HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

LIVRE QUATORZIÈME

 

CHAPITRE PREMIER. — LA COALITION DISSOUTE

 

 

La Coalition frappée au cœur. — A qui appartenait l'honneur de l'avoir rendue impuissante. — Cette impuissance proclamée par Fox. — La Coalition condamnée par le sentiment des peuples. — Sacrifices que la guerre avait coûtés aux Anglais. — Subsides demandés par l'Autriche. — Mauvaise foi de la Prusse, révélée par les débats du parlement anglais. — Motifs de la Prusse pour se détacher de la Coalition. — Mésintelligence entre la Prusse et l'Autriche. — Haugwitz. — Hardenberg. — Impulsion donnée par le premier. — Manœuvres diplomatiques du second. — Politique du Cabinet de Vienne ; Thugut ; Colloredo. — Les trois collèges de l'Empire se déclarent pour la paix, avec le roi de Prusse pour médiateur, — Irritation sourde et embarras de l'Autriche. — Le comte de Goltz chargé de négocier la paix. — Instructions rédigées par Haugwitz. — Premières difficultés écartées. — Le négociateur français Barthélémy à Bâle. — Questions à résoudre. — Invasion de la Hollande par les Français. — Causes historiques des sympathies qu'ils y excitent. — Le parti anglais et le parti français en Hollande. — Prépondérance du second. — Les Français reçus en Hollande à bras ouverts. — Fuite du Stathouder. — Retraite des Anglais ; leurs souffrances ; leur admirable fermeté. — Antipathie qui leur est témoignée sur leur passage. — Les Français dans Amsterdam. — Proclamation du Comité révolutionnaire de cette ville. — Noble attitude des soldats français. — Généreux empressement de la Hollande à pourvoir à leurs besoins. — Révolution de Hollande, en conformité avec les principes de la Révolution française. — La Belgique sollicite sa réunion à la France. — Influence de ces événements sur la Prusse. — Mort du comte de Goltz. — Hardenberg, son successeur, reprend les négociations de paix de la Prusse avec la France. — Efforts de l'Angleterre pour empêcher la paix ; tentatives de corruption ; Henry Spencer et la comtesse de Lichtenau. — Paix de Bâle. — Intérêts de l'Empire germanique sacrifiés par la Prusse. — Impression produite en France, en Prusse, en Allemagne. — Déchaînement à Vienne. — Rescrit impérial contre le système des paix partielles ; mensonges diplomatiques de l'empereur d'Autriche. Il est subventionné par l'Angleterre. — Traité de la Haye. — Sa signification. — Union intime de la France et de la Hollande. — Motion du comte Stanhope dans la Chambre des Lords d'Angleterre en faveur de la paix ; rejet de cette motion ; belle protestation du comte Stanhope. — Débats dans la Chambre des Communes sur une motion de Wilberforce en faveur de la paix ; rejet de cette motion. — A aucune époque la France n'était apparue, au dehors, sous un aspect plus imposant. — Résumé de ses prodiges militaires. — Mot profond de Pitt : L'effet survivait à la cause.

 

Le but héroïque assigné à l'action de la France sur le monde ; son génie guerrier mis au service des droits, non du Français, mais de l'homme ; — ses ressources immenses, maniées avec une vigueur sans exemple ; — dans le peuple, une intrépidité, un élan, un mépris de la mort, une aptitude à souffrir, une certitude de vaincre, impossibles à surpasser, presque impossibles à comprendre, et, dans ceux qu'il voulut à sa tête, une foi profonde, une volonté de granit, la faculté de créer des prodiges à force de compter sur des prodiges, une audace enfin, une audace que rien n'étonna, que rien n'arrêta, qui n'hésita devant rien, voilà ce qui avait rendu, dès la fin de 1794, le maintien de la Coalition absolument impossible. Mais, quoique la gloire d'avoir réduit la Coalition à la nécessité de se dissoudre appartînt aux membres de l'ancien Comité du Salut public, ce fut, le parti thermidorien qui profita du résultat et en eut l'honneur. Il moissonna sans effort ce qu'avaient ensemencé, au prix de leur repos et de leur vie, ceux-là mêmes qu'il assassina. L'Histoire est pleine de ces arrêts moqueurs de la fortune.

Le 21 janvier 1795, Fox disait, dans la Chambre des Communes d'Angleterre[1] : On a voulu forcer la France à changer le système qu'elle a adopté. L'épreuve s'est terminée en sa faveur, et a certes duré assez longtemps pour convaincre tous les membres de la Coalition, l'Angleterre exceptée, de l'inutilité de toute tentative ultérieure.

Et, en effet, au moment où Fox tenait ce langage, la France, de nation à conquérir, était devenue nation conquérante ; et la République, franchissant les frontières, s'avançait, l'épée à la main, sur le territoire ennemi.

Encore si les gouvernements en guerre avec le peuple français n'avaient eu d'autre sujet de découragement que ses continuelles victoires ! Mais ce qui les troublait autant que leurs défaites, c'était l'aversion, hautement avouée, de leurs sujets pour une lutte de laquelle ceux-ci ne recueillaient que honte au dehors et misère au dedans. D'un bout de l'Europe à l'autre, ce n'étaient que plaintes amères sur cet embrasement prolongé du monde, sur l'égoïsme des rois, sur leur acharnement inhumain, et aussi sur la folie des peuples, imbéciles troupeaux qui se laissaient traîner à l'abattoir pour le soutien d'une cause qui était celle de leurs tyrans. C'est contre nous-mêmes que nous allons combattre, disaient tout haut, en marchant contre la République française, ces milliers de soldats plébéiens que la Coalition envoyait à la mort[2].

Et ce n'était pas seulement le peuple qui, partout, maudissait cette affreuse guerre : même dans les classes moyennes, même dans les couches les plus hautes de la société, elle faisait horreur à beaucoup. Tant elles étaient contagieuses, ces maximes de liberté politique et religieuse dont la France était l'apôtre armé[3] !

D'un autre côté, les gouvernements n'étaient pas unanimes contre elle. Si ses voisins, en même temps qu'ils craignaient ses principes, redoutaient sa puissance, il n'y avait pas de raison pour que les États éloignés sacrifiassent à cette double peur leurs intérêts les plus chers. Aussi la Coalition n'avait-elle pu parvenir à entraîner dans son tourbillon ni le Danemark, ni la Suède. La Suisse même, quoique à nos portes, avait cherché son salut dans sa neutralité. Quant à la Russie, animée contre la Révolution française d'une haine platonique, elle se tenait à l'écart. Restaient donc, pour faire face à la France, l'Angleterre, l'Autriche, la Prusse, les petits États d'Allemagne, la Hollande, la Sardaigne, l'Espagne. Nous avons déjà raconté comment cette Coalition formidable fut vaincue ; nous allons dire comment elle fut dissoute.

Les chiffres suivants donneront une idée de ce que la guerre contre la France avait coûté aux Anglais d'efforts et de sacrifices.

Au commencement de la guerre, le nombre des matelots anglais était de seize mille seulement, et, en janvier 1795, il ne s'élevait pas à moins de quatre-vingt quinze mille[4] !

Le 21 janvier 1795, une armée de cent cinquante mille hommes, comprenant les troupes régulières, la milice et les nouvelles levées, était jugée suffisante pour la protection du royaume, et, un mois après, le 25 février, le montant des forces absolument requises pour l'année courante était évalué, dans un tableau mis sous les yeux de la Chambre des Communes, à cent mille matelots, cent vingt-cinq mille hommes de troupes régulières, soixante-six mille miliciens et quarante mille hommes à répartir entre l'Irlande et les Indes occidentales, sans compter les volontaires, les soldats étrangers à la solde de l'Angleterre, et les émigrés français qu'elle avait enrégimentés : ensemble de forces, dont l'entretien était déclaré devoir coûter vingt-sept millions cinq cent quarante mille livres sterling, ou six cent quatre-vingt-huit millions cinq cent mille francs[5].

Ce n'est pas tout : ces alliés que Pitt, avec une ardeur si passionnée, cherchait contre la France, il fallait les payer, et très-cher. La Prusse avait reçu des subsides : c'était l'Autriche, maintenant, qui en demandait. Lorsque les Autrichiens s'étaient retirés sur la Meuse, forçant ainsi l'armée anglaise à défendre la Hollande, ce mouvement rétrograde n'avait eu d'autre but que d'inquiéter le Cabinet de Londres et de lui arracher de l'argent[6].

Mais Pitt n'était pas homme à marchander le triomphe de sa haineuse politique : le 4 février 1795, il courut porter à la Chambre des Communes un message du roi, relatif à un emprunt de quatre millions de livres sterling que sollicitait l'empereur d'Autriche, moyennant quoi il promettait de mettre sur pied deux cent mille hommes[7].

Étranges furent les révélations qui sortirent des débats du parlement anglais ! Le ministre dut avouer que les douze cent mille livres sterling que l'Angleterre avait avancées au roi de Prusse pour combattre la France, avaient été employées par ce monarque à s'approprier la Pologne[8].

C'était là une arme terrible dans les mains de l'Opposition ; et Fox, appuyé par Sheridan, sut la manier avec son habileté ordinaire. La conduite du roi de Prusse n'était-elle donc pas une leçon assez claire et assez rude ? Fallait-il une seconde fois exposer l'Angleterre à l'humiliation de servir de jouet aux despotes allemands ? Fallait-il lui donner une seconde fois le chagrin de voir son or, non — seulement détourné frauduleusement de l'emploi convenu, mais employé à l'exécution de projets odieux ? Pitt, qui représentait les passions nationales dans ce qu'elles ont de plus étroit et par conséquent de plus fougueux, Pitt insista, et la motion de Fox pour le rejet de l'emprunt fut repoussée, à la majorité de cent quinze voix[9].

Pendant ce temps, que faisait la Prusse ? Pour bien apprécier son rôle, il faut reprendre les choses de plus haut.

Les manœuvres diplomatiques de la Prusse pour se détacher de la Coalition avaient commencé dès le mois de septembre 1794, mais sans bruit, sans éclat, parce qu'avant de jeter le masque, le gouvernement de Berlin voulait toucher le dernier payement des subsides que lui fournissait l'Angleterre[10] ! Cela s'appelle de l'habileté, dans le langage diplomatique, et, dans le langage ordinaire, un vol.

