HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

TOME NEUVIÈME

LIVRE DIXIÈME

 

CHAPITRE IX. — LA COALITION REPOUSSÉE

 

 

Détresse inouïe. — Déplorable état des armées, et cependant force étonnante de la Révolution. — Régénération de l’art de la guerre. — Carnot. — Houchard, général en chef de l’armée du Nord ; son trouble. — Siège de Dunkerque. — Marche de Houchard ; ses premiers succès ; son hésitation ; soupçons de Levasseur. — Bataille de Hondschoote ; belle conduite des représentants Levasseur et Delbrel. — Victoire. — Houchard hésite encore ; reproches que lui adresse Levasseur. — Le duc d’York lève le siège de Dunkerque.– Prise de Menin. — Défaite sans combat. — Hédouville suspendu.– Houchard destitué. — Événements militaires sur le Rhin. — Politique égoïste des coalisés. — Dissidences entre le duc de Brunswick et Wurmser. — Combat de Pirmasens. — Le général Guillaume envoyé à la Force. — Guerre aux Pyrénées. — Dagobert devant Ricardos. — Orgueil sublime né des passions révolutionnaires. — Le Comité de salut public attaqué ; défense victorieuse de Robespierre ; modération de sa politique. — Rapport de Saint-Just ; le gouvernement déclaré révolutionnaire jusqu’à la paix. — Cobourg investit Maubeuge. — Traits d’héroïsme. — Jourdan, général en chef de l’armée du Nord. — Il marche au secours de Maubeuge. — Carnot à l’armée. — Suicide du général Mérenvu. — Mot imprudent de Cobourg. — Les deux armées en présence. — Ordre de bataille. — Journée du 15 octobre. — Miracles de l’enthousiasme républicain. — Les deux. frères Duquesnoy. — Journée du 16 ; victoire de Wattignies. — Inaction de la garnison de Maubeuge pendant la bataille. — Le général Chancel condamné à mort par le tribunal révolutionnaire. — Drouet pris par les Autrichiens ; singulière destinée. — Effet produit par la victoire de Wattignies et le déblocus de Maubeuge.

 

Qu’une nation, livrée aux angoisses d’un vaste enfantement, tourmentée par les complots, déchirée par les factions, désolée par la famine, sans commerce, sans crédit, sans finances, sans autre monnaie que des chiffons de papier, sans autres protecteurs de son sol partout menacé que des soldats levés à la hâte et demi-nus, ait pu néanmoins, dans un court espace de temps et du même coup, jeter les bases d’un monde nouveau, déjouer d’innombrables conspirations, faire acclamer la République à des millions d’affamés, dompter dix ou douze révoltes intérieures, repousser le choc de cent mille paysans fanatiques, et, après avoir ébranlé jusqu’en ses fondements l’Europe entière, la vaincre… A quelle époque et dans quel pays vit-on jamais pareil prodige ?

Qu’on se reporte au point où nous avons interrompu le récit du mouvement des armées : Condé, Valenciennes, Mayence, sont au pouvoir de l’ennemi ; notre armée du Nord, successivement chassée du camp de Famars et de celui de César, a dû se retirer derrière la Scarpe ; les alliés, qui, depuis Bâle jusqu’à Ostende, comptent près de trois cent mille combattants, semblent n’avoir, pour anéantir les débris de notre force militaire, qu’à s’avancer en masse de Valenciennes sur Soissons d’un côté, et de Mayence sur Châlons de l’autre ; le prince de Cobourg, maître de la frontière à quarante lieues de la capitale, la menace du poids de cent quatre-vingt mille hommes ; les Piémontais descendent du haut des Alpes pour donner la main aux Lyonnais soulevés ; Toulon, le plus beau port de France, est occupé par les Anglais ; les Espagnols ont emporté le fort de Bellegarde et tiennent la clef du Roussillon ; enfin, des Pyrénées aux Alpes, du Rhin à l’Océan, du Rhône à la Loire, les bataillons républicains, accablés par la supériorité du nombre, sont refoulés vers l’intérieur, que consume le grand incendie de la Vendée.

Tel se présente l’ensemble de la situation, et, si on l’approfondit, quels détails ! Des armées en pleine désorganisation. Un encombrement de recrues. Des volontaires, braves devant l’ennemi, mais, hors de l’action, indisciplinés. Des officiers nobles qui, suspects aux soldats, se défient des soldats[1]. Pour entrepreneurs du service des armées, d’anciens procureurs juifs, des hommes de chicane, des laquais, qui, habiles à prévoir le discrédit du papier-monnaie, ont accaparé les marchandises, et, par le jeu savant de la hausse et de la baisse, font la rafle des écus. Des fournisseurs, mal ou non payés, livrant des denrées de mauvais aloi. Le soldat ayant à peine de quoi manger et portant aux pieds des souliers à semelles de carton, ou déguisées avec de la tôle. Des hôpitaux remplis de malades sans médicaments. Les chevaux, nourris avec des roseaux de marécage en guise de foin, périssant par milliers et jonchant les chemins de leurs cadavres. La disette du fourrage si excessive, qu’en certains endroits on fut réduit à chercher sous la neige, laborieusement balayée, quelques méchants brins d’herbe, et que, plus d’une fois, on vit des dragons, les larmes aux yeux, partager leur pain avec leurs chevaux[2].

D’où vient que, dans cet état de détresse inouïe, la France épouvanta ses ennemis à ce point qu’ils n’osèrent pas se résoudre à franchir la distance de douze ou quinze marches qui les séparait du berceau de la Révolution ? Quelle invisible main les retint comme enchaînés sur la frontière ? Ah ! il n’y a pas à en douter, ce qui les arrêta, ce fut moins le bras levé de la France que le pouvoir mystérieux de ses pensées. Elle avait apporté dans le monde quelque chose de nouveau et de profond dont il leur fut impossible d’approcher sans pâlir. Ils le sentaient frémir et brûler sous leurs pieds, ce sol, sacré à jamais, qui avait enfanté tant d’hommes à la vie nouvelle. Leur hésitation fut celle de l’effroi, et, à leur insu, celle du respect.

On assure qu’après la double capitulation de Condé et de Valenciennes, plusieurs généraux allemands, Clairfayt, Beaulieu, Ferraris, furent d’avis d’aller droit à la prison où gémissait Marie-Antoinette, et que ce plan échoua devant la résistance du cabinet de Saint-James, dont la politique, peu sentimentale de sa nature, voulait une proie, Dunkerque[3]. Il est certain en effet qu’ordre fut donné au duc d’York de marcher, avant tout, sur cette ville et d’en former le siège[4]. Mais les alliés auraient-ils asservi avec autant de facilité l’intérêt commun et manifeste de la coalition aux vues personnelles de l’Angleterre, et l’Angleterre elle-même aurait-elle subordonné ses plans aux seules inspirations d’un étroit égoïsme, si affronter l’enthousiasme révolutionnaire à son foyer n’avait semblé presque chimérique ? Prendre le chemin de Paris, c’était entrer dans une fournaise ardente : l’état-major du prince de Cobourg le savait bien ; et il était si convaincu de la toute-puissance de la foi républicaine, que, cherchant à justifier sa circonspection aux yeux du monde, il fut le premier à rappeler l’issue désastreuse de l’invasion de la Champagne[5].

De là l’adoption du plan timide qui bornait les opérations offensives des alliés à deux tentatives séparées, l’une du duc d’York sur Dunkerque, l’autre du prince de Cobourg sur le Quesnoy.

Or, tandis que nos ennemis s’enfonçaient de la sorte dans la vieille routine des entreprises de détail, le Comité de salut public, éclairé par Carnot, atteignait d’un bond aux plus hautes conceptions militaires. Car il importe de le remarquer, c’est au génie fécond de la Révolution qu’appartient même la régénération de l’art de la guerre ; et ce fut Carnot qui, systématisant les procédés de Frédéric II, créa la science dont la République d’abord et Napoléon ensuite tirèrent tant de merveilleux résultats. S’acharner à l’attaque ou à la défense d’une ligne ; garder les passages ; prendre soin de ne pas se découvrir ; sacrifier à la crainte de laisser une place derrière soi le bénéfice d’une marche hardie et l’occasion de frapper un coup décisif, voilà en quoi la tactique avait longtemps consisté ; c’était celle des alliés. Carnot persuada sans peine au Comité de salut public, et le Comité de salut public à la France, que l’art de la guerre était l’art de former une masse compacte, de lui imprimer des mouvements rapides, et de diviser les forces ennemies de manière à attaquer les corps isolés l’un après l’autre, sûr moyen de les écraser, le problème des batailles à gagner se pouvant poser en ces termes : avoir toujours à opposer, sur un point quelconque, à un nombre donné d’hommes un nombre d’hommes beaucoup plus considérable[6].

En même temps paraissait la loi qui constituait la force nationale, par la formation de l’infanterie de ligne en cent quatre-vingt-dix-huit demi-brigades, et de l’infanterie légère en trente demi-brigades. Cette loi fixait chaque demi-brigade à trois mille deux cents combattants, ce qui devait porter l’effectif à sept cent vingt-neuf mille six cents hommes ; elle supprimait le mot régiment, vestige d’un passé qu’on aurait voulu arracher de l’Histoire ; elle substituait aux dénominations vagues de maréchal de camp et de lieutenant général celles de général de brigade et de général de division, plus précises ; et, détruisant les bigarrures de noms, d’uniformes, de paye, de discipline, elle faisait de l’armée un tout compacte et homogène[7].

Une réforme non moins salutaire fut introduite dans l’action des pouvoirs dirigeants. Jusqu’alors nulle idée d’ensemble n’avait présidé aux mouvements de corps lancés à de telles distances les uns des autres, que les faire manœuvrer harmonieusement semblait impossible : placé au Comité de salut public comme au sommet d’une haute montagne, Carnot parcourut de son œil perçant l’immense ligne de nos frontières, et sa voix, portée d’échos en échos jusqu’aux limites les plus reculées, détermina dans les opérations un accord qui en assura le succès. L’envoi aux armées de représentants du peuple, investis d’une autorité supérieure à celle des généraux, et pleins de la pensée qu’ils avaient charge de vivifier, réalisa le phénomène d’un pouvoir central présent, à chaque heure du jour, sur chaque point de la circonférence. Les commissaires de la Convention furent comme les nerfs qui animent le corps humain, en correspondant avec le cerveau[8].

