez les gens du IVe siècle. Mais ce qui lui semble plus odieux que tout le reste, ce qui excite le plus souvent sa mauvaise humeur, c’est que les grands seigneurs romains manquent d’égards pour les lettrés et !es sages. Ils réservent leurs faveurs à ceux qui les flattent bassement ou qui les amusent ; quant aux gens honnêtes et savants, on les tient pour ennuyeux et inutiles, et le maître d’hôtel les fait mettre sans façon à la porte de la salle à manger. Ces plaintes, nous les connaissons, elles ne sont pas nouvelles pour nous. Nous avons entendu déjà Martial s’indigner d’être moins connu et moins riche qu’un cocher à la mode ou un joueur de cithare, et l’une des raisons sérieuses qu’a Juvénal de gronder son époque, c’est que le client romain, qui a vu le jour sur l’Aventin et qui a été nourri dès son enfance de l’olive sabine, n’a pas d’aussi bonnes places que le parasite grec à la table du maître, qu’on ne lui sert pas les mêmes plats et qu’il n’y boit pas le même vin. Ammien sans doute a dû souffrir quelque humiliation de ce genre. Il est probable que, quand il revint de l’armée, où il s’était bien battu, et au moment où il commençait d’écrire l’histoire de ses campagnes, il ne fut pas reçu de tout le monde comme il croyait devoir l’être. Quelques portes restèrent fermées devant lui, qui s’ouvraient à des gens qui ne le valaient pas. Il en conclut naturellement. qu’une société qui ne lui faisait pas toujours sa place ne tenait aucun compte du mérite. Aujourd’hui, dit-il, le musicien a chassé de partout le philosophe ; l’orateur est remplacé par celui qui enseigne leur métier aux histrions ; les bibliothèques sont fermées et ressemblent à des sépulcres[101]. Ce n’est pas tout à fait ce que nous venons de voir, et il est difficile de croire que ces paroles sévères s’appliquent à des gens comme Symmaque et ses amis, qui aimaient tant les livres et tenaient les lettrés en si grand honneur. Mais Ammien semble reconnaître ailleurs qu’il ne faut pas donner trop d’importance à ses reproches et les faire tomber sur tout le monde ; il nous dit, en commençant ses violentes invectives, que Rome est toujours grande et glorieuse, mais que ion éclat est compromis par la légèreté criminelle de quelques personnes (levitate paucorum incondita[102]) qui ne songent pas assez de quelle ville ils ont l’honneur d’être citoyens. Ainsi, de son aveu même, les coupables ne sont que l’exception. Ce qu’on doit conclure de ces attaques, c’est que la société de son temps n’était pas parfaite — où y a-t-il une société parfaite ? — mais il avoue aussi que les honnêtes gens l’emportent sur les autres, qui ne sont en réalité qu’un petit nombre, et c’est tout ce qu’on peut raisonnablement demander.