Pour ce qui est des motifs qui poussaient le roi de Prusse à se séparer de ses alliés, ils étaient nombreux et divers. Que lui avait rapporté son rôle d'Agamemnon ? Il voyait ses illusions châtiées, ses armées battues, son commerce ruiné, ses sujets mécontents, son trésor vide. Les Puissances maritimes lui reprochaient avec raison de n'avoir pas rempli ses engagements, après en avoir reçu le prix, et refusaient de soudoyer plus longtemps des troupes dont l'inaction les indignait. Il lui aurait donc fallu, pour continuer la guerre, la nourrir lui-même, et c'est ce que ne lui permettaient, ni l'état de ses finances, ni les embarras nés de la question de Pologne. En outre, l'alliance de l'Autriche ne lui apparaissait que comme un obstacle à l'essor des destinées de la Prusse, et il était loin de croire à la sincérité des sympathies du chef de l'Empire germanique. Il savait que la cour de Vienne n'avait pas oublié la conquête de la Silésie, et qu'on y frémissait en secret de l'élévation récente de la maison de Brandebourg, élévation dont l'Autriche avait en partie payé les frais. L'Allemagne pouvait-elle avoir deux têtes ? C'est ce qu'on ne croyait possible, ni à Vienne, ni à Berlin.

Des dispositions mutuelles des deux Cours, à cette époque, il sera facile de juger par ce trait, qui est caractéristique : quelques députés de Bade ayant demandé au général prussien Muhlendorf un sauf-conduit pour leurs fourgons, il répondit : Eh ! à quoi vous servirait-il ? Les postes autrichiens n'en tiendraient compte[11].

A Paris, cette rivalité était bien connue, et les chefs du gouvernement résolurent d'en tirer parti pour arriver à éteindre, par une série de paix partielles, l'incendie qui dévorait l'Europe. Obtenir d'emblée une paix générale, ils ne l'espéraient pas et le désiraient à peine ; car, à rappeler subitement dans l'intérieur un million d'hommes répandus tout le long des frontières, il y aurait eu peut-être quelque péril, mais traiter séparément et successivement avec les Puissances les moins hostiles, en commençant par la Prusse, voilà ce qui les tenta.

La froideur, très-égoïste, il faut le dire, des Comités de Paris pour la cause de l'infortunée Pologne et leur refus de la secourir n'eurent pas d'autre cause que le parti pris de ménager la Prusse, qui, de son côté, ne laissait échapper aucune occasion de se rapprocher de la France : témoin sa conduite à l'égard des prisonniers de guerre français, qui furent toujours bien traités par elle, tandis qu'ils étaient traités fort mal par l'Autriche, et plus mal encore par l'Angleterre[12].

Le ministère des affaires étrangères en Prusse était alors occupé par Haugwitz. Doué de talents très-contestés, sinon contestables, et d'une figure que Lavater trouva semblable à celle du Christ avant d'avoir découvert qu'elle appartenait à un homme de mœurs extrêmement relâchées, Haugwitz avait dû son crédit auprès de Frédéric-Guillaume II à la secte des Illuminés, qui avait su s'attacher ce prince ; et il est à remarquer qu'il fut nommé ministre des affaires étrangères le 21 janvier 1795, c'est-à-dire le jour même de l'exécution de Louis XVI[13]. Sa tendance à pactiser avec la Révolution française lui vint-elle de cet esprit révolutionnaire qui, dans la secte des Illuminés, s'enveloppait des ombres du mysticisme ? Ce qui est certain, c'est que Haugwitz fut le principal agent du système qui, par la paix dont nous racontons l'histoire, allait saper les fondements du vieil Empire germanique, tel que l'avaient fait les institutions religieuses du passé et le génie catholique.

Ce fut dans les premiers jours d'octobre 1795 que le Cabinet de Berlin arrêta de donner au corps germanique l'impulsion pacificatrice[14]. Le terrain avait été déjà obscurément préparé : du côté de la Prusse par un marchand de Kreuznach, nommé Schmertz, agissant sous l'impulsion de Muhlendorf, et, du côté de la France, par Bacher, agent moitié militaire, moitié diplomatique, à qui ses liaisons avec Mongelas, ami confidentiel des héritiers de Charles-Théodore et du duc des Deux-Ponts, donnaient de puissants moyens d'intrigue à Munich et dans quelques autres parties de l'Allemagne[15]. La mission confiée au prince de Hardenberg d'influencer, dans le sens de la paix, les cercles de Franconie et du Bas-Rhin, tandis que Bacher agirait sur le Palatinal et la Bavière[16], accéléra le triomphe de la politique prussienne.

Hanovrien, Hardenberg avait fait son noviciat dans l'administration de l'électorat de Hanovre ; et, bien que d'amères pensées dussent s'associer, dans son esprit, au souvenir de l'Angleterre, où il s'était vu enlever par l'héritier du trône sa femme, une des plus belles personnes de cette époque, il avait un penchant décidé pour les Anglais. Mais, recommandé par le duc de Brunswick à Frédéric-Guillaume II, et attaché par Frédéric-Guillaume Il au service du margrave de Anspach-Bayreuth, les services mêmes qu'il avait eu occasion de rendre au roi de Prusse l'avaient rendu Prussien avant tout. C'était, en effet, dans le temps où il dirigeait l'administration des provinces d'Anspach et de Bayreuth que la célèbre actrice française, mademoiselle Clairon, maîtresse du margrave depuis dix-sept ans, fut obligée de céder la place à Elisabeth Berkelay, veuve de lord Craven. Or lady Craven voulait bien être la femme du margrave, mais non sa maîtresse : circonstance gênante pour la Prusse, à laquelle le margrave devait laisser ses domaines, s'il lui arrivait de mourir sans enfants légitimes. Pour que l'ambition de la Prusse ne fût pas frustrée, il fallait pourvoir au sort des enfants à naître du mariage de lady Craven avec. le margrave. On eut recours à Hardenberg, qui résolut le problème à la satisfaction des deux parties, et qui, après la cession du margraviat en décembre 1791, continua de l'administrer au nom du roi de Prusse[17].

Au surplus, le prince de Hardenberg était un de ces diplomates courtisans pour qui la volonté du souverain fait loi : ce qui explique de reste la docilité avec laquelle il se prêta au succès d'une politique qui, si l'on en juge par ses propres Mémoires, ne fut pas celle de ses convictions[18].

Bientôt, grâce à lui, l'impulsion donnée par la Prusse aux petites Cours d'Allemagne eut l'effet espéré. Au fond, ce qui dominait dans cette vaste république de princes, c'était bien moins le désir de rétablir la monarchie en France que celui de mettre obstacle aux vues d'agrandissement qu'on supposait à l'Autriche[19]. De là le succès des manœuvres diplomatiques du prince de Hardenberg.

L'électeur palatin fut le premier à exprimer en pleine diète ses vœux pour la paix, et la proposition formelle en fut faite aussitôt par l'électeur de Mayence, en sa qualité d'archichancelier de l'Empire. Cette proposition était attendue : l'électeur palatin, l'électeur de Saxe et le duc de Wurtemberg y adhérèrent. Que déciderait le Cabinet de Vienne ? Ne convenait-il pas de le savoir, avant de rien précipiter ? Telle fut l'opinion du margrave de Bade[20].

La politique du Cabinet de Vienne était alors dirigée par deux hommes dont l'un, Thugut, penchait pour l'alliance avec la France, et l'autre, Colloredo, pour l'alliance avec l'Angleterre. Mais Colloredo lui-même, quoique entretenu dans des idées belliqueuses par son correspondant politique, le royaliste Mallet du Pan, ne pouvait se dissimuler combien il était impossible à l'Autriche de continuer la guerre, si elle restait abandonnée à ses propres forces[21]. Quant à l'Empereur, il était, personnellement, très-hostile à la France : disposition d'esprit que Thugut s'abstenait de heurter de front, de peur de compromettre son crédit[22].

La réponse de l'Autriche à la proposition pacificatrice se ressentit de cet état d'incertitude : elle demanda qu'on mît en délibération s'il fallait faire la paix, sans s'expliquer provisoirement sur la manière de la faire[23].

Inutile de dire avec quel empressement la Prusse adhéra, elle, à cette proposition pacificatrice qu'elle-même sous main avait suggérée.

Restait à savoir quand s'ouvrirait la délibération ; et, à cet égard, l'électeur de Mayence et d'autres co-états de l'Empire, poussés par la Prusse, se montraient fort pressés et fort pressants. L'Autriche réclama un délai de six semaines, pour prendre, disait-elle, l'avis du Cabinet britannique. En réalité, ce qui la préoccupait, c'était la question des subsides : si Pitt lui fournissait de l'argent, elle pouvait se prononcer contre la paix, l'entraver du moins.

Pitt n'hésita pas à prendre l'Autriche à sa solde ; il promit quatre millions de livres sterling, sous le nom d'emprunt, et s'engagea à faire voter cet emprunt par la majorité dont il disposait dans le parlement[24]. Voilà ce que sir Morton Eden fut chargé d'aller dire à la Cour de Vienne, à qui cette assurance permit de regarder l'avenir d'un œil plus calme[25].

Le 5 décembre 1794, la paix ayant été mise sur le tapis dans les trois collèges de l'Empire, non-seulement trente-sept voix se déclarèrent pour la paix, mais il yen eut trente-six qui demandèrent qu'elle se fit par la médiation du roi de Prusse[26]. L'Autriche, quoique blessée au cœur, prit soin de voiler sous des dehors de modération le caractère hostile de son suffrage, qu'elle donna le 19 décembre 1794. Elle ne repoussait pas la paix d'une manière absolue, pourvu qu'on partît du rétablissement des possessions respectives sur le pied de la paix de Westphalie. C'était un moyen habile de pousser à la continuation de la guerre ; car la Convention n'entendait traiter que sur la base de la cession de la rive gauche du Rhin, et l'Autriche le savait.

Mais la Prusse avait depuis longtemps pris son parti. Fier du rôle de médiateur que lui assignait le vœu de la plupart des princes allemands, ardent à profiter de cette occasion d'agrandir son influence aux dépens de la maison d'Autriche, et prêt à abandonner ses possessions sur la rive gauche du Rhin, si la France lui assurait une riche compensation sur la rive droite, Frédéric-Guillaume II se prépara froidement à sacrifier aux vues particulières de la Prusse l'intérêt général de l'Empire germanique.

Le comte de Goltz avait été muni des pouvoirs du roi de Prusse, pour la négociation, dès le 8 décembre 1794[27], et, le 28 décembre, il était à Bâle, résidence du ministre plénipotentiaire français, Barthélémy.

