HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

LIVRE QUATORZIÈME

 

CHAPITRE VI. — FUREURS DE LA CONTRE-RÉVOLUTION

 

 

Le lendemain des journées de prairial. — Institution d'une Commission militaire. — Condamnations à mort exécutées sur-le-champ. — Désarmement des patriotes, sous prétexte de terrorisme. — Disparition des piques. — Anéantissement de la Commune. — Les gendarmes et les muscadins. — Décret qui rend les femmes justiciables de la Commission militaire. — Mot terrible d'un ouvrier à Rovère. — La réaction déchainée. — Suicide de Rühl. — Suicide de Maure. — Mise en accusation de Jean-Bon Saint-André et de Carnot demandée. — Sortie furieuse de Henri Larivière contre Carnot. — Départ de Collot-d'Herbois et de Billaud-Varenne pour la Guyane. — Barère oublie pour la première fois de suivre le vent. — Détails sur l'exil et les derniers moments de Billaud-Varenne. — Les six martyrs de prairial. — Leur translation au château du Taureau. — Leur attitude devant la Commission militaire. — Leur mort héroïque. — Guerre aux noms, aux emblèmes, à tous les souvenirs révolutionnaires. — Appels farouches à l'esprit de vengeance. — Poursuites contre Joseph le Bon ; moyens iniques employés. — Pitance du peuple à la date du 18 prairial. — Vains efforts pour arrêter la chute des assignats. — L'agiotage triomphant. — Tableau de la situation par le Bonhomme Richard.

 

Les journées de prairial étaient le dernier effort de la Révolution agonisante : l'ère des fureurs contre-révolutionnaires s'ouvrit. Dès ce moment l'esprit de persécution ne connut plus de frein, et l'esprit de vengeance fit définitivement divorce avec tout sentiment de pudeur.

Le 22 germinal (11 avril), la Convention avait rapporté deux décrets affreux : celui du 17 mars 1792, qui mettait hors la loi les ennemis de la Révolution, et celui du 13 ventôse an II, qui ordonnait de punir comme complices des conspirateurs ceux qui leur auraient donné asile ou n'auraient point dénoncé leur retraite[1]. Mais il devint bientôt manifeste que ce n'était pas aux vrais partisans de la Révolution que les Thermidoriens entendaient accorder le bénéfice de cette politique de modération et de justice dont la mesure précitée était un heureux symptôme. Le mouvement de prairial à peine étouffé, le règne de la mort commença. Organe des impatiences farouches du parti vainqueur, Gamon demanda l'établissement d'une commission de neuf membres chargée de faire un rapport sur tous les représentants dénoncés ou prévenus de complicité avec les derniers tyrans de la France, parce que, dit-il, la présence des assassins de la patrie dans le sein de la Convention déshonorait la représentation nationale[2]. Dès le 4 prairial, une Commission militaire avait été instituée à Paris[3] : Dubois-Crancé fit décréter qu'elle serait autorisée à condamner, selon les délits, aux fers, à la détention, à la transportation, à la mort[4]. Dès le 5, la guillotine était mise en mouvement. Ce jour-là furent condamnés à mort, non-seulement le mulâtre Delorme et le lieutenant de gendarmerie Jacques Legrand, qui n'avait pas défendu le poste de l'Arsenal contre le peuple, mais un menuisier, nommé Gentil, dont les crimes consistaient à avoir tenu des propos séditieux et porté, écrits avec de la craie sur son chapeau, les mots : Du pain et la Constitution de 1793 !

Et, comme aux plus sombres heures de la Terreur rouge, la condamnation et l'exécution, sous l'empire de la Terreur blanche, ne firent qu'un en quelque sorte. Du tribunal on conduisit les condamnés sur la place de la Révolution, où ils furent livrés au bourreau[5].

Avec non moins d'empressement, les vainqueurs procédèrent au désarmement des vaincus. Toutes les sections dont on n'était pas sûr, celle des Gravilliers, par exemple, celle de la Cité, celle du Panthéon, furent sommées de rendre leurs canons sans aucun retard[6].

Le 6 prairial (23 mai), on lisait sur tous les murs de Paris l'arrêté suivant du Comité de salut public : Les citoyens munis de piques ou d'autres armes non militaires, les apporteront, dans l'espace de vingt-quatre heures, au Comité civil de leur section, sous peine d'une année de détention[7]. On proscrivait la pique, arme du pauvre, mais non le fusil, arme du riche.

Nul n'osa élever la voix pour se plaindre, tant était profond l'abattement des âmes ! Il y en eut même beaucoup qui obéirent avec précipitation, aiguillonnés qu'ils étaient par la peur. C'est à cette époque qu'un des correspondants de Mallet du Pan lui écrivait : Le 6 prairial, ordre de remettre les piques à la section, c'est-à-dire de désarmer les trois quarts des habitants, sous peine de prison : tout cela se fait sans murmure ; on est à la queue pour attendre son tour ; moi-même j'ai attendu trois quarts d'heure pour donner ma pique. On désarmerait ainsi la France tout entière[8]. Mais le mousquet restait au service de la réaction, et un des plus prudents organes du parti royaliste, le journal de Poncelin, la feuille hypocrite qui avait pris le titre de Courrier républicain pour mieux atteindre son but, s'écriait dans un transport de joie, plus fort que ses habitudes de ruse : A la garde montante, toutes les piques avaient disparu. On ne voit plus entre les mains de la garde que de beaux et bons fusils[9]. La Jeunesse dorée avait, depuis que le péril était passé, repris toute son arrogance, et ce fut ceux qu'on appelait alors muscadins qui se chargèrent du désarmement des gendarmes[10].

Pendant ce temps, les listes de proscription se remplissaient ; la Commission militaire poussait vivement sa funèbre besogne, et le sang continuait de couler sur la place de la Révolutions[11].

On leva le couteau, même sur des femmes. La Révolution ne les avait pas épargnées et ce fut une de ses taches ; mais faire juger des femmes par une commission militaire était chose nouvelle dans l'histoire des vengeances de parti. Rousseau n'en fit pas moins l'objet d'une motion formelle, et cela fut décrété. Vainement Legendre protesta-t-il contre tant de rigueur, au nom de l'indulgence due à un sexe faible et passionné, l'arrêté fut maintenu, parce que, suivant l'expression du Courrier républicain, la Convention ne voulait plus, par des actes de faiblesse, perdre le fruit de sa victoire[12].

Ainsi, ne pas agir à la manière des tyrans, c'était faire acte de faiblesse.

Le 8 prairial (27 mai), un décret, qui fut rendu sur la proposition de Clauzel, abandonna les représentants du peuple Rühl, Romme, Duroy, Goujon, Duquesnoy, Soubrany, Prieur (de la Marne) et Peyssard au tribunal de sang institué sous le nom de Commission militaire. Il ne lui avait fallu que quatre jours, à cette commission, pour abattre vingt et une têtes[13] ! On pouvait donc compter sur son zèle, et rien n'égala l'empressement des vainqueurs à en profiter.

C'était le moment où arrivait la nouvelle du soulèvement des ouvriers toulonnais : elle donna lieu à un nouveau débordement de colères. Dans le rapport qu'il présenta des troubles du Midi, d'après des lettres reçues de Chambon, Guérin et Chiappe, Doulcet de Pontécoulant avait dit : Vous n'avez pas besoin que je vous en avertisse : les succès de la Révolution, l'affermissement de la liberté tiennent aujourd'hui exclusivement à la fermeté que vous déploierez dans la poursuite des séditieux et des brigands[14]. La majorité thermidorienne-royaliste n'avait effectivement nul besoin qu'on l'avertît de la nécessité exclusive d'être inexorable. Doulcet n'avait pas plutôt fini son rapport que quatre représentants du peuple étaient frappés. Le compte rendu officiel du Moniteur, en ce qui les concerne, est d'un laconisme effroyable :

BOUDIN. — Escudier vient de sortir ; je demande son arrestation.

L'arrestation est unanimement décrétée.

On demande l'arrestation de Salicetti.

LEGENDRE. — Un moment avant le rapport de Doulcet, Laignelot est venu parler à Escudier ; Ricord et Salicetti sont sortis les deux premiers.

L'arrestation de Ricord et de Salicetti est décrétée.

 

Jamais pareille rage de dénonciations n'avait éclaté. S'il arrivait qu'un représentant dénoncé eût un ami qui osât le défendre, malheur à ce dernier ! La proscription aussitôt l'enveloppait. Panis en fit la dure expérience. Il n'avait aucunement figuré dans les derniers troubles, et nul ne pensait à lui, lorsque Laignelot, un de ses amis, ayant été mis en cause, il eut l'imprudence de s'écrier : Point de barbarie, mes collègues ! point de barbarie ! Dès ce moment, il fut un homme perdu. Donnez la parole à ce conspirateur, cria Bourdon (de l'Oise), qui avait maintenant le verbe haut, lui qu'un regard courroucé de Robespierre avait mis au lit pour un mois[15].

Alors eut lieu une scène hideusement bouffonne. Le mot conspirateur avait jeté Panis dans un trouble inexprimable. Il balbutia : Moi, un conspirateur !. Ah ! mon Dieu ! ah ! mon Dieu ! c'est affreux ! Et il se frappait le front, et il s'arrachait les cheveux, et il en appelait, d'une voix tremblante, à la compassion de Messieurs ses collègues, les conjurant de lui permettre de respirer un peu : Ah ! mon Dieu ! messieurs mes collègues, messieurs, messieurs, un instant, un instant ![16]

Certes, si quelque chose semblait de nature à faire diversion aux idées sombres du moment, c'était cette pantomime grotesque, c'était cette éloquence de la peur. Mais on eût plutôt arraché au tigre sa proie qu'à la réaction ses victimes. Panis, qui avait voulu sauver Laignelot, ne put rien pour lui-même ; il fit rire, il fit pitié ; mais ni l'hilarité qu'il excita, ni le mépris que sa lâcheté méritait, ne lui furent une égide. Quelques propos vagues qu'on prétendit avoir été tenus par lui le 1er prairial, sur la nécessité de demander l'arrestation de Fréron et de Tallien, et sur l'avantage de suspendre les Comités de gouvernement, pour qu'ils ne donnassent point à la force armée des ordres contraires à ceux de la Convention, voilà tout ce qu'on put fournir comme preuve que Panis était un conspirateur et un traître. Qu'importait d'ailleurs qu'il fût innocent aujourd'hui ? N'avait-il pas été coupable, autrefois ? Depuis trois ans, les citoyens de Paris réclament ta punition, lui cria Bergœing, et il n'en fallut pas davantage. En entendant ces paroles et les applaudissements qu'elles provoquent, le malheureux se frappe une dernière fois le front, roule des yeux égarés, s'évanouit ; et tandis que quelques personnes charitables lui donnent des sels à respirer, on décrète son arrestation[17].

Furent aussi décrétés d'arrestation, et cela le lendemain même, Voulland, Jagot, Élie Lacoste, La Vicomterie, David, Dubarran. C'était la proscription en masse de l'ancien Comité de sûreté générale. On en excepta Louis (du Bas-Rhin)[18], — le plus cruel de tous les membres de ce Comité fameux, selon Senar.

Lorsqu'ils étaient investis du pouvoir, ils l'avaient changé en tyrannie : à cela nul doute. Mais il était horrible de prendre occasion, pour les frapper, d'un mouvement auquel ils n'avaient eu aucune part. En réalité, c'était dans leur passé qu'on prétendait les poursuivre, et l'on ne prenait pas la peine de s'en cacher. Inconséquence pleine de scandale, pleine de périls ! car enfin, que pouvait-on leur reprocher que la Convention n'eût, ou consacré par ses votes, ou salué de ses acclamations, ou encouragé par son silence ? Et parmi leurs juges de l'heure présente, combien y en avait-il qui pussent les sommer de nommer leurs complices d'alors, sans s'exposer à cette foudroyante réponse : Vous !

