HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

TOME DIXIÈME

LIVRE ONZIÈME

 

CHAPITRE TROISIÈME. — L’ENNEMI REPOUSSÉ DU TERRITOIRE

 

 

Les Anglais veulent garder Toulon. — Insultes adressées à la France Par les agents diplomatiques de Pitt. — Atrocités commises à Toulon Par les royalistes. — Indignation générale contre les alliés et complices de l’étranger. — Lettre de Couthon. — Les républicains mettent le siège devant Toulon. — Carteaux ; Salicetti ; Napoléon Bonaparte ; Lapoype. — Carteaux remplacé par Dugommier. — Robespierre jeune et Ricord à Toulon. — Intimité de Robespierre jeune et de Bonaparte. — Ils dirigent avec Ricord les opérations du siège. — Charlotte Robespierre et madame Ricord ; trait caractéristique. — Plan adopté au conseil de guerre. — Combat des arènes ; O’Hara prisonnier. — La redoute anglaise emportée ; irrésistible élan des Français ; bravoure des représentants du peuple. — Les Anglais abandonnent Toulon, à la lueur de l’incendie qu'ils y allument. — Jugement porté par des Anglais sur la conduite de sir Sidney Smith. — Patriotisme des forçats de Toulon. — Scènes lamentables ; désespoir de la population livrée par l’étranger aux vengeances du vainqueur. — Ce que furent ces vengeances ; réfutation d’une calomnie historique. — Rapport de Barère. — Campagne sur le Rhin. —Saint-Just à l’armée. — Lacoste anime Hoche contre Saint-Just. — Ardeur héroïque de Hoche. — Il est repoussé par le duc de Brunswick à Kaiserlautern. — Le Comité de salut public l’encourage. — Jonction de l’armée de Hoche et de celle de Pichegru. — Nomination de Hoche au commandement suprême, par Lacoste et Baudot. — Mécontentement de Saint-Just. — Victoire de Geisberg. — L’ennemi repasse le Rhin. — Rivalité entre Hoche et Pichegru. — Conduite hautaine de Hoche à l’égard du Comité de salut public et de Saint-Just. — Ses formes de langage peu eu rapport, à cette époque, avec la grandeur de son âme ; reproduction du style de Hébert. — Préventions du Comité contre Hoche. — Il offense Carnot par l'indépendance de ses allures. — Son arrestation, par arrêté signé seulement de Carnot et de Collot-d’Herbois. — L’armée du Nord en quartier d’hiver. — Jourdan rappelé. — Événements militaires à la frontière des Pyrénées orientales.

 

La Révolution triomphait aussi aux frontières, et, au moment même où elle éteignait le principal foyer de la grande révolte vendéenne, elle arrachait Toulon aux Anglais.

Par acte du 28 août 1795, lord Hood avait déclaré solennellement que l’Angleterre tenait Toulon en dépôt pour Louis XVII ; et c’est ce que rappelèrent, dans une protestation où l’honneur de la nation anglaise était mis au- dessus de ses intérêts, les lords Norfolk, Grafton, Albemarle, Derby, Lauderdale, Lansdowne et Thanet[1]. Si les royalistes qui avaient livré la ville aux ennemis de la France crurent à la sincérité du cabinet de Saint-James, le crime de leur trahison n’eut d'égal que leur folie, et l’on ne tarda pas à le leur faire comprendre. A une députation des sections demandant le retour des émigrés, l’ancien évêque, une administration royale et MONSIEUR pour régent, les commissaires plénipotentiaires anglais répondirent ; Nous ne sommes point autorisés à compromettre Sa Majesté britannique sur la question de la Régence. Encore moins pouvons-nous consentir à la proposition qui a été Alite d'appeler M. le comte de Provence à Toulon pour y exercer les fonctions de régent, car ce serait destituer Sa Majesté Britannique, avant l’époque stipulée, de l’autorité qui lui a été confiée à Toulon[2].

Ainsi plus de doute : les Anglais entendaient garder leur proie, et les traîtres se voyaient frustrés du prix de leur perfidie.

Aux sentiments de fureur qu'une pareille conduite devait naturellement éveiller parmi les révolutionnaires s e joignait l’effet des insultes que ne cessaient d’adresser a la nation, dans la personne de ses élus, les agents diplomatiques du cabinet de Saint-James. Quelle âme française n’eût frémi à la lecture du Mémoire présenté aux Etats généraux par l’ambassadeur anglais à la Haye, le 25 janvier 1795 : Quatre ans se sont à peine écoulés depuis que des misérables, prenant le nom de philosophes, se sont jugés capables d’établir un nouveau système de société civile, et ont cru nécessaire, pour réaliser ce rêve de la vanité, de renverser tous les fondements de la hiérarchie, de la morale et de la religion[3].

Des misérables ! voilà de quel nom le gouvernement anglais se plaisait à flétrir les représentants élus d’un S r and peuple, et le crime dont on prétendait le châtier, Ce peuple, consistait à ne pas emprunter à ses ennemis leurs règles de politique, de religion et de morale !

Aussi, de quelle haine les membres du Comité de salut public et ceux de la Convention n’étaient-ils pas animés contre les alliés que Pitt comptait au cœur de la France ! Au seul nom de Toulon, pas un visage qui ne pâlît de colère ; d’autant que les vengeances de parti s’étaient déployées dans la ville rebelle avec un sauvage délire. Après avoir été promenés dans les rues, au milieu des injures et des huées, les deux représentants du peuple, Beauvais et Pierre Bayle, avaient été jetés dans un cachot fétide, où ils furent soumis à un traitement si cruel, que le premier tomba dans une sorte d’apathie voisine de la folie et que le second s’étrangla de désespoir[4]. Une persécution impitoyable pesa sur tout ce qui était républicain, sur tout ce qui préférait la France à la monarchie appuyée par l’étranger. Pour punir la guillotine d’avoir servi au supplice de Louis XVI, les royalistes de Toulon l’avaient brûlée en place publique ; mais leur rage n’y perdit rien : ils se défaisaient des patriotes en les accrochant, jusqu’à ce que mort s’ensuivît, aux crocs où les boucliers étalent leurs quartiers de viande ![5]

C’est ce qui explique la lettre suivante que Couthon, tout modéré qu’il s’était montré à Lyon et qu’il était effectivement, écrivait, le 20 octobre, à Saint-Just :

Le froid qui commence à se faire sentir ici augmente beaucoup mes douleurs. J’aurais envie d’aller respirer un peu l’air du Midi. Peut-être rendrais-je quelques services à Toulon ; mais je désire que ce soit un arrêté du Comité qui m’y envoie. Fais-moi passer cet arrêté, et aussitôt le général ingambe se met en route... Toulon brûlé, car il faut absolument que celle ville infâme disparaisse du sol de la liberté[6], je reviens auprès de vous et y prends racine jusqu’à la fin. Ma femme, Hippolyte et moi l’embrassons du fond du cœur[7].

La conduite de Couthon partout où il fut envoyé permet de penser que ce n’étaient là de sa part que des exagérations de langage ; mais ces exagérations reflètent le sentiment qu’inspirait aux patriotes la trahison des royalistes toulonnais.

Le général qui fut d’abord chargé de reprendre Toulon était Carteaux. Après avoir réduit Marseille, il alla s'établir, à la tête de sept ou huit mille hommes, au débouché des gorges d’Ollioules, en vue de Toulon. Sous lui servait le général Lapoype, qui, détaché de l’armée d’Italie, avec quatre mille hommes, campait, à une distance considérable, vers Solliès et Lavalette. Beau-frère de Fréron et soldat-gentilhomme, Lapoype s’indignait d’avoir à obéir à Carteaux, qui, lui rendant mépris pour mépris, l’appelait général de toilette[8]. Auprès du commandant en chef se trouvait le représentant Salicetti, homme à la fois souple et hardi, énergique et lin, lequel Avait retenu devant Toulon un officier de vingt-quatre ans, son compatriote, en route pour l’armée d’Italie. Petite taille, figure maigre, apparence chétive, constitution nerveuse et robuste néanmoins, pâle visage éclairé par on œil perdant, tel était Napoléon Bonaparte. Simple capitaine d’artillerie, on le remarqua tout d’abord à son air Pensif et à sa jeunesse imposante[9].

L'entreprise à accomplir était d'une difficulté extrême, ha grande rade de Toulon, rade immense où les escadres les plus nombreuses peuvent trouver abri, était protégée par des batteries redoutables, par le fort Lamalgue, surtout, avec ses hauts remparts, ses chambres et casemates à l’épreuve de la bombe et ses deux cents bouches à feu. ha petite rade, bassin plus sur, se trouvait défendue par la grosse tour gothique de Louis XII d’une part, et, d’un autre côté, par les forts de Balagnier et de l’Éguillette. Sur le promontoire de l’Éguillette, les Anglais avaient construit avec beaucoup d’art une vaste redoute qu’ils appelèrent le fort Mulgrave et à laquelle les Français donnèrent le nom de redoute anglaise. C’était une vaste citadelle qui pouvait contenir trois ou quatre mille hommes de garnison[10].

