HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

TOME SIXIÈME

LIVRE SEPTIÈME

 

CHAPITRE VI. — DÉBATS SUR LA GUERRE.

 

 

Erreur commise par les historiens qui nous ont précédé. — Robespierre de retour à Paris. — Accueil qu'il reçoit aux Jacobins. — Ses premières paroles au sujet de la guerre. — Discours d'Isnard sur la guerre. — Message de l'Assemblée au roi. - Narbonne, les Constitutionnels, la Cour veulent la guerre, mais seulement contre quelques petits princes allemands ; pourquoi ? — Distinction importante qui a échappé jusqu'ici aux historiens de la Révolution. — Visite du roi à l'Assemblée ; secret de l'attitude martiale prise par le pouvoir. — Discours de Brissot aux Jacobins en faveur de la guerre. — Scène d'enthousiasme aux Jacobins ; transports prodigieux d'Isnard. — Robespierre ramène le calme dans les esprits. — Discours de Robespierre, non contre la guerre aux rois, mais contre la guerre conduite par un roi. — Amère réplique de Brissot ; il insulte Robespierre et demande qu'on se fie à Narbonne. — Camille Desmoulins, les auteurs des Révolutions de Paris, L'Orateur du Peuple, sont de l'avis de Robespierre ; Louvet et Clootz de l'avis de Brissot. — Vives sorties de Clootz. — Admirable harangue de Robespierre. — Robespierre et Brissot s'embrassent.- Le comte de Ségur à Berlin. — Mission secrète du fils de Custine auprès du duc de Brunswick. — Narbonne rend compte de son voyage aux frontières ; comment il trompe l'Assemblée. - Intrigues de madame de Staël. — Les Jacobins peu à peu entraînés par Robespierre. — Les Girondins donnent à la question de la guerre un tour héroïque. — Transports excités par Guadet dans l'Assemblée. — Impétueux discours de Brissot sur un office de Léopold. — L'Assemblée décrète que des explications menaçantes seront demandées à L'Empereur. — Léopold se prépare à la guerre. — Critique historique.

 

Un homme qui, seul, tout seul avec ce qu'il croit la vérité, lutte contre un grand peuple, est certainement le plus noble spectacle que puisse présenter l'histoire.

Pendant quelques jours, Robespierre fut cet homme.

Aussitôt après la clôture de l'Assemblée constituante, il était allé goûter, à Arras, les douceurs de la vie de famille ; reçu en triomphe dans sa ville natale, il n'avait pas tardé à se retirer à la campagne, pour y consacrer quelque temps à de calmes méditations, et, au mois de novembre 1791, il se trouvait de retour à Paris[1].

Partout alors, on parlait guerre ; et ici se présente à résoudre un problème historique, dont, jusqu'à nous, les données, ce nous semble, ont été faussées d'une façon bien frappante.

La plupart des historiens, nos prédécesseurs, ont dit en substance :

Dans les derniers mois de l'année 1791 et au commencement de l'année 1792, la grande question agitée par la France fut de savoir s'il fallait faire la guerre à l'Europe. C'est ce que les émigrés désiraient vivement, et ce que la Cour des Tuileries redoutait ; c'est ce qui fut demandé avec ardeur par Narbonne, Brissot, les Constitutionnels, la Gironde, et repoussé par Robespierre, appuyé des Jacobins.

D'où il résulte que, dans cet important débat, les Constitutionnels, les Girondins, les émigrés auraient, dans des vues diverses, voulu la même chose, tandis que, de leur côté, les Jacobins se seraient exposés à jouer le jeu de la Cour.

De là, dans l'exposé des faits, mille assertions contradictoires, mille suppositions forcées ; de là l'imputation injustement adressée à Robespierre de n'avoir pas vu clair au fond de la situation[2].

Les malentendus, les erreurs, les obscurités, les faux jugements, auxquels a donné lieu, de la part de tant d'écrivains judicieux, cette décisive question de la guerre, viennent de ce qu'ils n'en ont point remarqué la nature complexe. L'espèce de guerre que voulaient les Constitutionnels n'était pas du tout celle que voulaient les Girondins, et l'espèce de guerre que craignait réellement la Cour des Tuileries n'était pas celle que cherchait à conjurer Robespierre.

Avant tout, il importe de bien distinguer ces choses, que fort mal à propos on a confondues. Établissons d'abord cette distinction, dont un récit complet des faits et un résumé fidèle des discussions démontreront la réalité.

Et d'abord, il est bien vrai que ni Louis XVI ni Marie-Antoinette n'entendaient courir les risques d'une invasion de la France par les rois coalisés. Qu'y auraient-ils gagné ? De perdre leurs protecteurs suprêmes si la Révolution abattait ses ennemis à coups d'épée ; d'avoir à subir les insolences de l'émigration, et Monsieur pour maire du palais, si les souverains l'emportaient ; et qui sait ? au premier revers, d'être accusés d'une trahison dont ils auraient à répondre sur leur tête. Mais il était un autre genre de guerre qui leur devait sourire et leur souriait en effet, celle qui dirigée seulement contre les agitateurs de Coblentz et leurs complices, les petits princes allemands, n'aurait servi qu'à amuser en la trompant l'ardeur guerrière de la nation, et aurait fourni à la Cour le prétexte de s'entourer d'une armée. Dans ce cas, le roi pouvait publier des proclamations pompeuses qui auraient paru associer sa cause aux vengeances de la Révolution ; il pouvait lever des troupes, les faire filer vers la frontière, tes aller joindre comme pour les mener lui-même à l'ennemi, s'assurer des généraux, gagner les soldats par sa présence et d'habiles largesses, puis, du milieu de ses prétoriens, dicter des lois aux révolutionnaires de l'Assemblée, à la Gironde, aux Jacobins. Le lecteur se rappelle que tel était le plan soumis à Louis XVI par Montmorin, avant le voyage de Varennes[3] ; et ce plan, on ne l'avait jamais entièrement abandonné.

En ceci, les Constitutionnels marchaient tout à fait d'accord avec la Cour. Eux aussi, ils contemplaient, d'un cœur épouvanté, l'image, déjà visible, de l'Europe en flammes. Ils sentaient bien qu'entre les fureurs de l'émigration traînant à sa suite l'ancien monde armé de pied en cap, et la Révolution, exaltée jusqu'au délire par l'immensité même de ses périls, il n'y aurait place ni pour leurs systèmes de pondération ni pour leur politique timide. Mais ils se seraient accommodés parfaitement d'une petite guerre bien courte, contre quelques électeurs allemands et les conspirateurs de Coblentz, parce qu'elle ne leur donnait aucun danger sérieux à affronter, parce qu'elle les mettait en état d'en finir avec les émigrés et l'ancien régime, parce qu'enfin elle pouvait fournir au trône, dont le maintien était devenu une de leurs plus vives préoccupations, un moyen de se rendre populaire, de se créer une force, et de l'opposer avec quelque chance de succès aux républicains. Le constitutionnel et belliqueux Narbonne n'eut pas d'autre pensée, et, pour peu qu'on en doute, on n'a qu'à méditer l'aveu suivant fait par Narbonne lui-même, cherchant à justifier, bien des années après, les tendances guerrières de son court passage au pouvoir : L'ARMÉE, UNE FOIS FORMÉE, POUVAIT ÊTRE POUR LOUIS XVI, disait-il, UN APPUI LIBÉRATEUR, UN REFUGE D'OÙ IL AURAIT SOUTENU LA MAJORITÉ SAINE ET INTIMIDÉ LES CLUBS, COMME L'ESSAYA ET LE VOULUT M. DE LAFAYETTE, MAIS TROP TARD ET TROP ISOLÉMENT[4].

Quant aux émigrés, ce qu'ils sollicitaient à grands cris, c'était une guerre générale et terrible, une guerre à mort, qui mit la France révolutionnaire d'un côté, et de l'autre, unis contre elle, tous les rois de l'Europe. Car ils ne doutaient pas, ces fils dénaturés, que, dans une semblable lutte, la France, leur mère, ne succombât.

Non moins ardemment que les émigrés, mais animés d'un espoir contraire, les Girondins appelaient de leurs vœux un vaste embrasement du monde. Et tout les y conviait : la haine sincère qu'ils portaient aux rois ; leur impatience de propager la liberté par les armes ; leur esprit de corps, mélange singulier d'enthousiasme vrai et de fougue un peu factice ; leur politique d'apparat ; le désir d'étendre leur popularité en donnant satisfaction aux instincts militaires de la France, et la certitude que, si la Révolution tirait le glaive, eux seuls en dirigeraient la pointe, leurs rivaux du club des Jacobins étant trop loin du pouvoir, et les Constitutionnels trop loin du peuple.

Mais ceux des révolutionnaires qui ne faisaient point partie de la Gironde, que voulaient-ils ? Quoique leur opinion ne fût peut-être pas bien fixée encore, leur patriotisme se plaisait très-certainement à l'idée de vaincre les rois et d'étendre le règne de la liberté par le courage.

Telle était, et telle apparut à Robespierre, après quelques jours d'examen, la véritable disposition des esprits.

Avec une sagacité surprenante, il devina des choses dont les événements ultérieurs devaient seuls dévoiler le mystère. Ce que nous connaissons aujourd'hui par des révélations contemporaines, il sut, dès cette époque, le pressentir. Il comprit dans quelle mesure et jusqu'à quelles limites la Cour désirait la guerre. Il démêla les secrets desseins des Constitutionnels sous la hardiesse calculée de certains discours. A travers l'armure d'or que Narbonne faisait étinceler aux regards d'un peuple de guerriers, il entrevit le spectre de la trahison. Il fut frappé de la présomptueuse légèreté des Girondins et de l'ambition qui se mêlait à la générosité de leurs entraînements.

Aussi bien, pour l'homme d'État révolutionnaire, pour le tribun philosophe, la guerre avait plus d'un effrayant aspect. Il semble qu'il y ait quelque chose de contradictoire à confier aux soins de la force, d'une force aveugle et brutale, la fortune des idées. Quoi ! charger la mort de promulguer les lois de la vie ! Enseigner la justice par le carnage ! Prêcher l'humanité à coups de canon ! Demander la lumière qui dure, non pas au soleil, mais à la foudre ! Cette discordance entre la nature du but et celle des moyens arrêtait Robespierre.

Ce n'est pas qu'il ignorât à quelles conditions sanglantes, mais inévitables, l'inimitié des rois mettrait tôt ou tard la liberté. Il sentait bien que la Révolution française était venue placer face à face dans le monde deux principes entre lesquels nul accord n'était possible. Et quant au devoir sacré que les peuples ont à remplir l'un à l'égard de l'autre, il le comprenait certes, celui qui écrivit ces admirables maximes : Les hommes de tous les pays sont frères, et les différents peuples doivent s'entr'aider selon leur pouvoir, comme les citoyens d'un même État. — Qui opprime une seule nation se déclare l'ennemi de toutes. — Les aristocrates, les tyrans, quels qu'ils soient, sont des esclaves révoltés contre le souverain de la terre, qui est le genre humain, et contre le législateur de l'univers, qui est la nature[5].

Robespierre voulait donc, lui aussi — ses paroles citées textuellement le prouveront — qu'on fit la guerre à tous les rois, et qu'on la leur fît terrible, décisive. Mais ce qu'il ne voulait pas, c'est que follement et à l'aventure on en devançât l'heure ; c'est qu'on prétendit porter au dehors une liberté qu'on n'avait pas encore ; c'est qu'on s'en remît à la Cour et à ses généraux, à Narbonne, à la contrerévolution, plus ou moins habilement masquée, du soin de propager la Révolution d'une manière héroïque ; c'est qu'on fit diversion au droit par la gloire ; c'est qu'on mit au service de la trahison, quand la trahison était aux af- faires, d'immenses forces organisées. Et il pensait, d'un autre côté, que, pour être utile aux peuples, la guerre de propagande devait suivre et non précéder, parmi eux, le rayonnement des idées ; que cette guerre, d'un caractère tout nouveau, ne devait pas être conduite selon les formes et d'après les habitudes anciennes. La vie des camps, telle qu'on l'avait pratiquée jusqu'alors, lui paraissait peu propre à former des citoyens. Il ouvrait l'histoire, et elle lui montrait combien aisément le soldat est amené à ne plus aimer la patrie que dans son capitaine, qu'il s'appelle Monk ou Cromwell. Chose remarquable ! L'homme qui représenta le mieux la Révolution voyait venir de loin l'homme qui, plus tard, l'arrêta : Robespierre voyait venir Napoléon !

