HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

TOME HUITIÈME

LIVRE NEUVIÈME

 

CHAPITRE XI. — CHUTE DES GIRONDINS

 

 

Mécontentement des hommes de l'Évêché. — Réserve de la Commune. — Le lendemain du 31 mai à Paris. — Rapport mielleux de Barère — Séance levée de bonne heure ; l'agitation recommence. — Rôle secondaire du Comité de salut public ; dispositions de Danton. — Proposition faite par Garat. — Marat à l'Hôtel de Ville ; il sonne lui-même le tocsin. — Le recours au tocsin condamné par Chaumette. — Préparatifs de la Commune. — Dernier souper des Girondins réunis. — La femme de Louvet et la mère de Barbaroux. — Séance du soir à la Convention ; le côté droit désert. — Adresse violente présentée par la Commune. — Nobles paroles de Dussaulx. — Indulgent dédain de Marat. — Legendre propose l'arrestation de tous les appelants ; réponse de Cambon et de Barère. — Le rapport sur la pétition de la Commune renvoyé à trois jours. — La force armée qui entourait la Convention se retire. — Les Girondins réfugiés chez Meillan. — 2 juin, funèbres nouvelles : tout Paris debout et en armes. — Lanjuinais ; originalité de son rôle ; son intrépidité. — Scène de gladiateurs à la tribune. — Honorable élan de l'Assemblée. — Remarquable attitude de la Montagne. — Accueil morne fait à un discours de Levasseur. — Appareil terrible déployé autour de la Convention. — Les hommes de l'Évêché attaqués par le Comité de salut public, et écartés par la Commune. — Démissions volontaires demandées par Barère ; offertes par Isnard, Lanthenas, Fauchet ; refusées par Lanjuinais et Barbaroux. — Belle apostrophe de Lanjuinais à Chabot. — Orgueilleuse exclamation de Marat. — Pression du dehors. — Indignation de l'Assemblée, de la Montagne. — Vive sortie de Barère. — Moment de prostration. — La Convention errante et prisonnière. — Audace forcenée d'Henriot. — Lacroix déclare la liberté perdue et se met à pleurer. — Conduite ambiguë de Danton. — Tristesse de la Montagne. — Décret contre les Girondins. — Sensation produite par leur chute. — Jugement sur les Girondins. — Critique historique.

 

Le soir du 31 mai, Henriot avait écrit à la Société-Mère pour lui offrir ses services et lui demander si elle croyait la chose publique en sûreté[1]. C'était mettre la force armée à la réquisition des Jacobins. Le 31 mai venait effectivement d'attester leur puissance : ils y avaient vaincu du même coup, et la Gironde, par la suppression du Comité des Douze, et l'Évêché, par la substitution d'une pression morale à un sauvage attentat.

De là, parmi les meneurs du premier club central, une colère qu'ils ne prenaient même pas la peine de déguiser. A la Commune, Varlet ne cacha point qu'il regardait le 31 mai comme un avortement. Suivant lui, le maire étant revêtu d'une autorité légale, ne pouvait qu'entraver les opérations révolutionnaires, et l'on aurait dû le consigner dans sa maison. Il s'emporta jusqu'à accuser Dobsent, l'élu de l'Évêché, d'avoir manqué de vigueur[2].

Il est à remarquer que, dans cette circonstance, l'homme qui réfuta Varlet ce fut Hébert. Loin de ne voir dans le 31 mai qu'un effort stérile, Hébert proclama cette journée une des plus belles dont les républicains se pussent féliciter, et il déclara sans détour se réjouir d'une conduite si propre à prouver à la France entière que les Parisiens se fiaient moins à la force des armes qu'à la puissance de la raison[3].

Ce n'est pas que, dans le camp des ennemis de la Gironde, le triomphe fût jugé complet, même par le parti le moins violent. Qu'importait la suppression du Comité des Douze, si on laissait subsister ce qui lui avait donné naissance ? La Gironde était un obstacle qu'on rencontrerait toujours, à moins qu'on ne trouvât moyen de l'écarter une fois pour toutes. Il n'y a que la moitié de fait, avaient dit, au club des Jacobins, Chabot et Billaud Varenne ; il ne faut pas laisser au peuple le temps de se refroidir[4]. Cette opinion était celle de Pache, de Chaumette, d'Hébert, du club des Jacobins, du comité révolutionnaire des Onze. La difficulté ne portait donc que sur la question des moyens à employer, et l'idée d'une sorte d'insurrection légale demeurait l'idée dominante.

C'est dans cet esprit que fut rédigée, le 1er juin, à six heures du matin, par le Comité révolutionnaire, une proclamation adressée aux quarante-huit sections. Il y était dit : Citoyens, vos commissaires ont porté à vos délégués vos justes plaintes. Déjà nous avons obtenu un premier succès. La Convention a cassé la commission inquisitoriale des Douze, renvoyé à l'examen d'un comité la conduite des coupables, et confirmé l'arrêté de la Commune qui accorde quarante sous par jour aux ouvriers requis de prendre les armes en ces jours de crise. De plus, elle a déclaré que les sections ont bien mérité de la patrie : par ce qu'elle a fait hier, nous attendons ce qu'elle va faire aujourd'hui. Citoyens, restez debout[5]. On le voit : dans la pensée du Comité révolutionnaire, tout devait venir de la Convention elle-même, mais de la Convention votant sous les yeux du peuple armé. En d'autres termes, il s'agissait d'atteindre la Gironde, sans avoir l'air de passer sur le corps à l'Assemblée, et par voie d'intimidation seulement : dangereux calcul qui, pour faire paraître la Convention libre, commençait par l'asservir !

Au reste, quoique l'adresse ci-dessus cadrât, au fond, avec les vues du Conseil général, il en suspendit la publication, ne trouvant pas, porte le procès-verbal, qu'elle eût assez d'énergie[6]. En attendant, la ville se livrait à ses travaux ordinaires.

La matinée du 1er juin fut, à Paris, d'un calme profond. Les ateliers étaient en pleine activité ; chacun avait repris ses occupations ; à s'arrêter à la surface des choses, nul ne se fût douté qu'on touchât à une ébullition nouvelle[7].

D'un autre côté, rien de plus riant que le rapport lu, ce jour-là, par Barère à la Convention, touchant les événements de la veille.

Il y avait eu un mouvement dans Paris, mais pour couper court à quelques mesures trop rigoureuses. Les sections s'étaient levées en armes, mais avec quel ordre admirable elles s'étaient déployées, après avoir mis la sûreté des personnes et des propriétés sous la sauvegarde des bons républicains ! Le tocsin et le canon d'alarme avaient retenti, mais sans porter la terreur dans les âmes et sans étouffer le bruit des ateliers. Des pétitions, telles que les inspire et les excuse la fierté naturelle aux hommes libres, s'étaient produites à la barre de la Convention, mais son indépendance avait éclaté dans la chaleur de ses débats, et aucun des membres dont on prétendait la vie menacée n'avait couru de risque. De la part de la Convention, entourée d'un peuple aussi respectueux qu'énergique, tout s'était borné à préparer par l'honorable réparation des torts la réconciliation des cœurs[8].

C'est ainsi que le souple génie de Barère colorait les événements du 31 mai. Que de faux patriotes eussent poussé aux excès, il ne le niait pas ; et pourquoi en gémir, puisque la sagesse du peuple avait si bien déjoué leurs efforts ? Telle a été cette journée, disait le rapport comme conclusion ; elle a inspiré un instant des inquiétudes, mais tous ses résultats ont été heureux[9]. S'il en faut croire Durand de Maillane, ce rapport ne fut pas reçu sans murmures, et Louvet s'écria : Je m'oppose à l'impression et à l'envoi de ces mensonges[10]. Levasseur assure, au contraire, dans ses Mémoires, que les Girondins consentirent à l'adoption d'un document qui consacrait en termes si clairs la légitimité de la victoire remportée sur eux ; et ce consentement, il l'appelle un acte de faiblesse inconcevable[11].

Toujours est-il qu'aucun débat ne suivit, et la séance fut levée[12].

Or, comme il était encore de bonne heure, la Convention, en se séparant, semblait vouloir éviter des visites semblables à celles de la veille : on ne manqua pas d'en faire la remarque. Là-dessus, les soupçons s'allument ; la générale est battue dans les rues, par un mouvement tout spontané ; et l'agitation recommence[13].

