HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

TOME NEUVIÈME

LIVRE DIXIÈME

 

CHAPITRE SEPTIÈME — SUPRÊME EFFORT

 

 

Décrets révolutionnaires. — Pitt déclaré l’ennemi du genre humain. — Attitude de Robespierre. — Son entrevue avec Garat. — Lutte de Robespierre contre les anarchistes. — Fête du 10 août. — Fameux, décret du 25 août 1793 ; levée en masse. — Prise de Marseille. — Soumission de Bordeaux. — Toulon livré aux Anglais par les royalistes. — Bombardement de Lyon. — Couthon en Auvergne. — Coup d’œil sur la carrière de Custine ; soulèvement militaire réprimé par Levasseur. — Procès et mort de Custine. — Politique de la Convention à l’égard des généraux. — Provocations multipliées des royalistes. — Le peuple sur la place de Grève. — Séance du 5 septembre 1793. — Comment s’ouvrit l’ère de la Terreur. — Série de décrets révolutionnaires. — Second mariage de Danton. — Danton refuse d’entrer au Comité de salut public. — Adjonction de Billaud-Varenne et de Collot-d’Herbois au Comité de salut public. — Les gens révolutionnaires ; les gens d’examen ; les gens de la haute main. — Réorganisation du Comité de sûreté générale. — Mécanisme révolutionnaire. — Il est conçu de façon à imprimer une force et une unité irrésistibles à l’action de Paris. — L’énergie du gouvernement soutenue par celle de la nation.

 

Tout le Midi embrasé ; le long des frontières, les armées de l’Europe refoulant la France sur elle-même, l’enveloppant, et, au cœur, une guerre à mort : la Vendée !. c’était à en mourir d’épouvante. Mais les hommes de la Révolution avaient juré de changer la face du monde, ou de se faire un tombeau dans ses débris. L’idée qu’ils auraient à tirer les moyens de salut d’un effroyable chaos de passions déchaînées, d’intérêts frémissants, et d’ambitions, et de jalousies, et de haines, les trouva résolus. Quels mois que ceux qui s’appelleront dans l’Histoire août et septembre 1793 ! Ils virent un déploiement de volonté si terrible, qu’aujourd’hui encore, à plus d’un demi-siècle de distance, rien que d’y songer fait tressaillir.

Le 26 juillet, la Convention avait prononcé peine de mort contre les accapareurs. Le 1er août, dans une seule séance, sur le rapport de son Comité de salut public, elle décréta :

Que les biens des personnes hors la loi appartiendraient à la République ;

Que la reine serait jugée ;

Que les tombeaux des rois, à Saint-Denis et ailleurs, seraient détruits ;

Que les généraux n’emploieraient plus désormais pour mots d’ordre que les noms des anciens républicains ou des martyrs de la liberté ;

Qu’on arrêterait sur-le-champ les étrangers, non domiciliés en France, nés sur un sol ennemi ;

Que, pour empêcher la sortie de ceux qui ne justifieraient pas d’une mission publique, les barrières de Paris seraient fermées ;

Que quiconque aurait refusé deux fois les assignats en payement serait condamné à vingt ans de fers ;

Que nul ne placerait des fonds sur les banques des pays étrangers, sous peine d’être déclaré traître à la patrie ;

Qu’en Vendée, les forêts seraient battues, les récoltes coupées, les bestiaux saisis, les repaires des rebelles livrés aux flammes, et des combustibles de toute espèce envoyés par le ministre de la guerre pour mettre le feu aux bois, aux taillis, aux genêts. Et les femmes, les enfants, les vieillards ?. On devait, après les avoir conduits dans l’intérieur, pourvoir à leur sûreté comme à leur subsistance, et les traiter avec tous les égards dus à l’humanité[1].

Dans le portefeuille d’un Anglais arrêté à Lille, on avait trouvé une longue liste de dépenses corruptrices, et, associée au nom de Pitt, la révélation d’un vaste plan d’incendie[2]. La communication de ces pièces par Barère donna lieu au décret suivant : La Convention nationale dénonce à tous les peuples, et même au peuple anglais, la conduite lâche, perfide et atroce du gouvernement britannique, qui soudoie l’assassinat, le poison, l’incendie, tous les crimes, pour le triomphe de la tyrannie et l’anéantissement des droits de l’homme[3].

Arriva, quelques jours après, la nouvelle que l’arsenal de Huningue venait d’être incendié. On se rappela alors qu’en moins d’un mois, et coup sur coup, il y avait eu des incendies à Douai, à la voilerie de Lorient, au château de Bayonne ; que des explosions mystérieuses avaient eu lieu près de Chemillé et Saumur ; que, pendant le siège de Valenciennes, le feu avait pris à l’arsenal, dont le sous-directeur, Monestier, s’était donné la mort : comment expliquer cet étrange et sinistre concours d’événements de même nature ? On ouvrit de nouveau le portefeuille de l’Anglais ; et, au milieu des élans d’une indignation universelle, Garnier demanda qu’un décret solennel proclamât le droit de chacun d’assassiner Pitt. Mais Cou thon combattit cette consécration de l’assassinat, et sur sa proposition, l’Assemblée se contenta de déclarer que Pit était l’ennemi du genre humain[4].

En même temps, comme si la République, pour vaincre, n’eût eu qu’à le vouloir fortement, Carteaux était chargé de réduire Marseille avec une poignée de soldats, et Dubois-Crancé, ainsi que nous l’avons dit, recevait l’ordre de marcher sur Lyon, sans dégarnir la frontière[5]. Or, qu’avait-il à sa disposition : cinq mille hommes de troupes qui jamais n’avaient vu le feu, douze pièces de canon à peine ; et deux mille coups, au plus, à tirer[6].

N’importe : il fallait aller en avant, et malheur à qui hésiterait ! L’exemple de Custine, qui venait d’être décrété d’arrestation[7], avertissait de reste les généraux que le moment approchait où ils auraient à choisir entre la victoire et la guillotine. Ils le comprirent.

Mais, quelque puissant que fût l’effort, il ne pouvait être décisif qu’à des conditions difficiles à réaliser. Car il était de nécessité absolue que la cendre des factions abattues ne fût point ranimée ; que le pouvoir ne fût ni entravé dans sa marche ni troublé dans son unité d’action ; que les ressorts de la machine révolutionnaire ne fussent point usés ou brisés par de continuelles attaques, soit contre la Constitution, soit contre l’Assemblée nationale, soit contre les grands patriotes dont la République avait fait la réputation et en qui respirait son génie ; c’est-à-dire qu’avant de vaincre le royalisme et l’étranger il y avait à étouffer les ressentiments qui couvaient dans les débris du parti girondin, à contenir d’une main ferme le parti des anarchistes, et à imposer silence à l’envie, fille impure de l’esprit d’égalité.

Quelle tâche à entreprendre ! et, dans son accomplissement même, quel péril ! Nul doute que l’homme capable d’en venir à bout ne le fût de s’ériger en dictateur, pour peu que son patriotisme se trouvât inférieur à sa puissance.

Ici s’ouvre la page la plus éclatante de l’histoire de Robespierre.

Dans ses Mémoires, Garat raconte qu’il composa vers cette époque un écrit sur la situation, et que le Comité de salut public, auquel il avait offert de le communiquer, nomma, pour en entendre la lecture, Robespierre et Saint-Just. Au jour et à l’heure fixés, Robespierre et Garat se trouvent au rendez-vous. Saint-Just y manqua. La lecture commence. Dès le début de l’ouvrage, l’auteur annonçait à la République qu’il allait l’entretenir des divisions de la Convention, des catastrophes qu’elles avaient amenées. Quelle catastrophe ? interrompt Robespierre ; quant aux divisions, il n’y en a plus, le 31 mai les a terminées. Garat continue, parlant des partis, des causes qui leur ont donné naissance, de leur esprit : Un parti, interrompt encore Robespierre, suppose un corrélatif. Quand il y en a un, il y en a au moins deux. Où avez-vous vu parmi nous des partis ? Il n’y en a jamais eu ; il y a eu la Convention, et quelques conspirateurs. Garat, dans l’excès de son impartialité philosophique, s’était appliqué, comme une espèce de devise, un emblème qui l’avait frappé en tête de la logique de Wolf : c’était une gravure représentant, au-dessus de la terre livrée aux orages, et dans la région qu’ils n’atteignent point, un bras qui sort du milieu de l’espace sans tenir à aucun corps, et auquel est suspendue une balance dont les plateaux sont immobiles. Pourquoi, demanda Robespierre, ce bras ne tient-il à aucun corps ?Pour représenter qu’il ne tient à aucune passion. — Mais tant pis ; la justice doit tenir à la passion du bien public et tout citoyen doit rester attaché au corps de la République. Ce que Garat répondit à ces belles paroles, qu’il rapporte sans avoir l’air de les comprendre, c’est ce qu’on cherche en vain dans son récit. Suivait un passage où il louait beaucoup Robespierre d’avoir promis, dans un de ses discours, d’oublier toutes les offenses personnelles pour ne songer qu’aux griefs de la République. Robespierre écouta cette partie de la lecture, la main posée sur ses yeux, de manière à cacher les mouvements de son âme. Quand Garat eut entièrement lu son ouvrage, qui contenait un blâme sévère des scènes du 2 juin, Robespierre se leva, et d’une voix altérée : Vous faites, dit-il, le procès à la Montagne et au 31 mai. — A la Montagne ? non ; au contraire, je la justifie des inculpations les plus graves qui lui ont été faites ; et, quant au 31 mai, j’en dis ce que j’en pense. — Vous jetez une torche allumée au milieu de la République. On ne le souffrira pas[8].

Telle fut cette entrevue. Garat, qui l’a décrite, était l’homme du monde le moins propre à en saisir le côté vraiment caractéristique. A propos des journées de septembre, et tout en déclarant qu’il n’y avait eu aucune part, Robespierre s’était écrié : La postérité que vous invoquez, loin d’être épouvantée du sang répandu, prononcera qu’on a trop ménagé le sang des ennemis de la liberté[9]. Cette terrible réminiscence du dialogue d’Eucrate et de Sylla, le dédaigneux langage de Robespierre touchant les Girondins, et la conviction par lui exprimée que la guillotine, s’ils eussent été vainqueurs, eût servi à consolider leur triomphe, voilà ce qui dut naturellement émouvoir Garat, étranger qu’il était à toutes les passions fortes. Ce qui lui échappa, ce fut la profondeur d’une politique placée en dehors des divisions de parti, ardente à en écarter le souvenir, et fondée sur l’unique préoccupation de ce qui était alors le besoin suprême de la France : l’ordre et l’unité.

Qu’on suive la marche de Robespierre depuis la chute des Girondins, on verra que cette politique fut la sienne, et qu’il n’en eut point d’autre.

Le 9 juin, commentant un rapport de Barère, il prouve qu’il faut absolument s’abstenir de remettre en question la légitimité du 31 mai, afin de ne pas réveiller la guerre des partis et l’éterniser[10].

Le 12 juin, au club des Jacobins, il montre la nécessité de l’union, et déclare que son intention ne fut jamais de s’élever contre les autorités constituées[11].

Le 25 du même mois, il défend la Constitution nouvelle contre Jacques Roux et le parti des anarchistes[12].

Le 10 juillet, il combat les dénonciateurs, les exagérés et demande justice pour Danton[13].

L’avant-veille, aux attaques dont Chabot poursuivait le Comité de salut public, il avait répondu : Le Comité commis des fautes, sans doute ; est-ce à moi de les dissimuler ? Pencherai-je vers l’indulgence, moi qui croit qu’on n’a pas assez fait pour la patrie quand on n’a pas tout fait ? Oui, le Comité a commis des fautes, et je veux les lui reprocher avec vous. Mais il serait impolitique, en ce moment, d’appeler la défaveur du peuple sur un comité qui a besoin d’être investi de toute sa confiance, qui est chargé de grands intérêts, et dont la patrie attend de grands secours[14].

