HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

TOME SEPTIÈME

LIVRE HUITIÈME

 

CHAPITRE IV. — MONTAGNE ET GIRONDE FACE À FACE

 

 

Revue de la Convention. — Personnages divers. — La Montagne. — Les crapauds du Marais. — Deux doctrines et deux partis en présence. — Injustice des deux côtés. — Première séance de la Convention. — Stratégie de Danton. — La République proclamée. — Effet de cette nouvelle dans Paris. — Scène d'intérieur, dans la prison du Temple. — Les légistes. — La Gironde commence le combat. — Modération des Montagnards. — Violence des Girondins. — Inutiles conseils de Garat. — Avances de la Montagne injurieusement repoussées par la Gironde. — Triple dictature dénoncée. — Absurdité de cette accusation, en ce qui touchait Danton et Robespierre. — Profession de foi politique de ce dernier. — Buzot demande une garde départementale pour la Convention. — Défense de Danton. — Défense de Robespierre. — Vive sortie de Barbaroux. — Réponse de Panis. — Apparition de Marat à la tribune. — Horreur qu'il inspire. — Son attitude. — Son triomphe.

 

La République venait effectivement d'être proclamée dans la première séance de la Convention.

Des sept cent quarante-neuf[1] hommes, qui, le 21 septembre 1792, se rassemblèrent dans cette petite salle des Tuileries où allaient être votées tant de funérailles, combien peu devaient rentrer dans la maison natale ! Ah ! on le sait aujourd'hui, et ils le pressentaient bien eux-mêmes : ils se réunissaient sous la présidence de la Mort ! Mais — et c'est le grand caractère de cette époque étrange — pour personne, alors, la conservation de la vie n'était le but de la vie.

Aussi la Convention se déchira-t-elle les flancs de ses propres mains avec une fureur qui ne pouvait être et ne fut égalée que par la majesté sauvage de son attitude aux yeux de l'Europe

Et, comme la Législative, la Convention n'excita point, à son entrée en scène, la risée des royalistes : non ; ce qu'elle contenait de terrible, elle le portait en quelque sorte écrit sur le front. Dans l'Assemblée précédente, les élections n'avaient guère envoyé que des jeunes gens, que des inconnus ; mais ces jeunes gens, membres de l'Assemblée nouvelle, se trouvaient avoir vécu maintenant des milliers d'heures actives ; mais ces inconnus, la Révolution n'avait eu besoin que de quelques mois pour les faire monter au haut de l'histoire, et ils s'appelaient pour le monde entier : Vergniaud, Condorcet, Guadet, Gensonné, Lasource, Isnard… Ce parti de la Gironde, si brillant déjà dans la Législative, de quel éclat ne semblait-il pas devoir rayonner dans la Convention, grossi qu'il était de tant d'illustres recrues, les Lanjuinais, les Buzot, les Rabaud-Saint-Étienne, les Barbaroux ?

Seulement la Révolution ayant poursuivi son invincible cours, on remarquait ici ce qui avait été déjà remarqué, dès le premier jour, dans la Législative : le côté gauche de la veille était devenu le côté droit du lendemain ; et les Girondins, si ardents naguère à frapper les nobles, à proscrire les prêtres, à défier les rois, voyaient se dresser devant eux, prêts à les maudire, pour un seul instant de lassitude ou d'inconséquence, d'autres révolutionnaires qu'animait un fanatisme absolument indomptable et dont la logique fut d'acier.

Ceux-ci, qu'on nomma les Montagnards, comptaient dans leurs rangs les deux Robespierre, Danton, Manuel, Camille Desmoulins, Fabre d'Églantine, Billaud-Varenne, le comédien Collot d'Herbois, le boucher Legendre, les journalistes Robert et Fréron, l'avocat Panis, l'artiste Sergent, le peintre David, tous députés de Paris ; et enfin le duc d'Orléans, élu aussi par la capitale, sous le nom de L.P. Joseph Égalité, à la suite d'une lettre adressée à la Commune et conçue en ces termes :

Citoyens, j'accepte avec une reconnaissance extrême le nom que la Commune de Paris vient de me donner : elle ne pouvait en choisir un plus conforme à mes sentiments et à mes opinions. Je vous jure, citoyens, que je me rappellerai sans cesse les devoirs que ce nom m'impose, et ne m'en écarterai jamais.

Je suis votre concitoyen,

L. P. Joseph ÉGALITÉ[2].

 

Un autre député de Paris à la Convention, c'était Marat. Appartenait-il réellement à la Montagne ? Il est certain que même les plus audacieux n'osaient l'avouer pour un des leurs, bien qu'ils ne répugnassent pas à se servir de lui, au besoin, et à le porter en quelque sorte sur leur poitrine comme une tête de Méduse[3] ; tandis que lui, le sourire du mépris sur les lèvres, il jouissait avec orgueil de ce pouvoir qu'il avait conquis de faire peur et de faire horreur.

Aux Montagnards élus par la capitale, et déjà en possession de la renommée, la province avait envoyé d'ardents auxiliaires, hommes nouveaux qui, peu de jours après, allaient cesser de l'être : Philippe Lebas, mort plus tard de son attachement aux principes représentés par son compatriote Robespierre ; Joseph Lebon, que les habitants du Pas-de-Calais avaient connu curé à Nieuville, et qu'ils devaient retrouver exerçant à Arras, un sabre à la main et le bonnet rouge sur la tête, les fonctions sanglantes de proconsul de la Terreur ; le procureur Carrier d'Aurillac, qu'attendait une célébrité maudite ; le grand chimiste Fourcroy ; M. J. Chénier, le poète ; le jurisconsulte Merlin de Douai, qui mérita le surnom de Papinien moderne ; le futur prince de l'Empire Cambacérès ; et, au-dessus de tous ceux-là, dans une sphère à part, un pâle, un beau jeune homme de vingt-trois ans, au front bas et presque entièrement couvert par de luisants cheveux noirs, au maintien roide, au langage sentencieux, au regard fixe, à la physionomie pensive et morne. Il était fils d'un chevalier de l'ordre de Saint-Louis, avait été nommé membre de la Convention par le département de l'Aisne, et se nommait Antoine-Louis-Léon Florelle de Saint-Just.

Une sorte d'attraction mystérieuse qui survécut à la défaite et s'avoua jusque sur l'échafaud, l'ayant irrésistiblement gagné à Robespierre, il lui avait écrit, lorsqu'il ne savait encore de lui que sa renommée :

Vous qui soutenez la patrie chancelante contre le torrent du despotisme et de l'intrigue ; vous que je ne connais que comme Dieu, par des merveilles, je m'adresse à vous, monsieur, pour vous prier de vous réunir à moi pour sauver mon triste pays. La ville de Coucy s'est fait transférer, le bruit en court ici, les marchés francs du bourg de Blérancourt. Pourquoi les villes engloutiraient-elles les privilèges des campagnes ? il ne restera donc plus à ces dernières que la taille et les impôts ? Appuyez, s'il vous plaît, de tout votre talent une adresse dans laquelle je demande la réunion de mon héritage aux domaines nationaux du canton, pour que l'on conserve à mon pays un privilège sans lequel il faut qu'il meure de faim. Je ne vous connais pas, mais vous êtes un grand homme. Vous n'êtes pas seulement député d'une province, vous êtes celui de l'humanité et de la République[4].