Ses instructions, rédigées par Haugwitz, portaient que Sa Majesté Prussienne était charmée du changement survenu dans les principes et la marche du gouvernement français ; que son désir de faire la paix venait principalement de là[28] ; que, du reste, la Prusse avait toujours été animée de sentiments favorables à la nation française, ce dont Sa Majesté avait donné des preuves durant le cours de la guerre. Le fait était vrai ; mais, en l'avouant, le ministre prussien reconnaissait avec une singulière audace que, pendant la guerre, la Prusse avait ménagé ses ennemis aux dépens de ses alliés[29].

Cependant une difficulté se présenta, tout d'abord. Le Comité de Salut public voulait la négociation à Paris, sous ses yeux ; et c'est à quoi le roi de Prusse s'opposait, sous ce prétexte — remarquable de la part d'un prince allemand — qu'il existait à Paris une queue du comité autrichien qui, bien que repliée sur elle-même, s'agiterait dans tous les sens pour entraver la négociation et la faire échouer[30] ; mais, au fond, ce que le roi de Prusse craignait, c'était qu'on ne vît dans une concession de ce genre une marque de déférence trop éclatante donnée par un roi à une assemblée de régicides. Et puis, il n'était pas sans prendre souci de l'ardeur des sympathies éveillées parmi ses sujets par cette Révolution avec laquelle son égoïsme de monarque seul l'avait amené à traiter. Le général autrichien Hotze, qui, des environs de Bâle, observait avec une vigilance équivoque tout ce qui s'y passait, écrivait : Il y a souvent des dîners entre les Prussiens et les Français, où les Prussiens portent des toasts à la prospérité et à la gloire de la République française, et vice versa. Au milieu de tout cela, on oublie le bon roi Guillaume[31]. Il est aisé de comprendre qu'un oubli de cette nature ne fût pas du goût du roi de Prusse.

Toutefois, il n'eut garde d'offenser le Comité de Salut public ; et, le 2 janvier 1795, Cambacérès et Rewbell, qui avaient plus particulièrement la conduite des affaires diplomatiques, virent arriver à Paris le conseiller de légation Harnier, envoyé de Berlin pour déclarer que la Prusse ne s'opposerait pas à l'abolition du stathoudérat en Hollande, et qu'elle était prête à consentir à l'occupation provisoire de la rive gauche du Rhin par la France, sauf à renvoyer à la paix générale la cession définitive[32].

Chose curieuse et caractéristique ! La raison donnée par le roi de Prusse pour différer la cession de la rive gauche du Rhin jusqu'à la paix générale, fut la crainte que l'Autriche, si le sort des armes la rendait victorieuse, ne s'emparât de ce pays comme appartenant à la France : ce qui revenait à dire : Que le Rhin devienne un fleuve français, s'il ne doit rester allemand qu'à la condition d'être à l'Autriche !

Le 12 janvier 1795, le ministre plénipotentiaire français, Barthélémy, arrivait à Bâle, et, dès le lendemain même, il échangeait ses pleins pouvoirs contre ceux du comte de Goltz.

Barthélemy était un marquis ; il en avait le ton, les manières, presque les sentiments : c'était un noble de l'ancien régime égaré au service de la Révolution. Mais cela même le rendait propre à aplanir les difficultés que présentait la négociation de la paix avec la Prusse : difficultés sérieuses, car les questions à résoudre étaient celles-ci :

1° Armistice préliminaire ;

2° Évacuation de Mayence par les Prussiens ;

3° Occupation des possessions prussiennes sur la rive gauche du Rhin ;

4° Neutralité de la Prusse comme État d'Empire ;

5° Etablissement d'une ligne de démarcation pour le nord de l'Allemagne[33].

Tel était l'état des choses lorsqu'eut lieu l'invasion de la Hollande, événement par lequel, selon l'expression de Carnot, le noyau de la Coalition fut brisé.

Le grand coup frappé au nord par la France ayant eu beaucoup d'influence sur l'issue des négociations dont nous avons commencé le récit, voyons, avant de le poursuivre, comment la conquête de la Hollande s'effectua et ce qu'elle produisit.

Jamais, peut-être, l'Histoire n'offrit un spectacle plus extraordinaire que celui d'un peuple qui soupire après le bonheur d'être conquis, s'arme contre les alliés qui le défendent, appelle les conquérants, leur tend les bras,

les accueille avec transport, et reçoit la liberté des mains de ses ennemis de la veille, devenus ses frères du lendemain.

Un pareil phénomène ne se peut expliquer que par ce mystérieux, cet irrésistible pouvoir de fascination que posséda la Révolution française, pouvoir auquel se joignit, en Hollande, l'influence de causes antérieures et anciennes.

Presque à dater du jour où, dans ce pays, il y avait eu deux partis face à face : celui des États et celui des princes d'Orange, le premier, fortement imbu de l'esprit républicain, n'avait pas cessé de pencher du côté de la France, tandis que le second avait toujours attendu son appui de l'Angleterre. L'illustre et héroïque Jean de Witt, grand pensionnaire de Hollande, quoiqu'il se fût uni à Charles II d'Angleterre et à Charles X de Suède pour faire restituer la Franche-Comté par Louis XIV, et qu'il se fût ensuite allié à l'Empereur et à l'Espagne pour tenir en échec l'ambition du monarque français, nourrissait des sympathies si décidément françaises, que l'invasion de 1672 donna le signal de sa perte. Si lui et son frère Corneille furent mis en pièces par la populace ; si leurs cadavres furent traînés dans les rues ; si on les suspendit à un gibet, ce fut parce que Louis XIV, en attaquant la Hollande, vint fournir aux Orangistes le moyen de rendre odieux au peuple, trompé, le penchant des républicains hollandais pour la France. Toutefois, l'influence française ne fut entièrement détruite, ni par la mort de ces deux grands hommes, Jean et Corneille de Witt, ni par la popularité que valut au prince d'Orange sa glorieuse résistance à Louis XIV. Lui-même détruisit son ouvrage, en épousant la fille de Jacques II, en devenant roi d'Angleterre sous le nom de Guillaume III, et en ne se souvenant pas assez de sa première patrie, quand il en eut une seconde qui, en l'adoptant, l'avait couronné.

Pendant qu'en Angleterre, on lui reprochait d'être resté Hollandais, on se mit à lui reprocher en Hollande d'être devenu Anglais, et de gouverner comme une province annexée à son vaste royaume, le pays auquel il devait tout. Le parti républicain reprit donc à la vie, et peu à peu devint le parti national, notamment après la mort du petit-neveu de Guillaume III, et sous le gouvernement d'Anne, sa veuve, princesse anglaise qui, par sa hauteur, sa morgue, le caractère presque exclusivement anglais de son entourage, acheva de rendre l'influence anglaise impopulaire dans les Provinces-Unies. Et ce fut bien pis encore sous l'administration de son fils, Guillaume V. Les prédilections anglaises de ce prince, hautement affichées ; son entourage plus que jamais composé d'Anglais ; la mauvaise réputation du duc de Brunswick-Wolfenbuttel, son précepteur et son conseiller, qui passait pour être vendu à l'Angleterre ; les efforts de cette dernière puissance pour entraîner la Hollande dans la guerre de Sept Ans, et enfin l'appui prêté à ces efforts par le duc, sans autre motif, disait-on, que la perspective d'une position brillante dans les armées alliées, tout cela contribua à établir l'ascendant du parti républicain et à augmenter, du même coup, l'influence de la France. Les idées de Jean-Jacques Rousseau, dont les livres furent imprimés en Hollande, et la guerre d'Amérique, firent le reste ; si bien qu'en 1787, une révolution éclata qui, sans l'intervention de la Prusse, en eût fini, dès lors, avec le stathoudérat.

La Révolution française trouvait donc, en Hollande, le terrain admirablement préparé pour la recevoir. Aussi fut-elle saluée avec enthousiasme, dans ce pays, par le parti républicain ; et, chose remarquable, même le parti du Stathouder ne put se défendre d'un sentiment d'admiration[34].

Au reste, peu importait ce que pensait ou ne pensait pas le second de ces deux partis ; car la prépondérance du premier était devenue absolument décisive. Une petite oligarchie, et les membres de l'Église réformée, — dans un temps où le pouvoir de l'Église n'était plus qu'un mot, — voilà tout ce qui constituait la force du Stathouder, tandis qu'on voyait marcher dans les rangs opposés les hommes les plus capables du pays, un grand nombre de personnages considérables et de bourgmestres, tous les dissidents : en un mot, les représentants de la puissance, au double point de vue de l'esprit et de la matière.

La province de Friedland fut la première à se prononcer. Dès le milieu du mois d'octobre 1794, les États de cette opulente province avaient pris la résolution de reconnaître la République française, de rompre avec l'Angleterre, et de s'allier à la France : cet exemple fut promptement suivi ; on soupçonna, on accusa le Stathouder de n'être entré dans la Coalition que pour usurper, dans les Provinces-Unies, l'autorité suprême ; et ce qui pouvait subsister encore d'attachement à la maison d'Orange fit bientôt place, presque partout, à la haine. Pour en arrêter l'explosion, le gouvernement dut en venir à défendre les réunions populaires : vaine défense, qui, loin d'intimider les esprits, les enflamma ! Au bruit de l'approche des Français, les chefs de l'armée alliée avaient proposé de combattre, comme au temps de Louis XIV, les envahisseurs par l'inondation de la contrée exposée à être envahie ; mais cette proposition tomba devant l'énergique résistance du parti même en qui le peuple voyait la patrie ! Quoi ! tout submerger ! tout détruire ! Et dans quel espoir ? On pouvait bien retarder la marche victorieuse des Français, peut-être ; mais les empêcher d'arriver... chimère ! Une pétition dans ce sens fut présentée par le parti patriote, en dépit d'une prohibition formelle. Pour toute réponse, on emprisonna les pétitionnaires. Mais la digue qui arrêterait un ruisseau n'arrête pas un torrent : il fallut les mettre en liberté, et le torrent, grossi par l'obstacle, n'en roula qu'avec plus de violence[35].

Nous avons décrit dans un précédent volume l'entrée et les progrès de l'armée française en Hollande : un fait qui mérite d'être noté, c'est qu'à mesure que nos soldats avançaient, la sympathie des Hollandais pour la France ne cessait de croître en force et en éclat[36]. De fait, le peuple envahi se trouvait représenté dans les rangs de l'armée envahissante par plus d'un patriote connu et éprouvé. Daëndels, par exemple, qui, en 1787, avait eu tant à souffrir de la part des nobles de Gueldre et des troupes du Stathouder, figurait, en 1794, au nombre des généraux français, et avait commandé une partie des forces qui, le 11 décembre, tentèrent le passage du Wahal[37].