Après sa conversion à la Terreur blanche, Rovère, un des plus sinistres héros de la Terreur rouge à Avignon, voyant un jour, aux Tuileries, des ouvriers occupés à creuser la terre, leur demanda : Que faites-vous là ? Un d'eux lui répondit ce mot qui l'accabla : Une glacière ![19]

Encore si l'on ne s'était attaqué qu'à des hommes tels que Jagot, Élie Lacoste, Voulland ! Mais Jean-Bon Saint-André ! mais Robert Lindet ! mais Carnot ! ici, ce n'était plus des crimes qu'on poursuivait, c'était des services, et des services immortels : preuve trop claire que les coups s'adressaient à la Révolution, à l'ensemble de ses actes, à son principe !

Une circonstance navrante à constater, c'est qu'on vit figurer au premier rang des proscripteurs plusieurs de ces Girondins qui, rappelés dans leur patrie, rendus à leurs familles, rétablis sur leurs sièges de représentants, auraient dû, ce semble, montrer par leur modération la sincérité des anathèmes dont ils n'avaient cessé de flétrir la politique de la violence. Mais cette politique, ils paraissaient la trouver fort de leur goût, depuis qu'au lieu de la subir ils se sentaient en état de l'exercer. Ceux qui avaient été l'honneur de ce parti étaient morts ; ceux qui restaient ne respiraient que vengeance, tant il est vrai que l'infortune ne donne de la sérénité qu'aux grandes âmes ! C'était donc en s'abandonnant aux conseils de l'iniquité que Delecloy, Bergœing, Henri Larivière et quelques autres se plaignaient d'avoir été traités d'une manière inique, comme c'était en s'appuyant sur les royalistes qu'ils s'indignaient d'avoir vu leur républicanisme soupçonné.

Le 2 prairial, Henri Larivière disait : Dussé-je être comme hier, assassiné à votre porte, — cet assassinat n'était qu'une figure de rhétorique, — je dirai que ceux qu'on appelle royalistes sont bien moins à craindre que les Jacobins. Je vous parlerai du fond du cœur, je vous parlerai pour le salut de mon pays ; je vous dirai que ces royalistes dont on a tant voulu vous effrayer sont, peut-être, les plus grands amis des lois, les plus ardents défenseurs de la représentation nationale ; ces bons citoyens ont versé leur sang pour vous défendre le 9 thermidor[20].

Henri Larivière n'avait pas toujours parlé ainsi des royalistes, et l'on aurait pu lui rappeler que, lors du procès de Louis XVI, il avait invoqué contre eux cette maxime d'où sortit la loi des suspects : La haine due aux tyrans doit s'étendre à tous ceux qui portent ombrage aux amis de la liberté[21].

Le parti qui portait ombrage à Henri Larivière, en 1795, c'était, non plus celui des partisans de Louis XVI, mais celui d'hommes tels que Robert Lindet, tels que Carnot. Aussi déploya-t-il à leur égard toute la haine due aux tyrans. Non content de demander l'arrestation du premier, il lui dit en face, et en pleine Assemblée, dans un moment où le péril n'était plus qu'à répondre à de semblables insultes, venant du parti victorieux, qu'il était un agent hypocrite des tyrans, qu'il était un scélérat, qu'il était un monstre[22]. Puis, le visage tourné vers Carnot : Comment, lui cria-t-il, as-tu pu, pendant quinze mois entiers, ne pas t'apercevoir qu'on assassinait journellement la patrie ?... Comment as-tu pu être assez indifférent ou assez imbécile pour ne pas ouvrir les yeux sur les projets des cannibales avec lesquels tu te trouvais chaque jour ?[23] Il voulait bien cependant ne pas demander la tête de Carnot et se bornait à proposer qu'on le chassât de l'Assemblée comme indigne. Parlant ensuite de ceux des membres de l'ancien Comité de salut public qui avaient survécu à leurs collègues, il les montrait, pour qu'envers eux on fût implacable, inondés du sang des victimes qu'ils avaient égorgées et des larmes de ceux qui les pleuraient[24].

Ceci se passait le 9 prairial (28 mai).

Chose triste à dire ! cette fois encore, la défense de Carnot fut au-dessous de ce qu'on devait attendre d'un homme qui avait fait trembler l'Europe devant son génie lorsqu'il tenait l'épée de la Révolution. Au lieu de braver ses ennemis du haut de ses services ; au lieu de leur dire : Est-ce vous qui avez sauvé la France ? Est-ce vous qui avez dirigé le plus sublime effort patriotique et militaire qui ait jamais étonné le monde ? il affirma qu'il s'était opposé à Robespierre ; qu'il avait été le premier, après le 9 thermidor, à proposer aux deux Comités la clôture du club des Jacobins ; qu'il s'était toujours déclaré anti-maratiste ; qu'au Comité de salut public, il s'était toujours renfermé dans le département spécial dont il était chargé, qu'il ne fallait pas le rendre responsable de ses signatures, parce qu'il les donnait de confiance[25]. Comme si le système dont il s'étudiait de la sorte à secouer la responsabilité n'avait pas été le même aux armées, dont il avait la direction, qu'à l'intérieur ! comme s'il avait pu donner chaque jour et plusieurs fois par jour sa signature, sans jamais savoir pour quel usage ! Il se faisait maintenant en quelque sorte un rempart du cadavre de Robespierre ; mais où et quand l'avait-on vu s'attaquer en public à Robespierre vivant ? Voilà ce qu'aurait pu lui répondre la réaction, qu'il eût été plus digne de lui de confondre que de fléchir. Carnot a organisé la victoire, cria quelqu'un[26]. Ce mot le sauva.

Robert Lindet fut moins heureux. Et pourtant, les défenseurs ne lui manquèrent pas. Taveaux déclara que le département du Calvados et neuf ou dix autres départements auraient été anéantis si Robert Lindet ne s'y était pas rendu[27]. Doulcet de Pontécoulant, de son côté, affirma que pour ses concitoyens du Calvados, le jour de l'arrestation de Robert Lindet serait un jour de deuil[28]. Tout fut inutile. Henri Larivière, qui ne se possédait pas de rage, et dont les déclamations aussi boursouflées que furieuses avaient un écho dans le cœur de chaque royaliste déguisé en républicain, Henri Larivière s'écria : que Lindet était le plus hypocrite des hommes ; qu'il était capable de gratter avec le fer la plaie d'un ami, en lui faisant les plus gracieuses grimaces ; qu'il n'était point de scélérat qui ne pût citer en sa faveur quelque bonne action ; que l'Assemblée devait prendre la foudre du salut public et tonner sur les coupables[29]. Lehardy avoua que Lindet avait sauvé toute sa famille, qui était hors la loi ; mais, ajouta-t-il, je ne vois que la patrie. Et il conclut à l'arrestation[30] du Terroriste à l'humanité duquel il devait la vie des siens.

Jean-Bon Saint-André, quoique membre de l'ancien Comité de salut public, n'y avait presque jamais paru, ayant été presque toujours en mission. Il n'en fut pas moins mis au nombre des proscrits. Ses crimes, d'après ses accusateurs, étaient ceux-ci : il avait revêtu d'une place importante un prêtre dont le frère était accusateur public près le tribunal de Brest ; il avait chargé ce même tribunal de veiller à la tranquillité publique ; enfin il avait tenu ce propos, — qu'il nia formellement et dont on n'apporta d'autre preuve qu'une déclaration de Boucher Saint-Sauveur : — Les Comités pensent avoir la clef de Toulon et du Midi ; ils se trompent ![31] On ne croirait pas à tant de fureur, si la réaction elle-même n'avait pris soin d'en graver sur ses tablettes officielles l'impérissable souvenir.

Il est vrai qu'à l'égard des ennemis de la Révolution, sa mansuétude était sans bornes. Le tribunal de police correctionnelle de Valenciennes ayant condamné à six mois de détention un négociant nommé Duquesne, pour avoir crié un jour dans un spectacle : A bas le bonnet rouge ! la majorité thermidorienne-royaliste de la Convention annula ce jugement comme tyrannique[32]. Et quelques jours auparavant un homme avait été condamné à mort, traîné à la guillotine, exécuté, pour avoir écrit sur son chapeau : Constitution de 1793[33] !

Puis, comme pour mieux enflammer cette ardeur de proscription, les contre-révolutionnaires de province grossissaient de leurs clameurs la grande clameur des contre-révolutionnaires de Paris. Les journées de prairial étaient venues fournir une arme empoisonnée à toutes les haines, à tous les ressentiments, à toutes les espérances sinistres. A lire les adresses qui, de certaines villes étaient envoyées à la Convention, on eût pu croire vraiment qu'elle mollissait et avait besoin d'être encouragée !

Ainsi, par exemple, les autorités constituées de Lyon, où le royalisme avait son centre, écrivaient à l'Assemblée, à l'occasion de cette insurrection de la faim dont nous avons tracé le lamentable tableau : Le pain que les assassins demandent, c'est le crime ; le pain que nous leur donnerons, c'est la mort[34].

Les assassins, probablement, c'était la foule blême qui manquait de pain, c'était le peuple, c'était Paris !

Le 10 prairial (29 mai), un des secrétaires donna lecture d'une lettre qu'un des représentants en mission près l'armée du Rhin et de la Moselle adressait à la Convention, pour lui offrir contre le faubourg Antoine, en cas de besoin, l'appui de l'armée : Au moment où je vous expédiais un courrier, je reçois votre décret du 4 contenant des mesures répressives contre le faubourg Antoine. Je ne puis que vous répéter que j'attends vos ordres pour marcher avec les braves qui ne veulent pas de vie sans la République[35]. Ces mots servaient de post-scriptum à une lettre qui commençait en ces termes : Vengeance ! vengeance ! Le signataire était Merlin (de Thionville)[36].

Non que Merlin (de Thionville) fût homme à se donner aux royalistes. Bien différent de Henri Larivière, qui, après avoir été un des juges de Louis XVI et un des amis de Vergniaud, finit par se faire l'agent du comte d'Artois[37], Merlin (de Thionville) resta jusqu'au bout lui-même. Mais comme sa conception de la République ne consistait qu'à repousser la domination d'un roi, et qu'il s'était mis à haïr d'une haine aveugle, implacable, insensée, les hommes qui avaient obéi à la logique d'une conception plus complète et supérieure, la réaction l'emporta dans son mouvement ; elle l'emporta sans effort ; elle l'emporta si loin, qu'il se trouva servir le royalisme, qu'il n'aimait pas, beaucoup mieux que tel royaliste dont le rétablissement du trône absorbait toutes les pensées. La lettre qui vient d'être citée caractérise d'une manière frappante l'esprit qui animait les Thermidoriens de la nature de Merlin (de Thionville). Dans cette missive, écrite d'un style véhément et déclamatoire à l'excès, il règne une confusion d'idées, ou, plutôt, de passions à peine croyable. L'insurrection de prairial y est maudite comme ayant eu pour but de ramener la France à l'esclavage par la guerre civile ; on y dénonce dans les vils suppôts de Robespierre les complices de la horde immonde de plats royalistes, on y tonne contre le tyran de l'Allemagne et l'on y jure dévouement éternel à la République, tout en parlant de faire marcher des soldats sur Paris[38] !

Au reste, dans la séance même où elle reçut communication de la lettre de Merlin (de Thionville), l'Assemblée ne prouva que trop bien qu'elle n'avait nul besoin d'être poussée dans les voies de la violence ; car elle rejeta une proposition tendant à ne plus laisser juger par la Commission militaire que les délits militaires, et à renvoyer devant le tribunal criminel de Paris les représentants du peuple qu'on avait arrêtés[39].

Lesage (d'Eure-et-Loir) était l'auteur de cette proposition, qui honore d'autant plus sa mémoire qu'il avait été du nombre des Girondins mis hors la loi, et qu'on pouvait lui supposer l'âme aigrie par le malheur. C'est le mépris pour les hommes, dit-il, qui fit inventer ces tribunaux prévôtaux et militaires... où les accusés, sans conseils, sont traduits devant des militaires chargés de prononcer, et sur la conviction, et sur la peine ; où les intentions sont toujours présumées coupables ; où l'homme égaré reçoit le même châtiment que celui infligé au provocateur ; où une vie entière de probité n'est comptée pour rien ; où l'égarement d'un moment est puni comme une longue carrière de crimes. Loin d'admettre que la grandeur du délit justifiât le caractère  exceptionnel de la juridiction, Lesage soutenait que l'importance des garanties assurées à l'accusé doit, au contraire, être proportionnée à la gravité de l'accusation. Il n'osait pas aller jusqu'à dire que l'Assemblée avait eu tort de créer une commission militaire dans un moment d'angoisse et de péril. Mais que, le danger passé, la dictature judiciaire restât, c'est ce que l'orateur déclarait attentatoire à tous les principes de justice ; et il n'hésitait pas à déclarer que le jour où cette dictature cessait d'être indispensable, elle devenait atroce[40].