Dans une autre lettre à un certain Daubigny, il avait tracé ces lignes extraordinaires :

Je vous prie, mon cher ami, de venir à la fête. Depuis que je suis ici, je suis remué d'une fièvre républicaine qui me dévore et me consume. J'envoie par le même courrier à votre frère ma deuxième lettre. Vous m'y trouverez grand quelquefois. Il est malheureux que je ne puisse rester à Paris. Je me sens de quoi surnager dans le siècle. Compagnons de gloire et de liberté, prêchez-la dans vos sections ; que le péril vous enflamme. Allez voir Desmoulins, embrassez-le pour moi, et dites-lui qu'il ne me reverra jamais ; que j'estime son patriotisme, mais que je le méprise, lui, parce que j'ai pénétré son âme, et qu'il craint que je ne le trahisse. Dites-lui qu'il n'abandonne pas la bonne cause, et recommandez-le-lui, car il n'a pas l'audace d'une vertu magnanime. Adieu ; je suis au-dessus du malheur. Je supporterai tout, mais je dirai la vérité. Vous êtes tous des lâches qui ne m'avez point apprécié. Ma palme s'élèvera pourtant et vous obscurcira peut-être.... infâmes que vous êtes ! Je suis un fourbe, un scélérat, parce que je n'ai pas d'argent à vous donner. Arrachez-moi le cœur et mangez-le : vous deviendrez ce que vous n'êtes point : grands ! — O Dieu ! faut-il que Brutus languisse oublié loin de Rome ! Mon parti est pris, cependant : si Brutus ne tue pas les autres, il se tuera lui-même. Adieu. Venez.

SAINT-JUST[5].

 

Dans cette rapide revue de la Convention, il ne faut oublier ni Lepelletier de Saint-Fargeau, ni Tallien, ni le paralytique Couthon, ni l'abbé Grégoire et l'abbé Sieyès, vivants souvenirs de la Constituante ; ni Romme, poussé déjà par son austère génie à la recherche d'un nouveau calendrier républicain ; ni Féraud, quoiqu'il ne doive être immortalisé que par sa mort ; ni Barras, le comte de Barras, qui, après une vie de lointains voyages, de combats livrés dans les Indes, de plaisirs demandés à l'intrigue ou à l'amour, vient d'être appelé par les électeurs du Var à courir la plus sérieuse de ses aventures.

Notons aussi que le département de l'Orne ayant élu Priestley, celui du Pas-de-Calais Thomas Paine, et celui de l'Oise Clootz, le premier seul a refusé, faute de savoir parler français[6] : de sorte qu'il y a place dans la Convention pour cette idée de cosmopolitisme que la Révolution a si noblement adoptée dès son début : Déclaration des droits de l'HOMME.

Mais quels sont ces inconnus qui, au centre, pressés sur les bancs inférieurs, se montrent l'un à l'autre, d'un air terrifié, le fameux Danton, l'immuable Robespierre, et n'osent lever les yeux vers le sommet de la Montagne, de peur d'y apercevoir Marat ! Ce sont ceux qui, enveloppés dans leur prudence ou accroupis dans leur lâcheté, feront l'appoint de toutes les majorités meurtrières, et seront, contre chaque parti, tour à tour, les auxiliaires du bourreau. Au plus épais de leurs rangs se cache Barère, que la peur ne tardera pas à pousser sur la Montagne[7]. Dans les luttes où la patrie va convulsivement se débattre, des cris rauques et confus annonceront seuls leur présence, ce qui leur vaudra le nom flétrissant de crapauds du Marais ; mais protégés jusqu'au bout par le mépris même, ils se retrouveront debout sur la Révolution renversée ! En attendant, c'est du côté de la Gironde qu'ils penchent, et c'est grâce à eux qu'autour de Pétion, nommé président, se groupent comme secrétaires, Brissot, Vergniaud, Lasource, Rabaud-Saint-Étienne et Camus[8].

Tel se présentait donc le prétoire où deux partis, égarés dans le délire du soupçon, vinrent s'accuser réciproquement de trahir ce que tous les deux ils aimaient d'un violent amour : la République !

Suivant Garat, observateur impartial, la Gironde, quand la lutte se fut décidément engagée, disait à la Montagne :

Ce n'est pas à vous qu'il appartient de gouverner la France, à vous, couverts de tout le sang de septembre. Les législateurs d'un riche et industrieux empire doivent regarder la propriété comme une des bases les plus sacrées de l'ordre social ; et la mission donnée aux législateurs de la France ne peut être remplie par vous qui prêchez l'anarchie, qui patronnez les pillages, qui épouvantez les propriétaires.... Toujours d'une longue anarchie on vit la tyrannie sortir et s'élever ; et c'est vous qui fomentez l'anarchie.... Parce que vous êtes des furieux, est-ce à dire que vous ne puissiez pas être des perfides ? De tous les animaux le tigre est à la fois le plus sanguinaire et le plus souple.... Vous aiguisez sans cesse des poignards, et quand on veut tuer des républicains, c'est pour tuer la République. Vous appelez contre nous tous les sicaires de Paris : nous appelons contre vous tous les honnêtes gens de France.

De son côté, la Montagne disait à la Gironde :

Nous vous accusons de vouloir faire servir vos talents à votre élévation, et non pas au triomphe de L'ÉGALITÉ. Tant que le roi vous a laissés gouverner par les ministres que vous lui donniez, il vous a paru assez fidèle : vous n'avez commencé à le trouver traître que lorsqu'il a trompé votre ambition. Votre vœu secret ne fut jamais d'élever la France aux magnifiques destinées d'une république, mais de lui laisser un roi dont vous auriez été les maires du palais. Par vous, le roi aurait eu un fantôme de trône, la nation un fantôme de liberté, et il n'y eût eu de réel que votre tyrannie. Hommes lâches, qui croyez que des artifices sont la science des hommes d'État, apprenez que les vrais républicains ne sont pas ceux qui choisissent les voies obliques.... Hommes d'État, dignes de Borgia et de son précepteur, en nous faisant abhorrer comme des barbares, en vous faisant adorer comme les justes par excellence, votre but est d'appeler la guerre civile, et de diviser la France en États fédérés, dont vous seriez les uniques législateurs, les consuls, les éphores ou les archontes. Vous le plaignez peu, le sang des républicains, versé par torrents dans cette guerre contre l'Europe, que désira le château et qu'allumèrent vos motions ; mais le sang que la colère du peuple a fait couler dans les prisons, vous voulez à tout prix le venger : c'était le sang des aristocrates !… Vous délibérez sous le couteau, dites-vous ? Pisistrate fit plus que crier aux assassins, il poignarda ses mules et lui-même, et le lendemain, entouré de gardes, il fut le tyran de sa patrie. Vous voulez la liberté sans l'égalité ; et nous voulons l'égalité, nous, parce que, sans elle, nous ne pouvons concevoir la liberté. Hommes d'État, vous voulez organiser la République pour les riches ; et nous, qui ne sommes point des hommes d'État, mais les hommes de la nature, nous qui n'avons aucun art, mais l'énergie de toutes les vertus, nous cherchons des lois qui tirent le pauvre de sa misère, et fassent de tous les hommes, dans une aisance universelle, les citoyens heureux et les défenseurs ardents d'une république universellement adorée[9].

 

Dans ces reproches mutuels, que la lutte électorale venait de mettre vivement en lumière, il y avait beaucoup d'exagération et d'injustice.