Ce fut le 28 novembre que, pour la première fois depuis son retour, Robespierre parut aux Jacobins. A son aspect, l'assemblée se sentit saisie d'une émotion qui éclata en applaudissements passionnés. Collot d'Herbois occupait le fauteuil : il se lève aussitôt et demande que celui qu'on a si justement surnommé l'incorruptible, préside, et il ajoute : il faut que les bons généraux visitent les postes[6]. La question de la guerre, nous le répétons, remplissait alors tous les esprits. Le 22 novembre, Koch, au nom du comité diplomatique, avait proposé à la Législative d'envoyer au roi un message, pour le presser d'intervenir d'une façon sérieuse auprès des princes de l'Empire, qui toléraient sur leur territoire et les rassemblements et les enrôlements d'émigrés. Robespierre, devant les Jacobins, combattit l'idée du message. Il dit que l'Assemblée devait agir directement ; que, si Léopold, passé un certain délai, continuait à souffrir les rassemblements d'émigrés, il fallait lui déclarer la guerre, au nom de la nation française, au nom de toutes les nations ennemies des tyrans, et tracer autour de lui le cercle de Popilius[7].

Ainsi, Robespierre n'entendait nullement que la Révolution se laissât braver, et la nécessité de traiter Léopold en ennemi, déclaré s'il se posait comme tel, fut la première chose dont il parut préoccupé.

Cependant, les Girondins allaient soufflant partout l'impatiente ardeur dont ils étaient animés. Le 29 novembre, Isnard prononça, dans l'Assemblée, un discours qui retentit dans les âmes ainsi qu'eût fait le bruit du clairon.

— Le Français va devenir le peuple le plus marquant de l'univers : esclave, il fut intrépide et fier ; libre, serait-il timide et faible ? Traiter tous les peuples en frères, ne faire aucune insulte, mais n'en souffrir aucune ; ne tirer le glaive que pour la, justice, ne le remettre dans le fourreau qu'après la victoire ; enfin, être toujours prêts à combattre pour la liberté, toujours prêts à mourir pour elle, et à disparaître tout entiers de dessus le globe plutôt que de se laisser réenchaîner, voilà le caractère du peuple français. (On applaudit à plusieurs reprises.)

Ne croyez pas que notre position du moment s'oppose à ce qu'on frappe de ces grands coups ; un peuple en état de révolution est invincible ; l'étendard de la liberté est celui de la victoire ; le moment où le peuple s'enflamme pour elle est celui des sacrifices de toutes les espèces, de l'abandon de tous les intérêts, et de l'explosion redoutable de l'enthousiasme guerrier. Ne craignez donc rien, sinon que le peuple se plaigne que vos décrets ne correspondent pas à tout son courage.

La voie des armes est la seule qui vous reste contre des rebelles qui ne veulent pas rentrer dans le devoir. En effet, toute idée de capitulation serait un crime de lèse-patrie. Eh ! quelle infâme capitulation ! Nos adversaires sont les ennemis de la Constitution ; ils veulent, par le fer et la famine, ramener les parlements et la noblesse, et augmenter les prérogatives du roi, d'un homme dont la volonté peut paralyser la volonté de toute une nation, d'un homme qui dévore trente millions, quand des millions de citoyens sont dans la détresse. (Les tribunes applaudissent. — Il s'élève des murmures dans l'Assemblée.) Ils veulent ramener les parlements, qui vendaient la justice ; ils veulent ramener la noblesse, qui, dans son orgueil, insolente et barbare, croit que des citoyens ne sont pas des hommes. Ils veulent ramener la noblesse ! Ah ! du haut de cette tribune, nous électriserions tous les Français ; tous, versant d'une main leur or et tenant le fer de l'autre, combattraient cette race orgueilleuse, et la forceraient d'endurer le supplice de l'égalité. (On applaudit.)

Élevons-nous dans celte circonstance à toute la hauteur de notre mission ; parlons aux ministres, au roi, à l'Europe, avec la fermeté qui nous convient. Disons à nos ministres que jusqu'ici la nation n'est pas très-satisfaite de la conduite de chacun d'eux. (On applaudit à plusieurs reprises.) Que désormais ils n'ont à choisir qu'entre la reconnaissance publique et la vengeance des lois, et que par le mot responsabilité nous entendons la mort. (Les applaudissements recommencent.) Disons au roi que son intérêt est de défendre la Constitution, que sa couronne tient à ce palladium sacré, qu'il ne règne que par le peuple et pour le peuple, que la nation est son souverain, et qu'il est sujet de la loi. Disons à l'Europe que le peuple français, s'il tire l'épée, en jettera le fourreau, qu'il n'ira le chercher que couronné des lauriers de la victoire ; et que si, malgré sa puissance et son courage, il succombait en défendant la liberté, ses ennemis ne régneraient que sur des cadavres. (On applaudit.) Disons a l'Europe que si les cabinets engagent les rois dans une guerre contre les peuples, nous engagerons les peuples dans une guerre contre les rois. (On applaudit.) Disons-lui que tous les combats que se livreront les peuples par ordre des despotes... (Les applaudissements continuent.) N'applaudissez pas, n'applaudissez pas ; respectez mon enthousiasme, c'est celui de la liberté.

Disons-lui que tous les combats que se livrent les peuples par ordre des despotes, ressemblent aux coups que deux amis, excités par un instigateur perfide, se portent dans l'obscurité ; si la clarté vient à paraître, ils jettent leurs armes, s'embrassent et châtient celui qui les trompait. De même si, au moment que les armées ennemies lutteront avec les nôtres, le jour de la philosophie frappe leurs yeux, les peuples s'embrasseront à la face des tyrans détrônés, de la terre consolée et du ciel satisfait.

Disons-lui, enfin, que dix millions de Français, embrasés du feu de la liberté, armés du glaive, de la plume, de la raison, de l'éloquence, pourraient seuls, si on les irrite, changer la face du monde et faire trembler tous les tyrans sur leurs trônes d'argile.

Je demande que le décret proposé soit adopté à l'unanimité, pour montrer que cette auguste enceinte ne renferme que de bons Français, amis de la liberté et ennemis des despotes. (Les applaudissements des tribunes et de l'Assemblée recommencent et se prolongent pendant quelques minutes.)

 

L'Assemblée ordonne l'impression de ce discours et l'envoi aux départements.

Le même jour, Vaublanc, à la tête d'une députation de vingt-quatre membres, porta au roi un message qui, entre autres phrases ardentes, contenait celle-ci : C'est à vous, sire, de tenir aux puissances étrangères le langage qui convient au roi des Français : dites-leur que si des princes d'Allemagne continuent de favoriser des préparatifs dirigés contre les Français, nous porterons chez eux, non pas le fer et la flamme, mais la liberté[8].

 

Au reste, il est à remarquer que le message, porté au roi par le chef des Constitutionnels parlementaires, Vaublanc, ne s'attaquait en aucune façon aux grandes cours.

Il y était dit seulement : Nous attendons de vous, sire, des déclarations énergiques auprès des cercles du Haut et du Bas-Rhin, des électeurs de Trèves, de Mayence et de l'évêque de Spire ![9]

Il est certain, d'autre part, que la guerre pour le compte de la noblesse française répugnait à beaucoup de leurs protecteurs supposés. Si l'électeur de Trèves favorisait ouvertement les émigrés, il n'en était pas de même de la plupart des princes d'Allemagne, voisins de la France.

D'accord en ceci avec le Cabinet prussien, ils donnèrent des ordres pour la dispersion des rassemblements d'émigrés. Léopold fit plus : il sévit contre quelques insulteurs de la cocarde nationale dans le Brabant, et fit communiquer par le commandant militaire de ses troupes une note adressée au duc d'Uzès, à Bruxelles, laquelle interdisait aux émigrés français tout rassemblement, même sans armes[10]. Au fond, l'Empereur leur était si peu favorable, et ils le savaient si bien, que lorsqu'il mourut, il y en eut, comme on le verra plus loin, qui accusèrent ceux de Coblentz de l'avoir fait empoisonner[11].

Cette conduite modérée de l'Empereur, rapprochée de celle, toute contraire, que tenaient l'électeur de Trêves, l'électeur de Mayence, l'évêque de Spire, secondait à merveille le plan de guerre restreinte et insidieuse formé à la Cour de France. Louis XVI, Narbonne, les Constitutionnels, n'ayant à menacer que quelques petits princes allemands, pouvaient prendre une attitude belliqueuse, sans allumer une guerre générale, une guerre européenne. Un prétexte leur était fourni de parler un fier langage, de lever des troupes, et, tout en flattant l'orgueil national, d'organiser cette armée qui, selon les aveux ultérieurs de Narbonne, devait être pour le roi un appui libérateur, un refuge d'où il aurait soutenu la majorité saine et intimidé les clubs.

Aussi fut-il décidé sans hésitation dans le Conseil que la réponse du roi au message du 29 novembre serait conçue dans le même esprit et rédigée dans le même style que le message. Pourquoi non ? Indépendamment de l'avantage dont nous venons de parler, la Cour y gagnait de caresser les instincts militaires du pays, de paraître s'identifier à la Révolution contre les conspirateurs de Coblentz, et de faire oublier ainsi le veto mis au décret qui les avait frappés. Seulement, on convint que, dans la réponse, plus clairement encore que dans le message, on séparerait la cause de l'Empereur d'avec celle des électeurs de Trèves et de Mayence ; car ne l'oublions pas, ce que la Cour et les Constitutionnels voulaient, c'était, non pas une vaste et sérieuse conflagration, mais une occasion de mettre aux mains de Louis XVI une épée, se réservant de la lui faire tourner, le moment venu, contre les Jacobins. Quant à Marie-Antoinette, ses secrètes pensées nous sont dévoilées par ce passage d'une lettre adressée par elle au comte de Mercy-Argenteau, le 6 décembre 1791[12] : ..... Je crois que nous allons déclarer la guerre, non pas à une puissance qui aurait des moyens contre nous, nous sommes trop lâches pour cela, mais aux électeurs et à quelques princes d'Allemagne dans l'espoir qu'ils ne pourront se défendre. Les imbéciles ! Ils ne voient pas que s'ils font telle chose, c'est nous servir, parce qu'enfin il faudra bien, si nous commençons, que toutes les puissances s'en mêlent pour défendre les droits de chacun ; mais il faut qu'elles soient bien convaincues que nous ne faisons ici qu'exécuter la volonté des autres, que toutes nos démarches sont forcées, et que, dans ce cas, la meilleure manière de nous servir est de bien nous tomber sur le corps.

Voilà ce qui, jusqu'ici, a complètement échappé aux historiens de la Révolution. Ils ont cru que l'activité guerrière de Narbonne était sans arrière-pensée ; ils ont cru qu'elle n'avait pour aiguillon qu'un vif désir de gloire poétisé par l'amour d'une femme célèbre ; ils ont cru que la réponse du roi au message du 29 novembre n'était qu'une victoire du jeune et ardent ministre sur la faiblesse de Louis XVI ; ils ont présenté enfin cette réponse comme une sorte de déclaration de guerre à l'Europe, que le pauvre monarque s'était laissé arracher en gémissant. Les Girondins eux-mêmes y furent pris, à l'époque où ces choses se passèrent. Seul, Robespierre alors soupçonna et devina la vérité. C'est ce que le récit des faits mettra hors de doute.

Le 14 décembre[13], sept jours après l'avènement de Narbonne au ministère de la guerre, Louis XVI se rendit à l'Assemblée, accompagné de tous ses ministres. Il venait répondre en personne au message du 29 novembre. Un grand silence régnait dans la salle. D'une voix ferme, il lut un discours où il déclarait que si, avant le 15 janvier 1792, l'électeur de Trèves n'avait pas fait cesser dans ses États tout attroupement et toutes dispositions hostiles de la part des Français qui s'y étaient réfugiés, lui, roi des Français, ne verrait plus dans l'électeur de Trèves qu'un ennemi de la France. Mais il avait eu soin de dire auparavant : L'Empereur a rempli ce qu'on devait attendre d'un allié fidèle, en défendant et dispersant tout rassemblement dans ses États. Mes démarches n'ont pas eu le même succès auprès de quelques autres princes. Il ajouta : J'écris à l'Empereur pour l'engager à continuer ses bons offices, et, s'il le faut, à déployer son autorité, comme chef de l'Empire, pour éloigner les malheurs que ne manquerait pas d'entraîner une plus longue obstination de quelques membres du corps germanique. Sans doute, on peut beaucoup attendre de son intervention, appuyée du poids imposant de son exemple, mais je prends en même temps les mesures militaires les plus propres à faire respecter ces déclarations. Et si elles ne sont point écoutées, alors, messieurs, il ne me restera plus qu'à proposer la guerre[14].

Ainsi, c'était à l'électeur de Trèves seulement, c'était à quelques membres du corps germanique que s'adressait la déclaration. Quant à l'Empereur, loin de le menacer, on le félicitait d'avoir loyalement rempli ses devoirs d'allié fidèle, on allait jusqu'à compter sur son intervention pour en finir avec les émigrés, et les préparatifs militaires qu'on annonçait semblaient n'avoir pour but que de suppléer à l'insuffisance de cette intervention amie !

