HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

LIVRE QUATORZIÈME

 

CHAPITRE II. — TERREUR BLANCHE

 

 

La Terreur blanche, bien plus odieuse et bien plus terrible que la Terreur rouge. — Les historiens prodigues de détails à l'égard de la seconde, n'ont presque rien dit de la première. — L'assassinat devenu de bonne compagnie. — Mobiles des agents de la Terreur blanche. — Saint-Barthélemy organisée contre les républicains par toute la France. — Compagnies de Jésus ou du Soleil : assassins enrégimentés. — La Terreur blanche à Lyon ; massacre dans les prisons ; les égorgeurs couronnés. — Odieux rapports de Boisset et de Mathieu. — Renseignements fournis par Gonchon sur les horreurs commises à Lyon. — Effets du gouvernement thermidorien décrits par Chénier. — Ubiquité de l'assassinat. — – Scènes épouvantables dans les prisons. — Les Carrier de la contre-révolution. — Soulèvement des ouvriers toulonnais ; ses causes. — Boucherie du Beausset. — Préparatifs d'un massacre, à Marseille. — Drame de cannibales, à Tarascon. — Invasion du fort Saint-Jean à Marseille par les assassins. — Prisonniers égorgés ; prisonniers brûlés vifs ; on tire à mitraille sur des cachots. — Souvenirs du duc de Montpensier, enfermé avec son frère au fort Saint-Jean. — Cadroy, Isnard et Chambon dans le fort Saint-Jean. — Leur attitude au milieu des assassins ; leur part de responsabilité dans ces horreurs. — Effroyables méprises. — Nombre des morts. — Raffinements de barbarie. — Triomphe décerné aux assassins par le club royaliste de Marseille. — Partialité infâme des autorités judiciaires sous le règne des Thermidoriens. — La Convention devenue impuissante contre les assassins. — Motifs de l'impunité qui leur est accordée ; pitoyables sophismes de Thibaudeau. — Système suivi de correspondance entre diverses bandes d'assassins. — Traites qui se payent en têtes d'hommes. — Les prêtres assermentés poursuivis à coups de poignard. — La lubricité mêlée à la soif du sang. — Femmes fouettées avec des nerfs de bœuf. — Aux yeux des assassins enrégimentés par la Terreur blanche, la piété filiale et l'amour conjugal sont des crimes. — Renouvellement de l'épisode d'Ugolin dans les prisons, sous la Terreur blanche. — Dérisoire application des mots les plus sacrés ; bonnets à l'humanité, corsets à la justice. — Organisation des bals à la victime.

 

Je vais raconter le règne des assassins en France.

Que le lecteur s'arme de courage ! L'histoire de la contre-révolution va lui donner des mares de sang à traverser ; elle va faire passer sous ses yeux des scènes de l'enfer. Car, quelque invraisemblable que cela puisse paraître, la Terreur blanche, celle qui marqua le triomphe des Thermidoriens et la résurrection du royalisme, dépassa en horreur, même les massacres de septembre, même les mitraillades de Collot d'Herbois, même les noyades de Carrier.

Jusqu'ici, on a pris soin de dresser, des victimes de la Terreur rouge, une liste minutieusement fidèle. A la Révolution défendant la patrie contre la ligue des rois au dehors, et, au dedans, contre les traîtres, leurs complices, on a demandé compte jour par jour, presque heure par heure, des coups frappés et des têtes abattues. Quand il s'est agi de flétrir les soldats en délire d'un monde nouveau, l'on n'a épargné à la sensibilité du lecteur la description détaillée d'aucun supplice, le tableau complet d'aucun massacre. Mais ce système d'extermination que le parti des soi-disant modérés d'alors pratiqua, comme nous allons le prouver, sans autre motif que la haine, et à la manière des voleurs de grand chemin, de quel voile complaisant on a su le couvrir ! Il est temps que toute la vérité soit connue ; il est temps qu'on sache comment la réaction thermidorienne fit succéder au régime du Tribunal révolutionnaire le règne des assassins. Il y eut en effet cette différence entre la Terreur rouge et la Terreur blanche, que la seconde ne put s'accommoder de rien qui ressemblât à un examen judiciaire ou à des formes légales.

La justice du Tribunal révolutionnaire avait été une justice sommaire sans doute, implacable, homicide ; mais enfin elle n'avait fait venir le bourreau qu'après le juge ; elle n'avait pas tué, un masque sur le visage, au hasard, et fermé toute issue à l'innocence : témoin les nombreux acquittements qu'elle prononça. Si, à Lyon, Collot d'Herbois et Fouché remplacèrent l'échafaud par le canon, cette substitution horrible n'eut lieu, du moins, qu'à l'égard d'hommes jugés et condamnés. Les Septembriseurs, tout féroces qu'ils étaient, ne se crurent pas dispensés de distinguer entre l'innocent et le coupable. On se rappelle que Maillard institua un tribunal à l'Abbaye, pour empêcher le massacre de tout envelopper, de tout confondre ; et non-seulement des prisonniers furent acquittés par ce tribunal de sang, mais il y en eut d'acquittés après s'être proclamés royalistes, sur l'observation de Maillard que les actes pouvaient être criminels, mais que les opinions étaient libres. Et non contents d'épargner les prisonniers, ainsi déclarés non coupables, les égorgeurs les prirent dans leurs bras, les portèrent chez eux en triomphe, ne cessant de crier sur la route : Respect à l'innocence ![1]

Les sicaires de la contre-révolution, au contraire, ne voulurent aucun examen avant le meurtre ; ils n'admirent aucun délai entre la pensée et l'exécution, aucun intermédiaire légal entre le bourreau et la victime ; ils appelèrent à être le bourreau quiconque avait un poignard à mettre au service de la modération ; ils prirent pour règle de tuer à bout portant quiconque, à tort ou à raison, était désigné comme jacobin, partout où on le rencontrerait, sur le seuil de sa porte, au détour d'un chemin, dans la rue ; leurs massacres des prisons, à eux, eurent cela de caractéristique et de nouveau, que, dans certaines villes, les égorgeurs furent des gens masqués ; que, dans d'autres, ils firent de l'assassinat un spectacle qui eut ses galeries et son parterre ; que, dans d'autres, ils pointèrent des canons contre des cachots et brûlèrent vifs des prisonniers sans défense, pour se reposer de la fatigue de les tuer.

Les promoteurs de la Terreur rouge avaient été des hommes à farouches convictions, des fanatiques de salut public, des âmes violentes et sombres ; mais eux, du moins, avaient parlé le langage de leurs actes ; on ne les avait pas vus grimacer l'humanité, un couteau teint de sang à la main, et le pied sur un monceau de cadavres ; on ne les avait pas vus se parfumer et se farder avant d'aller à l'abattoir.

Les promoteurs ou partisans de la Terreur blanche, au contraire, furent des gens aux belles manières, d'élégants libertins, des femmes à la mode, des personnages d'une piété onctueuse. Sous l'empire de la Terreur blanche, des pensées atroces s'exprimèrent dans un jargon ridiculement efféminé ; on jura sa paole d'honneu qu'on poignarderait son ennemi désarmé ; on tua des prisonniers à coups de canon ou on les brûla vifs, en vertu des lois du bon ton ; on fouetta dans les rues, pour plaire aux dames, des filles coupables de s'être jetées en pleurant sur le corps de leurs pères égorgés. L'assassinat fut de bonne compagnie.

Quand la détestable politesse du vice, dit un écrivain peu suspect de jacobinisme, prête son vernis à la férocité, il me semble qu'elle l'enlaidit encore. Il se trouva des hommes, alors, tout aussi cruels que Marat, mais beaux de jeunesse et de manières, qui entraînaient les cœurs après eux, quand ils entraient dans un salon au milieu d'un nuage d'ambre. S'ils n'avaient pas senti l'ambre, ils auraient senti le sang[2].

On nous accuserait d'exagération si les faits n'étaient pas là : il faut donc leur laisser la parole.

La politique thermidorienne ne se fut pas plutôt dessinée, qu'on vit accourir en foule des frontières de Suisse, des cours de Rome, de Vienne et de Londres, des bandes de royalistes se donnant le nom de patriotes opprimés[3]. Attaquer tout d'abord et directement le principe de la République, ils ne l'osèrent pas ; mais habiles à profiter de la division fatale que le 9 thermidor avait jetée parmi leurs adversaires, ils s'unirent aux Legendre et aux Tallien contre les restes du parti de Robespierre, comme ils s'étaient unis aux Louvet et aux Barbaroux contre la Montagne ; ils se proclamèrent bien haut républicains ; ils ne jurèrent que par la République : c'était son salut, à les entendre, qu'ils voulaient assurer, en exterminant les Terroristes. Mais par Terroristes, que fallait-il comprendre ? Ainsi que Chénier fut amené plus tard à en faire la remarque, dans les révolutions longues et profondes, les mots qui désignent des partis deviennent des cadres merveilleux de vengeance et de proscription, de sorte qu'on créa le nom de Terroristes, comme on avait créé, deux ans auparavant, les noms de Modérés, de Fédéralistes, de Girondins[4]. Et ce cadre une fois trouvé, la réaction royaliste, à mesure qu'elle se développait, y fit entrer, pêle-mêle avec ceux qui avaient dressé la guillotine, tous ceux qui avaient aimé la Révolution. Alors retentirent des plaintes amères où perçait l'accent de l'effroi. Legendre, avec sa véhémence ordinaire, dénonça la tactique perfide qui, dans l'accusation de Terrorisme, tendait à envelopper tout républicain[5]. Chénier montra cette accusation meurtrière atteignant jusqu'aux vaincus du 31 mai[6]. Goupilleau (de Montaigu) vint raconter, du haut de la Tribune, que, dans le Midi, le patriote Redon, un des juges de Carrier, ayant rencontré une bande d'assassins, ceux-ci lui dirent : Tu n'es point un Terroriste, tu n'es point un dilapidateur, mais tu es un républicain, et nous n'en voulons pas. Sur quoi, ils l'égorgèrent[7].

Lamentations vaines ! les républicains qui avaient trempé dans le 9 thermidor s'apercevaient trop tard que le monstre déchaîné par eux-mêmes menaçait de les dévorer. Et Goupilleau (de Montaigu) condamnait d'une manière bien terrible son propre aveuglement, lorsque, dans la séance du 16 messidor an III (4 juillet 1795), il s'écriait, le cœur navré : Le chef des assassins dans le Midi est un homme qui porte le deuil du petit Capet[8].

Ce qu'il importe aussi de remarquer, c'est que le désir de venger un père, un frère ou un ami, moissonnés par la Terreur rouge, ne fut pas en général le mobile de la Terreur blanche. Ce désir, sincère de la part de quelques-uns seulement, ne fut, de la part du plus grand nombre des assassins, qu'un prétexte menteur à l'usage de leur politique de sang. L'énorme disproportion qui existe entre le chiffre des massacreurs et celui des hommes qui avaient la mort d'un des leurs à déplorer, est à cet égard une preuve décisive. La vérité est que les massacreurs voulaient en finir avec les républicains, comme Catherine de Médicis en avait fini avec les calvinistes. Ils s'étaient fait une théorie : la théorie de l'extermination : Tu n'es pas un Terroriste, tu n'es pas un dilapidateur, mais tu es un républicain, et nous n'en voulons pas. Fréron, que sa seconde mission dans le Midi et la redoutable enquête à laquelle il se livra, mirent en état de bien connaître les choses, dit expressément : Il est faux que ces massacres puissent être attribués aux premiers mais rapides élans de la vengeance : ce fut une Saint-Barthélemy systématique organisée contre les républicains[9].

Le but de la contre-révolution ainsi déterminé, elle y marcha par l'établissement et la mise en action de compagnies d'assassins, qui prirent le nom de Compagnies de Jésus et Compagnies du Soleil.

Un auteur du temps écrit à ce sujet : On ne sait trop ce que signifient ces dénominations. Probablement, la première fut imaginée par de pieux fanatiques. La seconde signifiait sans doute que c'était en plein jour, en plein soleil, qu'on se vengeait[10].

Si ce fut là effectivement ce que les assassins prétendirent exprimer, la première dénomination était singulièrement blasphématoire, et la seconde bien peu justifiée ; car, comme la suite de ce récit le prouvera, les Enfants du Soleil se plaisaient fort à frapper pendant la nuit, avec un masque sur le visage, et par derrière.