Quoi ! parce que les Montagnards soupiraient après l'affranchissement graduel et légal du pauvre, ils étaient les apôtres du pillage et les théoriciens de la spoliation ! Quoi ! parce que leur âme, violemment émue, ne fléchissait pas sous la tourmente, et qu'ils ne craignaient pas de marcher dans l'orage, leur dessein était d'aller par l'anarchie à la dictature ! Quoi ! l'inaction de Vergniaud, pendant les journées de septembre, avait des comptes à demander à l'inaction de Robespierre ! Et lorsqu'ils évoquaient contre leurs rivaux les livides fantômes des royalistes égorgés, les Girondins affectaient d'ignorer que le massacre était sorti d'un élan de fureur populaire ; ils ne se demandaient pas ce qu'eux-mêmes ils avaient fait pour l'empêcher ou l'arrêter ; ils ne se rappelaient point les abominations de la Glacière amnistiées par eux ; ils oubliaient que c'était Roland, un des leurs, qui avait défini le 3 septembre un jour sur les événements duquel il faut peut-être jeter un voile !

À leur tour, les Montagnards tombaient dans tout l'aveuglement des passions de parti, quand ils reprochaient à la Gironde de nourrir des sentiments monarchiques, comme si elle n'avait pas porté d'assez rudes coups au trône, et à ses deux appuis naturels, l'aristocratie et le clergé ! Plus tard, sous la main du bourreau, les Girondins crièrent : Vive la République ! Ce cri, le dernier qu'ils poussèrent, ne se perdit pas dans le retentissement du couteau, et rend de leur sincérité un témoignage immortel !

Mais leur vrai tort, celui dont la Montagne put s'armer contre eux avec autorité, ce fut d'avoir eu pour doctrine sociale la liberté sans l'égalité, et d'avoir adopté pour politique le fédéralisme.

Encore est-il juste de noter que, de leur part, le fédéralisme fut bien moins un système qu'un expédient. Jamais leur cœur ne s'ouvrit au sacrilège désir de démembrer la patrie. Ils tournèrent les yeux vers la province, pour se défendre contre la capitale. En se donnant à leurs adversaires, Paris les avait humiliés ; Paris leur faisait peur : là fut tout leur fédéralisme.

La première séance de la Convention mit au jour, d'une manière très-marquée, quoique indirecte, ces préoccupations des deux partis. Prompt à repousser cette accusation de tendance vers la dictature, qu'il savait peser sur ses amis, et notamment sur Robespierre, Couthon s'écria : Jurons tous la souveraineté du peuple, sa souveraineté entière, et vouons une exécration égale à la royauté, à la dictature, au triumvirat[10].

Le mot de triumvirat se rapportait au dessein formé, disait-on, par Robespierre, Danton et Marat, de s'emparer conjointement de la puissance publique. Rien n'était plus absurde ; mais les haines de parti sont si crédules !

Danton commença par déclarer qu'il se démettait du ministère de la Justice[11]. Puis, pour couper court à toute hypothèse calomnieuse, il demanda qu'on ne reconnût de constitution que celle qui aurait été acceptée par le peuple : sûr moyen, selon lui, de faire disparaitre les vains fantômes de dictature, l'idée extravagante de triumvirat. Il se hâta d'ajouter : Abjurons ici toute exagération ; déclarons que toutes les propriétés territoriales, individuelles et industrielles seront éternellement respectées[12].

Danton, le révolutionnaire Danton, ignorait-il d'aventure que la notion de propriété n'a cessé de varier selon les temps et les pays ? ignorait-il qu'il est absolument contraire aux lois du progrès de planter dans ce champ de l'esprit humain, qui va s'élargissant toujours, des bornes éternelles ? ignorait-il que toutes les propriétés peuvent bien n'être pas légitimes ; que lui-même avait concouru à en détruire certaines qui ne lui avaient point paru dignes d'être éternellement respectées ; et que la Révolution, pour ne pas remonter plus haut, ne s'était fait nul scrupule de toucher et à la propriété industrielle des jurandes et à la propriété territoriale du clergé ?...

Mais Danton n'était ni un réformateur, ni un philosophe : c'était un politique. Peu lui importait, à lui, que Jean-Jacques eût écrit, à l'adresse de générations encore plongées dans la nuit de l'avenir : Les fruits sont à tous, et la terre n'est à personne. Ce que Danton sentait fortement, c'est que la Révolution avait créé des intérêts nouveaux, devenus à leur tour égoïstes et ombrageux ; c'est que les acquéreurs de biens nationaux étaient entrés dans leur phase de conservateurs ; c'est qu'il fallait rassurer contre l'imprévu la masse des nouveaux propriétaires ; c'est qu'il fallait arracher à la Gironde le pouvoir de les attirer à elle en les alarmant sur les projets de la Montagne. Et voilà comment la stratégie de parti, s'introduisant dans la Révolution, tendait à en altérer le caractère héroïque !

La Convention n'eut garde d'hésiter sur la première proposition de Danton, relative à la souveraineté du peuple ; mais, quant à la seconde, qui murait si tyranniquement l'avenir, elle lui fit subir, sur la motion de Couthon, une modification profonde ; et les deux premières mesures par où elle s'annonça au monde attentif, inquiet, furent celles-ci :

La Convention nationale déclare qu'il n'y a pas de Constitution sans la ratification du peuple en personne.

La Convention nationale déclare que la sûreté des personnes et des propriétés est sous la sauvegarde de la nation[13].

 

L'hommage rendu à la souveraineté du peuple appelait les esprits à décider du sort de la royauté. Manuel, qui fort imprudemment et sans succès, avait réclamé pour le président de l'Assemblée, et cela à l'ouverture même de la séance, les attributs extérieurs de la majesté royale, Manuel, soit empressement républicain, soit désir de racheter sa faute, proposa qu'avant toute chose on mît en question l'existence du trône. Collot d'Herbois se lève aussitôt pour presser la conclusion. La salle entière applaudit. Vainement Bazire, après avoir vanté cette explosion de haine contre les rois, paraît craindre la précipitation de l'enthousiasme : Les rois, dit une voix solennelle, sont dans l'ordre moral ce que les monstres sont dans l'ordre physique... L'histoire des rois est le martyrologe des nations. L'homme qui parla ainsi était un prêtre, l'abbé Grégoire. Il se fait alors un grand silence. La proposition de l'abbé Grégoire est mise aux voix en ces termes : La Convention nationale décrète que la royauté est abolie en France. L'Assemblée vote, et la République est proclamée, au milieu d'applaudissements qui, répétés par tous les spectateurs, se prolongent pendant plusieurs minutes[14]. Ils cessaient à peine, qu'on entend un son de trompettes militaires. De jeunes guerriers, en marche pour la frontière, sollicitent l'honneur de défiler devant l'Assemblée. On les introduit, et le président leur annonce que la royauté est abolie. Eux, saisis d'enthousiasme, ils offrent comme gage de dévouement deux journées de leur solde, et réitèrent le serment de défendre la liberté et l'égalité jusqu'à la mort[15].

Ils se répandirent dans tout Paris, que la grande nouvelle fit tressaillir.