Kilmaine, après sa belle retraite au camp de Gavarelle, avait été désigné pour le commandement de l’armée du Nord : sur son refus, né d’un sentiment de modestie ou de prudence, Houchard fut nommé, et dut quitter l’armée de la Moselle, qu’il commandait alors. Personne qui ne crût à l’excellence d’un pareil choix. Houchard, en effet possédait la confiance des soldats, qui aimaient tout en lui : sa bravoure impétueuse, ses habitudes d’homme des camps, sa pauvreté, sa jactance même, et jusqu’à une longue balafre qui sillonnait son visage[9]. Quant à son attachement pour la Révolution, comment le mettre en doute ? La Révolution l’avait comblé de bienfaits et d’honneurs ; de simple capitaine, elle l’avait fait, en deux ans, général en chef[10]. Il s’en souvenait, n’en parlait jamais qu’avec reconnaissance, et, bien différent de Custine, se montrait à l’égard de la Convention plein de dévouement et de respect. Simple officier de fortune, il n’avait pas ce puéril orgueil du sang que Custine puisa dans sa noblesse ; on ne l’avait jamais entendu se vanter, lui, de faire des papillotes avec les décrets qui ne lui plaisaient pas ; et il ne craignit pas de paraître un jour à une revue[11], la tête coiffée d’un bonnet rouge. Mais son malheur fut dans son élévation même. Bon général d’avant-garde, et rien de plus, le commandement en chef l’accabla. Il eut le vertige. D’autant que l’heure approchait où, pour les généraux de la République, il n’y aurait à choisir qu’entre un char de triomphe et l’échafaud. Ce qui est sûr, c’est que l’arrestation de Custine avait jeté Houchard dans un trouble dont il ne put jamais se remettre. Lorsque, en quittant l’armée de la Moselle, il alla voir et embrasser sa famille à Sarrebourg, une mélancolie profonde, qu’il s’efforça vainement de dissimuler, était répandue sur son visage, et aux questions inquiètes d’un ami il répondit qu’il désespérait d’échapper au sort qui le menaçait[12].

A peine rendu à sa destination, une circonstance imprévue vint fortifier ses pressentiments. Billaud-Varenne arriva. Il venait recueillir les dénonciations ; il venait faire trembler les suspects sous les armes. Pendant la nuit, vingt-deux adjudants généraux sont arrêtés ; si bien qu’à son réveil, Houchard, frappé de stupeur, ne trouve, à l’état major, ni chef ni officiers. On avait aussi enlevé les registres d’ordre et là correspondance. Houchard les envoyant redemander, Billaud-Varenne lui fait savoir qu’il les a pris dans une cuisine et les envoie à ses collègues du Comité pour leur apprendre avec quelle négligence on servait à l’armée du Nord[13]. Il partit enfin, cet homme sombre, et l’armée respira.

Cependant le duc d’York se disposait à marcher sur Dunkerque. Le 16 août, il campait à Turcoing ; le 17, il y tenait conseil de guerre ; et, le 18, ses troupes s’ébranlaient[14].

Leur force totale, y compris un corps de douze mille Autrichiens sous les ordres du feld-maréchal Alvinzi, montait à environ trente-six mille combattants. Le maréchal Freytag, avec seize mille hommes, était à Ost-Capelle. Le prince d’Orange, à la tête de quinze mille Hollandais, occupait la position de Menin. Le gros de l’armée impériale avait été mis en mouvement pour s’emparer du Quesnoy et de la forêt de Mormale[15].

Chemin faisant, le duc d’York trouva le prince d’Orange engagé dans une vive attaque contre les avant-postes français. Les Hollandais avaient d’abord eu le dessus, ayant, dès la pointe du jour, surpris Linselles et enlevé le Blaton ; mais Jourdan, réuni à Béru, n’avait pas tardé à reprendre le premier de ces deux villages, et le chef de brigade Macdonald était rentré dans le second à la baïonnette. L’arrivée des gardes anglaises et de trois régiments hessois rétablit le combat. Les deux postes furent occupés de nouveau, succès qui était loin de valoir tout le sang qu’il avait coûté. Le duc poursuivit sa marche[16].

Le 22 août, il était à Furnes, d’où il partit, après une courte halte, pour ’s’établir sur le terrain qu’il devait occuper pendant le siège. C’était un grand espace sablonneux, appelé l’Estrang, resserré entre l’Océan et les marais de la grande Moër, et dont les dunes favorisaient les approches de la place. Le duc, divisant son armée en deux corps, l’un d’observation et l’autre de siège, retint le commandement du second, et confia le premier au maréchal Freytag, qui s’établit à Hondschoote, et dont les avant-postes occupèrent tous les villages jusqu’à Herzèle et Houtkercke, en deçà du ruisseau de l’Yser. Le 24, les détachements français qui couvraient la place se replièrent, à la suite d’une attaque dans laquelle périt le général autrichien d’Alton, et le même jour la tranchée fut ouverte, en dépit de la nature du terrain, sable mouvant où l’on trouvait l’eau à deux pieds de la surface. Il avait été convenu qu’un armement naval considérable viendrait, des ports de l’Angleterre, coopérer au siège ; le duc d’York l’attendit en vain, et, au lieu de l’escadre promise, vit arriver une flottille de bâtiments de guerre français, qui, embossés sur le flanc droit du camp, se mirent à le battre en écharpe avec du gros calibre. La ville, au reste, faisait bonne contenance, défendue qu’elle était par le général Souham, et par un jeune homme dont la Révolution fit un héros : l’admirable Hoche[17].

Le duc d’York étant engagé dans l’étroite langue de terre par laquelle Furnes et Dunkerque communiquent ; le corps d’observation du maréchal Freytag occupant, en avant des marais et de Dunkerque, une position qui ne protégeait pas les derrières du corps de siège ; et les Hollandais, postés à trois journées de ce point, n’y pouvant être d’aucun secours, le Comité de salut public entrevit la possibilité de dégager la place par la réunion d’une masse unique de cinquante mille ou soixante mille hommes qui, passant avec hardiesse et d’un élan rapide entre les Hollandais et Freytag, se serait portée à Furnes, derrière le duc d’York, et, supérieure en nombre à chacun de ces trois corps pris à part, les aurait successive ment accablés. C’était une application du nouveau système de guerre[18], et le fond des instructions que Carnot fit passer à Houchard[19]. Mais, comme l’accomplissement d’un tel dessein exigeait plus de forces que Houchard n’en avait à sa disposition, Carnot annonça l’envoi d’un renfort de trente-cinq mille hommes, tiré des armées de la Moselle et du Rhin, attendu que la capitulation de Mayence leur interdisait provisoirement l’offensive, et que leur défensive était assurée par les lignes de Wissembourg. Malheureusement cette partie du projet ne se put effectuer ; douze mille hommes seulement furent envoyés à l’armée du Nord[20], qui, de la sorte, se trouva ne pas excéder trente mille combattants[21].

Il est probable que ce fut cette circonstance qui empêcha Houchard de suivre le plan du Comité de salut public, et lui fit prendre la résolution d’attaquer tout simplement de front le corps d’observation de Freytag, de manière à le rejeter sur les derrières du duc d’York, manœuvre moins brillante, moins décisive, mais aussi moins hasardeuse.

La vérité est que, pour s’engager et manœuvrer avec trente mille hommes entre les trois corps de Freytag, du duc d’York et du prince d’Orange, il eût fallu courir des risques que les préoccupations de Houchard ne lui permettaient guère d’affronter. Il avait l’esprit si frappé, que, le 1er septembre, apprenant par le Moniteur l’exécution de Custine, il s’écria : Oh ! mon Dieu ! c’est donc un parti pris ; on veut guillotiner tous les généraux ! Levasseur était là ; il répliqua rudement : Et toi aussi on te guillotinera, si tu nous trahis[22].

Le 5 septembre, l’armée du Nord commença son mouvement. Le général Hédouville formait la droite avec dix mille hommes, et le général Landrin la gauche avec cinq mille ; le centre, d’environ quinze mille hommes, était commandé en personne par Houchard. Les premières attaques furent suivies d’un plein succès, et les villages de Oudezeele, Herzeele, Bambeck, enlevés dès le premier jour, au pas de charge. Là Jourdan et Vandamme se couvrirent de gloire. A Bambeck, Houchard se battit en vaillant soldat. L’armée anglaise recula sur toute la ligne. Vainement le général Falkenhausen essaya-t-il de garder Rœxpoède, où il s’était arrêté pour couvrir la retraite, il dut se replier sur Hondschoote[23].

Les Français couchèrent à Rœxpoède. Les habitants avaient fui, le village était désert. Levasseur, logé à la même auberge que Houchard, fut étonné de l’agitation que trahissait l’attitude de ce général. Je crains, disait-il, d’être surpris cette nuit : la position est peu forte. — Il ne fallait pas alors nous y amener, répondit Levasseur[24]. Vers huit heures du soir, le bruit du canon se fait entendre. Freytag, revenu précipitamment sur ses pas, attaquait Rœxpoède en personne. La cavalerie française culbuta les colonnes ennemies et fit prisonniers le prince Adolphe d’Angleterre et le maréchal Freytag ; mais une charge heureuse du colonel hanovrien Milius dégagea le premier, et le second fut délivré, quelques heures après, par le général Sporcken, qui, dans un second effort, pénétra jusqu’au milieu du village, où il ne put, du reste, se maintenir[25]. Il était alors minuit. L’ennemi ayant battu en retraite, quatre heures s’écoulèrent sans que rien fit présager, de sa part, une tentative nouvelle. Tout à coup, au grand étonnement de ceux qui l’entourent, Houchard ordonne la retraite sur Bambeck. Pourquoi ce mouvement rétrograde ? Interrogé par Levasseur, Houchard balbutia. Il paraissait si effrayé, lui brave entre les braves, qu’il parlait de reculer jusqu’à Herzeele[26].

Le lendemain, à Bambeck, conseil de guerre chez le général en chef. Les commissaires de la Convention y assistaient. Leur opinion, conforme à celle des officiers, fut qu’il fallait marcher en avant. Seul, Houchard se prononçait pour la défensive. Alors, saisissant une carte géographique déployée sur la table du conseil : Voilà, s’écrie impétueusement Levasseur, voilà Dunkerque. Nous en serions bien près, si nous n’avions rétrogradé cette nuit. Et il éclata en reproches[27]. De noirs soupçons avaient envahi son cœur, et, dans le secret de ses pensées, il hésitait entre l’accusation d’incapacité et celle de trahison[28].

Par une inconséquence bien extraordinaire de la part d’un homme que les escarmouches de la veille semblaient avoir terrifié, Houchard, ce jour-là, eut l’idée de porter la division Landrin sur Dunkerque, c’est-à-dire d’affaiblir l’armée de secours dans des circonstances où, comme le fait remarquer Jomini, il eût fallu au contraire la renforcer de toutes les troupes inutiles à Dunkerque[29].

Enfin, Houchard se décide à l’attaque, et, le 8 septembre au matin, toute l’armée s’avance vers Hondschoote, village situé sur la route de Furnes. La droite était commandée par Hédouville et Collaud, entre Bevern et Killem ; le centre, par Jourdan, en avant de Killem ; la gauche s’étendait entre ce village et le canal de Furnes[30]. Une redoute forte de onze pièces de canon couvrait Hondschoote, battant à la fois le chemin de Bergues et les trois chemins qui conduisent à Blankem. Une autre redoute balayait la route de Warhem. Du côté de Moër et du côté de Hondschoote, la plaine était entièrement inondée. Il fallait donc, pour aborder l’ennemi, braver le feu des deux redoutes, en parcourant un terrain d’une demi-lieue, avec de l’eau jusqu’aux genoux. Ces obstacles, qui jadis avaient arrêté pendant plusieurs mois Turenne, n’arrêtèrent pas les républicains. Vandamme, à la tête de l’avant-garde, emporte les avant-postes des Anglais. A droite, Collaud s’empare des postes de Bevern et de Killem. Bientôt le combat s’engage sur toute la ligne. Les commissaires de la Convention, Delbrel et Levasseur, étaient dans les rangs, excitant le soldat et déchirant avec lui la cartouche. Cependant l’ordre de courir sur les retranchements ennemis n’arrivait pas, et nos troupes, réduites à supporter un feu terrible, demandaient à avancer. Levasseur entendit Collaud qui, grièvement blessé, disait : Qu’est devenu Houchard ? Quoi ! pas d’ordres ! Jourdan, blessé aussi et perdant beaucoup de sang, exhalait les mêmes plaintes, tandis qu’on le portait à l’ambulance. Apercevant Houchard qui, derrière une haie, se consultait avec quelques officiers, et paraissait en proie à une poignante incertitude, il s’écria : Qu’allons-nous devenir avec un pareil chef ? Il y a deux fois plus de monde pour défendre Hondschoote que nous n’en avons pour l’attaquer. Nous sommes perdus ! Levasseur interrompt vivement : Ce mot n’est pas français. Ne comptons pas, et dites ce qu’il faut faire. — Cesser le feu et battre la charge. Cet ordre est aussitôt donné par Levasseur à la division Jourdan et porté par Delbrel à la division Collaud. Puis, pour mieux entraîner les soldats, les deux représentants du peuple gagnent la tête des colonnes. Tel est le récit de Levasseur[31].