Lesage n'allait pas encore assez loin ; il aurait dû avoir le courage d'avouer qu'il n'est jamais nécessaire de n'être pas juste ; que cette prétendue nécessité est l'éternel mensonge derrière lequel s'abritent les tyrans ; que c'est l'hypocrisie banale de l'oppression. Mais peut-être craignit-il de compromettre le succès de sa motion en heurtant d'une manière trop directe les passions d'une majorité esclave de ses propres fureurs. Ce fut inutilement en effet que Lanjuinais, Legendre, Fréron, Louvet, demandèrent tour à tour qu'on mît un terme à ce scandale plein de sang, leurs efforts se brisèrent contre la résistance qui leur fut opposée par Clauzel, Rovère, Henri Larivière et Bourdon (de l'Oise). Ce dernier n'eut pas honte de dire : Il fallait que, le lendemain du 1er prairial, on lût, au milieu d'un bataillon carré, formé sur la place du Palais-National, le procès-verbal de cette soirée de crimes, et que ceux qui les avaient commis fussent fusillés sur-le-champ[41]. Et ce langage des Euménides fut accueilli, selon le témoignage officiel du Moniteur, par de vifs applaudissements[42].

Ceux qui avaient commis ces crimes ! Mais fusiller sur-le-champ les accusés, était-ce le moyen d'atteindre, sans risque de se tromper, les coupables ? Voilà de quelle rage imbécile se montraient possédés des gens qui prétendaient avoir fait le 9 thermidor en haine du Terrorisme !

Lanjuinais, qui voulait, lui aussi, que la réaction triomphât, mais non qu'elle se déshonorât, mit à appuyer la motion de Lesage une instance vraiment noble. Je suppose, fit-il observer[43], que notre respectable collègue Vernier, qui tenait le fauteuil dans cette soirée affreuse, soit accusé devant la Commission : il sera condamné, si l'on n'examine pas l'intention, pour avoir mis aux voix les propositions faites par Duroy, Romme et autres. L'argument était décisif : il ne produisit aucun effet sur des hommes qui avaient conclu un pacte, non plus cette fois avec la mort, mais avec l'assassinat.

Aussi, de quel accablement furent saisies les âmes fidèles au culte de la Révolution ! Coup sur coup, on apprit que Rühl s'était frappé d'un poignard dans le cœur[44] ; que Maure s'était tué d'un coup de pistolet[45]. Le premier avait été décrété d'arrestation d'abord, puis d'accusation, pour être monté sur un banc, dans la séance du 1er prairial, et avoir converti en motion la demande populaire : Du pain et la Constitution de 1793 ; on pouvait donc supposer que, certain d'être récompensé de la part qu'il avait prise au 9 thermidor par le bourreau, maintenant au service des vainqueurs, il avait cherché dans le suicide un refuge contre la guillotine. Mais Maure, quoique dénoncé par Gibergues[46], n'avait été ni arrêté ni mis au nombre des représentants décrétés d'accusation : il se tua, lui, de désespoir.

L'Assemblée reçut ces tragique nouvelles avec une indifférence qui avait quelque chose de plus tragique encore.

En revanche, rien ne fut négligé de ce qui pouvait faire servir le meurtre de Féraud d'excitation à l'esprit de meurtre. Le 14 prairial (2 juin) fut le jour qu'on choisit pour exaspérer la douleur, par l'artifice d'une mise en scène lugubre[47]. La salle de la Convention était ornée de guirlandes de chêne en festons. De chaque côté du bureau, devant les secrétaires, on avait placé des urnes cinéraires parsemées d'étoiles d'or sur un fond noir. Tous les représentants siégeaient en costume armé, un crêpe au bras. En avant de la Tribune, à la place même où Féraud était tombé, s'élevait un tombeau de marbre blanc, surmonté du buste de ce Brutus qui, en attaquant la tyrannie avec un poignard, ne fit que donner à Rome un nouveau tyran.

Louvet avait été chargé du panégyrique de Féraud. Mais l'oraison funèbre, sur ses lèvres, fut bien vite remplacée par l'anathème. Il sembla n'avoir accepté la tâche de louer que pour avoir une occasion de maudire ; il sembla n'avoir entrepris d'exalter le courage de Féraud, ses qualités civiques et ses services militaires, que pour mieux envenimer les blessures que l'insurrection de prairial avait fait saigner. Décrit par lui, le soulèvement d'un peuple aux abois ne fut que le bond du lion furieux réveillé par le génie de Billaud-Varenne[48]. Dans le style virulent et enflé qui lui était propre, il parla de visages bourgeonnés d'ivresse sur lesquels on ne découvrait que la débauche gorgée de viande et de vin[49]. Pendant tout le temps qu'avait duré l'invasion de l'Assemblée, c'est-à-dire dans l'espace de douze heures, un seul homme avait péri, un seul, à la suite d'une rixe, et frappé d'un coup de pistolet qui s'adressait à un autre que lui : eh bien, cette mort, Louvet la présenta comme le résultat d'une préméditation infernale, dont il ne tint pas à lui que la responsabilité ne pesât sur plusieurs milliers d'hommes. L'horrible fait de la tête de Féraud coupée, puis plantée au bout d'une pique, n'était évidemment que le crime de quelques misérables, tels qu'en font monter presque toujours à la surface de la société les orages qui en bouleversent le limon ; mais, à résumer l'insurrection de prairial dans cet acte d'abjecte férocité, Louvet trouvait l'avantage de rendre odieux les députés montagnards sur qui la hache était alors suspendue. Inutile de dire que, contre eux, il épuisa l'invective. Parce qu'ils n'avaient pas jugé absurde, de la part d'un peuple affamé, le vœu d'avoir du pain ; parce qu'ils n'avaient pas jugé criminelle la demande de celle Constitution de 1793 qu'après tout la Convention avait votée ; parce qu'ils avaient paru sanctionner le désordre en essayant de l'associer aux formes d'une délibération régulière, ce que, du reste, avait fait le président Vernier lui-même, Louvet les appela les vils échos de quelques brigands, et il déclara qu'il serait heureux de voir le peuple français célébrer un jour la fête de la réconciliation, pourvu qu'on commençât par les tuer : Je le répète, la mort aux chefs coupables. Pour porter à son comble la rage des proscripteurs, les délivrer de tout scrupule, leur ôter tout remords, il ne restait plus qu'à supposer les représentants du peuple qu'on avait proscrits, capables d'user contre leurs ennemis de la victoire s'ils l'eussent remportée, comme leurs ennemis se préparaient à en user contre eux. Ce dernier trait ne manqua pas au réquisitoire. Pourquoi les vainqueurs ne guillotineraient-ils pas, puisque vaincus, ils eussent été guillotinés ? Meurtrière hypothèse, qu'il eût fallu du moins appuyer de quelque preuve ! La preuve, Louvet la tira de cette circonstance que, dans le tumulte du 2 prairial, lorsqu'il s'était agi de voter les motions populaires, l'appel nominal avait été réclamé : Vos têtes, dit-il[50], en attendant qu'ils pussent les abattre, ils voulaient les compter.

Applaudir au discours de Louvet, c'eût été trop peu : on décréta qu'il serait imprimé, traduit dans toutes les langues, et envoyé aux départements, aux armées, aux Puissances étrangères[51].

Cela fait, l'Institut national de musique exécuta, dans l'Assemblée même, le chœur des tombeaux[52]. Le morceau était doublement approprié à la circonstance, car on venait d'aiguiser la hache sur la Tribune.

Pendant ce temps, un vaisseau faisait voile pour la Guyane, emportant Billaud-Varenne et Collot-d'Herbois, loin de ce pays de France, où tout avait tremblé devant eux et qu'ils ne devaient plus revoir. Ainsi que Barère, ils avaient été condamnés à la déportation dans la séance du 12 germinal, mais c'était leur sang que voulaient ces mêmes réactionnaires dont, le 9 thermidor, ils avaient si follement assuré le triomphe. Il était donc survenu, depuis, un décret qui ordonnait la mise en jugement des trois anciens membres du Comité de salut public, afin que, pour eux, la déportation fût rem placée par la mort. Mais il advint qu'à Rochefort où ils avaient été conduits, la nouvelle du décret n'arriva que le lendemain du jour où le vaisseau s'était mis en mer. Il n'emportait, comme il vient d'être dit, que Billaud-Varenne et Collot-d'Herbois. Barère réussit à se faire oublier sur le rivage. Ceux qui disposaient, en ce moment, de son sort, lui surent gré de ce que, quelquefois, il séparait sa cause de celle de ses collègues, jusque là qu'on l'entendit gémir sur la journée du 31 mai[53]. Un homme capable de s'humilier à ce point ne pouvait paraître bien dangereux ! On laissa partir ses deux collègues sans lui, et l'on prétendit ensuite que le navire avait mis à la voile, parce qu'il n'avait pu attendre Barère, qui se trouvait alors malade. Lorsque, dans la séance du 14 prairial, ce fait fut porté à la connaissance de l'Assemblée, Boursault s'écria : Barère, pour la première fois, a oublié de suivre le vent[54].

Restait à savoir comment il échapperait à l'exécution du décret qui l'envoyait devant le tribunal criminel de la Charente ; ici encore, il fut sauvé par la tolérance d'hommes qui pardonnèrent à ses vices ce qu'ils n'auraient point pardonné à ses vertus. Enfermé à Saintes, il s'évada par-dessus les toits de sa prison, probablement par l'aide de quelques amis puissants ; et ce qui prouve qu'il n'avait rien à craindre, comme l'observe un narrateur du temps, c'est qu'il se retira dans son propre département, celui des Hautes-Pyrénées, où il vécut tranquille[55], nul ne lui faisant l'honneur de le haïr de cette haine violente dont, seuls, les hommes d'une vigoureuse nature infligent le supplice à leurs ennemis.

De Collot-d'Herbois, il ne nous reste plus rien à dire, sinon qu'après un an d'exil, il mourut dans d'affreuses tortures, pour avoir avalé, au milieu d'un accès de fièvre chaude, une liqueur forte qui lui brûla les entrailles[56].

Quant à Billaud-Varenne, qui survécut longtemps à sa chute, ses dernières années eurent quelque chose de caractéristique et d'imprévu qui mérite d'arrêter un moment l'attention de l'Histoire[57].

Suivant l'expression des femmes noires qui lui fermèrent les yeux, Billaud-Varenne, pauvre, vieux, et comme perdu dans les savanes américaines, était aussi doux qu'une jeune fille. Dès son arrivée à Cayenne, il avait trouvé à y gérer, pour le compte d'un habitant, une exploitation agricole, qu'il fit prospérer, et que le propriétaire lui légua en mourant. Il rendit heureux les quelques nègres qui étaient sous ses ordres ; et sa plantation passait pour une des mieux cultivées du pays.

La colonie, qui était tombée en 1809 sous la domination du Portugal, étant, en 1817, redevenue française, Billaud-Varenne partit pour New-York. Il avait réalisé sa petite fortune en traites de commerce de l'île sur la métropole ; mais ces traites ayant été protestées, il se vit ruiné, et, sur le conseil que lui en donna le général Jackson, il se rendit à Saint-Domingue, où il fut bien accueilli. Le président de la République, informé de sa détresse, lui fit remettre quelque argent, avec lequel il acheta, non loin de la ville, une case où il s'établit avec une jeune négresse, nommée Virginie, qui s'était attachée à son sort.