Et, en ceci, ce n’était point son propre domaine que Robespierre protégeait. Le Comité de salut public, renouvelé le 10 juillet, se composait, à cette époque, de Barère, Hérault de Séchelles, Jean-Bon-Saint-André, Gasparin, Thuriot, Couthon, Saint-Just, Robert Lindet, Prieur de la Marne ; et Robespierre n’y fut appelé que le 27 juillet. Qu’importait, d’ailleurs, sa présence au pouvoir ? Sa force n’était point là : elle était, et il le savait bien, dans l’immense autorité morale qui s’attachait à son nom, dans le respect que lui portaient les Jacobins et dans sa popularité sans égale. Si donc il n’eût été qu’un ambitieux vulgaire, loin de veiller avec sollicitude à ce qu’on ne décriât point les autorités constituées et les influences révolutionnaires indépendantes de lui, Robespierre eût aidé à ce mouvement désorganisateur, contre lequel on n’aurait pu bientôt chercher de refuge que dans sa dictature. Mais il n’était pas homme à jouer, sur un calcul d’ambition personnelle, les destinées de la République. Il sentit que, pour la mettre en état de tenir tête au monde entier, ce n’était pas trop de l’union de tous les efforts, du concours de tous les pouvoirs, et il poussa son dévouement à cette idée jusqu’à faire violence à sa propre nature. On l’entendit s’écrier amèrement, lui dont la roideur était si connue : Un homme est en place, il suffit, on le calomnie[15]. Et il prêcha bien haut la confiance, lui qui, sous la monarchie, avait émis cette maxime : La défiance est à la liberté ce que la jalousie est à l’amour[16].

Mais, où sa politique se déploya d’une manière éclatante, ce fut dans sa conduite à l’égard de Danton.

Ce dernier avait été d’avis que l’on confiât cinquante millions au Comité de salut public, transformé en gouvernement provisoire : cette motion, que Robespierre fit ajourner, la trouvant trop vague[17], devint une arme empoisonnée entre les mains des ennemis de Danton. Ils lui imputent d’attenter à la souveraineté du peuple, et Vincent court le dénoncer aux Jacobins. Robespierre éclata. Qu’était-ce donc ? et d’où leur venait, à ces patriotes d’un jour, cette rage de vouloir perdre dans l’esprit du peuple ses plus anciens amis ? Discréditer Danton ! mais il fallait d’abord prouver qu’on le surpassait en talent, en énergie, et que, plus que lui, on aimait la République ! Il continua sur ce ton, flétrissant les dénonciateurs par système, les apôtres de la désorganisation, et les sommant de produire leurs titres. Ce Jacques Roux, par exemple, quels actes l’avaient fait connaître ? Deux actes horribles ! Il avait conseillé l’égorgement des boutiquiers, parce qu’ils vendaient trop cher, et provoqué le rejet de la Constitution, parce qu’elle n’était point sans défaut. Et Leclerc, ce jeune homme aux apparences si séduisantes ? On n’avait qu’à interroger sur son compte les patriotes de Lyon, où il jouait le patriote pendant qu’on y guillotinait l’infortuné Chalier ! Ils se paraient néanmoins du nom de Marat, ces deux hommes que Marat avait regardés comme des émissaires chargés par l’étranger d’empoisonner les sources de la crédulité publique ! Car, qu’importe de louer un mort, pourvu qu’on puisse calomnier les vivants[18] ?

Cette véhémente sortie, Robespierre la renouvela, une semaine après, du haut de la tribune de la Convention, à l’appui d’une réclamation dont il est probable que lui-même avait suggéré l’idée, et qui fut présentée par la veuve de Marat. Il y était dit :

Citoyens, vous voyez devant vous la veuve de Marat. Je ne viens point vous demander les faveurs que la cupidité convoite ou que réclame l’indigence. je viens vous demander justice des attentats commis contre la mémoire du plus intrépide et du plus outragé des défenseurs du peuple. Des écrivains scélérats usurpent son nom et défigurent ses principes, pour éterniser l’empire des calomnies dont il fut victime. Les lâches ! ils flattent la douleur du peuple par son éloge ; ils tracent quelques peintures vraies des maux de la patrie ; ils dénoncent quelques traîtres voués au mépris. mais c’est pour diffamer ensuite les plus zélés défenseurs que le peuple ait conservés ; c’est pour prêcher, au nom de Marat, les maximes extravagantes que ses ennemis lui ont prêtées et que toute Sa conduite désavoue[19].

 

C’était plus qu’une reproduction des idées de Robespierre, c’était son style. Et la manœuvre signalée n’avait rien d’imaginaire. Jacques Roux et Leclerc : le premier, ancien prêtre, le second, fils de noble, avaient effectivement fondé un journal, qu’ils intitulèrent Ombre de Marat, et où ils se posaient comme ses continuateurs, quoiqu’ils y prêchassent des doctrines contraires aux siennes. On se rappelle que Marat poussait la passion de l’unité et de la force dans le pouvoir révolutionnaire jusqu’à vouloir un dictateur, pourvu qu’on lui mît un boulet au pied. Telle était son image favorite, et il l’avait tant de fois présentée à ses lecteurs, il avait tant insisté sur la nécessité d’un chef, qu’il s’était attiré le reproche de préparer les voies au retour de la monarchie[20]. Quelle audace ne fallait-il pas à Leclerc et à Jacques Roux pour prétendre qu’ils continuaient Marat, quand leur principal objet était de persuader au peuple qu’on devait proscrire toute espèce de gouvernement ![21] Il est vrai qu’afin de masquer leur jeu, ils affectaient de rendre à la mémoire de l’homme dont ils faisaient parler l’ombre un culte aussi puéril que frénétique. On en peut juger par ce fait, que, le club où ils dominaient ayant obtenu que le cœur de Marat fût suspendu à la voûte, nul ne parut trouver trop fortes les paroles d’un des membres s’écriant, les yeux élevés vers l’urne : Restes précieux d’un dieu ![22]

Cette basse idolâtrie, employée à populariser l’apostolat des anarchistes, dans un moment où la concentration de son énergie était absolument nécessaire à la République, renfermait un danger mortel, et, s’il fut écarté, la France dut cet inappréciable service à la fermeté de Robespierre.

Au milieu de tant de secousses, et à la veille de frapper des coups dont le retentissement dure encore, la France républicaine eut une de ces journées qui, arrachant l’homme aux amertumes du présent, lui donnent à savourer d’avance l’innocente et calme ivresse des heures à venir.

La Constitution de 1793 avait été acceptée par le peuple français à une majorité immense ; les envoyés des assemblées primaires étaient venus, de tous les points du pays, apporter à la capitale la sanction des départements, et, selon le mot de l’un d’eux : Paris n’était plus dans la République, mais la République entière était dans Paris[23]. Restait à consacrer cette union ; restait à transformer toutes les acceptations particulières du nouveau contrat social en une acceptation générale ; et, pour l’accomplissement de cette auguste cérémonie, le 10 août avait été choisi.

Ah ! elle dut être la source d’émotions sacrées, cette fête du 10 août 1795, telle que le génie de David l’ordonna, et telle que la rapporte un procès-verbal où, à chaque ligne, palpite l’âme de ces temps héroïques. On n’y vit nulle parade vaine, pas de broderies se détachant çà et là sur un ensemble de haillons, pas d’escadrons lancés au travers d’un troupeau d’hommes, pas de panaches flottant sur les casques, pas de baïonnettes prêtes à s’abaisser, pas de sabres nus, rien de ce qui charme l’imbécillité d’un peuple enfant et de sa dégradation même lui compose un spectacle.

La fête s’ouvrit, aux premiers rayons du jour, sur les ruines de la Bastille, par un hymne à la Nature, et se termina au Champ de Mars, dans les splendeurs du soleil couchant, autour de l’autel de la Patrie, par un serment sublime.

Tout y fut symbole de paix, de fraternité et d’amour. Promenés sur un plateau roulant, les élèves de l’Institution des aveugles y rappelèrent le malheur honoré et consolé. La République y convia les enfants trouvés, ses enfants. Les insignes du travail s’y montrèrent avec fierté. L’histoire de Biton et de Cléobis, racontée par Hérodote d’une manière si touchante, s’y reproduisit dans le tableau de jeunes garçons attelés à la charrue qui portait leurs vieux parents ; et, en souvenir de l’importance qu’attachaient à l’agriculture les législateurs des anciennes républiques, chaque représentant du peuple fut aperçu tenant à la main un bouquet d’épis de blé et de fruits.

Nul étalage de vanité dans les costumes, nulle distinction de rangs dans l’ordre de la marche. Perdus au sein de la foule, les dignitaires de la Commune, les juges, marchaient les égaux du tisserand ou du forgeron ; et l’écharpe des premiers, les plumets noirs des seconds, ne servaient qu’à rendre plus frappant cet hommage à l’égalité.

Pour la conquérir, que de combats livrés déjà, et à livrer encore ! Mais on avait eu soin d’écarter toute image sombre. Le fer des piques ne brillait, aux mains des fédérés de départements, que masqué sous des branches d’olivier. Si la bannière des Jacobins représentait un œil ouvert sur des nuages, cet œil perçant ne les pénétrait que pour les dissiper. Il n’était pas jusqu’à la place où coula le sang d’un roi qu’on n’eût fait disparaître sous une colossale statue de la Liberté, dans les plis de laquelle il arriva que deux colombes échappées trouvèrent asile.

Montaigne a dit : Votre mort est une pièce de la vie du monde. A combien plus forte raison est-elle une pièce de la vie du monde, la mort qui ajoute au domaine de la vérité et de la justice ! Pourquoi pleurer les martyrs d’une bonne cause ? C’est les plaindre d’avoir beaucoup vécu. Dans la fête du 10 août 1793, la République ne commit pas cette erreur. De l’urne qui contenait la cendre de ses martyrs, elle écarta les cyprès. Aux héros pour jamais endormis, elle avait réservé les joies du triomphe. Elle les invoqua, le front couronné de fleurs et au bruit des fanfares ; noble manière d’inviter à la régénération d’un grand peuple les mânes de ceux qui étaient entrés dans l’immortalité par la mort !

Après diverses stations, dont chacune donna lieu à quelque cérémonie caractéristique, le cortège, qui se composait de près d’un million d’hommes, arriva au Champ de Mars, où devait être publié le recensement des votes des assemblées primaires. Là, du point le plus élevé de l’autel de la Patrie, Hérault de Séchelles, président de la Convention, prononça ces paroles : Français, vos mandataires ont interrogé dans quatre-vingt-sept départements votre raison et votre conscience, et quatre-vingt-sept départements ont accepté l’acte constitutionnel. Jamais vœu plus unanime n’a organisé une république plus grande et plus populaire. Il y a un an, notre territoire était occupé par l’ennemi : nous proclamâmes la République, et nous fûmes vainqueurs. Maintenant, tandis que nous constituons la France, l’Europe l’attaque de toutes parts ; jurons de défendre la Constitution jusqu’à la mort. La République est éternelle !

A ces mots, un cri formidable, poussé par huit cent mille voix, monta vers le ciel ; le canon tonna ; en signe de l’indivisibilité de la République, un ruban aux couleurs de la nation réunit en un seul faisceau les piques que les quatre-vingt-sept commissaires des départements avaient portées durant la marche, et la Constitution de 1793 fut proclamée comme le premier pacte social qui eût, depuis l’origine du monde, fondé la liberté sur l’égalité, et fait un dogme politique de la fraternité humaine[24].

Le lendemain, la Révolution reprenait sa course ardente. Un moment, toutefois, la Convention parut défaillir ; soit désir secret de fuir une responsabilité trop lourde, soit surprise, un moment elle prêta l’oreille à Lacroix, qui l’invitait à déclarer sa mission finie et à laisser à d’autres le soin d’achever son œuvre. Mais au club des Jacobins cette dangereuse et pusillanime idée fut si puissamment combattue par Robespierre[25], qu’elle n’eut pas de suites. Faire un pas en arrière ! un seul pas ! Non. L’abîme était là béant. Eh bien, il y avait un moyen de n’y pas tomber, c’était de le franchir.

Le 12 août, sur la motion de Danton, les huit mille envoyés des assemblées primaires sont investis des pouvoirs nécessaires pour faire lever la France en armes.

Le 14, Carnot, le futur organisateur de la victoire, entre au Comité de salut public.

Le 15, Garat, l’homme des demi-mesures, sort du ministère.

Le 16, d’une assemblée extraordinaire, tenue aux Jacobins, part l’initiative de la levée en masse ; dans une adresse à la Convention, il est dit : La nation entière est plus facile à ébranler qu’une partie de la nation. — Si vous demandez cent mille hommes, vous ne les aurez pas : demandez des millions de républicains. — Le peuple ne veut plus d’une guerre de tactique. — Décrétez que le tocsin sonnera dans toute la République, à une heure fixe. — Que l’universelle affaire des Français soit de sauver la France[26]...

Et, quelques jours après, sur le rapport de son Comité de salut public, la Convention décrète :

Dès ce moment, jusqu’à celui où les ennemis auront été chassés du territoire, tous les Français sont en réquisition permanente pour le service des armées.