Mais le plan que cachaient ces habiles distinctions, personne encore ne l'avait dévoilé. L'attitude martiale du pouvoir excita donc un véritable enthousiasme, et, même dans les tribunes, plusieurs voix firent entendre le cri de : Vive le roi des Français ![15]

Louis XVI s'étant retiré, Narbonne rentra presque aussitôt dans la salle pour annoncer que cent cinquante mille hommes se trouveraient, dans l'espace d'un mois, réunis en trois grands corps d'armée, sous les ordres de Rochambeau, Luckner et Lafayette. Il déclara qu'il était sur le point de partir lui-même, afin d'inspecter les troupes et de visiter les frontières. Il faisait appel à la confiance comme à la nécessité suprême du moment, se chargeait de dissiper tous les nuages en réconciliant le soldat avec l'officier, et s'écriait : Le mot trahison n'est d'aucune langue[16].

Se hâter si fort de repousser le soupçon, c'était le provoquer. Mais déjà les Girondins remplissaient la scène du bruit de leurs clameurs belliqueuses et étourdissaient les défiances. Le 16 décembre, Brissot courut aux Jacobins appuyer Narbonne par un de ces discours pleins de verve facile et d'entraînement dont il avait le secret : Louis XIV déclara la guerre à l'Espagne, parce que son ambassadeur avait été insulté à Londres par l'ambassadeur espagnol. Et nous, dont les frontières sont menacées, dont les réquisitions sont rejetées, nous, hommes libres, nous balancerions !La défiance est un état affreux. — Le mal est à Coblentz ! Il avouait que la Cour paraissait vouloir la guerre : Les gazetiers qu'elle soudoie, les ministériels qu'elle protège, les sociétés impures qu'elle alimente, tous prêchent la guerre ; mais, loin d'y voir un motif de la redouter, il ajoutait : Le pouvoir exécutif va déclarer la guerre : il fait son devoir, et vous devez le soutenir quand il fait son devoir. Il nous crie sans cesse l'union, l'union ! Eh bien, qu'il soit patriote, et les Jacobins deviendront ministériels et royalistes.

Du reste, dans ce discours, qui ouvrit le grand débat sur la guerre, Brissot, il faut bien le remarquer, ne parlait aucunement d'aller attaquer tous les rois sur leurs trônes ébranlés ; loin de là, il s'étudiait à prouver qu'on n'avait point à craindre de voir la lutte avec Coblentz prendre ces proportions héroïques, et la preuve qu'il en donnait, c'était la situation, soit morale, soit matérielle, des diverses puissances :

L'Angleterre ? La nation anglaise nous aime, si son gouvernement nous déteste, et Tippoo combat pour nous dans l'Inde. — Léopold ? Tout lui commande la paix : ses dettes accrues, ses troupes considérablement diminuées, la source de ses revenus tarie, sa banque sans hypothèque et bientôt sans crédit. — Frédéric-Guillaume ? A Berlin, comme à Vienne, on désire la paix, parce qu'on en a besoin. Seulement, on veut y avoir l'air de soutenir la cause des rois : le traité de Pillnitz ne signifiait pas autre chose. — Gustave ? Que peut un prince écrasé de dettes, et pour qui l'impôt est aussi impossible que dangereux ?  — Catherine ? Elle entend bien moins soutenir la cause des rois et des chevaliers français qu'allumer une guerre qui occupe ses rivaux et lui permette d'atteindre la couronne d'Orient. Elle doit mépriser, et nos courtisans, et leurs préjugés, et leur ineptie[17].

 

On voit, d'après cela, combien se sont trompés les écrivains qui, supprimant les dates, confondant les époques, ont présenté Brissot, et les Girondins à sa suite, comme ayant, dès l'abord, prêché contre les rois une audacieuse croisade. Il n'en fut rien. Le terrain sur lequel Brissot se plaça au commencement du débat, et sur lequel Robespierre combattit, fut celui de la guerre restreinte, de la guerre contre les émigrés et quelques petits princes allemands, de la guerre telle que la rêvait Narbonne et qu'elle convenait à la Cour. Brissot n'en était pas encore venu à dire : le mal est sur tous les trônes de la terre ; il disait : Le mal est à Coblentz, à quoi Robespierre eut raison de répondre, deux jours après : Le mal est, avant tout, aux Tuileries !

Cela était si manifeste, que Danton lui-même, tout porté qu'il était aux mesures de vigueur, répondit à Brissot, séance tenante : Si la question était de savoir si en définitive nous aurons la guerre, je dirais : oui, les clairons de la guerre sonneront : oui, l'ange exterminateur de la Liberté fera tomber les satellites du despotisme. Mais, messieurs, quand devons-nous avoir la guerre ? N'est-ce pas après avoir bien jugé notre situation, après avoir tout pesé ; n'est-ce pas surtout après avoir scruté les intentions du pouvoir exécutif ?[18]

Cependant, les patriotes d'Angleterre avaient envoyé une députation au club des Jacobins, et ceux-ci, pour faire honneur à leurs frères d'outre-Manche, avaient décidé que.les drapeaux anglais, américains et français seraient placés dans la salle du club, comme emblème de l'union des trois grands peuples libres. La cérémonie eut lieu le 18 décembre, deux jours après la harangue de Brissot. L'affluence était énorme, et l'expression des visages disait assez quelle émotion violente faisait battre les cœurs. En l'absence d'Isnard, de La Souze occupait le fauteuil. Aussitôt que les drapeaux entrèrent, membres du club et spectateurs se levèrent dans une sorte d'attendrissement, et ce cri fit retentir les voûtes : Vivent les trois peuples libres de l'univers ! Alors une députation de dames fut introduite ; et, s'avançant, au milieu d'un enthousiasme qui allait jusqu'aux larmes, une jeune fille alla déposer sur le bureau le présent qu'offraient aux patriotes d'Angleterre les femmes de France. Nous ne sommes point, dit-elle, des dames romaines ; nous n'apportons pas de bijoux... Ce que nous offrons à nos frères, les whigs constitutionnels, c'est une arche d'alliance où sont renfermés la carte de France, le bonnet de la Liberté, l'acte constitutionnel des Français, des épis de blé, et trois étendards avec ces mois dans les deux langues : Vivre libre ou mourir ! Vivre libres ou mourir ! répètent tous les assistants d'une voix passionnée. Et aussitôt on décide que les bustes de Jean-Jacques, Franklin, Mably, Sidney, Price, Mirabeau, seront mis côte à côte. Le sculpteur Dufourny avait offert un buste de Franklin, son ouvrage. On apporta une épée de Damas, envoyée de Suisse par Virchaux, pour le premier qui terrasserait un ennemi de la Révolution. Isnard, qui était survenu, prit cette épée, et la brandissant : La voilà ! la voilà ! Le peuple français poussera un grand cri, et tous les autres peuples répondront ; la terre se couvrira de combattants, et tous les ennemis de la liberté seront effacés de la liste des hommes[19].

Cette scène touchante, ces paroles d'Isnard. qui laissaient si loin derrière elles et tout d'un coup les limites des prédications guerrières de Brissot, ces transports où le cœur débordait, cet appareil qui parlait si vivement aux yeux, répondaient fort bien au génie artiste de la Gironde, et à sa politique, sincère, mais théâtrale : Robespierre y vit un danger, lui, l'homme aux convictions d'airain. Dans son morne enthousiasme, que jamais ne déserta la raison, il ne voulut point qu'un entraînement passager décidât des destinées de la Révolution et de la patrie. Il connaissait la France, nation fougueuse, qui a moins besoin d'être excitée qu'éclairée ; il savait que nous sommes un peuple d'élan, mais un peuple qu'il est facile d'égarer en éblouissant ses regards et qui passe en un jour d'une exaltation prodigieuse à d'étranges affaissements. Il se leva donc, aussi pensif, aussi triste que le jour où, lui posant une couronne de chêne sur la tête, le peuple l'avait porté en triomphe, et d'une voix grave : Je supplie l'assemblée, dit-il, de supprimer ces mouvements qui peuvent entraîner l'opinion dans un moment où elle doit être dirigée par la discussion la plus tranquille[20].

La mer soulevée ne s'apaise pas plus vite, quand le vent tombe, que l'assemblée des Jacobins ne fit, à ces froides et sévères paroles de Robespierre. L'ordre du jour fut repris aussitôt, et lui commença en ces termes[21] :

La guerre ! s'écrient et la Cour, et le ministère, et leurs partisans. La guerre ! répètent une foule de bons citoyens, mus par un sentiment généreux, mais plus prompts à se livrer à l'enthousiasme du patriotisme, qu'exercés à méditer sur les ressorts des révolutions et les intrigues des Cours. Qui osera contredire ce cri imposant ?... Je ne viens point caresser l'opinion du jour, ni flatter la puissance dominante. Je ne viens point non plus prêcher un lâche système d'inertie : je viens développer une trame profonde que je crois assez bien connaître. JE VEUX AUSSI LA GUERRE, mais comme l'intérêt de la nation la demande : DOMPTONS NOS ENNEMIS INTÉRIEURS, ET ENSUITE MARCHONS CONTRE NOS ENNEMIS ÉTRANGERS.

Grave et noble début ! Robespierre continua, plus vif, plus pressant, plus éloquent qu'on ne l'avait jamais vu. Sa conviction, aux prises avec l'entraînement de tout un peuple, semblait avoir tiré de cet effort même un redoublement de magnanime énergie. Il était presque seul. Et eût-il été seul, c'eût été à la manière de l'aigle lorsqu'il plane au haut des airs.

Proposait-on la guerre d'une nation contre d'autres nations, d'un roi contre des rois ? Non, c'était la guerre de la Révolution française contre ses ennemis. Et les plus redoutables, où étaient-ils ? à Coblentz ? non, au milieu de la France, au cœur de Paris, autour du trône, sur le trône. Quoi ! on entendait donner la guerre de la Révolution à conduire contre ses ennemis. à ses ennemis !

Après avoir posé la question avec cette netteté formidable, Robespierre traça un sombre et trop fidèle tableau des malheurs que traînent à leur suite les guerres faites par les rois absolus, les princes félons, les tyrans. Il montra comme conséquences logiques de certaines guerres, le corps social en convulsion ; la force brutale, seule chose vivante, et la pensée morte ; le trésor public au fond d'une caverne impénétrable, et dans ce trésor les bras des ministres enfoncés jusqu'au coude ; partout le Code du soldat, l'arbitraire ; la police des villes à des hommes d'épée ; à la place de l'intelligence en éveil, le qui-vive des sentinelles ; la liberté, danger public ; la discipline, cette abdication de l'homme, besoin suprême et suprême vertu ; les gémissements de l'opprimé couverts par le son des fanfares ; la tyrannie drapée, dans les étendards, prix du courage, et paraissant presque belle, vêtue ainsi ; sous le nom de camps, des écoles d'obéissance dégradante ou d'enthousiasme imbécile ; le bruit, l'éclat, la gloire, les pompeux bulletins, les champs de triomphe, mais au bout de tout cela l'abaissement des caractères ; et enfin, franchissant le Rubicon, passant à la nage le fleuve de sang répandu pour lui et par lui, César !

Autre, il est vrai, pouvait être et serait la guerre d'un grand peuple, ne relevant que de lui-même, et, dans l'élan sublime de sa liberté reconquise, s'armant pour relie du monde ; mais la France en était-elle arrivée là, lorsque le peuple y sortait à peine de l'enfance d'un long despotisme, lorsqu'il y marchait encore à tâtons sur le corps de ses nouveaux dieux, lorsque l'idole ancienne y tenait encore le sceptre, lorsque les ministres. de la contrerévolution y menaient les affaires, et des généraux vendus à la cour les armées ?