Là, il vécut, pendant trois ans, de ce que lui rapportaient des consultations sur le droit civil, une petite place créée pour lui dans les bureaux d'un grand juge, et enfin un travail historique sur la Révolution de l'île, travail dont la République l'avait chargé.

Mais bientôt on s'aperçut que ses facultés et sa santé allaient s'affaiblissant avec une rapidité menaçante. Le temps avait creusé ses joues et fatigué sa forte tête ; sa figure, allongée, amaigrie, pâle, n'en était que plus expressive. Ses regards avaient conservé leur premier feu, et retrouvaient quelquefois leur fixité terrible. On découvrait en lui, dès qu'on l'approchait, des traces de cette hauteur simple et grave que donne une longue habitude du commandement. Il était, du reste, très-poli et il savait écouter, qualités qui répandaient sur sa personne un air de bienveillance naturelle et de douceur. M. de Barbé-Marbois, qui le vit souvent à Cayenne, sans lui parler, a écrit que l'aspect de Billaud-Varenne lui avait rappelé Socrate. Les souvenirs du proscrit étaient pleins de netteté, et sa conversation abondait en idées neuves, souvent bizarres, quelquefois justes et grandes. Il passait toutes ses journées dans un vaste fauteuil qui venait de France. Cependant, si vous paraissiez sur le seuil de sa cabane, composée de deux petites pièces et d'une alcôve que tapissaient quelques morceaux de vieux papier, mais qui étaient fort proprement tenues, ses mains sèches et nerveuses cherchaient aussitôt les bras du vieux fauteuil, pour soulever son corps, l'incliner devant vous, et alors vous aviez de la peine à le faire rasseoir.

Sur deux points seulement, ses idées avaient changé. Il ne pouvait se pardonner d'avoir fait mourir Danton et d'avoir contribué à la chute de Robespierre. C'étaient là les deux souvenirs qui empoisonnaient sa vieillesse, et il donna courageusement place à ses remords dans son Histoire de la Révolution de Saint-Domingue, dont quelques fragments ont été conservés.

Au 14 germinal, dit-il dans un de ces fragments, au 14 germinal et au 9 thermidor, les patriotes ont commis deux fautes qui ont tout perdu. Nos divisions ont brisé, ces jours-là, l'unité du système révolutionnaire. Oui, la Révolution puritaine a été perdue le 9 thermidor. Depuis, combien de fois j'ai déploré d'y avoir agi de colère ! Pourquoi ne laisse-t-on pas ces intempestives passions et toutes ces vulgaires inquiétudes aux portes du pouvoir ! J'ai vu la réaction que fit naître le 9 thermidor. C'était affreux. La calomnie venait de partout. Cela dégoûte bien des révolutions !

Il disait encore, en parlant de la mort de Danton :

J'y ai trempé trop directement, et avec une haine affreuse. Le malheur des révolutions, c'est qu'il faut agir trop vite, en pleine fièvre, avec la peur. de ne pas agir, c'est-à-dire de voir avorter ses idées. Danton et ses amis étaient d'habiles gens, des patriotes invincibles à la tribune et dans l'action publique. Ils n'avaient pas, comme nous, les mains pures de trafics et de rapines ; ils aimaient trop le luxe, mais ils avaient le cœur noble et révolutionnaire. Je reste avec la conviction intime qu'il n'y avait pas de 18 brumaire possible, si Danton, Robespierre et Camille Desmoulins fussent demeurés unis au pied de la tribune.

 

Quand il sentit sa fin approcher, Billaud-Varenne fut pris d'un vif désir d'aller respirer l'air des hauts lieux. Le célèbre docteur Chervin, qui le soignait, lui ayant demandé s'il comptait aller habiter la maison de campagne d'un de ses amis : Non, répondit-il, je ne veux déranger personne ; je suis un vieux républicain qui veut mourir libre ; le vent des montagnes emportera ma vie. Une pauvre cabane des Mornes Charbonnières appartenant à la négresse qui blanchissait son linge, telle était la dernière retraite qu'il s'était choisie en ce monde. Ce fut vers cette humble demeure qu'il s'achemina le 7 juin 1819. Deux ânes avaient été amenés. On le plaça sur l'un ; à l'autre, déjà chargé de linge, on attacha son fauteuil, et il partit. Quand vint pour lui le moment de dire adieu à ses voisins, son visage trahit une émotion profonde. La jeune négresse qui s'était associée aux douleurs du proscrit, suivait à pied, non moins émue. Tous deux, ils firent des signes d'amitié à ceux qu'ils quittaient, aussi longtemps qu'ils purent les apercevoir. Puis, ils disparurent dans les hautes herbes.

Huit jours après, on annonçait à la ville que M. Billaud-Varenne, de la Rochelle, ancien député à la Convention, ancien membre du Comité de salut public, venait de mourir aux Mornes-Charbonnières.

Loin de se rétracter, au moment suprême, il avait affirmé la sincérité constante de ses convictions, il s'était félicité du désintéressement de sa vie. Il sembla même, dans l'exaltation de la fièvre, se repentir de n'être pas allé jusqu'au bout, dans l'accomplissement de sa tâche, et il mourut en murmurant ces terribles paroles du Dialogue d'Eucrate et de Sylla : Mes ossements, du moins, reposeront sur une terre qui veut la liberté ; mais j'entends la voix de la postérité qui m'accuse d'avoir trop ménagé le sang des tyrans de l'Europe.

Reprenons notre récit.

La plupart des représentants du peuple, décrétés d'accusation, étaient parvenus à s'évader ; six seulement furent livrés à la Commission militaire : Duroy, Duquesnoy, Bourbotte, Romme, Soubrany et Goujon.

Duroy était une nature à la fois énergique et douce. Il adorait la liberté, mais il ne la voulait pas sanglante et barbare. C'était lui qui avait pris la défense des officiers auxquels leur qualité de nobles était imputée à crime[58] ; lui qui avait demandé que le Conseil exécutif ne pût suspendre, destituer ou remplacer les généraux, sans avoir d'abord donné ses motifs à la Convention[59] ; lui qui avait réclamé la liberté entière des opinions sur les opérations du Comité de salut public[60] ; lui qui avait proposé de mettre en arrestation les exécuteurs des ordres de l'adjudant général Lefèvre, accusé d'avoir fait noyer les femmes et les enfants des rebelles[61] ; lui enfin, qui avait provoqué la révocation des lois des 17 septembre et 5 ventôse, relatives aux suspects de tous les partis[62].

De Duquesnoy, on ne pouvait pas dire qu'il n'eût jamais trempé dans les excès de la Terreur. Frère du général dont la colonne était connue dans l'armée sous le nom de Colonne infernale et qui s'appelait lui-même le boucher de la Convention, Duquesnoy avait été moine, et sa foi politique tenait du fanatisme religieux ; mais s'il aimait la Révolution d'un amour jaloux et sombre, cette passion du moins était, chez lui, de celles qu'aucun sacrifice ne glace ou ne fait hésiter.

Ainsi que Duquesnoy, Bourbotte avait voué à la Révolution un culte violent, mais d'une sincérité invincible. Dans la Vendée, il avait déployé la valeur d'un chevalier des anciens jours, et sa vive intelligence ajoutait à l'éclat de son courage.

Romme à un républicanisme ardent joignait des connaissances très-étendues. J'ai connu M. Romme, écrit Beaulieu ; j'ai même étudié avec lui et l'ai fréquenté, depuis, à Paris, lorsqu'il était instituteur du jeune comte Strogonof[63]. Beaulieu, qui était royaliste, trouvait à Romme un esprit étroit, parce qu'il avait une âme austère.

Né à Riom en Auvergne comme Romme, auquel l'unissait une héroïque amitié, Soubrany, dans sa jeunesse, avait été officier au régiment de Royal-Dragons. Sa vie fut pendant quelque temps celle d'un homme aimable, fortuné, généreux, et rien de plus. Mais la Révolution vint, s'empara de toutes ses facultés, et, le prenant à son service, lui fit un cœur capable des résolutions sublimes. Maire de Riom en 1789, les sympathies de ses concitoyens ne tardèrent pas à l'appeler sur une scène plus haute, mais plus orageuse. Toutefois, il n'eut pas à y prendre une part active aux luttes de parti qui déchirèrent la Convention : en lui, dans le représentant du peuple et le citoyen, le guerrier avait survécu ; et ce fut aux frontières, l'épée à la main, qu'il servit la République, couchant sous la tente, conduisant les colonnes au feu, frugal, brave, adoré du soldat[64]. Lorsque survint l'insurrection de prairial, il était rentré depuis peu de temps à la Convention. Beaulieu l'avait connu personnellement. Aussi ne peut-il, en parlant de lui, se défendre d'une vive émotion. M. Soubrany, dit-il, est regretté dans son pays par ceux-là mêmes dont les principes sont le plus opposés à ceux qu'il avait adoptés. Quand je me rappelle la jeunesse de cet infortuné, je ne puis m'empêcher de donner des larmes à sa mémoire[65].

Comme Soubrany, Goujon était, dans le grand sens du mot, un caractère. Né avec une âme forte et un esprit singulièrement élevé, l'enfant, chez lui, avait annoncé l'homme. A douze ans, il avait assisté au combat d'Ouessant, et sa lettre sur ce combat fut la première qu'on connut à Paris. Son père la lut en plein Palais-Royal devant une foule étonnée, personne ne pouvant croire qu'une pareille lettre fût d'un enfant. Devenu membre de la Convention en remplacement de Hérault de Séchelles, dont il était le suppléant, Goujon, quoique très-jeune encore, s'attira tout d'abord le respect de ses adversaires par la douce gravité de son maintien, la noblesse de ses pensées et son calme langage. Un jour qu'il avait présenté à l'Assemblée une pétition sur les subsistances, Kersaint fut si frappé de sa manière de s'exprimer et de son attitude, qu'il dit : J'ai cru entendre Caton jeune[66]. Du reste, ce fut moins à la tribune que sur les champs de bataille que Goujon eut à remplir son mandat de représentant du peuple ; et son rôle à la tête des soldats républicains fut, comme celui de Soubrany, admirable. Ce rôle, un fait suffira pour le caractériser. Dans une retraite de l'armée de la Moselle, Goujon, resté sur les derrières de la colonne pour être le plus près possible de l'ennemi, aperçoit un volontaire blessé, lui donne son cheval, et revient à pied, exposé au feu de l'ennemi et à la poursuite de la cavalerie[67]. A sa bravoure il n'y avait d'égal que son désintéressement, son humanité. Sa mission, dit son biographe, ne coûta pas, y compris les frais de voyage, 4.500 livres à la République ; et il exerça pendant quatre mois un pouvoir illimité, sans faire couler une larme[68]. Le 9 thermidor avait eu lieu quand Goujon rentra dans la Convention. Quel changement ! Il ne reconnaissait plus rien, ni les idées, ni les sentiments, ni les visages, tant la réaction avait altéré jusqu'à la physionomie des hommes et des choses ! Il fut pris d'une grande tristesse… si grande, que, rencontrant un chirurgien de ses amis, il lui dit : Montre-moi bien la place du cœur, afin que ma main ne se trompe pas, s'il faut que l'égalité périsse[69].

Lui et les cinq autres furent transférés au château du Taureau, dans l'ancienne Bretagne, où l'on vint les chercher, après une détention de vingt-trois jours, pour les conduire devant la Commission militaire, c'est-à-dire à la mort.

Avant de partir, ils se réunirent chez Romme et se promirent mutuellement de disposer d'eux-mêmes, quand l'heure serait venue. Un d'eux avait réussi à soustraire un couteau à la vigilance des gardiens : il l'emporta, caché dans un pli de ses vêtements[70].

Ainsi rassurés contre la crainte humiliante de passer par les mains du bourreau, ils allèrent au-devant de leur destinée avec une indifférence stoïque. Sur la route, ils eurent souvent l'occasion de s'évader : ils dédaignèrent de la saisir[71], pour enlever à leurs persécuteurs la joie de les avoir amenés à fuir, et aussi, parce que, voyant la République abattue, ils ne tenaient plus à la vie.