Suivant Charles Nodier, c'est par erreur qu'on s'est accoutumé à désigner ces bandes infâmes sous le nom de Compagnies de Jésus. Le nom sacramentel, dit-il, était Compagnons de Jéhu, et bien approprié à leur cruel ministère, Jéhu étant, comme on sait, un roi d'Israël qui avait été sacré par Élisée, sous la condition de punir les crimes de la maison d'Achab et de Jézabel, et de mettre à mort tous les prêtres de Baal[11].

Quoi qu'il en soit, cette armée, ajoute le même écrivain, était organisée avec beaucoup de puissance ; elle avait sa hiérarchie, ses cadres, ses statuts, sa discipline, ses volontaires, ses mercenaires, ses enfants perdus[12].

Ce fut à Lyon que commencèrent les barbaries[13]. Là, les Compagnons du Soleil avaient pris, pour se distinguer, la ganse blanche au chapeau ; elle leur tenait lieu de cocarde[14], en attendant que l'heure vînt d'arborer ouvertement les insignes du royalisme.

Dès le 13 floréal (3 mai), on écrivait, de Lyon, au Moniteur[15] : Aujourd'hui, tout républicain passe pour Terroriste, et sa vie est en danger. Des républicains ont été assassinés. L'état-major de Précy est refait ; nul n'y est admis qu'il n'ait porté les armes pendant la révolte de Lyon. Les émigrés arrivent en foule dans la ville.

De son côté, le représentant en mission, Boisset, mandait aux Comités, dans une lettre datée du 5 floréal (24 avril), que Lyon était en proie à une fermentation terrible ; que des groupes menaçants se formaient autour des prisons[16]...

Mais ce que Boisset ne disait pas, c'est que déjà l'assassinat planait sur toute la ville. On se demande avec étonnement et horreur comment les choses qui se passèrent alors furent possibles. On vit des hommes, un pistolet à la main, courir sus dans la rue à d'autres hommes, et les tuer à bout portant. On vit des femmes égorgées sur le seuil de leurs portes. On vit les sicaires monter chez ceux qu'ils voulaient immoler, les faire sortir devant eux comme pour les mener à la Maison commune et les assommer par derrière[17]. Les cadavres étaient attachés à la première charrette qui passait, et l'on allait les jeter dans le Rhône, en disant, de chaque corps qui tombait : C'est un Mathevon de moins[18].

Et les autorités locales, de concert avec les représentants en mission, laissaient faire, tant elles craignaient peu que les dominateurs du jour, les meneurs actuels de la Convention, leur demandassent compte de cette abominable et lâche tolérance !

Elle eut tous les fruits qu'on en devait attendre. Les meurtres successifs qu'ils commettaient impunément par toute la ville ayant donné soif aux Compagnons du Soleil, ils résolurent de procéder à un massacre général des prisonniers républicains et d'avoir, eux aussi, leurs journées de septembre. Cette fois, on n'annonçait pas l'arrivée des Prussiens à Verdun ; nul danger public et pressant n'était là pour enfiévrer les âmes ; non : le massacre, cette fois, fut décidé comme on décide une partie de plaisir, et ce fut au spectacle qu'on en donna le signal, dans la soirée du 16 floréal (5 mai)[19]. Divisés en trois détachements, les lueurs courent aux maisons d'arrêt des Récluses, de Saint-Joseph et de Roanne, enfoncent les portes, et égorgent quatre-vingt-six prisonniers, parmi lesquels six femmes[20]. Le feu ayant été mis à la prison, pour couper court à la résistance désespérée des victimes, une mère, tenant son enfant dans ses bras, se précipita du haut d'une tour dans les flammes[21].

Les assassins furent traduits pour la forme devant le tribunal de Roanne, et acquittés ! Ils rentrèrent à Lyon en triomphe. Des femmes, accourues au-devant d'eux, jetèrent des fleurs sur leur passage. Le soir, au spectacle, on les couronna[22] !

Voici quel fut, tracé par lui-même, le rôle de Boisset dans ces affreuses circonstances : A sept heures et demie, le général de brigade César m'envoie un hussard pour m'avertir que toute la garnison se porte aux prisons, mais qu'elle sera insuffisante. Aussitôt je fais seller mon cheval, et, accompagné de mon secrétaire, je me transporte à la prison. Les victimes désignées n'étaient déjà plus[23].

Odieuse est la lettre où ce représentant de la faction dominatrice rend ainsi compte du succès de sa vigilance. Après avoir fait observer que les massacreurs — qu'il appelle le peuple — ont été égarés par la vengeance, et avoir insisté sur ce qu'ils criaient : Vive la Convention ! il attribue tout le mal à l'audace des partisans du système de la Terreur. — Si vous ne prenez, dit-il, des mesures générales pour punir les oppresseurs — et dans quel camp se trouvaient-ils donc alors ? — ; si vous ne vous occupez de ceux qui furent opprimés, il naîtra des maux incalculables[24] ; en d'autres termes, si vous ne mettez pas les révolutionnaires légalement en coupe réglée, ce sera besogne d'assassins.

Le rapport que Mathieu présenta sur ces horreurs, au nom du Comité de sûreté générale, n'est pas moins caractéristique. Tout en blâmant les vengeances particulières, Mathieu en rejeta la responsabilité sur l'action des tribunaux, trop chancelante et timide, et sur ce qu'on avait fait la guerre plutôt au Terrorisme qu'au Terroriste[25].

D'où la conséquence, probablement, qu'il était tout simple d'abandonner au premier venu le soin de faire la guerre au Terroriste !

Inutile de dire que, bien souvent, pour le débiteur, le Terroriste fut son créancier ; que, bien souvent, pour l'amant d'une femme, le Terroriste fut le rival dont son cœur avait juré la perte. Faire la guerre au Terroriste devint le prétexte suprême dont se couvrit la haine de tous les hypocrites et la fureur de tous les lâches. Malheur à qui se trouvait porter un nom semblable à celui d'un révolutionnaire ! Une erreur à cet égard pouvait lui coûter la vie. Malheur à qui se trouvait ressembler à tel Jacobin connu ! Cette ressemblance pouvait amener une méprise : et cette méprise, un coup de poignard[26].

Il est à remarquer que, sur les bancs de la majorité thermidorienne, qui, en germinal, cria si douloureusement : Ah ! Dieu ! en apprenant qu'Auguis avait été blessé, pas une marque de douleur ou d'indignation ne fut provoquée par le récit du massacre des prisons à Lyon. Du moins, le Moniteur ne consigne rien de semblable dans le compte rendu de la séance.

Gonchon fut envoyé à Lyon par le Comité de sûreté générale, avec mission de lui donner sur la situation de cette ville des renseignements secrets et précis. Peu de temps après, il écrivait au Comité :

Un homme, au spectacle de Saint-Clair, m'a dit : Bientôt nous aurons la paix, parce que la Convention va remettre sur le trône le petit Capet, et, si elle tarde, les Lyonnais se prononceront. Un autre m'a dit : Nous ne tarderons pas à proclamer le petit Capet roi de France. Ainsi, Lyon deviendra la capitale du royaume. — La Compagnie de Jésus, à Lyon, est composée d'environ trois cents sicaires, qui parlent d'assassiner même des hommes comme Lanjuinais, parce qu'ils sont républicains. Il ne faut pas qu'il en reste un seul, disent-ils. — Les femmes riches excitent les jeunes gens à ces affreux exploits, et les dévotes citent, pour les justifier, des passages de l'Écriture : Tuez les vieillards, l'homme, l'enfant à la mamelle, la brebis, le chameau et l'âne. Les ouvriers républicains souffrent infiniment de ces horreurs. — Le jour de la fête du 29 mai, une femme de soixante-dix ans, ayant dit que les muscadins avaient bonne tournure, et tenu quelques autres propos semblables, six jeunes gens la prirent par le bras, la conduisirent au bout du pont de la Boucherie des Terreaux ; là, ils lui brûlèrent la cervelle, et la jetèrent dans la Saône, sans que personne osât s'y opposer. Il était cinq heures du soir[27].

 

Gonchon lui-même n'échappa à la mort que par miracle. Se trouvant un jour chez un limonadier nommé Peaufin, il est désigné comme appartenant au parti de la République, et aussitôt on lui signifie son arrêt. Lui, se tournant vers son enfant, qu'il avait amené, et lui mettant un mouchoir dans la main : Mon fils, lui dit-il, on va tuer ton père. Ramasse bien avec ce mouchoir son sang qui va couler ; puis, prie ton oncle de le conduire à la Convention, à laquelle tu montreras le sang de Gonchon, assassiné par les Lyonnais, pour les avoir défendus avec courage. Et, en effet, lors du siège de Lyon, il avait parlé contre les mesures violentes prises à l'égard des rebelles, ce qui lui valut alors quatorze mois de prison. Cette circonstance, rappelée d'une manière si touchante, le sauva pour le moment. Mais il y avait parti pris de le tuer, et c'en était fait de lui, s'il ne fût parvenu à s'échapper de Lyon[28].

A ces nouvelles, les meneurs de la faction thermidorienne s'émurent. Le mouvement rétrograde par eux imprimé au char de la Révolution menaçait de tout écraser ; et ils se trouvaient dans la position de ce cocher dont parle Mercier[29], qui ayant passé sur la jambe d'un malheureux, recula, et lui passa sur le corps, lorsqu'on eut crié de tous côtés : Arrête !

Cinq jours avant le massacre des prisonniers de Roanne, c'est-à-dire le 11 floréal an III (50 avril 1795), Marie-Joseph Chénier avait présenté, et cela au nom des Comités réunis, le tableau suivant de la situation de la République, telle que l'avait faite le 9 thermidor :

Comme il est dans la nature des choses que tout excès mène à un excès contraire, il est arrivé que l'espoir des vieux ennemis de la Révolution s'est réveillé en voyant tomber plusieurs de ses partisans qui s'étaient rendus coupables ; il est arrivé que la mollesse et l'inertie ont remplacé insensiblement cette force démesurée et despotique qui caractérisait le gouvernement décemviral ; il est arrivé aussi que les autorités constituées, déconcertées par les clameurs que l'on voudrait faire confondre avec l'opinion publique, ont craint d'être punies pour faire exécuter vos lois et même vos lois les plus récentes ; que les tribunaux, paralysés, ne se sont pas senti la vigueur nécessaire pour rendre la justice, et que l'anarchie, avide de trouble et repoussant toute police, a succédé au pouvoir arbitraire. A quoi bon se le dissimuler, représentants ? vos ennemis existent, ils sont nombreux, ils lèvent audacieusement la tête. Vos lâches, vos implacables adversaires, ces émigrés, qui ont traîné de cour en cour, de ville en ville, la fureur, l'ignominie et le scandale, les émigrés, vous dis-je, ne cachent plus leur coupable espoir ; ils se flattent que tout va changer ; ils annoncent leur prochain retour en France ; ils assurent que leurs amis sont puissants dans la République... On nous écrit de Suisse que des émigrés célèbres, dont le nom ne doit pas être prononcé à cette tribune, ont osé rentrer sur le territoire français. Les religions sont du domaine de la conscience ; mais lorsque une opinion religieuse devient un prétexte pour violer la loi, ce n'est pas l'opinion religieuse que le législateur doit punir, c'est la loi violée qu'il doit venger. Eh bien, de toutes les frontières, des hommes déportés pour n'avoir pas voulu se soumettre aux décrets rendus par l'Assemblée constituante, pour avoir refusé de faire partie du corps social, rentrent aujourd'hui sur le territoire français, ils se répandent dans les villes, mais surtout dans les campagnes, où la faiblesse crédule est sans défense contre la séduction ; ils abusent de leur influence sur les âmes faibles ; ils jettent la terreur dans les consciences ; et, par un moyen d'autant plus puissant qu'il est secret, ils soulèvent contre la Convention nationale tous les préjugés, toutes les passions, tous les mécontentements, qu'ils prennent soin d'irriter. Ce ne sont plus des hommes ordinaires, ce sont des apôtres persécutés, ce sont des martyrs de la religion de nos pères. Cependant, eux-mêmes persécutent ceux d'entre les prêtres catholiques qui ont lié leur sort aux destinées de la Révolution ; et, en même temps, ils prêchent la révolte, ils provoquent ouvertement à la royauté[30].

 

Chénier montrait ensuite l'anarchie partout transformée en moyen de royalisme ; le désarmement qui avait été ordonné contre les agents de la Terreur étendu à des patriotes courageux et purs ; l'esprit de vengeance déchaîné ; la liberté combattue à outrance par une coalition de journalistes ; le président de la Convention assailli de lettres anonymes, infectées de venin et noires d'injures ; les départements du Dauphiné et de la Bretagne inondés de manifestes séditieux, et le département du Rhône abandonné à une dictature d'assassins[31].