L’armée coalisée se composait, à Toulon, d’Anglais, d’Espagnols, de Piémontais, de Napolitains, le tout formant environ vingt mille hommes, plus sept ou huit cents Français organisés en bataillons, sous les noms de Royal-Louis et de chasseurs royaux[11]. Les assiégeants, même après avoir reçu des renforts, ne s’élevèrent jamais au-dessus de trente-cinq mille hommes, dont quinze mille sans expérience et sans armes[12].

Les commencements du siège ne furent pas heureux. La montagne de Faron, que l’ennemi occupait, fut emportée par le général Lapoype, puis reprise[13]. Ce revers aigrit la mésintelligence qui existait entre lui et Carteaux, homme de guerre plus brave que capable, et qui ne parlait que d’enlever les retranchements à l’arme blanche. Peu après la malheureuse tentative sur Faron, O'Hara ayant amené des troupes de Gibraltar à Toulon, où il venait prendre le commandement en chef des coalisés, le bruit courut que le comte d’Artois était dans la ville, et Carteaux de s’écrier : Maintenant je ne céderais pas ma place au Père éternel[14]. Mais déjà le Comité de salut public en avait décidé autrement, et Doppet accourait pour le remplacer. Le nouveau général arriva au quartier général d’Ollioules entre le 19 et le 20 brumaire (9-10 novembre), et il raconte qu’en visitant les postes il trouva le jeune Bonaparte couché dans son manteau, auprès de ses batteries[15]. Au reste, Doppet ne fit en quelque sorte que traverser le camp. La responsabilité d’un siège aussi chanceux l’effrayait, il s’en était ouvert au ministre, et à peine avait-il paru devant Toulon, qu’il recevait une dépêche contenant un décret, en vertu duquel il devenait général en chef de l’année des Pyrénées-Orientales, et était remplacé, dans la direction du siège de Toulon, par Dugommier[16].

Cependant les royalistes ne négligeaient rien pour semer le découragement autour d’eux ; ils allèrent jusqu’à supposer une lettre qu’ils attribuaient à Barras et à Fréron, et où ceux-ci étaient représentés se plaignant du défaut absolu de vivres, désespérant du succès, et proposant d’abandonner aux Anglais tout le terrain compris depuis les bords de la mer jusqu’à la Durance[17]. Croire cela possible, c’était peu connaître les hommes de ce temps, hommes d’airain. A qui lui aurait osé faire une proposition semblable, il est probable que la Convention aurait répondu par un coup de hache. Il faut prendre Toulon, tel fut le résumé de ses instructions aux commissaires qu’elle y envoya : Barras, Fréron, Salicetti, Robespierre jeune et Ricord.

Robespierre jeune s’était laissé accompagner par sa sœur Charlotte, et Ricord par sa femme, fort jolie personne qui, dit-on, réussit à plaire à Augustin Robespierre, et aussi à Napoléon Bonaparte, ce qui n’empêcha point ces deux derniers de se prendre d’amitié. Bonaparte, raconte Charlotte, avait une très-haute estime pour mes deux frères, et surtout pour l'aîné... Une chose qui n’a été rapportée que je sache par aucun historien de la Révolution c’est qu’après le 9 thermidor Bonaparte proposa aux représentants du peuple en mission à l’armée d'Italie de marcher sur Paris pour châtier les auteurs du mouvement contre-révolutionnaire qui avait fait périr mes deux frères[18]. Bonaparte, à cette époque, était ou se disait républicain.

Ce qui est sûr, c’est qu’à Toulon ce fut Augustin Robespierre qui, de concert avec son jeune protégé et Ricord, dirigea Toutes les opérations du siège[19]. On a prétendu que Robespierre jeune, dans ses missions, aimait à se montrer entouré d’une espèce de pompe dynastique[20]. C’est précisément le contraire qui est vrai ; et la preuve, c’est que la brouille de Charlotte Robespierre avec madame Ricord d’abord, puis avec son frère, eut son origine dans la défense expresse que lui fit Augustin et qu’elle transgressa, d’aller fastueusement en voiture, et de se plaire à de folles parties de cheval, que condamnait la gravité des mœurs républicaines[21].

Le 5 frimaire (25 novembre), un conseil de guerre se tint devant Salicetti, Ricord, Robespierre jeune, Barras et Fréron. Voici quel fut le plan adopté. — Le Comité de salut public en avait dessiné les lignes principales, d’après les indications de Bonaparte : Diriger toutes les attaques sur la redoute anglaise ; établir des batteries à l’extrémité des promontoires de Balagnier et de l’Éguillette, pour obliger l’escadre ennemie à évacuer la rade, ou, si un vent contraire l’en empêchait, la brûler ; battre le fort de Malbousquet avec les batteries appelées de la Convention et de la Poudrière, de façon à masquer à l’ennemi le vrai point d’attaque, et enfin s emparer de la montagne de Faron[22].

En exécution de ce plan, les batteries indiquées sont démasquées le 8 frimaire (28 novembre) et tonnent contre le fort de Malbousquet. Les soldats ennemis, ne s attendant à rien, se tenaient tranquillement assis sur les embrasures ; dès la première volée, les fossés sont comblés de cadavres[23].

Le surlendemain[24], deux mille trois cents hommes, Anglais, Sardes, Napolitains, Espagnols et Français, s’avancent, sous la conduite de David Dundas, résolus à se Cendre maîtres de la hauteur des Arènes. Ils chassent nos avant-postes, gravissent la hauteur taillée en terrasse de vignes, et, au bout d’une heure de combat, mettent en laite ceux qu’ils avaient en tête, tous soldats de nouvelle lovée. Les vainqueurs auraient dû s’arrêter ; mais l’élan delà bataille les pousse à la poursuite des fuyards. O'Hara, effrayé de celle imprudence, arrive en hâte ; mais il est trop tard. Dugommier, accouru avec Cervoni, Aréna et Bonaparte, rallie les volontaires, et, renforcé de deux bataillons, repousse les coalisés, qu’écrase, en croyant les protéger, le feu ouvert tout à coup sur les Arènes par les forts Saint-Antoine, Malbousquet et les Pommets. O’Hara est blessé, fait prisonnier ; et l'ennemi se relire ayant perdu cinq cent dix-neuf hommes tués, cent vingt-sept blessés et deux cent cinquante prisonniers[25].

Le 26 frimaire (16 décembre), à cinq heures du malin, l’ordre de marcher à la redoute anglaise fut donné. Défendue par plus de trois mille hommes, vingt pièces de canon et plusieurs mortiers, elle passait pour inexpugnable. Mais la Convention entendait être obéie : une chose était possible, en tout cas : mourir. Au moment où l’on se mettait en marche, Dugommier, s’approchant de Victor, lui dit à voix basse : IL FAUT prendre la redoute, sinon... Et il se passa la main sur le cou[26]. La pluie tombait à torrents ; mais le chant marseillais, entonné d'une voix terrible par les soldats, domina le bruit de l’orage. A la lueur des canons, l’on distinguait Dugommier avec sa belle figure et ses cheveux blancs ; il souriait à ses troupes, et l’espoir du triomphe illuminait son front[27]. Ricord s’avançait à la tête d’une colonne. Salicetti et Robespierre jeune, le sabre à la main, semblaient courir au-devant du péril. Les premiers, ils montent à l’assaut. Là s’engage un combat furieux, un combat corps à corps. Mais, en moins d’une heure, tandis que, de son côté, Lapoype emporte les retranchements de Faron, l’ennemi est chassé de la redoute anglaise où il laisse huit cents hommes couchés dans le sang[28].

Jamais la bravoure républicaine n’avait brillé d’un plus vif éclat. Telle était l’ardeur enthousiaste des Français, que des blessés, après quelques instants de repos, se firent ramener dans les rangs. Un soldai voulait avoir, avant d’aller au feu, de l’argent qu’il attendait de ses partants. On lui demande ce qu’il compte en faire. Le manger pendant que je suis encore en vie. — Il n’est pas arrivé à la poste. — Eh bien, en ce cas, donnez-le aux pauvres, si je meurs[29].

Du quartier général d’Ollioulles, Ricord, Fréron et Robespierre jeune écrivirent à la Convention, en parlant de ce qui suivit la prise de la redoute anglaise : Les forts de l’Éguillette et de Balagnier ont été emportés de vive force. L’ennemi a abandonné pendant la nuit les loris de Malbousquet et des Pommets ; il a fait sauter ce dernier, de désespoir. Les Anglais prennent leurs mesures pour mettre leur flotte à l’abri de nos canons et de nos bombes. Des troupes ont été laissées au fort Lamalgue, que nous espérons prendre dans la nuit. Il est resté en notre pouvoir cent soixante pièces de gros calibre, quantité de provisions, de tentes, d’équipages, et nombre de bœufs, de moutons, de codions, seules troupes que le pape ait envoyées avec quelques moines. Notre première lettre sera datée des ruines de Toulon[30].