Le fils d’un ami et d’un compagnon d’armes de Houchard raconte, de son côté, que Houchard fit tout ce qu’on pouvait attendre de sa vaillance ; qu’il s’avança, le sabre à la main et au grand trot, à la tête du 17e de cavalerie, dont la fière contenance ranima les courages ébranlés ; que l’ordre d’aborder les retranchements sans tirer, au pas de course, fut donné par lui, et que ce fut lui qui invita les représentants du peuple à se porter à la tête des divisions[32].

Toujours est-il que Levasseur et Delbrel s’élancèrent au premier rang, et que leur intrépidité, leur patriotique enthousiasme, la vue de leurs panaches tricolores flottant au plus fort du péril, eurent un effet électrique[33]. Levasseur ne cessait de crier : En avant ! en avant ! Un boulet casse les reins à son cheval, et quelques soldats, dont il avait gourmandé d’une manière fort âpre l’hésitation, murmurent d’un ton moqueur, en le voyant tomber : Va donc en avant, il y fait bon ! Lui se relève, se fait amener un autre cheval et continue. On battait la charge sur tous les points, et au bruit du tambour se mêlait le chant sublime de la Marseillaise. La division Collaud, où se trouvait Delbrel, qui avait à essuyer le feu le plus vif, fut d’une fermeté inébranlable. Mais ce qui décida surtout le succès de la journée, ce fut la bravoure de cette même gendarmerie à pied, dont les généraux avaient tant dénoncé l’indiscipline. Unie à une partie des troupes de la garnison de Bergues, que conduisait le général Leclerc, elle attaqua les retranchements des coalisés avec un emportement si furieux, que rien ne put résister[34]. Les alliés perdirent, dans ces trois journées, trois mille hommes, tués ou blessés. La perte des Français était à peu près égale[35] ; mais, pour avoir été sanglante, la victoire n’en était ni moins signalée, ni moins décisive. Walmoden, qui remplaçait Freytag, hors de combat, opéra sa retraite sur Furnes.

Pendant ce temps, la garnison de Dunkerque avait renouvelé ses attaques, de manière à occuper les forces du duc d’York. Ce prince n’eut pas plutôt appris le résultat de la bataille de Hondschoote, que, tremblant d’être coupé, il leva le siège, abandonnant cinquante-deux pièces de canon et ses bagages[36].

De fait, si Houchard eût poussé vivement sa pointe vers Furnes et s’en fût emparé, le prince anglais, resserré en tête par Dunkerque, à droite par l’Océan, à gauche par la grande Moër, et en queue par les vainqueurs de Hondschoote, se trouvait pris dans un défilé sans issue, et jeté à la mer, à moins qu’il ne mît bas les armes. Levasseur en était si convaincu, que, rencontrant Houchard près de la redoute, aussitôt après la bataille, il lui dit : Il faut aller nous placer sur la chaussée de Furnes, nous prendrons le duc d’York, — Comment, à la suite d’un pareil combat, rassembler l’armée ?Je m’en charge. — Les chemins sont mauvais. — S’ils le sont pour nous, ils le sont aussi pour les Anglais, et nous y serons les premiers. — Vous n’êtes pas militaire, représentant. Levasseur n’insista pas davantage ; mais il garda sa conviction, mêlée à des conjectures sinistres[37].

Jomini, dont l’opinion fait autorité en ces matières, prétend que Houchard, répréhensible dans les premières journées, fut à l’abri de tout reproche relativement à la poursuite, et la raison qu’il en donne, c’est qu’il eût été téméraire de tenter avec des moyens insuffisants l’opération indiquée par Levasseur. Car, dit-il, si les Hanovriens fussent revenus sur leurs pas, ainsi qu’on doit le présumer, tandis que le duc d’York eût assailli les Français par Adinkerque, la perte de ces derniers eût été certaine[38]. Mais ici Jomini paraît oublier que Dunkerque renfermait une garnison brave, nombreuse, bien commandée, qui avait su déjà par de vaillantes sorties retenir les renforts que le duc d’York avait voulu envoyer à l’armée d’observation. Cette garnison serait-elle restée tout à coup frappée de paralysie ? La preuve que le duc d’York crut l’opération possible, c’est qu’il en redouta le succès, et à ce point qu’il précipita sa retraite, n’ayant plus qu’une préoccupation, celle d’éviter qu’on la lui coupât. Dans un recueil où se trouve exprimée l’opinion des Anglais à cet égard, on lit : Il est généralement reçu que, si le général Houchard, en cette occasion, avait fait son devoir, il aurait coupé la retraite du duc d’York et probablement pris toute l’armée alliée[39]. Au lieu de cela, nul obstacle n’ayant été mis à la jonction des deux corps, cette armée, selon le mot caractéristique du prince de Hardenberg, campa le 9 septembre à Furnes, réunie et sauvée[40].

Lorsqu’il avait transmis à Houchard l’ordre d’aller combattre le duc d’York à Dunkerque, le Comité de salut public avait écrit : L’honneur de la nation est là[41]. Aussi la victoire de Hondschoote causa-t-elle, dans Paris, une joie qui survécut à la nouvelle de la prise du Quesnoy par le prince de Cobourg ; et, pour ce qui est de l’impression produite en Europe, elle fut immense. Les Jacobins triomphaient surtout de l’humiliation de Pitt, l’objet de leurs plus violentes inimitiés. Seulement, l’idée que Houchard aurait pu jeter les Anglais dans la mer et qu’il ne l’avait pas fait, les remplissait d’une colère sourde, dont un revers inattendu et inexplicable précipita l’explosion.

N’ayant rien désormais à entreprendre contre le duc d’York, qui, réuni à Walmoden, présentait une masse de trente-trois mille combattants, le général français avait résolu d’utiliser ses forces en les jetant sur le corps hollandais isolé à Menin, calcul d’autant mieux fondé, écrit Jomini, que l’armée du prince d’Orange, loin d’être rassemblée, occupait une infinité de postes[42]. En conséquence, le 11 septembre, Houchard quittait Hondschoote. Au moment du départ, il dit à Levasseur : Ce soir, il y aura une chaude affaire à Wervick : nous y prendrons six mille Hollandais. Levasseur témoignant le désir d’être de la partie, Houchard, d’un air sérieux, l’invite à rester au quartier général. Mais le commissaire montagnard : Je n’ai d’ordres à recevoir de personne ici, et je prétends accompagner l’armée sous le feu de l’ennemi[43]. Selon le plan adopté, une colonne, commandée par le général Dumesnil, devait attaquer Wervick de front, et une autre, commandée par le général Hédouville, tourner la ville à gauche et s’avancer, pour couper la retraite, jusqu’au chemin qui conduit à Menin. Les représentants du peuple présents à cette affaire payèrent, comme toujours, de leur personne, et très-résolument[44]. Le montagnard Chasles y fut blessé à la jambe par un éclat d’obus. Quand à Levasseur, non content d’affronter la mort, il fit charger un bataillon qui pliait. Les Hollandais, vigoureusement attaqués de front, furent chassés de Wervick ; mais ils échappèrent, Hédouville n’ayant pas mis la célérité convenable à exécuter la partie du plan dont il était chargé[45].

Le 13 septembre, nouvelle victoire. Menin est emporté, à la manière accoutumée de nos troupes, au pas de charge ; et l’ennemi s’enfuit en désordre vers Bruges et Courtrai, laissant derrière lui quarante pièces de canon[46].

Il advint alors ce qui a eu lieu trop souvent dans le cours des guerres de la Révolution, pour ne pas attester l’existence d’un complot permanent au sein des armées. Dans tous les temps et dans tous les pays, on a vu des troupes, d’ailleurs très-vaillantes, céder à l’effet d’une panique et perdre une bataille, sans fournir à l’ennemi l’occasion de la gagner. Mais, outre que les paniques, pendant la Révolution, offrent un caractère de fréquence inconciliable avec la bravoure, quelquefois fabuleuse, des républicains français, elles ont cela de particulier qu’elles se rapportent toutes à une même cause, c’est-à-dire à un cri systématique de Nous sommes trahis ! Sauve qui peut ! poussé d’une manière soudaine, sur plusieurs points à la fois, et aussitôt suivi de la fuite précipitée de misérables, évidemment chargés d’avance de répandre la contagion de la peur. Il faut remarquer aussi que les déclamations journalières des Jacobins, la sévérité de la Convention à l’égard des délits militaires et ses ombrages, la perfidie, bien constatée, de certains généraux, favorisèrent le succès de l’infernale manœuvre, en faisant flotter devant les yeux de chacun l’image de la trahison. Ainsi s’explique la défaite sans combat qu’essuyèrent, le 15 septembre, les vainqueurs de Hondschoote, sortis de Menin à la rencontre du général autrichien Beaulieu. Cette déroute fut produite, non pas, comme le raconte un historien de nos jours[47], par l’apparition subite d’un corps de cavalerie sur les ailes, mais par le cri de Sauve qui peut ! prenant pour signal le bruit d’un mousquet qui partit au repos sur l’épaule d’un grenadier[48]. Et ce qu’il y eut de plus triste, c’est qu’à l’aspect de nos colonnes, qui avaient regagné Menin et le traversaient en désordre, les habitants se mirent à pousser un effroyable hourra et à tirer des coups de fusil à nos troupes de presque chaque fenêtre[49].

Inconsolables de cet échec, qui ramena l’armée à Lille, les commissaires montagnards, Bentabole et Levasseur, suspendirent le général Hédouville, l’accusant d’avoir laissé les Hollandais s’échapper de Wervick, de ne s’être pas tenu à l’arrière-garde, lors de la retraite de Menin, de façon à la protéger, et d’avoir été trouvé, quand on le cherchait pour qu’il donnât ses ordres, tranquillement assis au bord d’un fossé[50].

De leur côté, Hentz, Peyssard et Duquesnoy écrivaient à la Convention que Houchard et son état-major étaient coupables ; qu’eux, commissaires, avaient trouvé la correspondance du général français avec les princes étrangers ; et que, le soir de la victoire de Hondschoote, le duc d’York, étonné du résultat, avait prononcé ce mot étrange : Nous sommes trahis ![51]

Quand cette dénonciation arriva, Houchard était déjà destitué. Nous reviendrons sur ce fait, qui eut des suites importantes, après avoir donné un coup d’œil aux autres théâtres de la guerre.