Voilà en quels termes, les Thermidoriens, le 11 floréal an III (30 avril 1795), décrivaient eux-mêmes, par l'organe de Chénier, l'état déplorable où leur domination avait cond uit la République.

Comme remède au mal, il fut décrété, sur la proposition de l'orateur des Comités, que tout émigré trouvé sur le territoire de la République serait traduit devant les tribunaux et jugé suivant la loi. Devait être frappé de la même peine que les émigrés, quiconque, ayant été déporté, serait rentré en France ; et cette disposition comminatoire fut, sur la proposition de la Réveillère-Lépeaux, étendue aux prêtres condamnés à la déportation, malgré l'observation de Merlin (de Douai) qu'il fallait prendre garde d'exciter une nouvelle Vendée[32].

Ces mesures intimidèrent-elles les royalistes ? C'est ce dont on peut juger par ce fait, que le massacre des prisonniers de Roanne eut lieu cinq jours après le rapport de Chénier et le décret qui en fut la suite.

Encore si les massacreurs avaient daigné déguiser leurs projets ultérieurs ! Mais non : comme on l'a vu par la lettre de Gonchon, ils se vantaient bien haut de marcher à l'extermination de tous les républicains, y compris Lanjuinais.

Jusqu'où ne porteraient pas l'audace de leurs fureurs, des hommes capables de viser Lanjuinais à la tête ? Les Thermidoriens commencèrent à trembler pour eux-mêmes ; et la Convention, qu'ils dominaient en ce moment, décréta, sur un second rapport de Chénier, que les pouvoirs de tous les corps administratifs séant dans la commune de Lyon seraient suspendus ; que le maire, le substitut de l'agent national de la Commune, et l'accusateur public du tribunal criminel se rendraient sans délai à la barre de la Convention pour y rendre compte de leur conduite ; que l'état-major de la garde nationale serait cassé ; enfin, que les auteurs du massacre commis à Lyon, et les membres de la compagnie d'assassins, dite Compagnie de Jésus, seraient livrés dans les vingt-quatre heures, pour être jugés par le tribunal criminel de l'Isère[33].

En même temps, le journal du Bonhomme Richard, organe du parti dominant, s'écriait : Bons citoyens des départements, imitez, imitez au plus tôt les Parisiens. Ecrasez l'hydre nouveau qui vient de naître, et dont la tête est à Lyon, la queue chez les Chouans[34].

Quand la balle est une fois lancée, s'imaginer qu'on la rappellera suivant son caprice est folie. Les Thermidoriens, en croyant qu'ils pourraient arrêter la réaction juste au point qui convenait à leur politique, avaient commis une erreur dont les royalistes prirent soin de leur démontrer l'étendue. Les décrets destinés à punir l'assassinat ou à le prévenir allant contre un torrent dont le lit avait été creusé par ceux-là mêmes qui les rendaient, n'empêchèrent rien, ne punirent rien, et, n'intimidant personne, ne protégèrent personne. A Paris et dans le Nord, les assassins furent tenus en respect, parce que, à Paris et dans le Nord, la Révolution n'était pas encore entièrement désarmée ; mais tout le Midi fut livré aux poignards. Malheur à ceux qui, dans la Révolution, avaient joué un rôle quelconque, ou seulement fait acte d'adhésion aux principes qu'elle avait proclamés ! Quelque bornée qu'eût été leur influence, quelque inoffensive qu'eût été leur conduite, quelque obscure que fût leur condition, une mort tragique les attendait ; car on ne les tuait point uniquement pour ce qu'ils avaient fait, on les tuait pour ce qu'ils avaient été, ou étaient, ou étaient soupçonnés d'être. Dresser la liste des victimes eût été impossible : Prudhomme, dans son funèbre livre, et Fréron, dans son Mémoire sur les massacres du Midi, n'ont pu enregistrer qu'un certain nombre de faits, ils n'ont pu recueillir qu'un certain nombre de noms ; et néanmoins cette nomenclature, tout incomplète qu'elle est, fait frémir. Ici, ce sont des adolescents, presque des enfants, qui périssent hachés à coups de sabre ou percés de coups de baïonnette ; là, ce sont des femmes qu'on égorge de sang-froid. Des hommes désignés comme Jacobins sont-ils arrêtés, on épie le moment où ils seront conduits à la prison et on les massacre en chemin. Des cadavres trouvés çà et là le long de toutes les routes, attestent dans ces malheureuses contrées, l'ubiquité de l'assassinat[35].

Les prisons du moins servirent-elles de refuge aux victimes ? Non : l'aimant n'attire pas le fer avec plus de force, que les prisons n'attiraient les meurtriers ; et l'aspect de ces tragédies était encore plus sinistre dans les cachots, où, à l'exception du geôlier consterné, l'action se passait entre Marius et le Cimbre. L'assassin s'arrêtait quelque temps sur le seuil pour exercer son regard à l'obscurité du souterrain ; il le promenait ensuite avec une cruelle activité dans tous les recoins, jusqu'à ce qu'il eût à demi discerné sur une poignée de paille quelque chose de vivant qui palpitait d'épouvante. Alors le tigre bondissait, et l'on n'entendait plus qu'un gémissement. Un aubergiste de Saint-Amour, nommé Tabé, gémissait malade sur un mauvais pliant dans un des angles les plus retirés de la prison, protégé par les ténèbres où on l'avait caché. La troupe s'éloignait. Tout à coup la rumeur reflue vers son lit, car ils avaient oublié quelque chose. Tabé ! Tabé ! crient des voix furieuses. Une balle part et lui fracasse le bras. Il se relève en s'appuyant de l'autre bras, et montrant sa poitrine : C'est ici qu'il faut frapper, dit-il. Cette fois, on eut l'humanité de le tuer à bout portant ![36]

Et il ne faut pas croire que le seul crime des hommes qui représentaient alors dans les provinces l'esprit du parti vainqueur et en exerçaient le pouvoir, fût de s'abstenir : à la tête de cette réaction de forcenés, on trouve, l'encourageant et la dirigeant, les Commissaires mêmes de la Convention, telle que le 9 thermidor l'avait faite, c'est-à-dire le féroce Cadroy ; l'ex-girondin Isnard, dont l'exaltation avait redoublé d'intensité en changeant d'objet, et Chambon, qui le 21 floréal (10 mai) écrivait à la Convention : Combien je gémis de la lenteur des formes !Ces longueurs irritent les meilleurs esprits. Frappez donc un coup général[37].

Chambon n'eut pas longtemps à gémir de la lenteur des formes : le jour où il s'exprimait ainsi, les Compagnons du Soleil se chargeaient d'en finir, à Aix, avec l'action trop lente des tribunaux, et de frapper le coup général après lequel il soupirait.

Ce même jour, en effet, il partit de Marseille, où Chambon, de concert avec Isnard et Cadroy, exerçait l'autorité de représentant du peuple en mission, une bande de sicaires annonçant bien haut leur résolution d'aller purger la prison d'Aix, remplie de Jacobins — qu'on allait juger, il est vrai, mais dont la condamnation n'était pas certaine. C'était le 21 floréal que le tribunal d'Aix devait prononcer ; il était possible que quelques-uns des accusés fussent reconnus innocents : or, les Compagnons ou Enfants du Soleil ne voulaient rien perdre de leur proie. Marseille est à cinq lieues d'Aix seulement, et il y avait de la cavalerie à Marseille. Les assassins étant partis en plein jour et faisant la route à pied, il eût été facile de prévenir l'exécution de leur affreux dessein. Aucun ordre cependant ne fut donné à cet effet, la lenteur des formes ne répugnant pas moins sans doute à Isnard et à Cadroy qu'à Chambon, de sorte que les sicaires arrivèrent à Aix, sans qu'on eût fait la moindre tentative pour les arrêter[38].

La nuit descendait, en ce moment, sur la ville. Un membre de la municipalité reçoit avis qu'on a vu paraître dans la Commune un grand nombre d'hommes armés, et que leur projet est d'attaquer, le lendemain, les détenus qu'on va juger, au moment où on les conduira de la maison de justice au tribunal. Aussitôt, la Commission municipale est convoquée extraordinairement, et il est décidé qu'on emploiera, pour la sûreté des détenus, toute la force disponible[39]. Mais, comme cette force était insuffisante, la municipalité aurait dû faire immédiatement ce qu'elle ne fit que le lendemain, — il n'était plus temps alors, — c'est-à-dire dépêcher un courrier extraordinaire à Marseille pour demander du renfort aux représentants.

Le lendemain, en effet, 22 floréal, tout ce que la troupe de ligne, forte seulement de trois cents hommes, put faire, ce fut de protéger les détenus dans leur trajet de la prison au tribunal et du tribunal à la prison. A. quatre heures, la cloche du beffroi retentit : c'est l'annonce d'un massacre. Les assassins s'étaient emparés de deux pièces de canon, les avaient braquées contre la maison de justice, avaient enfoncé les portes, et massacré vingt-neuf prisonniers[40]. Ils mirent ensuite le feu à la prison[41], et l'on eut quelque peine à éteindre l'incendie.

A ce premier égorgement, en succéda, peu de temps après, un second, dans lequel deux femmes périrent. L'une d'elles, quand les assassins parurent, allaitait son enfant âgé de quatre mois. On le lui arrache ; elle, on l'étend morte d'un coup de pistolet, et, tandis que l'enfant est foulé aux pieds, les misérables coupent le corps de la mère en morceaux[42]. Quarante-quatre détenus, ce jour-là, perdirent la vie. Un prisonnier s'étant avisé de crier : Je ne suis pas un Jacobin, je suis un marchand de faux assignats, les assassins l'épargnèrent. Ce n'était qu'un voleur !

Ce massacre, que Chambon, dans une proclamation représenta comme l'effet d'une trop excusable impatience[43], n'était que le prélude du sort préparé par les Compagnons du Soleil aux détenus du fort Saint-Jean, à Marseille.

Le commandement du fort avait été confié à un certain Pagès, contre-révolutionnaire impitoyable, qu'excitait Manoly, son secrétaire, encore plus méchant que lui[44]. Ces deux hommes entretenaient avec les Compagnons du Soleil des relations qui permettaient à ceux-ci de s'introduire dans le fort ; et ils en profitaient pour faire savourer aux détenus toute l'horreur de leur mort prochaine, mêlant aux insultes dont ils les accablaient les plus hideuses menaces, rappelant ce qui s'était passé dans les prisons de Lyon, dans celle d'Aix, et jurant que celle de Marseille aurait son tour[45]. Nous les entendions se dire entre eux, lorsque nous passions : Je me réserve celui-là pour le jour du travail[46].

Pendant ce temps, au lazaret de Marseille, on préparait des fosses avec de la chaux vive. Là devaient être ensevelis, et là furent ensevelis en effet, les détenus qu'on se disposait à égorger[47].

Un imprudent effort tenté pour empêcher cette boucherie, annoncée d'avance avec une affectation si barbare, fut précisément ce qui en fournit l'occasion.

Depuis que les royalistes avaient été chassés de Toulon dans les rangs des Anglais, auxquels, comme on l'a vu, ils avaient livré cette ville, l'esprit de la Révolution s'y était maintenu, surtout parmi les ouvriers de l'arsenal. Le bruit répandu parmi ces derniers que la vie des républicains enfermés au fort Saint-Jean à Marseille était menacée, produisit à Toulon une fermentation terrible. Dans ces entrefaites, des hommes sont surpris et arrêtés, sur lesquels on trouve des morceaux de papier figurant une cocarde blanche et portant ces mots : Vive Louis XVII ! A cette vue, le peuple s'anime. Le nombre des personnes arrêtées pour avoir adopté les insignes du royalisme est bientôt porté par la rumeur publique, qui grossit tout, de sept à quatre cents[48]. On parle d'émigrés qui rentrent en foule, des vengeances que s'apprête à exercer la réaction victorieuse, de celles par où s'est révélée déjà sa sinistre puissance, des patriotes qui gémissent au fond des cachots, et des poignards qu'autour d'eux on aiguise. Ceci se passait à Toulon la veille même du 1er prairial (20 mai), date célèbre par le suprême effort que fit, à Paris, la Révolution expirante. Les deux mouvements étaient-ils concertés ? On a pu d'autant mieux le supposer, que le représentant du peuple, Charbonnier, membre de la Montagne, et qui se trouvait alors à Toulon, fut compromis dans la levée de boucliers des ouvriers toulonnais, ainsi que trois autres Commissaires de la Convention, Escudier, Ricord et Salicetti ; mais on verra, quand nous en serons à l'insurrection parisienne de prairial, tout ce que cette insurrection eut de spontané, de la part des faubourgs.