Bien que condamné dans cette crise à un rôle secondaire, le Comité de salut public ne s'effaçait pas complètement : soit désir de satisfaire le peuple, soit espoir de l'apaiser, il eut l'idée de convoquer pour le soir une séance extraordinaire : circonstance dont ceux de la droite s'inquiétèrent. Nous en conçûmes du souci, raconte Meillan... Après en avoir conféré, Penières et moi, avec quelques amis, nous allâmes au Comité de salut public, où nous ne trouvâmes que Treilhard et Danton. Les autres étaient absents, ou renfermés dans un arrière-cabinet avec Danton, que j'en vis sortir un instant après. Treilhard et Danton nous écoutèrent à peine. Ils voulaient, disaient-ils, profiter d'un quart d'heure qui leur restait pour aller prendre l'air. Treilhard avoua cependant que la convocation pouvait avoir des dangers. Danton, répondant moins à ce que je lui disais, qu'entraîné par les idées qui roulaient dans sa tête : Il faut, dit-il, que l'un des deux côtés donne sa démission. Les choses ne peuvent plus aller ainsi. Nous avons envoyé chercher cette Commune, pour savoir ce qu'elle veut. Ces dernières paroles me persuadèrent que Danton commençait à redouter la municipalité. Je conçus aussitôt le projet de nourrir cette crainte et de faire servir les talents et le crédit de Danton à rétablir l'autorité de la représentation nationale... Je le pris par le bras, et le menant à l'écart : Danton, lui dis-je, ceci va mal et n'ira jamais bien, tant qu'un homme vigoureux ne se mettra pas à la tête. Il me regarde et me répond : Ils n'ont pas de confiance. — Je le sais ; mais si vous ne proposez que des choses raisonnables, la confiance renaîtra. Vous pouvez diriger le Comité et faire le bien. Il me regarde encore et répète : Ils n'ont pas de confiance. Alors il me quitte et va rejoindre Treilhard[14].

D'où il résulte : d'abord, que Danton ne comptait point parmi les meneurs et n'était pas même bien au courant de leurs projets ; ensuite, que les Girondins, moins prévenus contre lui, l'auraient eu aisément pour allié.

Autre circonstance non moins caractéristique :

A Athènes, troublée par les divisions d'Aristide et de Thémistocle, le premier s'était un jour écrié noblement : Ô Athéniens, vous ne pourrez être tranquilles et heureux, que lorsque vous nous aurez jetés, Thémistocle et moi, dans le baratre ! Garat, se rappelant ce trait, et émettant le vœu que ceux des deux côtés de la Convention, dont les haines mutuelles faisaient le plus scandale, se condamnassent à un ostracisme volontaire, Danton se leva les larmes aux yeux et s'écria : Je vais proposer cette idée à la Convention, et je m'offre le premier à aller en otage à Bordeaux. Delmas, Cambon, Barère, n'avaient point paru moins touchés. Mais, écrit Garat[15], Barère fut le seul qui fit la proposition à l'Assemblée, Lanthenas le seul qui se leva pour s'offrir à l'exil, et j'ai su depuis que cette idée, embrassée au Comité de salut public avec enthousiasme, mais communiquée imprudemment à la Convention, avant d'avoir été présentée avec la solennité de la tribune, fut couverte de mépris et de risée par Robespierre, comme un piège tendu aux patriotes.

De son côté, Marat poussait au mouvement de toutes ses forces. Vers cinq heures du soir, craignant sans doute quelque hésitation de la part de la Commune, il y court, se fait annoncer par le maire lui-même, et d'un ton sérieux qui contrastait avec le langage mêlé d'insolence et d'ironie dont il avait coutume de se servir dans la Convention, lorsqu'un peuple, dit-il, et un peuple libre, a confié son bonheur à une autorité constituée par lui, il doit, sans contredit, respecter les décrets de ses mandataires, ne les point troubler dans leurs délibérations, et les tenir pour inviolables dans l'exercice de leur mandat ; mais si ces représentants du peuple trahissent sa confiance, et mettent la chose publique en danger au lieu de la sauver, le peuple alors doit se sauver lui-même. Levez-vous donc, peuple souverain, présentez-vous à la Convention, lisez votre adresse, et ne désemparez de la barre, que vous n'ayez une réponse définitive, d'après laquelle vous, peuple souverain, vous agirez d'une manière conforme au maintien de vos lois et à la défense de vos intérêts. Voilà le conseil que j'avais à vous donner[16]. Il sort au milieu de vifs applaudissements[17], monte à l'horloge de l'Hôtel de Ville et se met lui-même à sonner le tocsin, plus résolu en cela que Chaumette, qui ne voulait pas de ces bruyants appels à la révolte, ne les jugeant bons qu'à fatiguer inutilement les citoyens[18].

Mais ils n'avaient attendu, ce soir-là, pour se lever, ni le son des cloches, ni le bruit du canon d'alarme. Déjà le rappel battait dans toutes les sections, et la force armée était sur pied[19].

La Commune ne songea plus qu'à mettre à profit cet élan. Informée par Pache des dispositions favorables du Comité de salut public[20], et de son dessein de convoquer pour le soir l'Assemblée, elle tenait toute prête une pétition impérieuse ; il fut décidé que cette pétition serait portée sur-le-champ à la Convention par dix-huit commissaires, dont six pris dans le Comité révolutionnaire, et douze dans le Conseil général[21]. Un contre-temps était à prévoir. Réunir les Parisiens, au moment de l'action, cela n'est pas difficile ; ce qu'il l'est, c'est de les retenir quand l'heure des repas les rappelle à leurs foyers. Comme le remarque très-bien Toulongeon[22], dès l'époque de la Fronde, le célèbre coadjuteur de Retz se plaignait fort de ce qu'on ne pouvait désheurer les Parisiens. Pour parer à cet inconvénient, la Commune arrêta que les sections seraient invitées à faire conduire à la suite de leurs bataillons des voitures chargées de vivres[23] ; et, afin de mieux soutenir le mouvement, il fut convenu que, dans la soirée, les officiers municipaux iraient, sous escorte, proclamer les décrets relatifs à la ville de Paris, engager les citoyens à conserver les droits reconquis par eux, et si ces droits étaient de nouveau attaqués, à reprendre les armes[24].

Pendant ce temps, Louvet réunissait les principaux Girondins, et, pour la dernière fois, ils allaient dîner ensemble. Dans la crise qui les enveloppait, que devaient-ils résoudre ? Telle fut naturellement la question qu'ils agitèrent pendant ce repas funèbre. Louvet opina vivement pour la fuite comme moyen de recommencer le combat. Nos ennemis, leur disait-il, sont ici maîtres de la force, et le sol se dérobe sous nos pas. Retourner à l'Assemblée ! Demeurer en otage entre les mains des Montagnards ! Non, non : cherchons pour ce soir quelque asile sûr, et, demain, partons. A Bordeaux, dans le Calvados, les insurgés prennent une attitude imposante : allons nous réunir sur l'un ou l'autre de ces deux champs de bataille. Il n'y a que l'insurrection départementale qui puisse sauver la France[25]... Le tocsin sonnait de toutes parts, tandis que Louvet parlait ainsi ; et les illustres convives savaient que Roland, menacé la veille d'être arrêté, avait dû s'évader ; que madame Roland était, en ce moment même, à l'Abbaye[26]. Lesage appuya Louvet ; mais Brissot, Vergniaud, Gensonné, Mainvielle, Valazé, Ducos, Duprat, Fonfrède, furent d'un avis contraire[27]. Survient la fausse nouvelle qu'on va mettre les scellés dans leurs domiciles respectifs. Ils se dispersèrent. Plusieurs se rendent dans un hôtel vaste et inhabité que Meillan occupait à peu de distance de la Convention[28]. Louvet va retrouver la femme qu'il aime, l'avertir : Lodoïska courut chercher la mère de Barbaroux, avec laquelle elle alla se réfugier chez une parente. C'est de là qu'elles entendirent, durant toute la soirée, le tocsin, la générale, et les cris des furieux qui demandaient nos têtes. Tremblante, désespérée, hors d'elle-même, la pauvre mère de mon digne ami poussait des gémissements sourds et tombait dans de longs évanouissements : On vous élèvera, s'écriait-elle, des hommes parfaits, pour que vous les égorgiez. Les yeux secs, mais le cœur déchiré, ma femme, craignant que je n'eusse pu gagner l'asile indiqué, n'attendait que la mort. En quelques heures, beaucoup de ses cheveux blanchirent[29].

Il était neuf heures du soir lorsque l'Assemblée ouvrit sa seconde séance. Ce n'était point sur la convocation du Comité de salut public qu'elle se réunissait, le Comité ayant à cet égard violé sa promesse, pour ne pas sembler favoriser, dit Cambon, tel ou tel parti qui se serait rendu plus tôt à son poste[30]. Grégoire, ex-président, occupait le fauteuil, et, quand la séance commença, il n'y avait qu'une centaine de membres dans la salle. Le côté droit était presque entièrement désert[31] : circonstance que Legendre releva en ces termes : Lorsqu'un vaisseau est en rade, et que le matelot voit que le vent est bon, il n'hésite pas à partir[32]. Et sans s'inquiéter des absents, l'Assemblée admit à sa barre la députation de la Commune.