Depuis la prise de Mayence jusque vers le milieu du mois de septembre, l’armée prussienne s’était tenue confinée dans une inaction dont l’égoïsme des puissances alliées fournit le secret. Ce n’était pas sans un violent dépit que la Prusse avait vu les Autrichiens prendre possession de Condé et de Valenciennes, au nom de l’empereur d’Autriche, et il lui paraissait dur de sacrifier tant d’hommes, de dépenser tant d’argent, pour aider à l’agrandissement d’un pouvoir rival. Elle-même, d’ailleurs, avait des préoccupations personnelles qui la détournaient de l’intérêt général de la coalition. Sa pensée dominante, à cette époque, était de régler définitivement avec la Russie le second partage de la Pologne ; et le roi de Prusse brûlait d’aller se mettre à la tête des troupes rassemblées sur les frontières de ce dernier pays[52].

Wurmser, vieux guerrier rempli d’ardeur, n’étant retenu par aucun des motifs politiques qui enchaînaient l’activité du duc de Brunswick, frémissait d’un défaut de coopération si propre à paralyser les quarante mille Autrichiens ou Bavarois rangés sous son commandement. Indigné d’avoir à garder, l’arme au bras, la ligne de la Queich jusqu’à Spire, il essaya d’abord avec ses seules troupes de déloger les Français de leurs lignes ; mais ses tentatives partielles de la fin d’août et du commencement de septembre n’ayant abouti qu’à d’inutiles scènes de carnage, il redoubla d’instances auprès du duc de Brunswick, le pressant de s’avancer vers la Lorraine, tandis qu’il percerait, lui, en Alsace[53].

Au milieu de ces hésitations des alliés, nées de la divergence de leurs vues, les commissaires de la Convention aux armées de la Moselle et du Rhin se décident tout à coup à prendre le rôle devant lequel le duc de Brunswick reculait, celui de l’offensive. Ils convoquent un conseil de guerre, où une sortie générale des lignes de Wissembourg est résolue pour le 12 septembre. Un premier effort tenté contre les Autrichiens échoue. Le 14 septembre, nouvelle attaque. Tandis que le général Ferrette marche sur Bodenthal, le corps des Vosges, parti de Hornbach, pousse droit à Pirmasens, qui correspond sur l’autre versant à Bodenthal, et où le duc de Brunswick occupait une position étendue et morcelée[54].

Un rapide succès couronna l’attaque du général Ferrette, qui, culbutant les Autrichiens, resta maître du défilé de Bodenthal. Mais, sur le versant opposé, la fortune trompa cruellement l’audace de nos soldats.

Le général Moreaux, qu’il ne faut pas confondre avec le célèbre Moreau, devenu plus tard général en chef de l’armée du Rhin, commandait le corps des Vosges. Quoique jeune encore, Moreaux était depuis longtemps dans la carrière des armes. A dix-huit ans, il avait fait, en qualité de grenadier d’Auxerrois, les guerres d’Amérique, et avait eu la jambe droite fracassée d’un coup de feu à l’affaire de Sainte-Lucie. Nommé, à son retour d’Amérique, commandant de la garde nationale de Rocroy, puis deuxième chef au premier bataillon des Ardennes, il avait figuré parmi les héroïques défenseurs de Thionville[55]. C’était un officier plein de bravoure, de dévouement, et auquel il n’a manqué peut-être, pour occuper une plus large place dans l’Histoire, que de n’avoir pas eu un homonyme dans la renommée duquel la sienne fut absorbée et disparut.

Moreaux avait espéré surprendre le duc de Brunswick ; mais celui-ci, averti à temps, se préparait à recevoir l’attaque. Aussi l’avant-garde de Moreaux fut-elle saluée à mitraille, aux avant-postes, par le feu de deux redoutes. Se voyant découvert, Moreaux réunit ses troupes derrière un ravin qui les masque, et veut se replier. Mais, de cette voix qui résonnait alors à l’oreille des généraux comme le bruit d’un coup de hache, les commissaires de la Convention ordonnent l’attaque, et Moreaux, divisant, malgré lui, ses masses en trois colonnes, les dirige vers la hauteur sur laquelle est situé Pirmasens. Quelque aventureuse que fût la tentative, l’élan des Français les servit si bien, qu’un moment ils purent se croire vainqueurs. Déjà le 9e régiment de chasseurs à cheval et le 14e régiment de dragons sabraient, à l’entrée de Pirmasens, trois régiments de cavalerie prussienne mis en fuite, lorsque, à la colonne de droite, commandée par le général Guillaume, un mouvement inattendu, inconséquent, contraire aux principes militaires et exécuté sans ordre[56], changea le triomphe en déroute. Engagée dans un ravin où elle se trouve tout à coup mitraillée sur les deux flancs, la colonne est à moitié anéantie, à moitié dispersée : et les Français regagnent Hornbach en grand désordre. Heureusement, Moreaux avait pris, en vue d’une retraite possible, des précautions qui empêchèrent le duc de Brunswick de poursuivre son avantage[57]. Les pertes furent considérables de part et d’autre, et plus considérables du côté des Prussiens, en officiers généraux tués ou blessés[58]. Triste consolation ! Le Comité de salut public fît mettre le général Guillaume à la Force.

Jomini, dont le livre n’a de valeur que sous le rapport stratégique et trahit, à chaque page, la révolte de l’esprit militaire contre l’ascendant du génie civil, accuse les commissaires de la Convention d’avoir rejeté sur le général Guillaume l’odieux d’un désastre dû à leur propre entêtement[59]. Mais il oublie de citer les lignes suivantes d’une communication que Moreaux adressa au commandant en chef de l’armée, Schauenbourg : Je vous fais passer une lettre du général Guillaume, qui ne m’a pas plu. Il est d’autant plus dangereux d’avoir des conversations avec nos ennemis, que les lois le défendent, et que l’on peut se servir de cela pour nous nuire[60]. L’imprudence n’est pas la trahison, sans doute ; mais que serait devenue la France, si, lorsqu’elle avait, pour ainsi dire, la mort sur elle, autour d’elle et en elle, le Comité de salut public eût mieux aimé rester en deçà des limites de la vigilance que courir le risque de les dépasser ?

Aux Pyrénées, la victoire balançait. Le 31 août, le général espagnol Ricardos, déjà maître de la forteresse de Villefranche, livrée lâchement par celui qui la commandait, était parvenu à tourner Perpignan. Le péril pressait. Les représentants Fabre et Cassaigne destituent Barbantane, successeur de Flers, et rappellent de la Cerdagne, où il avait obtenu des succès, le général Dagobert, guerrier de soixante-quinze ans, à l’âme jeune et brûlante, ferme républicain, quoique noble. Mais, en attendant son arrivée, on concerte un vigoureux effort. Un .général espagnol occupait le Vernet ; un autre, le camp de Peyrestortes, avec ses postes à Rivesaltes. Le 17 septembre, débouchant de Perpignan, Davoust marche contre le premier, à la tête d’environ sept mille hommes et le culbute. Pérignon, de son côté, dirige un corps d’élite sur la droite du camp de Peyrestortes, où sa division le suit de près. Enfin, Goguet s’avance vers Rivesaltes, à huit heures du soir, suivi de trois brigades et de gardes nationales levées à la hâte. Au signal convenu, le camp de Peyrestortes est assailli de front, pressé sur sa droite, menacé sur ses derrières. La déroute de l’ennemi fut complète. Il prit la fuite jusqu’au delà de la rivière du Tet, et perdit vingt-six pièces de canon[61].

Dagobert arriva, impatient de signaler sa présence. Les Espagnols étaient revenus à leur ancienne position du Mas-d’Eu : Dagobert résolut d’aller les y attaquer. Il part, après avoir divisé son armée en trois colonnes, destinées, l’une à tourner les Espagnols, l’autre à les heurter de front, la troisième à leur fermer la retraite. Davoust, soupçonné d’envie par quelques-uns[62], avait-il conçu le dessein de faire échouer l’entreprise ? En l’absence de preuves positives, de pareils doutes sont permis à peine. Un fait seul est certain, c’est que la colonne de gauche, celle de Davoust, se hâta de lâcher pied, circonstance fatale dont Ricard os profita fort habilement pour porter le gros de ses forces sur la colonne de droite, l’accabler, et tomber ensuite, avec toutes ses troupes réunies, sur Dagobert, qui, au centre, avait emporté les retranchements ennemis et croyait déjà tenir la victoire. Ainsi obligé de battre en retraite, Dagobert fut admirable de sang-froid et d’énergie. Trois de ses bataillons ayant mis bas les armes, et l’un d’eux au cri de Vive le roi ! l’intrépide vieillard fait sans hésitation mitrailler les traîtres, forme en carré les soldats fidèles et se retire en bon ordre devant Ricardos, qui, frappé d’étonnement, n’ose pousser à bout un tel adversaire[63].

Il est douloureux d’avoir à ajouter que la belle conduite du général français ne le sauva pas de la mauvaise humeur de Fabre, et qu’il retourna en Cerdagne, ne voulant plus d’un commandement qui l’avait exposé à d’injustes reproches[64].

Cependant, ni la Convention, ni le Comité de salut public, ni les Jacobins, n’étaient satisfaits. Que l’armée anglaise eût été défaite, le siège de Dunkerque levé, la ligne du Rhin défendue, le Midi protégé contre l’invasion des Piémontais et le Roussillon contre les progrès des Espagnols, cela paraissait tout simple à des hommes qui s’étaient pris à considérer la victoire comme un acte de leur volonté. Mais que la fortune osât quelquefois désobéir à leurs décrets, mais que le génie de la liberté eût été moins dominant à Menin qu’à Dunkerque, et à Pirmasens qu’à Hondschoote, voilà ce qu’ils ne pouvaient concevoir, tant leur foi était hautaine ! Des succès ne leur suffisaient pas, à ces fiers esprits, il leur fallait des prodiges ; et, le moindre revers leur étant un sujet, non de chagrin, mais d’offense, ils avaient l’orgueil sublime de croire qu’il n’y avait au triomphe permanent de la République qu’un obstacle, un seul : la trahison !

C’était aussi un des articles de leur Credo qu’en temps de crise l’inspiration est appelée à détrôner la science, et que là passion de la justice a puissance d’improviser, même de grands capitaines.

Et de là vient que le danger de bouleverser les états-majors n’arrêta jamais le Comité de salut public. Le 24 septembre, une lettre du ministre de la guerre à la Convention annonça la nomination des généraux Jourdan, Delmas et Moreaux au commandement en chef des armées du Nord, du Rhin et de la Moselle, en remplacement des généraux Houchard, Landremont et Schauenbourg, destitués[65].