Le mot d'ordre du soulèvement à Paris fut : du pain et la Constitution de 1793 ; le mot d'ordre du soulèvement à Toulon fut : Mise en liberté des patriotes opprimés. Ce fut en poussant ce cri, que les ouvriers toulonnais coururent à l'arsenal, s'en emparèrent ; et ce fut là ce qu'ils allèrent sommer les représentants Nion et Brunel d'ordonner sur-le-champ. Le premier, qui était sur l'escadre et l'avait quittée au premier bruit de la révolte, parvint à la regagner, après avoir cédé à la clameur populaire. Le second, désespéré de n'avoir pu rien empêcher, rentra chez lui décidé à mourir, et se brûla la cervelle[49]. Dans une lettre du représentant Chiappe à la Convention, il est dit que le but des révoltés était de rétablir la Montagne ; qu'ils voulaient marcher sur Marseille, puis sur Paris ; qu'ils espéraient constituer, avant de sortir du Midi, une force de vingt-cinq mille hommes, et qu'ils regardaient comme devant s'immortaliser quiconque se mettrait à leur tête. Ce fut le langage qu'ils tinrent à Chiappe lui-même, sans réussir à l'entraîner, et sans que sa résistance lui fût fatale ; car il put sortir de Toulon, suivi de quatre compagnons de voyage seulement, et le sabre à la main[50].

Cependant, la nouvelle des troubles de Toulon arrive à Marseille, et l'on ne tarde pas à y apprendre que les ouvriers toulonnais s'avancent pour venir délivrer les détenus du fort Saint-Jean. Tel était effectivement leur dessein, et déjà ils étaient en route. Aussitôt, comme si Marseille était à la veille de périr, Chambon, par des proclamations ardentes, appelle tous les habitants à concourir à la défense commune[51], tandis que Cadroy et Isnard écrivent à la Convention, d'un ton de triomphe : La dernière heure du Terrorisme va sonner dans le Midi[52].

Pour mieux enflammer les esprits, Isnard, à Aix, monte sur le balcon de l'auberge située à l'entrée du Cours, et crie à la foule rassemblée : Braves amis, vous manquez d'armes. Fouillez dans cette terre qui ensevelit les victimes de la Terreur ; armez-vous des ossements de vos pères, et marchons contre leurs bourreaux[53].

Ceux auxquels Isnard s'adressait ainsi étaient si peu embarrassés pour avoir des armes, que, selon l'aveu d'Isnard lui-même, deux bataillons de douze cents hommes, armés, équipés, et munis de quatre pièces de canon, étaient en marche quelques heures après[54].

Quant aux ouvriers toulonnais, leur prétendue armée consistait en une cohue d'hommes presque nus, marchant à pied, tumultuairement et sans chefs[55].

Les forces qui leur étaient opposées, au contraire, conduites par le général Pactod et l'adjudant Charton, constituaient une armée régulière, composée d'infanterie et de cavalerie[56].

A peine en route, l'avant-garde du général Pactod rencontra quatre-vingts matelots, déserteurs des vaisseaux de guerre, à moitié vêtus, sans armes, n'ayant pas même un bâton à la main[57]. L'occasion parut heureuse pour publier le bulletin d'une première victoire remportée sur le Terrorisme. On arrêta ces malheureux, et leur bande était si redoutable, qu'elle fut emmenée prisonnière par six hussards[58] !

Les ouvriers toulonnais avançaient toujours. Instruits qu'on dirigeait contre eux une véritable armée, ils députent aux proconsuls de la réaction un chirurgien de l'hôpital de la marine, nommé Briançon, pour s'enquérir des motifs d'un déploiement de forces si considérable, et offrir, après explication, de mettre bas les armes. La réponse fut : Qu'on fusille cet homme ; et le parlementaire fut sur-le-champ fusillé[59].

Ce fut au Beausset, village situé à cinq lieues de Marseille, qu'eut lieu la boucherie que, dans leur lettre du 11 prairial (30 mai) à la Convention, Guérin, Isnard, Chambon et Cadroy représentèrent comme une bataille gagnée. Ils prétendirent qu'on s'était battu pendant cinq heures, et ils ajoutèrent, par mégarde sans doute, rien n'étant plus propre à montrer de quelle nature avait été ce combat : Quarante ou cinquante hommes — du côté des ouvriers toulonnais — ont été tués. Le nombre des blessés a dû être considérable, l'ennemi ayant été chargé et sabré par la cavalerie pendant plus de trois heures[60]. Furent signalés comme les héros de cette journée les hussards du 1er régiment et les chasseurs du 25e.

La route était libre maintenant jusqu'à Toulon : Isnard, Cadroy et Chambon y firent leur entrée triomphale. Aussitôt, écrit Fréron, les échafauds se dressent ; l'épouvante glace tous les cœurs ; la marine se désorganise ; l'arsenal se dépeuple ; les équipages désertent et quatre mille cinq cents matelots abandonnent Toulon pour soustraire leurs têtes aux recherches de la Commission militaire[61].

Pendant ce temps, à Marseille, les partisans de la réaction se livraient aux transports d'une joie bruyante, affectant de se croire échappés aux plus affreux périls, et faisant retentir les rues de ce refrain, imité de la Caravane :

La victoire est à nous.

Cadroy, par son courage,

Nous a délivrés tous[62].

Loin de rien changer au parti-pris de massacrer en masse les détenus du fort Saint-Jean, ces événements précipitèrent la catastrophe.

Le lendemain même de la tuerie du Beausset, la garde du fort Saint-Jean fut changée, et le poste confié à des royalistes dont les fureurs, bien connues, garantissaient le zèle. N'était-ce pas là confier à Néron la garde de Britannicus ? s'écria, dans la séance du 27 vendémiaire an IV, l'orateur de la députation du Midi qui était venue dénoncer à la Convention cette circonstance sinistre, parmi tant d'autres prouvant toutes la préméditation du massacre[63].

Il est à remarquer que Cadroy, de retour à Marseille, y ayant annoncé publiquement qu'une Commission militaire avait été établie à Toulon, chacun s'attendait à l'entendre ajouter qu'on allait en établir une semblable à Marseille : le silence qu'il garda à cet égard étonna tout le monde, et plusieurs s'en émurent. Le grand prétexte dont se couvrait la férocité des Compagnons du Soleil étant que la justice des tribunaux ordinaires se faisait trop attendre, le meilleur moyen de leur fermer la bouche eût été, chose horrible à dire et qui peint l'époque ! de livrer les détenus à un tribunal d'exception. De cette façon, du moins, quelques-uns d'entre eux eussent pu échapper à la mort, en établissant leur innocence. Aussi était-ce là ce que désiraient ceux à qui le sort des prisonniers inspirait de la sollicitude, et c'est pourquoi ceux-là trouvèrent sinistres les réticences de Cadroy. Y avait-il donc dessein arrêté de se délivrer des détenus d'une façon plus sommaire encore que la justice sommaire ?. Il courait à ce sujet, depuis quelque temps, des rumeurs effrayantes. Gabriel, procureur-syndic du district de Marseille, écrivit à Cadroy qu'un tribunal militaire ayant été établi à Toulon, ce que lui-même, Cadroy, était venu publiquement annoncer, on s'étonnait qu'un tribunal pareil ne fût pas institué aussi à Marseille[64]. L'explication de ce mystère ne fut pas donnée par Cadroy ; mais les Compagnons du Soleil la donnèrent peu de jours après, et de quelle manière, grand Dieu !

En attendant, voici ce qui se passait à Tarascon.

Le 6 prairial (25 mai), deux ou trois cents hommes masqués[65], appartenant au parti des assassins, envahirent le fort où étaient les prisonniers. Rien ne s'opposait à ce qu'on les égorgeât ; mais ce procédé fut rejeté comme trop vulgaire et comme n'offrant pas aux assassins une jouissance assez raffinée. On résolut donc de jeter les victimes du haut de la tour du château, qui est bâti sur le roc, au bord du Rhône. Des chaises, que vinrent occuper des émigrés rentrés, des dévotes, des prêtres, avaient été placées sur la chaussée qui va de Tarascon à Beaucaire[66] : le spectacle commença. Du sommet d'une tour qui n'a pas moins de deux cents pieds, les prisonniers étaient précipités un à un ; et, à mesure que les corps, tombant sur les pointes aiguës du rocher, s'y déchiraient, des applaudissements sauvages retentissaient tout le long de la chaussée[67]. Pour comble d'infamie, on avait attaché à chaque cadavre une étiquette en bois tenue par un poignard, étiquette qui portait ces mots : Il est défendu d'ensevelir sous peine de la vie. La menace porta ses fruits : sur les bords du Rhône, les chiens se nourrirent de lambeaux de chair humaine[68].

Une pièce effroyablement caractéristique de l'esprit qui animait les autorités locales sous le régime thermidorien, c'est le procès-verbal qui constate la disparition des prisonniers de Tarascon. Dans le style de la municipalité, le drame d'anthropophages qui vient d'être rappelé est un fâcheux événement ; les autorités de l'endroit font remarquer que tout s'est borné à la perte de vingt-quatre prisonniers, et représentent cette accumulation d'horreurs comme le résultat de l'indignation causée par la nouvelle de la révolte de Toulon ![69]

D'après cela, on pouvait s'attendre à une répétition des mêmes scènes : peu de temps après, dans les premiers jours de thermidor, les administrateurs sont avertis que vingt-trois personnes, dont deux femmes, manquent dans la prison du fort d'Eyragues : ils s'y rendent. Les prisonniers manquaient en effet, et les administrateurs déclarèrent dans leur procès-verbal qu'ils avaient reconnu le chemin que les absents avaient pris... à la trace de leur sang[70]. Un trait qui mérite de n'être pas oublié, c'est qu'à la suite de la tragédie du 6 prairial à Tarascon, les assassins se mirent à parcourir la ville, en faisant la farandole[71].

Revenons maintenant à Marseille.

Dès le 1er prairial (19 mai), les prisonniers du fort Saint-Jean étaient au pain et à l'eau. Cela n'avait été imaginé, écrit Fréron, que pour épuiser leurs forces et avoir meilleur marché d'eux au moment de l'attaque[72]. Ce qui est certain, c'est que le 17 prairial (5 juin), Gérard, chirurgien-major des hôpitaux militaires à Marseille, ayant demandé au commandant Pagès des vivres pour un prisonnier malade, la réponse fut : Il m'est expressément défendu par un arrêté du représentant du peuple, de laisser passer des vivres aux prisonniers[73].

En même temps, on les soumettait à toutes sortes de traitements cruels. On leur enleva leurs pliants et jusqu'aux cordes de leurs matelas ; on les enferma dans des cachots infects, remplis d'araignées, de scorpions et de cloportes ; on leur enleva leurs couteaux et leurs ciseaux, mesure, leur dit-on, qui avait pour but de les empêcher d'attenter à leurs jours, dans un moment de désespoir occasionné par quelque événement qui pouvait arriver[74].

Cet événement n'était que trop prévu : il éclata le 17 prairial (5 juin).

Ce jour-là même, une compagnie de grenadiers, commandée par Le Cesne, était arrivée à Marseille. Or, de la déposition que fit plus tard cet officier, il résulte qu'au lieu de loger ses grenadiers dans les environs du fort Saint-Jean, on prit soin de les éparpiller dans des quartiers et des maisons éloignés[75].

Depuis plusieurs jours, des rumeurs épouvantables couraient par la ville ; l'aubergiste Robin et les sicaires qui marchaient à sa suite laissaient paraître une joie farouche. Enfin, le 17 prairial, ils entrèrent dans le fort. Il était cinq heures du soir[76].

Vu l'impossibilité de former et de réunir sans bruit les soldats, dispersés chez les bourgeois, le commandant de la place proposait de faire battre la générale : Cadroy s'y opposa formellement[77]. Mais le commandant déclara que la place étant en état de siège, c'était lui qui était responsable, et, après de vifs débats, il donna ordre, malgré Cadroy, qu'on battît la générale[78].