Ici, Robespierre interroge la situation ; il en sonde les mystères ; il dévoile la trame ourdie entre la cour et la faction des Lameth, — cette trame si imparfaitement connue alors, et aujourd'hui si bien prouvée ; - il affirme, comme s'il eût pénétré jusqu'au fond de l'âme de Narbonne, ce que Narbonne devait avouer plus tard, le dessein de faire de l'armée, une fois formée, un appui libérateur pour Louis XVI ; il montre, dans la résistance des prêtres encouragée par le veto, la sanctification anticipée des trahisons militaires qui se préparent, et dans la guerre civile le terrible appoint de la guerre étrangère ; il ne veut pas qu'on puisse venir un beau jour sommer, l'épée à la main, la Constitution de capituler... Mais laissons-le parler lui-même :

Législateur patriote ; à qui je réponds en ce moment, que proposez-vous pour prévenir ces dangers et pour combattre cette ligue ? Vous dites : Que m'importe ? La liberté triomphera de tout. Est-ce que vous n'êtes point chargé d'assurer son triomphe, en déconcertant les complots de ses ennemis ? La défiance est un état affreux ! selon vous. Beaucoup moins affreux que la confiance stupide qui à causé tous nos embarras et tous nos maux. Oh ! ne calomniez pas, législateur patriote, ne calomniez pas la défiance ; laissez aux brigands qui veulent envahir et profaner le temple, le soin de combattre les dragons qui en défendent l'entrée. Est-ce bien à Manlius à trouver importuns les cris des oiseaux sacrés qui doivent sauver le Capitole ? La défiance est la gardienne des droits du peuple ; elle est au sentiment profond de la liberté ce que la jalousie est à l'amour. Si on nous trahit, dites-vous encore, le peuple est là ! mais vous ne pouvez ignorer que l'insurrection, que vous désignez ici, est un remède rare, incertain, extrême. Le peuple était là, dans tous les pays libres, lorsque des hommes habiles, après l'avoir endormi un instant, l'ont enchaîné pour des siècles. Le peuple était là, lorsqu'au mois de juillet son sang coula inopinément au sein même de cette capitale : et par quel ordre ? Le peuple est-là ! Mais vous, représentants, n'y êtes-vous pas aussi ? Et qu'y faites-vous, si, au lieu de prévoir et de déconcerter les projets de ses oppresseurs, vous ne savez que l'abandonner au droit terrible de l'insurrection et aux résultats du bouleversement des empires ?... Connaissez-vous quelque peuple qui ait conquis sa liberté en soutenant à la fois une guerre étrangère, domestique et religieuse, sous les auspices du despotisme qui la lui avait suscitée ? Les Américains, dont vous citez l'exemple, avaient-ils à combattre au dedans le fanatisme et la trahison, au dehors une ligue formée contre eux par leur propre gouvernement ? Guidés par Washington, et secondés par les fautes de Cornwallis, ils ont triomphé : eussent-ils triomphé, dites-moi, gouvernés par les ministres et conduits par le général de Georges III ?... Je me résume : il ne faut point déclarer la guerre actuellement ; il faut avant tout, partout et sans relâche, faire fabriquer des armes ; il faut armer le peuple, ne fût-ce que de piques ; il faut prendre des mesures qui empêchent les ministres de négliger ce qu'exige la sûreté de l'État ; il faut soutenir la dignité du peuple et défendre ses droits, trop négligés ; il faut veiller sur les finances, encore couvertes de ténèbres, au lieu d'achever de les ruiner par une guerre imprudente, à laquelle le système seul de nos assignats serait un obstacle si on la portait chez les étrangers ; il faut punir les ministres coupables et persister dans la résolution de réprimer les prêtres séditieux. Si, en dépit de la raison et de l'intérêt public, la guerre était déjà résolue, il faudrait au moins s'épargner la honte de la faire en suivant l'impulsion et le plan de la Cour ; il faudrait commencer par mettre en accusation le dernier ministre de la guerre, afin que son successeur comprît que l'œil du peuple est fixé sur lui ; il faudrait commencer par mettre en accusation les rebelles et séquestrer leurs biens, afin que nos soldats ne parussent pas des adversaires qui vont combattre des guerriers armés pour la cause du roi, mais des ministres de la justice nationale[22].

 

Impossible de parler avec un plus saisissant mélange de sagesse et d'énergie. Brissot présenta sa réplique le 30 décembre. Mais autant Robespierre avait été modéré, autant Brissot fut aigre et violent. Robespierre avait rendu justice à la générosité de l'erreur qu'il combattait, il avait désigné son adversaire sous le nom de législateur patriote.

Brissot débuta par dire qu'il laissait de côté les phrases oratoires, ce qui s'adressait à Robespierre, et les pasquinades, ce qui allait frapper Camille Desmoulins[23]. Puis, s'emparant avec une mauvaise foi manifeste de la plainte, si touchante et si courageuse, que Robespierre avait laissée échapper sur le peu de progrès qu'avait fait encore la vérité parmi le peuple, il rappela pompeusement les conquêtes de l'opinion publique en France, et s'écria : Voilà le peuple qu'on veut dégrader, en le comparant aux peuples qui gémissent dans l'esclavage !... Ah ! qui n'a pas frémi, qui n'a pas été indigné de cette comparaison ? Qui n'a pas été déchiré de voir un défenseur du peuple citer contre lui la cruelle catastrophe du 14 juillet ? Le lecteur vient d'avoir sous les yeux les propres paroles de Robespierre, et il peut juger jusqu'à quel point l'imputation de Brissot était calomnieuse, calomnieuse quant au fond, calomnieuse quant à la forme.

Pour ce qui est des arguments, l'orateur girondin prétendit que le ministère Narbonne était tout autre que le ministère précédent ; que sa haine contre les nobles de Coblentz était naturelle et devait être sincère, parce qu'il se trouvait composé d'hommes nouveaux, dont la Révolution avait fait la fortune. Brissot disait vrai, mais ce n'était pas répondre. Car Robespierre n'avait pas signalé le danger dans le triomphe possible d'une contre-révolution, au profit de l'ancienne noblesse ; loin de là, il avait dit expressément que rêver le retour au monde féodal était faire le plus absurde des rêves : où il avait montré le péril, c'était dans un essai de contre-révolution constitutionnelle, bâtarde, à l'anglaise, conforme enfin aux désirs des Duport, des Lameth, des Barnave, lesquels pour cela, marchaient effectivement d'accord avec Narbonne, croyaient pouvoir compter sur l'appui de Léopold lui-même, et espéraient bien entraîner Louis XVI. Or, c'est à quoi Brissot ne répondait pas ; ou, plutôt, il répondait en termes tels, qu'un complice de Narbonne ne se fût point exprimé autrement. Il ne faut pas, disait-il, que le ministre de la guerre s'offense des défiances ; s'il a dans l'âme le patriotisme qu'il affecte, il doit se souvenir que Phocion, après soixante-dix ans de services, fut soupçonné d'avoir voulu vendre la patrie à Nicanor. Et, pour mieux réduire la CONFIANCE en système, il ajoutait : Les grandes trahisons ne seront funestes qu'aux traîtres. Nous avons besoin de grandes trahisons. Sur ce qu'on n'avait jamais vu un peuple tirant profit pour sa liberté d'une guerre conduite par ses propres tyrans, il prononça ce mot, qui était présomptueux, mais bien près d'être sublime : Nous créerons ce qui n'a pas existé. Enfin, à l'exemple tiré de César, il opposa la différence qui existait entre une armée telle que l'armée française ; et les guerriers romains de la décadence, ramas de brigands, d'aventuriers, d'étrangers sans autre propriété que leurs sabres. Donc, pas de César à craindre ? Ici, ce n'était pas Robespierre qui devait réfuter victorieusement Brissot, mais. Napoléon !

Il y eut toutefois dans ce discours de l'orateur girondin des passages éclatants de lumière et vraiment prophétiques ; celui-ci, par exemple : Mais nous n'aurons pas de généraux patriotes ? Il s'en formera ! L'Amérique n'a-t-elle pas vu briller, dans le cours de quelques mois, parmi ses plus habiles guerriers, et le libraire Knox et le médecin Warren ? Et qu'était-ce que Washington lui-même, quand la guerre de l'indépendance se déclara ? Un colonel presque inconnu, et qui avait peu servi. Espérons-le, six mois se seront à peine écoulés, que l'ancienne classe des plébéiens se vantera d'avoir produit des héros, non pas de ces héros altérés de sang, qui achetaient leur gloire par des massacres, mais de ces hommes précieux qui, comme Phocion, sauront dévoiler au sénat les orateurs corrompus, se montreront économes de sang dans les batailles, seront pauvres et n'en rougiront pas. Brissot voyait venir Hoche et Marceau !

Au dehors, ces importants débats éveillaient mille échos Le journal de Prudhomme se rangea du côté de Robespierre[24]. Il en fut de même de Camille Desmoulins. L'Orateur du peuple, accoutumé à ne garder aucune mesure, et très-prompt à la calomnie, ne se contenta pas de combattre l'opinion de Brissot, il lui cria : Je ne vous estime plus, monsieur Brissot, je vous regarde comme un traître[25]. Et Marat : Moi, qui vous connais à fond, je m'attendais bien à voir un jour tomber votre masque[26].

Mais Brissot avait pour lui toute l'ardente Gironde, l'Assemblée, qu'elle dominait, le flot de l'opinion qui roulait vers la guerre, une notable partie du club des Jacobins, ébranlé déjà par Robespierre, mais non encore entraîné ; il avait pour lui des hommes d'esprit comme Louvet, et des enthousiastes comme Clootz.

Ce dernier, dans la séance du 1er janvier aux Jacobins, fut admirable de vivacité, d'originalité, de piquante audace, d'entrain : C'est parce que je veux la paix, que je demande la guerre. — Nos écrits modérés sont des torches en Allemagne. — Savez-vous quel est le plus redoutable de nos pamphlets ? Les assignats : inondons leurs provinces de nos assignats à l'aide de nos armées. — Les cases du damier de la France seront augmentées de douze cases nouvelles, dont le rebord sera le Rhin et le sommet des Alpes. — Le manifeste que nous publierons. brevet de manumission universelle. — Il y a veto sur les décrets contre les émigrés et les prêtres ? Eh bien, sanctionnons ces décrets à coups de canon : passons le Rhin[27].

Le lendemain, dans une longue et grave réplique, Robespierre repoussa avec beaucoup de dignité les attaques injustes que Brissot avait dirigées contre lui : J'ai avili le peuple ! On n'avilit point ce qu'on aime. J'ai avili le peuple ! Il est vrai que je ne sais point le flatter pour le perdre ![28] Mais le coup décisif, il le frappa, le 11 janvier, dans une des plus belles harangues qu'ait inspirées le génie de la Révolution.

..... Oui, domptons nos ennemis du dedans, et ensuite marchons à Léopold, marchons à tous les tyrans de la terre. A cette condition, moi aussi je demande la guerre à grands cris. Que dis-je ? cette condition ne fût-elle pas remplie, je la demande encore, je la demande, non comme un acte de sagesse, mais comme la ressource du désespoir ; je la demande à une autre condition, qui sans doute est convenue entre nous, car je ne pense pas que les avocats de la guerre aient voulu nous tromper ; je la demande telle qu'ils nous la dépeignent ; je la demande telle que le génie de la Liberté la déclarerait, telle que le peuple français la ferait lui-même, et non telle que de vils intrigants pourraient la désirer, et telle que des ministres et des généraux même patriotes pourraient la faire.

Français, hommes du 14 juillet, qui sûtes conquérir la liberté - sans guide et sans maître, venez, formons cette armée qui doit affranchir l'univers. Où est-il le général qui, imperturbable défenseur des droits du peuple, éternel ennemi des tyrans, ne respira jamais l'air empoisonné des Cours, dont la vertu austère est attestée par la haine et par la disgrâce de la Cour ; ce général, dont les mains, pures du sang innocent et des dons honteux du despotisme, sont dignes de porter devant nous l'étendard sacré de la liberté ? Où est-il ce nouveau Caton, ce troisième Brutus, ce héros encore inconnu ? Qu'il se reconnaisse à ces traits : qu'il vienne ; mettons-le à notre tête. où est-il ? où sont-ils ces héros qui, au 14 juillet, trompant l'espoir des tyrans, déposèrent leurs armes aux pieds de la patrie alarmée ? Soldats de Château-Vieux, approchez, venez guider nos efforts victorieux. Où êtes-vous ? Hélas ! on arracherait plutôt sa proie à la mort qu'au despotisme ses victimes ! Citoyens qui, les premiers, signalâtes votre courage devant les murs de la Bastille, venez, la patrie, la liberté vous appellent aux premiers rangs ! Hélas ! on ne vous trouve nulle part ; la misère, la persécution de nos despotes nouveaux vous ont dispersés. Venez du moins, soldats de tous ces corps im- mortels qui ont déployé le plus ardent amour pour la cause du peuple. Quoi ! le despotisme que vous aviez vaincu vous a punis de votre civisme et de votre victoire ; quoi ! frappés de cent mille ordres arbitraires et impies, cent mille soldats, l'espoir de la liberté, sans vengeance, sans état et sans pain, expient le tort d'avoir trahi le crime pour servir la vertu ! Vous ne combattrez pas non plus avec nous, citoyens, victimes d'une loi sanguinaire qui parut trop douce encore à tous ces tyrans qui se dispensèrent de l'observer pour vous égorger plus promptement. Ah ! qu'avaient fait ces femmes, ces enfants massacrés ? les criminels tout-puissants ont-ils peur aussi des enfants et des femmes ? Citoyens du Comtat, de cette cité malheureuse, qui crut qu'on pouvait impunément réclamer le droit d'être français et libre ; vous qui pérîtes sous les coups des assassins encouragés par nos tyrans ; vous qui languissez dans les fers où ils vous ont plongés, vous ne viendrez point avec nous ; vous ne viendrez pas non plus, citoyens infortunés et vertueux, qui, dans tant de provinces, avez succombé sous les coups du fanatisme, de l'aristocratie et de la perfidie ! Ah, Dieu ! que de victimes, et toujours dans le peuple, toujours parmi les plus généreux patriotes, quand les conspirateurs puissants respirent et triomphent !