A quoi pouvaient servir, dès lors, les proclamations du Stathouder, et ses appels réitérés à l'orgueil national, et sa demande d'une levée en masse ? La levée en masse eut lieu, mais contre lui. Le 19 janvier 1795, après avoir attendu inutilement une réponse à des propositions qu'il avait envoyées au gouvernement français, il fut réduit à s'embarquer pour l'Angleterre. Et ce ne fut pas sans difficulté ; car, le jour de son départ de la Haye, le peuple s'assembla en tumulte, réclamant sa mise en jugement. Il a trahi la Hollande ! Il s'est fait l'instrument des Anglais ! tel était le cri populaire. Pour protéger le prince, il fallut l'intervention de ses gardes[38].

Mais si la fuite du Stathouder fournit une preuve terrible de la préférence accordée par les Hollandais à ceux que l'Europe appelait leurs ennemis sur ceux qu'elle appelait leurs alliés, que dire du complément que vint donner à cette démonstration la retraite de l'armée anglaise ? Jamais certainement retraite ne fut plus digne d'admiration. Durant leur longue et tragique marche à travers les provinces d'Utrecht, de Gueldre, d'Over-Yssel et de Groningue, les Anglais déployèrent une persévérance, une fermeté d'âme, un courage, qui commandent le respect de l'Histoire. Mais rien n'attesta mieux que cette retraite l'antipathie qu'ils inspiraient aux habitants. Ils traversèrent villes et villages, sans qu'aucune main amie leur fût tendue, sans qu'aucun cœur compatissant parût s'émouvoir au spectacle de leurs souffrances[39].

Et quelles souffrances ! Dépourvus de tout, embarrassés d'artillerie, forcés de traîner à leur suite des fourgons chargés de malades et de blessés, ils virent s'étendre devant eux, avant d'arriver à Deventer, un désert sablonneux où pas une hutte, pas une tente, ne leur assurait. un abri. Un vent du nord, très-impétueux, leur jetait au' visage des flots de neige mêlés de sable. Le froid était tel, raconte un témoin oculaire, que l'eau qui coulait de nos yeux, se gelant à mesure qu'elle tombait, restait suspendue à nos cils sous forme de glaçons, et que notre haleine même devenait de la glace sur nos visages. Comme la nuit approchait, beaucoup, hommes et femmes, commencèrent à demeurer en arrière ; beaucoup, accablés de lassitude, se couchèrent sur le chemin et s'endormirentpour ne plus se réveiller[40].

Voilà ce que les Anglais avaient gagné à la politique de Pitt. C'était bien la peine de mettre le feu au monde !

Pichegru fit son entrée dans Amsterdam le 1er pluviôse (20 janvier 1795), au milieu des transports de joie et des acclamations. La veille, le Comité révolutionnaire d'Amsterdam avait publié la proclamation suivante :

Braves citoyens, W. E. G. Pruys, S. Wiseleus, J. J. A. Goges, J. Thœn, D. Von Laer, J. Ondoup, E. Vandestins, P. Duereult, J. Van Hassen, P. J. R. P. Vander Aa, formant votre Comité révolutionnaire, vous souhaitent santé et fraternité. Grâce au puissant secours de la République française et à votre propre énergie, la tyrannie qui pesait sur vous est par terre. Vous êtes libres, vous êtes égaux. Livrez-vous avec confiance et sécurité à vos travaux ordinaires. Vos personnes et vos propriétés seront protégées. Les Français qui sont parmi nous se conduisent réellement comme nos frères. Toute idée de rapine et d'injustice leur est inconnue. Pour eux comme pour nous, la fraternité est à l'ordre du jour.

P. J. B. C. VANDER AA.

Amsterdam, 19 janvier 1795, le premier jour de la liberté hollandaise[41].

 

Cette proclamation fut suivie d'une seconde, qui parut signée des conventionnels Gillet, Bellegarde, Lacoste, Joubert et Portiez (de l'Oise). Elle disait :

Nous ne venons pas faire de vous des esclaves ; la République française vous conservera votre indépendance.

Les armées de la République observeront la plus stricte discipline.

Tous crimes et délits seront punis avec la dernière sévérité.

La sûreté individuelle sera garantie, les propriétés seront protégées.

Les lois et les coutumes du pays seront provisoirement maintenues.

Le peuple batave, exerçant cette souveraineté qui est son droit, possédera seul le pouvoir de changer ou de modifier la forme de son gouvernement[42].

 

L'attitude des soldats français répondit à ces magnanimes promesses. Portés par la victoire au sein d'une ville qui regorgeait de richesses, après avoir eu à subir toutes sortes de privations et de fatigues, ils n'exigèrent rien, ne demandèrent rien, et, plaçant leurs armes en faisceaux, ils attendirent avec un ordre admirable, dans le silence du respect, la décision des magistrats relativement à leur nourriture et à leur gîte[43].

C'est grâce à sa généreuse conduite que la France vit se soumettre sans aucune résistance, comme Carnot le fit remarquer dans son rapport du 2 ventôse (20 février 1795) : Berg-op-Zoom, qui, en 1747, nous avait coûté dix mille hommes ; Gertruydemberg, qui avait arrêté Louis XIV au milieu de ses victoires ; Williamstadt, qui fut le terme de nos propres succès en 1793 ; Gorcum, la clef des grandes inondations ; Flessingue, l'une des trois places que Charles V conseilla à Philippe II de conserver avec soin ; Middelbourg, qui avait soutenu un siège d'un an ; les trois provinces d'outre Rhin, la Frise, l'Over-Yssel, Groningue, et enfin les deux flottes du Texel et de la Zélande[44].

Est-il besoin d'ajouter que les Hollandais mirent à pourvoir aux besoins de l'armée française le plus noble empressement ? Sur l'invitation des représentants Haussmann, Joubert, Alquier, Gillet, Roberjot et Lacoste, les États-Généraux, auxquels on s'était adressé pour n'avoir pas à recourir aux réquisitions, décidèrent qu'il serait fourni à l'armée française, dans l'espace de deux mois, deux cent mille quintaux de blé, cinq millions de rations de foin, deux cent mille rations de paille, cinq millions de boisseaux de grains, cent cinquante mille paires de souliers, vingt mille paires de bottes, vingt mille habits et gilets, cent cinquante mille paires de pantalons, deux cent mille chemises, cinquante mille chapeaux, et douze mille bœufs[45]. Ces approvisionnements étaient considérables, mais on savait que la demande avait été calculée strictement sur les besoins, et on y satisfit avec bonne grâce.

Le jurisconsulte Schimmelpenninck, homme de beaucoup de savoir et de probité, mais d'un caractère peu ferme, comme la suite le prouva, s'était montré un des plus ardents à accueillir les Français : on l'élut président de la municipalité d'Amsterdam, et il prit alors une part active à l'établissement de la République bataves[46].

La proclamation de la souveraineté du peuple, l'abolition du stathoudérat, l'annulation des sentences prononcées contre les patriotes, le rappel des exilés, tels furent les premiers actes de l'Assemblée des représentants provisoires du peuple hollandais, élue sous l'influence française, et présidée par Peter Paulus. Tout ce que la Prusse avait fait en 1787, cette Assemblée le défit, et, le 3 février, sa profession de foi parut sous la forme d'une Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, reproduction de celle qui proclamait les principes de la Révolution française[47].

Ainsi s'accomplit ce grand événement. Il ne donna lieu à aucun désordre, ne fit pas couler une goutte de sang, et aux acclamations qu'il provoqua l'on n'entendit se mêler aucune voix haineuse, aucun cri de vengeance. L'aspect d'Amsterdam était radieux ; les seules larmes qu'on y versa furent des larmes de joie[48].

Et, pendant ce temps, la Belgique demandait avec instance à faire partie du peuple français ; Pérès et Haussmann pouvaient à peine suffire à la transmission des requêtes qui, dans ce but, leur arrivaient de toutes parts ; les membres de l'administration générale de la Flandre orientale, siégeant à Gand, écrivaient à la Convention : Oui, législateurs, les habitants de ce beau pays sont dignes d'être Français ; de Bruxelles, les membres de l'administration centrale de Belgique conjuraient, à leur tour, la Convention de se rappeler que, depuis deux ans, les Belges soupiraient après le jour, l'heureux jour où ils pourraient dire avec enthousiasme : Nous sommes Français !Ce peuple généreux de France, écrivaient les administrateurs bruxellois, ce peuple qui mérite l'admiration de l'univers, est fait pour aimer les Belges, pour fraterniser avec eux. Pourquoi différer de proclamer cette union ?[49] Que dire encore ? le 2 mars 1795, la Convention recevait des magistrats d'Anvers l'adresse suivante : Enfin, nous voici au terme de nos souffrances. Le décret du 22 pluviôse calme nos cœurs. Vous avez brisé nos chaînes, complété notre bonheur en nous unissant à vousVive la République française sur la face du monde entier ![50]

La révolution survenue en Hollande, la puissance singulière d'attraction que la République française exerçait autour d'elle, le traité que, le 9 février 1795, la Toscane conclut avec la France, tout concourait à affermir le roi de Prusse dans son désir d'arriver à la paix. Ce désir chez lui était d'autant plus vif qu'il s'irritait de la part qu'on lui avait faite dans le partage de la Pologne, son lot ne se composant que de neuf cent trente-deux mille deux cent quatre-vingt-dix-sept habitants, tandis que celui de l'Autriche en comprenait un million trente-sept mille sept cent quarante-deux, et celui de la Russie, un million cent soixante-seize mille cinq cent quatre-vingt-dix[51].

Les négociations de Bâle, interrompues le 6 février 1795, par la mort du comte de Goltz, furent donc reprises par Hardenberg, qu'on lui donna pour successeur[52].

Inutile de dire que le Cabinet de Saint-James brûlait de les entraver. Le moyen auquel il eut recours vaut qu'on le signale : il montre de quels vils ressorts se compose le gouvernement des peuples par les rois.