Ce jour-là, vers quatre heures du soir, un municipal, entouré de gendarmes à cheval et d'une foule nombreuse, paraissait devant la tour du Temple. Les trompettes sonnèrent, chacun devint attentif. C'était la proclamation de la République qu'on venait crier officiellement sous les fenêtres de la famille royale, prisonnière. Hébert et Destournelles, qui, en ce moment, se trouvaient de garde auprès de Louis XVI, jetèrent sur lui un regard qu'accompagnait un cruel sourire. Louis XVI s'en aperçut, continua de lire dans un livre qu'il tenait alors à la main, et ne laissa paraître aucune altération sur son visage. Aux approches de la nuit, le Dauphin ayant besoin de rideaux et de couvertures pour son lit, à cause du froid qui commençait à se faire sentir, Cléry, valet de chambre du jeune prince, en écrivit la demande en ces termes : Le roi demande pour son fils, etc. Mais Destournelles lui notifia qu'il ne devait plus se servir d'un titre aboli par la volonté du peuple ; et, le lendemain, le fidèle serviteur reçut l'ordre de Madame Élisabeth d'écrire à l'avenir, pour les objets qu'il aurait à réclamer : Il est nécessaire pour le service de Louis XVI... de Marie-Antoinette... de Louis-Charles... de Marie-Thérèse... de Marie-Élisabeth... etc.[16]

Dès la seconde séance de la Convention, les Montagnards prouvèrent qu'ils voyaient beaucoup plus loin que leurs rivaux dans l'avenir des sociétés humaines. Les officiers municipaux d'Orléans ayant été accusés de tolérer l'accaparement des grains, et le peuple indigné les ayant provisoirement suspendus, pour ce fait, par le vœu unanime des sections assemblées[17], l'affaire venait d'être portée à la Convention, qui, amenée de la sorte à examiner la conduite, d'abord des corps administratifs, puis des corps judiciaires, n'hésita point à en voter le renouvellement. A cet égard, le débat fut court : nul n'ignorait combien le royalisme était en force, soit dans les administrations, soit dans les tribunaux ; et puisque la République était proclamée, rien de plus naturel que de lui donner des républicains pour magistrats.

Mais ici se présentait une question qui fut, avec beaucoup de force et de hardiesse, soulevée par Billaud-Varenne : Des tribunaux sont-ils bons à autre chose qu'à perpétuer les divisions dans les familles et fournir des suppôts à la tyrannie ? Quand un différend s'élève, pourquoi ne serait-il pas jugé tout simplement par des arbitres, au choix des parties ? Suivant Billaud-Varenne, le renouvellement du personnel des tribunaux était une mesure vaine : suppression des tribunaux, voilà ce qu'il demandait.

La Convention fut étonnée ; les Montagnards eux-mêmes parurent craindre d'aller si avant. Mais quand Tallien proposa que, sans supprimer les tribunaux, on les composât de juges choisis indistinctement parmi tous les citoyens, et non plus, comme on l'avait fait jusqu'alors, parmi les seuls gens de loi, la Montagne applaudit. Et cependant nombre de légistes figuraient dans ses rangs. Qu'étaient ses deux principaux chefs, Robespierre et Danton ? Des avocats. Et l'Assemblée n'avait certes pas de jurisconsulte qui se pût comparer au Montagnard Merlin de Douai, ou au Montagnard Cambacérès. Ce fut donc par des considérations supérieures à l'esprit de caste et aux préjugés de profession, que se décidèrent ces pionniers de l'avenir, remplis d'enthousiasme, de foi et d'audace.

Danton lança des paroles décisives. Il alla droit au cœur de la question, lorsqu'il compara aux prêtres ceux qui se font un état de juger. Et en effet, chez les derniers, le privilège de disposer de nos fortunes et de nos vies produit à la longue ce que produit chez les premiers le privilège de disposer de nos âmes. C'est trop de pouvoir concentré dans une classe déterminée de citoyens ; et ici la tyrannie, quand elle existe, est d'autant plus intolérable, que la société, au lieu de la porter sur sa tête, la porte dans ses flancs. Grave sujet de méditation, que Danton ne sut pas approfondir, mais qu'il eut, du moins, le mérite d'indiquer !

Aux arguments tirés par Chasset de la nécessité de bien connaître, pour les appliquer, des lois en général très-obscures et des procédures presque toujours très-embrouillées, l'avocat d'Arcis-sur-Aube répliqua que telle était effectivement la nuit répandue sur l'effrayant amas des lois anciennes, et tel le chaos des procédures, que les vrais praticiens étaient fort rares. Quel esprit sensé pouvait appeler science ce jargon de la chicane parlé par tant de procureurs intéressés à épaissir les ténèbres auxquelles est due toute leur importance ? Il ne s'agissait point, d'ailleurs, d'exclure les hommes de loi, mais de supprimer le privilège dont ils n'avaient que trop abusé.

Vergniaud voulut répondre, et fut d'une faiblesse extrême. Les augures, dit Osselin, ne pouvaient se regarder l'un l'autre sans rire. Il en devrait être de même des hommes de loi : on peut m'en croire, car je l'ai été longtemps.

Ce fut le dernier coup. L'Assemblée, consultée, déclara que désormais les juges seraient choisis indistinctement parmi tous les citoyens[18].

N'ayant pu prévenir ce décret, la Gironde essaya de le rendre illusoire. Vergniaud assura que dans la décision qui venait d'être adoptée il y avait le principe et quelque chose qui n'était pas le principe ; qu'il fallait conséquemment renvoyer au Comité de législation pour ce qui concernait la pratique : Opinion, écrivit amèrement Robespierre, dans son compte rendu de la séance, qui prévalut avec d'autant moins de difficulté qu'on ne la comprenait pas ![19]

Le débat qui marqua la séance du 22 septembre ne portait que sur les idées ; mais l'heure était venue, hélas ! où allait éclater, dans toute son aveugle fureur, la lutte des passions : lutte funeste, insensée, horrible, qui fut le suicide de la Révolution française.

Et sur qui en doit retomber la responsabilité ? Il faut bien le dire : sur les Girondins. Oui, — et c'est ce qui n'a point été assez remarqué jusqu'ici, — ce fut du parti qui se prétendait modéré que vint le signal des violences implacables !

Lorsque, dès la première séance de la Convention, Danton avait demandé pour toutes les propriétés un respect éternel, Kersaint, qui siégeait sur les bancs de la Gironde, s'était élancé de sa place, et, courant à Danton, lui avait dit d'une voix émue : Je me repens de vous avoir appelé ce matin un factieux[20]. Il eût fallu suivre cet élan : que de maux les Girondins eussent de la sorte épargnés à la France et à eux-mêmes !

Les Montagnards, qu'on a peints si terribles et que le combat rendit tels, en effet, sentirent bien, eux, qu'en se divisant, les républicains ne pouvaient que perdre la République ; et ce sera leur gloire impérissable d'avoir tout fait, dans les commencements, pour éviter ce malheur ; d'autant que l'adhésion de Paris leur promettait sur leurs adversaires une victoire aisée !

On a vu combien Danton s'était étudié à rassurer la droite sur les projets subversifs attribués à ses amis : sa grande affaire, à cette époque, était de prêcher la conciliation[21]. Robespierre, de son côté, tenait un langage d'une modération qui allait jusqu'à la courtoisie. Dans sa première lettre à ses commettants, il disait, du compte rendu que Roland publia de son administration : Ce compte rendu contient en général des idées saines et exprime des sentiments patriotiques[22].

Inutiles avances ! Soit confiance illimitée dans les ressources du talent et le pouvoir du courage, soit désir immodéré de gouverner la révolution sans partage, les Girondins voulurent la lutte, ils la voulurent éperdument, ils la commencèrent. A des ouvertures qui lui furent faites, Barbaroux répondit : Il n'est pas possible que le vice marche jamais d'accord avec la vertu[23] : mot orgueilleux, et auquel il manquait, pour être magnanime, d'être équitable. Même inflexibilité dans Salles, aussi soupçonneux que Robespierre[24], avec moins de clairvoyance et d'élévation ; et dans Louvet, nature ardente, qui croyait que l'intrépidité, parce qu'elle ennoblit la présomption, la justifie ; et dans Buzot, homme d'un patriotisme dédaigneux à l'excès. Aux yeux de Buzot, de Louvet, de Salles, de Barbaroux, les Montagnards n'étaient autre chose que la faction d'Orléans, et ils se plaignaient de n'être pas secondés avec assez de vigueur dans leur impatience de dénonciation, par Brissot, Guadet, Pétion et Vergniaud[25]. Mais ces derniers eux-mêmes, quoique plus sages, ne le furent point assez pour se résoudre à faire le sacrifice de leurs répugnances et de leurs passions personnelles.