Les jeunes gens iront au combat ; les hommes mariés forgeront des armes et transporteront des subsistances ; les femmes feront des tentes, des habits, et serviront dans les hôpitaux ; les enfants mettront les vieux linges en charpie ; les vieillards se feront porter sur les places publiques pour exciter le courage des guerriers, prêcher la haine des rois et l’unité de la République.

Les maisons nationales seront converties en casernes, les places publiques en ateliers d’armes ; le sol des caves sera lessivé pour fournir le salpêtre.

Les armes de calibre seront exclusivement confiées à ceux qui marcheront à l’ennemi ; le service de l’intérieur se fera avec les fusils de chasse et l’arme blanche.

Les chevaux de selle seront requis pour compléter les corps de cavalerie ; les chevaux de trait, autres que ceux employés à l’agriculture, conduiront l’artillerie et les vivres.

Nul ne pourra se faire remplacer. Les fonctionnaires publics resteront à leur poste.

La levée sera générale ; les citoyens non mariés ou veufs sans enfants, de dix-huit à vingt-cinq ans, marcheront les premiers. Ils se rendront sans délai au chef-lieu de leur district, où ils s’exerceront tous les jours au maniement des armes, en attendant l’ordre du départ... Le bataillon, organisé dans chaque district, sera réuni sous une bannière portant cette inscription : Le peuple français debout contre les tyrans ![27]...

 

La précision des mesures administratives répondit à la grandeur de l’élan. Tout fut prévu, tout fut réglé ; et, pour la prompte exécution du décret, il fut mis à la disposition du ministre de la guerre une somme de cinquante millions, à prendre sur près de cinq cent millions que contenait la caisse à trois clefs[28].

C’était le 25 août que furent adoptées ces mesures de salut public ; et, le 25 août, Carteaux entrait à Marseille. Là, comme à Lyon, le soulèvement des Girondins n’avait profité qu’au royalisme. Rebecqui, un des plus ardents à remuer la ville, sentit bientôt qu’il n’avait fait que livrer aux ennemis de la République le pouvoir de l’égorger, à l’ombre de son propre étendard. Un jour, un corps fut aperçu flottant dans le port de Marseille : c’était le cadavre de Rebecqui. Le malheureux s’était noyé de désespoir[29]. Heureusement, l’approche de Carteaux ranima les patriotes opprimés. Dès le 25, cinq sections sur trente-deux se déclarent pour la Convention, et donnant rendez-vous sur la place des Prêcheurs à tous les vrais républicains, demandent à grands cris que la Constitution soit proclamée, l’armée de la Convention admise, l’administration contre-révolutionnaire punie, et son tribunal de sang supprimé. Les corps administratifs répondirent en braquant des canons dans les rues ; et, le 24, à quatre heures du soir, les sections fidèles avaient à soutenir un feu meurtrier. Mais, pendant ce temps, le général Doppet, arrivé avec l’avant-garde de Carteaux aux gorges de Septèmes, les emportait après un engagement assez vif. Vainement les meneurs contre-révolutionnaires imaginèrent-ils de faire publier à son de trompe que les troupes conventionnelles avaient été battues à Septèmes ; ce mensonge ne pouvait avoir et n’eut d’autre résultat que de donner aux plus compromis le temps de s’enfuir à Toulon ; et, le 25 août, Carteaux, accompagné des représentants du peuple Albitte, Salicetti, Escudier, Nioche et Gasparin, fit son entrée solennelle dans la ville, au milieu d’acclamations passionnées. Parmi les nombreux patriotes qui remplissaient les prisons, il y avait deux membres de la Convention, Bo et Antiboul ; ils purent dire à leurs collègues, à leurs libérateurs, sous quelle pression contre-révolutionnaire avait vécu la puissante cité d’où les vainqueurs du 10 août étaient partis, et dont le nom brillait .associé à jamais au chant sublime que le génie de la Révolution inspira[30].

A son tour, et vers la même époque, Bordeaux fit sa soumission. A Barbaroux, à Guadet, à Louvet, à Meillan, la Gironde était apparue de loin comme une terre promise. Ils ne doutaient pas qu’une fois là, il ne leur fût donné de faire sortir du sol, rien qu’en le frappant du pied, une armée de défenseurs et de vengeurs. Seul, parmi les illustres fugitifs, Buzot avait fermé son cœur à ce doux espoir[31], et il se trouva que lui seul eut raison. Les administrateurs de la Gironde avaient bien pu entraîner le peuple dans leur révolte, à force de répéter que la Convention était asservie à une poignée de monstres ; que l’ambition du duc d’Orléans avait à sa solde les Montagnards, et que le Maratisme, qui suait le crime, couvait précisément la royauté... Mais, pour soutenir longtemps un pareil échafaudage de calomnies, il eût fallu des prodiges d’adresse. D’ailleurs, Bordeaux ne tarda pas à manquer de subsistances, les commissaires répandus dans les départements voisins ayant soin d’arrêter les grains au passage[32]. Les administrateurs eurent donc contre eux, à la fois, et la détresse du peuple, et le mécontentement né de sa crédulité abusée. Beaucoup d’honnêtes républicains, un instant égarés, finirent par comprendre qu’il y avait folie à ne voir qu’un ramas d’imbéciles subjugués par quelques hypocrites aux gages d’un usurpateur, dans cette étonnante assemblée qui préparait à la démocratie son lendemain, résumait Paris et ébranlait toute la terre. Aussi, de quelle douleur poignante ils se sentirent l’âme serrée, ceux des Girondins proscrits qui, en ces heures de revirement subit, furent amenés sur les rivages de la Gironde par leurs illusions et une destinée moqueuse ! Nos amis, raconte Meillan, nous conseillèrent de ne pas nous montrer. Ils nous donnèrent des secours, nous distribuèrent en diverses maisons ; après quoi il fut résolu que chacun de nous prendrait des mesures individuelles pour son salut. Je résolus de passer en Amérique[33]...

C’était un rude coup pour les ennemis de la France que la prise de Marseille et la soumission de Bordeaux ; mais les royalistes gardaient un dédommagement à la coalition, et quel dédommagement, grand Dieu !

La ville de Toulon s’était tout d’abord donnée à la Révolution avec cette véhémence qui caractérise l’âme brûlante des enfants du Midi. Mais l’opulence de cette importante cité, sa situation, son beau port, ses magasins, ses arsenaux, le matériel immense rassemblé dans son enceinte, n’étaient que trop de nature à fixer les regards de Pitt. Toulon s’était donc rempli peu à peu d’agents secrets par qui fut préparée, entre le royalisme et l’Angleterre, une alliance au fond de laquelle était une trahison[34]. Bientôt, la cupidité se mettant du complot, beaucoup de bourgeois égoïstes et de marchands avides, dont la Révolution gênait les calculs ou troublait la quiétude, se rapprochèrent de leurs ennemis de la veille, les nobles et les prêtres. Une ligue se forma, obscure, monstrueuse, mal définie, mais puissante néanmoins, et dans laquelle entrèrent, après le 31 mai, presque sans le savoir, les aveugles partisans de la Gironde. Le pain manquait, l’assignat perdait : on pressa sur cette double corde de manière à exaspérer l’ouvrier et le matelot[35].

Pour comble de malheur, la Révolution, ne pouvant improviser des marins aussi facilement que des soldats, avait dû laisser à la tête de nos escadres une foule d’officiers attachés à l’ancien régime ; de sorte qu’à Toulon, par exemple, les hommes qui commandaient la flotte républicaine étaient les contre-amiraux royalistes Trogoff et de Grasse, et le capitaine de vaisseau baron d’Imbert, l’un des agents des princes dans le Midi[36]. Ajoutez à cela une complicité décisive, celle de Puissand, ordonnateur civil de la marine[37].

Un pareil ensemble d’éléments rendait la contre-révolution inévitable à Toulon. Aussi, la municipalité patriotique cassée ; la société populaire fermée ; la tête de tout démocrate influent abattue[38] ; les honneurs du triomphe décernés aux ossements de quelques royalistes qu’on déterra ; le jour d’ouverture des sections célébré comme l’avènement d’un pouvoir nouveau ; les commissaires de la Convention, Beauvais et Pierre Bayle, raillés, conspués, traînés à la grand’messe un cierge à la main[39] : tels furent les préludes d’une révolte qu’allait couronner un exécrable attentat. A cette époque, on lisait dans un papier réactionnaire publié à Marseille : Les Toulonnais sont mille fois plus chauds contre les anarchistes et les brigands qu’on ne l’est à Marseille. On trouve la guillotine trop douce. Les sections sont permanentes. Il y a une proclamation portant que quiconque troublera l’acte souverain du peuple réuni en sections, sera puni dans les vingt-quatre heures, militairement. On a imprimé partout et affiché le manifeste de Wimpfen[40], etc., etc.

Du reste, ici comme à Lyon, la violence était doublée d’hypocrisie ; car tout cela se faisait au nom de la République, et ce que les royalistes affectaient d’abhorrer dans la Convention, c’était un indigne Sénat à la solde de Pitt et Cobourg[41]. Les vrais salariés de Pitt et Cobourg ne se déclarèrent que trop tôt. Barras et Fréron, envoyés dans le Var par le Comité de salut public, y avaient déployé une vigueur inutile et attiré sur eux des périls auxquels la fuite même avait pu à peine les soustraire. La prise de Marseille précipita le dénouement.

Sous prétexte d’un échange de prisonniers, une négociation est ouverte avec l’amiral Hood, qui commandait la flotte anglaise de blocus. Un comité général s’était saisi des affaires. L’amiral anglais lui envoie une déclaration conçue en ces termes : Si l’on se prononce en faveur du gouvernement monarchique, si l’on se décide à mettre le port à ma disposition, le peuple aura tous les secours que l’escadre anglaise pourra lui fournir. Je déclare qu’il ne sera touché ni aux propriétés ni aux personnes ; nous ne voulons que rétablir la paix. Lorsqu’elle aura lieu, nous remettrons le port et la flotte à la France, d’après l’inventaire qui en sera fait[42]. Dans une proclamation adressée à tous les habitants du Midi, l’amiral disait : ... Vous êtes livrés à une révolution qui vous a fait plier sous le joug de quelques factieux... Ils ont renversé les lois, préconisé le crime, et cherché à propager dans toute l’Europe leur système antisocial. Votre commerce est anéanti, la famine vous menace. Une position aussi affreuse a dû affliger les puissances coalisées ; elles n’y ont vu de remède que dans le rétablissement de la monarchie. Je viens vous offrir les forces qui me sont confiées pour écraser les factieux et rétablir la royauté. Prononcez-vous[43]. Chose infâme ! cet appel à la trahison fut écouté, et l’amiral anglais put consigner cet excès de honte dans une seconde déclaration portant : Attendu que les sections de Toulon... ont proclamé Louis XVII, fils de Louis XVI, leur légitime roi. je prends possession de Toulon, et le garde uniquement comme un dépôt pour Louis XVII. Donné à bord du vaisseau de Sa Majesté Britannique le Victory, à la hauteur de Toulon, le 28 août[44].

A cette nouvelle, dans la partie de la flotte française aux ordres du contre-amiral Saint-Julien, une indignation profonde s’empare de toutes les âmes où restait une étincelle d’honneur. Trogoff, un étranger que la France avait comblé de bienfaits et qui payait ainsi sa dette de reconnaissance, Trogoff se tenait prêt à recevoir les Anglais. Le souffrirait-on ? des matelots français permettraient-ils que l’ennemi vînt tranquillement désarmer dans le port une escadre française forte de dix-huit vaisseaux ? Les marins fidèles se rangent autour de Saint-Julien, le proclament leur chef, et lui se hâte de hisser à son bord le pavillon de commandement, pour s’opposer à l’entrée de la flotte anglaise, qu’accompagnaient deux escadres, l’une espagnole, l’autre napolitaine. Mais déjà les traîtres, maîtres du fort Lamalgue, faisaient chauffer les boulets qui devaient incendier les vaisseaux de Saint-Julien ; plusieurs de ses capitaines l’abandonnent ; il est obligé de fuir suivi d’un petit nombre de matelots ; et les Anglais, pénétrant dans la rade, prennent possession de la ville, où flotte désormais le drapeau blanc[45]. Ce grand crime était consommé.

Est-il besoin de dire que les conditions stipulées par l’amiral Hood ne présentaient aucune garantie ? Quelle apparence que les Anglais, une fois saisis d’une aussi riche proie, consentissent jamais à l’abandonner, par dévouement chevaleresque à la légitimité de Louis XVII ! A peine, écrit le prince de Hardenberg, la Cour de Londres apprit-elle l’heureux événement qui lui livrait, sans coup férir, avec la plus forte place de la France, une grande partie de sa marine, que les ministres éprouvèrent le regret de n’avoir pas songé à donner à Hood des instructions préalables[46]. Toutefois, craignant de désavouer d’une manière prématurée une politique de circonstance, qui ne répondait pas tout à fait à leurs vues ultérieures, ils nommèrent, à Toulon, une commission royale, composée de l’amiral lui-même, de sir Gilbert Elliot et du major-général O’Hara[47].