L'adresse, telle que la lut Hassenfratz, ne faisait que reproduire avec redoublement de menaces une demande à laquelle chacun s'attendait. Seulement, la liste de ceux dont on voulait la mise en accusation se trouvait grossie : au lieu de vingt-deux coupables, on en désignait maintenant vingt-sept[33].

Dussaulx, se voyant compris dans ce nombre, s'en félicita d'une manière touchante et noble. Un tel honneur, s'écria-t-il, ajoutera, je l'espère, à la gloire que j'ai acquise en combattant, depuis deux ans, pour la liberté[34]. Mais, mieux que son courage, l'indulgent dédain de Ma- rat le protégea. Il y a trois hommes, dit l'Ami du peuple, — alors en train de se passer les fantaisies de la toute-puissance, — il y a trois hommes à rayer de la liste : Dussaulx, qui est un vieux radoteur ; Lanthenas, pauvre d'esprit, et Ducos, dont la grande jeunesse excuse les écarts[35].

Legendre eut l'audace d'avancer que tous ceux-là devaient être mis en état d'arrestation, qui avaient voté l'appel au peuple. Que cette motion monstrueuse eût été adoptée, c'en était fait de la liberté des opinions. Deux membres du Comité de salut public protestèrent. L'un, Cambon, déclara que personne n'oserait plus ouvrir la bouche, si pour avoir exprimé son sentiment, on lui faisait sauter la tête[36]. L'autre, Barère, montra qu'il ne pouvait convenir qu'à une nation avilie de recevoir une constitution dictée par la force. Il n'alla pas, toutefois, jusqu'à prendre la défense de la Gironde. Paris, dit-il, a eu raison de s'insurger, parce qu'on voulait établir une ligne de démarcation entre les départements et Paris, ce qui est vraiment un crime national[37]. Seulement, il fit observer que l'arrestation d'Hébert, en ce qu'elle présentait d'illégal, était moins imputable à ceux qui avaient donné l'ordre qu'à ceux qui l'avaient exécutés[38]. Sa conclusion fut que, si l'on poursuivait les députés dénoncés, ce devait être, non pour des opinions, mais pour des faits[39].

Sur quoi, l'Assemblée décréta que le Comité de salut public serait tenu de présenter, sous trois jours, un rapport concernant la pétition des autorités constituées de Paris[40].

Il était minuit et demi en ce moment[41]. Durant tout le temps de la séance, vingt mille hommes en armes étaient restés campés autour de la Convention ; et ils ne regagnèrent leurs foyers que vers une heure du matin, sur un ordre de la Commune[42]. Mais le tocsin ne cessa pas pour cela de retentir. L'ordre venait-il d'Henriot ? Mandé à l'Hôtel de Ville et interrogé, il affirma n'avoir donné aucun ordre ; mais, ajouta-t-il, le peuple est levé, et ne veut se rasseoir que lorsque les traîtres seront mis en état d'arrestation[43].

Le lendemain, en effet, dès la pointe du jour, toute la ville était sous les armes. Ceux des Girondins à qui Meillan avait offert chez lui un asile, sentaient bien que leur poste était à la Convention, face à face avec leurs ennemis, et qu'il fallait être debout devant le péril. Buzot, dont l'arrestation de madame Roland avait brisé le cœur, ne parlait que de mourir, et de mourir à la tribune. Mais, à force d'instances, Meillan parvint à retenir Pétion, Brissot, Guadet, Salles, Gensonné, qu'il ne tarda pas lui-même à quitter, leur promettant de les informer, d'heure en heure, de ce qui se passerait à l'Assemblée. Buzot fut retenu de force. Barbaroux, plus heureux, parvint à s'échapper, et courut illustrer, sur son banc, l'agonie de la Gironde[44].

Elle s'ouvrit d'une manière funèbre, cette funèbre séance du 2 juin 1793. Une lettre où le ministre Clavière, forcé de s'enfuir de sa maison pendant la nuit, réclamait la protection de la loi[45], disait assez que la crise touchait à son dénouement ! Infortunés Girondins ! quelle dure fatalité semblait peser sur eux ! Ce matin-là même, arrivent de cette Vendée dont ils avaient trop détourné les yeux, des dépêches où la Convention lit avec horreur : Le chef-lieu de notre département vient de tomber entre les mains des révoltés : notre artillerie, nos munitions, nos vivres, nos papiers, tout est perdu[46]. Puis sont produites d'autres dépêches, envoyées de la Lozère, et annonçant que la contrée est en feu ; que les révoltés sont déjà maîtres de Marvejols ; qu'ils vont l'être de Mende ; que le sang des patriotes coule[47]. Puis, ce qu'on avait ignoré jusque-là, voici qu'on l'apprend. Dans quelles circonstances, grand Dieu ! A Lyon, le pouvoir de la Gironde vient de se dresser sur un piédestal de huit cents patriotes égorgés. La terrible, la meurtrière nouvelle, c'est Jean-Bon Saint-André qui l'apporte, et il prononce ces mots : Il faut faire tomber toute tête qui s'opposera à l'établissement de la liberté[48].

Et aussitôt, sans laisser à l'émotion générale le temps de s'affaiblir, Lanjuinais montre à la tribune son pâle et ardent visage. Nul pour qui les dominateurs du jour eussent conçu plus de haine, tant il mettait d'obstination à les braver ! Royaliste au fond de l'âme, et catholique, il ne pouvait souffrir le dédain dans lequel la religion de ses pères était tombée[49]. Il ne frayait guère avec les Girondins, ne connaissait pas même de vue madame Roland[50], et ne partageait aucun des principes philosophiques de Guadet et de ses amis. Mais c'était une de ces natures violemment généreuses qu'un parti menacé attire, comme l'aimant attire le fer : il s'était placé au milieu des Girondins, pour avoir mieux les Montagnards devant lui. Sa première parole au sein d'une assemblée qu'environnaient, le 2 juin, quatre-vingt mille hommes, fut : Je demande à parler sur la générale qui bat dans Paris. Sans s'arrêter ni au mugissement des tribunes, ni aux interruptions passionnées de Thuriot, de Legendre, de Julien, de Billaud-Va- renne, il poursuivit, faisant honte à la Convention de son asservissement à une puissance rivale, s'étonnant que la Commune révoltée existât encore, couvrant de son mépris une pétition traînée dans la boue des rues, et plaignant Paris opprimé par des tyrans qui voulaient du sang et de la domination[51]. A ces mots, la fureur de la Montagne éclate : Descends, crie Legendre à l'orateur, ou je vais t'assommer. Lanjuinais se retourne, et froidement : Fais d'abord décréter que je suis bœuf. Il finissait à peine, qu'il se voit assailli par Turreau, Drouet, Chabot, Robespierre jeune, et plusieurs autres, armés de pistolets.

Legendre lui applique le sien sur la poitrine. De leur côté, des membres de la droite, Biroteau, Defermon, Leclerc, Lidon, Pénières, Pilastre, viennent à son secours, armés aussi de pistolets ; et une lutte s'engage autour de son corps, les uns le protégeant, les autres essayant de l'arracher à la tribune, à laquelle il s'était cramponné. Enfin, le tumulte s'apaise, les assaillants se retirent, et lui recommence à tonner contre la théorie des suspects[52].

Au moment même où il concluait à ce qu'on cassât les autorités révolutionnaires et à ce qu'il fût permis de courir sus à quiconque s'arrogerait un pouvoir contraire à la loi, la députation des autorités révolutionnaires et constituées du département de Paris fut annoncée. Délégués du peuple, dit l'orateur[53], les citoyens de Paris n'ont pas quitté leurs armes depuis quatre jours. Le peuple est las d'ajourner son bonheur... Sauvez-le, ou nous vous déclarons qu'il va se sauver lui-même.

C'était précisément la formule dont Marat s'était servi, à la Commune. La réponse du montagnard Mallarmé, qui présidait, fut calme et ferme. S'il y a des traîtres parmi nous, il faut qu'ils tombent sous le glaive de la loi ; mais avant de les punir, il faut prouver leurs crimes. La Convention examinera votre demande ; elle pèsera la mesure que sa sagesse lui commandera, et fera exécuter avec courage celle qui lui paraîtra nécessaire[54].