Combien de fois, raconte Garat, j'ai conjuré Brissot, dont le talent se fortifiait dans ces combats, de modérer l'usage de sa force, de manière à irriter moins ses ennemis ! combien de fois j'ai conjuré Guadet de renoncer aux triomphes de cette éloquence qu'on puise dans les passions, mais qui les nourrit et les enflamme ![26] Il leur représentait que ces emportements du peuple, eux-mêmes les avaient excités ; qu'à condamner tout à coup ce qu'ils avaient si longtemps excusé ou protégé, ils risquaient de passer pour traîtres ; que ce n'est pas Je fouet à la main qu'il faut approcher les coursiers fougueux qui doivent recevoir un frein. Il disait aussi à Gensonné, faisant appel à sa prudence : Quoi ! les Jacobins sont contre vous ; quoi ! la Commune est contre vous ; et vous voulez, dans Paris, ouvrir un combat contre des ennemis puissants dans la Commune et aux Jacobins !Songez, mon cher Gensonné, que la République est née avant les vertus nécessaires à sa durée ; songez que, si la guerre éclate entre les législateurs qui ont foudroyé le trône, et ceux qui ont une théorie plus profonde de la république, les quatre-vingt-dix-neuvièmes de la nation se tourneront vers ceux qui ont lancé la foudre. On vous donnera, peut-être, un jour des larmes et des statues ; mais, si vous ouvrez des combats qu'il dépend de vous, je le crois, d'éviter, on peut vous faire monter sur l'échafaud ![27]

Les Girondins restèrent sourds à ces conseils, qui étaient la sagesse même, et ils se précipitèrent haletants, les malheureux, au-devant de leur destinée !

Brissot commença l'attaque, le 23 septembre, par un article où il accusait les Montagnards de vouloir désorganiser la société, de flagorner le peuple[28] ; et, le lendemain, du haut de la tribune, Kersaint s'écria qu'il était temps d'élever des échafauds pour les assassins et pour ceux qui provoquaient à l'assassinat. Puis, comme s'il eût craint de n'avoir pas été assez clair, il ajouta : Il y a, peut-être, quelque courage à s'élever ici contre les assassins[29].

Les Montagnards ne pouvaient plus s'y méprendre : c'était la boue sanglante de septembre qu'on remuait, qu'on ramassait pour la leur jeter au visage. Première et criante injustice, si l'on se rappelle qu'aux 2 et 5 septembre, Marat seul avait joué un rôle actif, et que, si Danton avait commis le crime d'approuver, l'Assemblée comme la Commune, et Vergniaud comme Robespierre, avaient commis le crime de s'abstenir ! Quoi ! les Girondins oubliaient déjà ces paroles de Roland, leur ministre chéri : Hierfut un jour sur les événements duquel il faut peut-être laisser un voile, et celles-ci : La colère du peuple et le mouvement de l'insurrection sont comparables à l'action d'un torrent qui renverse des obstacles qu'aucune autre puissance n'aurait anéantis ![30]

Au fond, ce que Kersaint proposait, c'était une calomnie vague adressée à tout un parti, une calomnie sous forme de décret ; et personne ne s'y trompa. Nul doute qu'on ne dût frapper inexorablement quiconque provoque à l'assassinat ; mais, dans les circonstances, une modification au code pénal ressemblait trop à une allusion diffamatoire. Aussi Tallien, Fabre d'Églantine, Sergent, Collot d'Herbois, se prononcèrent-ils non contre le principe, mais pour l'ajournement[31], tandis que ce fut contre tout ajournement que s'élevèrent Vergniaud et Lanjuinais. Qui de vous, s'écria ce dernier, ignore que les citoyens de Paris sont dans la stupeur de l'effroi ? Et Tallien niant le fait, il ajouta avec passion : A mon arrivée, j'ai frémi ![32]

Alors Buzot se leva, et, après un discours menaçant, plein de violence, conclut à entourer la Convention d'une force propre à défendre les députés des départements... Et contre qui ? Il ne devint plus possible d'en douter, lorsque dans ce cri s'échappèrent les colères de son cœur : Eh ! croit-on nous rendre esclaves de certains députés de Paris ?

La Montagne, qui évidemment hésitait à entrer dans une arène où elle pressentait que la République trouverait son tombeau, la Montagne demeura silencieuse et calme ; elle sembla même prête à appuyer les mesures de précaution dont on entendait lui faire subir l'injure. De son côté, le centre qui, à cette vue, crut que la force était du côté où était la fougue, se joignit, dans le vote, aux Girondins. De sorte que ce fut, chose bien remarquable, à la presque unanimité[33], que la Convention décréta :

Il sera nommé six commissaires, chargés : 1° de rendre compte de l'état actuel de la République et de celui de Paris ; 2° de présenter un projet de loi contre les provocateurs à l'assassinat ; 3° de rendre compte des moyens de donner à la Convention une force publique, à sa disposition, prise dans les 83 départements[34].

 

Une pareille victoire eût dû, ce semble, satisfaire les Girondins : elle ne servit qu'à les éblouir ; et, comme trois hommes, surtout, les gênaient : Robespierre, Danton et Marat, ils résolurent de les abattre tous trois du même coup, en les accusant d'aspirer de concert à la dictature.

Marat la voulait effectivement, et sanglante ; c'est certain : il s'en vantait ! Mais les deux autres ? Danton avait abdiqué le pouvoir ; et quant à Robespierre, il venait précisément de faire, de sa politique, un exposé de nature à défier les commentaires de la mauvaise foi la moins scrupuleuse.

Nous avons cet exposé sous les yeux : rien de plus frappant :

Robespierre se demande d'abord quel est le but d'un véritable gouvernement républicain, et il répond : La liberté et l'égalité. Comment ? Par la protection accordée au plus faible contre le plus fort. On le voit, Robespierre comprenait très-bien que, la nature ayant créé de grandes inégalités parmi les hommes, la société a pour objet nécessaire et pour devoir suprême de désarmer l'oppression qui pourrait naître du jeu de ces inégalités naturelles. Empêcher la supériorité individuelle de quelques-uns de se transformer en tyrannie, et, pour cela, lui opposer la force qui résulte de l'association de tous, voilà le but à atteindre. Or, cette force sociale ne se pouvant exercer que selon certaines formes convenues, qu'à l'aide de certains instruments déterminés, l'idée de société implique celle de gouvernement. Ainsi, la raison d'être de la notion GOUVERNEMENT consiste dans la nécessité d'assurer la liberté de tous en donnant un contre-poids à l'inégalité que la nature a établie au profit de quelques-uns. D'où cette conséquence que LE FLÉAU DE LA LIBERTÉ, c'est L'ANARCHIE ! Mais quoi ! s'il arrive que les dépositaires de la force sociale l'emploient, non pour les plus faibles, mais pour les plus forts ou pour eux-mêmes ; si Thésée se change en Procuste, le protecteur en tyran ?… Oh ! alors, la société n'est plus qu'une dérision infâme, et le gouvernement que l'organisation du mal. Il y a là un danger immense, un danger dont l'histoire tout entière n'atteste que trop la réalité, et dont la cause gît dans les parties malades du cœur humain : de sorte que la liberté, en faveur de laquelle le gouvernement doit être établi, se trouve avoir besoin d'être garantie contre la perversion, facile à prévoir, du gouvernement lui-même. Et c'est sur quoi, dans l'exposé dont nous parlons, Robespierre insiste avec une véritable anxiété. Donner au gouvernement, dit-il, l'énergie nécessaire pour soumettre les individus à la volonté générale, en lui ôtant les moyens de s'y soustraire lui-même, tel est le problème à résoudre ; et la solution serait le chef-d'œuvre de la raison humaine. Il va plus loin, et sans prendre garde — tant la crainte de l'abus du pouvoir le préoccupe ! — qu'il n'y a qu'une distinction de forme à faire entre l'anarchie et la tyrannie, l'anarchie étant une tyrannie compliquée de désordre, la tyrannie du premier venu, lui, l'homme d'ordre par excellence, il trace ces mots, si remarquables sous sa plume : La maladie mortelle du corps politique, ce n'est point l'anarchie, c'est la tyrannie[35].