Quant à la Convention et au Comité de salut public, loin de se laisser abattre, ils ne songèrent qu’à redoubler d’énergie.

Le siège de Lyon, dont on trouvera plus loin l’histoire, durait depuis le 8 août ; Kellermann, chargé de réduire cette ville, n’avait obéi qu’avec une secrète répugnance, et, quoique placé sous l’œil sévère des représentants du peuple Dubois-Crancé et Gauthier, il s’était étudié à retarder autant que possible les progrès d’une expédition qui répugnait à ses principes[48]. Le Comité de salut public lui-même s’était abstenu de presser l’attaque, dans l’espoir que les Lyonnais se soumettraient volontairement, auquel cas il voulait qu’on les épargnât, citant en leur faveur la maxime romaine : Parcere subjectis et debellare superbos[49]. Mais c’est un des caractères de la Révolution française d’avoir, à chaque revers nouveau, tendu plus fortement les ressorts de son indomptable politique. La remise de Toulon aux Anglais eut pour résultat de hâter, comme nous le verrons plus loin, la prise de. Lyon rebelle. On envoie en toute hâte des commissaires agiter l’Ardèche, le Cantal ; et, dans le Puy-de-Dôme, Couthon, le paralytique Couthon, s’apprête à prendre les rochers de l’Auvergne pour aller les précipiter dans le faubourg de Vaize[50].

Rien de plus frappant que le compte rendu de cette mission par Maignet, qui accompagnait Couthon. Lorsqu’ils entrèrent à Clermont-Ferrand, tout y semblait marqué au coin de l’indifférence. Si l’esprit révolutionnaire était là, il sommeillait. Ils parlèrent des Lyonnais, et la réponse fut : Nous ne nous battrons pas contre nos frères de Lyon. Eux ne se découragèrent pas. Le lendemain était jour de marché. Ils font annoncer aux habitants des campagnes qu’ils veulent se mettre en communication avec eux, le dimanche, dans la cathédrale. On s’y rassemble, ils s’y transportent, et leur parole électrise le peuple. L’imminence du danger, proclamée avec émotion, éveille un sentiment d’enthousiasme sombre, qui va se répandant de proche en proche. L’ébranlement fut prodigieux. On était aux premiers jours de septembre, et déjà, dans le seul département du Puy-de-Dôme, près de trente mille hommes s’étaient levés. On les voyait accourir de leurs hameaux, descendre de leurs montagnes, demandant l’ennemi et apportant des vivres pour quatre jours. Des femmes armées de piques montaient la garde. Châteauneuf-Randon, un des commissaires, se chargea de l’organisation militaire de cette masse ; Couthon et Maignet pourvurent aux approvisionnements ; puis les rudes phalanges marchèrent sur Montbrison, qu’occupait un détachement de Lyonnais. Elles ne devaient pas s’y arrêter, et nous les retrouverons, frémissantes, à l’entrée de ce faubourg de Vaize, où Couthon s’était promis de précipiter les rochers de l’Auvergne[51].

Par une coïncidence fortuite, le jour même où la trahison de Toulon s’accomplissait, un général célèbre était frappé, à Paris, comme traître.

Nous avons parlé de l’arrestation de Custine : son jugement et sa condamnation ayant été, de la part de presque tous les historiens nos prédécesseurs, l’objet d’une censure passionnée, il importe, pour faire bien apprécier cet épisode de la Révolution, de récapituler d’abord en quelques mots les actes de Custine, soit comme soldat, soit comme citoyen[52].

Dans la campagne de 1792, sur le Rhin, Custine, chargé d’une division de l’armée, voit venir à lui, le front rayonnant d’enthousiasme et le cœur plein d’amour pour la France, tous les révolutionnaires allemands ; ils le demandent, ils l’appellent à grands cris, ils l’entraînent, et successivement lui donnent Spire, Worms, Mayence[53]. Dans ce moment décisif, les Prussiens, qui, affaiblis par une campagne désastreuse, se traînaient avec lenteur, eux, leurs bagages et leurs malades, à travers un pays montueux et par des chemins abîmés, les Prussiens étaient à trente lieues de Coblentz, et l’on s’attendait si bien, dans cette ville, à l’apparition des Français, qu’au premier bruit de la prise de Mayence, l’électeur, son ministre, son gouvernement, ses employés, tout s’était enfui. Si donc Custine, d’un pas rapide, eût marché sur Coblentz, il s’en emparait sans coup férir, forçait les Prussiens, qu’il aurait pressés d’une part tandis que Kellermann les pressait de l’autre, de se rejeter en Westphalie par Wesel, facilitait la conquête de la Belgique, rendait possible celle de la Hollande, et offrait au monde l’imposant spectacle de la République maîtrisant, à peine à son berceau, tout le cours du Rhin, depuis la Suisse, par l’armée de Biron, jusqu’à Worms ; par les armées de Custine et de Kellermann, jusqu’à Bonn ; par l’armée de Dumouriez, jusqu’à Dusseldorf[54]. Mais, non, c’est en vain que les amis de Custine, son état-major et ses généraux le conjurent[55] de porter à la ligue des rois ce coup mortel ; c’est en vain que le ministre de la guerre le lui ordonne[56]. Custine préfère courir à Francfort, où semble l’attirer l’espoir d’une proie opulente ; car il n’a pas plutôt été admis dans cette ville républicaine et neutre, qu’il lui arrache une somme de quinze cent mille florins : admirable moyen de reconnaître et d’entretenir la brûlante sympathie qui poussait l’Allemagne dans nos bras ! Toutefois, à ce point de sa carrière, ce n’est point par défaut de zèle révolutionnaire que Custine pèche, loin de là : il répand des proclamations enflammées ; il apostrophe le landgrave de Hesse en ces termes : Monstre ! tes soldats, dont tu as fait un usage abusif te livreront à la juste vengeance des Français, tu ne leur échapperas pas ![57] Il fonde un laboratoire de propagande, dont la direction est confiée à l’adjudant Stamm[58] ; il renverse, à Mayence, et l’institution de la régence et le vicariat électoral[59] ; il menace, il gronde, il agite autour de lui toute chose. Pendant ce temps, les Prussiens sont parvenus à Coblentz, se sont répandus sur la rive droite du Rhin, ont franchi la Lahn et se préparent à reprendre Francfort, au nombre de cinquante mille hommes, commandés par le roi de Prusse et le duc de Brunswick, ce duc de Brunswick auquel le fils de Custine était allé offrir secrètement, à une autre époque, la couronne de Louis XVI[60]. Si le général français se jugeait en état d’accepter la bataille, il devait aller au-devant de l’ennemi, ou du moins établir sa ligne de façon à se lier à Francfort, sinon se replier sous le canon de Mayence : au lieu de cela, il se retranche derrière la Nidda, prêtant ainsi le flanc aux Prussiens, et faisant face à la ville, au lieu de la couvrir. D’où cet arrêt sévère de Jomini : Il prit toutes ses mesures comme s’il avait voulu sacrifier la garnison[61]. Etait-ce son dessein ? Ce qui est sûr, c’est que sa conduite, en cette occasion, fut pleine de mystère ; c’est que son fils, rompu de longue main aux démarches clandestines, eut avec le duc de Brunswick, à Kœnigstein, une conférence secrète ; c’est que, ce jour-là même, le jeune diplomate se rendit à Francfort pour conseiller, en son propre nom, au commandant de la place, van Helden, de se retirer pendant la nuit ; c’est que ce conseil jeta le malheureux van Helden dans une perplexité horrible, parce qu’en écoutant le fils, il se rappelait cette injonction du père : Menacez du feu la ville de Francfort, désarmez les habitants et réalisez si elle bouge ; c’est, enfin, que la ville fut prise, n’ayant qu’une garnison de deux mille hommes, aventurée au milieu de quatre-vingt mille habitants, et si bien abandonnée par Custine, qu’il avait été jusqu’à retirer toute l’artillerie de la place, sauf deux pièces de bataillon[62]. Après l’abandon de Francfort, celui de Mayence ; Custine laisse dix mille hommes de garnison dans cette dernière ville et repasse le Rhin. Bientôt le roi de Prusse, se disposant à le rejeter en Alsace, il se replie sur Landau, ne s’y croit pas en sûreté, quoique à la tête de trente-cinq mille combattants, se retire derrière la Lauter, et parle même de se réfugier sous le canon de Strasbourg : précipitation d’autant plus extraordinaire, qu’il n’était poursuivi que par le corps du prince de Hohenlohe, et le savait[63]. Quel soudain changement dans un général connu pour sa présomption et sa témérité ! Il n’a pas devant lui plus de trente mille hommes, et il écrit : J’ai cent quatre mille Allemands sur les bras[64]. On ne lui en donne pas moins le commandement de l’armée de la Moselle, grâce au patronage des Girondins, qui, en avril 1795, dominaient encore la Convention. Et que fait-il de cette armée ? Il perd tout le mois d’avril à inspecter sa ligne dans le Porentruy, où il n’y a ni opération à diriger, ni ennemi à combattre, tandis que Mayence, qu’il pourrait sauver, reste livrée aux coups des Prussiens[65]. Il se décide, enfin, à faire un simulacre d’attaque en sa faveur[66], mais sans projet sérieux de la délivrer, et parce que, appelé au commandement de l’armée du Nord, il veut laisser à ses anciens camarades un bon souvenir[67]. Il attaque donc l’ennemi le 17 mai ; il est battu et part pour la frontière du Nord, où, trouvant l’armée dans un état qui ne lui permettait de secourir ni Condé, ni Valenciennes, il dut consacrer ses soins à la réorganiser sans rien entreprendre[68].

Qu’un entassement de fautes ne fournisse pas matière à accuser un général de trahison, même lorsque ces fautes sont qualifiées d’incompréhensibles[69] par les hommes du métier, et qu’elles correspondent à des négociations clandestines avec l’ennemi, il est permis à la rigueur de le soutenir ; mais, quand on songe qu’après avoir exagéré le langage de la Révolution, Custine en était venu à la décrier ; quand on songe que, mis par la Convention à la tête d’une armée, il en était venu à ne se servir de sa position militaire que pour inspirer le mépris de la Convention à ses troupes[70], est-il donc si difficile de comprendre ces mots de Danton dans la séance du 22 juillet : La nation a des doutes sur Custine ; il faut qu’il soit jugé ?A la vue des pièces qui déterminèrent mon vote il y a trente-six ans, écrit l’honnête et consciencieux Levasseur, ma conviction reste la même[71].

Quoi qu’il en soit, l’arrestation de Custine avait excité des mouvements séditieux parmi ses troupes, dont il s’était fait aimer, et qu’irritait la subordination du pouvoir militaire au pouvoir civil. Carnot mande sur-le-champ le Montagnard Levasseur et lui dit : L’armée du Nord est en pleine révolte ; il nous faut une main ferme pour étouffer la rébellion, c’est toi que nous avons choisi. Levasseur était chirurgien ; avec une âme fortement trempée et le goût des armes, il n’avait nul maniement du soldat ; il était, en outre, de petite taille : c’est ce qu’il pria Carnot de considérer. Mais celui-ci : La fermeté de ton caractère et ton dévouement pour la République nous répondent de tout. — Eh bien donc, j’accepte. Quand faut-il partir ?Demain. — Je serai prêt. Et mes instructions ?Elles sont dans ta tête et dans ton cœur. Tes pouvoirs sont illimités. Pars et réussis[72].

Levasseur arrive au camp. Quarante mille hommes étaient sous les armes. Vous allez me faire passer devant les lignes, dit-il au général. Le général obéit. Mais point d’honneurs militaires. Général, pourquoi ne bat-on pas aux champs ? Les tambours battent et les trompettes sonnent. Levasseur passe devant une enseigne. Point de salut. Nouvel oubli, général ! Les drapeaux s’inclinent. Les visages étaient sombres ; on le suivait d’un œil farouche. Les uns murmuraient : S’il ne nous rend pas Custine, nous le ferons descendre de cheval ; d’autres : Si Custine ne nous est pas rendu, nous l’irons chercher à Paris. Levasseur fait former le bataillon carré, se place au centre, et d’une voix forte : Soldats de la République, le Comité de salut public a fait arrêter le général Custine... Un cri terrible l’interrompt : Qu’on nous le rende ! Lui, sans s’émouvoir, fait le signal d’un roulement, les tambours battent et les clameurs cessent : Général, faites ouvrir les rangs. Et le voilà qui parcourt la ligne, l’œil en feu, la pointe du sabre basse, prêt à étendre à ses pieds quiconque prononcera le nom de Custine. Immobiles et comme pétrifiés d’étonnement, les soldats regardaient cet homme qui, seul, venait braver dans son camp toute une armée. Il reprit : Si Custine est innocent, il vous sera rendu. Sinon, point de grâce pour les traîtres. Je suis votre chef, vous me devez une obéissance aveugle. Pardon et oubli à qui respectera la voix d’un représentant du peuple ! Malheur à qui la méconnaîtra ! Chacun se tut. La sédition était domptée[73].