Le renvoi de la pétition au Comité de salut public est aussitôt décrété d'une voix unanime. Billaud-Varenne demandant que le rapport soit fait séance tenante, et plusieurs réclamant l'ordre du jour : L'ordre du jour, s'écrie Legendre, est de sauver la patrie. En même temps, les pétitionnaires, qui ont été admis aux honneurs de la séance, se lèvent comme indignés et sortent de la salle. Un mouvement se manifeste dans les tribunes. Le cri aux armes ! s'y fait entendre, et les hommes se précipitant au dehors, il n'y reste plus que les femmes[55]. Alors partit des bancs du Marais cette adjuration pusillanime : Sauvez le peuple de lui-même ; sauvez vos collègues, décrétez leur arrestation provisoire. Mais l'Assemblée n'avait pas encore subi une pression telle, que le sentiment de sa dignité se fût évanoui. Meillan et quelques autres membres, sortis pour aller en quelque sorte à la découverte, n'avaient rapporté du spectacle imposant déployé sous leurs yeux aucune impression sinistre. Ils avaient bien vu tout Paris en armes autour de la Convention, mais ils le croyaient prêt à se ranger du parti du courage ; et cette opinion, communiquée de proche en proche, avait élevé le niveau des cœurs[56]. A l'idée d'un décret de proscription dicté par la peur, la droite et une partie de la gauche se mettent à crier : Non, non ! et La Réveillère-Lépeaux : Nous irons tous en prison partager les fers de nos collègues[57].

Mais quoique les Montagnards eussent l'intention de défendre leurs adversaires contre toute violence, ils n'entendaient point laisser passer la séance sans tâcher d'obtenir l'expulsion de ceux des chefs du côté droit dont la présence dans la Convention leur paraissait incompatible avec le salut public[58]. Levasseur insista donc longuement pour qu'on appliquât aux principaux Girondins la loi des suspects, en les mettant en état d'arrestation[59]. Chose remarquable ! C'est ce que la Montagne voulait, elle le voulait avec ardeur ; et pourtant, elle hésita ici, comme si un secret instinct l'eût avertie qu'elle allait creuser son propre tombeau ! Le sentiment qui régna dans l'Assemblée après le discours de Levasseur fut, — il le déclare, — celui d'une stupeur morne. Nul ne l'appuya, nul ne demanda la parole. Pas de délibération. Seulement, de temps à autre, des députés se plaignaient d'avoir été insultés en essayant de sortir de la salle[60]. Le commandant du poste, appelé à la barre, avoua qu'en effet quelques femmes avaient obstrué les couloirs de droite, mais que, sur ses représentations, elles venaient de se retirer. Et Marat de s'écrier : Vous voyez bien que tout ceci est un stratagème pour abuser l'Assemblée et calomnier Paris ![61]

Nul doute, cependant, que l'appareil déployé autour de l'Assemblée ne fût formidable. Les citoyens sous les armes étaient au nombre de près de cent mille, dont trois mille canonniers avec cent soixante-trois pièces d'artillerie[62]. Le Comité révolutionnaire avait fait venir des environs divers détachements, parmi lesquels les hussards de la légion de Rozenthal. Le mot d'ordre était Insurrection et vigueur[63]. On assurait, en outre, dans l'Assemblée, qu'un corps de réserve campait au bois de Boulogne ; qu'un parc d'artillerie était établi aux Champs-Élysées, avec canons, bombes, obus, barriques de charbon, grils à rougir les boulets[64] ; et quelque improbable que fût ce luxe de précautions menaçantes, les imaginations, frappées, y croyaient.

Le Comité de salut public ne fut pas sans s'inquiéter des suites. De tous les membres qui le composaient, Lacroix était le seul qui parût les affronter froidement. Danton flottait en proie à une incertitude misérable. Quant à Barère, Bréard, Cambon, Delmas, Treilhard, l'abaissement de la Convention les révoltait[65]. Convaincus que le Comité révolutionnaire renfermait des éléments dangereux, ils envoyèrent demander à la Commune qu'on le renouvelât, et promptement : désir auquel la Commune s'empressa d'acquiescer, en arrêtant que ceux-là seuls formeraient le Comité révolutionnaire, qui avaient été nommés par les autorités constituées du département[66]. C'était arracher leur part dans la direction du mouvement aux hommes de l'Évêché. Le Comité de salut public n'alla pas, néanmoins, jusqu'à tenter de couvrir de sa protection les membres de la Gironde désignés par les orateurs sectionnaires. Conduit à rédiger sur-le-champ, vu l'urgence, le rapport que, d'après le vote de la veille, il ne devait présenter que dans un délai de trois jours, il essaye d'un compromis ; et Barère court lire à la Convention un projet de décret qui invite les membres dénoncés à se suspendre volontairement de leurs fonctions[67].

Aussitôt Isnard, Lanthenas, Fauchet, déclarent consentir à ce sacrifice, si le bien de la patrie l'exige. Mais Lanjuinais : N'attendez de moi ni démission, ni suspension. Les sacrifices ! Ils doivent être libres, et vous ne l'êtes pas ! A son tour, Barbaroux se lève, et, non moins ferme que le rude Breton : J'ai juré, dit-il, de mourir à mon poste, et je tiendrai mon serment. D'outrageantes paroles étant parties des bancs de la Montagne, Lanjuinais, l'œil fixé sur Chabot, qui les avait proférées, les relève en ces termes : Je dis au prêtre Chabot : on a vu, dans l'antiquité, orner les victimes de fleurs et de bandelettes ; mais le prêtre qui les immolait ne les insultait pas[68]. Marat : Je désapprouve la mesure proposée par le Comité. Il faut être pur pour faire des sacrifices à la patrie ; c'est à moi, vrai martyr de la liberté, à me dévouer. Billaud-Varenne a joute : Innocents, qu'ils restent ; coupables, qu'ils soient punis[69]. Et il conclut au décret d'accusation par appel nominal motivé[70]. C'était ainsi que les Girondins avaient procédé contre Marat. Cet horrible glaive de la proscription, eux-mêmes l'avaient tiré du fourreau ; et maintenant qu'ils n'en avaient plus la poignée dans la main, on leur en portait la pointe à la gorge !

De vives rumeurs interrompirent le débat. Une seconde fois, les issues de la salle sont gardées. Des députés qui voulaient sortir ont été repoussés brutalement. Dussaulx se plaint d'avoir été frappé : on l'accuse d'imposture[71]. Boissy d'Anglas vient montrer à la tribune sa cravate et sa chemise en lambeaux[72]. Lacroix lui-même, Lacroix s'était vu barrer le chemin. Ce ne fut, dans toute l'Assemblée, qu'un cri d'indignation. Comme ceux de la droite, ceux de la gauche étaient profondément irrités. Lacroix veut qu'avant la nuit venue, l'auteur de la consigne ait la tête tranchée, et la Montagne l'appuie[73]. Mandé sur-le-champ, le commandant du poste déclare que, loin d'avoir donné une semblable consigne, il a été consigné avec ses officiers par des gens à moustaches qui se sont emparés des postes[74].

Barère : Ce n'est point à des esclaves à faire des lois... Des tyrans nouveaux veillent sur nous ; leur consigne nous entoure... La Commune ! elle a dans son sein des hommes du moral desquels je ne voudrais pas répondre. Le mouvement dont nous sommes menacés appartient à Londres, à Madrid, à Berlin... Un des membres du comité révolutionnaire, Gusman, est un Espagnol... Peuple, on vous trahit. Un prince anglais occupe le camp de Famars, et ses émissaires sont au milieu de vous... Il faut que la tête de l'audacieux qui oserait attenter à la liberté des représentants du peuple, tombe[75].

Est-il vrai que, dans ce moment, un militaire à cheval allait autour de l'Assemblée, distribuant à ceux qui la cernaient des assignats de cinq livres ? Barère venait de l'affirmer, à la tribune, et, dans son récit des événements du 2 juin, Lanjuinais dit formellement : Je l'ai vu. Il dit encore, mais ceci sur la foi d'un autre : Le maire Pache avait fourni, pour ces journées, cent cinquante mille francs destinés aux colons de Saint-Domingue[76]. Reste à savoir si ces distributions d'argent, sur la nature desquelles il était si facile de se méprendre, n'étaient pas tout simplement la mise à exécution de l'arrêté qui avait garanti une paye aux ouvriers sous les armes, arrêté pris par la Commune et ratifié par la Convention.

Quoi qu'il en soit, l'Assemblée était vraiment prisonnière, et elle ne pouvait rester dans cet état sans s'avilir. Sur la motion de Lacroix, elle casse l'insolente consigne ; et, sur la motion de Danton, qui promet de venger vigoureusement la majesté nationale outragée, elle charge le Comité de salut public de remonter à la source de l'ordre. La source était la section de Bon-Conseil, et l'auteur de la consigne, un capitaine nommé Lesain. C'est ce dont le député Saurine informa l'Assemblée, qui sur-le-champ manda l'officier à la barre[77].