Le duc de Montpensier et son frère se trouvaient au nombre des prisonniers du fort Saint-Jean, où ils avaient un appartement particulier. Voici en quels termes le premier raconte les scènes dont ils furent témoins :

Dix ou douze jeunes gens, assez bien habillés, mais les manches retroussées et le sabre à la main, entrèrent en portant l'adjoint — du commandant Pagès —, qu'ils déposèrent sur mon lit. Ensuite, nous adressant la parole : N'êtes-vous pas, nous dirent-ils, messieurs d'Orléans ? Et, sur notre réponse affirmative, ils nous assurèrent que loin de vouloir attenter à notre vie, ils la défendraient de tout leur pouvoir, si elle était en danger ; que l'acte de justice qu'ils allaient exercer contribuerait autant à notre sûreté qu'à la leur et à celle de tous les honnêtes gens ; puis, ils nous demandèrent de l'eau-de-vie, dont assurément ils ne paraissaient avoir aucun besoin. Nous n'en avions pas ; mais ils trouvèrent une bouteille d'anisette dont ils se versèrent dans des assiettes à soupe ; après quoi, ils sortirent, en nous recommandant d'avoir soin de l'adjoint… Il était pâle comme un mort, mais il n'était pas blessé ; on s'était empressé de le désarmer et l'effroi avait été la seule cause de son évanouissement. Revenu à lui, il voulut sortir pour tâcher, disait-il, de s'opposer à l'horrible scène qui allait se passer ; mais il trouva à la porte deux sentinelles posées par les massacreurs[79]...

 

Les assassins ne perdirent pas de temps. Nous entendîmes, continue le duc de Montpensier[80], parlant de lui et de son frère, nous entendîmes enfoncer à grands coups la porte d'un des cachots de la seconde cour ; et, bientôt après, des cris affreux, des gémissements déchirants et des hurlements de joie. Le sang se glaça dans nos veines ; nous gardâmes le silence le plus profond...

La boucherie, dans ce cachot, dura environ vingt minutes[81]. On avait eu soin, comme on l'a vu, d'ôter aux prisonniers jusqu'à leurs ciseaux, et on avait eu recours, pour les affaiblir, au jeûne et à toutes sortes de tortures systématiques : il n'était donc pas à craindre qu'ils pussent défendre leur vie ; les assassins n'eurent que la peine de les tuer. Sous les voûtes du fort Saint-Jean, faiblement éclairées par la lueur de quelques lampions, le sang ruissela. Un jeune homme était accouru de l'armée pour visiter son père captif : il fut poignardé entre les bras du vieillard expirant[82].

Nous entendîmes, raconte le duc de Montpensier[83], l'horrible troupe revenir dans la première cour, sur laquelle donnait une de nos fenêtres, et nous étant rapprochés par un mouvement machinal impossible à décrire, nous les vîmes qui s'efforçaient d'enfoncer la porte du cachot n° 1, placé précisément en face de notre fenêtre, et dans lequel il y avait une vingtaine de prisonniers. Ils en avaient déjà égorgé environ vingt-cinq dans l'autre cachot. Ceux du n°1, dont heureusement pour eux la porte s'ouvrait en dedans, se barricadèrent si bien, qu'après avoir travaillé inutilement pendant plus d'un quart d'heure à l'enfoncer, les massacreurs l'abandonnèrent, après avoir tiré quelques coups de pistolet à travers les barreaux, et avoir promis qu'ils reviendraient quand ils auraient expédié les autres.

Ce fut à six heures du soir seulement, que le commandant du fort se présenta au pont-levis. Le trouvant levé et ne pouvant parvenir à le faire baisser, il prend le parti d'escalader par le fossé, mais à peine est-il dans le fort, qu'on le désarme. On le conduisit dans l'appartement des princes d'Orléans. Il jurait, tempêtait, se mordait les poings, et reprochait à son adjoint l'effroi dont témoignait la pâleur de son visage. On entendait toujours les coups de pistolet, de sabre et de massue des égorgeurs[84].

A sept heures, on entendit le canon... Les assassins, chose épouvantable ! étaient en train de tirer à mitraille sur les prisonniers qui occupaient le cachot n° 9[85]. Et, comme la besogne n'allait pas encore assez vite au gré de leur féroce impatience, on les vit jeter des paquets de soufre enflammé par les soupiraux, tandis que d'autres allumaient de la paille mouillée à l'entrée des souterrains, où nombre de malheureux périrent étouffés dans des tourbillons de fumée[86].

Or, pendant ce temps, que faisaient les autorités ? que faisaient les représentants officiels de la réaction thermidorienne ? que faisait Cadroy ? Cadroy se promenait tranquillement dans les rues ; et, au moment même où grondait le canon, changé en instrument d'assassinat, lui se préparait à aller au-devant de ses collègues Chambon et Isnard, qui revenaient de Toulon[87].

De la joie qui rayonnait sur son visage quand il les aborda, il existe un témoignage irrécusable : l'aveu de Chambon lui-même. Notre collègue Cadroy, dit plus tard Chambon en pleine Convention nationale, était venu au-devant de nous. Sa gaieté franche au milieu de la satisfaction commune ne nous laissait aucun doute sur l'état satisfaisant de cette grande cité, tandis que, depuis quatre heures, on égorgeait au fort Saint-Jean[88].

Il était environ huit heures et demie du soir — le massacre avait commencé à cinq ! — lorsque ce cri retentit dans la première cour : Voici les représentants du peuple ! Ils paraissent en effet, ordonnent que le pont soit abaissé, et menacent de traiter en rebelles ceux qui désobéiraient. — Je me f... des représentants, répond un des massacreurs, et je brûle la cervelle au premier lâche qui fera mine de leur obéir. Allons, camarades, à la besogne ! Nous aurons bientôt fini. Cela dit, le misérable s'éloigne, suivi de ses affreux compagnons. Alors, les soldats de la garde baissent le pont, et les représentants du peuple entrent à la lueur des flambeaux, traînant après eux un grand nombre de hussards à pied et de grenadiers[89].

Selon le duc de Montpensier, qui, dans cette partie de son récit, parle de choses qu'il ne vit pas, puisqu'il était dans sa chambre, les représentants, dès qu'ils furent entrés dans le fort, crièrent aux assassins : Au nom de la loi, cessez cet horrible carnage ! cessez de vous livrer à ces vengeances odieuses ! A quoi plusieurs auraient répondu : Si la loi nous avait fait justice de ces scélérats, nous n'aurions pas été réduits à la nécessité de nous la faire nous-mêmes. Maintenant, le vin est tiré, il faut le boire. Et les représentants auraient alors ordonné l'arrestation de ces forcenés[90].

Mais cette version est formellement contredite par les déclarations que firent devant la justice les grenadiers qui accompagnaient les représentants, et qui parlent, eux, des choses qu'ils virent et entendirent.

Appelé comme témoin, Uris Bruno, volontaire au 1er bataillon de Loir-et-Cher, déposa en ces termes :

Les représentants et grenadiers s'arrêtèrent devant la cantine. La place était remplie de massacreurs qui égorgeaient. Cadroy leur dit : Qu'est-ce que ce bruit ? Est-ce que vous ne pouvez pas faire ce que vous faites, en silence ? Cessez ces coups de pistolet. Qu'est-ce que c'est que ces canons ? ça fait trop de bruit et met l'alarme dans la ville. Il entre ensuite dans la cantine, et, après en être sorti, il dit aux égorgeurs : Enfants du Soleil, je suis à votre tête. Je mourrai avec vous, s'il le faut. Mais, est-ce que vous n'avez pas eu assez de temps ? Cessez. Il y en a assez. Les égorgeurs l'entourèrent en criant, et alors il leur dit : Je m'en vais, faites votre ouvrages[91]. Divers grenadiers attestèrent avoir entendu Cadroy dire aux assassins : Lâches que vous êtes ! Vous n'avez pas encore fini de venger vos pères et vos parents. Vous avez eu cependant tout le temps qu'il fallait pour cela[92].

Dans la dénonciation des Marseillais contre Cadroy au Conseil des Cinq-Cents, séance du 17 frimaire an IV, on lit : Quand Cadroy feignit de reprocher aux assassins tant d'épouvantables homicides, pourquoi souffrit-il que les égorgeurs lui reprochassent en face de les avoir ordonnés ? Cadroy, qui était présent lorsque cette dénonciation fut lue à l'Assemblée, nia le fait ; et Isnard, dans le discours qu'il prononça pour défendre son collègue, prétendit n'avoir rien entendu de semblable. Mais ni l'un ni l'autre n'eurent rien à répondre à cette terrible interpellation de Bentabolle : Pourquoi les auteurs du massacre ne furent-ils pas poursuivis ? Pourquoi aucun d'eux ne fut-il arrêté ? Pourquoi les administrateurs complices de ces horreurs furent-ils laissés en place ?[93]

C'est peu : de la déposition du commandant Le Cesne, il résulte que lui et plusieurs de ses grenadiers ayant arrêté quelques-uns des assassins qu'ils prirent en flagrant délit, Cadroy les leur arracha des mains et les fit mettre en liberté[94].

Toutefois, l'indignation des soldats était si grande, qu'ayant cerné quatorze meurtriers, ils allaient en faire justice, lorsque le commandant Pactod, accourant, remarqua qu'il fallait que ces assassins fussent punis légalement, servissent d'exemple. Deux jours après, ils étaient élargis[95] !

Ce que le rapprochement et l'ensemble des témoignages établissent d'une manière décisive, surtout à l'égard de Cadroy, c'est que, dans ce drame épouvantable, le rôle des représentants officiels de la faction dominante fut celui d'hommes qui poussent au crime, en favorisent le résultat, n'osent en accepter la responsabilité sanglante, et en protègent les auteurs tout en affectant de les gourmander. La scène suivante, que le duc de Montpensier raconte — comme témoin oculaire, cette fois — a quelque chose de singulièrement caractéristique.

Les représentants ayant demandé où était le commandant du fort, on leur apprit qu'il était enfermé dans une chambre en haut et ils s'y firent conduire. Ces représentants étaient Isnard et Cadroy. En entrant dans notre chambre, ils demandèrent au commandant compte de sa conduite et ils parurent convaincus de l'impossibilité où il avait été de s'opposer à cette horrible scène ; puis, s'asseyant sur nos lits et se plaignant de l'excessive chaleur ils demandèrent à boire. On leur apporta du vin. Isnard le repoussa, en criant d'un ton tragique : C'est du sang ! On lui offrit ensuite de l'anisette, et il l'avala sur-le-champ. Cinq ou six massacreurs arrivèrent tout couverts de sang. Représentants, dirent-ils, laissez-nous achever notre besogne : cela sera bientôt fait, et vous vous en trouverez bien. — Misérables, vous nous faites horreur. — Nous n'avons fait que venger nos pères, nos frères, nos amis, et c'est vous-mêmes qui nous y avez excités. — Qu'on arrête ces scélérats, s'écrièrent les représentants. On en arrêta en effet quatorze, mais ils furent relâchés deux jours après[96].

Parmi les victimes, quelques-unes avaient des assignats et des bijoux : les égorgeurs, leur œuvre achevée, volèrent ceux qu'ils avaient tués, ayant avec grand soin dépouillé chaque cadavre[97].

Le lendemain, l'aspect du fort était celui d'un champ de bataille. On y voyait d'affreuses mares de sang, et pour que rien ne manquât à l'horreur de ce lieu, écrit le duc de Montpensier[98], l'air y était empesté par la fumée qui s'exhalait des cachots brûlés. Le prince ajoute : Ce fut seulement alors que nous découvrîmes avec horreur sous nos lits et quelques-unes de nos chaises trois ou quatre poignards ensanglantés jusqu'à la garde[99].

C'est à peine s'il est nécessaire de dire que, dans ce carnage engendré par une aveugle furie, furent enveloppés beaucoup de malheureux auxquels ; même au point de vue des meurtriers, on n'avait rien à reprocher. Il est à noter, par exemple, qu'au nombre de ceux qui tombèrent sous les coups des assassins royalistes, se trouvait un cordonnier qui n'était enfermé que pour avoir crié : Vive le roi ![100]

Le procès-verbal du massacre donne une liste nominale de quatre-vingt-huit personnes égorgées ; mais dans cette liste funèbre ceux-là ne figurent point qu'il fut impossible de retrouver ou de reconnaître, leurs cadavres ayant été brûlés en tout ou en partie. On porte à deux cents le nombre total des prisonniers qui périrent dans cette effroyable journée[101].

Plusieurs victimes du massacre, écrit le duc de Montpensier[102], survécurent deux ou trois jours, et expirèrent ensuite dans des souffrances d'autant plus affreuses qu'on ne s'empressa nullement de les soulager. Un de ces infortunés, qui se mourait, s'adressant au jeune prince, lui dit : Faites-moi donner du secours, ou qu'on m'achève, car rien ne peut égaler les tortures que j'éprouve. Le duc de Montpensier court chez le commandant du fort, qui à ses observations répond brutalement qu'il a fait demander un chirurgien et que ce n'est pas sa faute si le chirurgien n'arrive pas. Il arriva... trop tard[103].