Cet heureux résultat, on l’ignorait encore à Paris, que déjà l’esprit du temps s’y révélait dans l’attitude indomptable des Jacobins. L’armée en pleine révolte ! Les soldats de la République devenus les soldats d’un homme ![74] Était-ce donc là le fruit des leçons de Custine à ses troupes ? Était-ce ainsi qu’il les avait dressées au respect des magistrats et des lois ? L’ère du despotisme des généraux allait-elle commencer ? Allons ! place aux légions d’Espagne, des Gaules, de Germanie : l’empire romain est à saisir, à partager ou à vendre ! Ah ! plutôt périr. Puisque les soldats osaient redemander Custine, l’épée à la main, une seule réponse était possible : frapper ! Tel était le sentiment des Jacobins, celui de Robespierre surtout. Ce morne génie pressentait que la Révolution serait étouffée par un homme des camps, il l’avait prédit[75], et sa politique à l’égard des généraux était de les faire trembler pour n’avoir pas à trembler devant eux. Aussi nul n’insista-t-il plus vivement que lui sur la nécessité de juger Custine, et de le juger promptement[76].

Ce fut le 15 mai que s’ouvrirent les redoutables assises, et elles ne se fermèrent que le 27[77], de sorte que les débats durèrent près de deux semaines ; plus de cent témoins furent entendus[78] : généraux, commissaires, représentants du peuple, agents du pouvoir exécutif, employés aux bureaux de la guerre ; la plus grande latitude fut laissée à la défense ; le tribunal se montra si scrupuleux observateur des règles protectrices de l’accusé, qu’il encourut, de la part de Robespierre, le reproche de s’être entortillé à dessein dans des formes avocatoires ; et le compte rendu de ce procès, qui ferait la matière d’un volume, suffit pour prouver avec quel soin on y chercha la vérité[79].

Les accusations étaient nombreuses, diverses ; et, comme il arrive souvent en pareil cas, il y en eut de puériles, il y en eut d’injustes, et d’autres qui ne furent pas suffisamment établies.

Custine, étant à souper dans Mayence, avait paru affecté à la nouvelle de la mort de Louis XVI, et avait dit qu’il eût mieux valu le garder en otage[80] : était-ce un crime ? Il avait empêché dans son armée la distribution du Père Duchesne[81] : noir forfait, vraiment ! Il avait mal parlé de Marat et de Robespierre[82] : Robespierre et Marat étaient-ils inviolables ou impeccables ? Il avait licencié la gendarmerie de Landau ; mais parce qu’elle s’était insurgée, et sur la réquisition même des représentants du peuple en mission : Merlin (de Thionville) l’attesta[83]. Il avait fait fusiller, sans forme de procès, et sans qu’aucune loi l’y autorisât, des soldats coupables de pillage ; mais, sur ce point, l’approbation de l’Assemblée nationale était venue couvrir sa conduite[84]. Dans un moment où les Allemands attendaient partout les Français à bras ouverts, il avait négligé de s’emparer de Manheim, de Louisbourg, de Rhense, de Saint-Goar, de Darmstadt[85] ; mais pouvait-il, avec dix-neuf mille hommes, occuper cent lieues de terrain ? Il avait laissé prendre Valenciennes et Condé, sans faire un pas pour les secourir[86] ; mais l’espoir incertain de sauver deux places fortes valait-il qu’on aventurât une armée désorganisée par de récents désastres, et que le moindre revers eût anéantie ? Quant au mot d’ordre, Condorcet, Paris, la Constitution[87], il avait été donné en l’absence de Custine, à son insu, par le général Leveneur. Que, dans une conférence tenue à Mayence, et à laquelle prit part, à côté d’officiers prussiens, un nommé Boze qui se donnait pour un agent de Custine, ce Boze eût remis au général Doyré un billet portant invitation de livrer-la place aux Prussiens, c’est ce qui fut établi péremptoirement[88] ; et il faut ajouter que Custine déclara ne pas connaître Boze, ne pas savoir s’il existait[89] ; déclaration fausse et imprudente, puisque c’était précisément en faveur de cet homme, et pour le réclamer, que Custine avait écrit au roi dé Prusse et au duc de Brunswick des lettres d’une politesse étudiée[90]. Toutefois, le doute ici était permis ; car le billet, signé Custine, n’était pas de son écriture, et beaucoup jugèrent la signature contrefaite, la trouvant trop allongée[91].

Malheureusement, l’accusation n’était pas confinée dans le cercle qui vient d’être parcouru ; et l’on disait à Custine :

La recommandation faite par vous à Houchard de ménager les Prussiens[92], éclaire toute votre conduite d’un jour sinistre. C’est vous qui leur avez livré Francfort, que vous saviez incapable de résister, et que vous n’avez ni voulu sauver par un combat, ni voulu couvrir[93]. Tandis que, dégarnissant Strasbourg d’une grande partie de son artillerie, vous entassiez les canons dans Mayence, vous laissiez cette ville sans vivres[94] et sa garnison sans autre ressource que de manger des souris et du cuir, rendant ainsi la reddition de la place inévitable, après y avoir préparé une riche proie militaire à l’ennemi ! Vous ne pouviez ignorer que Mayence, si on l’abandonnait à ses propres forces, succomberait, et ses défenseurs déclarent qu’un mouvement des armées de la République eût été funeste aux assiégeants[95] : comment expliquer votre inaction sur le haut Rhin ? C’est peu : pour paralyser les secours et endormir la Convention, vous lui écriviez qu’on n’avait rien à craindre sur le sort de la ville de Mayence ; qu’elle tiendrait bon ; qu’il était inutile d’y envoyer l’armée de la Moselle avant le 12 mai[96]. Et vous mandiez aussi que la place était approvisionnée pour longtemps, sachant le contraire[97]. Si bien qu’enfin Mayence a dû se rendre, au grand désespoir d’une garnison héroïque, et après des flots de sang versé. En ce qui touche l’abandon de Condé et de Valenciennes, vous assurez que l’armée du Nord, désorganisée, était hors d’état de les secourir ; mais au moins pouviez-vous ne pas dégarnir de son artillerie l’importante cité de Lille, que menaçait un nouveau siège ! Pourquoi donc avez-vous tant insisté sur le transport au camp de la Madeleine de soixante bouches à feu que le général Favard, commandant de Lille, jugeait indispensables à la sûreté de cette place[98] ? Voilà pour le soldat ; voyons pour le citoyen. Lorsque vous osiez vous vanter de faire des papillotes avec les décrets qui ne vous plaisaient pas[99], était-ce afin d’apprendre à vos troupes à respecter la République ? Lorsque vous donniez le signal de fusiller des volontaires et épargniez des soldats de la ligne, coupables les uns et les autres du même délit[100], était-ce afin de mieux effacer toute distinction entre le citoyen et le soldat ? Lorsque vous menaciez de la corde le docteur Hoffmann[101], président de la Convention mayençaise, et excellent patriote, ou qu’en réponse à certaines réclamations, fort innocentes, des Mayençais, vous ordonniez qu’on dressât dans leur ville cinq potences[102], était-ce dans l’intention de faire aimer la liberté ? Et de quels hommes se composait votre entourage ? Devrigny, votre agent de confiance, nommé par vous commandant de Landau, avait figuré aux Tuileries le 28 février 1791 ; c’était un chevalier du poignard[103]...

A cet ensemble de charges[104], grave assurément, et que rendait plus grave encore la situation exceptionnelle de la République, Custine fut loin de répondre d’une manière satisfaisante.

Les préférences pour les Prussiens s’expliquaient par leur conduite à l’égard de nos troupes, plus humaine que celle des Autrichiens et des Hessois. — Si Francfort eût résisté trois ou quatre heures de plus[105], il arrivait à temps. — Le soin d’approvisionner Mayence ne le regardait pas[106]. — Il avait cru que cette ville pouvait tenir. — C’était d’après l’avis d’un homme de l’art qu’il avait tiré de Lille soixante-seize bouches à feu. — Les habitants de Mayence réclamaient des indemnités qu’on ne pouvait leur accorder, du moins pour le moment ; de là les poteaux qu’il avait fait dresser sous leurs yeux. — Il était plein de respect pour la Convention. — A l’égard des troupes de ligne et des volontaires, il leur portait une affection égale, et n’avait puni que ceux qui lui étaient dénoncés par la clameur publique. — Lorsqu’il avait menacé de la corde le docteur Hoffmann, il ignorait que ce fût un bon patriote, et ne l’avait appris que depuis. — Il ne savait pas que Devrigny fût un chevalier du poignard, etc., etc.[107].

Tronçon-Ducoudrai, défenseur de l’accusé, prit à son tour la parole ; et le 27 août, à neuf heures du soir, le tribunal, d’après la déclaration du jury, condamna Custine à la peine de mort, comme ayant coopéré à des manœuvres dont le but était de livrer aux ennemis de la République les villes et les magasins appartenant à la France[108]. Un peuple immense remplissait l’auditoire. Avant que l’accusé fût introduit, Coffinhal, qui présidait, recommanda aux spectateurs de ne donner aucun signe, soit d’approbation, soit d’improbation, leur faisant remarquer que le général Custine n’appartenait plus désormais qu’à la loi, et qu’il le fallait plaindre de ne s’être pas mieux conduit. Custine entra, marchant d’un pas grave. La clarté des bougies, qu’on n’avait pas encore allumées, depuis le commencement des débats, et le profond silence qui régnait dans la salle, parurent lui causer une vive émotion. S’étant assis, il promena ses regards autour de lui, et écouta sa sentence d’un air assez indifférent, après avoir dit : Ma conscience ne me reproche rien ; je meurs innocent et calme[109]. Conduit au greffe, il se jeta à genoux et resta longtemps en prières, voulut passer la nuit avec un prêtre, écrivit à son fils de se rappeler sa mémoire dans les beaux jours de la République, et marcha au supplice, ayant à ses côtés un confesseur qui lui lisait quelques passages d’un livre de piété et lui faisait embrasser un crucifix. Au lieu de l’exécution, il s’agenouilla, les yeux pleins de larmes, sur les premiers degrés de l’échelle ; puis, se relevant, il subit la mort avec fermeté[110].

Il avait commencé à l’âge de sept ans sa rude carrière de soldat, et, en rapprochant de sa fin tragique le souvenir de ses services, de ses talents et de sa bravoure, beaucoup le plaignirent, même parmi ceux qui ne pouvaient l’absoudre ; d’autres se félicitèrent d’un acte qui avertissait les généraux qu’à chaque trahison ou menace de l’épée, la Révolution répondrait par un coup de hache.

Mais, plus elle se montrait implacable, plus ses ennemis semblaient prendre à tâche de l’exaspérer. Convaincus que la France révolutionnaire allait périr étouffée par l’Europe, et semblables à des enfants qui, se trouvant dans une enceinte fermée autour d’un taureau furieux, s’amuseraient à le piquer de l’aiguillon, les royalistes se répandaient en étourderies provocantes. Dans un moment de misère extrême et d’extrême péril, ils se mirent à affecter des airs de triomphe. Le luxe de l’ancien régime reparut soudain[111]. Aux abords des salles de spectacle, de longues files de voitures somptueuses643 fendirent les flots d’une multitude affamée. Les muscadins, — on les désignait déjà par ce terme[112] — se concertèrent. Pour troubler les séances du club des Jacobins, l’aristocratie eut soin d’y entretenir des agents ; leur mot était : Allons chez le cousin Jacques[113]. Plus particulièrement, les théâtres devinrent pour les royalistes des lieux de rendez-vous. Là, ils applaudissaient avec emportement tout ce qui tendait à flétrir la Révolution ; et tout ce qui lui était favorable, ils le sifflaient à outrance. Forts de leur majorité dans une lice occupée à prix d’argent, ils y faisaient la loi ; si quelque Jacobin s’avisait de protester, une avalanche d’injures roulait sur lui du haut des loges[114]. Au Théâtre-Français, les acclamations enthousiastes des royalistes accueillirent une pièce intitulée Paméla, monument élevé à la gloire de ce même gouvernement britannique qui, pendant ce temps, envoyait le duc d’York ravager notre territoire et se faisait livrer Toulon[115] ! Au théâtre du Lycée, l’histoire de Marie-Antoinette et de son fils, enfermés au Temple, fut mise sur la scène, dans une pièce intitulée Adèle de Sacy. La tour du Temple y était figurée de manière que personne ne pût s’y méprendre, et le drame se dénouait, non-seulement par la délivrance des captifs, mais par leur victoire[116]. De pareilles provocations, au moment où Paris en deuil recevait toutes sortes de nouvelles sinistres, et, entre autres, celle de l’entrée des Anglais dans le plus beau port de la République, n’étaient que trop de nature à amener un régime de terreur. Le Comité de salut public s’abstint de sévir contre le Lycée ; mais l’auteur de Paméla et les comédiens du Théâtre-Français furent arrêtés[117].