Voici, pendant ce temps, ce qui se passait dans la ville. De grand matin, les Anglais avaient envoyé à bord malades, blessés, artillerie de campagne. Dans la journée on fit filer sur le fort Lamalgue les garnisons des postes conservés et on les embarqua. Du reste, le service dans Toulon avait lieu avec la régularité habituelle. Les remparts étaient garnis de soldats. Les sentinelles se promenaient d’un pas mesuré. Le gouverneur se montrait avec un visage riant. Nul signe d'inquiétude, nuis préparatifs visibles de retraite. Seulement on eût pu remarquer que les approches du chantier et celles de l’arsenal étaient gardées avec une sollicitude inaccoutumée[31].

Tout à coup, vers les trois heures de l’après-midi, la goélette l’Hirondelle se détache de la flotte, et, suivie de quelques chaloupes canonnières, se dirige vers l’arsenal. C’est Sidney Smith qui commande. Les officiers et une partie de l’équipage sautent à terre, ordonnant qu’on ouvre les portes de l’arsenal, du chantier, des magasins, où Ton entasse une immense quantité de matières combustibles... Ô saint amour de la France ! A la vue de ces apprêts sinistres, les forçats des galères non enchaînés sur leurs bancs tressaillent et se mettent à rugir. Aussitôt le commodore anglais fait pointer sur eux les canons de l’Hirondelle et de l’une des chaloupes. Malheur à qui remue ! Cependant voici la nuit. Avertis du voisinage de l’armée française par un échange de coups de feu, non loin du mur du chantier et de la boulangerie, les forçats, lue le culte de la patrie vient de transformer en héros, sont décidés à l’attaque. Ils se lèvent sur leurs bancs et poussent des cris furieux. Nouvelles chaloupes traînant à leur remorque le brûlot le Vulcain. La résistance est impossible : il faut que les forçats rentrent au fond de leurs galères. C’en est fait : l’horloge de l’arsenal a marqué dix heures, une fusée part, et des tourbillons de flamme et de fumée montent dans les airs, au milieu des hurlements de joie des Anglais[32] ! Laissons, pour un moment, la parole à un des leurs : Sir Sidney Smith à l’active intrépidité duquel avait été confié le soin d’incendier les magasins, le chantier, l’arsenal et les vaisseaux français dans le port, s’est acquitté de ce devoir hasardeux et extraordinaire d’une façon qui justifie le choix qu’on a fait de lui...

Voilà comment les Anglais gardaient Toulon en dépôt pour Louis XVII ! Il n’y a pas à insister sur un pareil acte, H est jugé. Mais que ceux en qui ce souvenir éveillerait de trop amères pensées n’oublient pas que le pays qui o produit Pitt a aussi donné le jour à Fox, un des plus nobles défenseurs qu’aient rencontrés l’humanité et la France !

Autre circonstance qu’on ne saurait omettre : L’évacuation successive, opérée d’après les ordres de l’amiral Hood, faillit, par un trait que l’histoire qualifiera comme elle voudra, — c’est Jomini qui parle[33], — devenir funeste à deux mille soldats espagnols qui formaient l'arrière- garde. Toutes les portes de Toulon ayant été barricadées au fur et à mesure de la rentrée des alliés, ce corps devait se retirer par une poterne qui fut désignée vers le fort de Lamalgue ; mais, quand l’ordre lui en fut remis, il la trouva déjà fortement barricadée au dehors, et ne parvint à échapper au danger qu’en usant de diligence pour s’ouvrir une issue.

Toulon se réveilla dans le désespoir. Hommes, femmes, enfants, couraient éperdus par la ville abandonnée. À la clarté des flammes qui dévoraient arsenaux et navires, ils se précipitent vers la plage, remplissant l’air de cris lamentables et les bras tendus vers la flotte alliée qui les livre en s’éloignant à la furie des vainqueurs. Les dernières chaloupes venaient de quitter le rivage. Ce fut un spectacle déchirant. Les uns se jettent à genoux sur la grève, suppliant du geste et de la voix les embarcations de revenir les prendre ; les autres se précipitent à la mer et disparaissent engloutis. Il y en eut, assure-t-on, qui se poignardèrent et moururent en se roulant sur le sable[34]. Nous ne retracerons pas, écrit Jomini, les horreurs qui signalèrent cette opération, de crainte d’être accusé de passion ou de haine : les Mémoires de Fonvielle et d'Imbert, principaux négociateurs de la trahison, les légueront à la postérité, comme un exemple du sort qui frappe tôt ou tard les hommes assez imprudents pour remettre les destinées de leur patrie à ses ennemis implacables[35].

Toutefois une partie des fugitifs avaient trouvé asile sur les vaisseaux espagnols et napolitains, où ils furent traités avec une sympathie généreuse. Les Anglais eux-mêmes, quoique moins empressés, en recueillirent un certain nombre, et le gouvernement anglais leur alloua des secours[36].

Salicetti, Ricord, Robespierre jeune, Fréron et Barras écrivirent à la Convention : L’armée est entrée à Toulon le 29 frimaire à sept heures du matin, après cinq jours et cinq nuits de combats et de fatigues. Elle brûlait d’impatience de donner l’assaut. Quatre mille échelles étaient prèles. La lâcheté des ennemis a rendu l’escalade mutile. Ils avaient évacué la place après avoir encloué leurs canons. Les scélérats ont fait sauter en l’air le Thémistocle, qui servait de prison aux patriotes. Heureuse- filent ceux-ci, à l’exception de six, ont pu se sauver pendant l’incendie. Ils nous ont brûlé neuf vaisseaux, en ont emmené trois. Quinze sont conservés à la République, parmi lesquels le superbe Sans-Culotte de cent trente pièces de canon. Déjà quatre frégates brûlaient, lorsque les galériens, qui sont les plus honnêtes gens qu'il y ait à Toulon, ont coupé les câbles et éteint le feu. On fusille à force. Tous les officiers de marine sont exterminés. — Beauvais a été délivré de son cachot ; il était méconnaissable. Le père de Pierre Bayle est aussi délivré[37].

Dans une autre lettre à l’Assemblée, les représentants disaient : La ville infâme présente un spectacle affreux. L’arsenal est embrasé, la ville presque déserte. On n’y rencontre que des forçais qui ont brisé leurs fers dans le bouleversement du royaume de Louis XVII. — On a trouvé deux cents chevaux espagnols, sellés et bridés, qui n’ont pu être embarqués. L’embarquement s’est fait en désordre. Deux chaloupes remplies de fuyards ont été coulées à fond par nos batteries. Les bâtiments de l’ennemi sont remplis de femmes, et il y a à bord cinq mille malades au moins[38].

S’il est vrai que les commissaires de la Convention tirent leur entrée dans la ville, la face illuminée d’une joie effroyable, l’œil étincelant et les narines gonflées[39], l’historien philosophe peut en gémir ; mais comment nier que jamais châtiment Exemplaire ne fut provoqué par une plus criminelle et plus abominable révolte ? Car, ne l’oublions pas, lorsque Toulon appela les Anglais, la France semblait à l’agonie, et, pour elle, celle trahison risquait d’être la mort. Et puis, les deux représentants de la nation, bafoués, traînés dans les rues un cierge à la main, jetés dans un fétide cachot, où l’un devint presque fou et où l’autre s’étrangla ; tous les patriotes traqués comme des hèles fauves ; des cadavres de républicains accrochés pêle-mêle avec des quartiers de viande devant les étaux des bouchers[40], en fallait-il davantage, surtout dans l’ivresse d’une lutte universelle et désespérée, pour porter l’indignation des vainqueurs jusqu’au délire[41] ? Cependant quelles en furent les suites ? Voici la vérité, dégagée de toutes les exagérations et de tous les mensonges de l’esprit de parti.

La population fut convoquée au Champ de Mars et rangée sur plusieurs lignes. L’armée formait un bataillon carré. Les représentants du peuple se rendirent au lieu désigné, précédés de trois cents patriotes, dont chacun portait une grande perche, avec cette inscription en gros caractères : Prisonniers du Thémistocle. Ils devaient former, en cette circonstance terrible, une espèce de grand jury. Aussitôt qu’ils parurent, un cri de sinistre augure est poussé : Périssent les traîtres ! Alors ceux des habitants qui ont, exercé des places au nom de Louis XVII ou ont été salariés par les Anglais sont sommés de sortir de la foule. Ils obéissent au nombre d'environ six cents, et on les aligne devant les prisonniers du Thémistocle. Ces derniers sont exhortés par les représentants du peuple à oublier les maux qu’ils ont soufferts et à ne point perdre un seul instant de vue les devoirs sacrés qui se lient à la fonction dont la confiance nationale les investit. Jurez-vous, leur demandent les commissaires, de n’avoir égard à rien de ce qui vous est personnel ? Ils répondirent d’un air solennel : Nous le jurons ! Pour plus de précaution, il fut décidé que les trois cents nommeraient douze d’entre eux, ceux qu'ils regarderaient comme les plus probes, et que ces derniers seuls prononceraient. Les juges improvisés de la sorte parcoururent la ligne, interrogeant un à un les rebelles, et faisant sortir des rangs quiconque était déclaré coupable. Deux enfants de treize à quatorze ans avaient été pris les armes à la main : ou pardonna à leur âge, et on les fit rentrer dans la foule. La plupart des condamnés, au nombre d’environ cent cinquante, étaient des officiers de marine, des administrateurs civils ou militaires, des fonctionnaires publics enfin, désignés comme ayant concouru à livrer la place aux Anglais. Ces malheureux furent placés devant une batterie de canons et mitraillés[42].