Leur procès, si l'on peut appeler procès un assassinat prolongé, commença le 24 prairial (12 juin). Le décret d'accusation, motivé, qu'on avait rendu contre eux n'articulait pas un seul fait qui se rapportât à un complot ; pas un seul fait qui prouvât ou tendît à prouver que l'invasion de l'Assemblée avait été leur ouvrage[72] : non, tout leur crime était d'avoir converti en motions, au sein d'un tumulte populaire, il est vrai, mais avec l'assentiment du président de l'Assemblée et sur les instances de ceux-là mêmes qui maintenant les poursuivaient, des vœux, après tout, légitimes. Car enfin, le peuple, qui souffrait des horreurs de la famine, dans une année d'abondance et par suite de manœuvres infâmes dont nul ne niait la réalité, avait bien quelque droit de demander du pain ; et il n'y avait certes rien de bien factieux de sa part à désirer que l'Assemblée de ses représentants donnât vie à une constitution qu'elle-même avait votée. Insister pour la mise en liberté des patriotes détenus pouvait sans doute paraître impardonnable à la réaction, décidée qu'elle était à ne se point laisser arracher sa proie ; et cependant, quel cœur honnête ne se serait ému à l'idée de voir la Convention brûler ce qu'elle avait adoré, déclarer dignes de mort des actes dont elle avait accepté la responsabilité devant l'histoire, mettre en cause tout le passé de la Révolution dans la personne des hommes qui en avaient dirigé le mouvement, et leur donner pour accusateurs, pour juges, pour bourreaux, ceux qui, la veille encore, étaient leurs complices ?

La défense écrite de Goujon et celle de Romme, publiées en l'an VIII par Tissot, beau-frère du premier, — car la Commission militaire devant laquelle les accusés comparurent ne voulut pas écouter la lecture de leurs moyens de défense, — expliquent admirablement le rôle qui, dans la journée du 1er prairial, leur fut imposé par les circonstances. S'ils intervinrent d'abord, ce fut pour faire écouler la foule et empêcher que le sanctuaire des lois fût souillé par l'effusion du sang ; mais, quand il devint manifeste que le désordre, s'il se prolongeait, risquait de conduire à une effroyable anarchie ; quand la tête de Féraud, promenée dans l'enceinte au bout d'une pique, fit craindre d'autres attentats ; quand l'absence de toute nouvelle et l'apparente éclipse des Comités donnèrent lieu de croire qu'il n'y avait plus de gouvernement, plus de point de ralliement, plus de centre, les derniers représentants de la Montagne vaincue durent naturellement songer à régulariser le mouvement, en lui donnant une direction conforme, et aux vœux du peuple, et à leurs propres désirs[73]. La défense de Romme constitue un document historique qui mérite de trouver place ici :

Le crime qu'on me reproche se serait donc consommé à la tribune de la Convention, en présence de mes collègues et de la foule.

Mais alors, je partage ce crime avec ceux de mes collègues qui m'ont longtemps pressé, sollicité au nom du bien public, de me rendre à la tribune ;

Avec le président, à qui j'ai toujours demandé, et qui m'a refusé ou accordé la parole suivant mon tour ;

Avec ceux de mes collègues qui ont parlé avant moi et ont rouvert la séance suspendue par le mouvement ;

Avec plusieurs de mes collègues qui ont appuyé, discuté, développé, amendé mes propositions ;

Avec ceux qui en ont fait eux-mêmes de nouvelles ;

Avec tous les représentants du peuple qui, rassemblés en face de la tribune, sur l'invitation plusieurs fois répétée du président, ont délibéré sur les propositions mises aux voix avec beaucoup d'ordre, et quelquefois amendées dans la rédaction par le président lui-même.

Romme terminait ainsi :

Plus ma conscience fouille dans les sentiments qui m'animaient le 1er prairial, plus je rapproche mes souvenirs, plus je suis frappé du tableau de notre position, plus je sens que j'ai fait mon devoir.

Pour être resté à notre poste, nous avons été entraînés par le danger, par l'ardeur même de nos sentiments pour le bien public, à des mesures qui nous font frapper d'accusation.

En fuyant nos devoirs, nous aurions été avec bien plus de vraisemblance soupçonnés de conspirer dans le mystère. Oublierons-nous que le 15 germinal, l'arrestation fut demandée contre ceux qui ne se trouvaient pas à la séance extraordinaire du soir ; et, le 1er prairial, on avait un motif de plus, le décret de permanence, bien connu de tous.

Nous sommes parvenus par la confiance à dissoudre et faire écouler la foule, sans choc, sans effusion de sang. Ce succès nous vaut l'accusation.

En laissant grossir l'orage, en le laissant éclater là où il s'était fixé, la représentation nationale était anéantie, ses membres exposés, abandonnés à la fureur des méchants.

Nous étions donc placés entre deux abîmes ; on nous a laissé le choix : nous avons pris le parti qui convenait au salut de la patrie ; il ne nous reste qu'à nous couvrir la tête et nous soumettre à notre destinée.

J'ai fait mon devoir : mon corps est à la loi, mon âme reste indépendante et ne peut être flétrie.

Mon dernier soupir, en quelque temps, en quelque lieu, de quelque manière que je le rende, sera :

Pour la République, une, indivisible, fondée sur la Liberté, l'Égalité ;

Pour ma patrie, si cruellement déchirée ;

Pour le malheureux et l'opprimé ;

Pour mes amis, dont la fidélité et les vertus honoreront ma mémoire ;

Pour ma vertueuse mère, dont les derniers instants se couvrent d'amertume ;

Pour mon épouse infortunée, veuve d'un brave défenseur de la République, mort dans la Vendée en combattant pour la patrie ; indigente, ayant aux bienfaits de la nation des droits que j'ai cessé de solliciter. En l'attachant à ma destinée, je lui aurai donné un nouveau titre et de nouveaux malheurs[74].

 

La Commission militaire devant laquelle furent traînés Romme, Soubrany, Duroy, Duquesnoy, Bourbotte et Goujon avait été établie, non pour les juger, mais pour les tuer. Les accusés ne furent donc pas admis à se faire défendre. On les condamna sur le compte rendu de la séance du 1er prairial, tel que l'avait publié l'organe officiel du parti victorieux, c'est-à dire sur un compte rendu rédigé après coup, coloré et falsifié par la haine. Le témoignage du Moniteur en cette circonstance était si peu digne de foi, et sa narration si peu exacte, que Soubrany, très-noblement du reste, revendiqua la responsabilité d'une motion que le Moniteur avait mise dans la bouche de Duquesnoy, et qui formait la plus sérieuse des accusations intentées contre ce dernier ; savoir : la motion relative à la création d'une Commission extraordinaire en remplacement du Comité de sûreté générale[75]. Mais qu'importait tout cela ? Est-ce que les accusés n'étaient pas condamnés d'avance ? Est-ce que le Girondin Louvet ne les avait pas déjà, du haut de la tribune, qualifié de vils échos des brigands ? Est-ce que le Thermidorien Bourdon (de l'Oise) n'avait pas bien haut exprimé le regret qu'on ne les eût pas fusillés sans forme de procès, sur-le-champ ? Et les Thermidoriens, les Girondins, les royalistes, qui, unis, constituaient alors la majorité de la Convention, n'avaient-ils pas sanctionné par de vifs applaudissements le meurtre contenu dans les anathèmes de Louvet et dans les regrets féroces de Bourdon (de l'Oise)[76] ?

Aussi les accusés ne se firent-ils aucune illusion. Mais leur attitude n'en fut pas moins digne et fière : ils avaient pris leurs mesures !

Au moment où Goujon parut, il s'éleva dans l'auditoire une sorte de rumeur d'admiration, tant chacun fut frappé de la contenance de ce noble jeune homme et de la beauté morale que révélait son visage pensif. Son sang-froid ne se démentit pas un seul instant. Il paraissait triste, toutefois, mais triste comme un citoyen qui porte le deuil de la chose publique.

Bourbotte, lui, était souriant et calme. Il promenait ses regards sur les femmes qui faisaient partie de l'auditoire, jouait avec sa tabatière, et mettait une sorte de grâce à affronter la mort.

Soubrany avait conservé devant les proscripteurs cette aisance du gentilhomme qui, chez lui, s'était toujours mariée à l'énergie du républicain.

La douceur de Duroy et sa fermeté modeste, l'air concentré de Romme, les traces qu'une maladie récente avait laissées sur le front dégarni de Duquesnoy, tout concourait à augmenter l'intérêt poignant d'une scène à laquelle chacun prévoyait un dénouement terrible[77].

Trois jours avant le prononcé du jugement, Goujon avait écrit à sa mère, à sa femme, à son frère, des lettres où respire son âme tout entière. Dans celle qu'il fit. remettre à son frère, on lit :

J'ai vécu pour la liberté... Ma vie est entre les mains des hommes, elle est le jouet de leurs passions ; ma mémoire est à la postérité, elle est le patrimoine des hommes justes... Je ne porte dans mon âme, en approchant du terme, aucun des sentiments haineux qui appartiennent à la violence des passions ; et si je fais un vœu ardent et sincère, c'est pour que ceux qui brûlent de m'assassiner ne prouvent pas, par une longue suite de crimes, qu'ils m'ont frappé, parce qu'ils avaient reconnu en moi un homme de bien… Puisse la patrie être heureuse, après moi !… Que le peuple français conserve la Constitution de l'Egalité qu'il a acceptée dans ses assemblées primaires ! J'avais juré de la défendre et de périr pour elle : je meurs content de n'avoir pas trahi mon serment. Ami, je n'ai rien de plus à te dire, tu me remplaces : adieu. Nous nous retrouverons ; la vie ne peut finir ainsi, et la justice éternelle a encore quelque chose à accomplir, alors qu'elle me laisse sous le coup de l'ignominie. Le triomphe insolent des méchants ne peut être la fin honteuse d'un si bel ouvrage. La nature si belle, si bien ordonnée, ne peut manquer en ce seul point… Mes amis, nous nous reverrons heureux et satisfaits comme nous méritons de l'être. Je désire que vous ne vous quittiez point. Vivez en paix dans l'obscurité. Ne gémissez pas sur moi : il vaut mieux que je meure que d'avoir trahi la patrie. Tant d'hommes justes sont dans les larmes ! Ne vous plaignez point si j'ai partagé leur sort. Pour l'éviter, il aurait fallu que je ne leur ressemblasse pas : il vaut mieux mourir[78].

 

Ce fut le 29 prairial (17 juin) que le jugement fut rendu. Aux six accusés que nous avons nommés plus haut, on avait joint deux autres représentants du peuple, Peyssard et Forestier : Peyssard fut condamné à la déportation, et Forestier placé sous la surveillance du Comité de sûreté générale, en attendant qu'on statuât sur son sort d'une manière définitive. Quant à Romme, Soubrany, Duroy, Duquesnoy, Goujon et Bourbotte, la Commission militaire, fidèle à sa mission, les condamna tous à mort[79].

Duquesnoy aussitôt s'écrie : Je désire que mon sang soit le dernier sang innocent qui sera versé : puisse-t-il consolider la République !Les ennemis de la liberté, dit à son tour Bourbotte, ont seuls demandé mon sang. Mon dernier soupir sera pour la patrie[80].

Les condamnés remettent sur le bureau leurs cartes de députés, leurs portefeuilles, avec prière qu'on les fasse tenir à leurs familles[81], puis ils se retirent. Mais, comme ils descendaient l'escalier, Romme se frappe du couteau qu'ils avaient réservé pour cet usage, tombe blessé mortellement, et passe le fer à un second, qui, après se l'être plongé dans la poitrine, le tend à un troisième. Les six se frappèrent ainsi avec le même couteau[82]. Romme, dit le compte rendu du Moniteur, s'était porté des coups, non-seulement au corps, mais au cou, et jusque dans le visage ; le sang dont il était couvert le rendait méconnaissable[83]. Lui, Goujon et Duquesnoy expirèrent à temps. Moins heureux, Duroy, Soubrany et Bourbotte avaient encore un reste de vie : ils furent conduits à l'échafaud. Duroy semblait n'avoir rien perdu de sa force ; il s'écriait : Les assassins jouissent de leur ouvrage. Que je suis malheureux de m'être manqué !Ces mains-là étaient-elles donc faites pour être liées par le bourreau ? La vie de Soubrany s'étant presque entièrement écoulée avec son sang, il était étendu de son long dans la charrette : Bourbotte se tenait assis dans une attitude indomptable[84].