Mais il semble que la Convention, ce jour-là, fût destinée à donner un exemple à jamais mémorable de la mobilité des impressions qui peuvent, à de certaines heures tragiques, se disputer une grande assemblée. L'ordre avait été envoyé à Henriot de venir exposer les motifs du rassemblement extraordinaire de troupes qu'il commandait, et Henriot ne paraissait pas[78]. La séance se prolongeant, un sentiment de douloureuse fatigue avait succédé bien vite à la colère. Hors cinq ou six hommes d'action, parmi lesquels ne se trouvait aucun ami de Danton, la Montagne partageait la consternation du côté droit[79]. Mallarmé quitta le fauteuil de lassitude, et Hérault de Séchelles, qui l'avait remplacé, présidait silencieusement une assemblée muette[80]. Tout à coup, de nouvelles clameurs annonçant la continuité d'une oppression désormais impossible à endurer, Barère propose à ses collègues de se rendre en corps au milieu du peuple armé, de manière à s'assurer qu'ils n'ont rien à craindre de lui, et à témoigner leur confiance dans la loyauté des Parisiens : Ce qui fut ainsi arrangé, explique Durand de Maillane, pour sauver à la Convention et à son autorité l'affront que venait de lui faire le commandant général, en refusant de venir lui apprendre pourquoi ce grand rassemblement de troupes à ses ordres circonvenait la salle d'assemblée[81].

La motion de Barère adoptée, Hérault de Séchelles descend du fauteuil, et d'un pas solennel ouvre la marche. La Droite et la Plaine le suivent : la Montagne paraît hésiter, retenue qu'elle est par les cris de plusieurs femmes qui s'élançaient à mi-corps des tribunes pour l'engager à ne point sortir[82]. Cependant, soit entraînement de l'exemple, soit inspiration du courage, elle se décide. Seuls, les Maratistes demeurent à leur place, le visage impassible, et immobiles.

La vue des députés marchant tête nue derrière le président, qui s'était couvert en signe de deuil[83] ; l'imprévu de la démarche ; l'incertitude du dénouement ; le palais de la loi transformé en une forteresse qu'on assiège, et les législateurs de la France s'avançant comme une garnison qui capitule ; la cour du château remplie d'armes, de chevaux, de canons ; aussi loin que la vue pouvait s'étendre, une immense forêt flottante de baïonnettes, et, planant sur toute cette scène, un grand souvenir funèbre, celui d'une promenade semblable de Louis XVI, dans la matinée du 10 août. Quel sujet de méditations, et quel spectacle !

Parvenue jusqu'à la porte d'entrée qui aboutit à la cour, du côté du Carrousel, la Convention s'arrête. Là était l'état-major à panaches que commandait Henriot. Hérault de Séchelles proclame le décret portant la levée des consignes et l'injonction à la force armée de se retirer : c'est en vain. Alors, avec l'accent de la douleur et du reproche : Que veut le peuple ? dit le président ; la Convention ne s'occupe que de son bonheur. — Le peuple, répond Henriot, ne s'est pas levé pour écouter des phrases, mais pour donner des ordres. Il veut qu'on lui livre trente-quatre coupables[84]. D'après le récit de Lanjuinais, il dit, en enfonçant son chapeau d'une main et en tirant son sabre de l'autre : Vous n'avez point d'ordres à donner. Retournez à votre poste, et livrez les députés que le peuple demande[85]. Ceux qui entouraient le président s'écrièrent : Qu'on nous livre tous ! Lacroix dit : Plus de ressource, la liberté est perdue ; et il se mit à pleurer[86]. Henriot fait reculer son cheval de quelques pas, et d'une voix tonnante : Canonniers, à vos pièces ![87] Or, l'homme qui osait traiter ainsi une assemblée, terreur de l'Europe entière, qui était-il ? Le fils d'un pauvre habitant de Nanterre, un ancien domestique que son maître avait cassé aux gages, un ex-commis aux barrières, compromis pour avoir aidé à les brûler[88]. Peut-être eût-il pâli, s'il lui avait fallu passer de la menace à l'attentat ; mais les cavaliers qui l'entouraient avaient mis le sabre hors du fourreau, les fantassins abaissé leurs fusils, les canonniers saisi la mèche[89]. Quelqu'un prend Hérault par le bras, et l'entraîne vers un autre groupe dont l'attitude n'avait rien de menaçant. La Convention revient sur ses pas, repasse sous le pavillon de l'Horloge, entre dans le jardin. Elle y fut accueillie gracieusement[90] par les troupes. Le cri dominant était : Vive la Convention ! Il y en avait qui criaient : Vive la Montagne ! d'autres, en plus petit nombre : A la guillotine Brissot, Guadet, Vergniaud, Gensonné ! D'autres : Purgez la Convention ! Tirez le mauvais sang ! Hélas ! nul ne cria : Vive la Gironde ![91]

Pendant que l'Assemblée traversait le jardin, quelques-uns de ses membres étant montés sur le parapet, pour voir ce qui se passait au dehors, aperçurent le long du quai des corps nombreux de citoyens armés, dont la contenance inquiète les frappa. Ils faisaient signe aux députés de les aller joindre. Mais quand ceux-ci arrivèrent au pont Tournant, ils trouvèrent le passage fermé[92]. C'est en ce moment que Marat parut, suivi d'une foule d'hommes armés[93], selon les uns, et selon d'autres, d'une vingtaine d'enfants déguenillés[94]. Il criait : Que les députés fidèles retournent à leur poste[95]. L'Assemblée n'avait pas à choisir : elle reprit la route du palais des Tuileries, où elle rentra, pouvant dire ce que Marie-Antoinette, découragée, avait dit en y voyant rentrer Louis XVI, le matin du 10 août : Cette espèce de revue a fait plus de mal que de bien.

A quoi s'attendre, en effet, après l'acte d'audace forcenée où s'était emporté Henriot ? Et quant aux vivats dont la Convention venait d'être saluée au passage, que signifiaient- ils, sinon que sa popularité était au prix des Girondins sacrifiés et de sa dignité compromise ? Elle avait dans son sein un homme qui eût pu la sauver des périls d'une résolution héroïque en la lui conseillant bien haut ; et cet homme, c'était Danton. Mais Danton, en cette circonstance, se montra faible à l'excès, et plus que faible s'il est vrai que sa conduite, ce jour-là, ait autorisé l'apostrophe terrible que, quelques mois après, lui lança Saint-Just : Tu vis avec horreur la révolution du 31 mai. Hérault, Lacroix et toi, demandâtes la tête d'Henriot qui avait servi la liberté, et vous lui files un crime du mouvement qu'il avait fait pour échapper à un acte d'oppression de votre part. Ici, Danton, tu déployas ton hypocrisie : n'ayant pu consommer ton projet, tu dissimulas ta fureur ; tu regardas Henriot en riant, et tu lui dis : n'aie pas peur, va toujours ton train, voulant lui faire entendre que tu avais l'air de le blâmer par bienséance, mais qu'au fond tu étais de son avis. Un moment après, tu l'abordas à la buvette, lui présentas un verre d'un air caressant, en lui disant : point de rancune[96].

La séance fut reprise, sous l'empire d'une tristesse poignante, dont les Montagnards eux-mêmes ne se pouvaient défendre. Au fond, leur propre victoire les humiliait et les alarmait, parce qu'ils l'avaient moins remportée que subie.

Vainement Couthon essaya-t-il d'écarter cette pensée importune, en s'écriant : Les membres de la Convention doivent être maintenant rassurés sur leur liberté : vous avez marché vers le peuple ; partout vous l'avez trouvé bon, généreux, incapable d'attenter à la sûreté de ses mandataires, un tel langage n'eut d'autre effet que d'exciter un étonnement mêlé d'indignation[97] ; et lorsque Couthon en vint à demander, non pas un décret d'accusation contre les membres dénoncés, mais leur arrestation provisoire[98] ; Vergniaud, qui l'écoutait avec un sourire violent, l'interrompit en ces termes : Donnez un verre de sang à Couthon, il a soif[99].

On lut la liste des députés à proscrire, on discuta divers noms. Marat, comme s'il eût exercé le pouvoir souverain, indiquait tantôt des retranchements, tantôt des augmentations[100]. De concert avec Couthon, il fit excepter du décret fatal Ducos, Dussaulx et Lanthenas. Sur l'observation de Legendre, on effaça aussi les noms de Saint-Martin et de Fonfrède, qui s'étaient opposés aux mandats d'arrêt émanés de la commission des Douze[101]. Qui l'aurait jamais cru ?

Devant le nom de Lanjuinais, la Montagne eut un moment d'hésitation. Pourquoi Lanjuinais sur la liste ? demandait Chabot : deux Montagnards répondirent : Lanjuinais ! catholique, catholique, catholique ![102]

On mit aux voix le décret suivant :

La Convention nationale décrète que les députés, ci-après nommés, seront mis en état d'arrestation chez eux, où ils resteront sous la sauvegarde du peuple français, de la Convention nationale, et de la loyauté des citoyens de Paris.