Ce fut une chose horrible, sans nul doute, qu’une exécution en masse de cette nature ; et il est évident que faire juger les royalistes par les hommes mêmes qu’ils avaient persécutés, c’était s’exposer, en dépit de tous les serments, à voir la justice remplacée par la vengeance[43]. Mais il y a encore loin de là aux récits où s’est complue la calomnie, transformée en histoire. Il n’est pas vrai, par exemple, que le nombre des individus mitraillés fut de huit cents ; ni qu’on les mitrailla sans information préalable, au hasard ; ni que le massacre eut lieu, sans préjudice de la guillotine[44] ; ni que Fréron, après une première décharge, cria, pour qu’on pût achever ceux qu’elle n’avait pas atteints et qui feignaient d’être morts : Que ceux qui ne sont pas atteints se lèvent ! la République leur fait grâce ![45] Le nombre des victimes ne dépassa point cent cinquante[46]. Il y eut examen, interrogatoire et triage préalables par des hommes auxquels on fit jurer d’être justes[47]. La guillotine ne put faire concurrence au canon, puisque les royalistes l'avaient brûlée, pour la punir d’avoir servi au supplice d’un roi[48]. Enfin, Fréron ne commit point l’acte d’hypocrisie sanguinaire qu’on lui attribue, puisque, avant l’exécution, et afin de n’en être pas témoins. Barras et lui se retirèrent au galop[49].

Assez de faits accusateurs et incontestables se dressent contre la mémoire de Fréron, sans qu’on la charge de crimes imaginaires. Ce qui est vrai, c’est que ce fut lui qui, dans ce drame lugubre, joua le rôle principal. Les Outres commissaires étaient-ils présents ? Fréron a écrit que oui[50] ; mais l’assertion ne paraît pas être exacte en ce qui touche Robespierre jeune. Car l’année entra dans Toulon le 29 frimaire (19 décembre) ; l’exécution n’eut Pas lieu immédiatement — deux ou trois jours après, dit Durand de Maillane[51] ; — et nous trouvons Robespierre jeune parlant à la séance des Jacobins, à Paris, le 9 nivôse (29 décembre). Il est à remarquer, en outre, que, dans son discours aux Jacobins de Paris, compte rendu de ce qu’il a vu à Toulon, Robespierre jeune ne dit pas un mot de la scène qui vient d’être décrite, ce qu’H n’eût point manqué de faire s’il y eût pris part[52].

La nouvelle de la prise de Toulon fut le sujet d’une joie immense. Barère fit, sur cet événement sauveur, un rapport où il disait : La République possède dans la Méditerranée plus de trente bâtiments, frégates, corvettes et avisos, sans compter le Duquesne de soixante-quatorze canons, qui est à la mer. — Une partie de notre escadre a été brûlée par le crime de nos ennemis ; elle sera remplacée par le crime des émigrés. Leur fortune reste pour payer les constructions. Leurs forêts seront converties en navires, leurs maisons en manufactures et arsenaux. Où ils tramaient des complots, la République fera des voiles, et la patrie s’enrichira de leur fuite[53].

Pendant ce temps, la campagne de 1795 s’achevait, le long des frontières, au milieu des triomphes.

En Alsace et sur les bords du Rhin, la France, menacée du côté de Landau par les Prussiens, que commandait le duc de Brunswick, et du côté de Strasbourg par les Autrichiens, sous le commandement de Wurmser, leur avait opposé deux grands capitaines : Hoche et Pichegru. Le premier, général eu chef de l'armée delà Moselle, tenait tête au duc de Brunswick ; le second, général en chef de l’armée du Rhin, faisait face à Wurmser.

La place de Landau, que les Prussiens tenaient bloquée, avait eu à essuyer un bombardement ; mais rien n’avait pu ébranler la constance héroïque des défenseurs de la ville et de leur chef, le général Laubadère.

Tel était l’état des choses.

Si, après la prise des lignes de Weissembourg, les troupes coalisées s’étaient entendues pour frapper sur Strasbourg un coup vigoureux, les suites eussent pu être terribles. Passer sur le corps à l’armée française, alors sans chef et désorganisée, paraissait facile. El puis la trahison appelait l'ennemi à Strasbourg ; car les notables, réunis à plusieurs des autorités civiles et militaires, avaient envoyé deux députés au général autrichien, le pressant de venir prendre possession de la ville, au nom de Louis XVII[54]. Les motifs qui empêchèrent Wurmser de profiter de cette offre infâme méritent de n’être pas oubliés. Wurmser savait que l’Autriche préférait l’occupation par droit de conquête, son intention étant, l’Alsace une fois prise, non de la rendre à Louis XVII, mais de la garder[55], intention, au surplus, dont elle ne faisait pas mystère, comme le prouve une proclamation lancée, vers celle e poque, du camp autrichien, et contenant ces mots : Alsaciens, jetez vos regards sur les autres peuples d’Allemagne... Il n’est pas un de vous, pas un, qui se refusera au bonheur d’être Allemand. Mais la Prusse n’a- v ait nul souci de s’épuiser d’hommes et d’argent pour Préparer une riche proie à l’ambition d’une puissance rivale ; et le duc de Brunswick, non content de disputer pied à pied le bénéfice de son concours à Wurmser, de plus en plus mécontent et irrité, prit avantage de l'imprudente déclaration du général autrichien pour redoubler d’efforts auprès de Frédéric-Guillaume en faveur de lu paix et d’une paix séparée[56].

Ces divisions ne pouvaient éclater dans un moment plus favorable à la France. Les troupes chargées de défendre cette partie de nos frontières étaient, après la prise des lignes de Weissembourg, mal nourries, incomplètement armées, à peine vêtues, composées d’une foule de jeunes volontaires, administrées par des hommes rapaces et commandées par des officiers novices. Heureusement, Hoche d’un côté, Pichegru de l’autre, parurent en scène, et, ce qui fut bien autrement décisif encore, Saint-Just arriva. Il venait, accompagné de son ami Lebas. Robespierre, qui les aimait également tous les deux, mais qui se défiait de la trop grande inflexibilité de Saint-Just, lui avait donné Lebas pour modérateur, et il eût été difficile de mieux choisir, celui-ci joignant à une énergie calme beaucoup de prudence et une âme sensible[57].

La présence de Saint-Just changea la face des choses et ranima l’armée. Il parut au camp le 22 octobre, Pichegru était à Huningue ; il lui dépêche un courrier[58], et, sans attendre son arrivée, il appesantit tout autour de lui sa main de fer.

Le 23, apprenant que le commandant Lacour a battu un soldat en un moment d’ivresse, il le fait dégrader devant le front des troupes et incorporer dans un des régiments de l’avant-garde comme simple fusilier. Le 24, il annonce par une proclamation, signée de lui et de Lebas, que les chefs, officiers et agents quelconques du gouvernement auront à satisfaire aux justes plaintes des soldats, sous trois jours, et il ajoute : S’il est des traîtres, ou même des hommes indifférents à la cause du peuple, nous apportons le glaive qui doit les frapper.

Le 26, il érige le tribunal militaire près l’armée du Rhin en une commission spéciale et révolutionnaire, chargée d’écraser promptement et sur place les auxiliaires ténébreux de l’ennemi, les prévaricateurs, toutes les sangsues de l’armée[59].

En même temps, il ordonnait la confiscation des biens de quiconque aurait acheté des effets d’un soldat[60] ; dépendait aux militaires de tout grade de sortir du camp pour aller se promener à Strasbourg et enjoignait aux officiers de manger, de coucher sous leurs tentes, sans jamais s’éloigner de leurs troupes. Contre l’adjudant général Perdieu, qu’on avait surpris au théâtre de Strasbourg, assistant à la comédie, il prit cet arrêté foudroyant : Considérant que l’avant-garde fut attaquée pendant que Perdieu était à la comédie..., Perdieu est destitué du titre d’adjudant général, et servira quinze jours à la garde du camp, à peine d’être considéré et traité comme déserteur. Ce présent arrêté sera imprimé et distribué à l’armée[61].

Le général Eisenberg avait essuyé une série de revers dont le dernier naquit d'une imprévoyance si grande, qu’elle présentait les dehors de la trahison ; tranquille dans son quartier, il avait laissé surprendre ses troupes avancées et s’était enfui avec un gros d’officiers : Saint-Just les envoya sur-le-champ à la Commission militaire, fiai les condamna à mort ; et ils furent tous fusillés dans La redoute d’Hœnheim[62].