Les survivants furent laissés les pieds dans le sang de leurs compagnons, et pendant vingt-quatre heures, il ne leur fut rien donné à manger[104]. Pour comble d'infamie, les assassins se donnèrent le plaisir d'aller les insulter et les menacer. Un des meurtriers, nommé Bouvas, disait à un des détenus, nommé Fassy, quelques jours après le massacre : J'ai dans une boîte l'oreille de ta femme : si tu veux, je te la montrerai[105].

Qu'ajouter au tableau de tant d'abominations ? Les grenadiers qui avaient arrêté le cours des assassinats, furent, qui le croirait ? dénoncés au club royaliste de la ville comme des Terroristes, des buveurs de sang[106] ; et ce même club, ayant appelé dans son sein les quatorze égorgeurs qu'on avait arrêtés, puis élargis, leur décerna une couronne[107].

Quelque horribles que soient les forfaits qui viennent d'être racontés, on arrive presque à concevoir qu'ils aient été possibles quand on songe à l'impunité que leur assurait d'avance la composition des justices de paix et des tribunaux sous l'empire de la réaction thermidorienne. La partialité criminelle des autorités judiciaires était un fait si éclatant, que, lorsqu'elles intervenaient pour la forme, il advenait toujours que, le meurtre une fois bien constaté, les meurtriers étaient déclarés être des inconnus. Un crime avait-il été commis qui avait eu pour témoin toute une ville, ceux qu'on interrogeait à cet égard étaient amenés par la terreur soit à déclarer qu'ils ne savaient rien, soit à taire le nom des coupables ! Et de là vient, comme le remarque amèrement Fréron[108], que pas un seul mandat d'arrêt ne fut lancé, dans tout le Midi, par les représentants du peuple ou les juges de paix contre les auteurs ou complices de tant d'assassinats, dont les procès-verbaux existent, pour l'éternel opprobre des hommes investis, en ce temps-là, de l'autorité publique.

Quant à la Convention, elle avait perdu le pouvoir d'arrêter les excès des contre-révolutionnaires et semblait en avoir perdu jusqu'à la volonté. Vainement Legendre, dans la séance du 4 messidor an III (22 juin 1795), demanda-t-il compte au gouvernement des mesures prises pour mettre un terme au règne des assassins[109] ; vainement Tallien lui-même, sur qui pesait le souvenir des massacres de septembre, s'éleva-t-il contre ceux du Midi : Tallien et ses pareils se trouvaient avoir fait avec la Terreur blanche, au 9 thermidor, un pacte affreux qu'il ne dépendait plus d'eux de rompre. Il fallut que l'insurrection de vendémiaire vînt, dans leurs alliés les royalistes, leur montrer des ennemis, pour qu'ils se décidassent enfin à protester avec un peu d'ensemble contre des horreurs qui déshonoraient leur domination ; mais, même alors, tout se borna de leur part à des paroles vaines.

C'est ainsi que, dans la séance du 29 vendémiaire — alors que, levant enfin le masque, le royalisme venait d'être momentanément vaincu — Marie-Joseph Chénier, après avoir présenté à la Convention, touchant les crimes qui avaient ensanglanté le Midi et le centre de la France, un tableau à faire dresser les cheveux, conclut... à quoi ? A la destitution des fonctionnaires publics qui auraient toléré l'assassinat, et à la traduction des assassins devant les tribunaux[110] ! C'était avouer à la face du monde que, jusqu'alors, l'assassinat pour le compte du royalisme avait eu droit d'impunité ! Et puis, était-ce donc assez que de. menacer de destitution des magistrats protecteurs systématiques du crime ? Contre eux c'était la mise en accusation qu'il fallait, ainsi que le fit observer Bentabolle, appuyé en cette occasion par Legendre[111].

Ce fut dans cette séance qu'André Dumont, ardent à empêcher la publication des atrocités commises par les royalistes, s'écria : Est-il donc nécessaire d'épouvanter le monde et la postérité ?[112]

Ce fut aussi dans cette séance que, pour couvrir la masse des fonctionnaires prévaricateurs, Thibaudeau dit qu'il ne pouvait y avoir, dans une aussi vaste conspiration, que de grands coupables à punir[113].

Or, ces grands coupables à punir, chacun les connaissait, chacun les pouvait montrer du doigt, chacun avait entendu leurs noms répétés, d'un bout de la France à l'autre, par mille échos lugubres. Ce dut être un terrible moment pour Cadroy, que celui où Pélissier, après l'avoir sommé de dire par quelles mesures il avait cherché à prévenir ou à arrêter les égorgements, ajouta : Quant à nous, députés de ces départements, nous ne savions qu'imparfaitement la vérité ; il semblait que toute correspondance fût interceptée, et si nous recevions quelquefois des lettres de nos parents et de nos amis, elles étaient humides de leur sang et de leurs larmes[114]. Ce dut être un terrible moment pour Chambon, que celui où Blanc (des Bouches-du-Rhône) lui demanda s'il n'était pas vrai que plusieurs des égorgeurs eussent mangé à sa table[115]. Car, à cette question, que pouvait-il répondre, lui qui avait reçu publiquement, à sa table, dans ses bureaux, dans sa voiture, l'infâme Rolland, par qui avaient été dirigés les massacres des prisons d'Aix[116] ?

Il existe, à la charge de Chambon, un document historique d'une gravité accablante : c'est l'ordre, signé par lui, de distribuer six cents sabres à la Compagnie du Soleil. Il est à remarquer que, sur le manuscrit, les mots du Soleil sont effacés par un trait de plume, et les mots Compagnie franche substitués de la sorte à ceux de Compagnie du Soleil. Mais en effaçant le nom, on entendait si peu effacer la chose, que, d'après l'ordre en question, les sabres devaient être distribués à un nommé Bon, connu pour être le lieutenant de la bande organisée en vue de l'assassinat. Et ce qu'il importe aussi de noter, c'est que la sinistre livraison fut faite postérieurement à la tragédie du fort Saint-Jean, comme si ce n'était pas assez de sang versé, assez de crimes, assez d'horreurs[117] !

Et pourtant c'est ce Chambon qui, dans la séance du 29 vendémiaire que nous venons de rappeler, osa parler des efforts par lui tentés pour prévenir le désordre. Mais Pélissier : Quels sont les assassins que tu as fait punir ? A cette foudroyante question, le Moniteur ne nous apprend pas que Chambon ait rien répondu. Il se contenta de dire qu'il avait, pour se justifier, beaucoup de pièces dont la lecture serait trop longue et fastidieuse[118], ajoutant qu'il était en état de répondre à toutes les calomnies. Blanc (des Bouches-du-Rhône) lui cria : Des cadavres ne sont pas des calomnies ![119]

Ce qui est certain, c'est que la conduite de Cadroy et de Chambon ne donna pas même lieu à une enquête. Dans la séance du Conseil des Cinq-Cents du 5 frimaire an IV (25 novembre 1795), l'Assemblée, après avoir entendu la dénonciation portée contre eux par une députation de Marseillais, déclara, sans plus ample informé, qu'il n'y avait pas lieu de délibérer. Il est vrai que la fameuse phrase : Armez-vous des ossements de vos pères avait été attribuée par les dénonciateurs à Cadroy, tandis qu'elle était d'Isnard ; sur quoi, André Dumont s'était hâté de dire : Puisqu'il est prouvé que la dénonciation repose sur des faits faux, etc. Cela n'avait été nullement prouvé : seulement, un de ces faits avait été rapporté d'une manière inexacte, non quant aux paroles prononcées, mais quant à celui qui les prononça. Il n'en fallut pas davantage : on écarta l'accusation[120], et les coupables n'eurent à comparaître que devant la justice de l'Histoire. La Révolution n'avait point pardonné à Carrier de s'être souillé de sang à son service : les Carrier de la contre-révolution furent amnistiés par elle !

Rien de plus misérable que les raisons par lesquelles Thibaudeau, dans ses Mémoires, cherche à expliquer comment la Convention, après avoir fait justice des noyades de Nantes, laissa impunis les égorgements du Midi[121]. C'est, dit-il, qu'elle craignait moins les Terroristes royaux que les Terroristes révolutionnaires[122]... Il ne me venait pas à la pensée que le royalisme pût renaître de ses cendres[123]. Mais, comme le remarquent avec raison les auteurs de l'Histoire parlementaire[124], il est bien étrange que les Thermidoriens ne se soient pas aperçus des progrès du royalisme par eux déchaîné, alors que le royalisme se faisait jour partout à coups de poignard ; et puis, à supposer qu'on ne craignît point de le voir revivre, était-ce donc une raison pour qu'on lui permît de pratiquer publiquement l'assassinat ? Quant au second motif, tiré de ce que la Convention, contrainte de garder un milieu entre deux écueils et en guerre avec elle-même, ne pouvait ce qu'aurait pu, peut-être, un homme juste et vigoureux[125], nous dirons, avec les auteurs de l'Histoire parlementaire, qu'à l'époque de la Terreur blanche, c'est à peine s'il existait un côté gauche dans la Convention, dominée qu'elle était souverainement par une majorité composée de Girondins et de royalistes, unis à tous les républicains corrompus, à tous les révolutionnaires apostats.

La vérité est que les Thermidoriens s'asservirent au royalisme jusqu'au jour où, se croyant désormais assez fort pour marcher seul, le royalisme fit mine de se passer d'eux. Et c'est ce que le choix de leurs agents prouva de reste. Fréron a publié dans son livre les arrêtés par lesquels Durand de Maillane, représentant en mission dans le département du Var, ouvrit la France à cent vingt-huit émigrés, sous prétexte que c'étaient des fugitifs du 31 mai, de malheureux réfugiés républicains. Or, sur la liste de ces prétendus fugitifs du 31 mai figuraient les noms de François Barallier, Louis-Jean Mauvie, François Panon, André-Victor Barrat, Jean Macadré, Ferrand de More, Vidal, Doudun, qui tous avaient signé l'acte d'emprunt d'un million de piastres fortes, fait au nom de Louis XVII, sous la garantie de Leurs Excellences les amiraux Hood et Langara, emprunt hypothéqué sur le port, les magasins, les arsenaux de Toulon, et toute l'escadre française ! Quand la Convention envoyait dans les départements des agents qui se hâtaient d'y rappeler de pareilles victimes, l'impunité des assassins au service du royalisme s'appuyant sur l'étranger n'avait rien, hélas ! qui ne fût dans la logique des passions humaines.

Et quel fut le résultat de cette impunité accordée au meurtre ? Qu'une partie considérable de la France devint le théâtre d'une longue Saint-Barthélemy. Le prix des massacres pouvant être, pour ainsi dire, mis au concours, et rien ne faisant obstacle au déploiement d'une émulation féroce, Chénier put dire plus tard, et trop tard : Dix départements, trente cités, ont vu se renouveler ces scènes sanglantes. A Marseille, à Tarascon, à Aix, dans le département des Bouches-du-Rhône ; à Avignon, à l'Ille, dans le département de Vaucluse ; à Nîmes, dans le département du Gard ; à Sisteron, dans le département des Basses-Alpes ; à Toulon, dans le département du Var ; à Montélimar, dans le département de la Drôme, on a lutté de crimes avec les assassins de Lyon. La fureur des royalistes ne s'est pas encore arrêtée dans ces communes ; elle s'est promenée dans les contrées de l'Est ; elle a souillé Saint-Étienne et Montbrison, dans le département de la Loire ; Bourg, dans celui de l'Ain ; Lons-le-Saulnier, dans celui du Jura. Elle a pénétré jusqu'à Sedan, dans le département des Ardennes ; dans le centre même de la France ; à Ronsières, district de Chinon, et jusqu'aux portes de Paris, à la ferme du Bois-Blanc[126].

Et il ne faut pas croire que cette fureur dont parle Chénier eût rien de spontané, de soudain, d'ingouvernable ; non : c'était une fureur parfaitement froide, régie par les lois d'une organisation savante. Les bourreaux étaient formés en compagnies ; ils avaient leurs mots d'ordre, leurs signes de ralliement, leurs chants de mort convenus[127]. Répandus sur divers points du territoire, ils avaient un système suivi de correspondance qui leur permettait de lier leurs opérations, de les étendre et d'en assurer l'odieux succès. Suivant Charles Nodier, l'administration ne parvenait pas à sauver les victimes désignées d'avance, même en les dépaysant, même en les envoyant à vingt, à trente lieues de leurs femmes et de leurs enfants. Car, ajoute cet écrivain, les Jéhuistes se livraient leur proie par échange d'un département à l'autre avec la régularité du commerce ; et jamais une de ces traites barbares qui se payaient en têtes d'hommes ne fut protestée à l'échéance[128].