Venez au moins, gardes nationales, vous qui êtes spécialement dévouées à la défense de nos frontières. Dans cette guerre, dont une cour perfide nous menace, venez. Quoi ! vous n'êtes point encore armées ? quoi ! depuis deux ans vous demandez des armes, et vous n'en avez pas ! que dis-je ? on vous a refusé des habits, on vous condamne à errer sans but de contrées en contrées, objet des mépris du ministère et de la risée des patriciens insolents, qui vous passent en revue pour jouir de votre détresse ! n'importe ! venez ; nous confondrons nos fortunes pour vous acheter des armes ; nous combattrons tout nus, comme les Américains... venez. Mais attendrons-nous pour renverser les trônes des despotes de l'Europe, attendrons-nous les ordres du bureau de la guerre ? consulterons-nous, pour cette noble entreprise, le génie de la Liberté ou l'esprit de la Cour ? serons-nous guidés par ces mêmes patriciens, ces éternels favoris, dans la guerre déclarée au milieu de nous entre la noblesse et le peuple ? Non ; marchons nous-mêmes à Léopold, ne prenons conseil que de nous-mêmes. Mais quoi ! voilà tous les orateurs de la guerre qui m'arrêtent ; voilà M. Brissot qui me dit qu'il faut que M. le comte de Narbonne conduise toute cette affaire ; qu'il faut marcher sous les ordres de M. le marquis de Lafayette... que c'est au pouvoir exécutif qu'il appartient de mener la nation à la victoire et à la liberté. Ah ! Français, ce seul mot a rompu tout le charme, il anéantit tous mes projets. Adieu la liberté des peuples ! Si tous les sceptres des princes d'Allemagne sont brisés, ce ne sera point par de telles mains. L'Espagne sera quelque temps encore l'esclave de la superstition, du royalisme et des préjugés ; le stathouder et sa femme ne sont point encore détrônés ; Léopold continuera d'être le tyran de l'Autriche, du Milanais, de la Toscane, et nous ne verrons point de sitôt Caton et Cicéron remplacer au conclave le pape et les cardinaux. Je le dis avec franchise, si la guerre, telle que je l'ai présentée, est impraticable ; si c'est la guerre de la Cour, des ministres, des patriciens, des intrigants, qu'il nous faut accepter, loin de croire à la liberté universelle, je ne crois pas même à la vôtre, et tout ce que nous pouvons faire de plus sage, c'est de la défendre contre la perfidie des ennemis intérieurs, qui vous bercent de ces douces illusions.

..... Dans l'horrible situation où nous ont conduits le despotisme, la faiblesse, la légèreté et l'intrigue, je ne prends conseil que de mon cœur et de ma conscience ; je ne veux avoir d'égard que pour la vérité, de condescendance que pour l'infortune, de respect que pour le peuple. Je sais que des patriotes ont blâmé la franchise avec laquelle j'ai présenté le tableau décourageant, à ce qu'ils prétendent, de notre situation. Je ne me dissimule pas la nature de ma faute. La vérité n'est-elle pas déjà trop coupable d'être la vérité ? Comment lui pardonner, lorsqu'elle vient, sous des formes austères, en nous enlevant d'agréables erreurs, nous reprocher tacitement l'incrédulité fatale avec laquelle on l'a trop longtemps repoussée ? Est-ce pour s'inquiéter et pour s'affliger qu'on embrasse la cause du patriotisme et de la liberté ? Pourvu que le sommeil soit doux et non interrompu, qu'importe qu'on se réveille au bruit des chaînes de sa patrie ou dans le calme plus affreux de la servitude ? Ne troublons donc pas le quiétisme politique de ces heureux patriotes. Mais qu'ils apprennent que, sans perdre la tête, nous pouvons mesurer toute la profondeur de l'abîme. Arborons la devise du palatin de Posnanie ; elle est sacrée, elle nous convient : Je préfère les orages de la liberté au repos de l'esclavage. Prouvons aux tyrans de la terre que la grandeur des dangers ne fait que redoubler notre énergie, et qu'à quelque degré que montent leur audace et leurs forfaits, le courage des hommes libres s'élève encore plus haut. Qu'il se forme contre la vérité des ligues nouvelles, elles disparaîtront ; la vérité aura seulement une plus grande multitude d'insectes à écraser sous sa massue. Si le moment de la liberté n'était pas encore arrivé, nous aurions le courage patient de l'attendre ; si cette génération n'était destinée qu'à s'agiter dans la fange des vices où le despotisme l'a plongée ; si le théâtre de notre Révolution ne devait montrer aux yeux de l'univers que les préjugés aux prises avec les préjugés, les passions avec les passions, l'orgueil avec l'orgueil, l'égoïsme avec l'égoïsme, la perfidie avec la perfidie, la génération naissante, plus pure, plus fidèle aux lois sacrées de la nature, commencera à purifier cette terre souillée par le crime ; elle apportera non la paix du despotisme, ni les honteuses agitations de l'intrigue, mais le feu sacré de la liberté et le glaive exterminateur des tyrans ; c'est elle qui relèvera le trône du peuple, dressera des autels à la vertu, brisera le piédestal du charlatanisme, et renversera tous les monuments du vice et de la servitude... Espoir de l'humanité, postérité naissante, tu ne nous es point étrangère, c'est pour toi que nous affrontons tous les coups de la tyrannie ; c'est ton bonheur qui est le prix de nos pénibles combats ; découragés souvent par les objets qui nous environnent, nous sentons le besoin de nous élancer dans ton sein ; c'est à toi que nous confions le soin d'achever notre ouvrage et la destinée de toutes les générations d'hommes qui doivent sortir du néant[29]...

 

La sensation fut immense aux Jacobins, au dehors, partout. Le léger auteur de Faublas, Louvet, ayant osé, quelques jours après, se mesurer avec Robespierre, fit précéder sa réfutation d'un exorde où il témoignait hautement de son respect pour ce grand rival ; et, dans une séance ultérieure, Brissot, qui ne se pouvait défendre d'une émotion secrète, dit noblement à son émule : Je supplie M. Robespierre de terminer une lutte aussi scandaleuse, qui ne donne l'avantage qu'aux ennemis du bien public. Il faisait allusion aux personnalités qui avaient aigri ce solennel débat, personnalités, du reste, dont Robespierre s'était soigneusement abstenu. Le vieux Dussault parut aussitôt à la tribune, les larmes aux yeux, et prononça une allocution touchante, à la suite de laquelle les deux athlètes s'embrassèrent.

Cela signifiait-il que la discussion était désormais fermée ? Le journal de Gorsas ayant donné cette signification à la scène qui venait de se passer, Robespierre écrivit à l'auteur : J'ai remarqué dans votre numéro d'aujourd'hui une erreur qui mérite d'être rectifiée... L'article dont je parle suppose que j'ai abjuré mes principes sur la question importante qui agite aujourd'hui tous les esprits, parce qu'on sent qu'elle tient au salut public et au maintien de la liberté. Je me croirais peu digne de l'estime des bons citoyens, si j'avais joué le rôle qu'on m'a prêté dans cet article. Ce qui est vrai, c'est qu'après un discours de M. Brissot, sur l'invitation de M. Dussault, nous nous sommes embrassés cordialement, aux applaudissements de toute la société. Et j'ai fait cette démarche avec d'autant plus de plaisir, que la discussion n'avait laissé aucune aigreur dans mon âme, et que je suis loin de regarder comme des querelles particulières des débats qui intéressent la destinée du peuple[30].

Pendant que ces luttes se poursuivaient aux Jacobins, les Constitutionnels, qui continuaient à inspirer le roi, renouvelaient le personnel de la diplomatie. Les envoyés à Munich, à Mayence, à Cologne, furent rappelés, ainsi que le comte de Vergennes, ministre près l'électeur de Trêves, tous ces diplomates étant suspects de connivence avec les émigrés. Biron et l'évêque d'Autun, Talleyrand, partirent pour Londres, comme négociateurs confidentiels. M. de Marbois remplaça près de la diète de Ratisbonne M. de Bérenger. Barthélemy fut nommé ambassadeur en Suisse. Mais de toutes ces nominations, la plus importante fut celle du comte de Ségur à l'ambassade de Berlin[31].

Nous avons déjà dit que Louis XVI, Marie-Antoinette, Narbonne, les Constitutionnels, ne demandaient pas mieux que d'essayer d'une guerre partielle, pour avoir à leur disposition une armée. Mais une guerre générale, et ses hasards, parmi lesquels, peut-être, l'avènement subit de la République, voilà ce qui les effrayait. Or, si Léopold refusait son appui aux émigrés, ou ne pouvait s'attendre à ce qu'il le refusât pareillement aux princes de l'empire possessionnés en Alsace ou en Lorraine, que les fameux décrets de la nuit du 4 août avaient frappés. Et en effet, la diète ayant fulminé contre ces décrets un conclusum très-énergique, Léopold, comme chef de l'empire, s'empressa de le ratifier, et en envoya sur-le-champ notification à la Cour de France. Céder ici était impossible. Comment revenir sur les conquêtes immortelles de la nuit du 4 août ? Et, d'autre part, comment reconnaître que le régime féodal, détruit en France, continuerait néanmoins d'y exister en ce qui touchait les domaines appartenant à quelques petits princes d'Allemagne ? Louis XVI et ses conseillers eussent-ils été disposés à admettre une aussi monstrueuse prétention, jamais ils ne l'auraient osé. L'honneur national était là : pas un paysan de France qui ne se fût levé en armes, le jour où on aurait permis à l'étranger de nous dire : Vous n'êtes pas maîtres chez vous. L'orage pouvait donc venir de ce côté, si Léopold persistait. Le Conseil de Louis XVI pensa que détacher le cabinet de Berlin de l'alliance de l'Autriche était un moyen d'écarter le péril, et telle fut la mission secrète donnée au comte de Ségur.

Quant à ses instructions, elles étaient aussi déshonorantes que simples, et bien dignes de cet esprit d'intrigue et de corruption contre lequel Robespierre, avec tant de raison, adjurait les patriotes de se tenir en garde : gagner à prix d'or les membres les plus influents du cabinet de Berlin ; gagner à prix d'or Bichofswerder, favori du roi de Prusse ; gagner à prix d'or les deux maîtresses de ce monarque libertin, Mme Rietz et la comtesse Danhof[32].

Copie de ces instructions secrètes parvint, dit-on, à Berlin, deux heures avant l'arrivée du diplomate constitutionnel, et le roi les communiqua tout de suite à son Conseil. De sorte que le comte de Ségur ne rencontra que visages glacés. Lorsque, le 12 janvier 1792, il se présenta pour remettre sa lettre de créance, Frédéric-Guillaume le reçut avec une froideur méprisante. A cette première audience, il affecta de ne lui point parler et de demander des nouvelles du prince de Condé[33]. La négociation se trouvait ainsi manquée d'avance. La reine n'ayant pas admis, selon l'usage, l'ambassadeur à sa partie, l'exemple de la Cour fut suivi par toute la société ; les ministres Schulemberg et Finkenstein marquèrent au comte de Ségur une défiance qui touchait à l'injure ; la comtesse Danhof, essayant de l'appuyer, tomba en disgrâce... Tout à coup le bruit se répand dans Berlin que, désespéré du rôle humiliant auquel on le condamne, le comte vient d'attenter à ses jours. D'autres parlent d'un noir attentat commis par des malveillants sur sa personne. La version des amis de M. de Ségur, confirmée depuis par lui-même, fut qu'en proie à un violent accès de fièvre, et tombant de son lit, on l'avait relevé la figure en sang[34].