Tel se montra Saint-Just. Par une succession de mesures vigoureuses, dont le chapitre suivant, histoire de son proconsulat à Strasbourg, donnera la liste, il nourrit et habilla l’armée ; ses ordres du jour, empreints du génie de Sparte, firent circuler de rang en rang, comme une flamme subtile, le patriotisme qui le consumait ; il ressuscita la discipline, châtia les officiers négligents, fit trembler les concussionnaires, força la trahison à se traduire en pâleur sur le visage des traîtres, et souffla aux soldats une sauvage certitude de vaincre qui les rendit invincibles. Lebas le secondait, en le modérant, témoin le jour où l’intervention de ce dernier sauva le jeune Deschamps, que Saint-Just allait faire fusiller, parce que, démonté dans un combat et sommé de rejoindre le dépôt de son arme, l’intrépide cavalier, dans sa fureur d’être éloigné du péril, avait refusé d’obéir et mis en pièce sa feuille de route[63].

Une chose produisit une prodigieuse sensation dans l’armée : ce fut la réponse de Saint-Just à un trompette envoyé par les Autrichiens pour offrir une trêve : La République française ne reçoit de ses ennemis et ne leur envoie que du plomb[64].

Du reste, aussi sage que ferme et inflexible, Saint-Just s’opposait à ce qu’on donnât lien au hasard, et il voulait qu’avant de lancer dans une action générale îles soldats inexpérimentés on les formât par des exercices continuels et des engagements partiels, non interrompus. Mais l’enthousiasme dont son attitude et son langage avaient rempli les cœurs, ne pouvait déjà plus être contenu, les soldats brûlaient de jeter l’ennemi dans le Rhin, d’aller délivrer leurs frères de Landau, et tous criaient, saisis d’un patriotique délire : Landau ou la mort[65].

Un combat qui fut livré près de Saverne et où l’ennemi, quoique très-supérieur en nombre, fut repoussé, montra ce qu’il fallait attendre de l’élan des troupes[66].

D’un autre côté, le duc de Brunswick, qui s’était porté au centre des Vosges, essaya, mais en vain, d’y surprendre le château de Bitche. Le commandant avait laissé les ponts- levis baissés, six mille hommes environnaient la place, et déjà les assaillants avaient brisé les portes... L’héroïsme du bataillon du Cher sauva tout. Ne consultant que son courage, le soldat pris à l’improviste se précipite au-devant de l’ennemi, l’écrase de grenades et l’assomme à coups de bûches[67]. Ce succès, quelque éclatant qu’il fût, n’avait rien qui forçât le duc de Brunswick à exécuter un mouvement rétrograde. Mais ce prince, qui faisait la guerre avec l’amour de la paix dans le cœur, se prévalut de la circonstance pour se replier sur la ligne de l’Erbach, Puis se retirera Kaiserlautern : et cela sans en avertir Wurmser, qui n’apprit ce mouvement que le lendemain[68].

Hoche aurait dû comprendre que les Prussiens n’avaient plus d’autre lien qui les attachât à la coalition que le désir de ne pas ternir leur réputation militaire en se laissant battre. Si donc, sans s’occuper davantage du duc de Brunswick, dont la retraite découvrait le flanc droit de l’armée autrichienne, il se fût attaché dès lors à percer la ligne des Vosges, de manière à se joindre à Pichegru et à opérer avec lui en masse sur le versant oriental, Wurmser, qui avec trente-quatre mille hommes seulement avait à garder six lieues de front, courait grand risque d'être promptement écrasé. Aussi bien, la position de Brunswick à Kaiserlautern était formidable, et, pour l’y joindre, il fallait passer par des chemins peu praticables et peu connus. Sans compter que le plan indiqué ici était celui dont le Comité de salut public recommandait et pressait l’exécution[69].

Malheureusement, Hoche avait auprès de lui le représentant du peuple Lacoste, qui, commissaire à Strasbourg et à l’armée du Rhin, s’y était trouvé complètement éclipsé, à la première apparition de Saint-Just et de Lebas. Lacoste s’était donc rendu de l’armée de Pichegru dans celle de Hoche, auquel il souffla ses préventions contre Saint-Just et qu’il détourna d’un projet d’attaque combinée[70].

Hoche, d’ailleurs, était jeune, ayant alors vingt-six ans à peine ; et à une grande confiance en lui-même il joignait une ardeur sans bornes. Il écrivait, par exemple, au général Vincent : Je te défends de correspondre avec Kalkreuth autrement qu’à coups de canon[71] ; il mandait au ministre de la guerre : Quand l’épée est courte, on fait un pas de plus[72]. Il aimait à dire : Nous pouvons vaincre l’Europe avec des baïonnettes et du pain[73]. Un tel général était certainement fait pour s'entendre avec Saint-Just. Aussi ce dernier fut-il tout d’abord attiré vers Hoche. Il le félicitait en ces termes de son belliqueux élan : Le Français ne peul s’arrêter sans s’abattre[74]. Mais Saint-Just n’entendait nullement par là que les généraux pussent agir à leur guise, dans la sphère de leur activité personnelle, et contrairement aux vues du Comité de salut public. Or c’est à quoi Lacoste et Baudot, en haine de Saint-Just, poussèrent le jeune général, avec un succès dont les suites furent déplorables.

Hoche, s’étant mis à la poursuite du duc de Brunswick, ne l’atteignit que le 8 frimaire (28 novembre), à Kaiserlautern, après bien des marches et des contre-marches. Mais, lorsqu’il en était encore à chercher sa route, à la lète du centre, sa gauche, commandée par le général Ambert, se trouva engagée, et, n’étant point soutenue, dut reculer. Le lendemain, nouvelle attaque ; et, cette fois, ce fut Ambert qui s’égara dans les montagnes, pendant que Hoche avait à porter le poids de la bataille. Repoussé, mais inaccessible au découragement, Hoche se décide à une troisième tentative, et, le jour suivant, la canonnade recommence de part et d’autre avec furie. Constance inutile ! Le général prussien Kleist fut tué, le général Kalkreuth blessé grièvement à l’épaule, et treize cents Saxo-Prussiens périrent ; mais Hoche fut enfin forcé de lâcher prise, après avoir perdu trois mille hommes[75].

Quand cette nouvelle parvint à l’armée du Rhin, Saint-Just gronda ; mais le Comité de salut public, qui, quoi qu’on ait dit, ne fut inexorable qu’à l’égard des traîtres ou de ceux qui lui parurent tels, le Comité de salut public consola le général vaincu et l’encouragea. Un revers, lui écrivait-il, n’est pas un crime... Notre confiance le reste. Rallie tes forces, marche, et dissipe les hordes royalistes[76]. Lui, reconnaissant sa faute, n’hésita plus à faire ce à quoi il aurait dû tout d’abord se résoudre. Il charge le général Taponnier de percer, avec douze mille hommes, la ligne des Vosges, et de se jeter sur le liane de Wurmser, tandis que Pichegru attaquera de front l’armée autrichienne. Lui-même se met en marche à travers les montagnes, et le 2 nivôse (22 décembre), arrivé à Werdt sur le versant oriental, il y attaque les Coupes palatines et bavaroises, qui s’enfuient au premier coup de canon. Déjà Wurmser avait envoyé en hâte prévenir le duc de Brunswick, dont il lui fut impossible d’éveiller l’ardeur ; de sorte que l’armée autrichienne, attaquée et coupée sur tout son front, découragée par la division des deux généraux qui avaient eu sur le terrain même une explication très-vive, et enfin démoralisée par le navrant spectacle de vingt mille Alsaciens fuyant leurs foyers, se retira en désordre sur le Geisberg, derrière Weissembourg[77].

Les deux armées de la Moselle et du Rhin ayant opéré leur jonction et se préparant à frapper le coup décisif, restait à savoir à qui de Pichegru ou de Hoche serait accordé l'honneur du commandement en chef. Saint-Just, en partant pour Strasbourg, où l’avaient appelé d’urgentes mesures à prendre, avait désigné le premier : Lacoste et Baudot profitèrent de son absence pour nommer le second. On juge si l’orgueil de Saint-Just fut offensé, lorsqu’à son retour au quartier général l’arrêté de Lacoste et de Baudot lui fut montré ! Mais, ainsi qu’il le manda au Comité de salut public, il comprit qu’en présence de l’ennemi il fallait apaiser l’amertume, ôter le découragement et prévenir les suites des passions qui s’élèvent en pareil cas, pour ne se ressouvenir que de la patrie[78]. Il imposa donc silence à son cœur, et ajourna sa colère.