C’était le signal qu’attendaient, pour essayer d’abattre le Comité de Salut public, ses adversaires de toutes les nuances. Car il n’avait pu marcher à son but aussi vigoureusement qu’il l’avait fait, sans armer contre lui beaucoup de colères. Hébert, Vincent, et leurs amis des Cordeliers, ne lui pardonnaient pas d’avoir subordonné l’influence des bureaux de la guerre, où ils primaient, à celle des représentants en mission[66]. Thuriot, qui avait apporté au Comité de salut public la pensée de Danton, venait de se séparer de ses collègues, à l’occasion du siège de Lyon et du rappel de Dubois-Crancé[67]. L’ardeur de Robespierre à défendre, au sujet des affaires de la Vendée, le plébéien Rossignol[68], avait fort irrité l’aristocratie des camps. Enfin, l’inexorable politique du Comité n’ayant amnistié qu’à demi la capitulation de Mayence et celle de Valenciennes, Merlin (de Thionville) et Rewbell, Cochon de Lapparent et Briez aspiraient à se venger.

L’agression ne commença d’une manière sérieuse que le 25 septembre ; elle commença par une vive sortie de Goupilleau contre Rossignol, la communication d’une lettre de Bentabole sur le mauvais état des administrations militaires, et la lecture d’un mémoire relatif à la situation précaire de l’armée du Nord. Ce mémoire, dont Briez était l’auteur, ne prenait pas à partie directement ou du moins très-clairement le Comité de salut public ; mais, comme conclusion, il demandait un rapport séance tenante. L’impression du mémoire est aussitôt décrétée, et Briez adjoint au Comité[69].

Ce premier succès les encourageant, Merlin (de Thionville), Goupilleau et Delaunay (d’Angers) viennent successivement, et à l’envi, accuser dans Rossignol, récemment défendu par Robespierre, l’homme qui, disent-ils, perd la Vendée[70].

Le Comité de salut public était décidément sur la sellette. Billaud- Varenne, le seul des membres du Comité qui fût présent, se lève, et sa voix ne laisse tomber que peu de mots, mais des mots où vibre la menace : Votre Comité de salut public, dit-il, frémit, depuis quarante-huit heures, de la coalition formée entre tous les intrigants[71].

Les collègues de Billaud entrèrent, et Barère, prenant la parole, fit résulter habilement la justification des mesures qu’on attaquait de la gravité des causes qui les avaient amenées, savoir, la trahison présumée du général Houchard, le républicanisme menteur de la plupart des officiers nobles, la mauvaise composition des états-majors. Puis, de son ton le plus insinuant, il ajouta : Le Comité est une portion, un résumé de vous-mêmes. On ne peut l’accuser injustement sans attaquer la Convention[72].

Les ménagements étudiés de Barère, si voisins de l’humilité, ne pouvaient convenir, ni à la droiture de Robespierre, ni à son orgueil. Barère avait parlé en avocat du Comité sommé de rendre ses comptes ; il lui parla en ministre de la Révolution insultée. Au fond, ce qu’il importait de mettre ici en lumière, c’était l’odieux ou la folie d’attaques qui, dans un moment où le salut de la Révolution et de la France dépendait de l’action d’un pouvoir énergique et obéi, visaient à paralyser le pouvoir entre les mains des seuls hommes capables de le manier avec vigueur. Quoi ! le Comité de salut public avait onze armées à diriger, une foule d’administrateurs infidèles à poursuivre, des milliers de conspirateurs à déjouer ou à punir, la diplomatie des rois à mettre en défaut, l’Europe entière à combattre ; et, pour lui faciliter l’accomplissement de sa tâche, on imaginait de l’avilir ! Nulle considération ne pouvait être plus frappante, et Robespierre la présenta en termes de nature à émouvoir les âmes sincères. Chacun comprit qu’il disait vrai, lorsqu’il s’écria : Cette journée vaut à Pitt trois victoires. Si nous passons pour des imbéciles ou des traîtres, en respectera-t-on davantage la Convention qui nous a choisis ? Bientôt, descendant de ces hauteurs dans l’arène ouverte devant lui : On a dénoncé, dit-il, ceux qui nous dénoncent ; d’accusateurs, ils vont devenir accusés. La faction n’est point morte, elle conspire du fond des cachots. Les serpents du marais ne sont pas encore écrasés… Ces paroles, d’un vague formidable, donnèrent le frisson aux consciences troubles. Il s’en aperçut, et, prompt à éloigner l’idée de nouveaux déchirements, il se hâta de restreindre à deux ou trois le nombre des traîtres à dévoiler. Quant à Briez, il se contenta de remarquer qu’il n’avait pas réparé la honte dont il s’était couvert en revenant d’une place confiée à sa défense. La conclusion fut singulièrement fière : Je pense que la patrie est perdue si le gouvernement ne jouit pas d’une confiance illimitée, et n’est pas composé d’hommes qui la méritent. Je demande que le Comité de salut public soit renouvelé[73].

Ce discours produisit l’effet d’un coup de foudre. Amis de Danton, amis de Vincent, partisans masqués de la Gironde, tous se turent, comme anéantis. Merlin (de Thionville), qui était, lui aussi, revenu d’une place confiée à sa défense ; Merlin, si brave sur le champ de bataille, n’osa relever le gant. Briez ne prit la parole que pour se laver piteusement du soupçon d’avoir inculpé le Comité de salut public, et déclina l’honneur d’y être adjoint ; sur quoi l’Assemblée s’empressa de rapporter le décret qui prononçait cette adjonction. Duroy, un des promoteurs de cette levée de boucliers, vint s’excuser à son tour. Que dire encore ? La clôture du débat fut sollicitée par ceux-là mêmes qui l’avaient soulevé si imprudemment[74].

Mais ainsi ne l’entendait pas Robespierre ; ce qu’il voulait, c’était un vote solennel de confiance. Billaud-Varenne, sous l’empire d’une susceptibilité excessive, avait exprimé le désir qu’une commission spéciale fût chargée du maniement de certains fonds confiés jusqu’alors au Comité de salut public[75]. Robespierre, avec beaucoup de dignité, affirma qu’il n’y avait pas lieu de s’arrêter à une question de ce genre, que la probité du Comité de salut public était au-dessus du soupçon, et lui donnait le droit de mépriser les calomnies[76]. Répondant à l’apologie que Briez avait faite de sa propre conduite lors du siège de Valenciennes, il prononça cette parole, dont l’Assemblée applaudit à plusieurs, reprises l’étrange et sauvage grandeur : Êtes-vous mort ?[77]

Le triomphe du Comité était désormais assuré. Bazire le constata en s’écriant : Où en serions-nous donc si Robespierre avait besoin de se justifier devant la Montagne ? Et l’Assemblée entière, se levant, déclara que le Comité de salut public avait toute sa confiance.

Loin d’abuser de la force dont cette séance mémorable investissait le gouvernement, Robespierre ne songea qu’à en modérer l’exercice. Ce fut, en effet, peu de jours après, c’est-à-dire le 5 octobre, qu’il mit une véhémence si généreuse à sauver de la proscription les soixante-treize membres qu’il s’agissait de frapper comme signataires d’une protestation en faveur des Girondins. Nous avons eu déjà occasion de retracer cet épisode de sa vie, et de le rattacher à la politique de modération que, précisément à la même époque, Couthon suivait à l’égard des Lyonnais[78]. Selon Robespierre, qui le proclama bien haut dans la séance du 5 octobre, on ne devait pas confondre avec des conspirateurs systématiques des citoyens égarés ; on ne devait pas laisser la vengeance se substituer à la justice. Et d’ailleurs, comme il l’avait dit[79], le 25 septembre, était-il un spectacle plus propre à réjouir le cœur de Pitt que celui de la France employant son énergie à se déchirer de ses mains[80] ?

Mais, s’il fallait de la modération, il fallait aussi de la vigilance, de la fermeté, et que les ressorts du pouvoir ne fussent pas détendus, lorsque, dans la partie à jouer contre l’Europe, l’existence de la France servait d’enjeu !

C’est pourquoi, le 10 octobre, Saint-Just, portant la parole au nom du Comité de salut public, vint proposer à la Convention de déclarer le gouvernement révolutionnaire jusqu’à la paix, ce qui revenait à suspendre momentanément la Convention. Jamais tableau plus grandiose et plus sinistre n’avait été tracé. L’âpre jeune homme ne taisait rien, n’épargnait personne. Le désordre des administrations, l’avidité des gens en place, la corruption des bureaucrates, la mauvaise foi des partis, tout cela était présenté dans un style bref et empreint de je ne sais quelle tristesse héroïque. Les traits caractéristiques y abondaient : La liberté doit vaincre à quelque prix que ce soit. — Quiconque est hors le souverain est ennemi. — Il faut gouverner par le fer ceux qui ne veulent l’être par la justice ; il faut opprimer les tyrans. — Le pain que donne le riche est amer, il compromet la liberté. Le pain appartient de droit au peuple. — Diminuez le nombre des agents, afin que les chefs travaillent et pensent. — Il a péri cent mille patriotes depuis un an, plaie épouvantable pour la Liberté ! Notre ennemi n’a perdu que des esclaves.Ceux qui font des révolutions, ceux qui veulent le bien, ne doivent dormir que dans le tombeau[81].

Le décret passa, et le Comité de salut public promit de vaincre. Sa confiance était sans bornes, ses projets étaient gigantesques. Deux millions de combattants ne lui semblaient pas au delà de ce que pouvait fournir la France, ce prodigieux nid de guerriers ; et Billaud-Varenne, le 25 septembre, n’avait pas craint d’annoncer qu’une descente en Angleterre était méditée, et que bientôt Rome serait attaquée dans Rome[82]. C’est peu ; le lendemain de la présentation du rapport de Saint-Just, 11 octobre, Robespierre, répondant de la victoire, disait, en plein club des Jacobins : Il se livre demain un grand combat sur nos frontières. Demain sera un jour fameux dans les fastes de la République[83]. La prophétie se réalisa.

La prise de Valenciennes, de Condé et du Quesnoy avait rendu les Autrichiens maîtres de la vallée de l’Escaut ; pour l’être de la vallée de la Sambre, il leur fallait prendre Landrecies et Maubeuge. Leur base d’opérations devenait alors excellente, et ils pouvaient en toute sécurité marcher sur Paris. Ce fut donc par la prise de Maubeuge que le prince de Cobourg résolut de terminer la campagne, remettant la marche sur Paris à l’année suivante.

Maubeuge étant une mauvaise place dominée, sur la rive droite de la Sambre, par des hauteurs d’où on l’eût foudroyée en quarante-huit heures, on y avait construit un camp retranché que couvraient des ruisseaux marécageux et des ravins[84]. Le général Ferrant, homonyme du brave défenseur de Valenciennes, commandait le camp retranché de Maubeuge, composé d’environ vingt mille hommes[85].

Le dimanche, 28 septembre, une tranquillité profonde régnait sur la rive droite de la Sambre, lorsque soudain retentirent trois coups de canon qui furent entendus dans toute la contrée. Cobourg arrivait. Nul doute qu’il n’eût pu facilement écraser les forces de Ferrant, trop disséminées, si, au lieu de faire passer la rivière sur des points séparés, à près de deux lieues au delà et en deçà de Maubeuge, il l’eût franchie vivement, le plus près possible de la ville[86].

Sa première opération fut l’incendie. Les malheureux habitants du village de Ferrière s’étaient enfuis à son approche, chassant devant eux leurs troupeaux. De Maubeuge, ils purent voir les flammes qui dévoraient leurs demeures[87].