Échouait dans le même temps une autre négociation parallèle à celle-ci, mais d'un caractère beaucoup plus intime. Informés du penchant du duc de Brunswick pour la France, et convaincus que ses talents militaires l'appelaient à jouer un grand rôle dans les événements qui se préparaient, Narbonne et ses amis rêvèrent de le conquérir à la France, par l'ambition. Le ministre de la guerre lui écrivit, à l'insu de Louis XVI, une lettre où il lui offrait, s'il voulait entrer au service de la France, le titre de généralissime, deux ou trois millions de traitement, et un établissement au niveau de son rang dans quelque province. Ces offres furent portées secrètement au duc de Brunswick par le fils du général Custine, jeune homme doué d'un esprit cultivé, d'une instruction militaire précoce et de manières séduisantes. Tout ce qu'une cajolerie délicate peut suggérer, le négociateur le mit en œuvre pour gagner le duc, faisant briller à ses yeux l'éclatante position du maréchal de Saxe sous Louis XV. Mais la fortune se trouvait avoir départi au duc de Brunswick, en Prusse, une situation non moins solide qu'illustre, et il ne se soucia pas de l'échanger contre un avenir précaire dans le pays des tourmentes. Il refusa donc ; et soit excès de prudence, soit duplicité, au lieu de répondre à Narbonne, il adressa la lettre qui contenait son refus à Louis XVI, qui apprit par là ce que son ministre lui avait caché. Il en conçut une indignation, d'autant plus vive, que, parmi les propositions éventuelles faites par Custine au duc de Brunswick, était celle. de la couronne de France, au cas où elle tomberait de la tête qui la portait ! Mais le moment de renvoyer Narbonne n'était pas encore venu, et Louis XVI, en attendant l'occasion de se venger de lui, dut se résigner à le subir[35].

Et l'Assemblée, pendant ce temps, que faisait-elle ?

Dominée, entraînée par les Girondins, l'Assemblée marchait à pas pressés dans la grande route de la Révolution, mais aussi dans celle de la guerre.

Le 29 décembre 1791, elle adopte une fort belle déclaration de principes, rédigée par Condorcet, et adressée à l'Europe.

Le même jour, elle vote 20 millions pour préparatifs militaires.

Le 50 décembre, elle abroge à l'unanimité l'usage des félicitations verbales ou écrites pour le renouvellement de l'année : décision dont elle a lieu de se féliciter le surlendemain, à la nouvelle qu'aux Tuileries un seul battant s'est ouvert devant les officiers municipaux, et que Louis XVI les a reçus à la porte de la salle de billard, où il faisait dans ce moment une partie[36].

Le 31 décembre, elle accueille avec un frémissement précurseur de quelque terrible tempête la communication d'un office de Léopold, annonçant que l'Empereur est forcé d'enjoindre au général Bender de secourir l'électeur de Trèves, en cas d'excursions hostiles sur les États de ce prince.

Le 1er janvier 1792, sur un rapport de Gensonné, elle décrète la mise en accusation des deux frères du roi, de Condé, de Calonne, de Laqueille, de Mirabeau le jeune.

Le 2, elle décrète que l'an IV de la liberté commencera le 1er janvier 1792.

Le même jour, elle mande à sa barre le ministre de la marine, Bertrand de Molleville, accusé par Cavalier d'avoir annoncé faussement que pas un officier de marine n'avait déserté. Le ministre se retire sans avoir été condamné par un vote, mais emportant sur lui comme un stigmate ces paroles de Vergniaud : Le ministre est convaincu de mensonge.

Le 5, décret qui complète l'organisation de la haute cour nationale.

Le 6, renvoi au comité diplomatique d'un office de l'électeur de Trêves, par lequel ce prince s'engageait à dissoudre dans ses États tous les corps armés de l'émigration et à punir les recruteurs.

L'Assemblée en était là, lorsque, le 11 janvier, Narbonne, de retour de son voyage, vint présenter son rapport sur l'état des frontières. La rapidité avec laquelle il les avait parcourues aurait dû rendre un peu suspecte l'autorité de ses éblouissantes affirmations ; mais le parti de la guerre voulait être ébloui. Le jeune ministre, dans un vif et présomptueux langage, assura que, de Dunkerque à Besançon, l'armée offrait une masse de deux cent quarante bataillons et cent soixante escadrons, avec de l'artillerie pour deux cent mille hommes ; que les vivres et fourrages, entassés dans les magasins, garantissaient, pendant six mois, la subsistance de deux cent trente mille hommes et vingt-deux mille chevaux ; que déjà, pour le service de l'artillerie et des vivres, six mille chevaux étaient rassemblés, et que six mille autres allaient l'être ; que les fortifications des places présentaient un aspect satisfaisant ; que les gardes nationales étaient animées d'un immense enthousiasme ; que les soldats se montraient ardents à défendre leur propre cause dans celle de la Révolution ; que, parmi les officiers, les uns aimaient la liberté pour elle-même, les autres la Constitution depuis que le roi l'avait jurée ; que peu de désertions étaient à craindre, qu'elles n'entraîneraient d'ailleurs aucun corps, et ne feraient, par l'horreur attachée aux traîtres, que redoubler le vrai courage. Confiance ! Confiance ! tel était le dernier mot du rapport. La confiance fût-elle un acte de courage, il importerait au peuple comme aux individus de croire à la prudence de la hardiesse[37].

Malheureusement, tout cela n'était qu'erreurs, exagérations, mensonges. On le sut plus tard, à n'en pas douter, lorsque, dans un mémoire adressé par Dumouriez à l'Assemblée sur la situation du département de la guerre, on lut : Les généraux se plaignent de la faiblesse et du délabrement de leurs armées : partout il manque des armes, des habits, des munitions, des chevaux de peloton, des effets de campement ; le non-complet des quatre armées, pour les seules troupes de ligne, s'élève à plus de quarante mille hommes et huit ou dix mille chevaux ; la plupart des places sont aussi démantelées qu'en temps de paix ; dans la plupart, il n'y a ni munitions suffisantes, ni vivres ; plusieurs commandants, plusieurs officiers sont suspects ou ennemis ; les commissaires des guerres, commis ou garde-magasins, sont en partie suspects ou vendus, etc., etc.[38]

Robespierre avait-il tort, quand, le soir de cette journée du 11 janvier, où Narbonne avait fait miroiter à tous les regards son fallacieux rapport, lui, sentinelle vigilante de la liberté, il avait prononcé la célèbre harangue que nous avons citée, et dans laquelle, en termes si magnifiques, il développait ces mots d'une de ses précédentes adjurations : La défiance est au sentiment intime de la liberté ce que la jalousie est à l'amour.

Et combien la sagacité de Robespierre parait plus frappante encore, lorsqu'on songe aux intrigues diplomatiques d'alors ! Car, il ne faut pas l'oublier, c'était dans le temps même où Narbonne, pour ne pas perdre le prétexte de tenir sur pied une armée, entretenait ainsi par des fables l'éveil de l'esprit guerrier, c'était dans ce temps-là même que Bigot de Sainte-Croix à Trèves, et le comte de Ségur à Berlin, avaient charge de combattre l'éventualité de tout conflit sérieux. C'est qu'en effet le vrai but du parti qui avait poussé Narbonne au ministère de la guerre était d'organiser autour du trône une force matérielle capable de faire reculer la Révolution.

En veut-on des preuves nouvelles ? Voici ce qu'écrivait dans son mémorial, à la date des premiers mois de 1792, un royaliste ardent, très-bien informé de ce qui se passait à la Cour : Le second parti et plan ministériel avait pour chefs Narbonne, Lafayette et madame de Staël. On leur attribue le projet d'emmener le roi à Fontainebleau, et de là, à la tête de l'armée qu'ils se faisaient fort de régénérer, de remettre en discipline. Lafayette, à Metz, avait assez bien pris. On voulait laisser au roi le choix des régiments les plus sûrs pour s'en entourer[39].

Et plus loin : Madame de Staël avait fait proposer au roi et à la reine de les emmener dans sa voiture, au départ de l'ambassadeur, et de travestir la reine en femme de chambre, le roi en maître d'hôtel avec une perruque noire, le dauphin habillé en fille. Elle ne voulait personne d'autre. La reine en fit des gorges chaudes avec le chevalier de Coigny[40].

Ce plan, les Girondins ne l'avaient d'abord que trop bien favorisé, en plaçant le débat sur le terrain de la guerre restreinte, comme on l'a vu par les premiers discours de Brissot. Mais à la façon triomphante dont Robespierre les y combattit, ils s'aperçurent vite qu'il y avait là, de leur part, une faute. Le zèle belliqueux de Narbonne, auquel ils avaient l'air de s'associer, commençait à être dénoncé aux soupçons du peuple par la plupart des feuilles révolutionnaires[41] ; le nombre des partisans de la guerre, patriotes, diminuait de jour en jour ; ce n'était plus Robespierre seul que Brissot et ses amis avaient maintenant pour antagoniste dans cette question, c'étaient les Jacobins les plus connus par leur énergie et leur audace. Nos adversaires, disait Billaud- Varennes, ont affecté de ne voir que Robespierre sur la scène, en lui reprochant d'être seul de son avis. Mais les Danton, les Antoine, les Camille Desmoulins, les Machenaud, les Santerre, les Panis, et tant d'autres membres de la Société des Jacobins, ont, sans monter à la tribune, manifesté le même sentiment[42].

Les Girondins n'avaient donc plus qu'un moyen de sou- tenir la discussion, qui était de l'élever aussi haut que possible, et de dire, par exemple : Eh bien, non, il ne s'agit pas pour nous d'une guerre aux émigrés de Coblentz et à quelques misérables petits princes d'Allemagne : contre de tels ennemis, la Révolution française a certainement assez de son dédain ; ce que nous demandons, c'est de nous mesurer avec l'empereur d'Autriche, avec le roi de Prusse, avec tous leurs complices couronnés, avec l'ancien monde. Périssons, ou qu'ils périssent ! Et quant au souverain que nous conservons à notre tête, malheur à lui s'il nous trahit ! Propageons hardiment, l'épée à la main, les principes de la France nouvelle. Si, dans une lutte aussi colossale, nous succombons, il est possible que la liberté de tous les peuples soit pour longtemps compromise ; mais si nous l'emportons, notre victoire est l'affranchissement de la terre.

Cette manière de poser la question, avant que les ennemis du dedans eussent été abattus, pouvait être impolitique, prématurée, téméraire ; mais elle avait de l'éclat, mais elle témoignait d'une noble confiance dans les ressources de la liberté, mais elle faisait de la Révolution l'aventure chevaleresque la plus noble qui eût jamais étonné les hommes. C'est ce que ne tardèrent pas à comprendre les Girondins, ces illustres et sincères artistes de la Révolution, dont Robespierre fut le penseur, le philosophe, le grand homme d'État. Ils ne songèrent donc plus qu'à mettre le feu à l'Europe, et à proclamer leur résolution, au milieu de scènes propres à impressionner vivement l'imagination populaire.

Le 14 janvier, Gensonné venait de lire un rapport concluant à ce que des explications fussent demandées à l'Empereur, lorsque tout à coup, sur le moi congrès de rois échappé à des lèvres inconnues, Guadet s'élance à la tribune : Apprenons aux princes de l'Empire que la nation française est décidée à maintenir sa constitution tout entière. Nous mourrons tous ici ! A ces mots, les membres de l'Assemblée, les hommes et les femmes qui remplissent les tribunes, se lèvent impétueusement, et, debout, les bras étendus : Nous le jurons ! Vivre libre ou mourir !

Guadet reprenant, avec une émotion croissante : Marquons à l'avance une place aux traîtres, et que cette place soit l'échafaud !... Les applaudissements redoublent. Je propose de déclarer infâme, traître à la patrie, tout agent du pouvoir exécutif, tout Français... — Oui ! oui ! la Constitution ou la mort ! Et l'Assemblée décrète : Est déclaré infâme, traître à la patrie, coupable du crime de lèse-nation tout Français qui prendrait part, soit à un congrès ayant pour but la modification de la Constitution française, soit à une médiation entre la France et les rebelles conjurés contre elle. Cette déclaration est aussitôt portée à Louis XVI, qui la sanctionne le jour même[43].

Ces transports effrayèrent et les Constitutionnels et la Cour. Le 17, le savant professeur de droit public, Koch, essaya de calmer les esprits par de sages paroles. De son côté, de Lessart, ministre des affaires étrangères, insinua timidement qu'assigner l'Empereur à bref délai, c'était entrer dans les voies de l'agression.

La vérité est que dans son office du 21 décembre, au sujet duquel on voulait le sommer de s'expliquer, l'empereur d'Autriche n'autorisait le maréchal Bender à défendre l'électeur de Trêves que dans le cas où ce prince serait attaqué injustement, c'est-à-dire après avoir rempli l'engagement de disperser les émigrés[44].

Mais Brissot n'était pas homme à être arrêté par des scrupules de grammaire. Organe véhément des passions de la Gironde : Le masque est enfin tombé, s'écria-t-il, votre véritable ennemi est connu. L'ordre donné au général Bender vous apprend son nom : c'est l'Empereur. Les électeurs n'étaient que ses prête-noms, les émigrés, qu'un instrument dans ses mains. Votre ennemi, c'est l'Empereur, vous dis-je. Cette interprétation violente de l'office du 21 décembre pouvait être facilement réfutée, mais ce qui était irréfutable, c'était ceci : Votre Constitution est un anathème éternel aux trônes absolus. Elle fait le procès des rois, elle prononce leur sentence... Vos ennemis ? Ils sont rois, et vous êtes peuple. Est-ce qu'il y a possibilité de capitulation sincère entre la tyrannie et la liberté ?[45]

Les conclusions de Brissot furent qu'on déchirât le traité de 1756 qui liait la Cour de France à la Cour de Vienne, et que Louis XVI fût immédiatement invité à faire savoir à Léopold qu'on l'attaquerait s'il n'avait pas donné avant le 10 février des explications de nature à dissiper toute inquiétude[46].