Peut-on s'étonner assez que les Girondins aient eu l'imprudence, aient commis l'injustice de dénoncer Robespierre comme aspirant à une dictature d'airain, au moment même où publiquement, dogmatiquement, il en condamnait et flétrissait la théorie dans les termes qu'on vient de lire ? Car il est à noter que la publication de la première lettre de Robespierre à ses commettants coïncide avec l'ouverture de la Convention !

Le 25 septembre, Merlin qui, la veille, avait entendu dire à Lasource qu'il existait un parti dictatorial dans l'Assemblée, provoqua une explication : Je demande qu'on m'indique ceux que je dois poignarder[36].

Aussitôt, s'élançant à la tribune, Lasource déclare que ce n'est pas un seul homme, mais plusieurs qu'il voit tendre à la conquête d'un pouvoir dictatorial. Puis, après avoir montré la Convention entourée d'assassins, et forcée d'attendre de la province une garde qui la sauve des poignards, il s'écrie : je crains le despotisme de Paris... Je ne veux pas qu'il devienne ce que fut Rome dans l'empire romain. Il faut que Paris soit réduit à un quatre-vingt-troisième d'influence.

Ainsi, dans l'enivrement d'une colère insensée, la Gironde, par l'organe d'un de ses chefs, sommait les haines de parti d'être inexorables ; elle appelait autour du berceau de la République, pour le protéger, ces deux pâles déesses, la Défiance et la Peur ; elle opposait la France à Paris, comme si Paris était autre chose que le battement de cœur de la France ; et elle-même, oui, elle-même, elle se précipitait furieuse au-devant de cette accusation de fédéralisme qui la perdit[37] !

Pour couper court, dès le point de départ, à des divisions mortelles, que ne fit point la Montagne ? Autant le langage de Lasource avait été provocateur et emporté, autant celui de Danton fut conciliant et sage. Il fit appel à la concorde, au nom de la patrie, et demanda, au nom de la justice, qu'on n'étendît point à tous les députés de Paris la responsabilité des excès commis par tel ou tel républicain égaré. Séparant sa cause de celle de Marat, avec un touchant mélange de générosité et de franchise, il le présenta comme un homme dont la persécution et les habitudes d'une vie souterraine avaient ulcéré l'âme. Homme et citoyen, il se proclama le fils respectueux, le fils soumis de la France une et indivisible, non sans un souvenir du cœur envoyé aux lieux où son enfance s'était écoulée. Enfin, pour que désormais les Montagnards cessassent d'être accusés de tendances dictatoriales, et les Girondins de fédéralisme, il proposa à l'Assemblée de décréter peine de mort contre quiconque parlerait, soit d'établir la dictature, soit de détruire l'unité. Il terminait ce discours, vraiment admirable dans la circonstance, par un mot saisissant : Ce ne sera pas sans frémir que les Autrichiens apprendront cette sainte harmonie. Alors, je vous jure, nos ennemis sont morts[38].

Robespierre, ce jour-là, déploya moins d'habileté que Danton, et aussi moins de grandeur. Appelé, à son tour, à la tribune par un défi violent de l'ami de Barbaroux, le Marseillais Rebecqui, il se mit à faire de ses services une longue énumération, qui n'était ni opportune ni convenable, et lui valut des interruptions fréquentes, de la part de ses ennemis irrités. En outre, il eut le tort de paraître flatter le peuple, en se défendant de l'avoir fait. On flatte bien les tyrans, dit-il ; mais la collection de vingt-cinq millions d'hommes, on ne la flatte pas plus que la Divinité[39]. Erreur ! il est des royautés abstraites que poursuivent de leurs adulations les adorateurs du bruit ; il est, au Forum, des trônes vides en apparence, des trônes sans nom, autour desquels fume l'encens des faux tribuns, et les courtisans ne se rencontrent pas seulement dans les palais !

Du reste, les conclusions de Robespierre furent celles de Danton : il se prononça fortement, et contre la dictature, et pour l'unité de la patrie[40].

Pendant ce temps, Barbaroux, sur son banc, frémissait d'impatience. Robespierre ayant, avec beaucoup de hauteur, sommé ses adversaires de signer leurs accusations, Barbaroux se présente, et, d'une voix qui donne aux colères de la Gironde l'accent passionné du Midi, il rappelle qu'un jour Panis lui désigna Robespierre comme l'homme qui devait être le dictateur de la France. Puis, contre le pouvoir de la Commune, invoquant l'appui des patriotes de province, il annonce que Marseille vient de choisir huit cents hommes parmi les citoyens les plus patriotes et les plus indépendants de tous besoins ; que ces hommes ont reçu chacun de leurs familles deux pistolets, un sabre, un fusil, un assignat de cinq cents livres ; que deux cents cavaliers les accompagnent, armés et équipés à leurs frais[41].

Des applaudissements s'élevèrent... Mais Paris applaudirait-il, lui qu'on parlait si insolemment de mettre à la raison ? Mais le peuple applaudirait-il à l'étrange nouvelle que ces mêmes Girondins, par qui la garde de Louis XVI avait été cassée, s'en donnaient une de huit cents hommes, assez riches pour s'armer et s'équiper à leurs frais ? Était-ce de la sorte que la Gironde entendait ouvrir le règne de l'égalité ? En vérité, ce discours de Barbaroux était le comble de l'imprudence et de la folie.

Peut-être ne fut-il pas lui-même sans s'apercevoir qu'il s'était laissé emporter trop loin ; car, tout en déclarant que, si les députés devaient à Paris trouver la mort, il fallait désigner une ville où leurs suppléants pussent se réunir, il protesta contre l'idée d'abandonner la capitale, d'établir un gouvernement fédératif. Il fit plus : un cri sorti des profondeurs de sa conscience, un cri que lui seul entendit, l'avertissant qu'à l'égard de Robespierre il s'était montré injuste, il dit : Je déclare que j'aimais Robespierre, que je l'estimais. Qu'il reconnaisse sa faute, et je renonce à poursuivre mon accusation[42].

Ô misères de l'esprit de parti ! Barbaroux avait aimé Robespierre, il l'avait estimé… jusqu'au moment où Robespierre s'était élancé vers la dictature ; et la preuve, l'unique preuve que Barbaroux apportât de ce prétendu crime, c'était un mot de Panis ! Comme si un homme devait être jugé, condamné surtout, non d'après ses propres actes, mais d'après les paroles d'un autre homme ! comme si Panis n'eût pas pu vouloir pour Robespierre d'une dictature dont Robespierre lui-même ne voulait pas !

Aussi bien, Panis le nia, ce propos qui suffisait à la Gironde pour mettre la République en feu ; il le nia péremptoirement, énergiquement, du haut de la tribune ; il le nia, et contre Barbaroux, et contre Rebecqui, auquel il cria : Vous, vous êtes l'ami de Barbaroux, je vous récuse[43].