Quoique Cobourg disposât de soixante-cinq mille hommes, son intention était non d’attaquer, mais de bloquer la place, qu’il savait dépourvue d’approvisionnements. Et, en effet, l’investissement une fois achevé — résultat que retardèrent à peine quelques sorties dont le succès ne couronna pas toujours l’audace, — les habitants de Maubeuge ne tardèrent pas à se trouver en proie à une affreuse détresse. La chair de cheval devint presque une nourriture recherchée. Les hôpitaux étaient encombrés de blessés et de malades que, faute de médicaments, on était réduit à laisser mourir. Puis, comme il arrive, il y avait à côté des âmes constantes celles qui avaient besoin d’être à chaque instant fortifiées. A un soldat qui parlait de la difficulté de se battre à jeun, le général Chancel répliqua noblement : Eh, quel mérite auriez-vous d’aller au feu en sortant de table ? Que faire, cependant ? Attendre qu’on fût secouru, et, jusque-là, savoir souffrir ? Mais au moins fallait-il faire savoir au gouvernement de la République qu’il eût à se presser, qu’on attendrait. Et comment communiquer avec le dehors ? Où trouver des hommes capables de percer au travers de l’armée environnante ? Ils se trouvèrent. Treize dragons s’offrent, et les voilà partis. Ils parviennent à franchir les lignes, atteignent au milieu des coups de fusil le territoire de la Belgique, passent la Sambre à la nage en face de Solre, arrivent à Philippeville à demi morts de fatigue, y font tirer trois coups de canon, signal convenu pour annoncer à ceux de Maubeuge le succès de l’entreprise, et, sans débrider, gagnent au galop Givet, où ils remettent leurs dépêches. Bientôt, apprenant qu’une armée de secours était en marche, ils s’y rendirent au plus vite, ne voulant pas manquer la bataille[88].

Ce fut à Jourdan, nommé depuis peu général en chef de l’armée du Nord, que le Comité de salut public conféra le périlleux honneur de débloquer Maubeuge.

Jourdan, dont la réputation est restée associée aux plus grands souvenirs militaires de la Révolution, était né à Limoges en 1762. Fils d’un chirurgien, la carrière des armes l’avait tenté de bonne heure, et il avait fait une partie des guerres de l’indépendance en Amérique, simple fantassin dans le régiment d’Auxerrois, où il s’était enrôlé dès l’âge de seize ans. On raconte que, rentré en France, et réformé en 1784, il se fit marchand mercier, épousa une modiste, et préluda à ses hautes destinées par des habitudes de vie si simples, que, tandis que sa femme tenait son magasin de modes, lui, sa marchandise sur les épaules, allait la vendre de foire en foire[89]. Mais la Révolution l’appelait à elle. En 1791, il figurait déjà parmi les volontaires ; et, lorsqu’il fut chargé de secourir Maubeuge, il y avait peu de jours que, du haut de la tribune de la Convention, Robespierre avait parlé de lui en ces termes : C’est principalement à Jourdan qu’est dû l’étonnant succès qui, à Hondschoote, a honoré l’armée française ; c’est Jourdan qui, au moment où elle était surprise par la décharge d’une artillerie effroyable, s’élança dans le camp ennemi et fit passer son courage au reste des troupes. La prise de Hondschoote fut l’effet de ses habiles dispositions et de l’ardeur qu’il sut inspirer[90].

L’armée que le nouveau général en chef devait rendre victorieuse complait, à cette époque, cent quatre mille hommes de troupes disponibles, dont neuf mille de cavalerie seulement[91]. Celle des alliés, pourvue au contraire d’une cavalerie très-nombreuse et très-bien tenue, s’élevait, depuis Mons jusqu’à la mer, à cent vingt mille combattants, savoir : soixante-dix mille Autrichiens, trente-six mille Anglais, Hanovriens et Hessois, et quatorze mille Hollandais[92]. A l’infériorité du nombre, chez les Français, se joignaient beaucoup d’autres désavantages : leurs magasins d’habillements et leurs arsenaux étaient presque vides ; les fourrages manquaient ; les bataillons de réquisition levés précipitamment, en vertu du décret du 25 août, se composaient de jeunes gens encore étrangers au métier de la guerre, et sans autres armes, pour la plupart, que des piques ou des bâtons[93].

A peine Jourdan avait-il eu le temps de prendre connaissance de la situation de ses forces, qu’il fut informé de la marche de Cobourg sur Maubeuge. Il part aussitôt avec les troupes du camp de Gaverelle, appelle près de lui quelques détachements de Lille et de Cassel, et rassemble à Guise une armée d’opération d’environ quarante mille combattants, laissant, pour la garde de la frontière depuis Dunkerque jusqu’à Douai, près de soixante mille hommes, distribués dans les camps de Cassel, de Dunkerque, de la Madeleine et d’Arleux[94].

Il eût mieux fait, sans nul doute, de se borner à renforcer les garnisons des places de première ligne, de manière à pouvoir rassembler autour de lui une partie plus considérable de ses forces. Mais, abandonner la frontière aux incursions du duc d’York, c’était s’exposer, de la part des Jacobins, à des commentaires sinistres, dont Jourdan n’osa pas courir le risque[95]. Connaissant, d’ailleurs, l’extrême circonspection du prince de Cobourg, il la fit entrer dans ses calculs.

Il est bien certain que le général autrichien, qui venait de recevoir, sur la rive gauche de la Sambre, un renfort de onze mille Hollandais, aurait pu s’emparer d’Avesnes, où il n’y avait qu’une garnison imperceptible, et, laissant vingt mille hommes seulement devant Maubeuge, conduire cinquante-cinq mille hommes à Guise, y écraser les troupes qu’on y rassemblait contre lui et pousser droit à la capitale, à travers un pays découvert. Mais une pareille combinaison exigeait un mélange de célérité et de hardiesse dont Cobourg n’était point capable. Il préféra laisser trente-cinq mille hommes autour du camp retranché de Maubeuge, sous le commandement du général Collorédo, et se porter au-devant des Français avec une armée d’observation de trente mille hommes, qu’il partagea en trois corps, et fit bivaquer sur les hauteurs, environnées de bois, qui couronnent les plaines de Saint-Remy, de Dourlers et de Wattignies[96].

Les adieux que l’armée française fit au camp de Guise furent marqués par une tragédie qui peint l’époque. Les commissaires de la Convention ayant ordonné l’arrestation du général Mérenvu, commandant de l’artillerie, l’infortuné se donna la mort. Coupable de négligence, il avait été soupçonné de trahison[97]. Ce triste incident fit que le mouvement de départ, qui devait commencer le 10 octobre, fut retardé jusqu’au 12. Le lendemain, on campait dans les environs d’Avesnes. Carnot et son frère, officier du génie, arrivèrent[98].

Rien de plus saisissant que l’aspect des troupes républicaines. La plupart étaient sans uniforme ou vêtus d’habits disparates ; beaucoup marchaient pieds nus ; quelques-uns agitaient gaiement au bout leurs baïonnettes de grands pains à moitié entamés ; tous rayonnaient d’enthousiasme[99]. Un bruit s’était répandu que, confiant dans la force de sa position, Cobourg avait dit : J’avoue que ces Français sont de fiers républicains ; mais, s’ils me débusquent d’ici, je me fais républicain moi-même. Les soldats jurèrent qu’ils lui feraient porter le bonnet rouge, et traversèrent Avesnes en chantant[100].

Dans la nuit du 14 au 15 octobre, la ville de Maubeuge commençait à subir les horreurs du bombardement, lorsque tout à coup, l’artillerie ennemie faisant relâche, les habitants entendirent au loin le bruit du canon. Le matin du 10, le bruit se répéta, et, vers le milieu du jour, une canonnade imposante sur une ligne très-étendue sembla annoncer qu’une bataille se livrait, à deux heures de marche, dans la direction du sud[101].

Ce jour-là, en effet, les Français se trouvaient en présence des Autrichiens, qui les attendaient de pied ferme, dans l’ordre que voici :

Leur aile droite, aux ordres du comte de Bellegarde, s’appuyait à la Sambre près Barlaimont, ayant ses avant-postes à Leval, Saint-Waast, Moncheaux et Saint-Rémy ;

Leur centre, sous le général Clairfayt, adossé au bois en arrière de Dourlers, défendait ce village ;

Leur aile gauche, commandée par le général Terzy, occupait Wattignies, Dimont et Dimechaux[102].

Wattignies, qui allait donner son nom à cette bataille, est un village assez considérable, situé sur une hauteur. Entouré de haies et de jardins, couvert de ravins profonds où coulaient des ruisseaux, et défendu par une infanterie nombreuse que soutenait une réserve, il paraissait presque inabordable. Et cependant, comme il était la clef de l position des alliés, il importait que l’attaque portât tout entière sur ce point. Mais, dans ce cas, il fallait laisse ouverte la route qui aboutissait à Guise, lieu de réunion des dépôts, ce qui était jouer une partie bien dangereuse. Cette considération détermina Jourdan à étendre son attaque de manière à embrasser le front de l’ennemi, et il fit les dispositions suivantes, dont nous empruntons l’exposé à son propre manuscrit :

Le général Fromentin eut ordre de se diriger, avec la division de gauche, sur Moncheaux et Saint-Rémy, de s’emparer de Leval et de Saint-Waast, et de pénétrer dans les bois par Saint-Remy, mais sans se risquer dans la plaine, attendu que le gros de la cavalerie autrichienne était de ce côté.

Il fut enjoint au général Balland de déployer sa division au centre, en face de Dourlers, en se bornant à une forte canonnade, destinée à occuper Clairfayt.

Le général Duquesnoy eut pour instructions d’attaquer, avec la division de droite, Dimont et Dimechaux, et s’il était possible, de chasser de Wattignies la gauche des Autrichiens.

L’intention du général en chef était de ne conduire la division Balland à l’attaque du centre que lorsqu’il aurait appris le succès des colonnes de gauche et de droite.

Pour compléter ces dispositions, il restait à empêcher que la division de droite ne fût débordée par un corps de quatre mille Autrichiens, qui avaient été détachés sur Beaumont, sous les ordres du général Benjouski, dans le but d’observer les bataillons de nouvelle levée rassemblés à Philippeville. En conséquence, il fut convenu que le général Beauregard, à la tête d’une quatrième colonne, se tiendrait à la droite de Duquesnoy, prêt, suivant les circonstances, ou à l’appuyer, ou à faire face à Benjouski[103].

L’action commença le 15 octobre, à neuf heures du matin.

Avec la rapidité de la foudre, et comme d’un bond, notre aile gauche emporta Moncheaux, Saint-Remy, Leval, Saint-Waast. Mais Fromentin, qui la commandait, était un officier dont l’extrême bravoure se plaisait trop à défier l’impossible. Enflé de son succès, et dédaigneux de ses instructions, il débouche par Saint-Waast dans la plaine, où toute la cavalerie autrichienne manœuvre aussitôt pour l’envelopper. On eut alors un singulier exemple de cette intelligence vive et primesautière qui, dans une armée française, rend le moindre soldat capable, quand il le faut, de se passer de chef. Mieux avisées que leur général, les troupes se mettent en retraite d’elles-mêmes, regagnent le ravin qu’elles viennent de franchir, reforment leurs rangs, et arrêtent la cavalerie ennemie[104].