Le lendemain, Vergniaud présentait la cause plaidée par les Girondins sous son aspect le plus élevé, en prononçant ces belles paroles : Une pensée échappe à mon cœur. Il me semble que les mânes des générations passées viennent se presser dans ce temple pour vous conjurer, au nom des maux que l'esclavage leur a fait éprouver, d'en préserver les générations futures dont les destinées sont entre vos mains. Exaucez cette prière : soyez à l'avenir une nouvelle Providence ; associez-vous à la justice éternelle qui protège les Français[47].

Le char était lancé. Vainement communication fut faite à l'Assemblée d'une dépêche de Sainte-Croix, annonçant que l'électeur de Trèves s'était mis en mesure de disperser les émigrés ; vainement Mathieu Dumas, Ramond, Jaucourt, Beugnot, Becquey, Daverhoult, objectèrent que Léopold n'avait commis aucun acte d'hostilité et que son désir de conserver la paix était certain ; que le traité de 1756 devait être maintenu, parce que l'office du 21 décembre ne le violait en aucune façon ; que l'urgence des mesures proposées par les Girondins n'était mise en avant que pour couvrir leur impatience d'en venir à une agression[48], tout fut inutile. L'argument sérieux, celui auquel il eût fallu répondre, était justement celui auquel les Constitutionnels ne répondaient pas : Nulle capitulation possible entre la tyrannie et la liberté ! Robespierre, lui, n'avait eu garde de nier cette vérité ; seulement, il disait : Oui, la guerre à la royauté au dehors, mais après une victoire complète sur la royauté au dedans, et c'est ce qui constituait sa force contre les Girondins. Mais comme les Constitutionnels ne pouvaient ni ne voulaient tenir un pareil langage, la Gironde devait naturellement les écraser. Le 25 janvier, après une discussion de huit jours, l'Assemblée adopta le projet suivant, rédigé par Hérault de Séchelles, et amendé par Vergniaud, Mailhe et Brissot :

Art. 1er. Le roi sera invité par une députation à déclarer à l'Empereur qu'il ne peut désormais entretenir des relations politiques avec aucune puissance qu'au nom de la nation française et en vertu des pouvoirs qui lui sont délégués par la Constitution.

Art. 2. Le roi sera invité à demander à l'Empereur s'il entend vivre en paix et bonne intelligence avec la nation française, s'il renonce à tout traité et convention dirigés contre la souveraineté, l'indépendance et la sûreté de la nation.

Art. 3. Le roi sera invité à déclarer à l'Empereur qu'à défaut par lui de donner à la nation, avant le 1er mars prochain, pleine et entière satisfaction sur les points ci-dessus énoncés, son silence, ainsi que toute réponse évasive ou dilatoire, seront regardés comme une déclaration de guerre.

Art. 4. Le roi sera invité à continuer de prendre les mesures les plus promptes pour que les troupes françaises soient en état d'entrer en campagne au premier ordre donné[49].

 

Lorsque ce décret parvint à la connaissance de Léopold, son parti était déjà à moitié pris. Averti, d'abord par la scène du 14 janvier, puis par - une note où de Lessart, intimidé, s'efforçait de parler à l'Autriche sur un ton de fermeté tout à fait inaccoutumé, que l'idée de la guerre était devenue dominante, l'Empereur avait dit : Puisque les Français veulent la guerre, ils l'auront, et ils verront que Léopold le Pacifique sait la faire quand il le faut. Ils en payeront les frais, et ce ne sera pas en assignats[50].

En attendant, il décida qu'un traité préliminaire d'alliance et de concert, conclu entre l'Autriche et la Prusse le 25 juillet précédent, serait converti en un traité définitif, et tandis qu'il donnait l'ordre de former de troupes réunies en Bohême un corps d'armée prêt à se mettre en marche au premier signal, il faisait filer dans le Brisgaw six mille combattants[51].

 

NOTE

Cette question de la guerre a été présentée jusqu'ici de la manière la plus étrangement et déplorablement inexacte qui se puisse imaginer. Les uns, comme MM. Buchez et Roux, n'ont pas hésité à immoler la Gironde à leur passion pour Robespierre, oubliant ce que, dans leur fougueux désir de faire la guerre aux rois, les Girondins avaient apporté de généreux, de sincère, de vraiment républicain. Les autres, prenant systématiquement parti pour les Girondins, ont été à l'égard de Robespierre d'une injustice qui les a conduits à mutiler et à fausser l'histoire. Nous avons regret à le dire, de ces derniers est un de nos plus illustres confrères, M. Michelet. Comme les erreurs d'un tel homme empruntent de sa légitime influence sur l'esprit de la jeunesse un caractère particulier d'importance, les relever avec soin nous semble un devoir.

D'abord M. Michelet (voyez le tome III de son Histoire de la Révolution, liv. VI, chap. V) pose Robespierre comme ne voulant pas la guerre ; ce qui n'est point exact. Robespierre comprenait à merveille que la guerre aux y, rois était légitime, nécessaire, inévitable, commandée par le principe de la solidarité des peuples ; seulement, il ne voulait pas qu'on la fit sous la conduite de gens qui étaient justement les complices de ceux à qui il fallait la faire. Cette importante distinction, qui disparaît dans le récit de M. Michelet, Robespierre, dans ses discours, y revient sans cesse. Le 50 décembre 1791, il commence par dire, en termes formels : Renversons nos ennemis intérieurs, et ensuite marchons à nos ennemis étrangers. Le 2 janvier 1792, il dit : Certes, j'aime autant que M. Brissot une guerre entreprise pour étendre le règne de la liberté. Si j'étais maître des destinées de la France, si je pouvais à mon gré diriger ses forces et ses ressources, j'aurais envoyé depuis longtemps une armée en Brabant ; j'aurais secouru les Liégeois et brisé les fers des Bataves. Le 11 janvier 1792 : que, réveillé, encouragé par l'énergie de ses représentants, le peuple reprenne cette attitude qui fit un moment trembler tous ses oppresseurs ; domptons nos ennemis du dedans, et ensuite marchons à Léopold, marchons à tous les tyrans de la terre. C'est à cette condition que moi-même je demande à grands cris la guerre. Comment, après des déclarations si solennelles, si souvent réitérées, M. Michelet a-t-il pu se méprendre sur le vrai caractère du débat, et pourquoi n'a-t-il, en tout cas, rien cité de ce qui aurait pu mettre le lecteur à même d'en bien juger ?

Ce n'est pas tout : pour amnistier la confiance extrême de la Gironde, et montrer combien les défiances de Robespierre étaient excessives, M. Michelet se borne à représenter Narbonne comme un fat, comme un jeune ambitieux, à qui madame de Staël n'aurait pas été fâchée de mettre dans la main, en manière de gage d'amour, l'épée de la Révolution. Mais ce qu'il ne dit pas, c'est que Narbonne voulait la guerre restreinte, un simulacre de guerre, et non la guerre à tous les rois, la grande guerre de propagande ; ce qu'il ne dit pas, c'est que son but était de faire de l'armée un refuge pour Louis XVI, un appui libérateur pour la royauté, un moyen d'écraser les clubs, les Jacobins, les républicains de l'Assemblée ; ce qu'il ne dit pas, c'est que madame de Staël avait si peu l'intention de faire tomber sous l'effort de son amant tous les trônes de l'Europe, que sa grande préoccupation dans les premiers mois de 1792 était de concerter, pour Louis XVI, une nouvelle tentative d'évasion. Toutes ces choses prouvées, comme on l'a vu dans notre récit, par les aveux contemporains de Mallet du Pan et par ceux que fit plus tard Narbonne lui-même, M. Michelet les passe sous silence. Et ce sont ces choses justement qui témoignent de l'extrême sagacité de Robespierre, légitiment la défiance qu'il montra, et accusent la légèreté avec laquelle Brissot appuyait Narbonne, sans s'apercevoir que Narbonne avait un but opposé au sien, et que l'espèce de guerre désirée par les Constitutionnels n'était pas du tout celle qui convenait à la Gironde.

Il y a ici une nuance qui a complètement échappé à M. Michelet. Il est bien vrai que la Cour ne voulait pas la guerre générale, la guerre aux rois, ce qui, de façon ou d'autre, lui eût créé des embarras mortels ; mais que, sous prétexte de mettre Coblentz et l'électeur de Trèves à la raison, le ministre de la guerre levât des troupes, fit de la popularité militaire au profit du roi, et ménageât au trône un appui libérateur, c'est ce dont la Cour s'accommodait à merveille, et ce qui explique pourquoi, avant que la Gironde eût posé la question d'une manière tout à fait héroïque, la guerre fut prêchée par tous les organes du château, comme Brissot en convint dans son discours du 16 décembre 1791, cité par nous et omis par M. Michelet.

Certes, si jamais opinion fut basée sur des considérations graves, dignes d'un homme d'Etat, d'un philosophe, d'un penseur, d'un ami sincère de la liberté, ce fut l'opinion soutenue, dans cette circonstance, par Robespierre. Se fût-il trompé, il est impossible de nier qu'il n'eût, pour adopter l'avis qu'il s'efforça de faire prévaloir, des motifs de la plus haute portée. Et quant à la profondeur de ses convictions, elle ressort assez de l'admirable courage avec lequel, presque seul d'abord, il lutta contre l'entraînement général, n'hésitant pas un instant à compromettre, dans une lutte de ce genre, son influence et sa popularité. Cependant, que fait M. Michelet ? Ayant sous les yeux les discours de Robespierre, discours si pleins de raison, si frappants, si décisifs, qu'ils ne tardèrent pas à forcer l'assentiment des amis les plus énergiques de la Révolution, M. Michelet refuse d'expliquer, comme il serait naturel de le faire, l'opinion de Robespierre par les puissants motifs sur lesquels elle se fonde, et qu'il expose lui-même avec tant de force, et, au lieu de cela, il suppose que Robespierre combattit l'idée- de la guerre, 1° par jalousie à l'égard des Girondins, qui l'avaient adoptée ; 2° parce que, dans son imagination, crédule à force de haine, il les croyait d'accord avec le parti feuillant et anglais ; 3° parce que les sociétés jacobines de province, composées en partie d'acquéreurs de biens nationaux, craignaient la guerre.

Or, il n'est pas une seule de ces suppositions qui ne tombe devant les faits, devant les faits, seule base admissible pour l'histoire.

Les deux premières hypothèses, à l'appui desquelles M. Michelet ne cite rien qui puisse servir, soit de preuve, soit seulement d'indice, se trouvent réfutées par les discours mêmes de Robespierre, où, loin de confondre malignement les Girondins avec les ministériels, il a toujours grand soin de les distinguer, n'accusant les Girondins que de se laisser tromper par les autres, ce qui, dans le commencement, fut très-vrai. C'est ainsi que, dans sa harangue du 30 décembre 1791, il débute par rendre un éclatant hommage à la générosité du sentiment qui, dans cette question, égare de bons citoyens sur les pas des ennemis de la Révolution. Le nom sous lequel il y désigne Brissot, dans un style sérieux, animé, qui rend impossible toute hypothèse d'ironie, est celui de législateur patriote, et il le compare combattant le système de la défiance à un Manlius qui s'opposerait au cri des oiseaux sacrés qui sauvèrent le Capitole. Dans son discours du 2 janvier 1792, il se hâte de déclarer que des deux opinions balancées dans l'opinion des Jacobins, l'une, celle qu'il combat, a pour elle, non-seulement les idées qui flattent l'imagination et les espérances qui animent l'enthousiasme, mais un sentiment généreux. Et cependant, ceci en réponse à de cruelles et iniques paroles de Brissot, qui lui avait calomnieusement reproché d'avoir avili le peuple ! Prendrons-nous son discours du 11 janvier 1792, voici comment il s'ouvre : Est-il vrai qu'une nouvelle jonglerie ministérielle ait donné le change aux amis de la liberté, sur le véritable objet des projets de ses ennemis ? Robespierre distingue donc partout les deux partis que M. Michelet l'accuse, au contraire, de confondre, dans son imagination, dit-il, crédule à force de haine.