Un historien de nos jours écrit négligemment que Panis expliqua plutôt qu'il ne démentit le propos à lui attribué relativement à la dictature de Robespierre[44]. On va juger de l'exactitude de cette assertion. Les propres paroles de Panis, lorsqu'il commença son discours, furent : Je n'ai vu Barbaroux que deux fois, et J'ATTESTE que ni l'une ni l'autre je ne lui ai parlé de dictature. Et, plus loin : J'ATTESTE SUR MON SERMENT que je ne lui ai pas dit un seul mot qui ne fût relatif à la translation des Marseillais, et que je ne lui ai jamais parlé de dictature. Le démenti ne pouvait être plus formel : Barbaroux garda le silence[45].

Dans le cours du débat, Cambon s'était plaint vivement du despotisme de la Commune de Paris ; il avait nommé Marat. Marat secoua ses sales vêtements, et se leva pour répondre. La tête de Méduse n'eût pas produit plus d'effet. A l'aspect de cette face couverte d'un jaune cuivré, de cette face qu'éclairaient des yeux pleins d'une froide audace ; à l'aspect de ces lèvres qu'entr'ouvrait le sourire du mépris, et où tant de meurtrières paroles semblaient n'avoir pu passer sans y laisser du sang, l'Assemblée tout entière tressaillit. L'être douteux que les nouveaux députés n'avaient encore vu que comme à travers les hallucinations d'un mauvais rêve, il était donc là, bien réel, bien vivant ; et c'était lui qui, d'une marche convulsive, se dirigeait vers la tribune, semblable à un homme sorti du seuil embrasé des enfers[46]. Même parmi les moins étonnés, il y eut une sorte de frémissement. Je le considérais, a raconté un Montagnard ardent, René Levasseur, avec cette curiosité inquiète qu'on éprouve en contemplant certains insectes hideux[47]. Lui, d'un ton solennel : J'ai dans cette assemblée un grand nombre d'ennemis personnels. Une clameur terrible l'interrompt : Tous ! tous ! Et il reprend : J'ai dans cette assemblée un grand nombre d'ennemis ; je les rappelle à la pudeur. Il se fit un silence étrange, celui de la stupéfaction. Alors Marat déclara que l'idée d'une dictature n'était ni de Robespierre, ni de Danton : cette idée était sienne, il en revendiquait l'honneur. Oui, il aurait voulu qu'on nommât un citoyen, — dictateur ou tribun, qu'importait le titre ? — un citoyen capable, ayant lui-même un boulet au pied, d'abattre, à la voix de l'Ami du peuple, cinq cents têtes de machinateurs. Si vous n'êtes pas encore à la hauteur de m'entendre, osa-t-il dire, tant pis pour vous ! Il rappela sa vie souterraine, montra le glaive des assassins cherchant sa poitrine, se vanta d'avoir prêché la vérité, la tête sur le billot. Il ajouta : M'accuserez-vous de vues ambitieuses ? Je ne descendrai pas à une justification ; voyez-moi et jugez-moi. Le résumé de son discours était dans ces mots formidables venant de lui : Si le peuple faiblit, l'anarchie n'aura pas de fin[48].

D'après le récit que, dans son journal, Marat fit de cette séance mémorable, son arrestation aurait été chose convenue, à l'avance, entre les Girondins ; mais, désirant l'écraser sans avoir à se mesurer avec lui, ils auraient eu soin, dès la veille, de le consigner aux portes de la salle[49]. Si cette singulière et coupable consigne fut effectivement donnée, quelles circonstances en empêchèrent l'effet ? C'est ce que Marat ne dit point. Ce qui est certain, c'est qu'avant de lui répondre, Vergniaud se crut obligé d'exprimer son dégoût d'avoir à lutter contre un pareil adversaire, d'avoir à remplacer à la tribune un homme chargé de décrets de prise de corps[50]. Mais quoi ! ils avaient été lancés par le Châtelet, ces décrets ! Était-ce bien Vergniaud, le républicain Vergniaud, qui faisait un crime à Marat de persécutions encourues sous le gouvernement royal ? Chabot et Tallien se récrièrent, et Vergniaud dénonçant Marat comme un homme tout dégouttant de calomnie, de fiel et de sang, il partit des tribunes un murmure que, sur la sommation de Lacroix, le président dut réprimer par un rappel à l'ordre[51].

Vergniaud lit alors l'affreuse circulaire où Marat n'avait pas craint de prêcher à la France entière l'imitation des massacres de septembre. Puis, arrivant à Robespierre, à l'égard duquel il déclarait n'avoir jamais proféré que des paroles d'estime, il lui reproche d'avoir, dans la nuit du 2 au 3, dénoncé Guadet, Condorcet, Lasource, Brissot et lui-même Vergniaud, comme artisans d'une conspiration en faveur de Brunswick.

Vergniaud faisait allusion ici à une harangue qu'il n'avait point entendue ; Sergent, qui l'avait entendue, lui, cria rudement à l'orateur : Cela est faux[52]. Et ramené à plus de modération, Vergniaud reprit : Je me féliciterai d'une dénégation qui me prouvera que Robespierre aussi a pu être calomnié.

Est-il vrai qu'en ce moment Vergniaud fit une pause, interrogation muette mais significative adressée à Robespierre, et qu'il attendit ? C'est ainsi qu'un historien de nos jours présente les choses[53] ! Rien de semblable n'eut lieu[54], et il n'y avait certes pas nécessité absolue pour Robespierre de relever sur-le-champ une imputation que Sergent venait de démentir avec tant d'énergie, tant d'autorité, et sans être récusé par celui qu'allait frapper le démenti[55].

Cependant, un autre député girondin s'est levé. Il se nomme Boileau. Il tient à la main le journal de Marat ; il lit : Ce qui m'accable, c'est que mes efforts pour le salut public n'aboutiront à rien, sans une nouvelle insurrection. A voir la trempe de la plupart des députés. Sans achever la phrase, Boileau se tourne vers Marat, et s'écrie : Pour mon propre compte, Marat, je te dirai qu'il y a plus de vérité dans ce cœur que de folie dans ta tête. Il poursuivit la lecture. Non, jamais pareils transports d'indignation ne s'emparèrent d'une assemblée. Tous étaient debout ; on montrait le poing à Marat ; on le vouait aux furies ; on l'appelait monstre. De toutes parts : A l'Abbaye ! à l'Abbaye ! Marat était souriant et calme. Levasseur, qui, du sommet de la Montagne, contemplait cette scène extraordinaire, avoue qu'en cet instant, Marat, par son impassible contenance, lui parut avoir une véritable supériorité sur ses brillants adversaires[56].

Une seconde fois il prit la parole, reconnut que l'écrit qu'on lui opposait était bien de lui en effet ; car le mensonge, ajouta-t-il, n'a jamais approché de mes lèvres, et la dissimulation est étrangère à mon cœur. Seulement, il attesta que cet écrit était antérieur à la date marquée par l'imprimeur. En témoignage de sa modération, il mit sous les yeux de l'Assemblée un article où, dans un style sentimental, qui n'était que l'enveloppe d'une sinistre ironie, il promettait d'entendre désormais, sans se livrer aux mouvements de son âme indignée le récit du massacre des vieillards et des enfants. Sur le ton d'une compassion insultante, il gourmanda, lui l'homme de la fureur, ces puériles fureurs de ses ennemis. Il affirma ensuite qu'il ne craignait rien sous le soleil, et tirant tout à coup un pistolet de sa poche, il l'appliqua sur son front, bien résolu, dit-il, à mourir au pied de la tribune, pour peu que le décret d'accusation eût été adopté. Si ce fut charlatanisme, beaucoup le pensèrent. Le journal de Prudhomme, en rendant compte de la séance, s'exprime ainsi : Il a tiré de sa poche un pistolet, comme autrefois nos capucins en chaire tiraient un petit bon Dieu de leur manche... Marat, quittez vos gobelets ![57] D'autres furent vivement émus[58]. Ils crurent à cette fatalité d'exaltation que Marat lui-même avait proclamée dans ces paroles remarquables : Je ne puis changer mes pensées : elles sont ce que la nature des choses me suggère[59].