La situation allait s’assombrissant de jour en jour ; les faubourgs aux abois demandaient du pain[118] ; les Jacobins demandaient une armée révolutionnaire et le Maximum[119] ; les royalistes, par machiavélisme, poussaient à une émeute populaire[120]. Tous les cris de douleur, d’indignation ou d’effroi qui s’élevaient de chaque point de nos frontières ravagées et de nos provinces en révolte venaient retentir dans le cœur de Paris, qu’ils remplissaient de rage[121]. Le 4 septembre, dès cinq heures du matin, les ouvriers sont appelés du fond de leurs ateliers, et des groupes nombreux se forment sur les boulevards, aux environs de la maison de guerre[122]. Du pain ! du pain ! La foule grossit, et, comme un torrent, envahit la place de Grève. Une table est posée au milieu de la place, un bureau formé, une pétition rédigée, une députation envoyée au corps municipal. Que veut le peuple ? Du pain. Pendant que Chaumette court prévenir la Convention de ce qui se passe, la foule, répandue autour de l’Hôtel de Ville, y pénètre, s’y amoncelle, et pousse les officiers municipaux jusque dans la grande salle, remplissant banquettes, tribunes, parquet, couloirs, et criant toujours : Du pain ! du pain ! A la Convention, Chaumette avait représenté le mouvement comme peu à craindre, ajoutant que les ennemis de la République ne cherchaient que des prétextes pour égarer le peuple. De retour à l’Hôtel de Ville, il y donne lecture d’un décret portant que le Maximum des objets de première nécessité sera fixé. Des promesses ! s’écrie-t-on ; ce qu’il nous faut, c’est du pain, et tout de suite ! Chaumette rappela que lui aussi avait été pauvre, tonna contre les riches, requit le transport à la halle d’une quantité de farine suffisante pour le lendemain, et qu’on provoquât l’établissement par décret d’une armée révolutionnaire destinée à parcourir les campagnes, à favoriser les arrivages, à assurer les levées, à déjouer l’égoïsme des riches, à le punir. Il n’avait point parlé de faire suivre cette armée révolutionnaire par la guillotine : Hébert en parla ! Le conseil général, ayant ensuite ouvert sa séance, décida que les anciens administrateurs des subsistances, parmi lesquels l’ex-ministre Garat, seraient mis provisoirement sous la. garde de trois sans-culottes, avec indemnité de cinq livres par jour. L’arrivée d’une députation envoyée par les Jacobins au peuple pour lui donner l’assurance d’une sympathie vigilante compléta cette scène et la termina. Il était dix heures : la foule s’écoula satisfaite[123].

Que ce mouvement populaire, dont les conséquences allaient être formidables, ait été le résultat d’une double impulsion, c’est ce que les documents de l’époque prouvent de reste. Déterminé par la misère, il fut excité par ceux qui prétendaient sauver la Révolution en la précipitant dans les extrêmes, et par ceux qui brûlaient de la perdre en la précipitant dans le chaos. Robespierre le comprit bien ; mais il comprenait aussi le danger de toute action énervante en de tels moments ; et ce conflit de préoccupations se révéla dans l’indécision de son langage. Partagé entre le désir de modérer la fougue des Jacobins et la crainte de glacer leur énergie, il se plaignit vaguement des moyens qu’on employait pour égarer le peuple, fit valoir la nécessité de parer les coups qu’on s’apprêtait à porter aux autorités constituées, conseilla au club d’avoir l’œil sur les intrigants et les traîtres[124]. Mais tant de prudence ne parut pas de saison aux Jacobins. Sans s’écarter d’une manière directe du sentiment de déférence que Robespierre leur avait toujours inspiré, ils applaudirent violemment à une violente sortie de Royer, et résolurent d’aller, le lendemain, à la Convention en passant par l’Hôtel de Ville[125].

Ce fut une séance mémorable, mais bien sombre, que celle du 5 septembre 1795. Elle s’ouvrit par un rapport de Merlin (de Douai), qui concluait à ce qu’on mît le tribunal révolutionnaire en état de juger plus vite ; le moyen était de le diviser en quatre sections : décrété sur-le-champ[126]. Et ce n’était que le prélude. Par une de ces fatalités qui, trop souvent, se cachent, comme pour les empoisonner, au fond des choses humaines, une dépêche fut apportée qui annonçait des horreurs ; les Autrichiens, maîtres de Sierk, y avaient pillé les habitants, incendié les maisons, égorgé de pauvres pères de famille, mutilé des prisonniers, ceux-ci en leur coupant les pieds et les mains, ceux-là en leur arrachant la langue[127]. Sur une assemblée encore tout émue des secousses de la veille, l’effet se devine ! L’orage commençait à gronder.

Est-il vrai que, ce jour-là, Robespierre, quoique président de la Convention depuis le 26 août, s’abstint de paraître ? Et doit-on supposer qu’il fut retenu chez lui par la prudence alarmée de ses amis, de son garde du corps Nicolas, de son hôte, des dames Duplay surtout, vives, tendres, impérieuses ?[128] Rien de tel. Non-seulement Robespierre parut à la séance, mais il la présida[129] ; et, si quelqu’un eut à recevoir le choc de la foule, ce fut lui[130].

Elle ne tarda pas à venir se heurter aux portes, à la suite d’une députation de la Commune que conduisaient deux hommes bien différents l’un de l’autre, le maire Pache et le procureur général Chaumette. Très-froidement et en peu de mots, Pache exposa que le peuple craignait de manquer de subsistances ; que le mal venait des accapareurs. Alors, Chaumette : Les tyrans de l’Europe persistent dans leur affreux système d’affamer le peuple français ; ils veulent le forcer à changer sa souveraineté contre un morceau de pain... C’est ce qu’il ne fera jamais. — Non ! non ! s’écrie-t-on de toutes parts. Lui, continuant d’un ton de plus en plus animé : Une classe non moins criminelle que la noblesse s’est emparée des denrées de première nécessité. Vous l’avez frappée, mais vous ne l’avez qu’étourdie. — Vous remettez aux administrations les clefs des greniers et le livre infernal du calcul de ces monstres ; mais où est le poignet robuste qui tournera cette clef fatale aux traîtres. — Montagne ! soyez le Sinaï des Français !Plus de quartier aux traîtres !Jetons entre eux et nous la barrière de l’éternité !Le jour de la justice et de la colère est venu. Que l’armée révolutionnaire se forme ; qu’elle parcoure les départements ; qu’elle se grossisse de tous les hommes qui veulent la République une et indivisible ; quelle soit suivie d’un tribunal incorruptible, redoutable, et de l’instrument qui tranche d’un seul coup les complots ; qu’elle porte sur ses enseignes : Paix aux hommes de bonne volonté, guerre aux affameurs ! Protection aux faibles ! Guerre aux tyrans ! Point d’oppression, mais la justice !... Cette harangue farouche, Chaumette la termina par un trait inattendu : pourquoi dans le jardin des Tuileries tant d’objets qui ne pouvaient servir qu’à alimenter l’orgueil des rois ? pourquoi ces fleurs de lis en buis, pourquoi ces statues ? Ne valait-il pas mieux faire croître là les plantes dont manquaient les hôpitaux[131] ?

Il achevait à peine, qu’un cortège immense, composé d’hommes et de femmes, entre dans la salle, se répand sur les gradins de la droite, et, bientôt, couvre tout le parquet. Ils agitaient des écriteaux menaçants pour les accapareurs, et, avec un formidable ensemble, ils criaient : Vive la République ! En cet instant, vous eussiez dit un nuage chargé d’électricité qui se déchire. Les motions se succèdent, et, comme autant de coups de tonnerre, retentissent. Moyse Bayle demande que les mesures proposées soient formulées en décrets ; Billaud-Varenne, qu’on arrête les suspects, et que, séance tenante, on organise l’armée révolutionnaire ; Bazire, qu’on publie le décret qui déclare la France en révolution ; Léonard Bourdon, que l’armée révolutionnaire parte, accompagnée d’un tribunal chargé de juger les conspirateurs dans les vingt-quatre heures. Et un homme était là, un homme au teint pâle, au front morne, au regard vacillant, qui répétait d’une voix brève : Agir, agir, agir ! C’était Billaud-Varenne. Quoi ! sans même laisser au Comité de salut public le temps de respirer ! faisait observer Saint-André. Quoi ! en courant les aventures de l’enthousiasme ! objectait Bazire. Remontrances vaines ! Chacun pensait ce que Gaston avait dit : Nous sommes dans une salle d’armes. Danton se leva, et lui dont la popularité ne jetait plus que de rares lueurs, lui dont on croyait l’âme domptée, il éclata à faire frémir. Le tribunal révolutionnaire était trop lent ; il fallait que, chaque jour, un aristocrate, un scélérat, payât de sa tête ses forfaits[132]. Les sections ne pouvaient attirer le pauvre ; il fallait décréter en sa faveur une indemnité de quarante sols par assemblée. Ce qu’il fallait surtout, c’était l’armement des citoyens. Que n’y avait-il autant de fusils et presque autant de canons que de patriotes ! Il ajouta : Qu’on perde plutôt la vie que son fusil ![133] Un mort se débarrassant de son suaire, et, debout sur la pierre de son tombeau, parlant ainsi, n’eût pas produit plus d’effet. Ravi de retrouver Danton, le Danton d’autrefois, le peuple donna libre cours à ses transports. L’enceinte fut ébranlée par le bruit des clameurs. On jetait les chapeaux en l’air. Ce que Danton proposait fut moins voté qu’acclamé[134]. Romme ayant exprimé la crainte que payer le patriotisme du pauvre n’aboutît à le dégrader, l’Assemblée n’hésita pas à se ranger de l’avis de Fabre d’Églantine, qui soutenait l’opinion contraire. Et telle était la disposition des esprits, que Bazire, accusé depuis quelque temps de trop d’indulgence, et dont on disait qu’il était capable de blanchir un nègre[135], ne serait peut-être point parvenu à se faire entendre, si Robespierre ne lui eût avec fermeté maintenu la parole668. Ce qu’il venait proposer, cependant, ne péchait certes point par excès d’indulgence ; partant de ce point de vue que les gros commerçants, les agioteurs, les anciens procureurs, les valets insolents, les hommes d’affaires et jusqu’aux boutiquiers pouvaient fournir, aussi bien que les nobles et les prêtres, leur contingent de suspects, il conclut à l’épuration des comités révolutionnaires par le conseil général de la Commune[136]. Survint une députation de Jacobins réclamant le prompt jugement des membres de la Gironde détenus. Thuriot, auquel Robespierre venait pour un moment d’abandonner le fauteuil, promit que justice serait faite et que tous les scélérats périraient sur l’échafaud[137]. Puis, parut à la barre une députation de la section de l’Unité. Ceux-ci insistaient pour la destitution des nobles et des prêtres encore dans les emplois ; pour une exécution plus sévère des lois contre l’agiotage, et pour que l’Assemblée restât à son poste jusqu’à ce que la Constitution se trouvât fortement établie. Robespierre avait repris le fauteuil ; il répondit : La Convention sera digne du peuple. S’il ne faut, pour son bonheur, que le sacrifice de notre vie, nous nous dévouerons tous. Notre récompense sera son amour et son estime[138]...

Le maître de poste de Varennes, Drouet, avait demandé la parole ; dans un accès de délire, il s’écrie : A quoi vous a servi jusqu’ici votre modération ?... Voici le moment de verser le sang des coupables... De tous côtés ne vous appelle-t-on pas des scélérats, des brigands, des assassins ? Eh bien, puisque notre vertu, puisque nos idées philosophiques ne nous ont servi de rien, soyons brigands pour le bonheur du peuple[139]. A ces mots, de violents murmures s’élèvent ; et Thuriot, s’élançant à la tribune, prononce, aux applaudissements de l’Assemblée entière, cette belle parole : La France n’est pas altérée de sang ; elle n’est altérée que de justice[140]. Il parla ensuite de la nécessité de ne marcher qu’avec la loi ; et Drouet de s’écrier amèrement : Je demande qu’on ne puisse assommer un Prussien que la loi à la main[141].