Le 6 nivôse (26 décembre), les Prussiens et les Autrichiens, maintenant concentrés par leur mouvement de retraite, se préparaient à prendre l’offensive, lorsque Hoche, marchant sur trois colonnes, les prévint. Les soldats français, ivres d’enthousiasme, ne cessaient de crier : Landau ou la mort ! Après un feu très-vif de part et d’autre, l’ennemi commence à abandonner les hauteurs de Geisberg, serré de près par le général Hatri, qui, à la tête de ses fantassins, repoussa six charges de cavalerie consécutives. À la gauche, un bataillon français, arrivant par le vallon de Rilsels, s’était mis à gravir la montagne sous une pluie de feu et s’arrêtait à mi-côte, e puisé de fatigue, pour reprendre haleine ; une charge des dragons de Toscane rend leur vigueur à ces hommes héroïques ; ils repoussent les dragons, continuent de gravir la hauteur, emportent le château à la baïonnette, et se rangent en bataille sur le plateau. Le duc de Brunswick veut au moins retarder la retraite, en prenant le commandement de quatre bataillons autrichiens, mais son mouvement n’est pas soutenu. Quant à Wurmser, se mettant lui-même à la tête de la cavalerie, il essaye deux fois de la ramener à la charge, et il est deux fois abandonné au milieu d’un feu terrible. C'est alors que, dans sa rage contre les Prussiens, auxquels il imputait les désastres de la campagne, il résolut de repasser le Rhin, sans même leur donner le temps d’évacuer le duché des Deux-Ponts. Le passage s’effectua entre Philisbourg et Manheim le 10 nivôse (30 décembre) ; et les Prussiens, restés seuls sur la rive gauche, se replièrent vers Mayence. L’occupation des lignes de Weissembourg, le déblocus de Landau, l’Alsace rendue à la Convention et les Français prenant leurs quartiers d’hiver dans le Palatinat, tels furent les résultats de cette campagne[79].

Hoche était vainqueur ; mais il eut la faiblesse de se livrer à quelques mouvements d’orgueil qui, quoique légitimes au fond, lui nuisirent d’autant plus, dans l’esprit de Saint-Just et de Lebas, qu’ils contrastaient avec la modestie de Pichegru[80]. Mais, aux yeux des deux proconsuls, le jeune général avait un tort bien autrement grave, qui était, non-seulement d’avoir refusé de suivre leurs avis pour ses opérations, mais même de s’être étudié à leur en dérober le secret, ainsi que son compte rendu au Comité en contient l’aveu : J’affectais une torpeur inconcevable ; je donnais les ordres les plus singuliers[81]. D’un autre côté, il ne cachait pas son intention de marcher dans sa voie, sans s’inquiéter ni du Comité de salut public, ni de Carnot, de qui relevait la direction de la guerre[82].

Tout cela, on le pense bien, n’était pas de nature à plaire à Saint-Just, qui n’aimait pas davantage le style que Hoche avait cru devoir adopter, soit dans ses rapports avec le soldat, soit dans ses dépêches au Comité, style, il faut bien le dire, calqué sur le langage parlé par Ronsin et Vincent dans les bureaux de la guerre et employé par Hébert dans son triste journal. Un tambour-major, nommé Ricard, ayant adressé à Hoche une lettre de félicitation, Hoche répondit : Tu as bien fait, f....., de me donner de tes nouvelles, non parce que j’ai battu les ennemis, mais parce que tu es un bon b..... Ah ! tonnerre de Dieu ! mon camarade, quelle vie horrible ! Le plus chétif marchand de chiffons de ton quartier est plus tranquille que moi, etc.[83].

Il existe une lettre du général Leveneur à Hoche, où on lit ces mots remarquables : Mon général, je crois que vous faites fausse route... Lisez les discours prononcés aujourd’hui à la Convention par les citoyens les plus écoutés, vous n’y trouverez rien qui rappelle une feuille sans doute fort républicaine, mais à laquelle aucun d’eux n’a prêté son concours ni donné son assentiment. Ce n’est pas sur ce ton que Milliade, du champ de bataille de Marathon, ni Scipion, des plaines de Zama, rendaient compte à leurs concitoyens de Rome ou d’Athènes de la défaite des ennemis[84].

Hoche avait l’esprit trop élevé et le cœur trop noble pour ne pas revenir bien vile d’un entraînement auquel son extrême jeunesse l’avait un moment livré sans défense, entraînement que combattirent avec tant d’énergie Robespierre, Saint-Just, Couthon, et tous ceux qui, à leur exemple, voulaient conserver à la Révolution un caractère de dignité en rapport avec la grandeur de son but. Rien n’était certainement plus éloigné de la nature de Hoche, et même plus directement opposé au tour héroïque de ses tendances, que l’hébertisme : la suite de sa carrière le prouva bien. Mais il est certain qu’à l’époque dont nous parlons les formes de son langage Purent induire en erreur sur son compte ceux qui ne durent pas capables de démêler ce qu’il y avait de pur et de noble en lui ; et le plus enthousiaste de ses biographes avoue que la reproduction du style d’Hébert lui réussit mal dans le Comité de salut public[85].

Ajoutez à cela qu’il se crut autorisé par la victoire à prendre, soit vis-à-vis du Comité de salut public, soit vis-à-vis de Saint Just, une attitude hautaine, qui était celle d’un homme supérieur, mais qui lui créa des ennemis redoutables.

Ces circonstances, jointes à la rivalité qui existait entre lui et Pichegru, laquelle se compliquait à son tour des divisions qui avaient éclaté entre Lacoste et Saint-Just, envenimèrent Sa situation à un point extraordinaire. Dans leurs rapports à la Convention, Lacoste et Baudot ne se cachèrent pas pour dire que c’était à Hoche seul qu’étaient dus les succès de la campagne, et cela en dépit des obstacles sourdement suscités par Pichegru. Appréciation injuste sans doute, mais presque moins injuste que les paroles violentes par lesquelles Saint-Just et Lebas appelaient l’attention sur la vertu et le républicanisme d’un général parlant si peu de ce qu’il avait fait et qui avait tout fait[86].

Voilà ce qui précéda et prépara cette disgrâce de Hoche dont les ennemis de la Révolution ont su si habilement s’armer contre elle. Toutefois ce ne fut que quelques mois après que l’orage éclata. Hoche venait de recevoir le commandement de l’armée d’Italie, et il était à Nice, lorsqu’il vit entrer le général Dumerbion. Hoche faisait, en ce moment, un frugal repas : du pain, de l’eau et des olives. À l’aspect de Dumerbion, guerrier aux cheveux blancs, le jeune général se lève, offre son siège au visiteur inattendu, et l’invite avec un sourire à prendre sa part d’un festin qui, dit-il, n’a d’autre mérite que de rappeler ceux de Pythagore. Dumerbion, fronçant le sourcil, répondit par l’exhibition d’un arrêté du Comité de salut public, ordonnant que Hoche fût saisi et envoyé sur-le-champ à Paris sous bonne garde. L’arrêté n’était signé ni de Robespierre, ni de Saint-Just, ni de Couthon : il portait les seules signatures de Carnot et de Collot-d’Herbois, et était écrit de la main de Carnot, que l’indépendance des allures de Hoche avait offensé[87]. Roche dut obéir, et il partit pour Paris, où il resta enfermé dans la prison des Cannes d’abord, puis dans celle de la Conciergerie, pendant que Carnot instruisait l’affaire.

Au Nord, la victoire de Wattignies n’avait été suivie d’aucun résultat important. Chargé d’envahir la Flandre maritime, le général Davesnes avait exécuté cet ordre d’une manière si tardive et si décousue, que les troupes, après quelques succès partiels, furent obligées de reculer sur toute la ligne et de reprendre leurs anciennes positons : échec qui, selon Jourdan, ne provenait que d’une grande incapacité, mais qui fut imputé à trahison au général Davesnes, qui paya son insuccès de sa tête[88].

Insatiable de triomphes, le Comité de salut public aurait voulu que, le lendemain de la victoire de Wattignies, Jourdan passât la Sambre, et tel était l’avis de Carnot. Mais le général en chef, jugeant cette entreprise téméraire, insista pour que l’armée se mît en quartiers d’hiver ; et deux mois se passèrent sans qu’aucun coup décisif lût ou frappé ou tenté. C’était trop de circonspection, au gré des audacieux sur qui la Révolution se reposait du soin de ses destinées. Ils avaient adopte comme règle de la conduite des gens de guerre le mot de César : Rien n’est fait tant qu’il reste quelque chose à faire, et ils songèrent en conséquence à donner Pichegru pour successeur à Jourdan. Les termes du rapport présenté à cet égard par Barère méritent d’être cités :

Le passage de la Sambre exigeait de l'audace. Il fallait s’élever au-dessus des règles ordinaires ; il fallait braver les éléments et l’intempérie des saisons... L’expérience de Landau et du fort Vauban prouve assez que le soldat français ne connaît pas d obstacle ; et la saison la plus rigoureuse n’a pas arrêté l’armée du Rhin, celle de la Moselle, celle de l’Ouest, celle de Toulon... Mais le Comité de salut public saura toujours distinguer les fauter Ou le défaut d’audace, tort dont le patriotisme doit absoudre, d’avec les trahisons ou l’inertie coupable de certains généraux qui ont reçu la peine de leur défection liberticide. Et Barère proposait que, jusqu’au moment où la pairie aurait de nouveau à réclamer ses services, le vainqueur de Wattignies, le libérateur de Maubeuge, obtint une retraite honorable, digne de sa probité et de son patriotisme. Le rapporteur du Comité ajoutait : Jourdan est pauvre : c’est son éloge et son titre à la reconnaissance nationale[89].