Enfin, saisie de stupeur, atteinte de dégoût, lasse de sa propre violence, et peut-être aussi fléchissant sous la pression des tribunes, où les partisans du fanatisme avaient leur place, l'Assemblée passa à l'ordre du jour. On décréta l'unité et l'indivisibilité de la République. Marat triomphait.

 

 

 



[1] Y compris les quatre députés envoyés par la ville d'Avignon, devenue française.

[2] Mémoires de Ferrières, t. III, p. 246 (note des éditeurs).

[3] Mémoires de Garat, t. XVIII, p. 349 de l'Histoire parlementaire.

[4] Ernest Hamel, Histoire de Saint-Just, p. 67. — Paris, 1859.

[5] Ernest Hamel, Histoire de Saint-Just, p. 96.

[6] Lettres de Robespierre à ses commettants, n° 3.

[7] Mémoires de René Levasseur, chap. I, p. 81. Édités par Achille Roche. Bruxelles, 1830.

[8] Voyez l'Histoire parlementaire, t. XIX, p. 7.

[9] Voyez les Mémoires de Garat, dans l'Histoire parlementaire, t. XVIII, p. 329-333.

[10] Séance du 21 septembre 1792.

[11] Toutefois, il en continua les fonctions pendant quelques jours encore, son successeur n'ayant point été nommé immédiatement.

[12] Séance du 21 septembre 1792.

[13] Séance du 21 septembre 1792.

[14] Voyez cette séance dans l'Histoire parlementaire, t. XIX, p. 6, 19.

[15] Histoire parlementaire, t. XIX, p. 18 et 19.

[16] Journal de Cléry, p. 41-43.

[17] Voyez l'Histoire parlementaire, t. XIX, p. 22

[18] Voyez sur cette séance l'Histoire parlementaire, t. XIX, p. 21-34 ; et aussi les Lettres de Robespierre à ses commettants, n° 1.

[19] Première lettre de Robespierre à ses commettants.

[20] Première lettre de Robespierre à ses commettants.

[21] Mémoires de René Levasseur, chap. I, p. 96.

[22] Lettres de Robespierre à ses commettants, n° 1.

[23] Voyez Durand de Maillane, p. 36.

[24] Voyez les Mémoires de Garat (Mémoires sur la Révolution ou Exposé de ma conduite dans les affaires et les fonctions publiques, 1794), p. 333 et suiv., t. XVIII de l'Histoire parlementaire.

[25] Mémoires de Louvet, p. 54 et 55. Collection des Mémoires sur la Révolution.

[26] Mémoires de Garat, t. XVIII de l'Histoire parlementaire, p. 360.

[27] Mémoires de Garat, t. XVIII de l'Histoire parlementaire, p. 365.

[28] Patriote français, n° 1140.

[29] Voyez la séance du 24 septembre 1792.

[30] Voyez plus haut, dans le chapitre intitulé : Souviens-toi de la Saint-Barthélemy, la lettre de Roland, lue dans la soirée du 3 septembre 1792

[31] Voyez l'Histoire parlementaire, t. XIX, p. 59-61.

[32] Histoire parlementaire, t. XIX, p. 61.

[33] Histoire parlementaire, t. XIX, p. 63.

[34] Histoire parlementaire, t. XIX, p. 63.

[35] Première lettre de Robespierre à ses commettants.

[36] Histoire parlementaire, t. XIX, p. 75.

[37] Pour apprécier les véritables sentiments de la Gironde à l'égard de Paris, pour comprendre ce qu'il y eut de fondé dans cette accusation de fédéralisme provoquée par la Gironde elle-même, et qui devait la tuer, il suffit de rapprocher les paroles de Lasource, que nous venons de citer, de ce passage des Mémoires de Buzot : La France républicaine avec une capitale, la France libre avec Paris, siège principal de ses établissements nationaux, une république française avec une législation et un gouvernement à Paris ? En vérité, il faut être en délire pour concevoir de telles absurdités ! Paris a cru m'offenser beaucoup en m'honorant de sa haine, pour l'aversion que je lui ai constamment témoignée !. Eh bien, je le dis avec vanité, la France ne peut espérer ni liberté, ni bonheur que dans la destruction entière et irréparable de cette capitale. (Mémoires de Buzot, publiés par M. Dauban, p. 24. Paris, 1866.) — Étonnez-vous donc, après cela, que, le 31 mai, Paris se soit soulevé contre la Gironde !

[38] Histoire parlementaire, t. XIX, p. 80.

[39] Histoire parlementaire, t. XIX, p. 87.

[40] Histoire parlementaire, t. XIX, p. 88.

[41] Histoire parlementaire, t. XIX, p. 89.

[42] Histoire parlementaire, t. XIX, p. 90.

[43] Histoire parlementaire, t. XIX, p. 95.

[44] Voyez l'Histoire de la Convention, par M. de Barante, t. II, liv. IV. p. 13, édition Méline. — Nous ferons remarquer ici, en passant, que, comme M. Michelet, comme M. de Lamartine, M. de Barante a cru pouvoir se dispenser, dans son livre, de citer ses autorités et d'indiquer ses sources.

[45] Voyez l'Histoire parlementaire, t. XIX, p. 93-106. M. Michelet, après avoir, dans son IIIe vol., chap. X, p. 547, donné une très-grande importance au propos mis par Barbaroux dans la bouche de Panis, a cru devoir passer entièrement sous silence, dans son récit de la séance du 25 septembre 1792, cette dénégation de Panis, si catégorique pourtant et si éclatante !

[46] Mot de Garat. Voyez ses Mémoires.

[47] Mémoires de René Levasseur, t. I, p. 95.

[48] Voyez le texte de ce discours, soit dans l'Histoire parlementaire, t. XIX, p. 97-99, soit dans le Moniteur, qui rend un compte très-détaillé de la séance.

[49] Journal de la République, n° 4. — C'était le nouveau titre que Marat avait donné à sa feuille.

[50] Histoire parlementaire, t. XIX, p. 99.

[51] Histoire parlementaire, p. 99 et 100.

[52] Histoire parlementaire, p. 100. — Le Journal des Débats et Décrets, p. 91, attribue à Robespierre lui-même, la dénégation lancée à Vergniaud.

[53] Encore une de ces suppositions que dicte à M. Michelet sa prévention systématique contre Robespierre. Voyez son Histoire de la Révolution, t. IV, 348.

[54] On peut s'en convaincre en consultant le Moniteur, séance du 25 septembre 1792.

[55] J'insiste sur ce point, parce que c'est là-dessus que M. Michelet se fonde pour s'écrier, qui le croirait ? Robespierre ne répondit rien, accepta l'accusation, et GARDA LA TACHE ; IL LA GARDE POUR L'AVENIR ! Voyez son Histoire de la Révolution, t. IX, p. 348.

[56] Mémoires de Levasseur, t. I, p. 98.

[57] Révolutions de Paris, n° 168.

[58] Mémoires de Levasseur, t. I, p. 98.

[59] Histoire parlementaire, t. XIX, p. 105.