Duroy fut exécuté le premier. Il fallut porter Soubrany sur l'échafaud. Le corps entr'ouvert, il montrait au peuple ses entrailles sanglantes : seule protestation qui lui fût possible dans le râle de l'agonie. Le dernier qu'on acheva fut Bourbotte. Étant tombé avec la planche fatale à laquelle on l'attachait, et ayant heurté de sa tête le fer qui venait de trancher celle de son ami, on le vit avec étonnement profiter du temps qu'on mit à relever le couteau de la guillotine, pour exhaler le vœu suprême d'un républicain[85].

Telle fut la fin de ces hommes, en qui s'était réveillé l'esprit des temps antiques, et qui emportèrent avec eux ce qui restait encore des mâles vertus de la Révolution[86]. Ils furent jugés, qu'on ne l'oublie pas, sans jurés, sans défenseurs, sans formes, sans preuves, par quelques soldats, dont c'était la consigne. Et, pour comble de dérision, ceci se passait au moment même où le parti vainqueur décrétait que la Commission des travaux publics aurait à faire disparaître de dessus les portes et les portiques ces mots : la mort[87] ! Car c'est ainsi que la contre-révolution pratiquait le retour à l'ordre et à la justice.

Les Thermidoriens sentirent bien que ce procès les déshonorait. Aussi essayèrent-ils d'échapper aux malédictions des cœurs honnêtes, en affectant de croire qu'on les aurait tués comme ils tuèrent, si la fortune se fût déclarée contre eux. C'était risquer une calomnie pour couvrir un assassinat.

Thibaudeau n'a pu s'empêcher d'écrire : Par cet héroïsme, ils rachetèrent autant qu'il était en eux leur culpabilité politique ; ils honorèrent leurs derniers instants, apaisèrent le parti qui les avait vaincus, et recommandèrent leur mémoire à la pitié de leurs contemporains et de la postérité. Romme avait un rang parmi les mathématiciens. Soubrany s'était fait aimer aux armées par son courage et sa frugalité. Goujon était estimé pour ses qualités personnelles et ses vertus républicaines. Enfin, si nous avions été vaincus, c'est nous qui aurions été coupables, c'est pour nous qu'aurait été dressé l'échafaud. C'était une pensée bien propre à inspirer quelques regrets et à tempérer l'orgueil de ces sortes de victoires[88].

Le bruit courut que Romme, blessé très-grièvement, mais non mortellement, avait été rappelé à la vie par des amis discrets et fidèles qui, après l'avoir transporté en France dans une retraite sûre, l'avaient fait passer à Saint-Pétersbourg[89]. Si cette rumeur avait eu le moindre fondement, l'existence de Romme n'aurait pas manqué d'être signalée par ses amis ou par lui-même, après les différentes amnisties qui rendaient sans danger la révélation du secret. Or, rien de semblable n'eut lieu : Romme ne reparut nulle part[90].

A partir des journées de prairial, la marche de la contre-révolution devint, pour ainsi dire, haletante. Les prisons s'encombrèrent[91]. Des hommes purs, des citoyens intègres, d'irréprochables patriotes, furent persécutés pêle-mêle avec des hommes qui s'étaient couverts de crimes. La justice et l'iniquité confondirent leurs coups. De toutes les idées qui, depuis le commencement de la Révolution, avaient prévalu, il ne resta bientôt plus rien. Le principe de la fraternité humaine qui, au milieu d'une lutte affreuse, où il fut plus que jamais violé, avait été néanmoins posé comme le but suprême à conquérir, comme la compensation attendue de tant d'efforts convulsifs et de sang versé, ce principe fut alors chassé, même des régions de l'idéal ; il cessa d'exister, même à l'état d'aspiration, et l'individualisme fut le Dieu que les Thermidoriens proposèrent à l'adoration des mortels. Les institutions, ainsi qu'il arrive toujours, changeant avec les idées, on partit, dans l'établissement de l'ordre politique nouveau, de cette théorie, que la force destinée à maintenir la sûreté des propriétés et des personnes doit être exclusivement entre les mains de ceux qui ont à la maintenir un intérêt inséparable de leur intérêt individuel. La réorganisation de la garde nationale n'eut pas d'autre base[92].

Et non contente de s'attaquer aux choses, la réaction se mit à faire la guerre aux mots, ardente à détruire, non-seulement ce qui était la Révolution, mais encore ce qui pouvait servir à la rappeler. C'est ainsi que la Convention décréta, sur la proposition de Sévestre, que les Comités révolutionnaires s'appelleraient désormais Comités de surveillance ; et, sur celle de Hardy, que le bonnet et autres emblèmes de la liberté seraient désormais aux trois couleurs[93]. On demanda la révocation dé la loi du 5 octobre 1795, qui avait établi un nouveau calendrier. La pétition dans laquelle ce vœu était exprimé venait de Rouen ; elle portait : Il fallait des innovations aux tyrans pour consolider leur puissance : il fallait tout détruire ; il faut donc aujourd'hui tout rétablir[94]. La section de la République reprit son ancien nom de section du Roule. L'orateur de la députation qui alla rendre compte de cette décision à l'Assemblée, disait : Le nom de République ne doit appartenir qu'à la République entière, et non à une petite portion du peuple. Il nous avait été donné par les Hébert et les Ronsin ; mais aujourd'hui que tout reprend sa place, nous reprenons le premier nom de notre section. Et fidèle au système d'hypocrisie adopté par les royalistes, l'orateur concluait par le cri de : Vive la République ![95]

Puis, c'étaient chaque jour des têtes nouvelles que l'on demandait. Un patriote, après avoir été injustement frappé, était-il rendu à sa famille et à ses amis, les royalistes affectaient de pousser des cris d'effroi : leur manière de maudire le système de la loi des suspects était de l'appliquer, au profit du royalisme ressuscité. Contre le danger d'un retour à la Terreur, ils s'armaient de la Terreur, et on les vit, tirant des souvenirs du passé tout ce que ces souvenirs pouvaient contenir de fiel, se servir des morts pour tuer les vivants.

Dans l'accomplissement de cette odieuse besogne, leurs auxiliaires furent des hommes impatients de racheter leurs fureurs passées par des fureurs contraires, et, comme l'exprime le poète :

De laver dans le sang leurs bras ensanglantés.

Avant le 9 thermidor, André Dumont avait dit : Il y a trois choses qui font trembler les traîtres : le tribunal révolutionnaire, la guillotine, et le maratiste André Dumont[96]. Et, dès le 15 thermidor, André Dumont, devenu tout à coup l'instrument des vengeances royalistes, dénonçait Joseph Le Bon avec un zèle farouche, demandant qu'il fût promptement puni. Or, ce qui avait constitué la prompte punition, dans les jours qui suivirent le 9 thermidor, c'était : la mise hors la loi, la constatation d'identité, la mort[97].

Deux adresses, qui étaient censées venir de la province, mais qui avaient été fabriquées à Paris[98], et dont chacune ne portait que deux signatures[99], voilà ce qui provoqua la dénonciation lancée par André Dumont, et suffit pour motiver le vote qui mettait Joseph Le Bon sur la route de l'échafaud... seulement sur la route ; car la Convention, cette fois, n'osa pas aller jusqu'à prononcer la condamnation sans jugement.

Mais, pendant qu'on instruisait le procès de l'accusé, on jetait sa femme en prison ; on arrêtait ses proches ; on permettait à Guffroy, son ennemi personnel, de mettre la main sur ses papiers justificatifs et de les faire disparaître ; on s'emparait de sept mille francs d'assignats, tout son avoir ; on répandait calomnieusement le bruit que, lorsqu'il était proconsul d'Arras, il avait volé un collier de diamants dans la succession d'une comtesse guillotinée, dépeuplé trois rues de la ville, et commandé l'adultère à l'amour conjugal d'une femme dont il tenait le mari sous le glaive. Que s'il tentait, du fond de sa prison, de répondre à ces mensonges[100], on interdisait aux journaux de publier ses lettres, et, pour préparer les esprits à l'idée que le coup de hache qui lui était destiné délivrerait le monde d'un monstre, on le promenait en effigie, les fers au cou, les fers aux pieds, de ville en ville, de porte en porte, et jusque sous les fenêtres de la prison où, déjà, sa femme le pleurait[101].

Qu'on eût appelé Joseph Le Bon à rendre compte des abus de pouvoir où l'entraîna une exaltation fanatique, puisée dans les tendances de l'époque, et mise au service d'une politique implacable, cela n'eût été que juste ; mais joindre aux imputations réellement encourues par lui des calomnies systématiques qui le dégradaient jusqu'au dessous de la bête fauve, et parler de ses embrassements homicides, de ses caresses à la Caligula[102], en le privant pendant plusieurs mois de tout moyen d'établir la vérité, cela était infâme.

Quoi qu'il en soit, lorsque l'insuccès du mouvement de prairial vint rendre la réaction définitivement maîtresse du champ de bataille, les ennemis de Joseph Le Bon se trouvaient l'avoir tellement noirci dans l'opinion publique, que rien ne pouvait plus le sauver. Le 1er messidor (19 juin), la Commission des Vingt et Un fit contre lui à la Convention un rapport où le vrai et le faux se mêlaient de manière à former un tissu presque inextricable. Des actes empreints de l'exaltation du temps y étaient présentés sous des couleurs qui, non-seulement en changeaient le caractère, mais en déguisaient l'origine ; des rigueurs excessives que la nature étrange des circonstances servait, sinon à justifier, du moins à expliquer, y prenaient les proportions de forfaits monstrueux enfantés par des caprices de tyran ; tout y était exagéré, envenimé, et une phraséologie artificieuse y laissait subsister, à la faveur de certains mots vagues, les accusations mêmes que l'évidence forçait d'abandonner[103].

La réponse de Joseph Le Bon à ses accusateurs occupa plusieurs séances. Justifier tous ses actes, il ne le pouvait, car il n'était pas douteux que le despotisme révolutionnaire n'eût trouvé en lui un agent passionné ; mais ce qu'il établit victorieusement, c'est qu'il n'y avait pas un seul reproche, parmi ceux qu'on lui adressait, qu'il ne fût en droit de renvoyer à ses juges ; c'est que les Thermidoriens avaient trempé dans les excès dont maintenant ils lui faisaient un crime ; c'est que la Convention avait consacré, aux yeux du monde, par ses décrets, par ses exemples, par ses exhortations, par sa politique avouée, les violences dont aujourd'hui elle concentrait injustement sur quelques têtes la responsabilité tout entière.

L'Assemblée tressaillit, à cette évocation des souvenirs d'un passé qu'il lui était impossible de renier sans s'avilir. Entre les Thermidoriens, qui avaient changé, et Le Bon, qui ne changeait point, il n'y avait de différence que leur palinodie : ils le comprirent, et Le Bon fut invité à se renfermer strictement dans les bornes de sa justification, en discutant article par article les charges qui pesaient sur lui. Il y consent, mais il réclame ses papiers justificatifs : on les lui avait dérobés, et on les disait introuvables, de sorte qu'il dut se défendre de mémoire contre des accusateurs qui lui opposaient des pièces qu'ils avaient choisies[104].

Le résultat fut un décret d'accusation, rendu à une heure avancée de la nuit. L'appel nominal, exigé par l'article 15 de la loi du 8 brumaire an III, et qui avait eu lieu, dans l'affaire de Louis XVI, dans celle de Marat, dans celle de Carrier, eut-il lieu dans celle de Joseph Le Bon ? Le Moniteur l'assure, mais sans mentionner — omission significative — ni les noms, ni les votes, ni le nombre des voix[105].