Restait à résumer et à convertir en décrets les diverses pétitions ; ce fut Barère qui présenta le rapport, et il le fit en termes d’une violence inouïe : Plaçons la terreur à l’ordre du jour. — Les royalistes veulent du sang ; eh bien, ils auront celui des conspirateurs, des Brissot, des Marie-Antoinette. — Ils veulent troubler les travaux de la Constitution... Conspirateurs, elle troublera les vôtres !Ils veulent faire périr la Montagne... eh bien, la Montagne les écrasera[142]...

Ainsi s’ouvrit l’ère de la Terreur.

Une force armée, composée de six mille hommes, de douze cents canonniers, et commandée par Ronsin, eut mission de comprimer les contre-révolutionnaires et de protéger les subsistances partout où besoin serait.

La peine de mort fut prononcée contre quiconque achèterait ou vendrait des assignats.

Le tribunal révolutionnaire fut divisé en quatre sections, comme moyen d’accélérer les jugements.

Un décret ordonna que Brissot, Gensonné, Clavière et Lebrun seraient traduits immédiatement au tribunal révolutionnaire.

On rapporta un décret rendu autrefois sur la motion de Gensonné, et qui interdisait les visites domiciliaires pendant la nuit.

Bazire avait fait décréter l’épuration des comités révolutionnaires par le Conseil général de la Commune : Billaud-Varenne fit décider que les membres de ces comités recevraient une indemnité de trois livres par jour.

Le nombre des séances, dans les sections, fut fixé à deux par semaine, et une indemnité de quarante sols mise à la disposition de ceux des membres qui n’auraient pour vivre que le travail journalier de leurs mains.

Les puissances ennemies de la République entretenaient en France une foule d’agents chargés d’y semer le désordre : un décret d’arrestation frappa tout étranger qui n’obtiendrait pas des officiers municipaux un certificat d’hospitalité.

La débauche, cachée sous le manteau de la liberté, pouvait empoisonner les sources de la morale et de la santé publiques : sur la proposition de Jean-Bon-Saint-André, on confia au Comité de salut public le soin de pourvoir à ce que les femmes de mauvaise vie fussent bannies d’une République à laquelle il fallait des âmes austères et des corps vigoureux[143].

Enfin, pour couper court aux séductions de la beauté, la Commune ferma l’accès des bureaux de la police aux jolies solliciteuses[144].

Mais ce qui dépassa la rigueur de toutes ces mesures, déjà si rigoureuses, ce fut la loi relative aux suspects, telle qu’on l’adopta le 17 septembre, sur le rapport de Merlin (de Douai), au nom du Comité de législation, présidé par Cambacérès[145]. Cette loi réputait suspect quiconque se serait montré partisan de la tyrannie ou du fédéralisme ; suspect, quiconque ne pourrait justifier de l’acquit de ses devoirs civiques ; suspects, ceux des ci-devant nobles qui n’auraient pas constamment manifesté leur attachement à la Révolution ; suspects, les fonctionnaires publics suspendus ou destitués, soit par la Convention, soit par ses commissaires, et non réintégrés. Quel vague effrayant ! pousserait-on jusqu’aux gens suspects d’être suspects[146] ?

Cette formidable politique, sortie des profondeurs de la situation, exigeait, comme instruments, des hommes d’une trempe peu commune. L’adjonction de Danton au Comité de salut public fut proposée. Mais lorsque Danton avait demandé qu’on érigeât le Comité de salut public en gouvernement provisoire, il avait fait serment de n’y point entrer, et il persista, soit pour déjouer tout soupçon malveillant, soit que son génie paresseux se refusât au tracas des affaires. Ils étaient si puissants d’ailleurs, et si doux, les liens dont il vivait alors enlacé ! Veuf de sa première femme dès le mois de février 1795, il s’était remarié, peu de temps après, à une jolie fille de seize ans, mademoiselle Louise Gély, pieuse personne, née de parents royalistes, royaliste elle-même, et qu’il lui fallut conquérir, le dirons-nous ? en passant par le confessionnal, en s’agenouillant sous la main d’un prêtre réfractaire, lui Danton, le vrai fils de Diderot[147]. On conçoit qu’il ait voulu savourer un bonheur obtenu à ce prix !

Quoi qu’il en soit, Danton s’effaçant, les deux hommes appelés à remplir la place que son refus laissait vide, furent Billaud-Varenne et Collot-d’Herbois ; l’un, âme froide et morne, esprit organisateur, concentré, implacable ; l’autre, au contraire, nature exubérante, impressionnable à l’excès, mais capable de toutes les fureurs que peut produire une sensibilité malsaine à l’état d’ivresse. Unis à Barère dans le Comité de salut public, Billaud-Varenne et Collot-d’Herbois y formèrent ce qu’on appela le parti des gens révolutionnaires, par opposition à celui des gens d’examen, nom sous lequel on désigna Prieur, Carnot, Lindet, et à celui des gens de la haute main, Robespierre, Couthon, et Saint-Just[148].

Quant au Comité de sûreté générale, il avait moins besoin d’être complété que resserré. Le 14 septembre, on le réorganisa, sur la proposition de Drouet et de Maure, et les nouveaux membres élus furent : Vadier, Panis, Lebas, Boucher-Saint-Sauveur, David, Guffroy, Lavicomterie, Amar, Rühl, Lebon, Voulland et Moyse Bayle[149].

Ainsi :

Un club infatigable, celui des Jacobins, animant Paris de son souffle ;

Paris, divisé en comices populaires, sous le nom de sections, exprimant sa pensée ;

La Commune, centre des sections, portant à l’Assemblée nationale l’expression de la pensée de Paris ;

L’Assemblée formulant cette pensée en loi ;

Le Comité de salut public lui donnant la vie partout : dans l’administration, par le choix des agents ; dans les armées, par les représentants en mission ; dans chaque partie de la République, par les comités révolutionnaires ;

Le Comité de sûreté générale s’occupant d’épier la désobéissance ;

Le tribunal criminel extraordinaire se hâtant de la punir...

Tel se présentait le mécanisme révolutionnaire.

Il était conçu de façon à imprimer une force et une unité irrésistibles à l’action de Paris, considéré comme le brûlant foyer des idées nouvelles, comme le point d’où la France, ramassée sur elle-même, devait prendre son élan.

Mais, pour que l’énergie du gouvernement fût au niveau du péril, il importait que celle de la nation y répondît. Grâce au ciel, la France ne se manqua pas à elle-même. On avait courage, bras et fer, mais point de poudre. Soudain, chaque particulier descend dans sa cave ; on fouille le terrain ; pas de cuisine dont on ne retourne les pavés, pas de foyer dont on n’enlève les cendres. On remue en tous sens les décombres, afin d’en extraire les terres imprégnées de salpêtre. On lèche chaque mur, dit un auteur du temps[150], et des milliers de pelles amènent le sol humide aux rayons du soleil. Le zèle avec lequel chaque citoyen travailla à cette patriotique besogne tint du prodige. Dans plusieurs quartiers de Paris, on vit sur les portes des inscriptions conçues en ces termes : Pour donner la mort aux tyrans, les citoyens logés dans cette maison ont fourni leur contingent de salpêtre. Et l’observateur qui a transmis ces détails à l’histoire s’écrie : Qui eût dit que Paris contenait en ses caves de quoi repousser la ligue des rois ?[151]

 

 

 



[1] Voyez le texte de ces divers décrets dans l’Histoire parlementaire, t, XXVIII, p. 367 et p. 396-400.

[2] Voyez le texte dans l’Histoire parlementaire, t. XXVIII, p. 383-389.

[3] Séance du 1er août 1793.

[4] Convention, séance du 7 août 1795.

[5] Voyez le chapitre intitulé : Lyon se soulève.

[6] Voyez le compte rendu de Dubois-Crancé et Gauthier à la Convention, à la suite des Mémoires du général Doppet. — Il y est question de huit mille réquisitionnaires armés de piques ; mais ils ne rejoignirent Dubois-Crancé que pendant le cours du siège.

[7] Le 28 juillet.

[8] Mémoires de Garat, reproduits dans l’Histoire parlementaire (voyez t. XVIII, p. 439-445.)

[9] Histoire parlementaire, t. XXVIII, p. 439 et 440.

[10] Voyez l’Histoire parlementaire, t. XXVIII, p. 169 et 170.

[11] Histoire parlementaire, t. XXVIII, p. 199.

[12] Histoire parlementaire, t. XXVIII, p. 216.

[13] Journal de la Montagne, n° 41.

[14] Journal de la Montagne, n° 41.

[15] A propos d’une dénonciation dirigée contre d’Albarade, ministre de la marine.

[16] Voyez, dans le sixième volume de cet ouvrage, le chapitre intitulé : Débats sur la guerre.

[17] Histoire parlementaire, t. XXVIII, p. 401.

[18] Journal de la Montagne, n° 67.

[19] Voyez le texte de cette pétition, reproduite en entier dans l’Histoire parlementaire, t. XXVIII, p. 421-424.

[20] Voyez la séance du club des Jacobins, du 31 mai 1795. — Le n° 1588 du Patriote français.

[21] Voyez la pétition de la veuve de Marat.

[22] Voyez l’Histoire parlementaire, t. XXVIII, p. 595. — La cérémonie avait eu lieu le 28 juillet 1793.

[23] Adresse lue aux Jacobins, le 7 août 1793, par Royer, curé constitutionnel de Châlon-sur-Saône.

[24] Il existe de cette fête du 10 août 1793 un procès-verbal officiel et très-détaillé, qui porte les signatures de Hérault de Séchelles, Amar, Léonard Bourdon, Fayau, Audoin, Thirion, Dartygoyte. — C’est ce document irrécusable qui nous a fourni tous les éléments de notre récit. (Voyez l’Histoire parlementaire, t. XXVIII, p. 436-451.)

[25] Histoire parlementaire, t. XXVIII, p. 455-459.

[26] Histoire parlementaire, t. XXVIII, p. 466 et 467.

[27] Histoire parlementaire, t. XXVIII, p. 469-471. — Décret du 25 août 1793.

[28] Histoire parlementaire, t. XXVIII, p. 471.

[29] Voyez les Mémoires de Barbaroux, p. 29.

[30] Voyez la lettre de Carteaux au ministère de la guerre, en date du 25 août 1793. — Le rapport présenté par Jean-Bon-Saint-André à la Convention le 9 septembre 1795. — Les Mémoires du général Doppet, p. 166-173. — Le mémoire des représentants du peuple près les départements méridionaux, présenté le 11 septembre 1795 à la Convention.

[31] Mémoires de Buzot, chap. I, p. 144.

[32] Mémoires de Meillan, p. 140.

[33] Mémoires de Meillan, p. 143.

[34] Rapport présenté par Jean-Bon-Saint-André, au nom du Comité de salut public, dans la séance du 9 septembre 1793.

[35] Rapport présenté par Jean-Bon-Saint-André, au nom du Comité de salut public, dans la séance du 9 septembre 1793.

[36] Mémoires tirés des papiers d’un homme d’Etat, t. II, p. 557.

[37] Rapport de Jean-Bon-Saint-André. Ubi supra.

[38] Le rapport officiel mentionne entre autres victimes : Sévestre, fondateur du club ; Barthélémy, président du tribunal criminel, et Jassaud.

[39] Rapport de Jean-Bon-Saint-André. Ubi supra.

[40] Le rédacteur de cette feuille était un nommé Reymbaud-Bussac. Rapport de Jean-Bon-Saint-André. Ubi supra.

[41] Rapport de Jean-Bon-Saint-André. Ubi supra.

[42] Mémoires tirés des papiers d’un homme d’État, t. II, p. 357.

[43] Mémoires tirés des papiers d’un homme d’État, t. II, p. 357 et 358.

[44] Mémoires tirés des papiers d’un homme d’État, t. II, p. 359.

[45] Mémoires tirés des papiers d’un homme d’État, t. II, p. 360, et le rapport de Jean-Bon-Saint-André, présenté à la Convention le 9 septembre 1793.

[46] Mémoires tirés des papiers d’un homme d’État, t. II, p. 361.

[47] Mémoires tirés des papiers d’un homme d’État, t. II, p. 361.