Frédéric-Guillaume II avait séduit, lorsqu'il n'était encore que prince royal, l'aînée des trois filles d'Élie Henke, musicien de la chapelle de Frédéric le Grand. Cette femme, dont la violence égalait la beauté, maltraitait volontiers Wilhelmine, sa plus jeune sœur. Un jour, elle lui donna un soufflet en présence du prince, qui, ému de pitié, prit Wilhelmine sous sa protection, et, passant bientôt de la pitié à l'amour, fit de sa protégée sa maîtresse[53]. Wilhelmine avait alors treize ans[54] ; c'était donc une enfant. Le prince se plut à être son instituteur, et, entre autres romanciers, il lui apprit à admirer — trait caractéristique du dix-huitième siècle — Voltaire, l'abbé Prévost et l'immortel Jean-Jacques. L'extrême et durable attachement que Frédéric-Guillaume ressentit pour Wilhelmine Henke vint-il de ce qu'il put s'aimer dans son élève ? Ce qui est certain, c'est que ce lien se trouva être de ceux que la mort a seule pouvoir de rompre[55].

S'il faut en croire les Mémoires de la favorite, l'amour avait déjà cessé entre elle et le prince, lorsque celui-ci devint roi[56] ; mais, amour ou amitié, le sentiment qu'elle inspirait à Frédéric-Guillaume n'en était pas moins impérieux, et madame de Rietz — c'était le nom du mari que le roi lui avait donné avant de la faire comtesse de Lichtenau — passait pour avoir sur l'esprit de Frédéric-Guillaume II un empire absolu. Ce fut à elle que les diplomates de la Cour d'Angleterre songèrent à s'adresser.

Laissons-la parler :

Peu de temps avant la paix de Bâle, en 1795, je reçus de lord Henry Spencer, ambassadeur d'Angleterre à la cour de Prusse, un billet par lequel il me demandait un entretien particulier de la plus haute importance. Je dois prévenir mes lecteurs que je ne connaissais qu'imparfaitement lord Henry Spencer, et qu'il venait très-rarement chez moi. Je lui répondis aussitôt que je le recevrais le jour même, entre sept et huit heures du soir. Il fut exact au rendez-vous. Après avoir parlé pendant quelque temps de choses indifférentes, il en vint au point important, et me dit qu'il savait de bonne part que le roi était dans l'intention de faire la paix avec la France. Il me peignit avec les couleurs les plus vives le tort qu'une pareille alliance pouvait faire à la Prusse, me parla d'un subside de plusieurs millions de piastres que l'Angleterre se proposait de donner à cette dernière Puissance, et appuya cette assertion de plusieurs raisons que je ne me rappelle plus. Ma réponse fut courte et précise : Jamais, lui dis-je, je ne me suis mêlée d'affaires publiques. Il ne se tint pas pour battu, et me pria seulement de lui faire obtenir, à l'insu des ministres, une audience du roi, et de me servir de tout le pouvoir qu'il me supposait sur son esprit pour le détourner de conclure la paix avec la France. Il ajouta qu'il était chargé, dans le cas où la négociation tournerait suivant le désir de sa Cour, de me donner de sa part cent mille guinées, comme un gage de sa reconnaissance, démarche qu'elle faisait d'autant plus volontiers, qu'elle était instruite que le roi ne s'était pas encore occupé de mon avenir. La proposition d'une somme aussi considérable me parut suspecte. J'en fus vivement offensée, et je répondis assez sèchement que je ne concevais pas comment lord Henry Spencer pouvait s'adresser à moi pour une intrigue pareille. Je finis cependant par demander pour lui une audience particulière. En effet, le lendemain, je rendis compte à Sa Majesté de l'audience que j'avais eue avec lord Spencer. Le roi sourit, et dit qu'il accorderait l'audience, mais qu'il ne changerait rien à ce qu'il avait résolu[57].

 

Ce fut le 18 mars 1795 que Hardenberg fit son entrée à Bâle, au grand désespoir de son correspondant royaliste, Mallet du Pan, qui, à la première nouvelle de l'arrivée prochaine du négociateur prussien, avait, de dépit, suspendu sa correspondance[58].

Non-seulement Hardenberg fut fidèle à ses instructions, mais il se conduisit à l'égard des représentants de la France avec une aménité de manières et une courtoisie qui les charma. Je lui ai trouvé l'air et le ton d'un marquis français, dit Merlin (de Thionville) à ses collègues de Paris[59].

Le but de la Prusse étant d'établir sa prépondérance en Allemagne, aux dépens de l'Autriche, la question pour elle était de conduire la négociation de manière à détacher de la Coalition tous les princes d'Allemagne qui désiraient la paix, en les amenant à traiter séparément avec la France, mais toujours sous l'égide et grâce à la médiation de la Prusse : c'est ce résultat que poursuivit Hardenberg, en demandant qu'on traçât d'abord une ligne de démarcation qui comprît les terres et domaines d'Allemagne appelés à jouir de la neutralité. Consulté par Barthélémy, le Comité de Salut public, après un premier refus, crut devoir acquiescer à cette demande, comprenant que, dès que la Prusse redevenait notre amie, sa prépondérance dans l'Empire germanique, loin de faire ombrage à la République française, devait lui paraître désirable[60].

D'un autre côté, la Prusse, ainsi que nous l'avons déjà dit, avait pris son parti de l'abandon provisoire de la rive gauche du Rhin, et même de l'abandon définitif, si on lui assurait sur la rive droite un dédommagement convenable.

On n'eut donc pas de peine à s'entendre ; et, le 16 germinal (5 avril)[61], la célèbre paix de Bâle fut conclue.

De la part du roi de Prusse, les conditions furent :

De vivre en bonne amitié avec la République, tant comme roi de Prusse que comme membre de l'Empire germanique ;

De ne fournir aux ennemis de la France ni contingent ni secours ;

D'abandonner aux Français l'occupation des possessions prussiennes situées sur la rive gauche du Rhin, jusqu'au jour de l'arrangement définitif à intervenir lors de la pacification générale.

A ces conditions, la France prenait l'engagement :

De retirer ses troupes des possessions prussiennes situées sur la rive droite du Rhin ;

D'accueillir les bons offices du roi de Prusse en faveur de l'Empire, et de ne pas traiter en ennemis ceux des États dudit Empire auxquels le roi de Prusse s'intéressait[62].

Ces stipulations, comme on voit, ne comprenaient pas la reconnaissance, en faveur de la Prusse, du principe d'une indemnité pour la cession de ses possessions sur la rive gauche du Rhin, et cette lacune avait été laissée à dessein, la Prusse jugeant utile de voiler ses vues d'agrandissement, qui eussent alarmé et irrité l'Allemagne. Le problème fut résolu par l'adoption d'articles secrets : procédé beaucoup plus conforme au génie des monarchies qu'à celui des républiques, et qui rencontra dans la minorité de la Convention une résistance fondée sur de nobles considérations. Mais, pour les chefs du gouvernement français, le temps des grandes choses grandement accomplies était passé, et il était dans la nature de la réaction thermidorienne de recourir aux voies tortueuses de l'ancienne diplomatie : Cambacérès obtint de la Convention que le Comité de Salut public fût autorisé à joindre un traité clandestin au traité ostensible[63]. Les articles secrets dont on convint furent ceux-ci : — Nous les donnons tels que le prince de Hardenberg lui-même les dévoila pour la première fois dans les Mémoires tirés de ses papiers.

Par l'article premier, le roi de Prusse s'engageait à ne former aucune entreprise hostile contre la Hollande, ni contre aucun pays occupé par les troupes françaises.

L'article 2 promettait d'indemniser la Prusse, dans le cas où la France ses limites jusqu'au Rhin.

Dans l'article 3, la République française consentait à ne pas pousser les opérations militaires dans les pays situés au delà de la ligne de démarcation.

Enfin la France, pour le cas où elle étendrait ses limites jusqu'au Rhin et resterait en possession des États du duc des Deux-Ponts, s'engageait à garantir la somme de un million cinq cent mille rixdallers — environ cinq millions deux cent cinquante mille francs —, prêtée au duc des Deux-Ponts par le roi de Prusse[64].

 

Quant aux pays compris dans la ligne de démarcation, c'étaient les cercles de Westphalie, de la basse et haute Saxe, de la Franconie, et la partie des deux cercles du Rhin, située sur la rive droite du Mein[65].

Telle fut cette paix de Bâle, qui frappa l'Europe de stupeur, tant il lui sembla étrange que celui-là fût le premier à abandonner la ligue des rois qui en avait été l'Agamemnon !

Pour ce qui est de la France et de la Prusse, le traité était avantageux : à la première, en couronnant ses succès militaires et en la débarrassant de toute crainte du côté de la Hollande ; à la seconde, en soumettant à l'influence prussienne le nord de l'Allemagne.

Aussi la joie fut-elle extrême dans l'un et l'autre pays[66]. Lorsque Rewbell vint offrir le traité de Bâle à la ratification de la Convention, la salle fut, à diverses reprises, ébranlée par un tonnerre d'applaudissements et par le cri de : Vive la République ![67]

Les royalistes avaient, jusqu'au dernier moment, cru ou affecté de croire un pareil événement impossible : leur douleur et leur confusion furent sans bornes[68]. La nouvelle en parvint à Mallet du Pan, au moment même où il fermait une lettre dans laquelle il assurait le maréchal de Castries qu'on n'était pas près de conclure[69]. Peu de jours après, il écrivait à l'abbé de Pradt, dans un transport de colère : La renommée qui, comme la peste, propage les poisons, vous aura instruit du traité de paix et d'amitié signé le 5 à Bâle... Encore six semaines de patience, et la Convention croulait ! Le roi de Prusse lui apporte un étai, il la remet à flot, il alimente la ressource de ses charlataneries épuisées[70].

Ce langage était celui de la fureur, qui exagère tout. Mais que la paix de Bâle vînt fournir un appui utile au parti thermidorien, c'est ce qu'il sentait si bien lui-même, que le Comité de Salut public fit présent au prince de Hardenberg d'un magnifique service de porcelaine de Sèvres, autrefois destiné à la table de Louis XVI[71].

En Allemagne, pendant ce temps, tous ceux que touchait l'intérêt de la patrie commune se répandaient en amers discours. Était-ce donc là que devait aboutir cette guerre où Frédéric-Guillaume les avait engagés ? Etait-ce pour rendre la Prusse forte de la faiblesse de l'Allemagne, qu'il leur avait mis les armes à la main ? Et quelle était la nation qui, avec la Prusse, gagnait au résultat de tant d'efforts faits en commun par les États germaniques ? C'était la France, la France, contre laquelle Berlin avait prêché une croisade universelle ! Ainsi parlaient les uns, tandis que les autres reprochaient à Frédéric-Guillaume d'avoir usurpé en fait l'autorité du chef de l'Empire. Hardenberg ne se dissimulait pas que l'intérêt allemand venait d'être sacrifié, et nul ne jugeait avec plus de sévérité que lui ce qui était son ouvrage[72].