La loi du 12 prairial qui supprimait le tribunal révolutionnaire, portait, article 4 : Néanmoins, les accusés traduits par un décret du corps législatif pour fait de conspiration ou d'attentat à la sûreté publique, seront jugés par le tribunal auquel ils auront été renvoyés, dans la forme déterminée par la loi du 8 nivôse[106]. Or, la loi du 8 nivôse, rendue après le 9 thermidor, maintenait, dans la reconstitution du tribunal révolutionnaire, le jury spécial, et interdisait le recours en cassation.

Il importait donc à Joseph Le Bon de n'être pas jugé conformément à cette dernière loi, qui dépouillait l'accusé de ses plus précieuses garanties ; et il était certain, il était clair jusqu'à l'évidence qu'aucun des actes reprochés à Joseph Le Bon ne rentrait dans la catégorie des faits de conspiration ou d'attentat à la sûreté publique. Ce fut pourtant la loi de nivôse qu'on lui appliqua[107].

Spolié comme il l'avait été lors de son arrestation, il n'était pas en état de payer un défenseur de son choix, et il demanda qu'on en désignât un d'office : cette requête resta sans réponse[108].

L'équité voulait qu'il ne fût pas jugé dans les lieux où il avait exercé ses pouvoirs : il fut renvoyé à Amiens, ce qui revenait au même que si on l'eût fait juger à Arras[109].

Au milieu du procès, une loi ayant été rendue qui destituait tout fonctionnaire, parent d'émigré, le président du tribunal d'Amiens aurait dû, aux termes de la loi, être destitué, parce qu'il avait un beau-frère émigré : eh bien, ce président fut maintenu dans ses fonctions par un décret spécial, afin que Joseph Le Bon eût pour juge et directeur de ses juges un ennemi, reconnu comme tel, de la République et de la Révolution[110].

Abrégeons ces hideux détails, que nous aurions supprimés s'ils n'étaient pas caractéristiques des procédés de la période réactionnaire. Joseph Le Bon avait servi avec violence une politique violente : pour cela, l'Histoire peut et doit le juger sévèrement ; mais il nous est commandé de ne point taire que cette violence eut sa source dans les entraînements d'une époque exceptionnelle et les dangers d'une situation sans égale. Joseph Le Bon sauva Cambrai, une des clefs de la France envahie. Un tel service valait qu'on s'en souvînt : on l'oublia. Condamné par un tribunal que présidait un royaliste, le proconsul d'Arras mourut courageusement, selon l'usage. Sa dernière lettre à sa femme se terminait ainsi : J'avais d'abord résolu de ne plus t'écrire ; depuis longtemps même je gardais le silence, et je m'étais borné à remettre une dernière lettre à Abraham pour t'être communiquée quand je serai endormi. C'est en t'occupant trop de moi que tu es faible ; je ne suis fort qu'en t'éloignant le plus possible de mon esprit !Ce n'est pas comme ton époux que je dois mourir, c'est comme un véritable citoyen, comme un des chefs de la cause populaire : cette grande mission doit être remplie grandement[111].

Pendant ce temps, la contre-révolution continuait de porter ses fruits dans l'ordre social. L'avidité des cultivateurs était si grande, et la campagne opprimait à ce point la ville, que Hardy alla jusqu'à proposer qu'on déclarât propriétés nationales les blés, les seigles, les avoines[112]. A Paris, les scandales de l'agiotage avaient atteint leurs plus extrêmes limites. Le 18 prairial (6 juin), le louis d'or se vendait 515 liv.[113]. C'était toujours au Palais-Royal que les agioteurs s'assemblaient pour tenir leur sabbat. Ils rouaient de coups tout marchand qui voulait les empêcher d'obstruer sa boutique. Pour disperser cette horde impure, le gouvernement se vit obligé d'entretenir, sur la place du jardin où ils se réunissaient, une garde permanente, et d'y faire circuler des patrouilles[114]. Bientôt on eut à leur donner la chasse partout : dans les cafés, aux spectacles, sur les places publiques, le long du quai de la Ferraille, à la Halle aux Draps[115]. Le 29 messidor (4 juillet), Delaunay annonçait à la Convention que, dans l'espace d'une décade, quatre cents agioteurs avaient été arrêtés 3. Mais on eût dit que la plaie allait s'élargissant à mesure qu'on faisait plus d'efforts pour la fermer. Il fallut en venir à défendre le commerce de l'or et de l'argent autre part qu'à la Bourse, là où une Bourse existait. Il fut décrété que le contrevenant serait condamné à figurer en place publique avec un écriteau infamant sur la poitrine, après quoi il devait être détenu pendant deux années[116].

L'Assemblée ne manquait jamais d'accueillir par de vifs applaudissement les mesures ou les menaces dirigées contre les agioteurs, et, par exemple, elle avait fort applaudi Thibault, disant, au nom du Comité des finances : Tremblez, misérables, la Convention marche au pas de charge contre vous[117]. Mais les agioteurs, le sourire sur les lèvres, poursuivaient leur brigandage, trop sûrs que le gouvernement ne pouvait plus rien, sinon contre son principe.

Cette impuissance absolue du gouvernement thermidorien, soit à faire le bien, soit à arrêter le mal, lui-même la trahit d'une manière éclatante par le pitoyable résultat de ses efforts financiers.

Le 10 prairial (29 mai) 1795, il avait été décidé par décret rendu sur une motion de Balland, que désormais les biens nationaux se vendraient sans enchère, et que chaque citoyen, pour obtenir l'adjudication d'un bien national, n'aurait qu'à se soumettre à payer le denier 75 du revenu annuel calculé d'après les baux existant en 1790, c'est-à-dire soixante-quinze fois le revenu dudit bien[118].

Le but apparent de cette mesure était d'accélérer la vente des biens nationaux comme moyen de retirer une partie des assignats de la circulation, en offrant un appât considérable aux acheteurs ; car telle était la dépréciation du papier qui servait au payement des biens nationaux, qu'en prenant le revenu annuel d'un domaine sur les baux de 1790 et en payant ce domaine soixante-quinze fois son revenu ainsi évalué, on se trouvait conclure un marché d'or. Il est vrai qu'en revanche la perle pour l'État était énorme !

Aussi les entrepreneurs d'affaires accoururent-ils en foule, impatients de dévorer la proie qu'on mettait à leur portée. A Charenton, un bien national dont un soumissionnaire avait offert 180.000 livres, avant la loi du 10 prairial, n'avait pas été vendu parce qu'il était évalué 200.000 livres : la loi n'eut pas été plutôt rendue, que trois cents soumissionnaires se présentèrent[119] ; c'était à qui offrirait les 90.000 livres qu'il suffisait maintenant de payer pour acquérir un domaine dont l'Etat avait refusé le double ! A Honfleur, un édifice public, servant de magasin, avait coûté 450.000 liv. à bâtir : on dut le vendre 225.000 liv. au denier 75[120] ! Il en était partout de même. Ce fut, pendant quelques jours, une véritable curée. Ici, des spéculateurs sans surface se concertaient, achetaient tous les biens nationaux d'un district, payaient comptant le premier tiers exigible, et revendaient aussitôt à un prix très-supérieur à celui de l'achat[121] ; là, des administrateurs avides s'empressaient de faire leurs soumissions avant même que les autres citoyens eussent connaissance de la loi[122], et s'enrichissaient de la sorte par l'abus des fonctions publiques. On vit s'élever, du jour au lendemain, aux dépens de l'État, des fortunes immenses, qui n'étaient ni la récompense d'aucun service, ni le résultat d'aucun travail. Ce nouveau mode d'aliénation des biens nationaux eut de tels effets, il donna naissance à tant de scandales, qu'en certaines localités les représentants du peuple qui y exerçaient une mission, se préparèrent résolument à suspendre de leur propre autorité l'exécution de la loi[123].

Il y avait à peine neuf jours qu'elle avait été rendue, lorsque Rewbell vint, au nom du Comité de salut public, la déclarer désastreuse. Si vous vendez tous vos domaines, dit-il, vous retirerez vos assignats ; mais si vous avez encore besoin d'en créer, sur quoi les hypothéquerez-vous ? A la suite de ce discours, dont Vernier et Cambacérès appuyèrent vivement les conclusions, la loi du 10 prairial fut suspendue[124].

Ainsi, tout n'était, dans la direction des affaires publiques, qu'oscillations contradictoires et tâtonnements.

La famine aussi était là, toujours là. Le 18 prairial (6 juin), dans le temps même où les Thermidoriens cherchaient à accréditer ce mensonge que, lors de l'invasion de l'Assemblée, on avait arrêté des hommes ayant leurs poches pleines de pain, le Courrier républicain écrivait : Même ration de pain : un quarteron, et quelquefois six onces[125].

A Dieppe, il y eut une insurrection de femmes. Éperdues, furieuses, elles coururent par la ville en criant : Du pain ! du pain ! On battit la générale ; la loi de grande police fut proclamée ; on fit avancer de l'artillerie. Mais la faim n'est pas facile à intimider : celles qui avaient des enfants restèrent debout devant la bouche des canons. Le calme ne fut rétabli que par un arrêté de la commune promettant qu'il serait délivré trois quarterons de pain par tête. Les femmes, durant cette émeute, n'avaient cessé de crier : Du pain, et vive la République ! Point de pain, vive le roi ![126]

Le passage suivant du Bonhomme Richard, journal du parti dominant, donnera une idée de la situation que ce parti avait faite à la France :

... Tout le monde est devenu marchand. Le nouveau riche est insolent, le pauvre tombe d'étisie, l'ouvrier murmure, le fermier se gonfle d'assignats et les méprise ; la campagne ruine, affame et persécute la ville. La disette est au milieu de l'abondance. Les uns dansent le ventre plein ; les autres pleurent, couverts de haillons. Les spectacles sont toujours remplis, les prisons s'encombrent ; l'agiotage s'engraisse ; les voleurs se multiplient ; les compagnies de Jésus égorgent les compagnies de Marat[127]. Les uns désirent l'arrivée des Anglais, pour rattraper ce qu'ils espèrent en vain, les autres voudraient voir les Anglais dans la plaine des Sablons, pour qu'il n'en restât pas un... Polichinelle amuse ceux-ci, les revenants font peur aux autres. Tout le monde se plaint, tout le monde se pille. La coquetterie s'organise ; nos petits-maîtres se coiffent en victimes qui dînent bien, nos femmes en petites folles qui font rire... Pauvres humains, que je suis heureux d'être vieux, pour vous quitter bientôt ![128]

 

 

 



[1] Histoire parlementaire, t. XXXVI, p. 201.

[2] Moniteur, an III, n° 253.

[3] Courrier républicain, n° 568. (Ce journal était un organe royaliste, et son titre un mensonge calculé.)

[4] Courrier républicain, n° 568.

[5] Courrier républicain, n° 568.

[6] Courrier républicain, n° 568.

[7] Courrier républicain, n° 568.

[8] Mémoires et Correspondance de Mallet du Pan, t. II, chapitre VII, p. 146.

[9] Courrier républicain, n° 568.

[10] Les jeunes gens improprement appelés muscadins, dit le Courrier républicain, un des organes du parti des muscadins. — Voyez le numéro 569 de ce journal.

[11] Courrier républicain, n° 572.

[12] Courrier républicain, n° 569.

[13] Voyez les extraits des jugements tels que les donna le Journal de Paris, et tels qu'on les trouve reproduits dans l'Histoire parlementaire, t. XXXVI, p. 584-585.

[14] Séance du 8 prairial, Moniteur, an III, n° 252.

[15] Voyez le t. X de cet ouvrage.

[16] Courrier républicain, n° 576.

[17] Courrier républicain, n° 576.

[18] Courrier républicain, n° 576.

[19] Mercier, le Nouveau Paris, chap. CLIII.

[20] Moniteur, an III, n° 247.

[21] Moniteur, 1792, n° 356.

[22] Courrier républicain, n° 571.

[23] Moniteur, an III, n° 253.

[24] Moniteur, an III, n° 253.

[25] Moniteur, an III, n° 253.

[26] Moniteur, an III, n° 254.

[27] Moniteur, an III, n° 253.

[28] Moniteur, an III, n° 253.

[29] Moniteur, an III, n° 253.

[30] Moniteur, an III, n° 254.

[31] Moniteur, an III, n° 254.