Pour ce qui est de l'intérêt des acquéreurs de biens nationaux, que Robespierre aurait eu en vue de représenter en repoussant l'idée de la guerre nous avons feuilleté avec un soin minutieux, dans la Bibliothèque historique de la Révolution, au British Museum, la masse volumineuse des divers documents relatifs à Robespierre, et nous n'y avons trouvé rien, absolument rien, qui justifie, de quelque manière que ce puisse être, la supposition de M. Michelet, que lui-même, au surplus, il présente en ces termes : Le troisième point qui peut sembler hypothétique et conjectural, mais qui pour moi n'est pas douteux, c'est que, etc. Et pourquoi, ce point conjectural n'est-il pas douteux pour M. Michelet ? Parce que la guerre ne devait pas naturellement convenir aux acquéreurs de biens nationaux, e que, dès lors, il est présumable qu'ils écrivaient à Robespierre d'arrêter ce funeste élan guerrier ! Et il n'en faut pas davantage à l'historien pour dépouiller le tribun le plus sincère qui ait jamais existé, de la gloire d'avoir servi, au risque de sa popularité, ce qu'il jugea être l'intérêt du peuple !

M. Michelet n'a besoin que de cette conjecture, pour représenter comme le défenseur et l'organe d'un intérêt égoïste, un homme qui se fit constamment l'avocat des pauvres contre les riches, un homme dont l'inaltérable vertu fut toujours attestée par ses plus mortels ennemis, un homme dont, selon le témoignage de notre sculpteur David d'Angers, Barère mourant disait : Robespierre avait le tempérament des grands hommes, et la postérité lui accordera ce titre. Il fut grand, quand tout seul, à l'Assemblée constituante, il eut le courage de défendre la souveraineté du peuple Il fut grand, quand plus tard, aux Jacobins, seul il balança le décret de guerre contre l'Allemagne ! Ce n'est pas tout : en prétendant que les sociétés jacobines de province étaient contre la guerre, M. Michelet commet une erreur matérielle, à peine croyable. Car le Journal des Jacobins, qu'il a eu certainement sous les yeux, enregistre dans une longue série de numéros les adhésions en faveur de la guerre envoyées par beaucoup de sociétés jacobines de province ; et, dans la séance du 26 mars 1792, aux Jacobins, Guadet dit expressément : Dire, comme M. de Robespierre l'a fait, que l'on demande la guerre sans but et sans préparatifs, me parait être une critique amère de TOUTES LES SOCIÉTÉS PATRIOTIQUES QUI ONT ÉTÉ DE L'AVIS DE LA GUERRE. De fait, s'il était vrai que les sociétés jacobines de province eussent si fort subi l'influence anti-guerrière des acquéreurs de biens nationaux, comment concevoir que la France révolutionnaire, guidée par les Jacobins de province, eût été néanmoins tellement favorable à la guerre, qu'en dépouillant les registres des départements, on trouvera plus de six cent mille citoyens inscrits pour marcher à l'ennemi ? (Voyez, à cet égard, le Journal des Jacobins, séance du 26 mars 1792.)

La prévention de M. Michelet contre Robespierre est si violente, si passionnée, si aveugle, qu'il ne mentionne le puissant et éloquent discours du 11 janvier, que pour railler, et l'admiration qu'inspirèrent aux Jacobins des banalités morales, gauchement imitées de Rousseau, et l'émotion des femmes qui remplissaient les tribunes. Ici encore, nous remarquerons combien il est fâcheux que, par une citation textuelle et un peu étendue des paroles qu'il tourne en moquerie, l'auteur n'ait pas mis les lecteurs à même de juger son jugement, et de décider si réellement le mauvais goût de nos pères était tel que le donne à penser cette phrase de M. Michelet : ..... et autres banalités morales, gauchement imitées de Rousseau. C'était le ton de l'époque, et l'effet était surtout excellent aux Jacobins.

C'est sous l'empire de la même prévention que, parlant du rapproche- ment opéré par Dussault entre Brissot et son antagoniste, M. Michelet trace ces lignes meurtrières : Robespierre toutefois protesta qu'il continuerait la lutte, son opinion ne pouvant être subordonnée aux mouvements de sa sensibilité et de son affection pour M. Brissot. Ce mot d'affection fait frémir. Pourquoi cette accusation d'hypocrisie lancée contre Robespierre ? Quel acte avait-il fait, quel mot avait-il laissé échapper, qui prouvât qu'alors il haïssait Brissot ? C'était ce dernier qui s'était montré amer et presque insultant. Encore une conjecture ! Il est vrai que, plus tard, Brissot put compter Robespierre au nombre de ses plus formidables ennemis ; mais pourquoi confondre ainsi les époques ? Pourquoi, sans preuve et par voie d'hypothèses, antidater les haines ? Qui ne sait par quelle série de luttes terribles furent préparées et amenées les farouches inimitiés de la dernière heure ?

Ah ! combien il est regrettable que, dans le tableau qu'ils tracent des batailles que les révolutionnaires se sont livrées, les écrivains amis de la Révolution se croient toujours obligés de prendre parti pour l'une ou l'autre armée avec tant d'emportement, de violence et d'inflexibilité ? Est-ce que l'heure du calme n'est pas venue même pour l'histoire ? Est-ce qu'après tout, et malgré la fatalité qui les poussa, hélas ! à s'entre-détruire, les Girondins, les Montagnards, Robespierre, Brissot, ne concoururent pas tous, quoique inégalement, à nous faire ce grand héritage, la Révolution ? Est-ce que les fondateurs de l'immortelle république n'ont pas à nous demander, à nous républicains, de rappeler leurs querelles, maintenant qu'ils se reposent tous dans la mort, avec plus de sérénité et d'équité qu'il ne leur fut donné d'en montrer les uns à l'égard des autres au plus fort d'épouvantables tempêtes ? Mais quoi ! M. Michelet n'a pas toujours été sans comprendre cela, et nous lisons dans le quatrième volume de son livre cette page, de tout point admirable, par laquelle il nous est doux de terminer : Ce qui crève le cœur, quand on repasse ces destinées tragiques, ce qui est aujourd'hui si clair et si certain, c'est qu'ils se frappèrent sans se connaître ; ils s'ignorèrent profondément. Ils le savent maintenant combien leurs accusations mutuelles furent injustes, et, sans doute, ils se sont réconciliés. Il me serait trop dur de croire que ces grands citoyens, morts si jeunes, et, quoi qu'ils aient fait, morts enfin pour nous faire cette patrie, n'aient pas eu, par delà la mort, du temps pour se reconnaître, pour entrer dans la lumière de justice et de vérité, et s'embrasser les uns les autres. Ils haïrent, parce qu'ils aimaient trop.

 

 

 



[1] Voyez Laponneraye, Œuvres de Maximilien Robespierre, t. I. Notice historique, p. 30 et 31. Paris, 1834.

[2] Nous regrettons de le dire : nul n'a plus mal présenté et plus mal apprécié tout ceci que M. Michelet. C'est ce qui sera prouvé, nous l'espérons, jusqu'à l'évidence, dans la note placée à la fin de ce chapitre.

[3] Voyez le cinquième volume de cet ouvrage.

[4] Villemain, Souvenirs contemporains d'histoire et de littérature, chap. Ier, p. 33.

[5] Déclaration des droits de l'homme, par Maximilien Robespierre.

[6] Journal des débats de la société des Amis de la Constitution, n° 102.

[7] Journal des débats de la société des Amis de la Constitution, n° 102.

[8] Buchez et Roux, Histoire parlementaire, t. XII. p. 388-390.

[9] Buchez et Roux, Histoire parlementaire, t. XII, p. 388-390.

[10] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. I, p. 167.

[11] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. I, p. 257.

[12] Lettres inédites de Marie-Antoinette, publiées par M. d'Hunolstein, p. 274-275. Paris, 1864.

[13] Et non le 16, comme l'avance par erreur l'auteur des Mémoires d'un homme d'État.

[14] Voyez Buchez et Roux. Histoire parlementaire, t. XII, p. 395 et 396.

[15] Histoire parlementaire, t. XII, p. 397.

[16] Histoire parlementaire, t. XII, p. 598.

[17] Bibliothèque historique de la Révolution. — BRISSOT. — 1170, 71. British Museum. — C'est là qu'il faut recourir si on veut avoir le discours complet de Brissot. Le Journal des débats de la Société des Amis de la Constitution n'en donne que quelques lignes dans son n° 112.

[18] Journal des débats de la Société des Amis de la Constitution, n° 112.

[19] Journal des débats de la Société des Amis de la Constitution, n° 113.

[20] Journal des débats de la Société des Amis de la Constitution, n° 113.

[21] Hâtons-nous de dire que le magnifique et puissant discours que nous citons ici n'a trouvé place dans aucune des histoires qui ont précédé celle-ci, qu'il tire du Journal des Jacobins, M. Michelet n'en donne qu'une phrase, qu'il tire du Journal des Jacobins, et qui est, en effet, la seule que reproduise ce journal. Il en est de même de MM. Bûchez et Roux, qui ne font que copier le Journal des Jacobins, et de M. de Lamartine, qui ne fait que copier MM. Buchez et Roux. Quant à MM. Thiers et Mignet, nous n'en parlons pas, leurs livres n'étant en réalité que des tables de matières.

[22] Bibliothèque historique de la Révolution, 853, 4, 5. — ROBESPIERRE. British Museum.

[23] Encore un discours qui n'a pas été connu. Le Journal des Jacobins se borne à le mentionner en cinq ou six lignes, et MM. Buchez et Roux se contentent, à leur tour, de reproduire l'insignifiante mention du Journal des Jacobins, dans son n° 121. Plus heureux, nous l'avons découvert, reproduit in extenso dans la Bibliothèque historique de la Révolution, du British Museum, cette source si précieuse et où déjà nous avons tant puisé. Voyez 1170, 71. — SUR LA GUERRE ET LA PAIX.

[24] Révolutions de Paris, n° 152.

[25] L'Orateur du Peuple, t. IX, n° XIVIII.

[26] L'Ami du Peuple.

[27] Ce discours n'est que mentionné dans le Journal des Jacobins, et ne se trouve conséquemment avoir été cité dans aucune histoire précédente. Il est in extenso dans la Bibliothèque historique de la Révolution, du British Museum, 775, 6, 7. — ANACHARSIS CLOOTZ.

[28] Le n° 150 des Révolutions de Paris reproduit en entier le discours du 2 janvier, qui ne se trouve pas dans le Journal des Jacobins, et qui, du reste, ne fait que développer les arguments de celui que nous avons déjà analysé.

[29] Voyez pour ce discours, qu'il nous a été impossible de reproduire intégralement à cause de sa longueur, le n° 131 des Révolutions de Paris.

[30] Courrier des 83 départements, cité dans l'Histoire parlementaire, t. XIII, p. 108.

[31] Voyez le comte de Ségur, Tableau politique de l'Europe, t. II, ch. IX, p. 15, et les Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. I, p. 184.

[32] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. I, p. 184-187.

[33] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. I, p. 184-187.

[34] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. I, p. 203.

[35] Voyez pour de plus amples détails au sujet de cette négociation, les Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. I, p. 192-197. — Nous n'avons ici fait que suivre pas à pas cet ouvrage qui, pour les choses de diplomatie, fait autorité. — C'est de là que M. de Lamartine, de son côté, a tiré tout ce qu'il raconte dans son Histoire des Girondins, de la mission du jeune Custine. Nous ne pouvons donc comprendre pourquoi il dit que la lettre de Narbonne au duc de Brunswick était signée de Louis XVI lui-même, lorsque le livre où il puise ses renseignements affirme si positivement le contraire.

[36] Montgaillard, Histoire de France, t. III, p. 50.

[37] Voyez le texte de ce rapport, reproduit in extenso dans l'Histoire parlementaire, t. XIII, p. 32.

[38] Mémoire de Dumouriez, lu à la séance du 13 juin 1702.

[39] Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, t. I, chap. II, p. 257 et 258. Paris, 1851.

[40] Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, t. I, chap. II, p. 258 et 259.

[41] Voyez le n° 131 des Révolutions de Paris.

[42] Journal des débats de la Société des Amis de la Constitution.

[43] Séance du 14 janvier 1792.

[44] Souvenirs de Mathieu Dumas, t. II, liv. V, p. 47.

[45] Ce discours remarquable, dont MM. Buchez et Roux, dans leur Histoire parlementaire, se bornent à faire mention, se trouve reproduit in extenso dans le Moniteur, analysé dans les Souvenirs de Mathieu Dumas, t. II, p. 48-51, et cité en partie dans les Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. I, p. 218-221.

[46] Souvenirs de Mathieu Dumas, t. II, liv. V, p. 50 et 51.

[47] Histoire parlementaire, t. XIII, p. 52.

[48] Voyez l'analyse détaillée de cette discussion, dans les Souvenirs de Mathieu Dumas, t. II, p. 47-75.

[49] Voyez l'analyse détaillée de cette discussion, dans les Souvenirs de Mathieu Dumas, t. II, p. 74 et 75.

[50] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. I, p. 214.

[51] Voir la note de fin du chapitre.