A Vienne, le déchaînement fut terrible. Si jamais le lien fédéral était brisé, l'Empire germanique dissous, l'Allemagne mise en lambeaux, la faute en serait au gouvernement de Berlin. A lui de répondre des suites devant l'Allemagne et devant l'Europe ! Voilà quels reproches l'ambassadeur Lucchesini eut à essuyer de la part des ministres d'Autriche ; et l'orage grossit au point, que le ministre de Brandebourg dut remettre à la Diète, au commencement de mai, une déclaration dans laquelle le roi de Prusse alléguait des motifs d'urgence et de nécessité pour s'excuser d'avoir fait sa paix particulière avec la France[73].

Au fond, ce qui troublait profondément l'Autriche, c'était la crainte que, si le système des paix partielles prévalait, elle ne restât isolée, et exposée seule aux coups d'un ennemi dont elle connaissait la puissance. Mais qu'opposer à ce système des paix partielles, que favorisait la lassitude générale des peuples ? L'Autriche crut ne pouvoir mieux faire que d'adopter elle-même le langage de la paix, en se plaçant au point de vue de l'intérêt de tous, et en protestant avec force contre le principe des paix séparées.

Tel fut l'objet du rescrit impérial qui fut présenté, à Ratisbonne, le 4 mai 1795. Or jamais, peut-être, l'Histoire n'eut plus belle occasion de prendre en flagrant délit la fourberie diplomatique ; car d'un simple rapprochement de dates, fait ici, nous le croyons, pour la première fois, il résulte que le rescrit impérial était un solennel mensonge. Ce fut en effet le 4 mai 1795 que la Diète reçut communication de la pièce diplomatique où l'Empereur se donnait comme prêt à entrer en négociation avec la République française ; et, le 4 mai 1795, c'est-à-dire le même jour, le baron de Thugut et sir Morton Eden signaient, à Vienne, une convention par laquelle l'empereur d'Autriche s'engageait à tenir sur pied une armée d'au moins deux cent mille hommes, moyennant un secours pécuniaire de quatre millions six cent mille livres sterling, que, de son côté, le roi d'Angleterre s'engageait à garantir, avec le consentement du Parlement ; — le tout fondé sur ce que l'empereur d'Autriche et le roi de la Grande-Bretagne étaient également convaincus de la nécessité d'agir avec vigueur et énergie contre l'ennemi commun ![74]

Ce n'est pas tout : le 29 mai 1795, un traité d'alliance défensive était conclu, à Vienne, entre l'empereur d'Allemagne et le roi d'Angleterre[75], presque au moment[76] même où, par un second rescrit présenté à la diète de Ratisbonne, l'Autriche invitait le corps germanique à s'unir à son chef, pour obtenir sous ses auspices une paix que Sa Majesté impériale — était-il dit dans cette déclaration — désirait ardemment de procurer à l'Allemagne, comme État et comme membre de l'Empire ![77]

Tandis que ces choses se passaient, Rewbell et Sieyès, envoyés en Hollande, y arrêtaient, avec Peter Paulus, Lestevenon, Mathias, Pons et Hubert, les bases du traité qui devait unir définitivement ce dernier pays à la France.

Les négociateurs étaient, de part et d'autre, si disposés à agir de concert, que la discussion n'occupa pas plus de quatre conférences[78]. Ce fut le 27 floréal (16 mai) que le traité reçut les signatures des parties contractantes. Les principales conditions[79] furent celles-ci :

La République française reconnaît la République des Provinces-Unies comme puissance libre et indépendante, lui garantit sa liberté, son indépendance et l'abolition du stathoudérat.

Il y aura à perpétuité, entre ces deux Républiques, paix, amitié, bonne intelligence.

Il y aura entre les deux Républiques, jusqu'à la fin de la guerre, alliance offensive et défensive contre tous leurs ennemis, sans distinction.

Cette alliance offensive et défensive aura toujours lieu contre l'Angleterre, dans tous les cas où l'une des deux Républiques sera en guerre avec elle.

La République française ne pourra faire la paix avec aucune des autres Puissances coalisées sans y faire comprendre la République des Provinces-Unies.

La République des Provinces-Unies fournira, pour son contingent, pendant cette campagne, douze vaisseaux de ligne et dix-huit frégates. Elle fournira en outre, si elle en est requise, la moitié au moins des troupes qu'elle aura sur pied.

Les forces de terre et de mer des Provinces-Unies qui seront expressément destinées à agir avec celles de la République française seront sous les ordres des généraux français.

La République des Provinces-Unies rentre, dès ce moment, en possession de sa marine, de ses arsenaux de terre et de mer, et de la partie de son artillerie dont la République française n'a pas disposé.

La République française restitue pareillement, et dès à présent, à la République des Provinces-Unies, tout le territoire, pays et villes faisant partie ou dépendant des Provinces-Unies, sauf la Flandre hollandaise, Maëstricht, Venloo et leurs dépendances, ainsi que les autres enclaves et possessions situées au sud de Venloo, de l'un et de l'autre côté de la Meuse — acquisitions volontairement considérées comme une juste indemnité des restitutions consenties par la France victorieuse.

Le port de Flessingue sera commun aux deux nations, en toute franchise...

A la pacification générale, la République française cédera à celle des Provinces-Unies, sur les pays conquis et restés à la France, des portions de territoire égales en surface à celles réservées par les articles précédents.

La République française continuera d'occuper militairement, mais par un nombre de troupes déterminé et convenu entre les deux nations, pendant la présente guerre seulement, les places et positions qu'il sera utile de garder pour la défense du pays.

La navigation du Rhin, de la Meuse, de l'Escaut, du Hondt et de toutes leurs branches jusqu'à la mer, sera libre aux deux nations française et batave.

La République des Provinces-Unies payera cent millions de florins à la République française, à titre d'indemnité et de dédommagement des frais de la guerre.

La République française emploiera ses bons offices auprès des Puissances avec lesquelles elle sera dans le cas de traiter, pour faire payer aux habitants de la République batave les sommes qui pourraient leur être dues par suite de négociations directes avec le gouvernement avant la présente guerre[80].

 

Ce traité, lorsque Sieyès en donna communication à la Convention nationale, y fut applaudi avec transport[81].

Nul doute, en effet, qu'il ne fût très-favorable à la France, et que Sieyès ne fût fondé à dire : La Tamise doit voir avec inquiétude les destinées de l'Escaut[82]. Cependant, si l'on considère que, renonçant à la dure logique du droit de conquête, la France restituait volontairement une partie très-considérable du territoire que le sort des armes lui avait livré et qu'il ne tenait qu'à elle de garder ; si l'on considère que, même pour ce qu'elle croyait juste de retenir, elle s'engageait à indemniser plus tard la Hollande, et que, non contente de proclamer l'indépendance et la liberté des Provinces-Unies, elle contractait l'obligation de les défendre, il faudra bien reconnaître qu'il n'y eut rien dans le traité de la Haye qui ressemblât à un abus de la victoire. Cela est tellement vrai, que le Comité de Salut public encourut, au contraire, de la part de quelques esprits étroits, le reproche de n'avoir pas fait suffisamment tourner au profit de la France les triomphes de son génie guerrier. Les royalistes, que l'annexion de la Hollande à la République française eût désespérés si elle avait eu lieu, affectèrent de se récrier contre la politique qui sacrifiait une conquête magnifique à ce que Beaulieu, un des leurs, appelle une jonglerie révolutionnaire ; car c'est ainsi qu'il qualifie le fait de l'indépendance de la nation batave, solennellement reconnue[83].

Tout autre, et non moins injuste, fut, dans les pays étrangers, l'appréciation de ceux qui haïssaient le peuple français, moins encore à cause de ses principes qu'à cause de sa puissance. Ceux-là ne manquèrent pas de déclarer oppressif le traité imposé, disaient-ils, à la Hollande[84].

La Hollande se chargea de leur répondre.

Le 4 messidor (22 juin) 1795, des applaudissements réitérés annoncent, dans la Convention, l'arrivée de Blaw et Meyer, ministres plénipotentiaires de Hollande. Ils entrent, sont placés en face du président, et l'un d'eux, prenant la parole, commence en ces termes : Citoyens représentants, les ministres plénipotentiaires du peuple batave remplissent aujourd'hui un devoir bien cher à leur cœur, celui de la reconnaissance, celui de l'admiration. Le reste du discours était sur le même ton, et il se terminait par les paroles suivantes : Voici le drapeau de notre nation. Nous vous prions de l'agréer comme un gage de la fraternité qui nous unit, et de la bonne foi avec laquelle nous remplirons les engagements sacrés que nous avons contractés.

Les deux ministres furent alors invités à monter au Bureau, où ils reçurent l'accolade fraternelle du président, au sein de l'émotion générale, et au cri mille fois répété de : Vivent les deux Républiques ![85]

Ainsi, sur le continent, la Coalition s'écroulait. Quel parti allait prendre l'Angleterre ?

Dès le 6 janvier 1795, le comte Stanhope, dans la Chambre des Lords, avait présenté une motion contre toute intervention dans les affaires intérieures de la France ; et cette motion ayant été repoussée par un vote d'ajournement, à la majorité de soixante et une voix contre une, il avait consigné les motifs de son opposition solitaire dans une des plus belles protestations qu'aient jamais inspirées le culte de la justice et le génie de la liberté. Elle mérite d'être reproduite ici ; d'autant qu'on y trouve, résumées avec non moins de force que de noblesse, toutes les raisons qui, aux yeux de la partie la plus généreuse de la nation anglaise, militaient en faveur de la paix.

Dissident,

… Parce que le gouvernement de la Grande-Bretagne — n'ayant pas été élu par les citoyens de France — n'a pas plus le droit de donner à la France un gouvernement monarchique, aristocratique, ou tout autre, que les despotes couronnés de Prusse et de Russie n'ont eu celui de renverser la constitution libre de l'infortunée Pologne ;

Parce que, du fond du cœur, je désapprouve et réprouve la doctrine émise dans le débat par les ministres, savoir que, pour rétablir l'ancienne et héréditaire monarchie de France, aucune dépense ne doit être épargnée.

Parce que j'estime qu'il y a injustice criante, de la part des ministres, à adopter un principe qui les force à aggraver le fardeau qui pèse sur le peuple, -et à taxer les maisons des citoyens, leurs fenêtres, leurs lits, leurs chaussures, toutes les choses nécessaires à la vie. Pourquoi ? Pour atteindre un but condamnable.