Pendant ce temps, l’aile droite poussait vigoureusement sa pointe. Il y a des hommes qu’on dirait nourris avec de la moelle de lion et dont la vie ne semble qu’une gageure contre la mort : tel était le général Duquesnoy, le boucher de la Convention, comme il s’était surnommé lui-même[105]. A ses côtés, combattait une autre nature violente, le député Duquesnoy, son frère, celui qui, plus tard, condamné pour avoir défendu la République aux abois, se donna d’un couteau dans le cœur[106]. Ils emportèrent Dimont, ils emportèrent Dimechaux, et peut-être eussent-ils emporté, dès lors, Wattignies, si le général n’eût oublié d’appeler à lui Beauregard, resté mal à propos à Eccles, où rien ne nécessitait sa présence.

Lorsque Carnot apprend que Fromentin a forcé Saint-Waast, et Duquesnoy Dimechaux, il croit tenir la victoire et propose de marcher sur Dourlers. Jourdan fut d’un avis contraire : il jugeait prudent d’attendre, avant d’engager le centre, que la gauche eût gagné plus de terrain. Mais Carnot insiste et laisse échapper ces mots, qui sonnent si mal à l’oreille d’un soldat : Pas trop de prudence ! Jourdan, blessé jusqu’au fond de l’âme, se met sur-le-champ à la tête de la division Balland et court à l’ennemi. Arrivé au ravin qui est en avant de Dourlers, il essaye de le franchir, sous un feu roulant d’artillerie qui jonche le sol de cadavres. Il y eut là une lutte terrible, prodigieuse. Jamais on ne vit un pareil élan. Un tambour de grenadiers, âgé à peine de quinze ans, — il se nommait Sthrau, — se glisse inaperçu le long d’un chemin creux, et, seul, va battre la charge derrière les Autrichiens, un moment déconcertés. Remis de leur surprise, ils entourent l’héroïque enfant, qui se fit hacher sur place[107]. Un volontaire avait reçu un coup de feu au bras droit : on l’ampute, et l’on veut le transporter à Avesne, où l’on dirigeait les blessés ; lui, s’arrache du milieu des chirurgiens, crie Vive la République ! saisit un fusil de la main qui lui reste, et va reprendre sa place dans les rangs[108]. Le château et les rues du village furent enlevés à la baïonnette. Mais, au delà, un mur de feu, des torrents de mitraille. Désespéré, Jourdan se battait en simple soldat, cherchait la mort[109]. L’apparition subite d’une colonne, qui venait attaquer en flanc nos troupes, si horriblement foudroyées, décida enfin les commissaires de la Convention à consentir à la retraite, et les Français reprirent leurs premières positions, après avoir perdu près de quinze cents hommes[110]. Mortier, depuis maréchal de France, était au nombre des blessés[111]. Les ténèbres mirent fin au combat.

Le lendemain, au point du jour, ordre de recommencer, dans le même ordre que la veille ; mais, cette fois, en faisant porter sur Wattignies le principal effort[112]. Pendant la nuit, Carnot avait reçu un avis secret. Lequel ? Nos lignes de Wissembourg ayant été forcées le 13 octobre, il est probable que le Comité de salut public écrivait : Vaincre à tout prix !

Un bois, nouvellement planté, s’étend sur toute la colline méridionale de Glarges, recouvrant un vaste espace de terrain, autrefois hérissé de bruyères. Là fut remportée, le 16 octobre, la célèbre victoire de Wattignies. Une redoute, située dans le voisinage, atteste, aujourd’hui encore, le soin que les Autrichiens avaient mis à se fortifier. Les régiments de Klebeck, de Stein et de Hohenlohe, les dragons de Cobourg, et plusieurs bataillons de Croates, troupe sale et méchante, restée en exécration dans la mémoire des habitants du pays[113], défendaient la position d’où allait dépendre le sort de la journée. Le général en chef avait fait passer à Duquesnoy des renforts qui portaient l’aile droite à vingt-quatre mille combattants[114]. Le signal donné, chacun court joyeusement se ranger sous son drapeau. Peu de temps après, le soleil, perçant un épais brouillard qui avait régné jusqu’alors, découvrit et éclaira un tableau émouvant, celui de tous ces milliers d’hommes sans peur, groupés par bataillons sur les différents replis des coteaux, si accidentés, qui découpent cette contrée. D’un bout à l’autre de la ligne de nos volontaires s’élevait un cri immense : En avant ! en avant ! Bientôt, cette masse s’étant ébranlée, le chant de la Marseillaise et le Ça ira ! retentirent comme l’accompagnement obligé du canon. Jourdan et Carnot d’un côté, Duquesnoy de l’autre, s’avançaient à cheval, en tête des colonnes, leurs chapeaux à la pointe de leurs épées[115]. Trop pressés de franchir le ravin, les tirailleurs sont repoussés deux fois ; mais, l’attaque devenant générale, Terzy est assailli sur son front et sur ses deux flancs avec une irrésistible impétuosité. Les régiments de Klebeck, Hohenlohe et Stein, furent presque entièrement détruits. Au moment où l’infanterie française débouchait du village, les escadrons ennemis se présentent pour la charger ; mais ils sont mis en désordre par des batteries judicieusement placées, et la cavalerie française achève de les rompre. C’est alors que nos colonnes, se déployant au delà de Wattignies, découvrirent Maubeuge, dont la nombreuse garnison n’avait fait aucun mouvement[116].

Pendant ce temps, le général Balland, au centre, avait chassé de Dourlers les grenadiers bohémiens, et, à la gauche, le général Fromentin s’était rendu maître de Leval, de Saint-Waast et des bois entre Saint-Remy et Saint-Aubin. Sur un seul point, les Français plièrent : à l’extrême droite, quelques bataillons de recrues sans officiers, qui s’étaient portés vers Beaumont contrairement aux ordres du général en chef, se retirèrent à l’approche de Benjouski, abandonnant onze pièces de canon[117]. Mais ce revers partiel ne changeait rien aux avantages obtenus sur les autres points. La nuit était venue. Cobourg, résigné à repasser la Sambre, donna le signal de la retraite[118].

Cette victoire était d’autant plus glorieuse, qu’elle fut disputée avec un acharnement qui honora le courage des Autrichiens. Pendant les quarante-huit heures que dura la bataille, le village de Wattignies fut pris et repris jusqu’à huit fois[119]. Le feu des Français fut tel, écrit le prince de Hardenberg, que, de l’aveu des Autrichiens, jamais, même pendant la guerre qu’ils avaient faite récemment contre les Turcs, on n’avait entendu un si terrible tonnerre d’artillerie[120]. Et ce qui ne frappa pas moins l’ennemi, ce fut l’enthousiasme de nos volontaires, chantant leurs airs nationaux au milieu du carnage[121]. Les Autrichiens perdirent environ six mille hommes, les Français trois mille[122].

D’où vient que la garnison de Maubeuge ne joignit pas ses efforts à ceux de ses libérateurs, ce qui eût probablement amené l’extermination de l’armée de Cobourg ? Plusieurs écrivains accusent Ferrant de s’y être opposé, malgré l’opinion contraire énergiquement exprimée par Chancel[123]. Voici ce que nous lisons, à cet égard, dans le manuscrit du maréchal Jourdan :

Le 17, au matin, le général en chef, accompagné des commissaires de la Convention, entra dans Maubeuge, et témoigna son mécontentement au général Ferrant sur ce qu’il n’avait rien entrepris, lui faisant observer que, s’il eût porté brusquement dix mille hommes sur Ferrières, au moment où l’aile gauche de l’ennemi était culbutée, La victoire était complète. Ferrant donna pour excuse qu’au sein du conseil de guerre le général Chancel avait combattu tout projet de diversion ; suivant lui, l’armée du Nord n’étant pas en état de livrer bataille au prince de Cobourg, il était présumable que l’ennemi seul tirait le canon qu’on entendait, afin de persuader à la garnison qu’on marchait à son secours, et de l’attirer par cette ruse dans une embuscade. Il ajouta que cette opinion avait paru vraisemblable aux membres du conseil. On aurait pu lui répondre qu’en sa qualité de commandant en chef, il était libre de rejeter l’avis de Chancel. Néanmoins les commissaires rendirent ce dernier responsable de la faute commise, et le traduisirent au tribunal révolutionnaire, qui le condamna à mort ![124]

 

Un incident à rappeler se rattache au blocus de Maubeuge : là faillit se terminer la carrière politique du fameux Drouet. Enfermé dans la place, il accompagna les dragons qui s’étaient offerts pour aller, en traversant le camp ennemi, réclamer du gouvernement de la République des secours immédiats. Égaré dans les ténèbres de la nuit, Drouet tomba dans un fossé, fut sabré et pris par les Autrichiens, et envoyé au Spielberg, d’où il tenta de s’évader, en sautant d’une hauteur de deux cents pieds à l’aide d’un parachute. Mais, s’étant cassé la jambe, il fut bientôt découvert et réintégré dans sa prison d’où il ne sortit qu’en 1793 pour être échangé avec Camus, Beurnonville, Maret et Sémonville contre la fille de Louis XVI[125].

La nouvelle du déblocus de Maubeuge causa partout en France des transports de joie, que troublèrent faiblement nos revers sur le Rhin et la perte des lignes de Wissembourg. C’était juste le moment où Couthon entrait vainqueur à Lyon, et où, comme on va le voir dans le chapitre suivant, les commissaires de la Convention, à l’armée de l’Ouest, écrivaient : La Vendée n’est plus ! La guerre départementale étouffée, la guerre royaliste près de l’être, la guerre étrangère parut un jeu. Une confiance sans bornes centupla l’énergie des cœurs militaires ; nul ne mit en doute que la campagne prochaine ne nous menât planter nos drapeaux sur le territoire ennemi.

Le 16 octobre, signalé à Wattignies par la victoire, l’avait été aussi, hélas ! à Paris, par l’exécution de Marie-Antoinette. Mais, avant de raconter ce lugubre événement, nous avons à achever le tableau des grands faits de la Révolution, sous son double aspect de puissance destructive et de puissance féconde.

 

 

 



[1] Voyez le chapitre III des Mémoires de Levasseur, t. II.

[2] Voyez, dans le tome IV du Nouveau Paris, par Mercier, le chapitre intitulé : Entrepreneurs du service des armées.

[3] Mémoires sur les opérations militaires des généraux Custine et Houchard, par Gay de Vernon, chap. XII, p. 235.

[4] Mémoires sur les opérations militaires des généraux Custine et Houchard, par Gay de Vernon, chap. XII, p. 235. — Mémoires tirés des papiers d’un homme d’État, t. II, p. 350.

[5] Dans une réponse indirecte aux partisans de la marche sur Paris, réponse qu’on répandit à la Haye et à Bruxelles par la voie des journaux. Voyez les Mémoires tirés des papiers d’un homme d’État, t. II, p. 551.

[6] C’est de ce nouveau système adopté par le Comité de salut public que Barère entretint la Convention dans la séance du 12 août 1793.

[7] Mémoires sur les opérations des généraux en chef Custine et Houchard, par le baron Gay de Vernon, chap. XII, p. 232. — L’auteur auquel nous empruntons le résumé de la loi du 12 août ne parle des dispositions de cette loi qu’avec admiration, et appelle avec raison monstrueuses les bigarrures qu’elle fit disparaitre.

[8] Mémoires de Levasseur, t. II, chap. IV, p. 70.