Si formidable devint le pouvoir de ces brigands, que, dans le district de Montbrison, la crainte de tomber sous leurs coups força six cents familles à abandonner la levée d'une récolte précieuse et à se réfugier dans les bois[129]. Même frayeur dans le district de Saint-Étienne amena deux mille ouvriers à fuir de leurs ateliers[130].

Nous avons vu que, loin d'être un refuge, les prisons attiraient les meurtriers par l'appât d'un assassinat en grand : à Saint-Étienne, vingt-huit prisonniers ayant été traînés sur la place du Treuil et fusillés, les bourreaux, en goût de sang, allèrent en chercher quatorze autres, qu'ils se donnèrent le plaisir d'égorger sur les cadavres des premiers[131].

A la religion, les Compagnons du Soleil ne manquèrent pas de faire sa part, dans cette curée de victimes humaines. Suivant eux, tout prêtre assermenté était digne de mort. Le curé de Barbantane, pour avoir juré fidélité à la Constitution, fut jeté dans la Durance, pieds et poings liés[132]. A Montbrison, une de leurs bandes fut aperçue se repaissant du spectacle d'une tête divisée en deux par un coup de sabre et pendante sur chaque épaule : c'était celle d'un prêtre coupable de s'être soumis aux lois de son pays en acceptant la Constitution civile du clergé[133].

Souvent, ils mêlaient aux raffinements de la cruauté ceux du libertinage : témoin les femmes qui, à Montbrison, furent traînées au pied de l'arbre de la liberté, exposées toutes nues aux regards lubriques de la jeunesse royaliste et fouettées avec des nerfs de bœuf[134].

Les massacreurs en haillons des trop fameuses journées de septembre avaient, eux du moins, accordé la vie de M. de Sombreuil à la piété filiale de sa fille ; mais depuis que les massacreurs étaient — pour parler le langage d'alors — d'admirables jeunes gens, des assassins en bas de soie, qui maniaient le poignard d'une main accoutumée à la pâte d'amande et au savon d'Angleterre, et tuaient un homme entre deux parties de billard, ou en sortant d'un bal, ou en allant à un rendez-vous d'amour[135], la piété filiale était devenue un crime, et l'on put citer au nombre des exploits des Compagnons du Soleil le fait d'une pauvre fille de quinze ans qui fut ignominieusement fouettée par ces misérables pour s'être jetée tout en larmes sur le cadavre de son père qu'ils venaient d'égorger[136].

L'amour conjugal aussi était réputé crime par les assassins. Chénier, parlant au nom des deux Comités, fit, dans la séance du 29 vendémiaire an IV, le récit suivant[137] : Dans l'Ille, petite commune voisine d'Avignon, Prade, gendarme, et père de cinq enfants, est assailli par une troupe de forcenés ; on le traîne à l'autel de la patrie, et les poignards sont levés sur lui. Espérant fléchir les bourreaux, sa femme accourt ; et, au moment même où l'on immole son mari, un coup de sabre lui coupe le bras qu'elle lui tendait pour lui faire du moins ses derniers adieux.

Pour avoir une idée juste de l'acharnement de ces lâches fureurs, il faut lire, dans le recueil des pièces justificatives imprimées à la suite du Mémoire de Fréron, les détails de l'assassinat de Breyssand, administrateur du district de Sisteron, tel que l'a raconté le fils de la victime. Breyssand, après le 9 thermidor, avait été destitué et mis en prison. Les réclamations de sa femme et les témoignages de sympathie ardente que son arrestation provoqua de la part de ses administrés décidèrent les membres du Comité de sûreté générale à donner, après un mûr examen de sa conduite, l'ordre de son élargissement. Mais arracher leur proie aux sicaires de la réaction n'était pas chose facile. Ayant obtenu de l'administration locale qu'un nouveau mandat d'amener fût lancé contre Breyssand, ils se postent sur le chemin de Thoard à Sisteron par où il devait passer pour se rendre en prison, et le malheureux n'a pas plutôt paru, qu'il se voit enveloppé de toutes parts. Un caillou qui lui brise le crâne donnant le signal, il est renversé de cheval, haché à coups de sabre, laissé pour mort. Le bruit de ce forfait — raconte Breyssand fils — ne tarde pas à répandre l'effroi dans la ville. Des personnes charitables viennent pour rendre les derniers devoirs à la victime ; mais, en l'examinant, on s'aperçoit qu'elle donne encore quelques signes de vie. Mon père est transporté et déposé à l'hôpital, et là, après lui avoir prodigué tous les secours, on parvient à le rappeler à la vie. Mais, ô barbarie sans nom ! Mévolhon — c'était le secrétaire du représentant Gauthier — et les autres monstres en frémissent de rage. Ils attendent la nuit. N'ayant pu se faire ouvrir les portes de l'hospice, ils s'introduisent par les fenêtres ; ils éloignent tous les gardiens. Quatre de ces bourreaux, après avoir arraché l'appareil mis sur les innombrables blessures du jour, enveloppent l'infortuné dans son drap, le brisent contre les murs et le plancher par cent coups réitérés et le précipitent ensuite par une des fenêtres. Puis, ils traînent le martyr, qui poussait encore de longs gémissements, jusque sur le gravier de la Durance, et là ils consomment le forfait en coupant son corps en pièces. Huit jours après, ses membres épars avaient servi de pâture aux chiens et aux vautours[138].

Pendant ce temps, le fils de la victime se battait, aux frontières, pour l'honneur et le salut de la France[139].

Faut-il le compléter, cet effroyable tableau ? faut-il dire :

Que, dans la commune de Moingt, un octogénaire eut la tête pilée avec des cailloux[140] ;

Que, dans la commune de Feurs, un aubergiste ayant été haché en morceaux, on donna sa cervelle à dévorer à des porcs, et son sang à boire à des chiens[141] ;

Qu'à Saint-Étienne, une des victimes fut mise en croix[142] ;

Qu'un citoyen nommé Brasseau, dont les deux fils, chefs de bataillon, étaient l'honneur de l'armée, fut enterré vivant[143] ;

Qu'il se passa dans les prisons de la Terreur blanche des scènes qui rappellent l'épisode d'Ugolin, et qu'un des malheureux condamnés par elle au supplice de la faim, dit un jour à ses compagnons d'agonie : Je désire que mes membres servent pendant quelques jours à vous faire vivre. Mon âme dans vos âmes jouira de la liberté. Frères, mangez-moi ![144]

Les massacres, les poignards et les fleuves, dit P. Moussard, cité par Nougaret, auquel cette appréciation ne paraît point exagérée, ont dévoré trente mille pères de famille, dans la seule Provence, pendant la réaction[145].

Et ces choses se faisaient au nom des principes les plus sacrés ; car jamais à aucune époque les mots de justice et d'humanité n'avaient été employés avec tant de complaisance, jusque-là qu'ils faisaient partie du vocabulaire obligé de la toilette. Une femme n'aurait pas été à la mode si elle n'eût porté un bonnet à l'humanité et un corset à la justice[146].

Cette affectation dérisoire, cette légèreté impie, se retrouvent dans la manière dont les réacteurs ne rougirent pas de parodier le supplice de ceux de leurs proches que la Révolution avait frappés. Manquant de respect à leur propre douleur, de leur deuil même ils firent un carnaval. Un fils pleura son père mort sur l'échafaud, en saluant dans la rue ses connaissances par un mouvement qui imitait la chute d'une tête dans le panier du bourreau. Le désespoir d'une veuve s'étala dans la coiffure choisie pour un rendez-vous galant. Les jours d'affliction solennelle et commune furent des jours où il s'agissait de valser, de boire et de manger à cœur-joie. Il y eut des bals à la victime. Pour y être admis, il fallait exhiber un certificat en règle constatant qu'on avait perdu un père, une mère, une femme, un frère ou une sœur sous le fer de la guillotine[147]. La mort des collatéraux ne donnait pas droit d'assister à une pareille fête[148]. Le costume de rigueur d'une danseuse était celui dans lequel sa mère ou sa sœur avait péri, c'est-à-dire le châle rouge et les cheveux coupés à fleur du cou[149]. Ces conditions remplies, on était reçu à danser, valser, rire et faire l'amour dans les bals à la victime. Est-ce la danse des morts de Holbein, s'écrie Mercier[150], qui avait inspiré une telle idée ? Pourquoi, au milieu du bruit des violons, ne fit-on pas danser un spectre sans tête ?

 

 

 



[1] Voyez la preuve de ces faits, administrée par des royalistes, qui furent sauvés de la sorte, dans le chapitre intitulé Souviens-toi de la Saint-Barthélemy, du tome VII de cet ouvrage.

[2] Charles Nodier, Souvenirs de la Révolution et de l'Empire, t. I, p. 113.

[3] Rapport de Chénier, au nom des Comités de Salut public et de sûreté générale, séance du 29 vendémiaire, an IV. (Moniteur, an IV, n° 34.)

[4] Rapport de Chénier, séance du 29 vendémiaire, an IV. (Moniteur, an IV, n° 34.)

[5] Moniteur, an III, n° 280.

[6] Moniteur, an IV, n° 34.

[7] Moniteur, an III, n° 324.

[8] Moniteur, an III, n° 289.

[9] Mémoire historique sur les massacres du Midi, p. 57. Collection Berville et Barrière.

[10] Nougaret, Histoire abrégée de la Révolution, liv. XXIV, p. 448.

[11] Souvenirs de la Révolution et de l'Empire, t. I, p. 115.

[12] Souvenirs de la Révolution et de l'Empire, t. I, p. 115.

[13] Durand de Maillane, Histoire de la Convention, chap. XIII.

[14] Moniteur, an III, n° 323.

[15] Moniteur, an III, n° 224.

[16] Lettre de Boisset, citée dans le rapport de Mathieu sur les événements de Lyon. (Moniteur, an III, n° 233.)

[17] Prudhomme, Histoire des erreurs, des fautes et des crimes commis pendant la Révolution française, t. VI, p. 70-71. — Nougaret, Histoire abrégée, etc., liv. XXIV, p. 449 et 450.

[18] Prudhomme, Histoire des erreurs, etc., t. VI, p. 74.

Mathevon, selon Prudhomme, était le nom d'un ouvrier en soie, dont la famille avait longtemps existé au milieu du ridicule dont on la couvrait, au point que ce nom, devenu si tragique, avait fourni autrefois le sujet d'une comédie.

[19] Histoire parlementaire, t. XXXVI, p. 413.

[20] Prudhomme, dans son livre, donne la liste des victimes.

[21] Nougaret, Histoire abrégée, etc., liv. XXIV, p. 450.

[22] Nougaret, Histoire abrégée, etc., liv. XXIV, p. 450.

[23] Lettre du représentant du peuple, Boisset. (Moniteur, an III, n° 233.)

[24] Lettre du représentant du peuple, Boisset. (Moniteur, an III, n° 233.)

[25] Moniteur, an III, n° 233.

[26] M. de Barante qui, dans son Histoire de la Convention, a si largement pratiqué la théorie des omissions systématiques, et qui semble ne s'être pas douté qu'il y ait eu une Terreur blanche, M. de Barante lui-même ne peut s'empêcher, au sujet des excès de la réaction à Lyon, de constater les résultats affreux que nous signalons ici.

[27] Cette lettre de Gonchon se trouve dans le volume publié par Beaudoin en 1828, contenant plusieurs pièces omises ou supprimées par Courtois.

[28] Lettre de Gonchon, ubi supra. — Voyez aussi le rapport de Chénier, du 6 messidor an III. (Moniteur, an III, n° 279 et 280.)

[29] Le Nouveau Paris, chap. CCXLV.

[30] Moniteur, an III, n° 225.

[31] Moniteur, an III, n° 225 et 226.

[32] Moniteur, an III, n° 226.

[33] Décret du 6 messidor, an III. (Moniteur, an III, n° 280.)

[34] Journal du Bonhomme Richard, n° 3.

[35] Voyez Prudhomme, t. VI. p. 133 et suiv. — Voyez aussi Fréron, numéro premier des pièces justificatives de son Mémoire sur les massacres du Midi, contenant les procès-verbaux de divers assassinats.