Ces députés sont :

Gensonné, Guadet, Brissot, Gorsas, Pétion, Vergniaud, Salles, Barbaroux, Chambon, Buzot, Biroteau, Lidon, Rabaut-Saint-Étienne, Lasource, Lanjuinais, Grangeneuve, Lehardy, Lesage, Louvet, Valazé, Kerveleguen, Gardien, Boileau, Bertrand, Vigée, Mollevault, Henry Larivière, Gomaire, Bergœing.

Seront également mis en état d'arrestation chez eux les citoyens Clavière, ministre des contributions publiques, et Lebrun, ministre des affaires étrangères[103].

 

Comme Isnard et Fauchet s'étaient volontairement suspendus de leurs fonctions, il avait été décidé qu'on ne les mettrait pas en état d'arrestation, mais seulement qu'il leur serait défendu de sortir de la ville de Paris[104].

Un instant, et il fut bien court, l'Assemblée parut flotter incertaine. Mais la Plaine était intimidée, et la Montagne se sentait perdue, si elle reculait. Un mot trancha la situation. Quelqu'un s'étant écrié : Il vaut mieux se dispenser de voter que trahir son devoir[105], tous ceux qui luttaient contre le trouble de leur cœur s'efforcèrent de voir dans ce misérable expédient un motif légitime de s'abstenir, et le décret passa.

Mais la nécessité de masquer la violence faite à l'Assemblée parlait si vivement aux Montagnards, que le procès-verbal, rédigé par Durand de Maillane, fut corrigé par Thuriot, et, en ce qui concernait la pression du dehors, modifié[106].

D'autre part, Durand de Maillane reçut, aussitôt le décret rendu, plusieurs protestations qu'il eut soin de recueillir sur une feuille volante, prévoyant bien que les signataires ne tarderaient pas à le prier de la brûler, ce qui eut lieu effectivement.

A la fin de la séance, une lettre fut remise au président : elle portait : Le peuple entier du département de Paris nous députe vers vous, citoyens législateurs, pour vous dire que le décret que vous venez de rendre est le salut de la République ; nous venons vous offrir de nous constituer en otages en nombre égal à celui des députés dont l'Assemblée a ordonné l'arrestation, pour répondre à leurs départements de leur sûreté[107].

Cette idée d'offrir des otages à la Convention avait été soumise, dans la journée, au conseil de la Commune, qui, sur les observations de Chaumette, l'avait repoussée[108].

Reproduite malgré cela au sein de l'Assemblée, elle y provoqua cette belle déclaration de Barbaroux : Mes otages sont la pureté de ma conscience, et la loyauté du peuple de Paris, entre les mains duquel je remets mon sort[109].

Le Girondin Meillan écrit : Les Montagnards sortirent les premiers... Nous voulûmes, selon notre usage, sortir par la porte opposée : elle était consignée... Je cours au président. C'était Mallarmé qui avait repris le fauteuil... Je me plains. Il me répond, en feignant de chercher des papiers, et sans me regarder, qu'il ne se mêlait pas de ça. Et qui donc devait s'en mêler ? Arrive un huissier de la salle, qui nous prie d'attendre quelques minutes, parce que, dit-il ingénument, on est allé chercher à la Commune l'ordre de lever la consigne. Il vint un quart d'heure après, et nous eûmes la liberté de nous retirer[110].

Le Montagnard Levasseur écrit : Nous nous séparâmes l'âme navrée[111]...

Et l'impression produite sur les membres du Comité de salut public ne fut pas moins douloureuse. Bréard, à qui un accès de goutte permettait à peine de se traîner, était sorti de la Convention pour venir annoncer à ses collègues qu'elle était en proie à des scélérats. Barère ne cessait de dire : Il faudra voir si c'est la Commune de Paris qui représente la République française, ou si c'est la Convention. Cambon apostropha rudement Bouchotte sur ce que des employés du ministère de la guerre étaient parmi les meneurs. Lacroix paraissait embarrassé, Danton inquiet et honteux[112]. Garat prit une plume, et, sur la table du conseil exécutif, écrivit sa démission, qu'il ne retira que sur les instances de Ducos et de Condorcet[113].

Ainsi qu'il était naturel de s'y attendre, tout autres furent les sentiments manifestés par la Commune ; et, pour lier à la chute des Girondins l'adoption des énergiques mesures par eux entravées ou combattues, elle arrêta, dans la nuit même, que le décret fixant le maximum du prix des grains serait mis à exécution sans retard ; qu'il serait procédé immédiatement à l'armement des citoyens ; que l'emprunt forcé serait prélevé, et l'armée révolutionnaire organisée[114].

Aucune rigueur, du reste, ne fut déployée à l'égard des députés décrétés d'arrestation. Gardés chez eux, ils eurent la faculté de circuler dans Paris, accompagnés d'un gendarme, à la charge de le nourrir ; et on leur continua l'indemnité de dix-huit francs par jour allouée à chaque membre de la Convention[115].

Ainsi tomba ce parti de la Gironde, si grand par l'enthousiasme, l'éloquence et le courage. Attiré vers le côté lumineux des choses nouvelles, dont le charme s'associait dans leur esprit aux plus beaux souvenirs de l'antiquité, et saisissant le pouvoir de haute lutte, ils s'en servirent pour accabler les nobles, proscrire les prêtres, saper le trône, mettre à la mode le bonnet rouge, encourager au sans-culottisme, et braver l'Europe.

Ayant de la sorte déchaîné la révolution, ils se crurent la force de la conduire ; eux qui étaient d'élégants, d'admirables artistes, ils se parèrent fastueusement du titre d'hommes d'État. Fiers de leur puissance dans les joutes oratoires, ils prétendirent à dominer sans partage, et quand ils virent leur influence contrebalancée par des hommes de génie dont ils n'avaient point soupçonné la profondeur, ils en conçurent un étonnement orgueilleux, qui se changea bientôt en colère.

Alors commença de leur part contre leurs émules en révolution une guerre qui concentra toute l'énergie de leur âme et absorba toutes leurs pensées ; alors s'ouvrit l'ère de ces attaques personnelles qui allaient faire de la Convention une arène de gladiateurs. Le premier, Isnard avait proclamé la noire théorie des suspects ; le premier, Guadet avait prononcé, du haut de la tribune, le mot échafaud ; et Louvet fut le premier qui donna le signal des réquisitoires substitués à la discussion des lois : Robespierre, je t'accuse, etc. !

Des deux côtés, il y eut injustice et fureur, mais avec cette différence que les Montagnards avaient tout fait pour éviter la lutte, et les Girondins tout fait, au contraire, pour l'engager.

Au tort de l'agression, les derniers joignirent celui de mal choisir le terrain du combat. Poursuivre dans Robespierre et Danton le crime de dictature était insensé ; et quant aux journées de septembre, pourquoi cet acharnement à dénoncer comme une machination de parti ce qui ne fut si évidemment que le coup d'État de la démence populaire ? Remuer sans cesse ni merci ce souvenir sanglant, c'était trop rappeler que la modération des Girondins datait du déclin de leur influence ; qu'eux-mêmes avaient demandé l'oubli pour les assassinats de la Glacière ; qu'aucun d'eux n'était allé, en septembre, se jeter entre les meurtriers et les victimes ; que le côté droit de l'Assemblée, comme le côté gauche, était resté muet, immobile, au sein de Paris plein de funérailles ; qu'Isnard, envoyé à l'Abbaye, en était revenu sans avoir proféré une parole ; que Roland, le lendemain du massacre, l'avait presque amnistié, en le déplorant, et que Vergniaud avait protesté bien tard, lorsqu'il n'y avait déjà plus rien à faire pour les bourreaux ni pour le fossoyeur.

Encore si les Girondins avaient partagé leurs préoccupations entre leurs ennemis et ceux de la République ! Mais non : tandis que moins ardente à se défendre qu'à sauver la Révolution en péril, la Montagne lançait ses commissaires sur toutes les routes, embrasait les provinces de son souffle, faisait hâter le pas aux armées, frappait l'emprunt forcé, prenait les accapareurs à la gorge, établissait le maximum, et poussait sur la Vendée royaliste des légions de volontaires frémissants, les Girondins n'entretenaient l'opinion que de leurs dangers personnels, des poignards dont ils se disaient entourés, du nombre de leurs partisans ou de leurs vengeurs ; et ils agissaient comme s'ils eussent tout oublié, et la misère du peuple, et la Vendée, et l'Angleterre, et la ligue des rois, pour ne voir, pour n'atteindre qu'un ennemi : la Montagne !

Arrivés à ce point, ils se rencontraient avec les royalistes, qui, en les appuyant, achevèrent de les perdre.