Les colères de saint Jérôme ne m’inspirent pas plus de confiance que les épigrammes d’Ammien. C’était un saint fort emporté ; ses meilleurs amis, comme Rufin et saint Augustin, en ont fait l’épreuve. Les gens de ce tempérament vont tout d’un coup d’un extrême à l’autre, et d’ordinaire ils détestent le plus ce qu’ils ont le mieux aimé. C’est précisément ce qui a rendu saint Jérôme si dur pour la société romaine : il en avait été trop charmé et n’a jamais pu lui pardonner l’attrait qu’elle avait eu pour lui. Les jouissances délicates de sa vanité littéraire, ses entretiens fréquents avec des femmes d’esprit, le plaisir qu’elles trouvaient à l’entendre, les applaudissements qu’elles donnaient à ses ouvrages, tout cela faisait partie de ces délices de Rome, dont lé souvenir poignant le suivait au désert et troublait sa pénitence. Il leur a fait payer par ses invectives la peine qu’il éprouvait à s’en détacher. Rome est pour lui une autre Babylone, la courtisane aux habits de pourpre[103]. Il lui reproche en général toute sorte de débordements ; mais il est remarquable que, lorsqu’il en vient à des accusations précises, il ne trouve guère à reprendre chez elle que les futilités de la vie mondaine. A quoi passe-t-on le temps dans la grande ville ? A voir et à être vu, à recevoir des visites et à en faire, à louer les gens et à en médire[104]. La conversation commence, on n’en finit plus de bavarder. On déchire les absents, on raconte des histoires du prochain, on’ mord les autres et, à son tour, on en est mordu. Ce tableau est agréable ; mais que prouve-t-il, sinon que la société de tous les temps se ressemble ? Remarquons que saint Jérôme attaque ici tout le monde, sans distinction de culte. On a voulu se servir de« son témoignage pour établir que la société païenne était de beaucoup la plus corrompue : c’est un tort, il est encore plus dur pour les chrétiens que pour elle. A nous fait voir que les vices de la vieille société avaient passé dans la nouvelle, sans presque changer de forme, qu’on ne pouvait pas toujours distinguer la vierge et la veuve qui avaient reçu les enseignements de l’Église de celles qui étaient restées fidèles à l’ancien culte, qu’il y avait des clercs petits-maîtres, des moines coureurs d’héritages, et surtout des prêtres parasites qui allaient tous les jours saluer les belles dames : Il se lève en toute hâte, dès que le soleil commence à se montrer, règle l’ordre de ses visites, choisit les chemins les plus courts, et saisit presque encore au lit les dames qu’il va voir. Aperçoit-il un coussin, une nappe élégante ou quelque objet de ce genre, il le loue, il le tâte, il l’admire, il se plaint de n’avoir chez lui rien d’aussi bon, et fait si bien qu’on le lui donne. Où que vous alliez, c’est toujours la première personne que vous rencontrez ; il sait toutes les nouvelles ; il court les raconter avant tout le monde ; au besoin il les invente, ou, dans tous les cas, il les embellit à chaque fois d’incidents nouveaux[105]. N’est-ce pas là comme une première apparition de l’abbé du XVIIIe siècle ?

Il y a donc des raisons de ne croire qu’à moitié Saint-Jérôme et Ammien ; et même quand on les croirait tout à fait, leur témoignage semble moins accablant pour leur siècle qu’on ne l’a prétendu. Dans tous les cas, les lettres de Symmaque en donnent une meilleure opinion, et je m’y fie d’autant plus volontiers qu’il n’a pas prétendu juger son temps et faire un traité de morale, ce qui amène toujours à prendre une certaine attitude. Il dit naïvement ce qu’il pense, se montre à nous comme il est et dépeint les gens sans le savoir. Ses lettres sont d’un honnête homme, qui donne à tout le monde les meilleurs conseils. A ceux qui gouvernent des provinces épuisées par le fisc et la guerre, il prêche l’humanité[106] ; il recommande aux riches la bienfaisance, en des termes qui rappellent la charité chrétienne[107]. Quelquefois il entre résolument dans la vie privée de ses amis ; par exemple, il ose demander à l’un d’eux de renoncer aux profits d’un héritage injuste[108]. Quant à lui, il est partout occupé à faire du bien ; il vient en aide à ses amis malheureux, prend soin de leurs affaires, implore pour eux le secours des hommes puissants, marie leurs filles[109], et, après leur mort, redouble de soins en faveur des enfants qu’ils laissent sans protection et souvent sans fortune[110]. Sa correspondance ne le fait pas seul connaître ; elle permet quelquefois de juger ceux avec lesquels il était en relation. Ses enfants forment des ménages unis, ses amis, pour la plupart, lui ressemblent, et lorsqu’on a fini de lire ses lettres, il semble qu’or, vient de traverser une société d’honnêtes gens. Je sais bien qu’il est porté à juger avec un peu trop d’indulgence ; il prête volontiers aux autres ses qualités et n’aperçoit pas le mal qu’il ne serait pas capable de commettre ; mais, malgré ce défaut, il est impossible de ne pas tenir grand compte de son témoignage. L’impression qui reste de ce grand monde de Rome, tel qu’on l’entrevoit dans ses lettres, lui est, en somme, favorable et rappelle la société de Trajan et des Antonins telle que nous la montrent les lettres de Pline.