Parce que la résolution adoptée par la Chambre des Lords tend à fermer la porte à la paix, et, conséquemment, à ruiner ce pays manufacturier, commerçant, et autrefois heureux, — surtout quand on considère que la force de la marine française s'est rapidement accrue, et que les marines hollandaise et espagnole vont probablement passer sous l'influence immédiate de la France ;

Parce que le trésor, la circulation, le crédit, soit public, soit privé, ont peu de chances de résister au choc terrible auquel ils sont exposés par les ministres ;

Parce qu'il est lamentable de voir la Chambre des Lords s'obstiner à vouloir intervenir dans l'organisation intérieure de la France, alors que la Constitution française, telle qu'elle a été adoptée le 25 juin 1795, par la Convention nationale, porte, articles 118 et 119 : Le peuple français est l'ami et l'allié naturel de tout peuple libre. Il n'intervient pas dans le gouvernement des autres nations, et ne souffre pas qu'elles interviennent dans le sien.

Parce que, suivant moi, une forme de gouvernement vraiment républicaine, établie en France, présente plus de garantie aux libertés de la Grande-Bretagne que le gouvernement capricieux, tyrannique, perfide, intrigant et inquiet de l'ancienne monarchie de France, ou de toute autre monarchie qu'on y pourrait fonder...

Parce qu'on ne doit pas continuer une guerre qu'avec un peu de modération il est possible d'éviter, principalement une guerre contre ce peuple français qui, par ses efforts républicains, son enthousiasme républicain, son courage républicain, a, presque invariablement mis la victoire à l'ordre du jour.

Parce que poursuivre sans nécessité une lutte aussi sanglante, c'est tenter d'une manière impie la Providence, qui tient dans ses mains le sort des batailles et le destin des empires ;

Parce que je ne veux pas avoir sur la conscience tout le sang innocent qui peut encore couler dans cette guerre, et toutes les calamités qui, pour la Grande-Bretagne elle-même, en peuvent être le résultat ;

Parce que ma motion avait pour but d'empêcher le gouvernement anglais de pousser à l'insurrection de la Vendée et autres parties de la France ;

Enfin, parce que le principe de ma foi est celui-ci, — inébranlable fondement de l'égalité des droits, et de la justice — Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fit à toi-même[86].

 

L'homme qui tenait ce langage avait épousé lady Esther Chatham, fille du célèbre comte Chatham ; il était donc le beau-frère de Pitt ! Sa vie entière fut consacrée à plaider, sous ses formes diverses, la cause, éternellement combattue, de la liberté et de la justice. Les journaux ministériels le désignaient sous le nom de minorité d'un seul. Et en effet, il était seul dans la Chambre des Lords, seul. avec sa conscience, avec les sympathies du peuple français et l'admiration des grandes âmes.

Fox, l'autre illustre champion de la paix en Angleterre, n'était pas, à beaucoup près, aussi isolé dans la Chambre des Communes. Quoique peu nombreuse, l'Opposition, qui marchait à sa suite, donnait à Pitt de cruels soucis. Fox n'eût-il eu pour l'appuyer que Sheridan, l'union de ces deux puissants esprits n'était pas chose avec laquelle on pût se dispenser de compter. Mais quoi ! au lieu de diminuer, l'Opposition s'était accrue, et, au mois de mai 1795, elle se trouvait avoir fait, relativement à la question spéciale de la guerre, une conquête d'un prix moral inestimable. Wilberforce, l'intime ami de Pitt, le zélé soutien de son administration, le plus vertueux et le plus accrédité de ses partisans ; Wilberforce, qui n'avait pas été un des moins ardents à prêcher la guerre contre la France et ses principes[87] ; Wilberforce lui-même était devenu l'avocat déclaré de la paix. Rien ne pouvait être plus sensible à Pitt que la défection d'un pareil allié[88] ; mais sa haine contre la France et son orgueil n'avaient pas encore appris à fléchir sous la rude discipline des revers. Wilberforce ayant présenté à la Chambre des Communes, le 27 mai 1795, une motion tendant à ce qu'on fit la paix avec la France, pourvu que ce fût à des conditions honorables, Pitt se tint prêt à soutenir le choc avec son énergie ordinaire.

La disposition générale de l'Europe à sortir des horreurs de la guerre ; l'abandon de la Coalition par la Prusse ; l'ardeur de la Hollande à se jeter entre les bras de la France ; le bruit qui courait sur les tendances pacifiques de l'Espagne ; le peu qu'il y avait à espérer du côté de la Sardaigne ; la lassitude et l'impuissance de l'Autriche, démontrées par ce rescrit de l'Empereur, que quelques-uns, il est vrai, soupçonnaient d'être un mensonge diplomatique, mais dont la sincérité devait être admise jusqu'à preuve du contraire ; l'esprit qui prévalait en Allemagne ; les effroyables calamités dont une invasion des hordes russes menaçait l'Europe, à supposer que la Russie se laissât entraîner par les Anglais sur ce vaste champ de carnage ; la difficulté de protéger suffisamment les colonies anglaises, à cause de leur immense étendue ; le danger de pousser, par la guerre même, à l'extension contagieuse des idées françaises, et celui, non moins grand, d'inculquer au peuple anglais des habitudes militaires peu compatibles avec le maintien de la liberté et la pratique des vertus civiles, telles furent les considérations développées par Wilberforce à l'appui de sa motion[89].

Fox les reproduisit et les compléta, dans cet éloquent langage qui lui était propre. Il déclara bien haut que chaque pays avait le droit de se gouverner comme il l'entendait, et que la prétention d'imposer une constitution à un autre peuple l'épée à la main était détestable. Il dit que l'Angleterre ne pouvait, sans se montrer sous un jour odieux, poursuivre l'embrasement du monde, alors que la paix était le vœu des alliés, le vœu des pouvoirs neutres, le vœu de la France elle-même. Comme exemples de ce qu'avait coûté à l'Angleterre cette obstination cruelle, il cita la retraite des Anglais à travers les provinces de la Hollande envahie, et ce fait, que de toutes les conquêtes de l'Angleterre dans les Indes occidentales, il ne lui restait plus qu'un poste à Saint-Domingue, un autre à Sainte-Lucie, et l'île de la Martinique. Je rappellerai, s'écria-t-il en terminant, ce que Burke disait, à propos de l'Amérique : Essayez de la paix et de la conciliation ; si vous échouez, alors poursuivez la guerre. Les maux de la guerre, nous les avons éprouvés ; les maux de la paix n'existent dans l'esprit de quelques hommes qu'à l'état d'hypothèse. Convient-il d'opposer une hypothèse à l'expérience ?[90]

La réponse de Windham à Wilberforce et la réponse de Pitt à Fox furent caractéristiques. Les arguments des deux ministres se réduisirent à peu près à ceci :

Qu'il fallait combattre à tout prix la contagion des principes de la Révolution française ;

Que le changement survenu le 9 thermidor, bien que considérable, ne donnait aucune garantie certaine contre un retour au prosélytisme révolutionnaire ;

Que la question était, non pas de savoir si une paix honorable n'était pas préférable à la continuation de la guerre, ce qui ne faisait doute pour personne, mais si la continuation de la guerre n'était pas précisément le moyen d'arriver à une paix honorable ;

Que le choix du moment devait être laissé à la Couronne ;

Que le déclin, en France, avait commencé ;

Que les déchirements intérieurs dont Paris donnait le spectacle attestaient la faiblesse du gouvernement et son défaut de stabilité ;

Qu'il ne fallait pas se méprendre sur la portée des succès militaires et diplomatiques de ce gouvernement : succès produits par une impulsion qui avait cessé, effets qui survivaient à leur cause ;

Qu'il n'y avait donc pas lieu pour l'Angleterre de remettre l'épée dans le fourreau, et qu'elle gagnerait tout à ne se point hâter[91].

Ces raisons l'emportèrent dans la Chambre des Communes, et l'ordre du jour sur la motion de Wilberforce fut adopté à la majorité de deux cent une voix contre quatre-vingt-six[92].

Ce qu'il y avait de vraiment remarquable dans le discours de Pitt, c'était le passage où il représentait la Révolution française tombée, depuis le 9 thermidor, dans un état d'irrémédiable faiblesse, et où il montrait dans ses derniers succès au dehors un effet qui survivait à sa cause[93]. Cette appréciation était d'une justesse surprenante.

Certes, à ne s'en tenir qu'aux apparences, la France, à aucune époque, n'était apparue, au dehors, plus imposante et plus terrible. Depuis Charlemagne, son empire ne s'était jamais étendu sur autant de contrées. Peu de temps après le jugement que Pitt portait sur elle, elle se trouvait avoir conquis la Belgique, les Sept-Provinces Unies, les évêchés de Liège, de Worms et de Spire ; les électorats de Trèves, de Cologne et de Metz ; le duché des Deux-Ponts, le Palatinat ; les duchés de Juliers et de Clèves, le duché de Savoie, les principautés de Nice et de Monaco, en Italie ; les provinces de Biscaye et de Catalogne en Espagne ; — le tout formant une population de treize millions d'âmes. Et ces conquêtes, elles étaient le résultat d'une lutte sans exemple, soutenue par la France seule contre une coalition formidable, ayant à son service d'immenses et valeureuses armées que commandaient de grands capitaines.

Quatre chiffres disent tout : dans l'espace de dix-sept mois, la France gagna vingt-sept batailles, resta victorieuse dans cent vingt combats, et prit cent seize places fortes ![94]

L'histoire d'aucun temps et d'aucun pays ne constate de tels prodiges militaires.

Mais il avait fallu, pour les rendre possibles, une impulsion souveraine qui n'existait plus ; et de même qu'une roue s'arrête quand elle a cessé d'être poussée, bien qu'elle continue à tourner quelque temps, en vertu de la première impulsion reçue, de même la Révolution devait s'arrêter, après la chute des idées qui lui avaient communiqué son mouvement, bien que l'effet n'eût pas disparu au même instant que la cause...

Chose singulière en apparence, mais en réalité très-explicable ! pendant qu'au dehors, la Prusse, la Toscane, les petits princes d'Allemagne, la Hollande, saluaient et subissaient la puissance du génie révolutionnaire, ce génie n'était déjà plus qu'une chose du passé, et, au dedans, la Révolution se mourait.

C'est l'histoire de son agonie que nous allons raconter dans les chapitres suivants, après avoir montré comment les royalistes, qui n'avaient pu la vaincre avec l'épée, l'attaquèrent avec le poignard.