Puis, parce qu'autour d'eux, contre eux, Paris grondait, ils le firent tourmenter par douze des leurs, le fatiguèrent de menaces, l'irritèrent par l'anathème, le mirent à moitié chemin de la guerre civile. Tout fut dit. Et, pour comble de malheur, eux-mêmes ils se trouvaient avoir enseigné à leurs ennemis la manière de les frapper ; car ils avaient décrié l'inviolabilité parlementaire dans la personne du duc d'Orléans, et l'avaient foulée aux pieds dans celle de Marat !

Ils tombèrent donc ; mais ils eurent cette gloire de réduire les vainqueurs à parler en ces termes de leur triomphe : Ce n'est pas nous qui avions fait naître une guerre qui ne pouvait se terminer que par la mort. Placés, malgré nous, sur la brèche, il nous avait fallu attaquer pour nous défendre. Hélas ! ils l'avaient voulu[116]. Oui, elle avait servi une si noble cause, cette illustre et infortunée Gironde, elle avait prononcé des paroles si généreuses, et déployé, en dépit de ses fautes, tant de grâce, tant d'héroïsme, que le jour où ils l'aperçurent gisant à terre, ses ennemis, le visage pâle, le cœur troublé, se penchèrent sur elle, sans bien savoir s'ils ne devaient pas, au lieu de lui porter le dernier coup, la relever. Quelles fautes nouvelles, et plus coupables, étouffèrent à son égard la miséricorde, cet idéal de la justice ? Les dire est notre douleur presque plus encore que notre devoir. Mais quoi ! A de tels hommes, comme expiation de leurs erreurs... l'échafaud ! Ah ! la Révolution, qu'ils condamnèrent à les tuer, portera leur deuil à jamais[117] !

 

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Nous avons déjà dit que, pour relever une à une toutes les erreurs propagées par les divers historiens de la Révolution française, un ouvrage à part ne suffirait pas. Cet ouvrage de critique historique, peut-être nous sera-t-il donné un jour de l'entreprendre : rien ne saurait être plus instructif et plus curieux.

La chute des Girondins, on le devine, n'a pas été racontée avec plus d'exactitude que tous les autres grands événements de la Révolution. Sans parler ici de M. de Lamartine, qui n'a certainement pas entendu qu'on prît pour un livre d'histoire le magnifique poème épique, en prose, que lui ont inspiré les Girondins, dans quel historien trouver, sur leur chute et ses causes, un récit qui n'ait rien inventé, rien exagéré, rien défiguré, ou rien omis ? Ce fait, que les Girondins furent les seuls artisans de leur ruine ; que l'agression vint d'eux, et toujours d'eux ; qu'ils voulurent éperdument la guerre qui les dévora ; qu'ils ne laissèrent pas de choix à la Montagne entre les écraser ou périr, et que la Montagne ne les frappa qu'avec douleur, par nécessité, pour se sauver et sauver la Révolution ; ce fait, si capital, si tragique, si plein d'enseignement, où avait-il été mis jusqu'à ce jour en pleine lumière, et développé historiquement de façon à dominer le récit de la chute des Girondins ?

Un exemple pris au hasard, et dans un auteur d'un mérite éminent, va donner une idée du soin minutieux que réclament les investigations historiques, surtout de la part de ceux qui sont portés à se livrer avec trop de complaisance au dangereux système des inductions.

M. Michelet, — liv. X, chap. XI, p. 574-577, — fait figurer parmi les circonstances fatales à la Gironde la haine que, selon lui, les prêtres de la Convention lui portaient, ce qui tend à représenter les Girondins comme des martyrs de la philosophie.

Or, cet aperçu dont rien, dans les documents de l'époque, n'établit la justesse, demande d'autant mieux à être examiné, qu'il semble se lier, sous la plume de M. Michelet, à je ne sais quelle conformité de tendances entre, — qui l'aurait jamais cru ? — les Jacobins et les prêtres. Ainsi, M. Michelet a grand soin de faire ressortir qu'il y avait maint évêque sur les bancs de la Montagne ; et que l'évêque Audrein sortit de la salle, furieux, le jour où Jacob Dupont se proclama athée ; et que cet Audrein avait été justement le professeur de Robespierre : ne voilà-t-il pas une démonstration bien concluante ? Mais ceci n'est rien encore auprès de ce qui suit. C'est le rôle du prêtre Durand de Maillane qui fournit à M. Michelet ses preuves les plus décisives. Il rappelle que ce prêtre fut le rédacteur du honteux procès-verbal du 2 juin et qu'il le laissa falsifier ; il rappelle que Durand de Maillane fut mis en fureur par ces paroles qu'un beau jour prononça Vergniaud : Nous n'avons nul besoin de fraude, ni de la nymphe de Numa, ni du pigeon de Mahomet, ce qui lui fit voir que le parti girondin était encore plus impie que celui de Robespierre. Enfin, il écrit en propres termes : Nous avons vu plus haut la prudence de Durand de Maillane, prêtre et député de la droite. Robespierre lui avait fait dire : La sûreté est à gauche. Durand, qui dans ses Mémoires est plus Girondin que la Gironde — jusqu'à louer le blasphème d'Isnard contre Paris —, Durand n'en suivit pas moins le conseil de Robespierre : il siégea à droite, mais vota à gauche. On l'a vu, dans la question de l'instruction publique, où, se séparant bravement des impies (fort en danger), il parla avec force contre la philosophie, fit profession d'être un bon prêtre, un bon Jacobin.

Ces derniers mots, c'est M. Michelet lui-même qui les souligne.

Or, en premier lieu, il est étrange que M. Michelet fasse intervenir à l'appui de sa thèse un homme qu'il déclare plus Girondin dans ses Mémoires que les Girondins.

D'un autre côté, où M. Michelet a-t-il vu que, dans la question de l'instruction publique, Durand de Maillane fit profession d'être un bon prêtre, un bon Jacobin ? Ainsi que les auteurs de l'Histoire parlementaire, nous avons cherché le discours de Durand de Maillane partout et nous ne l'avons trouvé reproduit nulle part. Le Patriote français, n° 1221, se contente de qualifier ce discours une véhémente diatribe contre les lumières et les lettres. Le Courrier de Gorsas le dénonce à un point de vue analogue. Le Moniteur en parle comme d'une censure dirigée contre les- prétentions philosophiques de l'enseignement dont on voulait nourrir la jeunesse. Enfin, l'Histoire parlementaire ne peut que citer — voyez t. XXII, p. 255 et 256 — le Patriote français, le Courrier et le Moniteur. Encore une fois, où M. Michelet a-t-il vu que, dans une harangue que lui-même ne reproduit pas, Durand de Maillane fit profession d'être un bon prêtre, un bon Jacobin ?

Mais à quoi bon insister ? cette double profession de foi, Durand de Maillane ne l'a jamais faite, par la raison bien simple que c'est impossible. Car le lien qui unissait les Jacobins et les prêtres, prouvé par le rapprochement ci-dessus, souligné ; la haine particulière des prêtres pour les Girondins, prouvée par l'horreur que certaines paroles de Vergniaud inspirèrent à Durand de Maillane ; la tendresse secrète de Robespierre pour les prêtres, prouvée par l'avertissement officieux que Durand de Maillane reçut de lui : La sûreté est à gauche, tout cela se trouve reposer, faut-il le dire ? sur une erreur matérielle, qui, très-peu importante en soi, à cause du rôle obscur et nul de Durand de Maillane dans la Révolution, acquiert néanmoins beaucoup de gravité, dès qu'on la donne pour base à un échafaudage tel que celui que nous venons de décrire. Cet échafaudage, un mot, un seul ; et le voilà qui s'écroule : Durand de Maillane était un jurisconsulte, et non pas un prêtre ! — Voyez à cet égard sa notice biographique, placée en tète de son Histoire de la Convention nationale.

Nous n'irons pas plus loin : notre cadre s'y oppose. Mais que le lecteur qui veut s'instruire rapproche les divers récits, et compare ! Pour notre compte, nous n'avons rien négligé pour le mettre en état, au moyen de l'indication des sources, d'arriver à la connaissance de la vérité.

 

 

 



[1] Histoire de France, par Toulongeon, t. II, septième époque, p. 252, in-4°. An XII.

[2] Commune, procès-verbal du 1er juin 1793.

[3] Commune, procès-verbal du 1er juin 1793.

[4] Toulongeon, Histoire de France, t. II, septième époque, p. 252.

[5] Commune, procès-verbal du 1er juin 1793.

[6] Commune, procès-verbal du 1er juin 1793.

[7] Récit de la Chronique de Paris. — Mémoires de Garat.

[8] Voyez le texte dans l'Histoire parlementaire, t. XXVII, p. 360-363.

[9] Histoire parlementaire, t. XXVII, p. 362.

[10] Histoire de la Convention nationale, par Durand de Maillane, chap. VI, p. 118.

[11] Mémoires de René Levasseur, chap. VII, p. 255.