Voici encore un renseignement que nous devons à la correspondance de Symmaque, et qui contrarie un peu l’opinion que nous nous faisons de cette époque. Il nous semble que les gens de cette génération, qui fut la dernière de l’empire, devaient avoir quelque sentiment des périls qui les menaçaient, et qu’il est impossible qu’en prêtant un peu l’oreille ou n’entendît pas les craquements de cette machine qui était si près de se détraquer. Les lettres de Symmaque nous montrent que nous nous trompons. Nous y voyons que les gens les plus distingués, les hommes d’État, les politiques, ne se doutaient guère que la fin approchât. A la veille de la catastrophe, tout allait comme à l’ordinaire, on achetait, on vendait, on réparait les monuments et l’on bâtissait des maisons pour l’éternité[111]. Symmaque est un Romain des anciens temps, qui croit que l’empire est éternel et ne se figure pas que le monde puisse continuer d’exister sans lui. Malgré les avertissements qu’on ‘a reçus, son optimisme est imperturbable. Il aurait certes bien des raisons d’être un mécontent : le sénat, dont il est si fier d’être membre, n’est presque plus rien, et l’on persécute le culte qu’il professe. Cependant il ne cesse pas de louer ses maîtres et il est satisfait de son temps. C’était une de ces âmes candides’ qui regardent comme des vérités incontestables que la civilisation a toujours raison de la barbarie, que les peuples les plus instruits sont inévitablement les plus honnêtes et les plus forts, que les lettres fleurissent toutes les fois qu’elles sont encouragées, etc. Or il voit précisément que les écoles n’ont jamais été plus nombreuses, l’instruction plus répandue, la science plus honorée, que les lettres mènent à tout[112], que le mérite personnel ouvre toutes les carrières[113] ; aussi s’écrie-t-il, dans son enthousiasme : Nous vivons vraiment dans un siècle ami de la vertu, où les gens de talent ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes s’ils n’obtiennent pas les situations dont ils sont dignes[114]. Et il ne lui semble pas possible qu’une société si éclairée, qui apprécie tant les lettres et fait une si grande place à l’instruction, soit emportée en un jour par des barbares !

Il lui arrive pourtant de voir et de noter au passage quelques incidents fâcheux, par lesquels se révélait le mal dont souffrait l’empire, et qui auraient dû lui donner à réfléchir. Par exemple, il raconte à quelqu’un qui l’attend qu’il ne peut pas sortir de Rome parce que la campagne est infestée de brigands[115] : c’en est donc fait de la paix romaine, si vantée dans les inscriptions et les médailles, puisque, aux portes mêmes de la capitale, on n’est plus en sûreté ! Une autre fois il se plaint que l’empereur, qui manque de soldats, demande aux gens riches leurs esclaves pour les enrôler[116], et cette mesure ne lui révèle pas à quelles extrémités l’empire est réduit ! Mais ce qui est plus significatif encore, ce qui indique plus clairement un profond désordre et annonce la ruine prochaine, c’est le triste état de la fortune publique. Les preuves en sont partout chez Symmaque. Il nous fait voir que le fisc a tout épuisé[117], que les riches sont à bout de ressources[118], que les fermiers n’ont plus d’argent pour payer les propriétaires, et que la terre, qui était une source de revenus, n’est plus qu’une occasion de dépense[119]. Ce sont là des symptômes graves ; et pourtant Symmaque, qui les voit, qui les signale, n’en paraît pas alarmé. C’est que le mal était ancien, qu’il avait augmenté peu à peu, et que, depuis le temps qu’on en souffrait, on s’y était accoutumé. Comme Rome persistait à vivre, malgré les raisons qu’elle avait de mourir, on avait fini par croire qu’elle vivrait toujours. Jusqu’au dernier moment où s’est fait cette illusion, et la catastrophe finale, quoiqu’on dut s’y attendre, fut une surprise. C’est ce que les lettres de Symmaque mettent en pleine lumière ; elles nous montrent à quel point des politiques nourris des leçons de l’histoire, et qui connaissaient à fond les temps anciens, peuvent se tromper sur l’époque où ils vivent ; elles nous font assister au spectacle, plein de graves enseignements, d’une société fière de sa civilisation, glorieuse de son passé, occupée de l’avenir, qui pas à pas s’avance, jusqu’au bord de l’abîme, sans s’apercevoir qu’elle y va tomber.