[36] Charles Nodier, Souvenirs de la Révolution et de l'Empire, t… I, p. 131-132.

[37] Moniteur, an III, n° 241.

[38] Fréron, Mémoire historique sur les massacres du Midi, p. 169.

[39] Extrait des registres des délibérations de la Commune d'Aix, numéro 9 des pièces justificatives à la suite du Mémoire de Fréron.

[40] Extrait des registres des délibérations de la Commune d'Aix, du 25 floréal, an III.

[41] Extrait des registres des délibérations de la Commune d'Aix, du 25 floréal, an III.

[42] Cette malheureuse femme se nommait Fassy. — Voyez sur cet épisode caractéristique, Prudhomme, t. VI, p. 140 ; Nougaret, Histoire abrégée, liv. XXIV, p. 454, et le Moniteur, an IV, n° 32 (séance du 27 vendémiaire).

[43] Voyez la séance du 17 frimaire, an IV, au Conseil des Anciens. (Moniteur, an IV, n° 84.)

[44] Voyez le numéro 8 des pièces justificatives à la suite du Mémoire de Fréron, passim.

[45] Déclaration de Pâris d'Arles, un des détenus, numéro 6 des pièces justificatives, à la suite du Mémoire de Fréron. — Voyez aussi, sur ce point, les Mémoires du duc de Montpensier, alors enfermé au fort Saint-Jean, p. 146.

[46] Déclaration de Pâris d'Arles, numéro 6 des pièces justificatives, du Mémoire de Fréron.

[47] Déclaration de Pâris d'Arles, numéro 6 des pièces justificatives, du Mémoire de Fréron.

[48] C'est, du moins, à ce nombre sept que Chambon et Guérin réduisirent le chiffre des porteurs de cocardes blanches, dans leur lettre à la Convention. (Moniteur, an III, n° 252.)

[49] Voyez Fréron, Mémoire sur les massacres du Midi, p. 41 ; Nougaret, Histoire abrégée, liv. XXIV, p. 447 ; et la lettre de Chambon et Guérin à la Convention. (Moniteur, an III, n° 253.)

[50] Voyez sa lettre à la Convention. (Moniteur, an III, n° 253.)

[51] Voyez le Moniteur, an III, n° 255.

[52] Moniteur, an III, n° 255.

[53] Plus tard, des députations de Marseille ayant attribué cette phrase à Cadroy, qu'ils étaient venus dénoncer, Isnard en réclama l'honneur, dans l'Assemblée dont ils faisaient alors partie l'un et l'autre. Voyez le Moniteur, an IV, n° 84.

[54] Discours d'Isnard dans la séance du 17 frimaire, an IV. (Moniteur, an IV, n° 84.)

[55] Fréron, Mémoire historique sur les massacres du Midi, p. 44. — Dans une lettre qu'ils écrivirent le 11 prairial (30 mai) à la Convention, Guérin, Isnard, Chambon et Cadroy, pour enfler leur triomphe, grossirent démesurément la force qu'ils avaient combattue. Mais, plus tard, la vérité fut connue, non-seulement par les foudroyantes révélations de Fréron, mais par la dénonciation que les députés du Midi portèrent contre les proconsuls, dans la séance du 27 vendémiaire.

[56] C'est ce que constate la lettre même de Guérin, Isnard, Chambon et Cadroy à la Convention. (Voyez le Moniteur, an III, n° 261.)

[57] Dénonciation d'une députation du Midi à la Convention, séance du 27 vendémiaire, an IV. (Voyez le Moniteur, an IV, n° 52) ; — Fréron, Mémoire historique, etc., p. 46.

L'orateur de la députation du Midi porte à quatre-vingts le nombre des matelots dont il s'agit, et Fréron à soixante seulement ; mais les deux récits s'accordent à les représenter comme absolument sans armes.

[58] Ubi supra, séance du 27 vendémiaire, an IV.

[59] Fréron, Mémoire historique, etc., p. 44-45.

[60] Lettre de Guérin, Isnard, Chambon et Cadroy, à la Convention. (Moniteur, an III, n° 261).

[61] Mémoire historique sur les massacres du Midi, p. 46.

[62] Mémoire historique sur les massacres du Midi, p. 45.

[63] Voyez le Moniteur, an IV, n° 32.

[64] Tout ceci rappelé par Gabriel lui-même, dans une lettre à Cadroy, en date du 22 prairial an III. Voyez le numéro 8 des pièces justificatives à la suite du Mémoire de Fréron.

[65] Extrait des registres des arrêtés de l'administration du district de Tarascon, à la suite du Mémoire de Fréron, p. 218 et suiv.

[66] Voyez séance du 27 vendémiaire. (Moniteur, an IV, n° 32.)

[67] Séance du 27 vendémiaire. (Moniteur, an IV, n° 32.) — Voyez aussi Durand de Maillane, Histoire de la Convention, chap. XIII, p. 279 ; — et encore Prudhomme, t. IV, p. 139.

[68] Séance du 27 vendémiaire (Moniteur, an IV, n° 32.)

[69] Voyez ce procès-verbal dans les pièces justificatives à la suite du Mémoire de Fréron, p. 218 et suiv.

[70] Mémoire de Fréron, p. 223 et suiv.

[71] Danse du pays. — Ce détail fait partie des renseignements fournis aux auteurs de l'Histoire parlementaire par M. Milhaud, ancien maire de Tarascon. Voyez l'Histoire parlementaire, t. XXXVI, p. 433.

[72] Mémoire historique sur les massacres du Midi, p. 47-48.

[73] Mémoire historique sur les massacres du Midi, p. 47-48.

[74] Déclaration de Pâris d'Arles, ex-président du département des Bouches-du-Rhône, numéro 6 des pièces justificatives, à la suite du Mémoire historique de Fréron.

[75] Déposition du capitaine Le Cesne, dans la procédure de Delcour.

[76] Voyez le procès-verbal du massacre des prisonniers du fort Saint-Jean, numéro 4 des pièces justificatives, à la suite du Mémoire de Fréron.

[77] Déposition du capitaine Le Cesne, dans la procédure de Delcour.

[78] Déposition du capitaine Le Cesne, dans la procédure de Delcour.

[79] Mémoires du duc de Montpensier, p. 148 et 149.

[80] Mémoires du duc de Montpensier, p. 149-150.

[81] Mémoires du duc de Montpensier, p. 149-150.

[82] Fréron, Mémoire historique, p. 48.

[83] Mémoires du duc de Montpensier, p. 150.

[84] Mémoires du duc de Montpensier, p. 150 et 151.

[85] Mémoires du duc de Montpensier, p. 151. — Mémoire de Fréron, p. 48. — Moniteur, an IV, n° 24, rapport de Marie-Joseph Chénier.

[86] Mémoires du duc de Montpensier, p. 154. — Mémoire de Fréron, p. 48.

[87] Placard affiché sur les murs de Paris, intitulé : Le chef des égorgeurs du Midi, Cadroy, traîné au tribunal de l'opinion publique.

[88] Compte rendu de Chambon à la Convention nationale, cité p. 197 et 198 des pièces justificatives à la suite du Mémoire de Fréron.

[89] Mémoires du duc de Montpensier, p. 151.

[90] Mémoires du duc de Montpensier, p. 151 et 152.

[91] Déposition d'Uris Bruno, reproduite numéro 5 des pièces justificatives à la suite du Mémoire de Fréron.

[92] Déposition de Le Cesne, commandant des grenadiers qui entrèrent dans le fort, numéro 5 des pièces justificatives à la suite du Mémoire de Fréron.

[93] Voyez le Moniteur, an IV, n° 84.

[94] Déposition de Le Cesne, numéro 5 des pièces justificatives à la suite du Mémoire de Fréron.

[95] Déposition de Le Cesne, numéro 5 des pièces justificatives à la suite du Mémoire de Fréron.

[96] Mémoires du duc de Montpensier, p. 152.

[97] Déposition d'Uris Bruno. — Mémoire de Fréron, p. 49.

[98] Mémoires du duc de Montpensier, p. 153.

[99] Mémoires du duc de Montpensier, p. 153.

[100] Mémoires du duc de Montpensier, p. 153.

[101] Fréron, Mémoire, etc., p. 50. — Nougaret, Histoire abrégée, liv. XXIV, p. 448.

[102] Mémoires du duc de Montpensier, p. 153.

[103] Mémoires du duc de Montpensier, p. 153.

[104] Moniteur, an IV, numéro 32, séance du 27 vendémiaire. — Déclaration de Paris d'Arles, numéro 6 des pièces justificatives à la suite du Mémoire de Fréron.

[105] Lettre de neuf prisonniers du fort Saint-Jean à Fréron, numéro 7 des pièces justificatives à la suite de son Mémoire.

[106] Déposition de Le Cesne, numéro 5 des pièces justificatives à la suite du Mémoire de Fréron.

[107] Les Marseillais au Conseil des Cinq-Cents, séance du 17 frimaire, an IV.

[108] Note de Fréron, au bas de la lettre à lui adressée par l'accusateur public du tribunal criminel des Bouches-du-Rhône, numéro 8 des pièces justificatives à la suite de son Mémoire.

[109] Voyez le Moniteur, an III, n° 278.

[110] Voyez le Moniteur, an IV, n° 34.

[111] Moniteur, an IV, n° 34.

[112] Moniteur, an IV, n° 34.

[113] Moniteur, an IV, n° 35.

[114] Moniteur, an IV, n° 34.

[115] Moniteur, an IV, n° 34.

[116] Voyez la dénonciation des Marseillais au Conseil des Anciens, séance du 17 frimaire, an IV.

[117] L'arrêté de Chambon est donné textuellement dans le numéro 3 des pièces justificatives à la suite du Mémoire de Fréron. L'ordre est daté du 25 prairial.

[118] Moniteur, an IV, n° 34.

[119] Moniteur, an IV, n° 35.

[120] Moniteur, an IV, n° 84.

[121] Mémoires de Thibaudeau, t. I, chap. XVII, p. 240.

[122] Mémoires de Thibaudeau, t. I, chap. XVII, p. 240.

[123] Mémoires de Thibaudeau, t. I, p. 241.

[124] Histoire parlementaire, t. XXXVI, p. 411.

[125] Mémoires de Thibaudeau, t. I, p. 241.

[126] Rapport de Chénier, au nom des deux Comités, séance du 29 vendémiaire, an IV. (Moniteur, an IV, n° 34.)

[127] Fréron, Mémoire historique sur les massacres du Midi, p. 35-37.

[128] Charles Nodier, Souvenirs de la Révolution et de l'Empire, p. 129 et 130.

[129] Voyez le Moniteur, an IV, n° 34, séance du 29 vendémiaire.

[130] Moniteur, an IV, n° 34.

[131] Moniteur, an IV, n° 34.

[132] Voyez le Moniteur, an IV, n° 32.

[133] Moniteur, an IV, n° 34.

[134] Moniteur, an IV, n° 34.

[135] Voyez la description que Charles Nodier donne des Enfants du Soleil, dans ses Souvenirs de la Révolution et de l'Empire, t. I, p. 115-122.

[136] Séance du 29 vendémiaire. (Moniteur, an IV, n° 34.)

[137] Moniteur, an IV, n° 34.

[138] Voyez le numéro 2 des pièces justificatives à la suite du Mémoire de Fréron.

[139] Il était officier d'un bataillon de l'armée des Alpes, et, dit Fréron, p. 39 et 40 de son Mémoire, il se signalait depuis le commencement de la guerre par son courage et son patriotisme.

[140] Voyez le Moniteur, an IV, n° 34, séance du 29 vendémiaire an IV.

[141] Voyez le Moniteur, an IV, n° 34, séance du 29 vendémiaire an IV.

[142] Nougaret, Histoire abrégée, liv. XIV, p. 452.

[143] Voyez le Moniteur, an IV, n° 32, séance du 27 vendémiaire an IV. — Nougaret, Histoire abrégée, lib. XXIV, p, 454.

[144] Voyez les notes qui accompagnent le poème intitulé : La Liberticide, ou les Phases de la Révolution française, par P. Moussard.

[145] Nougaret, Histoire abrégée, liv. XXIV, p. 446.

[146] Histoire parlementaire, t. XXXVI, p. 215.

[147] Mercier, le Nouveau Paris, chap. LXXXIII.

[148] Mercier, le Nouveau Paris, chap. LXXXIII.

[149] Charles Nodier, Souvenirs de la Révolution et de l'Empire, t. I, p. 113.

[150] Mercier, le Nouveau Paris, chap. LXXXIII.