 

 

 



[1] Annual Register, vol. XXXVII, p. 170.

[2] Ceci est reconnu par les écrivains anglais eux-mêmes : The inferior ranks, throughout all Europe, reprobated the Coalition against the French Republic, and styled it the war of kings against the people. Annual Register, vol. XXXVII, p. 146.

[3] Annual Reqister, vol. XXXVII, p. 146,147.

[4] Déclaration de M. Dundas à la Chambre des Communes, Annual Register, vol. XXXVII, p. 167.

[5] Annual Register, vol. XXXVII, p. 178.

[6] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'Etat, t. III, p. 86.

[7] Annual Register, vol. XXXVII, p. 173.

[8] Annual Register, vol. XXXVII, p. 166.

[9] Annual Register, vol. XXXVII, p. 166-174.

[10] Schlosser, Histoire du dix-huitième siècle (traduction anglaise de Davison), t. V, p. 605.

[11] Schlosser, Histoire du dix-huitième siècle (traduction anglaise de Davison), t. V, p. 605.

[12] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. III, p. 78 et 149.

[13] Voyez la Biographie universelle, art. Haugwitz.

[14] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. III, p. 87.

[15] Schlosser, Histoire du dix-huitième siècle (traduction anglaise de Davison), t. VI, p. 604.

[16] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. III, p. 87. — On sait que l'homme d'Etat des manuscrits duquel ces Mémoires sont tirés n'est autre que le prince de Hardenberg.

[17] Voyez l'art. HARDENBERG dans la Biographie universelle, et Schlosser, Histoire du dix-huitième siècle (trad. anglaise de Davison), t. VI, p. 543-544.

[18] Il est curieux de voir avec quelle sévérité la paix de Bâle est jugée dans les Mémoires tirés des papiers d'un homme d'Etat. Voyez t. III, p. 150.

[19] Et qui eussent indisposé toute l'Europe, si elles eussent été avouées, dit l'Annual Register, vol. XXXVII, p. 59.

[20] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. III, p. 90.

[21] Rapprocher ce que dit à ce sujet Schlosser, vol. IV, p. 605. 606, de ce qu'on lit dans les Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. III, p. 91.

[22] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. III, p. 93.

[23] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. III, p. 93.

[24] On a vu plus haut la réalisation de cette promesse.

[25] Schlosser dit 6.000.000 liv. st. Mais c'est une erreur. L'emprunt dont la proposition fut faite au parlement, le 4 février 1795, ne devait être que de quatre millions de livres st. Voyez l'Annual Register, t. XXXVII, p. 175. Il est vrai qu'il fut porté ensuite à la somme de quatre millions six cent mille livres st., mais pas au delà. Voyez la Convention signée le 4 mai 1795, par le baron de Thugut pour l'Autriche, et par sir Morton Eden pour l'Angleterre.

[26] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. III, p. 106.

[27] Moniteur, an III, n° 204.

[28] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. III, p. 112,114,

[29] Aussi Schlosser, dont le livre est écrit au point de vue nettement contre-révolutionnaire et exclusivement allemand, présente-t-il cet aveu comme un modèle d'impudence. Voyez la traduction de Davison, t. IV, p. 606.

[30] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. III, p. 116.

[31] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. III, p. 131 et 132.

[32] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. III, p. 118 et 119. — Schlosser, t. VI, p. 606, 607.

[33] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. III, p. 132.

[34] Nous empruntons ce trait à des notes intéressantes qu'a bien voulu nous fournir par l'intermédiaire d'un ami commun, M. Frédéric Muller, d'Amsterdam.

[35] Voyez l'Annual Register, vol. XXXVIII, p. 43-45.

[36] Il n'y a pas à en douter puisque les Anglais eux-mêmes l'ont attesté : The nearer the French armies drew to the confines of the United States, the bolder and more explicit was the avowal of the people at large of a determined partiality in their favor. Annual Register, vol. XXXVIII, p. 43.

[37] Schlosser, t. VI, p. 612.

[38] Annual Register, vol. XXXVII, p. 49 et 51.

[39] The British army, exclusively of an open enemy in the French, had a concealed one in every dutch town and village through which they passed.

[40] Annual Register, vol. XXXVII, p. 49.

[41] State papers, Annual Register, vol. XXXVII, p. 202. 203.

[42] State papers, Annual Register, vol. XXXVII, p. 203.

[43] On a vu plus haut la preuve, en quelque sorte officielle, de ce fait dans la proclamation du Comité révolutionnaire.

[44] Moniteur, an III, n° 155.

[45] State papers, Annual Register, vol. XXXVII, p. 207-209.

[46] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. III, p. 127.

[47] Voyez les State papers, t. XXXVII, p. 207 de l'Annual Register.

[48] Tout ceci est historiquement constaté dans la proclamation que les représentants provisoires du peuple d'Amsterdam publièrent le 5 février 1795. Voyez les State papers, t. XXXVII, p. 211 de l'Annual Register.

[49] State papers, t. XXXVII, p. 240 et 241 de l'Annual Register.

[50] State papers, t. XXXVII, p. 242 de l'Annual Register.

[51] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. III, p. 137.

[52] Moniteur, an III, n° 204.

[53] Biographie universelle, suppl. à l'art. Lichtenau.

[54] Mémoires de la comtesse de Lichtenau, écrites par elle-même, p. 13.

[55] C'est elle-même qui nous l'apprend, Mémoires, etc., p. 16.

[56] Mémoires, etc., p. 21 et 22. — Les raisons de ce changement, dit-elle, appartiennent à des causes que je suis obligée de cacher.

[57] Mémoires de la comtesse de Lichtenau, t. I, p. 67, 68. — Ces faits se trouvent confirmés dans les Mémoires tirés des papiers du prince de Hardenberg, t. III, p. 134-136.

[58] Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, t. II, chap. VI, p. 136.

[59] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'Etat, t. III, p. 169-170.

[60] Voyez ce que dit à cet égard Rewbell, parlant au nom du Comité de Salut public, dans la séance du 21 germinal (10 avril), Moniteur, an III, n° 204.

[61] Le Moniteur, an III, n° 204, dit le 13 avril ; mais c'est une faute d'impression.

[62] Voyez les Mémoires de Hardenberg, et le texte du traité dans le Moniteur, an III, n° 204.

[63] On lit, à ce sujet, dans la traduction anglaise du livre de Schlosser, cette amère remarque : In this way the object of Prussia was completely attained, and her participation in those parts of Germany destined for division and plunder fully assured. Voyez le t. VI, p. 608.

[64] Voyez les Mémoires de Hardenberg, t. III, p. 145.

[65] Mémoires de Hardenberg, t. III, p. 147.

[66] Voyez le Moniteur, an III, n° 207 et 224.

[67] Séance du 21 germinal (10 avril) 1795. Voyez le Moniteur, an III, n° 204, et le Courrier républicain, n° 527.

[68] Moniteur, an III, n° 207.

[69] Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, t. II, chap. VI, p. 138 et 139.

[70] Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, t. II, chap. VI, p. 133-134.

[71] Biographie universelle, art. Hardenberg.

[72] C'est du moins ce qui résulte d'un passage des Mémoires tirés de ses papiers. Voyez le t. III, p. 150.

[73] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. III, p. 172.

[74] Voyez dans les State papers, t. XXXV, p. 161 de l'Annual Register, le texte de la convention signée à Vienne par le baron de Thugut et sir Morton Eden, le 4 mai 1795, et rapprochez ce document du rescrit impérial, dont le texte se trouve aussi dans le t. XXXV, p. 245 de l'Annual Register.

[75] Voyez le texte de ce traité dans les State papers, Annual Register, t. XXXV, p. 269-271.

[76] Au milieu du mois de mai. Voyez le second rescrit en question, Annual Register, t. XXXV, p. 246.

[77] Lettre de Sieyès et Rewbell au Comité de Salut public, Moniteur, an III, n° 246.

[78] Lettre de Sieyès et Rewbell au Comité de Salut public, Moniteur, an III, n° 246.

[79] Nous les avons sommairement indiquées dans le volume précédent.

[80] Moniteur, an III, n° 249.

[81] Moniteur, an III, n° 249.

[82] Moniteur, an III, n° 249.

[83] Voyez Essais historiques sur les causes de la Révolution.

[84] Oppressif est le mot dont se sert Schlosser dans son Histoire du dix-huitième siècle, livre qui respire d'un bout à l'autre une haine peu réfléchie de la Révolution et de la France.

[85] Moniteur, an III, n° 277. — Il va sans dire que Schlosser a soin d'omettre cette preuve d'oppression exercée sur la Hollande !

Au reste, les omissions coûtent peu à Schlosser, lorsqu'il les juge utiles politiquement, et il a, sur ce point, une théorie que lui-même fait très-ingénument connaître dans le passage suivant : Nous passons sous silence la faiblesse que montra alors l'Allemagne, déchirée par des dissensions intérieures, la scandaleuse façon dont on perdit la rive gauche du Rhin par le honteux abandon de Rheinfels aux Français, alors que Hardenberg mettait en mouvement tout le cercle de Franconie, et que la Saxe, Bade, le Palatinat et Mayence poursuivaient la paix à Ratisbonne, pour ne pas exposer aux yeux du monde les fautes de nos gouvernements, qu'il vaut mieux tenir cachées. T. VI, p. 604 (traduction anglaise de Davison). Voilà une étrange manière de comprendre les devoirs de l'historien !

[86] Parliamentary History of England-Protests, vol. XXXI, p. 1141.

[87] Voyez sa propre déclaration, Parliamentary History of England, vol. XXXII, p. 36.

[88] Voyez ce que dit à ce sujet M. Robert Bell, dans son intéressante biographie de Canning, p. 122.

[89] Voyez le texte de son discours, Parliamentary History of England, vol. XXXII, p. 4-9.

[90] Voyez Parliamentary History of England, vol. XXXII, p. 22-27.

[91] Parliamentary History of England, vol. XXXII, p. 10-19, et p. 28-36.

[92] Parliamentary History of England, vol. XXXII, p. 36.

[93] The effects were not to cease as immediately as the causes. The effects in their operation survive the causes. Parliamentary History of England, vol. XXXII, p. 33.

[94] Le tableau de ces conquêtes et des victoires dont elles furent le fruit fut suspendu dans la salle de la Convention. L'Annual Register dit à ce sujet : Such was the description given by the French of their numerous exploits ; and impartiality requires it should be acknowleged, notwithstanding the odium they lie under, that the account is not exaggerated. Vol. XXXVII, p. 54.