Du côté des Pyrénées-Orientales, la campagne de 1795 ne se termina pas aussi heureusement que sur le Rhin et au Nord. Le siège de Toulon ayant forcé le Comité de salut public à réduire à quinze mille hommes, y compris les garnisons, l’armée qui avait à défendre cette partie de nos frontières[90], il en résulta que les soldats manquèrent là où l’excès même du courage ne pouvait suppléer au nombre. L’armée des Pyrénées-Orientales avait, en effet, à occuper un terrain immense sur la côte ; elle s’étendait depuis Perpignan jusqu’à la Cerdagne espagnole inclusivement, et elle embrassait toute la frontière de l’Ariège, y compris la vallée d’Aran. Comment garder avec quinze mille hommes une pareille étendue de terrain, surtout quand il y avait péril imminent à laisser sans garnison une foule de points importants, tels que Cette, Narbonne, Agde, Perpignan, Collioure, Port-Vendres, le fort Saint-Elme, Villefranche, Mont-Libre, Puycerda et Belver[91] ?

Quand l’ordre du Comité arriva, l’armée française, dont le quartier général était à Perpignan, occupait en deçà du Tech une ligne de défense que Doppet avait dû faire fortifier par des fossés et de petites redoutes pour suppléer de celle façon aux forces, qui étaient déjà insuffisantes[92]. La réduction soudaine de l’armée ne permettant Pas de maintenir cette position, Doppet, d’accord avec les autres officiers généraux et les représentants du peuple, décida qu’on abandonnerait la ligne formée le long du Tech et qu’on ramènerait les troupes au camp de l’Union, établi dès le commencement de la guerre pour couvrir Perpignan. Pendant cette retraite, et dans le but de la masquer, une colonne eut ordre de traverser le Tech et d’aller attaquer les Espagnols au poste de Villelongue. La tentative fut couronnée d’un plein succès. Le 29 frimaire (19 décembre), la division lancée au delà de fa rivière s’empara du camp de Villelongue, fil beaucoup de prisonniers, enleva vingt pièces d’artillerie, et assura fa retraite du reste des troupes[93].

Malheureusement, une épidémie éclata, qui fit les plus grands ravages dans l’armée et à laquelle Doppet lui-même faillit succomber. Les Espagnols étaient nombreux, aguerris, sous les ordres d’un général habile, Ricardos : ils sucent profiter de ce concours de circonstances funestes ; et Collioure, Port-Vendres, Saint-Elme, tombèrent successivement en leur pouvoir. Y eut-il trahison ? Le bruit en courut. Ce qui est certain, c’est que, dans la capitulation faite avec l’Espagne, le général Dugommier, en Parlant des postes dont il s’agit, ajouta ces mots : livrés Par la trahison[94].

C’étaient là des revers, mais facilement réparables, et dont la nouvelle se perdit dans le bruit des triomphes qui, partout ailleurs, signalèrent le passage des armes de fa République.

 

 

 



[1] Protest against the declaration of the object of war. Voyez Annual Register, 1794. State papers, p. 148.

[2] Mémoires tirés des papiers d'un homme d’État, t. II, p. 420.

[3] Le texte vaut la peine qu’on le cite en Anglais : It is not quite four years since certain miscreants assuming the name of philosophers, have presumed themselves capable of establishing a new system of civil society ; in order to realize this dream, the offspring of vanity, became necessary for them to overturn and destroy all established notions of subordination, morals, and religion. V. Annual Register, 1894. State papers, p. 148 et 149.

[4] Voyez les Mémoires du maréchal duc de Bellune, t. I, liv. II, p. 121, et le Moniteur, an Ier, 1793, n° 271.

[5] Réponse de Fréron aux diffamations de Moyse Bayle, p. 17. Bibliothèque historique de la Révolution, 995, 6, 7. British Muséum.

[6] Au moment où j’écris ces lignes, il n’est question, d’un bout à l’autre de l’Angleterre, que de brûler, quand elle sera prise, la ville, non pas anglaise, mais indienne, de Delhi, et de punir par une extermination en masse des cipayes en révolte les atrocités qu’un certain nombre d'entre eux ont commises.

[7] N° LXII des pièces à la suite du rapport de Courtois sur les papiers trouvés à la mort de Robespierre.

[8] Mémoires du maréchal duc de Bellune, t. I, liv. II, p. 152.

[9] Mémoires du maréchal duc de Bellune, t. I, liv. II, p. 148-149.

[10] Mémoires du maréchal duc de Bellune, t. I, liv. II, p. 144-146.

[11] Mémoires du maréchal duc de Bellune, t. I, liv. II, p. 159-160.

[12] Mémoires du maréchal duc de Bellune, t. I, liv. II, p. 177.

[13] Victor, depuis maréchal duc de Bellune, se signala à cette attaque. Voyez les Mémoires, t. I, liv. II, p. 155.

[14] Mémoires du maréchal duc de Bellune, t. I, liv. II, p. 159.

[15] Mémoires du général Doppet, liv. III, chap. IV, p. 207.

[16] Mémoires du général Doppet, liv. III, chap. IV, p. 205.

[17] Beaulieu, dans la Biographie universelle, à l’article Fréron, parle de cette lettre comme si elle avait été écrite réellement. Il ne dit pas que Barras et Fréron la désavouèrent de la manière la plus formelle.

[18] Mémoires de Charlotte Robespierre sur ses deux frères, chap. V.

[19] Voyez ce que dit à cet égard Michaud jeune, dans la Biographie universelle, à l'art. Ricord.

[20] Il est regrettable qu’un historien de la valeur de M. Michelet ne se soit pas tenu en garde contre une accusation dont la fausseté était si facile à vérifier.

[21] Voyez les détails, qui sont très-curieux et très-caractéristiques, dans les Mémoires de Charlotte Robespierre, chap. V. — C'est à Augustin, et non pas à Maximilien, comme on a feint perfidement de le croire, que s’adresse la lettre de Charlotte qu’on trouve au n° XLII des pièces à la suite du rapport de Courtois et qui commence en ces termes : Votre aversion pour moi, mon frère, etc.

[22] Mémoires du maréchal duc de Bellune, t. I, liv. II, p. 171.

[23] Mémoires du maréchal duc de Bellune, t. I, liv. II, p. 173.

[24] C’est-à-dire le 30, — ce détail est important, on va voir pourquoi, — et la date est précisée par le récit de Victor qui était là.

[25] M. de Barante, dans son Histoire de la Convention, t. III, p. 346, édit. Méline, prétend que la batterie destinée à tirer contre le fort de Malbousquet fut démasquée trop tôt, grâce à la présomptueuse ignorance des représentants qui ordonnèrent aux canonniers de faire feu. Et c’est en effet de la sorte que Napoléon présente les choses dans ses Mémoires. Mais la version du duc de Bellune, seule conforme aux relations officielles, dément le récit de Bonaparte avec une précision qui lève tous les doutes. Non-seulement il n’est pas question dans le récit du duc de Bellune de la prétendue faute née de la prétendue ignorance des représentants ; mais l’affaire des Arènes y est présentée comme n’ayant eu lieu que le surlendemain du jour où la batterie fut démasquée, tandis que, dans la version adoptée par M. de Barante, trop heureux d’avoir à dénoncer la présomptueuse ignorance des représentants, ces deux faits, si distincts, n’en font qu’un seul.

[26] Mémoires du duc de Bellune, t. I, liv. II, p. 187.

[27] Mémoires du duc de Bellune, t. I, liv. II, p. 183.

[28] Voyez la lettre des représentants Ricord, Fréron et Robespierre jeune dans le Moniteur, an II, n° 95 ; — le rapport de Barère, ibid. ; — les Mémoires du duc de Bellune, t. I, liv. II, p. 185-185. Quant à la bravoure déployée par Ricord, Salicetti et Robespierre jeune, — Fréron ne fut pas nommé, non plus que Barras, — les relations du temps et le rapport de Barère ne laissent à cet égard aucun doute : ce qui n’empêche pas M. de Barante d’écrire : Le fort était pris depuis trois heures lorsque les représentants du peuple y arrivèrent le sabre à main, assez inutilement, puisqu’ils n’avaient pas assisté au combat. Sur ce point, Napoléon démentie témoignage des relations officielles. A ceci, il y a à répondre : 1° que Napoléon ne dit nullement que les représentants n’assistèrent point au combat ; 2° que les représentants n’auraient pu se tenir en arrière qu’au risque de la guillotine, et que fait de leur apparition dans le fort trois heures après l’engagement est non-seulement invraisemblable, mais, lorsqu’on se reporte à l’époque, impossible ; 3° qu'il existe un récit tracé par un des combattants, récit peu suspect de partialité révolutionnaire, et que M. de Barante n'a eu garde de mentionner, quoiqu'il l'eût sous les yeux, lequel est en conformité parfaite, et avec les relations du temps, et avec le rapport de Barère. Ce récit, qui est celui de Victor, duc de Bellune, dit en propres termes, t. I, liv. II, p. 183 : Les représentants du peuple, tantôt à la tête, tantôt sur les flancs des colonnes, prodiguent aux soldats des encouragements dont ils n’ont pas besoin. Et M. de Barante, avec la relation du duc de Bellune sous les yeux, affirme que les représentants n’assistèrent point au combat !