[9] Mémoire sur les opérations militaires des généraux en chef Custine et Houchard, par le baron Gay de Vernon, chap. XII, p. 227. — Il ne faut pas oublier que ces détails viennent du fils d’un homme qui fut l’ami de Houchard et un de ses conseillers.

[10] Mémoire sur les opérations militaires des généraux en chef Custine et Houchard, par le baron Gay de Vernon, chap. XII, p. 227.

[11] Mémoire sur les opérations militaires des généraux en chef Custine et Houchard, par le baron Gay de Vernon, chap. XII, p. 229.

[12] Notice historique sur la vie de Houchard, par son fils, citée dans le livre du baron Gay de Vernon.

[13] Gay de Vernon, chap. XII, p. 230.

[14] The New annual Register for the year 1793, p. 192.

[15] Mémoires tirés des papiers d’un homme d’État, t. II, p. 550 et 566. — Histoire parlementaire, t. XXIX, p. 88.

[16] Voyez, sur l’affaire de Linselles et de Blaton, les Mémoires de Levasseur, t. II, chap. III. — Voyez aussi le Mémoire sur les opérations de Custine et de Houchard, par le baron Gay de Vernon, p. 238 et 239.

[17] Voyez, sur la mise de Dunkerque en état de siège, le New annual Register for the year 1793, p. 192 ; — les Mémoires tirés des papiers d’un homme d’État, t. II, p. 566 et 567 ; — Histoire parlementaire, t. XXIX, p. 89 et 90.

[18] Barère y fit allusion dans son discours du 25 septembre 1793.

[19] Histoire parlementaire, t. XXIX, p. 87.

[20] Histoire parlementaire, t. XXIX, p. 88.

[21] Les auteurs de l’Histoire parlementaire disent vingt mille, mais c’est évidemment une erreur. Voyez sur ce point les Mémoires de Levasseur, commissaire à l’armée du Nord, chap. IV, p. 73 et 74.

[22] Mémoires de Levasseur, t. II, chap. IV, p. 47.

[23] Tableau des guerres de la Révolution, cité dans l’Histoire parlementaire, t. XXIX, p. 91.

[24] Mémoires de Levasseur, t. II, chap. V, p. 77.

[25] Tableau des guerres de la Révolution, ubi supra.

[26] Mémoires de Levasseur, t. II, chap. V, p. 78.

[27] Mémoires de Levasseur, t. II, chap. V, p. 79.

[28] Mémoires de Levasseur, t. II, chap. V, passim.

[29] Histoire critique et militaire des guerres de la Révolution, t. IV, chap. XX, p. 71.

[30] Jomini, t. IV, chap. XV, p. 59.

[31] Jomini, t. II, chap. V, p. 81-83.

[32] Gay de Vernon, Mémoire sur les opérations militaires de Custine et de Houchard, p. 268 et 269.

[33] C’est ce que reconnaît l’auteur qui vient d’être cité. Voyez p. 268.

[34] Tableau des guerres de la Révolution, cité dans l’Histoire parlementaire, t. XXIX, p. 92. — Mémoires de Levasseur, t. II, chap. V, p. 83.

[35] Jomini, t. IV, liv. V, chap. XX, p. 60.

[36] Histoire parlementaire, t. XXIX, p, 93.

[37] Voyez ses Mémoires, t. II, chap. V, p. 85.

[38] Histoire critique et militaire des guerres de la Révolution, t. IV, liv. V, chap. XX, p. 71.

[39] It is in general well understood that if general Houchard had done his duty, he might have effectually cut off the retreat of the duke of York and probably have captured the whole of the allied army. New annual Register for the year 1793, p. 192.

[40] Mémoires tirés des papiers d’un homme d’État, t. II, p. 369.

[41] Mémoires tirés des papiers d’un homme d’État, t. II, p. 365.

[42] Histoire critique et militaire des guerres de la Révolution, t. IV, liv. V, chap. XX, p. 71.

[43] Mémoires de Levasseur, t. II, chap. VII, p. 98.

[44] Voyez sur la bravoure déployée, à cette occasion, par Chasles et Levasseur, la lettre du général Béru à la Convention. Moniteur du 17 septembre 1793.

[45] Mémoires de Levasseur, t. II, chap. VII, p. 101.

[46] Lettre du général Béru à la Convention. Moniteur du 17 septembre 1793.

[47] M. Thiers, Histoire de la Révolution, t. III, chap. IV, p. 167. — Édition Méline.

[48] Voyez les Mémoires de Levasseur, t. II, chap. VIII, p. 106. — Levasseur était là, et raconte ce qu’il a vu.

[49] Voyez les Mémoires de Levasseur, t. II, chap. VIII, p. 106.

[50] Moniteur du 27 septembre 1793.

[51] Cette lettre est datée du 26 septembre 1793.

[52] Mémoires tirés des papiers d’un homme d’État, t. II, passim.

[53] Mémoires tirés des papiers d’un homme d’État, t. II, p. 375.

[54] Mémoires tirés des papiers d’un homme d’État, t. II, p. 371.

[55] Notice historique sur Jean-René Moreaux, d’après les documents existant aux archives du dépôt de la guerre, par son petit-fils, Léon Moreaux.

[56] Le général Moreaux au général Schauenbourg, 17 septembre 1793. Archives du dépôt de la guerre, citées dans la Notice historique sur Moreaux, p. 14.

[57] Relation officielle publiée à Berlin, d’après les bulletins du duc de Brunswick. Archives du dépôt de la guerre, citées ubi supra.

[58] Notice historique sur Moreaux, p. 15.

[59] Histoire critique et militaire des guerres de la Révolution, t. IV, p. 90.

[60] Archives du dépôt de la guerre, citées ubi supra.

[61] Jomini, t. IV, liv. V, chap. XXV, p. 269-244.

[62] Jomini, t. IV, liv. V, chap. XXV, p. 249.

[63] Jomini, t. IV, liv. V, chap. XXV, p. 246, 248.

[64] Jomini, t. IV, liv. V, chap. XXV, p. 249.

[65] Histoire parlementaire, t. XXIX, p. 125.

[66] Vincent avait rédigé, contre ces derniers, une pétition qui, présentée à la Convention le 18, fut renvoyée, couverte de murmures, au Comité de sûreté générale, puis désavouée et retirée. (Voyez l’Histoire parlementaire, t. XXIX, p. 125 et 124.)

[67] Voyez le chapitre précédent.

[68] Séance des Jacobins du 11 aoùt 1793.

[69] Histoire parlementaire, t. XXIX, p. 127.

[70] Nous verrons dans le chapitre suivant jusqu’à quel point ces accusations étaient iniques.

[71] Histoire parlementaire, t. XXIX, p. 128.

[72] Histoire parlementaire, t. XXIX, p. 133.

[73] Voyez le texte de ce discours dans l’Histoire parlementaire, t. XXIX, p. 135-140.

[74] Voyez le compte rendu de cette séance dans l’Histoire parlementaire, t. XXIX, p. 140-144.

[75] Histoire parlementaire, t. XXIX, p. 144.

[76] Histoire parlementaire, t. XXIX, p. 146 et 147.

[77] Histoire parlementaire, t. XXIX, p. 146.

[78] Voyez le chapitre précédent.

[79] Voyez son discours du 3 octobre, cité dans le chapitre précédent.

[80] Voyez l’Histoire parlementaire, t. XXIX, p. 138.

[81] Voyez ce rapport, reproduit in extenso, dans l’Histoire parlementaire, t. XXIX, p. 159-172.

[82] Voyez son discours, Histoire parlementaire, t. XXIV, p. 143.

[83] Histoire parlementaire, t. XXIV, p. 158.

[84] Mémoires du maréchal Jourdan, p. 20.

Le manuscrit de ces importants Mémoires, écrits par le maréchal lui-même et entièrement inédits, est entre nos mains. La copie qui nous sert est la seule qui porte sa signature et qui ait été avouée par lui.

[85] Recherches historiques sur Maubeuge et son canton, par Z. Piérart, à Maubeuge, 1851, in-4°. — C’est un excellent ouvrage, et qui contient, sur la bataille de Wattignies, des détails très-intéressants.

[86] Recherches historiques sur Maubeuge et son canton, par Z. Piérart, p. 193.

[87] Recherches historiques sur Maubeuge et son canton, par Z. Piérart, p. 194.

[88] Voyez le livre de M. Piérart, p. 198.

[89] Voyez l’article que Michaud jeune a consacré à Jourdan dans la Biographie universelle.

[90] Voyez le discours de Robespierre, séance du 25 septembre 1793. — Histoire parlementaire, t. XXIX, p. 137 et 138.

[91] Le manuscrit du maréchal Jourdan contient à cet égard un état de situation très-détaillé.

[92] Manuscrit du maréchal Jourdan, p. 19 et 20.

[93] Manuscrit du maréchal Jourdan, p. 21.

[94] Manuscrit du maréchal Jourdan, p. 21.

[95] C’est l’explication qu’il donne lui-même.

[96] Recherches historiques sur Maubeuge et son canton, par Piérart, p. 195.

[97] Manuscrit du maréchal Jourdan, p. 23.

[98] Manuscrit du maréchal Jourdan, p. 23.

[99] Récit d’un témoin oculaire. Voyez le livre de M. Piérart, p. 92.

[100] Voyez le livre de M. Piérart, p. 201.

[101] Voyez le livre de M. Piérart, p. 199.

[102] Manuscrit du maréchal Jourdan, p. 24.

[103] Manuscrit du maréchal Jourdan, p. 24 et 25.

[104] Manuscrit du maréchal Jourdan, p. 26.

[105] Biographie universelle.

[106] Biographie universelle.

[107] Recherches historiques sur Maubeuge et son canton, p. 204.

[108] Recherches historiques sur Maubeuge et son canton, p. 204.

[109] Manuscrit du maréchal Jourdan, p. 27.

[110] Manuscrit du maréchal Jourdan, p. 27.

[111] Recherches historiques sur Maubeuge et son canton, p. 204.

[112] Mémoires tirés des papiers d’un homme d’État, t. II, p. 407.

[113] Recherches historiques sur Maubeuge, p 90.

[114] Manuscrit du maréchal Jourdan, p. 28.

[115] Piérart, Recherches historiques. — Récit d’un témoin oculaire.

[116] Manuscrit du maréchal Jourdan, p. 29.

[117] Manuscrit du maréchal Jourdan, p. 30.

[118] Manuscrit du maréchal Jourdan, p. 30 et 31.

[119] Mémoires tirés des papiers d’un homme d’État, t. II, p. 409.

[120] Mémoires tirés des papiers d’un homme d’État, t. II, p. 406.

[121] Mémoires tirés des papiers d’un homme d’État, t. II, p. 406.

[122] Dans les Mémoires tirés des papiers d’un homme d’État, dont l’auteur essaye d’atténuer tant qu’il peut l’avantage des Français, la perte du prince de Cobourg n’est évaluée qu’à trois ou quatre mille hommes, et la nôtre est supposée avoir été plus considérable. Mais les chiffres que nous donnons ont une autorité officielle et sont ceux qu’on trouve dans le-manuscrit du maréchal Jourdan.

[123] C’est ce que rapporte aussi M. Piérart, p. 199.

[124] Manuscrit du maréchal Jourdan, p. 55 et 56

[125] Histoire parlementaire, t. XXXVII, p. 148.