 

 

 

 



[1] Prudence, Contre Symmaque, I, 633 : Romani decus eloquii, cui cedat et ipse Tullius.

[2] Symmaque, Epist., IV, 34. Je citerai cette correspondante d’après l’excellente édition d’Otto Seeck, dans les Monumenta Germanie historica.

[3] II, 48.

[4] M. Mommsen pense que les lettres de Pline et de Trajan formaient un recueil isolé et indépendant, mais on voit qu’à l’époque où fut publiée la correspondance de Symmaque, on devait les avoir réunies au reste et qu’on en avait fait déjà le dixième livre.

[5] V, 86.

[6] Il faut excepter les rapports adressés aux empereurs (Relations), qui occupent le dixième livre. Là Symmaque était obligé d’être long : il fallait bien entretenir le prince de ce qui se passait à Rome.

[7] I, 15. Pline aussi trouve que, de son temps, les affaires publiques ont moins d’importance que du temps de Cicéron ; mais il en est fort affligé, et se dépite d’être réduit à demander à ses correspondants ce qu’ils font et comment ils se portent ; quousque illa vulgaria : Et tu quid agis ? ecquid commode sales ? (14, 20). Ces banalités suffisent parfaitement à Symmaque.

[8] VI, 48 : Quæ ad urbem pertinent indiculi cohærentis lectione noscetis.

[9] VI, II, 26.

[10] VIII, 23.

[11] I, 45.

[12] I, 50.

[13] VI, 65.

[14] VI, 55.

[15] I, 14.

[16] IV, 27, et IV, 28 : Similis arentibus rivulis laxiores ripas refugi, ut inopiam brevitas affectata celaret.

[17] Ce mot convient à merveille à Balzac, qui semble s’en être servi le premier, et à son rival Voiture. Mais je ne sais pourquoi M. Cousin l’applique à Mme de Sévigné. Ce n’était pas une épistolière, car elle ne faisait pas métier d’écrire des lettres.

[18] Pline, Lettres, I, 16.

[19] Pline, Lettres, III, 9.

[20] Symmaque montre bien l’importance qu’on attachait à ces devoirs de politesse, lorsqu’il appelle ces commerces, dans lesquels on se contentait le plus souvent d’échanger un salut, salutationis religiosa gravitas, VI, 13.

[21] VI, 55, per hominem meum.

[22] VIII, 2.

[23] C’est ce que Symmaque appelle d’une manière très juste perpetua cura dandæ reddendæque salutis.

[24] Par exemple, celle qu’il adresse à deux jeunes gens de la maison des Anicii qui lui avaient envoyé de leur chasse (V, 67 et 68), ou ces morceaux brillants dans lesquels la poésie se mêle d’une manière absurde à la prose (III, 23), et, par-dessus tout, ces échanges de fades compliments avec Ausone, où ces deux beaux esprits se congratulent avec des tours et des images dont Trissotin et Vadius semblent s’être souvenus (I, 23 et sq.).

[25] Generales litteræ, II, 35.

[26] Voyez l’ouvrage de M. Lécrivain, le Sénat romain depuis Dioclétien.

[27] I, 13.

[28] I, 95.

[29] I, 13.

[30] Pline, Panég., 72, 74.

[31] I, 52. Symmaque, on le comprend, se montrait fort attristé quand il lui semblait que ce grand corps, auquel il était si attaché, manquait à sa dignité. Voyez la façon dont il raconte les discussions scandaleuses auxquelles donna naissance l’envoi d’une légation à l’empereur (VI, 22). Pline, dans des circonstances semblables, exprime les mêmes sentiments (Lettres, III, 20, et IV, 25.)

[32] C’est ce que M. Lécrivain fait très bien remarquer, le Sénat romain depuis Dioclétien, p. 9.

[33] Pline, Lettres, I, 23.

[34] Symmaque, Lettres, IV, 8.

[35] IX, 126.

[36] On voit une fois de plus, par ces paroles de Symmaque, combien Juvénal avait raison de dire que le peuple romain ne demandait plus à ses maîtres que du pain et des jeux.

[37] X, 6.

[38] X, 9.

[39] Olympiodore, cité par Seeck, De Symm. vita, p. XLVI.

[40] V, 59.

[41] IV, 72.