[29] Compte rendu de Robespierre jeune aux Jacobins, séance du 9 nivôse.

[30] Moniteur, an II, n° 95.

[31] Mémoires du duc de Bellune, t. I, liv. II, p. 188.

[32] Mémoires du duc de Bellune, t. I, liv. II, p. 189-190.

[33] Jomini, Histoire des guerres de la Révolution, cité dans l’Histoire parlementaire, t. XXX, p. 456.

[34] Mémoires du duc de Bellune, t. I, liv. II, p. 195.

[35] Cité dans l’Histoire parlementaire, t. XXX, p. 456 et 457.

[36] L’amiral espagnol Langara déploya, en celle circonstance, des sentiments d’humanité qui méritent qu’on en fasse mention.

[37] Moniteur, 1793, an II, n° 98.

[38] Moniteur, 1793, an II, n° 95.

[39] Mémoires du duc de Bellune, t. I, p. 195.

[40] Réponse de Fréron aux diffamations de Moyse Bayle, p. 17. — Bibliothèque historique de la Révolution, 995-6-7. (British Muséum.)

[41] Au moment où j'écris ceci, il n'y a qu’un cri en Angleterre sur la nécessité et la justice d'une extermination en masse des cipayes, révoltés dans les Indes ; et l’on applaudit de toutes parts à l'énergie des généraux anglais faisant attacher les prisonniers à la gueule des canons, en présence des natifs épouvantés, puis donnant le signal... Je n’achève pas. Ce sont récits à faire dresser les cheveux sur la tête. Il est vrai que, du côté des cipayes, des horreurs sans nom se trouvent avoir été commises ; mais tous n'y ont pas trempé, même parmi les rebelles ; et l'on ne dira pas, j'espère, que les cipayes, se battant pour ce qui, après tout, est leur pays, soient plus coupables que ne le furent, en 1793, les Français qui se joignirent à l'ennemi, et l'appelèrent, pour mieux le mettre en état d'égorger la France, au sein de la France même.

[42] Voyez le récit de Fréron, dans la Bibliothèque historique de la Révolution, n° 995-6-7. (British Muséum.)

Il est vrai que Fréron avait intérêt à présenter les choses sous le jour le moins défavorable ; mais, de leur côté, Isnard et Durand de Maillane, qui, eux, ne parlaient que sur ouï-dire, et qui sont les seules sources où jusqu'ici les historiens aient puisé, avaient le plus vif intérêt à charger, autant que possible, les couleurs du tableau, accusés qu'ils étaient par Fréron d’avoir eu les bras jusqu’aux coudes dans le sang dont la réaction thermidorienne inonda le Midi. Il est vrai encore que la moralité de Fréron est une faible garantie de sa véracité. Mais il faut remarquer qu'il s’agit ici de faits matériels connus d'une ville entière, et au sujet desquels Fréron n'eût pu mentir impunément. Au reste, qu'on lise, à la suite du Mémoire historique sur la réaction royale et sur les massacres du Midi, le récit qu’Isnard met dans la bouche d'un vieillard, qu’il ne nomme pas ; et l’on démêlera sans peine, à travers la boursouflure sauvage du style et la violence déclamatoire du langage, la confirmation de ce que Fréron raconte de la formation d’un jury chargé de trier les plus coupables.

[43] Isnard (voyez ubi supra, Eclaircissements historiques, n° b) ne met pas en doute, cela va sans dire, que ce qui put arriver arriva, et que les condamnés furent tous des créanciers voués à la mort par leurs débiteurs, des maris désignés par les amants de leurs femmes, etc., le tout, sur la foi d'un vieillard que, longtemps après, il rencontra un jour, en se promenant, dans le Champ de Mars !

[44] Comme l’avance Durand de Maillane (Voyez son récit dans la Bibliothèque historique de la Révolution, 999-1000.) (British Muséum.)

[45] Voyez la biographie de Fréron, par Beaulieu.

[46] Récit-de Fréron. Bibliothèque historique de la Révolution, 995-6-7. (British Museum.)

[47] Récit-de Fréron. Bibliothèque historique de la Révolution, 995-6-7. (British Museum.)

[48] Récit-de Fréron. Bibliothèque historique de la Révolution, 995-6-7. (British Museum.)

[49] Récit-de Fréron. Bibliothèque historique de la Révolution, 995-6-7. (British Museum.)

[50] Récit-de Fréron. Bibliothèque historique de la Révolution, 995-6-7. (British Museum.)

[51] Récit-de Fréron. Bibliothèque historique de la Révolution, 999-1000. (British Museum.)

[52] Voyez la séance des Jacobins, du 9 nivôse, dans le Moniteur, 1793, an II, n° 98.

[53] Moniteur, 1794, an II, n° 105.

[54] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. II, p. 425.

[55] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. II, p. 425.

[56] Voyez les détails dans les Mémoires du prince de Hardenberg, t. II, p. 426-431.

[57] Les lettres de lui qui ont été publiées, et qui n'étaient pas destinées à voir le jour quand elles furent écrites, le peignent tout entier. Nous en citerons plus loin quelques passages.

[58] Lettre de Saint-Just au Comité de salut public, en date du 24 octobre 1793.

[59] L’arrêté porte : Convaincus que la mauvaise administration, l’impunité des vols et les intelligences de l’ennemi, ont été une des causes des désastres de l’armée du Rhin.

[60] Collection des arrêtés de Saint-Just et Lebas, t. XXXI de l’Histoire parlementaire, p. 57.

[61] Cet arrêté porte la date : Strasbourg, huitième jour du deuxième mois.

[62] Cette exécution a fourni à Charles Nodier le sujet d’un intéressant épisode dans ses Souvenirs de la Révolution et de l'Empire, t. I, p. 51-53, édit. Charpentier.

[63] Histoire parlementaire, t. XXXV, p. 347.

[64] Moniteur, an II, 1793, n° 45.

[65] Cet enthousiasme avait quelque chose de si extraordinaire, qu'il fait dire au prince de Hardenberg, t. II, p. 457 : Aucun obstacle, pas même ceux que suscitaient les événements, n’arrêtaient les Français.

[66] Lettre de Saint-Just à la Convention.

[67] Lettre de Saint-Just au Comité de salut public, du 1er frimaire (21 novembre).

[68] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. II, p. 435.

[69] Lettre de Carnot à Saint-Just, 15 frimaire (5 décembre).

[70] Lacoste fut au nombre des plus violents thermidoriens.

[71] Essai sur la vie de Lazare Hoche, par E. Bergounioux, p. 28 ; 1852.

[72] Essai sur la Vie de Lazare Hoche, p. 29.

[73] Essai sur la Vie de Lazare Hoche, p. 29.

[74] Essai sur la Vie de Lazare Hoche, p. 30.

[75] Récit du prince de Hardenberg, t. II, p. 435.

[76] Essai sur la Vie de Lazare Hoche, p. 32.

[77] Voyez les Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. II, p. 438 et 439.

[78] Lettre de Saint-Just et Lebas à leurs collègues, en date du 5 nivôse (25 décembre).

[79] Voyez les Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. II, p. 439- 441 ; et le Tableau historique des guerres de la Révolution, t. II.

[80] M. Bergounioux, biographe enthousiaste de Hoche, dit lui-même qu’il céda peut-être à quelques mouvements de bien légitime orgueil.

[81] Essai sur la Vie de Lazare Hoche, p. 35.

[82] Il est à remarquer que ce sont là des faits consignés dans la biographie de Hoche par un de ses plus fervents admirateurs.

[83] Essai sur la Vie de Lazare Hoche, p. 41.

[84] Essai sur la Vie de Lazare Hoche, p. 41.

[85] Essai sur la Vie de Lazare Hoche, p. 43.

[86] Essai sur la Vie de Lazare Hoche, p. 44.

[87] Essai sur la Vie de Lazare Hoche, p. 44 et suiv.

[88] Mémoires manuscrits du maréchal Jourdan.

[89] Qui croirait que, dans ses Mémoires manuscrits, que nous avons sous les yeux, Jourdan cite ce rapport comme une preuve de l’injustice du Comité à son égard ? Jourdan pouvait avoir raison contre Carnot au point de vue militaire ; ceci est une question à vider entre gens du métier. Mais depuis quand un gouvernement est-il injuste en mettant à la tête d’une armée les généraux qu’il juge les plus propres à servir ses vues et les intérêts du principe qu’il représente ? Il y aurait eu injustice si les services déjà rendus par Jourdan avaient été méconnus ou n’avaient provoqué, de la part du Comité, aucun témoignage public et éclatant de gratitude. Or le rapport de Barère est là !

[90] Extrait des registres du Comité de salut public, du 14 frimaire (4 décembre) 1793.

[91] Mémoires du général Doppet, liv. IV, chap. II, p. 267.

[92] Mémoires du général Doppet, p. 255 et 256.

[93] Mémoires du général Doppet, p. 269.

[94] Mémoires du général Doppet, p. 275.