[48] Jomini, Histoire critique et militaire des guerres de la Révolution, t. IV, liv. V, chap. XXIV.

[49] Lettre du 18 août, adressée à Dubois-Crancé et à Gauthier, et signée Couthon, Carnot, Robespierre, Barère, Saint-Just.

[50] Faubourg de Lyon, — Le mot est de Couthon lui-même.

[51] Compte rendu à la Convention nationale de la mission des citoyens Couthon, Châteauneuf-Randon, et Maignet, par Maignet, dans la Bibliothèque historique de la Révolution. 1070 1, 2. British Muséum.

[52] Pour se donner le droit d’accuser la Révolution d’injustice et de cruauté en ce qui concerne Custine, les historiens dont il est ici question ont eu recours à une admirable méthode : ils ont tout simplement omis les faits à charge. On en peut voir un curieux exemple dans le récit de M. de Barante.

[53] Nous avons décrit ce mouvement et ses suites. Liv. VIII, chap. V de cet ouvrage.

[54] Mémoires tirés des papiers d’un homme d’État, t. II, p. 64.

[55] Mémoires tirés des papiers d’un homme d’État, t. II, p. 66.

[56] Biographie universelle.

[57] Mémoires tirés des papiers d’un homme d’État, t. II, p. 71.

[58] Mémoires tirés des papiers d’un homme d’État, t. II, p. 79.

[59] Mémoires tirés des papiers d’un homme d’État, t. II, p. 82.

[60] Nous avons, dans un précédent volume, rendu compte de cette négociation.

[61] Histoire critique et militaire des guerres de la Révolution, t. II, liv. III, chap. XI, p. 284.

[62] Nous avons trouvé, dans la Bibliothèque historique de la Révolution, au British Museum, n° 500, 1, 2, un document historique de la plus haute importance, et que les historiens, nos prédécesseurs, Montgaillard excepté, ont ou ignoré ou voulu ignorer, c’est la Relation de la prise de Francfort, par le général van Helden, publiée à la Haye, en 1798. Là on lit, tracé par le commandant même de Francfort, à l’époque du siège, un réquisitoire, contre Custine, bien autrement terrible que celui de Fouquier-Tinville. Parmi les pièces probantes placées à la suite du livre, nous citerons ici, en conservant le style et l’orthographe de Custine, la lettre qu’il écrivit au général van Helden, le 28 novembre 1792, pour l’engager à tenir bon :

Citoyen général, à une insolence telle que celle du général prussien, on ne lui répond que par une yronie, et je vous envoy la lettre écrite à ce général prussien. Je suis là, près de vous ; je n’en sortirai que quand le sort des armes m’y forcera. Et alors, vous avez des bateaux pour venir me joindre et des bajonnaites pour vous faire un passage. Souvenés vous qu’un républicain ne capitule pas avec des esclaves suppôts des despotes, il n’a qu’à choisir entre la victoire et la mort. Si la ville de Francfort bouge, maités le feu à la ville, désarmés la garnison, et réalisés si elle bouge. Je n’aime pas les partis violens, et j’aime moins encore les autres lâches et pusillanimes : ils rempent devant la force. Eh bien ! il faut en montrer, pour faire remper les capitalistes francfortois ! Je vous verrai demain vers la fin du jour. — Le général d’armée, Custine. A Hochst, .le 28 novembre 1792.

Van Helden, au sujet de cette lettre dont il publie le texte, dit : Elle ne me laissait aucun doute qu’au moindre bruit d’attaque, le général Custine ne volât à mon secours ; et c’était dans le temps même que son fils me conseillait d’évacuer la ville de Francfort, et insinuait à la bourgeoisie de cette ville que l’intention de son père était de lui épargner les horreurs du siège. (Page 819.)

Voyons maintenant le récit de M. de Barante : Custine perdit Francfort, qui ne pouvait être défendu ; cette évacuation était l’objet de pourparlers confidentiels avec les généraux prussiens. Un soulèvement des habitants en prévint la conclusion, de sorte que la très-faible garnison fut obligée à une retraite précipitée. Et rien de plus !

[63] Jomini, t. III, p. 205.

[64] Jomini, t. III, p. 204.

[65] Jomini, t. III, p. 208.

[66] Jomini, t. III, p. 209.

[67] Jomini, t. III, p. 224.

[68] Jomini, t. III, p. 224.

[69] C’est le mot dont se sert le général Jomini, et on ne peut pas, celui-là non plus, l’accuser de jacobinisme.

[70] Mercier du Rocher, dans ses Mémoires manuscrits, cite une lettre de Custine, imprimée à Niort, au mois de juillet 1792, et dans laquelle il dit en propres termes : Je me fous de la Montagne, de la Plaine et du Marais.

[71] Mémoires de René Levasseur, t. I, chap. VI, p. 338.

[72] Mémoires de Levasseur, t II, chap. II, p. 26 et 27.

[73] Mémoires de Levasseur, t. II, chap. II, p. 27-54.

[74] C’est le mot dont se sert Levasseur.

[75] Dans les débats sur la guerre, voyez ce chapitre dans le sixième volume.

[76] Histoire parlementaire, t. XXVIII, p. 477.

[77] Voyez le procès reproduit in extenso dans le Moniteur.

[78] Mémoires de Levasseur, t. II, chap. X, p. 142.

[79] Dans l’Histoire parlementaire, le procès de Custine ne remplit pas moins de quatre-vingt-cinq pages. L’accusé y prend à chaque instant la parole avec véhémence, quelquefois pour accuser les autres, et sans que jamais les juges songent soit à lui retirer la parole, soit à l’interrompre. Ce qui n’empêche pas M. de Barante de dire, dans son Histoire de la Convention, en parlant du procès de Custine : A cette époque il n’y avait déjà plus à compter sur une apparence de justice ; mais la procédure comportait encore certaines formes ; la défense était gênée, mais admise !

[80] Déposition de Louis Montaut, représentant du peuple.

[81] Déposition de Pierre Cellier, commissaire du pouvoir exécutif.

[82] Déposition de Pierre Cellier, commissaire du pouvoir exécutif.

[83] Voyez sa déposition.

[84] Cela ne fut point nié.

[85] Déposition du médecin de l’hôpital militaire de Strasbourg.

[86] Réquisitoire de Fouquier-Tinville.

[87] Déposition de Pierre Cellier.

[88] Dépositions de Merlin (de Thionville) et de Rewbell.

[89] Voyez le procès, t. XXVIII, p. 277 de l’Histoire parlementaire.

[90] Voyez l’Histoire parlementaire, t. XXVIII, p. 267.

[91] Déposition du général de brigade Jean-Baptiste Hébert.

[92] Lettre de Custine à Houchard, citée dans la déposition de Louis Montant.

[93] Déposition de Raymond Blanier, agent secret de l’armée du Rhin et de la Moselle.

[94] Déposition du général Aubert Dubayct.

[95] Dépositions du général Dubayet et du général Schstilinski.

[96] Réquisitoire de Fouquier-Tinville.

[97] Déposition du représentant du peuple Rewbell.

[98] Pièces officielles produites par Vincent, secrétaire général de la guerre.

[99] Rapport de Barère. — Déposition de Lavaux, sous-chef des bureaux de la guerre.

[100] Déposition de Lavaux.

[101] Déposition du docteur Hoffmann.

[102] Déposition du docteur Hoffmann.

[103] Déposition de Gateau. — Déclaration de Vincent.

[104] M. de Barante n’a garde de les faire connaître à ses lecteurs. Il ne mentionne que le billet remis à Doyré et le mot d’ordre : Condorcet, Paris, etc. D’où la conclusion qu’il n’y avait rien à reprendre à la conduite de Custine. C’est clair !

[105] Avec une garnison de deux mille hommes qui avait contre elle les habitants.

[106] Elle le regardait. L’accusateur public lui montra la loi.

[107] Voyez l’Histoire parlementaire, t. XXIX, p. 264, 312, 321, 521, 522, 295, 306.

[108] Histoire parlementaire, t. XXIX, 336 et 337.

[109] Histoire parlementaire, t. XXIX, p. 336 et 337.

[110] Histoire parlementaire, t. XXIX, p. 336 et 337.

[111] Journal de la Montagne, n° XCV.

[112] Voyez le rapport de Barère, dans la séance du 5 septembre 1793.

[113] Discours de Renaudin, dans la séance du 4 septembre 1793, club des Jacobins.

[114] Discours de Renaudin, dans la séance du 4 septembre 1793, club des Jacobins.

[115] Dénonciation au club des Jacobins des outrages subis au Théâtre-Français par un capitaine de dragons. Séance du 1er septembre 1795. — Voyez aussi le rapport présenté par Barère à la Convention, dans la séance du 3 septembre.

[116] Voyez la séance des Jacobins du 4 septembre 1793, telle que la rapporte le Journal de la Montagne, n° XCVII.

[117] Séance de la Convention, 3 septembre 1795.

[118] Ce fut le point de départ du mouvement qui va être décrit.

[119] Séance des Jacobins du 1er septembre 1793.

[120] Voyez le compte rendu de Chaumette à la Convention, séance du 4 septembre 1795.

[121] Les premiers bruits de la trahison de Toulon furent mentionnés par Billaud-Varenne, à la séance du 2 septembre.

[122] Compte rendu de Chaumette à la Convention, séance du 4 septembre 1793.

[123] Bulletin de ce qui s’est passé le 4 septembre 1793, emprunté par les auteurs de l’Histoire parlementaire, au n° CCXCIV du Républicain français, et au n° XCVI du Journal de la Montagne.

[124] Journal de la Montagne, n° XCVI.

[125] Histoire parlementaire, t. XXIX, p. 32.

[126] Moniteur, n° 249.

[127] Moniteur. — Pas un mot de ceci dans M. de Barante, quoique son livre soit une histoire spéciale de la Convention. Inutile de faire remarquer l’importance d’omissions pareilles.

[128] Voilà ce que M. Michelet affirme d’une part et suppose de l’autre. Ce qui est sûr, dit-il (liv. III, p. 271), c’est qu’on ne vit pas Robespierre le 5. C’est le contraire qui est sûr. L’erreur de M. Michelet vient sans doute de ce que, au lieu de recourir au compte rendu du Moniteur, qui est complet, il se sera arrêté à celui de l’Histoire parlementaire, qui ne l’est pas.

[129] Voyez les n° 250 et 251 du Moniteur.

[130] M. Michelet en fait honneur aux Dantonistes seuls : seconde erreur, suite de la première.

[131] Moniteur, n° 250.

[132] Moniteur, n° 250.

[133] Moniteur, n° 250.

[134] Pas un mot de tout cela dans le récit de M. Michelet. Le caractère de cette fameuse séance y est défiguré à tel point, que l’auteur va jusqu’à dire : Les Dantonistes étaient fort abattus. (Voyez liv. XIII, p. 276.)

[135] Journal de la Montagne, n" LXXIX.

[136] Moniteur, n° 250.

[137] Moniteur, n° 250.

[138] Moniteur, n° 250.

[139] Moniteur, n° 250.

[140] M. de Barante, qui n’oublie pas de citer la phrase de Drouet, oublie de citer la réponse de Thuriot.

[141] Moniteur, n° 250.

[142] Moniteur, n° 251. — Il est à remarquer que cette fameuse séance du 5 septembre 1793, M. Thiers la mentionne à peine ; et encore se trompe-t-il de date. (Voyez son Histoire de la Révolution, t. III, chap. IV, p. 188. Édition Méline.)

[143] Voyez pour ces diverses dispositions l’Histoire parlementaire, t. XXIX, p. 29-54.

[144] Histoire parlementaire, t. XXIX, p. 122.

[145] Histoire de France, par l’abbé de Montgaillard, t. IV, p. 87.

[146] Il est à remarquer, — et Montgaillard insiste sur ce point, — que cette arme révolutionnaire si acérée fut forgée, de concert avec Merlin (de Douai), par Cambacérès, devenu depuis, comme on sait, un des grands dignitaires de l’empire et un des soutiens de l’ordre.

[147] C’est ainsi que le qualifie M. Michelet, t. VI, p. 73, en rappelant cet épisode de la vie de Danton en termes d’une tristesse éloquente.

[148] Révélations puisées dans les cartons des Comités de salut public et de sûreté générale, par Senar, chap. XIV, p. 149. — Voyez, en outre, sur la composition et le mode de travail du Comité de salut public, les Mémoires sur Carnot, par son fils, t. I, p. 340-348. Paris, 1862.

[149] Histoire parlementaire, t. XXIX, p. 60.

[150] Mercier, le Nouveau Paris, chap. CLVIII, p. 194.

[151] Mercier, le Nouveau Paris, chap. CLVIII, p. 194.