[32] Voyez le Courrier républicain, numéro 578, séance du 16 prairial (4 juin).

[33] Voyez plus haut, au début de ce chapitre.

[34] Moniteur, an III, n° 254.

[35] Moniteur (séance du 10 prairial), an III, n° 254.

[36] Moniteur, an III, n° 254.

[37] Voyez l'article Henri Larivière dans la Biographie universelle, de Michaud.

[38] Voyez la séance du 10 prairial, Moniteur, an III, n° 254.

[39] Moniteur, an III, n° 255.

[40] Moniteur, an III, n° 255.

[41] Moniteur, an III, n° 255.

[42] Moniteur, an III, n° 255.

[43] Voyez le Moniteur, an III, n° 255.

[44] Moniteur, an III, n° 255.

[45] Moniteur, an III, n° 259.

[46] Moniteur, an III, n° 257.

[47] Voyez la confirmation des détails qui suivent dans le Moniteur, an III, n° 258.

[48] Moniteur, an III, n° 258.

[49] Moniteur, an III, n° 258.

[50] Moniteur, an III, n° 258.

[51] Moniteur, an III, n° 259.

[52] Moniteur, an III, n° 259.

[53] Mémoires de Thibaudeau, t. I, p. 159.

[54] Moniteur, an III, n° 259.

[55] Nougaret, Histoire abrégée, etc., liv. XXIV, p. 457.

[56] Voyez la Biographie universelle, art. Collot-d'Herbois.

[57] Nous avons puisé les détails qu'on va lire dans un intéressant article publié la Nouvelle Minerve, sous le règne de Louis-Philippe. C'était une communication anonyme faite à ce recueil par le général Bernard, alors ministre de la guerre, et qui avait longtemps habité la Guyane.

[58] Moniteur, an II, 1793, n° 269.

[59] Moniteur, an II, 1793, n° 269.

[60] Moniteur, an II, 1793., n° 270.

[61] Moniteur, an III, n° 24.

[62] Moniteur, an III, n° 177.

[63] Beaulieu, Essais historiques, t. VI, p. 192.

[64] Biographie nouvelle des contemporains, à l'art. Soubrany.

[65] Beaulieu, Essais historiques, t. VI, p. 192.

[66] Voyez l'art. Goujon, dans la Biographie nouvelle des contemporains, par Arnault, Jay, Jouy, etc.

[67] Biographie nouvelle des contemporains, par Arnault, Jay, Jouy, etc., art. GOUJON.

[68] Biographie nouvelle des contemporains, par Arnault, Jay, Jouy, etc., art. GOUJON.

[69] Biographie nouvelle des contemporains, par Arnault, Jay, Jouy, etc., art. GOUJON.

[70] Biographie nouvelle des contemporains, par Arnault, Jay, Jouy, etc., art. GOUJON.

[71] Biographie nouvelle des contemporains, par Arnault, Jay, Jouy, etc., art. GOUJON.

[72] Voyez le décret d'accusation motivé, dans le Moniteur, an III, numéro 265.

[73] Voyez la défense de Goujon, publiée par Tissot, et reproduite par les auteurs de l'Histoire parlementaire, t. XXXVI, p. 386-388.

[74] Histoire parlementaire, t. XXXVI, p. 388-390.

[75] Voyez pour la confirmation de ceci, le Moniteur lui-même, an III, n° 274.

[76] Voyez le Moniteur, an III, n° 255, 258 et 259.

[77] Ce que nous avons dit de l'impression produite par Goujon, s'appuie sur le témoignage de l'auteur de sa biographie dans la Biographie des contemporains, d'Arnault, Jay, Jouy, etc. Quant aux détails qui concernent l'attitude des divers accusés, on peut voir la notice publiée par Aimé Jourdan, et signée de lui dans Je Moniteur, an III, n° 274. Aimé Jourdan, outre qu'il était le scribe officiel du parti vainqueur, avait des motifs d'inimitié personnelle à l'égard des accusés, qui le dénoncèrent en public à l'indignation des honnêtes gens, pour avoir provoqué leur condamnation par un récit infidèle. Aussi faut-il lire son compte rendu comme l'œuvre d'un ennemi, et prendre les faits, en laissant de côté l'appréciation. C'est ce qu'observent avec raison les auteurs de l'Histoire parlementaire, t. XXXVI, p. 394. Il est très-facile, disent-ils, de démêler (dans cette notice du rédacteur du Moniteur) ce qui appartient à la vérité de ce qui est l'œuvre de la passion. En général, la meilleure histoire d'un parti qui a raison est celle qui est faite par ses adversaires, pourvu qu'ils disent tout. Du reste, le courage que les accusés montrèrent dans leur défense est attesté par un auteur dont le témoignage ne saurait être suspect de partialité. Voyez les Mémoires de Thibaudeau, t. I, p. 172.

[78] Cette lettre fait partie de celles qui furent publiées en l'an VIII par M. F.-P. Tissot, beau-frère de Goujon, et qu'on trouve reproduites dans le t. XXXVI de l'Histoire parlementaire, p. 391-595.

[79] Moniteur, an III, n° 274.

[80] Moniteur, an III, n° 274.

[81] Moniteur, an III, n° 274.

[82] Biographie des contemporains, de Arnault, Jouy, etc., art. Romme.

[83] Moniteur, an III, n° 274.

[84] Tout ceci résulte du récit publié par le Moniteur lui-même, an III, n° 274.

[85] Voyez le dictionnaire biographique déjà cité.

[86] Voyez les Derniers Montagnards, par M. Jules Claretie. Paris, 1868.

[87] Courrier républicain, n° 586. Séance du 24 prairial (12 juin).

[88] Mémoires de Thibaudeau, t. I, p. 172.

[89] Nougaret, dans son Histoire abrégée de la Révolution, présente ce bruit sous forme d'assertion. Voyez liv. XXIV, p. 467.

[90] Voyez sa biographie dans le dictionnaire biographique déjà cité.

[91] Voyez le Journal du Bonhomme Richard, n° 10.

[92] Histoire parlementaire, t. XXXVI, p. 383.

[93] Courrier républicain, n° 586, séance du 24 prairial (12 juin) et Moniteur, an III, n° 267.

[94] Courrier républicain, n° 584.

[95] Voyez cette pétition dans le journal royaliste, intitulé Courrier républicain, n° 596.

[96] Moniteur, an II, 1795, n° 268.

[97] C'est ce qui est observé avec raison dans la Préface historique dont M. Émile Le Bon a fait précéder la publication des Lettres de Joseph Le Bon à sa femme. Voyez cette préface, p. 60.

[98] M. Émile Le Bon, Lettres de Joseph Le Bon à sa femme, Préface historique, p. 60.

[99] M. Émile Le Bon, Lettres de Joseph Le Bon à sa femme, Préface historique, p. 60. — Moniteur, an III, n° 316 et 317.

[100] La fausseté des deux premières accusations fut prouvée ; voyez à cet égard le rapport de Quirault, au nom de la Commission des Vingt et Un, Moniteur, an III, n° 274, et la séance du 22 messidor an III, Moniteur, an III, n° 297.

Quant à l'accusation d'avoir dépeuplé trois rues d'Arras, ce n'était qu'une figure... j'allais dire une calomnie, de rhétorique.

[101] Voyez le détail et la preuve de ces manœuvres dans le livre publié en 1845 par le fils de Joseph Le Bon, alors juge d'instruction de l'arrondissement de Châlon-sur-Saône, sous ce titre : Lettres de Joseph Le Bon à sa femme.

[102] Ce sont les expressions mêmes que Courtois emploie dans son célèbre rapport sur les papiers trouvés chez Robespierre (Moniteur, an III, n° 157).

[103] Pour mettre à nu le système de calomnie qui fut le procédé ordinaire de la politique thermidorienne et royaliste, il faudrait un ouvrage à part. Voici un exemple entre mille. Nous laissons la parole à M. Emile Le Bon qui, en défendant la mémoire de son père, avec l'énergie d'une conviction manifeste, a su conserver jusqu'au bout le calme d'un logicien et l'honnêteté d'un magistrat : Les scellés apposés sur la succession de la comtesse de R*** avaient été levés, et le collier (celui qu'on accusait Le Bon d'avoir volé) y avait été trouvé à sa place et intact. Mon père avait fait parvenir à la Commission des Vingt et Un une expédition authentique de l'inventaire. Pour personne au monde il ne pouvait plus rester matière au moindre doute, et, sur ce point encore, la calomnie était prise sur le fait et pleinement confondue. La Commission des Vingt et Un seule ne put se rendre à la justification de mon père. Pour persister dans l'accusation, elle dénature, aggrave, falsifie les faits et les actes. Diverses pièces, dit-elle, accusent Joseph Le Bon de s'être emparé des diamants de plusieurs comtesses tombées sous le glaive de la loi. Cependant, Le Bon a donné un état de mobilier de ces femmes, dans lequel des diamants sont compris ; il prétend que ces diamants sont ceux qu'on l'accuse de s'être appropriés. Comme on voit, au collier, objet précis et déterminé sur lequel il n'y avait pas d'équivoque possible, la Commission des Vingt et Un substitue l'expression vague des diamants ; puis, ce n'est plus de la seule comtesse de R. qu'il s'agit, mais de plusieurs comtesses qu'on ne nomme pas ; puis, l'inventaire authentique constatant la présence du collier sous les scellés, n'est plus qu'un simple état de mobilier. Mais elle-même, la Commission des Vingt et Un trahit son imposture par ces mots : Le Bon a donné un état de mobilier de ces femmes ; car il est évident qu'un seul inventaire ou état de mobilier ne pouvait concerner qu'une seule personne et non plusieurs comtesses, dont apparemment, les successions ne pouvaient être confondues ensemble.

La Convention, il faut le dire, n'osa sanctionner ce honteux manège de ses meneurs, et fit disparaître de son bulletin (n° 1015), le chapitre des vols et dilapidations. Mais le rapport resta, recueil de calomnies toutes rédigées à l'usage de ceux qui font de l'Histoire une arme de l'esprit de parti.

[104] Voyez la défense de Joseph Le Bon, par lui-même, dans l'Assemblée. — Moniteur, an III, n° 288, 291, 293, 294, 295, 296 et 297.

[105] C'est ce que M. Émile Le Bon fait remarquer avec beaucoup de raison, dans l'ouvrage précité, p. 92.

[106] Bulletin des lois, n° 883.

[107] Voyez le livre de M. Émile Le Bon, déjà cité, p. 96 et 94.

[108] Voyez le livre de M. Émile Le Bon, déjà cité, p. 94.

[109] Voyez le livre de M. Émile Le Bon, déjà cité, p. 92.

[110] Voyez le livre de M. Émile Le Bon, déjà cité, p. 92.

[111] Lettres de Joseph Le Bon à sa femme pendant les quatorze mois de prison qui ont précédé sa mort. Châlon-sur-Saône, 1845.

[112] Courrier républicain, n° 384, séance du 27 prairial (10 juin) et Moniteur, an III, n° 265.

[113] Courrier républicain, n° 579.

[114] Courrier républicain, n° 609.

[115] Moniteur, an III, n° 303.

[116] Décret du 13 fructidor (30 août) 1795, — Moniteur, an III, n° 346.

[117] Courrier républicain, n° 603.

[118] Courrier républicain, n° 572.

[119] Voyez le discours de Dubois-Crancé, dans la séance du 19 prairial (7 juin 1795, Moniteur, an III, n° 262.

[120] Voyez le discours de Rewbell, dans la séance du 27 prairial (15 juin) 1795, Moniteur, an III, n° 270.

[121] Discours de Rewbell, Moniteur, an III, n° 270.

[122] Lettre de Butel, représentant du peuple dans les ports de la Rochelle, Rochefort, etc. Courrier républicain, n° 594.

[123] Courrier républicain, n° 594.

[124] Courrier républicain, n° 581 et Moniteur, an III, n° 262.

[125] Courrier républicain, n° 579.

[126] Courrier républicain, n° 584.

[127] Heureuse la France si les compagnies de Jésus n'avaient pas plus existé à cette époque que les compagnies de Marat !

[128] Journal du Bonhomme Richard, n° 10