[12] Voyez l'Histoire parlementaire, t. XXVII, p. 565.

[13] Compte rendu par le Conseil général des révolutionnaires de la Commune de Paris, dans les Révolutions de Paris, n° 206.

[14] Mémoires de Meillan, p. 48-51.

[15] Mémoires de Garat, ubi supra, p. 407.

[16] Commune, procès-verbal du 1er juin 1793.

[17] Commune, procès-verbal du 1er juin 1793.

[18] Commune, procès-verbal du 1er juin 1793.

[19] Commune, procès-verbal du 1er juin 1793.

[20] Commune, procès-verbal du 1er juin 1793.

[21] Commune, procès-verbal du 1er juin 1793.

[22] Voyez son Histoire de France, septième époque, t. II, p. 256.

[23] Commune, procès-verbal du 1er juin 1793.

[24] Commune, procès-verbal du 1er juin 1793.

[25] Voyez les Mémoires de Louvet, p. 91.

[26] Voyez les Mémoires de madame Roland, t. I, p. 23. — Édition P. Faugère. Paris 1864.

[27] Voyez les Mémoires de Louvet, p. 91.

[28] Mémoires de Meillan, p. 52.

[29] Mémoires de Louvet, p. 92.

[30] Histoire parlementaire, t. XXVII, p. 364.

[31] Histoire parlementaire, t. XXVII, p. 363.

[32] Histoire parlementaire, t. XXVII, p. 364.

[33] Histoire parlementaire, t. XXVII, p. 364.

[34] Histoire de la Convention nationale, par Durand de Maillane, chap. VI, p. 120.

[35] Histoire de la Convention nationale, par Durand de Maillane, chap. VI, p. 121.

[36] Histoire de la Convention nationale, par Durand de Maillane, chap. VI, p. 120. — Révolutions de Paris, n° 203.

[37] Révolutions de Paris, n° 205.

[38] Révolutions de Paris, n° 205.

[39] Histoire de la Convention nationale, par Durand de Maillane, chap. VI, p. 121.

[40] Histoire parlementaire, t. XXVII, p. 368.

[41] Histoire parlementaire, t. XXVII, p. 368.

[42] Voyez le procès-verbal de la Commune du 1er juin 1793.

[43] Voyez le procès-verbal de la Commune du 1er juin 1793.

[44] Voyez les Mémoires de Meillan, p. 52.

[45] Histoire parlementaire, t. XXVII, p. 382.

[46] Histoire parlementaire, t. XXVII, p. 380.

[47] Histoire parlementaire, t. XXVII, p. 380.

[48] Histoire parlementaire, t. XXVII, p. 384.

[49] Mémoires de René Levasseur, t. I, chap. VIII, p. 268.

[50] Il n'avait jamais été chez elle, ne l'avait rencontrée nulle part, et était absent de l'Assemblée le jour où elle comparut à la barre. Voyez à la suite de l'Histoire de la Convention nationale, par Durand de Maillane, les pages intitulées Fragment, par M. le comte Lanjuinais, pair de France.

[51] Histoire parlementaire, t. XXVII. p. 386 et 387.

[52] Fragment, par M. le comte de Lanjuinais, pair de France, ubi supra.

[53] Histoire parlementaire, t. XXVII, p. 388.

[54] Histoire parlementaire, t. XXVII, p. 388.

[55] Histoire parlementaire, t. XXVII, p. 389.

[56] Voyez les Mémoires de Meillan, p. 54 et 55.

[57] Histoire parlementaire, t. XXVII, p. 589.

[58] Mémoires de René Levasseur, t. I, chap. VII, p. 259.

[59] Voyez son discours dans l'Histoire parlementaire, t. XXVII, p. 389-393.

[60] Mémoires de Levasseur, t. I, chap. VII, p. 267.

[61] Histoire parlementaire, t. XXVII, p. 593.

[62] Récit des événements du 2 juin 1793, par Lanjuinais, à la suite de l'Histoire de la Convention nationale, par Durand de Maillane.

[63] Histoire de la Convention nationale, par Durand de Maillane.

[64] Une relation anonyme insérée à la suite des Mémoires de Meillan, note D, met dans la bouche de Bazire lui-même la constatation de ces détails ; mais il n'est trace du discours attribué ici à Bazire, ni dans l'Histoire parlementaire, ni dans le compte rendu de Durand de Maillane, secrétaire de l'Assemblée.

[65] Voyez ce que dit Garat dans ses Mémoires du sentiment qu'éveilla, dans le Comité de salut public, l'arrestation des députés. Nous y reviendrons.

[66] Procès-verbal de la Commune, séance du 2 juin 1793.

[67] Histoire parlementaire, t. XXVII, p. 393.

[68] Fragment, par Lanjuinais, à la suite de l'Histoire de la Convention, par Durand de Maillane.

[69] Mémoires de René Levasseur.

[70] Histoire parlementaire, t. XXVII, p. 398.

[71] Voyez note D, à la suite des Mémoires de Meillan.

[72] Note D, à la suite des Mémoires de Meillan.

[73] Mémoires de Meillan, p. 56.

[74] Mémoires de Meillan, p. 57.

[75] Histoire parlementaire, t. XXVII, p. 399-400.

[76] Souvenirs sénatoriaux, par M. le comte Cornet.

[77] Histoire parlementaire, t. XXVII, p. 400.

[78] Histoire de la Convention nationale, par Durand de Maillane, p. 125. — Durand de Maillane, secrétaire de l'Assemblée, était chargé, le 2 juin, de la rédaction du procès-verbal.

[79] Mémoires de Levasseur, chap. VII, p. 266.

[80] Mémoires de Levasseur, chap. VII, p. 266.

[81] Histoire de la Convention nationale, p. 125.

[82] Mémoires de Meillan, p. 58.

[83] Voyez le récit des événements du 2 juin 1793, par Lanjuinais, ubi supra.

[84] Mémoires de Meillan, p. 58 et 59. — Toulongeon, Histoire de France, t. II, septième époque, p. 264, in-4°.

[85] Récit des événements du 2 juin 1795, par Lanjuinais.

[86] Déclaration d'un juré, témoin oculaire, dans le procès de Danton. — Voyez l'Histoire parlementaire, t. XXXII, p. 154.

[87] Toulongeon. — Mémoires de Meillan.

[88] Biographie universelle.

[89] Note D des éclaircissements historiques, à la suite des Mémoires de Meillan.

[90] Durand de Maillane, p. 125.

[91] Selon Meillan, le cri dominant était Vive la Montagne ! Lanjuinais, au contraire, dit que ce cri n'était poussé que par un petit nombre, mais Lanjuinais, lui-même, ne va pas jusqu'à dire que le cri Vive la Gironde ! se soit fait entendre.

[92] Mémoires de Meillan, p. 60.

[93] Voyez la note D, à la suite des Mémoires de Meillan.

[94] Mémoires de Meillan, p. 60.

[95] Voyez ces Mémoires eux-mêmes, p. 60.

[96] Rapport de Saint-Just, au nom des Comités de salut public et de sûreté générale. Voyez l'Histoire parlementaire, t. XXXII, p. 93.

[97] Mémoires de Meillan, p. 60.

[98] Histoire parlementaire, t. XXVII, p. 401.

[99] Mémoires de Levasseur, t. I, chap. VIII, p. 277.

[100] Mémoires de Meillan, p. 61.

[101] Histoire parlementaire, t. XXVII, p. 401.

[102] Fragment, par M. le comte Lanjuinais, pair de France.

[103] Procès-verbal de la séance du 2 juin 1793, signé Billaud-Varenne, président ; Monnel, rapporteur ; Lejeune, Ramel, Duhem, Merlin (de Douai), Garnier (de Saintes), Lakanal, secrétaires.

[104] Procès-verbal de la séance du 2 juin 1793.

[105] Mémoires de Meillan, p. 62.

[106] Ces modifications, au surplus, furent peu importantes, si l'on en juge par le compte rendu que Durand de Maillane donne, dans son livre, comme formant la base du procès-verbal primitif. Voyez son Histoire de la Convention, p. 122-126.

[107] Histoire parlementaire, t. XXVII, p. 401 et 402.

[108] Procès-verbal de la Commune, séance du 2 juin 1793.

[109] Histoire parlementaire, t. XXVII, p. 402.

[110] Mémoires de Meillan, p. 63.

[111] Mémoires de Levasseur, t. I, chap. VII, p. 270.

[112] Mémoires de Garat, ubi supra, p. 408.

[113] Mémoires de Garat, ubi supra, p. 408.

[114] Procès-verbal de la Commune, séance du 2 juin 1795.

[115] Mémoires de Levasseur, t. I, chap. VIII, p. 267.

[116] René Levasseur, t. I, p. 270.

[117] Voir la note en cette fin de chapitre.