[42] IV, 58, 59, 63 ; IX, 13.

[43] IX, 20, 24.

[44] V, 56.

[45] IX, 15.

[46] VI, 42.

[47] II, 26.

[48] VI, 43.

[49] Code Théodosien, XV, 12, p. 1.

[50] X, 47.

[51] Il est question de ces visites du matin dans Orientius, II, 100.

[52] Voyez, sur ces cortèges qui encombrent les rues, Ammien Marcellin, XIV, 6, 16.

[53] VI, 32, frequentia quæ sola Romæ honorabilis judicatur.

[54] II, 82.

[55] III, 91 : humanitatis interest commendationem deferre noscentibus.

[56] Pline, Lettres, I, 11.

[57] Symmaque, IX, 127.

[58] VIII, 40.

[59] I, 1, 2 et sq.

[60] I, 14, 23.

[61] I, 15.

[62] Pline, Lettres, II, 3.

[63] Symmaque, III, 91.

[64] Il est appelé, dans une inscription, historicus disertissimus, C. I. L., VI, 1782.

[65] Voyez Seeck, introd., p. LXXVII.

[66] XI, 88 : senex Garumnæ alumnus.

[67] IV, 34.

[68] IV, 66, Euphrasius les lui avait demandés.

[69] III, 74.

[70] Ce Bauto est le même pour qui saint Augustin composa un panégyrique, quand il était professeur à Milan.

[71] III, 66.

[72] IV, 16, inter præcipua gaudiorum numero litteras tuas.

[73] C’est aujourd’hui l’emplacement de la villa Casali. On y a trouvé les inscriptions consacrées par Memmius Symmachus à la mémoire de son père. Voir Seeck, introd., p. XLV.

[74] VII, 66 ; il est vrai qu’il nous apprend que ses champs de la Maurétanie, qu’il ne visitait guère, avaient été ruinés par des intendants malhonnêtes.

[75] C’est ainsi qu’il rappelle à Rome Flavianus (II, 47), Magnillus (V, 32) ; Decius (V, 59) ; enfin ses propres enfants (VI, 53).

[76] III, 82.

[77] VIII, 58.

[78] IV, 68.

[79] II, 3.

[80] C’est le plaisir que se donne aujourd’hui le roi d’Italie, lorsqu’il va chasser dans ses domaines de Castel Porxiano, presque à l’endroit où se trouvaient les villas de Pline et de Symmaque.

[81] Probablement la via Severiana, qui allait d’Ostie à Terracine.

[82] VII, 15.

[83] VII, 15.

[84] VII, 35.

[85] I, 8.

[86] V, 92.

[87] VIII, 23.

[88] I, 3.

[89] II, 60 ; morbum fabricatoris.

[90] I, 12.

[91] VIII, 43.

[92] IX, 50.

[93] III, 25.

[94] V. 78, voir aussi IV, 44.

[95] VIII, 65.

[96] VI, 47 : Sic priscæ fœminæ vitam coluisse traduntur.

[97] IV, 70.

[98] VII, 3 et 2.

[99] V, 31.

[100] Ammien, XIV, 6 ; XXVIII, 4.

[101] Ammien, XIV, 6, 18.

[102] Id., XIV, 6, 7.

[103] Saint Jérôme, Interpret. Didymi de Spir. sancto, præfat.

[104] Saint Jérôme, Epist., 46, (éd. Vallars).

[105] Saint Jérôme, Epist., 22.

[106] IV, 74.

[107] VII, 46 : Suscipe, oro, benefaciendi provinciam, quæ hominum merita Deo applicat.

[108] IX, 146.

[109] IX, 49.

[110] VII, 48, 116, 124.

[111] VI, 70 : in ærum mansura.

[112] I, 20 : iter ad capescendos honores sæpe litteris promovetur.

[113] I, 43.

[114] III, 43.

[115] II, 22.

[116] VI, 61.

[117] V, 63.

[118] Voyez ce qu’il dit sur la curie de Formies, IX, 136.

[119] I, 5 : Hic usus in nostram venit ætatem, ut rus, quod solebat atere, nunc alatur. Voyez aussi VI, 81 ; IX, 40 ; et VII, 125, où un domaine est appelé res non tam reditu ampla quam censu.